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4A_179/2019 (d) du 24.09.2019, destiné à la publication – Principe de la publicité de la justice – Les pourparlers transactionnels dans un procès civil ne sont pas publics – Exclusion justifiée d’une journaliste

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_179/2019 (d) du 24.09.2019, destiné à la publication

 

Arrêt 4A_179/2019 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 14.10.2019 disponible ici

 

Principe de la publicité de la justice – Les pourparlers transactionnels dans un procès civil ne sont pas publics

Exclusion justifiée d’une journaliste

 

Les discussions transactionnelles menées dans le cadre d’un procès civil ne sont pas soumises au principe de la publicité de la justice, car elles ne font pas partie de l’activité juridictionnelle du tribunal. Une journaliste s’est ainsi vu refuser à juste titre le droit d’assister à des pourparlers transactionnels devant le Tribunal des prud’hommes de Zurich.

En 2018, le Tribunal des prud’hommes de Zurich avait refusé la présence d’une chroniqueuse judiciaire accréditée lors de pourparlers transactionnels qui avaient lieu à l’issue d’une audience des débats principaux. Après avoir attaqué sans succès la décision du Tribunal des prud’hommes devant la Cour suprême du canton de Zurich, la journaliste a recouru au Tribunal fédéral.

Le Tribunal fédéral rejette le recours. Conformément à l’article 30 alinéa 3 de la Constitution fédérale (Cst.), l’audience et le prononcé du jugement sont publics. Selon l’article 54 du Code de procédure civile (CPC), qui concrétise le principe constitutionnel pour la procédure civile, les débats et une éventuelle communication orale du jugement sont publics. Des exceptions sont possibles. Dans la procédure de conciliation, l’audience n’est pas publique (article 203 CPC). La publicité tend à assurer la transparence de la jurisprudence et à renforcer ainsi la confiance dans la justice. Par leurs comptes-rendus de l’activité judiciaire, les médias assurent un rôle important de transmission. Ils rendent l’activité du juge accessible à un public plus large.

Le principe de la publicité de la justice ne s’applique pas à toutes les phases de la procédure. La notion d’audience ne se rapporte qu’aux débats où les parties sont confrontées l’une à l’autre devant le tribunal, lorsqu’il est procédé aux auditions, à l’administration des preuves et aux plaidoiries. Sont compris uniquement les éléments de la procédure qui constituent le fondement permettant de liquider le litige par un jugement. Les pourparlers transactionnels n’en font pas partie. Ils ont pour but le règlement à l’amiable du litige. Le tribunal tient alors le rôle de médiateur entre les parties. La teneur des discussions transactionnelles ne figure pas dans le procès-verbal et ne peut pas servir de base à un éventuel jugement. Les pourparlers transactionnels ne représentent ainsi pas une étape nécessaire en vue de la décision judiciaire sur l’objet du litige. Dans la mesure où les discussions transactionnelles se tiennent dans ce cadre, il ne s’agit alors pas d’une activité juridictionnelle du tribunal, dont la transparence est garantie par la Cst. et le CPC.

 

 

Arrêt 4A_179/2019 consultable ici

 

 

6B_1188/2018 (d) du 26.09.2019, destiné à la publication – Condamnation fondée sur les enregistrements d’une dashcam : le recours de la conductrice est admis

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1188/2018 (d) du 26.09.2019, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 10.10.2019 disponible ici

 

Le Tribunal fédéral annule la condamnation d’une conductrice qui avait été reconnue coupable de multiples violations des règles de la circulation routière sur la base des enregistrements de la dashcam d’un autre usager de la route. L’exploitation, comme moyen de preuve, des prises de vue obtenues en violation de la Loi sur la protection des données, n’est pas admissible dès lors que les violations des règles de la circulation routière en question ne constituent pas des infractions graves. Le Tribunal fédéral n’a pas dû trancher la question de savoir si une exploitation des enregistrements à titre de preuve aurait été licite en cas d’infractions graves.

L’intéressée avait été condamnée en 2018 par le Tribunal de district de Bülach à une peine pécuniaire avec sursis ainsi qu’à une amende de 4000 francs pour de multiples violations des règles de la circulation routière, pour partie graves, sur la base des enregistrements de la dashcam d’un autre usager de la route. Le Tribunal cantonal du canton de Zurich a confirmé le jugement.

Le Tribunal fédéral admet le recours de l’intéressée et annule le jugement du Tribunal cantonal. Les enregistrements privés de la dashcam ont été obtenus en violation de la Loi sur la protection des données (LPD), et donc de manière illégale. Puisque la réalisation de prises de vue depuis un véhicule n’est pas aisément reconnaissable pour les autres usagers de la route, il s’agit d’un traitement secret de données au sens de l’article 4 alinéa 4 LPD, constitutif d’une atteinte à la personnalité.

Le Code de procédure pénale (CPP) règle l’exploitabilité des preuves qui ont été obtenues illégalement par les autorités publiques. Le CPP ne règle pas expressément la question de savoir dans quelle mesure cette inexploitabilité s’applique également aux preuves recueillies par une personne privée. Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, les moyens de preuve collectés illégalement par des personnes privées ne peuvent être exploités que lorsque les deux conditions cumulatives suivantes sont remplies : en premier lieu, les moyens de preuve collectés par une personne privée auraient pu être collectés de manière légale par les autorités de poursuite pénales ; en second lieu, une pesée des intérêts doit pencher en faveur de leur exploitation.

En rapport avec les moyens de preuve qui ont été recueillis illégalement par les autorités de poursuite pénales, le CPP procède lui-même à cette pesée des intérêts. Il en découle que de telles preuves ne peuvent être exploitées que lorsqu’elles sont indispensables pour élucider des infractions graves. Il apparaît approprié d’appliquer le même critère aux moyens de preuve obtenus illégalement par des personnes privées puisque, du point de vue de la personne concernée, il est sans importance de savoir qui a collecté les preuves auxquelles elle est confrontée dans le cadre de la procédure pénale.

Dans le cas d’espèce, le Tribunal cantonal a qualifié le comportement de l’automobiliste en partie de violations simples, et en partie de violations graves des règles de la circulation routière. Ces infractions constituent des contraventions et des délits, que la jurisprudence du Tribunal fédéral ne qualifie pas d’infractions graves au sens du CPP. La pesée des intérêts va ainsi à l’encontre d’une exploitabilité des prises de vue en tant que preuves. Dans ces circonstances, la question de savoir si la condition supplémentaire permettant l’exploitabilité des prises de vue en cause était remplie, soit que les enregistrements auraient pu être collectés légalement par les autorités de poursuite pénales, peut rester ouverte.

 

 

Arrêt 6B_1188/2018 consultable ici

 

 

9C_65/2019 (f) du 26.07.2019 – Expertise médicale – Choix de l’expert – 44 LPGA / Données médicales priment sur les constatations d’ordre médical effectuées lors d’un stage d’observation professionnelle

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_65/2019 (f) du 26.07.2019

 

Consultable ici

 

Expertise médicale – Choix de l’expert / 44 LPGA

Données médicales priment sur les constatations d’ordre médical effectuées lors d’un stage d’observation professionnelle

 

TF

Aucune disposition légale n’octroie aux parties le droit de choisir l’expert (ATF 137 V 210 consid. 2.1 p. 229 ss; 9C_692/2016 du 30 janvier 2017 consid. 4.2). L’art. 44 LPGA accorde en revanche aux parties la possibilité de participer à la désignation de l’expert. Celles-là doivent notamment pouvoir prendre connaissance du nom de celui-ci et le récuser pour des raisons pertinentes (ATF 137 V 210 consid. 3.4.2.6 p. 256). Or cette procédure a été respectée en l’occurrence. Le nom de l’experte a été transmis à l’assuré le 17.06.2015. Ce dernier n’a fait aucun commentaire ni soulevé aucun motif de récusation à la suite de cette communication. Si un tel motif avait existé – ce que le recourant n’allègue du reste pas dans la mesure où il se contente de déplorer le fait de s’être vu imposer le choix de ce médecin -, il ne pourrait le faire valoir aujourd’hui dès lors que celui qui omet de dénoncer immédiatement un tel vice et laisse la procédure se dérouler sans intervenir agit contrairement à la bonne foi et voit se périmer son droit de se plaindre ultérieurement (ATF 132 II 485 consid. 4.3 p. 496 s.).

S’agissant des conclusions soi-disant contradictoires du rapport d’observation professionnelle, on rappellera que les données médicales permettent généralement une appréciation plus objective du cas et l’emportent, en principe, sur les constatations d’ordre médical qui peuvent être faites à l’occasion d’un stage d’observation professionnelle, qui sont susceptibles d’être influencées par des éléments subjectifs liés au comportement de la personne assurée pendant le stage (cf. arrêt 9C_329/2015 du 20 novembre 2015 consid. 7.3). De surcroît, le service de réadaptation de l’office AI a mis en évidence l’absence de raison médicale à l’interruption du stage. On précisera finalement que l’influence des limitations fonctionnelles sur la capacité de travail de l’assuré n’a pas à faire l’objet d’investigations plus concrètes dans la mesure où l’experte était parfaitement consciente de l’existence de ces limitations et en a dûment tenu compte dans son analyse.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_65/2019 consultable ici

 

 

8C_873/2018 (f) du 22.07.2019 – Rente d’invalidité – Revenu d’invalide dans la profession apprise – 16 LPGA / Changement de carrière professionnelle après l’accident – Pas d’application de l’art. 28 al. 1 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_873/2018 (f) du 22.07.2019

 

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Rente d’invalidité – Revenu d’invalide dans la profession apprise / 16 LPGA

Changement de carrière professionnelle après l’accident – Pas d’application de l’art. 28 al. 1 OLAA

 

Le 08.09.1992, l’assurée a été victime d’une chute à cyclomoteur, tombant sur son épaule droite dans un talus. A cette époque, elle effectuait un apprentissage d’employée de commerce. Le médecin consulté a diagnostiqué une périarthrite post-traumatique et prescrit un traitement conservateur.

En 1995, l’assurée a terminé son apprentissage avec l’obtention d’un CFC d’employée de commerce. A partir d’avril 1996, elle a travaillé à plein temps dans une banque. Elle a ensuite diminué son temps de travail pour suivre une formation pré-professionnelle en percussion classique au conservatoire (1998). A partir d’août 2000, elle a arrêté son activité d’employée de commerce pour se consacrer entièrement à sa formation musicale (études en section professionnelle), tout en donnant en parallèle des cours privés à des élèves et en collaborant avec divers orchestres. En automne 2003, elle a définitivement dû abandonner ses études musicales en raison de problèmes à son épaule droite.

Entre 1995 et fin 2010, l’assurée a subi cinq interventions à son épaule droite qui ont été prises en charge à titre de rechutes de l’accident initial de 1992. En mai 1998, elle s’est vu allouer une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 10%. Pour faire le point sur l’état de santé de l’assurée après la cinquième opération, l’assurance-accidents a mis sur pied une expertise médicale. Le médecin-expert a indiqué qu’il était encore trop tôt pour savoir si le taux d’atteinte à l’intégrité devait être revu à la hausse.

Par lettre du 22.03.2013, l’assurée a requis de l’assurance-accidents de réviser le taux d’atteinte à l’intégrité et de statuer sur son droit à une rente LAA. Faisant valoir qu’elle avait dû abandonner ses études musicales en raison des séquelles à son épaule droite, elle a demandé que son degré d’invalidité soit évalué en fonction du revenu qu’elle aurait pu obtenir en qualité d’enseignante de musique diplômée.

Une nouvelle expertise médicale a été réalisée. Le médecin-expert a posé les diagnostics d’épaule droite multi-opérée et status post transposition du grand pectoral, de status post-arthroscopie de l’épaule et du poignet gauches et d’hyperlaxité constitutionnelle. Il a déclaré que seul le premier diagnostic était en relation de causalité probable avec l’accident du 08.09.1992. A la question de savoir quelle était l’incapacité de travail résultant de cet événement dans l’activité professionnelle d’employée de commerce, le médecin a répondu qu’un certain nombre d’activités ne seraient pas possibles et qu’il fallait tenir compte de certaines limitations fonctionnelles dans le choix de cette activité: le port de charges n’était pas recommandé au-dessus du buste (classement par exemple); les gestes répétitifs étaient à proscrire pour le membre supérieur droit; les postures prolongées en rotation externe également; l’usage de l’épaule droite était limité en durée et en force. Prenant position sur les limitations fonctionnelles décrites dans cette expertise, le médecin-conseil de l’assurance-accidents a considéré qu’avec des moyens ergonomiques adaptés et en tenant compte d’une accoutumance au handicap avec le temps, la capacité de travail de l’assurée était totale comme employée de commerce.

Par décision confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé, d’allouer une rente LAA et de procéder à une révision du taux d’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2017 281 – consultable ici)

Le médecin traitant de l’assurée a souligné que sa patiente présentait une diminution de la force et surtout une limitation de la mobilité de la rotation externe de l’épaule droite. Elle devait éviter le port de charges de 5 kg, les positions statiques prolongées où le bras doit être soutenu longuement par la musculature de l’épaule (telles que l’utilisation prolongée de l’ordinateur), ainsi que les mouvements répétitifs (sortir et rentrer des dossiers). Le médecin-conseil de l’assurance-accidents a indiqué qu’il n’était pas d’accord avec les remarques de son confrère. Une diminution de la force de l’épaule droite n’avait aucune incidence sur des activités de bureau. En outre, de telles activités n’impliquaient pas, pour les membres supérieurs, des positions monotones en continu et il était possible d’aménager le poste de travail.

Par jugement du 05.11.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

A titre préalable, on observera que c’est à juste titre que l’assurée ne prétend plus que l’évaluation de son invalidité devrait être examinée en fonction d’une carrière d’enseignante de musique diplômée, en application de la disposition spéciale de l’art. 28 al. 1 OLAA. En effet, le cas de figure visé par cette disposition n’est pas réalisé en l’espèce dès lors qu’elle n’a pas été empêchée, à cause de son invalidité, d’achever la formation d’employée de commerce qu’elle avait entreprise au moment de son accident. Par ailleurs, une nouvelle activité lucrative différente de celle exercée auparavant ne saurait être prise en considération que dans la mesure où des indices concrets de changement de profession existaient avant l’accident déjà (SVR 2013 UV n° 4 p. 13, arrêt 8C_145/2012). Tel n’est manifestement pas le cas, si bien qu’il y a lieu d’examiner si l’assurée subit une perte de gain dans l’exercice d’une activité d’employée de commerce compte tenu de l’état de son épaule droite après sa cinquième opération.

Cette question s’apprécie d’abord à l’aune des renseignements médicaux. C’est en effet la tâche du médecin d’indiquer dans quelle mesure et pour quelles activités l’assuré est incapable de travailler. En l’occurrence, le médecin-expert, qui avait à se prononcer sur l’exigibilité de l’activité d’employée de commerce, a décrit des limitations fonctionnelles mais n’en a déduit aucune incapacité de travail ni diminution de rendement liées, en particulier, à l’utilisation d’un ordinateur (en raison par exemple de la nécessité d’aménager des pauses ou d’une moindre résistance à la fatigue). Le médecin-traitant n’a pas non plus attesté une diminution de la capacité de travail. Par ailleurs, contrairement à ce que soutient l’assurée, on ne voit pas en quoi les considérations du médecin-conseil sur la compatibilité d’une activité d’employée de commerce avec les limitations fonctionnelles existantes ne seraient pas concluantes. Il n’est en effet pas douteux qu’il existe des postes comprenant des tâches suffisamment variées pour éviter une position statique fixe pendant une période prolongée et qu’il est possible de limiter une surcharge pour les membres supérieurs par la mise en place de mesures ergonomiques appropriées. Cela étant, l’existence d’une incapacité de gain de 10% ne repose que sur les propres allégations de l’assurée, ce qui est insuffisant à fonder le droit à une rente LAA.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_873/2018 consultable ici

 

 

8C_540/2018 (f) du 22.07.2019 – Causalité naturelle – Affection psychique additionnelle à une atteinte à la santé physique – 6 LAA / Vraisemblance prépondérante d’un état de stress post-traumatique / Expertise médicale de l’assurance-accidents vs expertise médicale privée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_540/2018 (f) du 22.07.2019

 

Consultable ici

 

Décision de renvoi causant un préjudice irréparable

Causalité naturelle – Affection psychique additionnelle à une atteinte à la santé physique / 6 LAA

Vraisemblance prépondérante d’un état de stress post-traumatique

Expertise médicale de l’assurance-accidents vs expertise médicale privée

 

Assurée, née en 1976, d’enseignante, a été victime d’un accident de la circulation routière. Selon le rapport de police, un conducteur a causé plusieurs accidents de la circulation routière lors d’une course-poursuite sur l’autoroute A1 le 18.06.2014, au volant d’un véhicule volé (Audi RS5) :

« Remarquant que l’espace était insuffisant, [le conducteur en fuite] a effectué un freinage, en vain. En effet, sa vitesse étant trop élevée, comprise entre 100 et 180 km/h, il a perdu la maîtrise de son véhicule lequel est venu percuter, de son avant gauche, le côté droit de la Suzuki Swift de Mme E.__, qui se trouvait en dernière position, sur la voie de présélection gauche […]. Dans un deuxième temps, l’Audi RS5 a heurté violemment, de son avant droit, l’arrière de la Citroën C3 de [l’assurée], qui se trouvait en dernière position sur la voie de présélection droite. Suite à ce choc, l’auto de [l’assurée] a été propulsée contre la voiture de livraison de M. F.__, laquelle a été propulsée, à son tour, contre l’arrière de la voiture de livraison de M. G.__. Relevons que lors de ce carambolage, l’auto de [l’assurée] s’est soulevée et a fait un demi-tour, pour se retrouver à contresens, sur sa voie de circulation initiale. [L’assurée], prisonnière de son véhicule, a dû être désincarcérée ».

L’assureur-accidents a soumis l’assurée à une expertise bidisciplinaire. La spécialiste en neurologie et la spécialiste en psychiatrie et psychothérapie ont diagnostiqué une distorsion cervicale (ou « whiplash ») sans constat organique de perte de fonction (de degré 1 à 2, selon la classification de la Québec Task Force [QTFC]) s’inscrivant dans le contexte d’un trouble somatoforme (autre trouble somatoforme, d’origine psychogène), un traumatisme crânien simple, ainsi qu’un trouble de l’adaptation (jusqu’au 31.12.2014). Pour ce qui était des seules suites de l’accident du 18.06.2014, les médecins ont indiqué que l’assurée avait retrouvé une capacité de travail entière depuis le 01.01.2015 et que le traitement médical était à charge de l’assureur-accidents jusqu’au 30.06.2015.

Par décision, l’assureur-accidents a pris en charge les suites de l’accident de l’assurée jusqu’au 30.06.2015 et a retenu que l’assurée présentait une capacité de travail complète depuis le 01.01.2015. L’assurée s’est opposée à cette décision, produisant notamment les rapports d’un psychologue spécialiste en psychothérapie et d’un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie (expert privé). Le psychiatre a diagnostiqué en particulier un trouble de stress post-traumatique chronique, de degré modéré, et un autre trouble somatoforme; il a indiqué une incapacité de travail de longue durée de 75% en raison de l’état de stress post-traumatique. Les médecins-experts ont pris position sur les avis médicaux produits par l’assurée. Par décision sur opposition, l’assurance-accidents a maintenu la décision.

Parallèlement, l’office AI a octroyé à l’assurée une rente entière d’invalidité du 01.06.2015 au 30.09.2015, trois quarts de rente du 01.10.2015 au 31.03.2016, puis une rente entière dès le 01.04.2016.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 29/17 – 69/2018 – consultable ici)

En se fondant sur les conclusions du spécialiste en psychiatrie et psychothérapie (expert privé) transmises par l’assurée lors de l’opposition, la juridiction cantonale a admis l’existence d’un lien de causalité naturelle entre les troubles psychiques de l’assurée et l’accident du 18.06.2014. La juridiction cantonale a constaté que les médecins-experts avaient, pour nier un diagnostic d’état de stress post-traumatique, accordé un poids considérable au fait que l’assurée n’avait ni vu ni entendu les collisions préalables au choc impliquant son véhicule, à l’absence de blessures importantes et à son amnésie circonstancielle. Ce faisant, elles avaient négligé clairement le fait que l’assurée avait présenté une amnésie de très courte durée et qu’elle se souvenait des suites immédiates de l’accident, de l’arrivée des secours, de l’agitation des sauveteurs, de l’arrestation du conducteur fautif par la police et du processus de désincarcération.

En revanche, les juges cantonaux se sont déclarés convaincus par les conclusions de l’expert privé selon lesquelles les manifestations et symptômes physiques constatés chez l’assurée remplissaient tous les critères pour diagnostiquer un état de stress post-traumatique. Même si le décès de l’époux de l’assurée survenu en janvier 2015 avait eu un impact aggravant, puisqu’il semblait avoir réactivé les symptômes de l’état de stress post-traumatique, l’accident du 18.06.2014 restait selon l’expert privé l’une des causes, certes partielle, des symptômes présentés par l’assurée au-delà de juin 2015.

La juridiction cantonale a retenu que l’événement du 18.06.2014 devait être qualifié d’accident grave. Même si l’on devait considérer que l’accident était de gravité moyenne à la limite d’un accident grave, la cour cantonale a indiqué que le rapport de causalité adéquate devait également être admis. L’accident s’était en effet déroulé dans des circonstances particulièrement impressionnantes.

Par jugement du 14.06.2018, admission du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision sur opposition et renvoi de la cause à l’assureur-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

 

TF

En règle générale, une décision de renvoi ne met pas fin à la procédure (ATF 142 V 551 consid. 3.2 p. 555) et n’est pas non plus de nature à causer un préjudice irréparable aux parties, le seul allongement de la durée de la procédure ou le seul fait que son coût s’en trouve augmenté n’étant pas considéré comme un élément constitutif d’un tel dommage (ATF 140 V 282 consid. 4.2.2 p. 287 et les références). Dans le cas particulier, la cour cantonale a admis l’existence d’un rapport de causalité naturelle et adéquate entre l’accident du 18.06.2014 et les troubles psychiques de l’assurée persistants au-delà du 30.06.2015. Sur ces points, le jugement attaqué contient une instruction contraignante à destination de l’assureur-accidents et ne lui laisse plus aucune latitude de jugement pour la suite de la procédure. En cela, la recourante subit un préjudice irréparable au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF (arrêt 8C_488/2011 du 19 décembre 2011 consid. 1; cf. ATF 144 V 280 consid. 1.2 p. 283; 133 V 477 consid. 5.2.4 p. 484). Il y a dès lors lieu d’entrer en matière sur le recours.

 

D’après une jurisprudence constante, l’assureur-accidents est tenu, au stade de la procédure administrative, de confier une expertise à un médecin indépendant, si une telle mesure se révèle nécessaire (arrêt 8C_36/2017 du 5 septembre 2017 consid. 5.2.3). Lorsque de telles expertises sont établies par des spécialistes reconnus, sur la base d’observations approfondies et d’investigations complètes, ainsi qu’en pleine connaissance du dossier, et que les experts aboutissent à des résultats convaincants, le juge ne saurait les écarter aussi longtemps qu’aucun indice concret ne permet de douter de leur bien-fondé (ATF 135 V 465 consid. 4.4 p. 469; 125 V 351 consid. 3b/bb p. 353). Quant à la valeur probante du rapport établi par le médecin traitant, le juge peut et doit tenir compte du fait que, selon l’expérience, celui-ci est généralement enclin, en cas de doute, à prendre partie pour son patient en raison de la relation de confiance qui l’unit à ce dernier (ATF 125 V 351 consid. 3b/cc p. 353; VSI 2001 p. 106, I 128/98 consid. 3b/cc). Cependant, le simple fait qu’un certificat médical est établi à la demande d’une partie et produit pendant la procédure ne justifie pas, en soi, des doutes quant à sa valeur probante. Ainsi, une expertise présentée par une partie peut également valoir comme moyen de preuve. Le juge est donc tenu d’examiner si elle est propre à mettre en doute, sur les points litigieux importants, l’opinion et les conclusions de l’expert (ATF 125 V 351 consid. 3c p. 354).

Les juges cantonaux ont constaté en l’occurrence de manière convaincante que l’assurée n’avait ni vu ni entendu les chocs préalables au sien et avait présenté une amnésie circonstancielle lors de l’événement du 18.06.2014. Après avoir souffert de cette amnésie de moins d’une minute, l’assurée s’est retrouvée prisonnière de l’habitacle de son véhicule (avec tous les airbags déployés), à contre-sens sur la voie de sortie de l’autoroute, avec du sang sur le visage, des hématomes, des contusions et des douleurs multiples à la nuque, au dos et à la jambe droite. Des officiers de police procédaient de plus à l’arrestation du fuyard, qui opposait une vive résistance, et plusieurs autres personnes impliquées dans la collision en chaîne nécessitaient des premiers soins.

On doit dès lors admettre que les médecins-experts mandatés par l’assurance-accidents ont négligé dans leurs conclusions le fait que l’assurée n’a subi qu’une amnésie circonstancielle de courte durée. En ce sens, l’expert privé apporte des éléments utiles à l’examen du lien de causalité naturelle en exposant que l’assurée souffre notamment de reviviscences répétées du processus de désincarcération (avec cauchemars et flashbacks), d’un évitement comportemental, d’une hypervigilance et d’une détresse significative.

L’expert privé a indiqué ensuite qu’il était « tout à fait vraisemblable [que l’assurée] ait eu le temps de percevoir, juste avant le choc, d’entendre (bruits des chocs précédents) ou de voir (dans le rétroviseur) ce qui était en train de se produire sur la chaussée, et donc qu’elle ait pu, même en une fraction de seconde, ressentir le danger imminent et un sentiment de peur très aigu ». Ces suppositions, qui ne reposent sur aucun élément objectif au dossier, ne sauraient être suivies. Elles paraissent cependant avoir joué un rôle considérable dans les conclusions du psychiatre, celui-ci retenant l’hypothèse d’un accident de la « circulation extrêmement violent et menaçant » et donc l’existence d’une peur intégrée au moment de celui-ci. Dans ces conditions, à la lumière de la règle du degré de la vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l’appréciation des preuves dans l’assurance sociale (ATF 142 V 435 consid. 1 p. 438 et les références), la juridiction cantonale n’était pas en droit, sur le seul fondement des conclusions de l’expert privé, d’admettre l’existence d’un rapport de causalité naturelle entre l’accident et le trouble de stress post-traumatique chronique, de degré modéré, diagnostiqué par ce médecin. Les indices mis en avant par le psychiatre en faveur d’un tel diagnostic devaient encore être corroborés ou infirmés par une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise psychiatrique indépendante conforme aux règles de l’art.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents. La décision sur opposition et le jugement cantonal sont annulés, la cause étant renvoyée à l’assureur-accidents pour complément d’instruction, qui prendra la forme d’une expertise psychiatrique indépendante.

 

 

Arrêt 8C_540/2018 consultable ici

 

 

8C_875/2018 (f) du 24.07.2019 – Dies a quo du délai de recours devant la juridiction cantonale – 60 LPGA / Envoi de la décision sur opposition en Courrier A+ – Pas de justification pour modifier la jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_875/2018 (f) du 24.07.2019

 

Consultable ici

 

Dies a quo du délai de recours devant la juridiction cantonale / 60 LPGA

Envoi de la décision sur opposition en Courrier A+ – Pas de justification pour modifier la jurisprudence

 

Par décision du 10.01.2018, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité et lui a reconnu une atteinte à l’intégrité de 10%. Saisie d’une opposition, elle l’a rejetée par décision du 16.02.2018, communiquée par courrier A Plus et déposée le samedi 17.02.2018 dans la case postale du mandataire de l’assurée.

 

Procédure cantonale

Le 20.03.2018, l’assurée a déposé un recours contre la décision sur opposition du 16.02.2018.

Le tribunal cantonal a constaté que la décision sur opposition avait été distribuée le samedi 17.02.2018. Aussi, le délai de recours était-il arrivé à échéance le lundi 19.03.2018. Par conséquent, le recours, déposé le 20.03.2018, ne l’avait pas été en temps utile.

Par décision du 26.11.2018, le tribunal cantonal a déclaré le recours irrecevable pour cause de tardiveté.

 

TF

Aux termes de l’art. 60 al. 1 LPGA, le recours doit être déposé dans les trente jours suivant la notification de la décision sujette à recours. L’art. 38 al. 1 LPGA, applicable par analogie en vertu de l’art. 60 al. 2 LPGA, dispose que si le délai, compté par jours ou par mois, doit être communiqué aux parties, il commence à courir le lendemain de la communication.

En droit des assurances sociales, il n’existe pas de disposition légale obligeant les assureurs sociaux à notifier leurs décisions selon un mode particulier. Dès lors, la jurisprudence admet que les assureurs sont libres de décider de la manière dont ils souhaitent notifier leurs décisions. Ils peuvent en particulier choisir de les envoyer par courrier A Plus (ATF 142 III 599 consid. 2.4.1 p. 603; voir également, parmi d’autres, arrêts 8C_754/2018 du 7 mars 2019 consid. 5.3 et 8C_559/2018 du 26 novembre 2018 consid. 4.3.1). Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a précisé que le dépôt de l’envoi dans la boîte aux lettres ou la case postale constitue le point de départ pour le calcul du délai de recours, quand bien même la livraison a lieu un samedi et que le pli n’est récupéré qu’à une date ultérieure, comme le lundi suivant (arrêt 8C_124/2019 du 23 avril 2019 consid. 10.2 et les nombreuses références).

Selon une jurisprudence déjà bien établie, les communications des autorités sont soumises au principe de la réception. Il suffit qu’elles soient placées dans la sphère de puissance de leur destinataire et que celui-ci soit à même d’en prendre connaissance pour admettre qu’elles ont été valablement notifiées (ATF 144 IV 57 consid. 2.3.2 p. 62; 142 III 599 consid. 2.4.1 déjà cité; 122 I 139 consid. 1 p. 143; 115 Ia 12 consid. 3b p. 17). Autrement dit, la prise de connaissance effective de l’envoi ne joue pas de rôle sur la détermination du dies a quo du délai de recours. En outre, contrairement à ce que laisse entendre l’assurée, l’accès aux cases postales est en principe garanti en tout temps et le fait de ne pas vider la case postale le samedi relève de la responsabilité du destinataire. Le point de vue de l’assurée reviendrait d’ailleurs à fixer le point de départ du délai de recours des destinataires d’un envoi sans signature (A Plus comme A) distribué le samedi de manière différente, selon qu’ils sont ou non représenté par un mandataire professionnel, ce qui n’est pas admissible. Par ailleurs, quoi qu’elle en dise, l’assurée a bénéficié d’un délai de recours « complet » dans la mesure où, en dehors des féries judiciaires et avant l’échéance du délai de recours, les week-ends doivent être pris en compte dans le calcul du délai de recours, cela indépendamment du mode de notification de la communication. Enfin, le délai de recours est le même pour toutes les formes de notification. Il commence à courir lorsque l’envoi entre dans la sphère de puissance du destinataire et que ce dernier peut prendre connaissance du contenu de l’envoi. En présence d’un courrier sans signature, c’est le cas au moment du dépôt dans la boîte aux lettres ou la case postale. Si l’envoi est distribué un samedi, le délai de recours commence à courir le dimanche. En présence d’un courrier recommandé, c’est le cas lorsque l’envoi est retiré au guichet. A cet égard, la notification par lettre recommandée n’offre pas un avantage significatif puisqu’au stade de l’avis de retrait, le destinataire ne connaît ni le contenu ni la motivation de la décision qui lui est adressée (cf. les arrêts déjà cités 8C_124/2019 consid. 8.2.2 et 8C_754/2018 consid. 7.2.3; arrêt 2C_1126/2014 du 20 février 2015 consid. 2.4).

En conclusion, il n’y a pas lieu de revenir sur la jurisprudence mise en cause par l’assurée, que le Tribunal fédéral a confirmée à maintes reprises. L’assurée n’expose d’ailleurs pas valablement en quoi les conditions d’un revirement de jurisprudence seraient remplies (à ce sujet voir ATF 144 V 72 consid. 5.3.2 p. 77 s. et la référence).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_875/2018 consultable ici

 

 

8C_342/2018 (f) du 30.07.2019 – Revenu d’invalide – 16 LPGA / Vraisemblance de l’existence d’un salaire dit « social » niée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_342/2018 (f) du 30.07.2019

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide / 16 LPGA

Vraisemblance de l’existence d’un salaire dit « social » niée

 

Assuré, né en 1952, occupait un poste d’ouvrier-chauffeur auprès du service cantonale des routes, transports et cours d’eau (ci-après : le SRTC). Son engagement remontait à 1979. Le 14.12.2006, à la suite d’un faux-mouvement en utilisant un marteau pneumatique, l’assuré a subi une lésion au niveau de son épaule droite (déchirure partielle du tendon du sus-épineux). Il a pu reprendre son activité professionnelle à 100% dès le 02.04.2007.

Le 12.03.2014, il a annoncé une rechute (rupture transfixiante du tendon du sus-épineux de l’épaule droite). L’assuré n’ayant pas pu reprendre son activité, le médecin d’arrondissement de l’assurance-accidents a indiqué qu’une activité adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assuré (pas de port et de soulèvement de charges ni d’activité au-dessus du plan des épaules avec le membre supérieur droit) devait pouvoir être trouvée au sein de l’administration cantonale. Le supérieur hiérarchique de l’assuré a proposé à ce dernier un poste de travail en tant qu’« homme à tout faire » pour l’atelier de fabrication de panneaux du SRTC ainsi que pour l’aide à la circulation de ses équipes de marquage. Le médecin d’arrondissement a confirmé l’exigibilité médicale de cette activité. L’assurance-accidents a mis fin au versement de l’indemnité journalière dès le 03.08.2015, date à laquelle l’assuré était, selon elle, en mesure de mettre en valeur une pleine capacité de travail dans l’activité adaptée.

Le 20.11.2015, l’assuré a adressé une lettre à l’assurance-accidents dans laquelle il se plaignait de la gestion de son dossier, à savoir que son activité adaptée était « bidon » et non rentable et que ses douleurs étaient exacerbées par le travail. Il mentionnait que ses chefs ne savaient pas que lui faire faire et qu’après avoir nettoyé des véhicules légers pendant une semaine avec un seul bras, il avait été délégué au ponçage des panneaux de signalisation. Après un séjour hospitalier afin de parfaire le traitement antalgique et d’évaluer les capacités professionnelles résiduelles, la situation était stabilisée du point de vue des aptitudes fonctionnelles liées au travail. En outre, le pronostic de réinsertion dans une activité adaptée respectant les limitations fonctionnelles retenues était favorable.

Le 12 février 2016, l’assuré a derechef écrit à l’assurance-accidents pour lui faire part de ses griefs à l’encontre de sa nouvelle activité. En particulier, il estimait son rendement à 25% au maximum et le fait de toucher un « salaire social de près de 75% » le perturbait. Après avoir exercé pendant plus de 36 ans une activité manuelle et lourde, l’activité de substitution lui paraissait aussi inutile qu’ennuyeuse. Le 01.03.2016, l’assuré a remis à son supérieur une lettre demandant au service du personnel sa mise à la retraite dès le 01.06.2016. Le 22.03.2016, le supérieur hiérarchique de l’assuré a précisé à l’inspecteur de l’assurance-accidents que les tâches effectuées par l’assuré au sein de l’unité de signalisation n’étaient pas occupationnelles ni inutiles à l’Etat du Valais. Il ne s’agissait pas d’un « poste social » créé pour occuper l’assuré.

Dans un courrier du 31.05.2016, le chef du SRTC et l’adjointe du chef du Service des ressources humaines ont confirmé que la fonction occupée par l’assuré à partir du 03.08.2015 au sein du groupe Signalisation était rémunérée selon la classe 19, comme l’était son ancienne activité d’ouvrier-chauffeur.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a indiqué que les séquelles accidentelles de l’assuré ne l’empêchaient pas de poursuivre sa nouvelle activité, rémunérée de manière identique à celle déployée auparavant. Partant, l’assureur-accidents niait le droit à une rente d’invalidité mais reconnaissait une atteinte à l’intégrité correspondant à un taux de 15%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 20.03.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal. La juridiction cantonale a conclu que l’assuré n’avait pas établi au degré de la vraisemblance prépondérante requis que sa rémunération contenait une composante de salaire social.

 

TF

Le revenu d’invalide doit en principe être évalué en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. Le salaire effectivement réalisé ne peut cependant être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide que si trois conditions cumulatives sont remplies:

  • l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé doit reposer sur des rapports de travail particulièrement stables;
  • cette activité doit en outre permettre la pleine mise en valeur de la capacité résiduelle de travail exigible;
  • le gain obtenu doit enfin correspondre au travail effectivement fourni et ne pas contenir d’éléments de salaire social (cf. ATF 139 V 592 consid. 2.3 p. 594 s.; 135 V 297 consid. 5.2 p. 301; 129 V 472 consid. 4.2.1 p. 475).

La preuve de l’existence d’un salaire dit « social » est toutefois soumise à des exigences sévères, parce que, selon la jurisprudence, l’on doit partir du principe que les salaires payés équivalent normalement à une prestation de travail correspondante (ATF 141 V 351 consid. 4.2 p. 353; 117 V 8 consid. 2c/aa p. 18). Des liens de parenté ou l’ancienneté des rapports de travail peuvent constituer des indices de la possibilité d’un salaire social (arrêt 9C_371/2013 du 22 août 2013 consid. 4.1 et la référence).

 

 

L’assuré fait valoir que, même si un employé de l’unité de Signalisation devait être rémunéré en classe 19, il ne pouvait bénéficier de cette classe de salaire puisqu’il n’avait été affecté qu’au « ponçage de panneaux », soit un aspect très limité de la fonction d’ouvrier au sein du groupe Signalisation. Il reproche aux premiers juges de ne pas avoir donné suite à sa requête portant sur l’audition du chef du SRTC alors que ce dernier aurait pu établir que l’emploi au sein du groupe Signalisation en tant que « ponceur de panneaux » ne pouvait en aucun cas bénéficier de la classe de traitement 19. Il y voit à la fois une violation de la maxime d’office (art. 61 let. c LPGA) et une violation de son droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst.).

Dans son correctif apporté au courriel de l’assuré, le chef de la section Personnel, Administration et Finances du SRTC a notamment biffé les termes d’« activité occupationnelle mise à disposition pour éviter un licenciement » utilisés par l’assuré pour décrire son poste de « ponçeur de panneaux » et les a remplacés par « activité plus adaptée au handicap de [l’assuré], en accord avec le représentant de [l’assurance-accidents] ». Le chef de la section Personnel, Administration et Finances du SRTC a confirmé que l’assuré avait bénéficié de la même classe salariale pour son activité au sein de l’unité « Signalisation » que pour celle qu’il occupait précédemment comme ouvrier spécialisé. Il a en outre biffé les termes utilisés par l’assuré, d’après lesquels « ce poste supplémentaire n’est pas nécessaire et le fait d’avoir offert provisoirement une petite occupation dans le secteur Signalisation n’a été possible que parce que l’unité de personnel [de l’assuré] était toujours disponible dans le secteur entretien des routes ».

Selon le Tribunal fédéral, on ne saurait déduire de ces précisions que le travail fourni dans sa nouvelle activité au sein de l’unité Signalisation ne pouvait en aucun cas bénéficier de la classe de salaire 19. En particulier, le fait qu’il exerçait dans son nouveau poste une activité « plus adaptée à son handicap » ne permet pas d’inférer que la rémunération perçue par l’assuré n’équivalait pas aux prestations de travail correspondantes. L’assuré n’apporte aucun élément concret permettant de penser qu’il n’était pas en mesure de fournir la contrepartie du salaire perçu ou que son rendement était limité.

Le TF conclut que l’existence d’un salaire dit « social » n’apparaît pas établie au degré de la vraisemblance prépondérante.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_342/2018 consultable ici

 

 

4A_396/2018 (f) du 29.08.2019, destiné à la publication – Responsabilité de l’organisateur de voyage à forfait

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_396/2018 (f) du 29.08.2019, destiné à la publication

 

Arrêt 4A_396/2018 consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 26.09.2019 consultable ici

 

Responsabilité de l’organisateur de voyage à forfait

 

Le Tribunal fédéral précise les contours de la responsabilité de l’organisateur de voyage à forfait. Dans le cas d’espèce, il rejette la demande d’indemnisation d’un voyageur pour les suites d’un accident survenu lors d’un transfert en voiture entre un aéroport indien et son hôtel

Le voyageur et son épouse avaient conclu un voyage à forfait en Inde avec un organisateur de voyage implanté dans le canton de Genève. Celui-ci avait notamment organisé un transfert en voiture avec chauffeur privé entre un aéroport indien et l’hôtel où les voyageurs devaient séjourner; il avait confié l’exécution de cette prestation de transport par route à une agence locale. L’avion avait atterri avec plusieurs heures de retard, sans qu’on sache qui, de l’organisateur ou du voyageur, avait choisi et réservé le vol interne en question. Le couple avait été pris en charge à l’aéroport par le chauffeur privé. Vers 22 heures, le véhicule conduit par ledit chauffeur était entré en collision avec un camion, dans des circonstances indéterminées. L’épouse du voyageur est décédée, tandis que celui-ci a été très grièvement blessé. Il a attrait en justice l’organisateur de voyage en demandant réparation pour le tort moral subi. Les tribunaux genevois compétents lui ont donné gain de cause, en première puis en deuxième instance.

Le Tribunal fédéral admet le recours formé par l’organisateur de voyage et rejette la demande du voyageur. La Loi fédérale sur les voyages à forfait (LVF) institue une réglementation spéciale sur la responsabilité de l’organisateur de voyage (articles 14, 15 et 16 LVF). Cette loi découle d’une directive européenne, dont le législateur suisse a décidé de reprendre uniquement les garanties minimales qu’elle contenait.

En principe, l’organisateur de voyage répond envers le voyageur du dommage causé par un prestataire de services auquel l’organisateur a confié l’exécution d’une prestation. Le voyageur doit cependant prouver que l’organisateur et/ou le prestataire de services ont violé une obligation contractuelle. Faute pour le voyageur d’avoir rapporté la preuve d’une telle violation, son action fondée sur la LVF doit être rejetée. En l’occurrence, on ignore tout des circonstances dans lesquelles le tragique accident s’est produit, notamment quel a été le comportement du chauffeur dépêché par l’agence locale. La survenance de l’accident de circulation, si grave soit-il, ne constitue pas déjà en tant que telle une violation contractuelle. Enfin, l’état de fait qui lie le Tribunal fédéral ne permet pas non plus de reprocher une violation contractuelle à l’organisateur lui-même.

 

 

Arrêt 4A_396/2018 consultable ici

 

 

9C_273/2019 (f) du 18.07.2019 – Rente d’invalidité – Revenu d’invalide selon ESS – 16 LPGA / Aucun abattement retenu – Limitations fonctionnelles prises en compte lors de l’évaluation de la capacité de travail du point de vue médical / Pas de prise en compte du « long éloignement du marché du travail »

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_273/2019 (f) du 18.07.2019

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité – Revenu d’invalide selon ESS / 16 LPGA

Aucun abattement retenu – Limitations fonctionnelles prises en compte lors de l’évaluation de la capacité de travail du point de vue médical

Critère des limitations fonctionnelles – Critère de la capacité de travail réduite – Pas de prise en compte du « long éloignement du marché du travail »

 

Assurée déposant au mois de mai 2010 une demande AI, en relation notamment avec un accident subi en 2002. La requête a été rejetée par l’office AI, considérant que l’assurée présentait une pleine capacité de travail dans sa profession d’employée de bureau.

A la suite de deux nouveaux accidents survenus en mai et août 2012, dont les suites ont été prises en charge par l’assurance-accidents, l’assurée a présenté une nouvelle demande AI en février 2013. L’office AI a notamment soumis l’assurée à deux expertises. Le spécialiste en psychiatrie et psychothérapie a posé le diagnostic de trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen avec syndrome somatique (F33.10) au moment de l’entretien, mais ayant été sévère sans symptômes psychotiques (F33.2) du point de vue anamnestique, et ceci vraisemblablement depuis 2014, chez une personnalité émotionnellement labile de type borderline avec tendances abandonniques importantes (F60.31). Il a conclu à une incapacité de travail de 50% dès le 07.03.2014. Pour sa part, le spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur a fait état d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles dès novembre 2012, hormis du 15.06.2015 au 15.09.2016, où la capacité de travail avait été nulle. Par décision, l’office AI a reconnu le droit de l’assurée à une demi-rente d’invalidité du 01.03.2015 au 30.09.2015, à une rente entière du 01.10.2015 au 31.12.2016, puis à une demi-rente dès le 01.01.2017.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2017 302 – consultable ici)

Par jugement du 19.03.2019, admission partielle du recours par le tribunal cantonal. La décision querellée est modifiée dans le sens que l’assurée est mise au bénéfice d’une rente entière d’invalidité du 01.08.2013 au 31.12.2013, d’une demi-rente du 01.01.2014 au 30.09.2015, d’une rente entière du 01.10.2015 au 31.12.2016, puis d’une demi-rente dès le 01.01.2017.

La juridiction cantonale a justifié son refus d’opérer un abattement sur le salaire d’invalide par le fait que tous les médecins qui s’étaient prononcés au sujet de la situation de l’assurée s’accordaient à reconnaître qu’elle disposait d’une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles à partir du 18.09.2016.

 

TF

Abattement sur le revenu d’invalide selon ESS

En ce qui concerne le taux d’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (cf. ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc p. 79 s.).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72; 132 V 393 consid. 3.3 p. 399; 130 III 176 consid. 1.2 p. 180).

 

Critère des limitations fonctionnelles

Les limitations fonctionnelles dont fait état l’assurée ont été prises en compte lors de l’évaluation de la capacité de travail du point de vue médical ; elles ne peuvent dès lors pas être retenues une seconde fois lors de la fixation du revenu d’invalide. Le spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur a en effet expliqué que l’exercice d’une activité d’employée de commerce est adapté aux limitations fonctionnelles qu’elle présente du point de vue somatique. Partant, les considérations de la juridiction cantonale selon lesquelles lesdites limitations fonctionnelles ne permettaient pas de procéder à un abattement, doivent être confirmées.

 

Critère de la capacité de travail réduite

S’agissant ensuite du critère du taux d’occupation réduit, il peut être pris en compte pour déterminer l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique d’invalide lorsque le travail à temps partiel se révèle proportionnellement moins rémunéré que le travail à plein temps. Cela étant, le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de constater que le travail à plein temps n’est pas nécessairement proportionnellement mieux rémunéré que le travail à temps partiel ; dans certains domaines d’activités, les emplois à temps partiel sont en effet répandus et répondent à un besoin de la part des employeurs, qui sont prêts à les rémunérer en conséquence (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc p. 79; cf. aussi arrêts 9C_10/2019 du 29 avril 2019 consid. 5.2.1; 8C_49/2018 du 8 novembre 2018 consid. 6.2.2.2). En particulier, selon les statistiques, les femmes exerçant une activité à temps partiel ne perçoivent souvent pas un revenu moins élevé proportionnellement à celles qui sont occupées à plein temps (cf., p. ex., arrêt 9C_751/2011 du 30 avril 2012 consid. 4.2.2). L’argumentation de l’assurée ne permet pas de retenir qu’il en irait différemment dans le cas d’espèce.

 

« Long éloignement du marché du travail »

Quant au « long éloignement du marché du travail » dont se prévaut finalement la recourante, il ne s’agit pas là d’un facteur d’abattement au sens de la jurisprudence (ATF 126 V 75, c. 5b/aa et bb p. 79 s.; cf. aussi arrêt 9C_55/2018 du 30 mai 2018 consid. 4.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_273/2019 consultable ici

 

 

9C_110/2019 (f) du 22.07.2019 – Restitution de prestations complémentaires indûment touchées – 25 LPGA / Calcul de la prestation complémentaire pour un assuré résidant dans un home – 10 LPC / Prise en compte de l’allocation pour impotent dans le calcul des revenus déterminants / Prise en charge par la LAMal d’une partie des coûts des prestations de soins fournis par les EMS – Prestations de soins au sens de l’art. 7 OPAS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_110/2019 (f) du 22.07.2019

 

Consultable ici

 

Restitution de prestations complémentaires indûment touchées / 25 LPGA

Calcul de la prestation complémentaire pour un assuré résidant dans un home / 10 LPC

Prise en compte de l’allocation pour impotent dans le calcul des revenus déterminants

Prise en charge par la LAMal d’une partie des coûts des prestations de soins fournis par les EMS – Prestations de soins au sens de l’art. 7 OPAS

 

Assuré, né en 1936 et marié, est au bénéfice d’une rente AVS. Il séjourne depuis le mois de février 2016 dans un établissement médico-social (EMS), reconnu d’utilité publique. A partir du mois d’octobre 2016, la caisse cantonale de compensation (ci-après : la caisse) lui a alloué des prestations complémentaires d’un montant de 2’067 fr. par mois (décision du 12.09.2016). Le 12.12.2016, la caisse a lui a reconnu le droit à une allocation pour impotent de degré moyen dès le 01.01.2017.

Par décision du 24.11.2017, confirmée sur opposition, la caisse a demandé à l’assuré la restitution d’un montant de 6’468 fr. correspondant aux prestations complémentaires versées en trop du 01.01.2017 au 30.11.2017. En bref, elle a considéré que l’intéressé ne lui avait pas annoncé toucher une allocation pour impotent depuis janvier 2017, de sorte que cette prestation n’avait à tort pas été prise en considération dans le calcul des prestations complémentaires ; aussi devait-elle reconsidérer « ses précédentes décisions » et fixer à nouveau les prestations en cause à 1’479 fr. par mois depuis le 01.01.2017, la différence d’avec les prestations versées devant être restituée par l’ayant droit.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 04.01.2019, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

 

Restitution de prestations indûment touchées

Selon l’art. 25 al. 1 LPGA, les prestations indûment touchées doivent être restituées. La restitution ne peut être exigée lorsque l’intéressé était de bonne foi et qu’elle le mettrait dans une situation difficile. L’obligation de restituer les prestations accordées implique que soient réunies les conditions d’une reconsidération (cf. art. 53 al. 2 LPGA) ou d’une révision procédurale (cf. art. 53 al. 1er LPGA) de la décision par laquelle les prestations ont été accordées (ATF 130 V 318 consid. 5.2 p. 319 sv.). Conformément à l’art. 53 al. 2 LPGA, l’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition entrées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable.

 

Calcul de la prestation complémentaire pour un assuré résidant dans un home

La prestation complémentaire annuelle (art. 3 al. 1 let. a LPC) correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants (art. 9 al. 1 LPC). Les allocations pour impotent des assurances sociales ne sont pas prises en compte (art. 11 al. 3 let. d LPC). Si la taxe journalière d’un home ou d’un hôpital comprend les frais de soins en faveur d’une personne impotente, l’allocation pour impotent de l’AVS, de l’AI, de l’assurance militaire ou de l’assurance-accidents sera prise en compte comme revenus (art. 15b OPC-AVS/AI).

Selon l’art. 10 al. 2 let. a, première et deuxième phrases, LPC, pour les personnes qui vivent en permanence ou pour une longue période dans un home ou dans un hôpital (personnes vivant dans un home ou un hôpital), les dépenses reconnues comprennent la taxe journalière; les cantons peuvent fixer la limite maximale des frais à prendre en considération en raison du séjour dans un home ou dans un hôpital.

Pour l’année 2017, le Conseil d’Etat de la République et canton de Neuchâtel a fixé à 122 fr. 80 la taxe d’hébergement dans les EMS, soit la limite maximale à prendre en considération en raison du séjour dans un tel établissement. Cette taxe est augmentée, en cas de séjour dans un EMS reconnu LAMal, de la participation au coût des soins à charge des résidents fixé dans l’arrêté y relatif.

Pour l’année 2017, le Conseil d’Etat de la République et canton de Neuchâtel a fixé le « prix de pension » pour l’EMS en question à 157 fr. 60 pour une chambre à deux lits et à 172 fr. 60 pour une chambre à un lit. Toujours pour l’année 2017, la part à charge des résidents des tarifs journaliers des soins de longue durée au sens de l’art. 25a LAMal dispensés en EMS a été fixée à 21 fr. 60 par jour pour les « autres degrés de soins » (supérieurs au degré de soins 3) par le Conseil d’Etat neuchâtelois.

 

Prise en compte de l’allocation pour impotent dans le calcul des revenus déterminants

L’introduction de l’exception au principe selon lequel l’allocation pour impotent n’est pas prise en compte dans le calcul des revenus déterminants pour fixer le montant de la prestation complémentaire remonte à l’entrée en vigueur, le 1er janvier 1987, de la deuxième révision de la loi du 19 mars 1965 sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité du 19 mars 1965 (aLPC). Cette révision a entrainé des modifications de l’ordonnance du 15 janvier 1971 sur les prestations complémentaires à l’AVS/AI (OPC, puis OPC-AVS/AI; RS 831.301). En particulier, l’art. 1a OPC a été adapté pour régler le calcul des prestations complémentaires lorsqu’il s’agit de personnes demeurant dans des homes ou des établissements hospitaliers. Cette modification faisait suite à celle de l’art. 3 al. 4 let. e aLPC quant à la déduction des « frais de home » du revenu déterminant et de l’art. 3 al. 4bis, 2ème phrase, aLPC, selon lequel le Conseil fédéral précise notamment « les frais de home » qui peuvent être déduits (Modification de la LPC du 4 octobre 1985 [2e révision de la LPC], RO 1986 699).

Aux termes de l’art. 1a al. 5 OPC, « si la taxe journalière du home ou de l’établissement hospitalier comprend également les frais de soins en faveur d’une personne impotente, l’allocation pour impotent de l’AVS, de l’AI ou de l’assurance-accidents ainsi que la contribution aux soins spéciaux au sens de l’art. 20, 1er alinéa, LAI seront ajoutées au revenu » (Modification de l’OPC du 16 juin 1986, entrée en vigueur le 1er janvier 1987; RO 1986 1204 s.). Selon les explications de l’OFAS, l’allocation pour impotent de l’assurance sociale est ajoutée au revenu si la taxe journalière du home comprend également les frais de soins. Lorsqu’un home facture séparément le montant de cette allocation, ces frais ne sont pas pris en compte, de même que l’allocation (Commentaires sur les modifications de l’OPC, in RCC 1986 p. 391 s.).

Ce n’est que lors de la troisième révision de la LPC, entrée en vigueur le 1er janvier 1998 (RO 1997 2952, 2960), que la compétence du Conseil fédéral de déterminer à quelles conditions les allocations pour impotent (alors de l’AVS ou de l’AI) doivent être prises en compte comme revenu a été expressément inscrite dans la loi (art. 3c al. 3 aLPC; Modification de la LPC du 20 juin 1997, RO 1997 2952, 2955 s.). Il s’agissait de maintenir l’exception au principe d’une non-prise en compte de l’allocation pour impotent à titre de revenu, qui reposait sur la compétence accordée par l’art. 3 al. 4bis aLPC au Conseil fédéral de préciser les frais de home qui pouvaient être déduits (Message du Conseil fédéral concernant la troisième révision de la LPC [3e révision PC] du 20 novembre 1996; FF 1997 I 1137, ch. 221, p. 1154 et ch. 62, p. 1162). Cette compétence est désormais prévue à l’art. 11 al. 4 LPC, tandis que les conditions de la prise en considération des allocations pour impotent des assurances sociales sont définies par l’art. 15b OPC-AVS/AI (qui a repris la règle de l’art. 1a al. 5 OPC-AVS/AI à la suite de la 3ème révision de la LPC [Modification de l’OPC-AVS/AI du 26 novembre 1997, entrée en vigueur le 1er janvier 1998; RO 1997 2952, 2964]).

L’allocation pour impotent est allouée aux personnes qui sont impotentes au sens de l’art. 9 LPGA, soit celles qui, en raison d’une atteinte à la santé, ont besoin de façon permanente de l’aide d’autrui ou d’une surveillance personnelle pour accomplir des actes élémentaires de la vie quotidienne. Il s’agit d’une prestation en espèces dont le montant est déterminé en fonction des besoins personnels concrets d’aide et de surveillance déterminant le degré de gravité de l’impotence (léger, moyen ou grave; cf. art. 42ter LAI et art. 37 RAI), indépendamment des coûts effectifs des prestations de tiers et de l’étendue réelle de ces prestations. L’allocation pour impotent a pour fonction de couvrir les coûts supplémentaires des prestations d’assistance nécessitées par l’impotence et ne sert pas à la couverture des besoins vitaux. Elle ne doit donc en principe pas être prise en considération à titre de revenu déterminant dans le calcul des prestations complémentaires. L’art. 15b OPC-AVS/AI (en relation avec l’art. 11 al. 4 LPC) prévoit cependant une exception à ce principe lorsque l’application de celui-ci conduirait en quelque sorte à une double couverture des coûts de l’impotence. Il s’agit des situations dans lesquelles les frais de l’assistance due à l’impotence entrent dans le calcul des prestations complémentaires en tant que dépenses reconnues au sens de l’art. 10 LPC. Tel est le cas pour une personne qui séjourne dans un home (au sens de la LPC) et bénéficie d’une allocation pour impotent, lorsque les coûts des prestations du home en raison de l’impotence surviennent de manière régulière et lui sont facturées – en tant que composante de la taxe journalière – de manière forfaitaire.

Pour la « taxe journalière » mentionnée à l’art. 10 al. 2 let. a LPC, aucune distinction n’est faite entre la part de la taxe journalière qui couvre les coûts des besoins vitaux et du logement et la part qui repose sur les prestations d’assistance liées à l’impotence. Si, dans une telle situation, l’allocation pour impotent n’était pas prise en compte comme revenu, les coûts de l’impotence seraient doublement couverts, premièrement par le biais de cette allocation et deuxièmement par le biais des prestations complémentaires, sur la base de la taxe journalière. Le but de l’art. 15b OPC-AVS/AI est donc d’éviter un cumul indésirable de prestations: les prestations complémentaires sont « réduites » dans la mesure où l’allocation pour impotent de la personne résidant dans un home est comptée comme revenu, lorsque la taxe journalière doit également couvrir les coûts des prestations d’assistance nécessaires liées à l’impotence (sur l’ensemble de la question, RALPH JÖHL/PATRICIA USINGER-EGGER, Ergänzungsleistungen zur AHV/IV, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3ème éd. 2016, p. 1917 n° 230). Du moment que les coûts pour les soins de la personne impotente sont compris dans la taxe journalière du home, l’allocation pour impotent doit être prise en considération en tant que revenu (STEFAN WERLEN, Der Anspruch auf Ergänzungsleistungen und deren Berechnung, 1995, p. 238 s.).

 

Prise en charge par la LAMal d’une partie des coûts des prestations de soins fournis par les EMS

Depuis l’introduction du nouveau régime de financement des soins, le 1er janvier 2011 (Loi fédérale du 13 juin 2008 sur le nouveau régime de financement des soins [RO 2009 3517]), les assureurs-maladie prennent en charge une partie des coûts des prestations de soins fournis par les EMS à hauteur d’un forfait déterminé en fonction du besoin en soins du résident (art. 25a al. 1 et 3 LAMal en relation avec les art. 33 let. b OAMal, art. 7 al. 1 let. c et al. 2 et art. 7a al. 3 OPAS). Les assureurs-maladie doivent verser 9 fr. par jour pour 20 minutes de soins, soit 108 fr. au maximum (niveau 12 de soins « plus de 220 minutes de soins requis »). Conformément à l’art. 25a al. 5 LAMal (dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018), seul au maximum 20 % de ce montant, soit 21 fr. 60 par jour (20 % de 108 fr.), peuvent être facturés aux résidents au titre des soins définis à l’art. 7 al. 2 OPAS; il incombe aux cantons de régler le financement résiduel des soins (sur ce point, ATF 144 V 280).

Les soins prévus par l’art. 7 OPAS comprennent aussi les « soins de base généraux pour les patients dépendants, tels que (…) aider aux soins d’hygiène corporelle et de la bouche, aider le patient à s’habiller et à se dévêtir, ainsi qu’à s’alimenter. » (art. 7 al. 2 let. c OPAS). Or ce type de soins, à l’inverse des prestations selon l’art. 7 al. 2 let. a et b OPAS, comprend des mesures qui sont en relation directe avec l’impotence du patient, dès lors qu’elles servent à aider ou à surveiller la personne impotente pour accomplir des actes élémentaires de la vie quotidienne. Selon la jurisprudence, même si l’allocation pour impotent de l’AVS/AI et les prestations de soins de l’assurance-maladie obligatoire prévues à l’art. 7 al. 2 OPAS sont de nature foncièrement différente – la première étant une prestation en espèces calculée indépendamment du coût effectif des services fournis par des tiers mais en fonction du degré d’impotence, tandis que les secondes sont des prestations en nature sous la forme d’un remboursement tarifaire des frais effectifs occasionnés par les soins administrés -, les prestations comprenant les soins de base de l’art. 7 al. 2 let. c OPAS se recoupent avec celles qui sont couvertes par l’allocation pour impotent. Les soins de base comprennent cependant aussi des mesures liées à la (seule) maladie, tandis que l’allocation pour impotent sert également à couvrir les coûts de prestations de tiers qui ne font pas partie des prestations de soins de l’assurance-maladie, comme l’établissement ou l’entretien de contacts avec l’entourage. Un cumul des prestations de soins de base au sens de l’art. 7 al. 2 let. c OPAS et de l’allocation pour impotent est donc admissible, sous réserve d’une surindemnisation; celle-ci n’entre pas en considération du moment que le montant de l’allocation pour impotent est moins élevé que l’ensemble des coûts dus à l’impotence et supportés par la personne assurée (arrêts 9C_886/2010 du 10 juin 2011 consid. 4 et 9C_43/2012 du 12 juillet 2012 consid. 2; ATF 125 V 297 consid. 5 p. 304 ss; 127 V 94 consid. 3 et 4 p. 96 ss; cf. aussi GEBHARD EUGSTER, Krankenversicherung, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3ème éd. 2016, p. 522 n° 380).

 

Sous l’angle des prestations complémentaires, il y a lieu de constater que l’assistance couverte par l’allocation pour impotent ne se recoupe que partiellement avec les prestations de soins au sens de l’art. 7 OPAS, de sorte qu’on ne saurait admettre, de manière générale, que la participation au coût des soins à charge de la personne assurée au sens de l’art. 25a LAMal correspond aux prestations fournies par le personnel de l’EMS en raison de l’impotence.

En d’autres termes, une partie de l’assistance apportée en l’espèce à l’assuré par le personnel de l’EMS correspond à des prestations de soins qui ne sont pas prises en charge par l’assurance-maladie (ni par l’assuré, à raison de 20 % au maximum). On peut parler, à cet égard, de prestations d’assistance, qui comprennent les prestations de soins en EMS qui ne sont pas couvertes par l’assurance-maladie et ne ressortissent pas non plus aux prestations d’hôtellerie, lesquelles recouvrent toutes les prestations de l’EMS liées à l’hébergement (sur l’ensemble des prestations fournies et facturées aux résidents des EMS en Suisse, voir le Rapport de la Surveillance des prix [SPR], décembre 2018 [consulté sous https://www.preisueberwacher.admin.ch, sous Thèmes, Homes médicalisés], ci-après Rapport SPR, p. 2 ss).

Du point de vue des tarifs des EMS fixés par le canton de Neuchâtel, on constate que la réglementation cantonale ne fait pas de distinction entre la taxe liée aux prestations d’hôtellerie et la taxe relative à l’assistance, mais fixe un tarif de séjour global (cf. aussi, Rapport SPR, p. 6 ch. 4). En effet, la prestation socio-hôtelière de base comprend toutes les prestations fournies aux résidents par les EMS, hormis les prestations journalières LAMal et les prestations spécifiques, conformément aux art. 18, 20 et 21 de la loi de la République et canton de Neuchâtel sur le financement des établissements médico-sociaux du 28 septembre 2010 (RSN 832.20; LFinEMS).

Le « prix de pension » de 172 fr. 60 par jour pour la Résidence B.__ SA, en chambre individuelle, couvre donc également certaines prestations d’assistance liées à l’impotence de l’intimé qui sont fournies par le personnel de l’EMS (et ne relèvent pas de l’assurance-maladie obligatoire). Par conséquent, les frais de l’assistance due à l’impotence sont comprises de manière forfaitaire dans la taxe journalière et sont, de ce fait, prises en compte dans le calcul des prestations complémentaires en tant que dépenses reconnues, tout comme, du reste, les prestations journalières LAMal au sens de l’art. 25a LAMal. Aussi, l’allocation pour impotent allouée à l’intimé depuis le 01.01.2017 doit-elle être, en contrepartie considérée exceptionnellement comme un revenu, en application de l’art. 15b OPC-AVS/AI.

L’allocation pour impotent devait être prise en considération dans le calcul des prestations complémentaires de l’assuré pour la période courant depuis le 01.01.2017, de sorte que celui-ci a perçu des prestations en trop entre cette date et le 30.11.2017, à hauteur d’un montant qui n’est pas contesté en tant que tel. La caisse de compensation était donc en droit d’en demander la restitution, conformément à l’art. 25 al. 1, 1ère phrase, LPGA.

 

C’est le lieu de préciser que le point de savoir si l’assuré a violé son obligation de renseigner quant au versement de l’allocation pour impotent n’a aucune influence sur l’issue du présent litige, l’obligation de restituer des prestations complémentaires en cas de versement ultérieur d’une prestation considérée comme un revenu n’étant pas liée à une violation de l’obligation de renseigner (ATF 122 V 134 consid. 2 p. 139; arrêt 8C_689/2016 du 5 juillet 2017 consid. 3.1). Cette question joue en revanche un rôle pour la remise de l’obligation de restituer au sens de l’art. 25 al. 1, 2ème phrase, LPGA, qui doit faire l’objet d’une procédure séparée (arrêt 8C_804/2017 du 9 octobre 2018 consid. 2 in fine et les arrêts cités). Il appartiendra à la caisse de la trancher en premier lieu, pour autant que l’assuré lui demande en temps voulu la remise de son obligation de restituer à la suite du présent arrêt (cf. art. 4 al. 3 OPGA).

 

Le TF admet le recours de la caisse cantonale de compensation, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition de la caisse de compensation.

 

 

Arrêt 9C_110/2019 consultable ici