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8C_138/2025 (f) du 03.07.2025 – Révision d’une rente d’invalidité à la suite d’une rechute – Pas de modification ni changement clairement objectivé de la situation clinique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_138/2025 (f) du 03.07.2025

 

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Révision d’une rente d’invalidité à la suite d’une rechute / 17 LPGA – 22 LAA

Pas de modification ni changement clairement objectivé de la situation clinique

 

Résumé
Un assuré, au bénéfice d’une rente (50%) et d’une IPAI (20%) octroyées la suite d’un accident en 1993, a invoqué dès 2018 une aggravation de son état et a demandé une révision ainsi que des indemnités journalières après une nouvelle chute en 2021. L’instruction médicale a toutefois confirmé l’absence de modification cliniquement objectivée par rapport à la situation ayant fondé la rente (décision en 2002). L’assurance-accidents et le tribunal cantonal ont refusé toute modification, en l’absence d’aggravation objectivable des séquelles. Le Tribunal fédéral a confirmé cette appréciation et rejeté le recours de l’assuré.

 

Faits
Assuré, né en 1958, travaillait comme chauffeur au service d’une entreprise de transport de véhicules, lorsque, le 15 mars 1993, il a chuté du haut de son camion, tombant sur la tête et sur la main droite. Admis à l’hôpital le jour même, les médecins qui l’ont examiné ont posé les diagnostics de traumatisme crânien cérébral, fracture-tassement du mur antérieur C6-C7, fracture du scaphoïde carpien de la main droite et multiples contusions.

Par décision du 28.03.2002, l’assurance-accidents a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, fondée sur une incapacité de gain de 50% dès le 01.02.1996, ainsi qu’une IPAI, fondée sur un taux de 20%.

Le 27.03.2018, l’employeur de l’assuré a rempli une déclaration d’accident, faisant état d’une rechute depuis le 16 mars précédent, avec incapacité de travail de 75%.

Par lettre du 24.09.2019, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle mettait un terme aux indemnités journalières et à la prise en charge des frais de traitement, à l’exception des séances de physiothérapie.

Par décision du 03.03.2021, confirmée sur opposition le 09.08.2021, l’assurance-accidents a refusé de modifier les taux d’incapacité de gain et de l’IPAI déterminés en 2002, considérant que les divers bilans ne permettaient pas de mettre en évidence une aggravation notable de l’état de santé de l’assuré.

Le 23.12.2021, l’assuré a été victime d’une chute, lui causant une fracture du trochiter de l’épaule droite. Par décision du 23.05.2022, confirmée sur opposition le 22.12.2022, l’assurance-accidents a confirmé la prise en charge des frais de traitement mais a refusé de verser des indemnités journalières, motif pris qu’au moment de ce nouvel accident, l’assuré était déjà en incapacité totale de travail pour cause de maladie.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 29.01.2025, rejet des recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
Aux termes de l’art. 17 al. 1 LPGA (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021), si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée. Tout changement important des circonstances propre à influencer le taux d’invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision. La rente peut ainsi être révisée non seulement en cas de modification sensible de l’état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 144 I 103 consid. 2.1; 134 V 131 consid. 3). Tel est le cas lorsque la capacité de travail s’améliore grâce à l’accoutumance ou à une adaptation au handicap. En revanche, une simple appréciation différente d’un état de fait qui, pour l’essentiel, est demeuré inchangé n’appelle pas une révision au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA (ATF 147 V 167 consid. 4.1 et les arrêts cités).

 

Consid. 5.2.1 [résumé]
Le rapport du médecin-conseil, qui recommandait des examens complémentaires tels qu’une mise à jour des examens radiologiques, ne suffit pas à démontrer une aggravation significative de l’état de santé. On ne peut pas davantage y voir un revirement de ce médecin dès lors qu’après instruction, il a conclu à l’absence de modifications importantes.

Consid. 5.2.2 [résumé]
L’argument tiré d’une erreur sur le nombre de fractures ou la nature des atteintes vertébrales demeure dépourvu de portée, en l’absence d’erreur médicale propre à établir une aggravation postérieure à la décision du 28.03.2002. Les divergences entre les constatations initiales (fracture C6-C7) et des pièces médicales ultérieures ne permettent pas de retenir une péjoration. Même la mise en évidence ultérieure d’une fracture consolidée en C1 ne suffit pas à établir une aggravation, d’autant que des investigations menées entre 1996 et 2000 avaient conclu à un dysmorphisme congénital de la jonction C1-C2.

Consid. 5.2.3 [résumé]
S’agissant de la hernie discale C5-C6, les juges cantonaux ont déjà répondu aux remarques réitérées par l’assuré (notamment qu’il ne s’agirait pas d’une fracture supplémentaire), sans que celui-ci discute leur motivation. Les douleurs qu’il associe à cette hernie n’apparaissent pas diverger de manière significative des plaintes déjà décrites lors de l’octroi de la rente. Pour les acouphènes, l’affirmation d’un lien de causalité avec l’accident de 1993 ne constitue pas une motivation suffisante pour remettre en cause l’avis de la médecin-conseil ORL ni justifier d’autres mesures d’instruction. Il en va de même pour les crises liées aux douleurs et les troubles psychiques : l’aggravation alléguée repose sur de simples affirmations, sans discussion des considérations cantonales ni renvoi à un rapport précis. Le fait que le médecin-conseil orthopédique parlerait de « chronicisation » des problèmes psychiatriques n’est en tout cas pas déterminant, dès lors que dans son rapport d’expertise du 17.12.2001, la spécialiste en psychiatrie et psychothérapie avait déjà conclu que les troubles psychiques étaient largement « chronifiés ».

Consid. 5.2.4
Enfin, sous le titre « la question juridique du rapport de causalité », l’assuré évoque sa situation de souffrance avec des douleurs continuelles qui ont perduré de 1993 à 2018, année à partir de laquelle elles se sont aggravées, de manière à ce qu’ajoutées à de nouvelles pathologies, elles ne lui permettraient plus d’exercer une activité professionnelle. Les juges cantonaux n’ont toutefois pas nié le rapport de causalité entre la symptomatologie douloureuse de l’assuré et l’accident de 1993. Il ressort toutefois de l’arrêt attaqué que celle-ci était déjà bien marquée au moment de l’octroi de la rente d’invalidité et que les circonstances de fait à leur origine ne se sont pas modifiées de manière significative. Or un motif de révision ne saurait être admis que si la modification de la capacité de travail est corroborée par un changement clairement objectivé de la situation clinique (arrêt 9C_392/2023 du 26 février 2024 consid. 4.3 et les arrêts cités), ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.

Consid. 5.3
Vu ce qui précède, les éléments mis en évidence par l’assuré ne permettent pas de mettre en doute la fiabilité et la pertinence de l’appréciation des médecins internes à l’intimée, de sorte que des mesures d’instruction complémentaires n’apparaissent pas nécessaires. Les premiers juges n’ont donc pas violé le droit ou établi les faits de manière inexacte en confirmant l’absence d’aggravation notable des séquelles de l’accident survenu en 1993.

Consid. 7
L’assuré, qui succombe, a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l’assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). En l’occurrence, selon les indications fournies dans le questionnaire pour l’assistance judiciaire, l’assuré bénéfice des prestations d’une assurance de protection juridique. Partant, il ne se justifie pas de le mettre au bénéfice de l’assistance judiciaire. Au demeurant, son indigence n’apparaît pas non plus établie au regard des revenus et dépenses allégués. L’assuré doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_138/2025 consultable ici

 

8C_182/2024 (f) du 28.07.2025 – Indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) pour une société de transport public – Risque de suppression d’emplois / 31 ss LACI – 51 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_182/2024 (f) du 28.07.2025

 

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Indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) pour une société de transport public – Risque de suppression d’emplois / 31 ss LACI – 51 OACI

 

Résumé
Une société de transport public a sollicité en mars 2020 l’indemnité RHT pour avril-mai 2020, qui a été refusée. S’agissant du trafic urbain (y compris en site propre), l’examen des conventions de subventionnement et de la LMTP a montré que le déficit planifié a été intégralement réparti entre le canton et les communes avec décompte final, ce qui a constitué une garantie de couverture des coûts d’exploitation; la condition d’un risque de suppression d’emplois n’a dès lors pas été réalisée et le droit aux RHT a été exclu pour ce secteur.

 

Faits
La société A.__ SA (ci-après: la société) est une société anonyme de droit privé active dans le domaine du transport public de personnes, dont les actions sont détenues majoritairement par les communes et le canton de Vaud.

Le 27.03.2020, la société a transmis au Service de l’emploi du canton de Vaud (SDE) un préavis de réduction de l’horaire de travail (RHT) en raison des mesures officielles liées à la pandémie de coronavirus. Elle demandait l’octroi de l’indemnité en cas de RHT pour 405 employés pour la période du 01.04.2020 au 31.05.2020, en évaluant à 21,10% la perte de travail due notamment à la réduction de l’offre de transport entraînée par la généralisation de l’horaire du dimanche à tous les jours de la semaine.

Après avoir soumis un questionnaire à la société, le SDE a rendu, le 11.06.2020, une décision par laquelle il a rejeté la demande tendant au versement de l’indemnité en cas de RHT. La société s’est opposée à cette décision en produisant divers documents, notamment les conventions collectives de travail et conventions de subventionnement qui la liaient. Par décision du 05.02.2021, le SDE a rejeté l’opposition et a confirmé sa décision.

 

Procédures cantonales

Par arrêt du 05.04.2022 (ACH 53/21 – 53/2022), la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours interjeté par la société contre la décision sur opposition du SDE du 5 février 2021. Saisi d’un recours contre cet arrêt, le Tribunal fédéral l’a partiellement admis et a renvoyé la cause à la juridiction cantonale pour qu’elle se prononce à nouveau (arrêt 8C_325/2022 du 30.01.2023).

Par arrêt du 24.01.2024 (ACH 12/23 – 16/2024), la juridiction cantonale a partiellement admis le recours et a réformé la décision sur opposition du SDE, en ce sens que, pour la période considérée, la société avait droit à l’indemnité en cas de RHT pour ses collaborateurs employés dans le secteur du transport public régional de voyageurs.

 

TF

Consid. 4
Dans l’arrêt de renvoi 8C_325/2022, le Tribunal fédéral a rappelé que les entreprises qui fournissent des prestations publiques ne sont pas en tant que telles exclues du cercle des potentiels bénéficiaires du droit à l’indemnité en cas de RHT et que, pour ces entreprises, on reconnaît un risque de disparition d’emplois si, en cas de recul de la demande ou de réduction de l’offre chez le mandataire, il n’existe pas de garantie de couverture des coûts d’exploitation et si les entreprises concernées ont la possibilité de procéder à des licenciements à brève échéance dans l’objectif de faire baisser les coûts d’exploitation. Dans le cas d’espèce, si la réduction du temps de travail du personnel roulant et technique touchait des secteurs de la société recourante dans lesquels il n’y avait pas de garantie d’une couverture complète des coûts d’exploitation, celle-ci supporterait, comme toute entreprise privée, un risque d’exploitation ou de faillite correspondant, auquel une telle entreprise ferait face par des licenciements. La cour cantonale n’avait toutefois pas clairement tranché la question de la couverture des coûts d’exploitation, en tout cas s’agissant du trafic régional. En outre, le fait de percevoir des subventions ne signifiait pas encore que les coûts d’exploitation étaient entièrement couverts par les pouvoirs publics. Enfin, la possibilité de procéder à des licenciements à brève échéance s’examinait au regard de la réglementation applicable au personnel. L’arrêt attaqué ne disait rien à ce propos. La cause devait dès lors être renvoyée à la juridiction cantonale pour qu’elle prenne une nouvelle décision après avoir examiné le droit aux prestations sur la base d’un examen complet des critères déterminants (cf. consid. 7.2 et 8).

Consid. 5.1
Dans l’arrêt attaqué, les juges cantonaux ont examiné l’existence d’une garantie de couverture des coûts d’exploitation, d’une part, en ce qui concernait le transport urbain et, d’autre part, en ce qui concernait le transport régional. A ce dernier égard, ils ont considéré qu’une telle garantie, expresse ou implicite, n’existait pas et que la société recourante avait la possibilité de résilier les rapports de travail de la même manière qu’une entreprise privée, de sorte que les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT étaient remplies.

Consid. 5.2.1
En matière de transport urbain, la cour cantonale a relevé que les prestations de transport n’étaient pas indemnisées par la Confédération, mais par les cantons et les communes selon le droit cantonal (art. 28 al. 2 LTV [RS 745.1]). Dans le canton de Vaud, la participation cantonale était, conformément à l’art. 18 de loi vaudoise sur la mobilité et les transports publics (LMTP; BLV 740.21), limitée à 50% du déficit d’exploitation au plus et plafonnée selon divers critères, le solde des coûts étant à la charge des communes après déduction de l’intégralité des recettes (art. 17 al. 3 LMTP, par renvoi de l’art. 18 al. 3 LMTP, en corrélation avec l’art. 6 al. 2 ch. 2 LMTP). Pour l’année 2020, le déficit planifié s’élevait à 114’253’617 fr. et devait être pris en charge à hauteur de 29’094’951 fr. par le canton de Vaud, le solde étant à la charge des communes (cf. art. 5 de la convention de subventionnement entre le canton de Vaud et la société recourante relative à l’offre sur les prestations du secteur du trafic local (urbain) des voyageurs et son indemnisation, applicable à l’année d’horaire 2020 [ci-après: la Convention-trafic local]). Les indemnités définitives à verser par le canton et par les communes étaient soumises à une procédure de décompte final (cf. art. 5 al. 4 et art. 7 de la Convention-trafic local; voir également l’art. 21 al. 1 LMTP).

Consid. 5.2.2 [résumé]
Pour les lignes de trafic urbain en site propre, les communes participaient à raison de 30% à la subvention d’exploitation, le solde étant à la charge du canton (art. 15 al. 1 LMTP, en corrélation avec l’art. 6 al. 2 ch. 2 LMTP). Pour 2020, le déficit planifié s’élevait à 32’107’624 fr. et devait être pris en charge à hauteur de 22’475’837 fr. par le canton et de 9’632’287 fr. par les communes (cf. art. 5 et 13 de la convention de subventionnement entre le canton de Vaud et la société recourante relative à l’offre sur les prestations du secteur urbain en site propre des voyageurs pour les métros et son indemnisation applicable à l’année d’horaire 2020 [ci-après: la Convention-métros]). Les indemnités définitives à verser par le canton et par les communes étaient soumises à une procédure de décompte final (cf. art. 5 al. 4 et art. 7 de la Convention-métros; voir également l’art. 16 al. 1 LMTP).

Consid. 5.3 [résumé]
En définitive, compte tenu des mécanismes de financement, le déficit d’exploitation engendré par la situation devait être assumé par les communes pour les lignes de trafic urbain (art. 17 al. 3 LMTP, par renvoi de l’art. 18 al. 3 LMTP, en corrélation avec l’art. 6 al. 2 ch. 2 LMTP) et par le canton pour les lignes de trafic urbain en site propre (art. 15 al. 1 LMTP, en corrélation avec l’art. 6 al. 2 ch. 2 LMTP). Dans la mesure où la société recourante bénéficiait, pour ces prestations, d’une garantie de couverture des coûts d’exploitation, elle n’avait pas droit aux indemnités en cas de RHT dans le domaine du transport (étant également renvoyé, sur la question, à l’exposé des motifs et projet de décret accordant un soutien extraordinaire aux transports publics régionaux et urbains pour atténuer les pertes provoquées par le coronavirus [COVID-19] durant l’année 2020 [20_LEG_95]).

Consid. 7.1
Aux termes de l’art. 6 al. 1 LMTP, l’Etat et les communes peuvent accorder une subvention aux entreprises pour maintenir ou développer leurs prestations de service public qui répondent aux buts de la loi, dans les domaines suivants: le transport des voyageurs sur les lignes de trafic régional et les lignes de trafic urbain; sont assimilés aux services de ligne les systèmes de desserte de zones qui leur sont rattachés (let. a); le transport des marchandises sur les lignes de chemins de fer ou celles qui résultent d’un changement de mode de transport (let. b). Selon l’art. 6 al. 2 LMTP, une subvention peut être consentie pour les objets suivants: ch. 1. Subvention d’investissement: cette subvention porte notamment sur l’équipement en installations ou en véhicules, les mesures en faveur des personnes handicapées dans les transports publics, l’adoption d’un autre mode de transport, la création de nouvelles entreprises, le rachat d’entreprises ou la reprise de dettes; ch. 2. Subvention d’exploitation: cette subvention porte notamment sur la couverture du déficit d’exploitation, la commande de prestations de service public, la prise en charge de frais financiers ou la mise en oeuvre de communautés tarifaires.

L’art. 15 LMTP (« Participation de l’Etat et des communes: exploitation ») prescrit que les communes participent à raison de 30% à la subvention d’exploitation prévue à l’art. 6 al. 2 ch. 2 pour les lignes de trafic régional (al. 1). La répartition du montant à charge des communes est effectuée par région de transport public (al. 2). Les al. 3 à 5 se rapportent aux régions de transport public, à la répartition entre communes du montant à charge et au coefficient de desserte des communes.

L’art. 18 al. 1 LMTP (« Participation de l’Etat et des communes: exploitation ») prévoit que la subvention d’exploitation que l’Etat alloue aux lignes de trafic urbain, selon l’art. 6 al. 2 ch. 2, est limitée à 50% au plus mais elle ne peut dépasser au maximum la somme des montants suivants: le 50% des intérêts des emprunts, garantis par l’Etat et les communes et souscrits selon l’art. 17 al. 1 (ch. 1); le 50% des amortissements comptables des installations et équipements calculés selon les dispositions de la législation fédérale (ch. 2); le 12,5% des autres charges d’exploitation, y compris les intérêts sur les engagements courants (ch. 3). Lorsque la subvention d’investissement, selon l’art. 6 al. 2 ch. 1, de l’Etat d’une part et des communes d’autre part prend une forme différente, un décompte particulier est tenu (al. 2). L’art. 17 al. 3 à 4 est applicable au surplus (al. 3). Cette disposition prévoit que le solde de la subvention est à charge des communes desservies (17 al. 3) et que la subvention de l’Etat est versée après que les communes se sont engagées à couvrir la subvention à leur charge (17 al. 4).

Consid. 7.2 [résumé]
Il ressort des dispositions cantonales que l’État peut accorder une subvention d’exploitation selon l’art. 6 al. 2 ch. 2 LMTP, portant notamment sur la couverture du déficit d’exploitation, et une telle subvention a été accordée en l’espèce. Le texte de l’art. 6 évoque une simple possibilité et n’instaure pas une obligation légale de garantir totalement et inconditionnellement les déficits des entreprises de transports publics, ce que les juges cantonaux n’ont pas retenu. Les règles de participation et de répartition des art. 15 ss LMTP se réfèrent aux subventions visées à l’art. 6 al. 2 LMTP, sans que l’arrêt attaqué ne dise le contraire. Enfin, en tant que la société recourante dit ne pas voir le rapport entre l’art. 15 LMTP et la problématique du trafic urbain en site propre, on lui rappellera que dans la LMTP, les lignes de trafic urbain en site propre sont assimilées aux lignes de trafic régional (art. 7 al. 3 let. a LMTP; cf. consid. 8c/bb de l’arrêt attaqué). Cela étant, en tant que la société recourante se plaint d’une interprétation arbitraire du droit cantonal (sur le grief d’application arbitraire du droit cantonal, cf. ATF 150 I 154 consid. 2.1 consid. 2.1 et les références), son argumentation est mal fondée.

Consid. 7.3 [résumé]
Le fait que la législation cantonale ne donne pas un droit explicite à la subvention d’exploitation ou que les conventions de subventionnement mettent le solde du déficit d’exploitation à la charge des communes « selon accord » ne permet pas de conclure à une violation du droit fédéral.

Consid. 7.3.1
Le point de savoir si, en cas de recul de la demande ou de réduction de l’offre chez le mandataire, il n’y a pas de garantie que les coûts d’exploitation seront entièrement couverts, doit être examiné au regard de la règle du degré de vraisemblance prépondérante, généralement appliquée dans le domaine des assurances sociales. Dans ce domaine, le juge fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables. Il ne suffit pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 138 V 218 consid. 6; 126 V 353 consid. 5b; 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1; 126 V 319 consid. 5a).

On rappellera en outre que la question de savoir si les conditions à l’octroi de l’indemnité en cas de RHT sont réunies doit s’examiner de façon prospective (ATF 121 V 371 consid. 2a; arrêt 8C_468/2022 du 28 novembre 2023 consid. 4.1).

Consid. 7.3.2
En l’espèce, il ressort des constatations de l’arrêt attaqué relatives au contenu des Convention-trafic local et Convention-métros (arrêt attaqué p. 14 s.), que le déficit planifié était entièrement réparti entre le canton et les communes et que les indemnités définitives à verser étaient soumises à une procédure de décompte final. A ce sujet, la cour cantonale renvoie notamment à l’art. 5 al. 4 des conventions précitées et à l’art. 7 – dont la teneur est identique dans les deux conventions -, en vertu duquel le décompte final se base sur les comptes annuels effectifs de l’entreprise approuvés par l’assemblée générale des actionnaires et sur sa comptabilité analytique (al. 1); sur proposition de l’entreprise, le canton établit et notifie aux communes concernées le tableau de répartition des indemnités incombant au canton et aux communes en application de l’art. 21 LMTP (al. 2); s’il apparaît un solde en faveur ou à la charge du canton, celui-ci sera réglé lors du versement des indemnités de l’année d’horaire suivante, une fois le tableau de répartition devenu exécutoire (al. 3).

Dans ces conditions, on ne saurait admettre l’absence de garantie de couverture des coûts d’exploitation du seul fait que les indemnités définitives pour l’année en cause ne seront connues qu’à l’issue de l’exercice comptable, après approbation des comptes annuels effectifs. Il faut bien plutôt se demander si les circonstances au moment de la décision de l’intimée permettaient, au degré de la vraisemblance prépondérante, de compter sur une couverture du déficit de la société recourante par les autorités publiques. Tel est bien le cas à la lecture des dispositions légales et conventionnelles susmentionnées, dont il ressort en particulier que pour l’année 2020, l’intéressée avait été mise au bénéfice d’une subvention destinée à couvrir ses frais d’exploitation – ceux-ci étant répartis entre le canton et les communes – sur la base de coûts planifiés puis d’un décompte final.

Consid. 8
Vu ce qui précède, la cour cantonale était fondée à considérer que le mécanisme de subventionnement des coûts d’exploitation de la société recourante faisait obstacle à l’octroi d’indemnités en cas de RHT pour l’activité consacrée au trafic urbain (y compris en site propre). Le recours se révèle mal fondé et doit être rejeté.

Le TF rejette le recours de la société.

 

Arrêt 8C_182/2024 consultable ici

 

 

 

8C_510/2024 (f) du 17.06.2025 – Droit de l’employeur au versement des arriérés de la rente d’invalidité en compensation des salaires versés / 22 LPGA – 85bis RAI – 29 al. 3 LPers – 58 al. 1 OPers

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_510/2024 (f) du 17.06.2025

 

Consultable ici

 

Droit de l’employeur au versement des arriérés de la rente d’invalidité en compensation des salaires versés / 22 LPGA – 85bis RAI – 29 al. 3 LPers – 58 al. 1 OPers

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé que la Confédération, en tant qu’employeur, pouvait obtenir de l’office AI le versement des arriérés de rente d’invalidité en compensation des salaires versés à l’assurée durant la même période. Il a rappelé que les dispositions de la LPers et de l’OPers conféraient explicitement ce droit à l’employeur afin d’éviter toute surindemnisation, de sorte que l’office AI avait valablement payé à la Confédération la somme de 75’909 fr., sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’accord de l’assurée.

 

Faits
Assurée, née en 1957, a été employée à partir du 1er août 2008 en tant que spécialiste à plein temps. Le 18.02.2015, elle a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité.

Par projet de décision du 06.05.2020, l’office AI a octroyé à l’assurée une rente d’invalidité limitée dans le temps à partir du 01.08.2015. Le 25.05.2020, l’employeur a demandé à l’office AI la rétrocession des montants versés à l’assurée du 01.08.2015 au 30.06.2019, étant donné que celle-ci avait touché un salaire durant cette période.

Par décision du 14.10.2020, l’office AI a reconnu divers degrés de rente d’invalidité, allant d’une rente entière à un quart de rente selon les périodes, et a en outre rétrocédé à l’employeur la somme de 75’909 fr. correspondant aux rentes dues entre le 01.08.2015 et le 30.06.2019. Par décision séparée du 23.10.2020, l’office AI a refusé d’octroyer des mesures d’ordre professionnel.

 

Procédure cantonale

L’assurée a recouru contre ces deux décisions. Le 09.03.2021, elle a conclu en outre à ce que l’office AI lui verse le montant de 75’909 fr. rétrocédé à tort à l’employeur.

Par jugement du 31.07.2024, la juridiction cantonale a joint les causes et rejeté les recours.

 

TF

Consid. 6.1
S’agissant du droit de l’employeur au versement des arriérés de la rente d’invalidité en compensation des salaires versés, la cour cantonale a relevé que l’assurée n’avait tout d’abord pas contesté la rétrocession à son employeur de la somme de 75’909 fr., correspondant aux rentes versées du 1er août 2015 au 30 juin 2019. Ce n’est qu’après l’échéance du délai de recours qu’elle a formulé une nouvelle conclusion portant sur la rétrocession en sa faveur de ce montant versé à tort à l’employeur. La cour cantonale a ainsi noté que, n’étant pas étroitement lié avec la question du droit à la rente d’invalidité, ce point pourrait être exclu de l’objet du litige et que la nouvelle conclusion pourrait être déclarée irrecevable.

Sur le fond, la cour cantonale a relevé que l’assurée faisait valoir à juste titre que l’art. 29 al. 1 LPers (RS 172.220.1) et l’art. 56 al. 1 et 2 OPers (RS 172.220.111.3) de même que l’art. 24 al. 1 O-OPers (RS 172.220.111.31) ne portaient pas sur le droit de l’employeur au versement des arriérés de la rente d’invalidité en compensation des salaires versés. Ces dispositions traitaient uniquement de l’obligation de l’employeur de poursuivre le versement du salaire à un employé empêché de travailler et des modalités de cette obligation. En revanche, ces prestations de salaires dues par l’employeur constituaient des avances au sens des art. 22 al. 2 let. a LPGA et 85bis al. 1 et 2 RAI. La base légale du droit de l’employeur au remboursement des avances versées par compensation avec les arriérés d’une rente de l’assurance-invalidité, telle qu’exigée par l’art. 85bis al. 2 let. b RAI, correspondait à l’art. 22 al. 2 let. a LPGA. Cette disposition était désormais applicable en matière d’assurance-invalidité et constituait une exception au principe de l’incessibilité du droit aux prestations. C’était ainsi à bon droit que l’office AI avait rétrocédé à l’employeur la somme de 75’909 fr. correspondant aux rentes versées du 1er août 2015 au 30 juin 2019. Le consentement de l’assurée n’était pas nécessaire pour procéder à cette rétrocession et le paiement par compensation à l’employeur intervenait avec effet libératoire pour l’office AI. Le versement des rentes de l’assurance-invalidité à l’assurée conduirait à une surindemnisation de celle-ci, dès lors qu’elle avait perçu des salaires sur la même période.

Consid. 6.2
L’assurée se plaint d’une violation de l’art. 85bis al. 2 RAI. Selon elle, la Confédération n’était pas fondée à réclamer une rétrocession des prestations à l’office AI. En effet, ni le contrat ni la loi ne prévoirait un droit au remboursement sans équivoque et l’employeur n’aurait pas disposé de l’accord de l’assurée pour réclamer la compensation.

Consid. 6.3
En l’espèce, en dépit de ce qu’avance l’assurée, la législation sur le personnel fédéral confère explicitement à l’employeur un droit au remboursement et ainsi à la compensation (art. 29 al. 3 LPers et 58 al. 1 OPers; arrêt 9C_225/2014 du 10 juillet 2014, consid. 3.2). Le message en langue allemande concernant la loi sur le personnel de la Confédération du 14 décembre 1998 relève d’ailleurs que l’art. 29 al. 3 LPers entend précisément exclure une surindemnisation de l’employé (BBl 1999 II 1597 ss, p. 1623  » Die Bestimmung dient u. a. als Grundlage, um auch künftig unberechtigte Mehrfachbezüge zu verhindern « ; non traduit in FF 1999 II 1421 ss, p. 1446). L’accord de l’assurée, y compris sa signature sur un formulaire dédié (ATF 136 V 381 consid. 5.1 et 5.2), n’était ainsi pas nécessaire à la rétrocession par l’office AI en faveur de l’employeur. Dans ce contexte et contrairement au raisonnement quelque peu circulaire retenu dans l’arrêt attaqué, il convient encore de relever que, si l’art. 22 LPGA constitue bien la base légale formelle sur laquelle repose désormais l’art. 85bis RAI (ATF 136 V 381 consid. 3.2), cette disposition ne fonde cependant pas directement le droit de l’employeur à obtenir la rétrocession des rentes de l’assurance-invalidité. Pour le reste, l’assurée invoque une convention conclue avec la Confédération le 25 septembre 2018. Cette convention outrepasse l’état de fait qui lie la cour de céans et, en toutes hypothèses, est antérieure aux décisions rendues par l’office AI en octobre 2020.

Consid. 6.4
Au vu de ce qui précède, la Confédération était ainsi fondée à réclamer la compensation de ses prestations à l’office AI et ce dernier a procédé à bon droit au paiement de 75’909 fr. en

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_510/2024 consultable ici

 

 

9C_430/2023 (f) du 07.07.2025, destiné à la publication – Somme de rachat annuelle versée par les personnes arrivant de l’étranger qui n’avaient jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse / Inégalité de traitement résultant de l’application de l’art. 60b al. 1 OPP 2 justifiée visant à garantir la cohérence du système fiscal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_430/2023 (f) du 07.07.2025, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Somme de rachat annuelle versée par les personnes arrivant de l’étranger qui n’avaient jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse / 79b LPP – 60b OPP 2

Raison impérieuse d’intérêt général justifiant une entrave à la libre circulation / 21 par. 3 ALCP

Inégalité de traitement résultant de l’application de l’art. 60b al. 1 OPP 2 justifiée visant à garantir la cohérence du système fiscal

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a examiné la situation d’un ressortissant français installé en Suisse en 2020, qui avait procédé à plusieurs rachats d’années de prévoyance auprès de l’institution de son employeur. L’institution avait refusé d’accepter un rachat supérieur à 20% du salaire assuré pendant les cinq premières années d’affiliation, conformément à l’art. 60b al. 1 OPP2. L’assuré contestait cette limitation qu’il considérait comme une discrimination contraire à l’Accord sur la libre circulation des personnes.

Le Tribunal fédéral a admis que la règle pouvait induire une différence de traitement principalement défavorable aux ressortissants étrangers arrivant en Suisse. Toutefois, il a jugé que cette restriction se justifie par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal suisse, en évitant que des personnes à revenu élevé ne puissent déduire de manière importante leurs rachats sans que la Suisse n’ait ensuite la possibilité d’imposer les prestations de prévoyance lors d’un départ à l’étranger. Le recours de l’assuré a été rejeté.

 

Faits
Assuré, ressortissant français né en 1964, s’est installé en Suisse en septembre 2020 au moment d’entrer au service de la société B.__ SA en qualité de directeur financier. Depuis lors, il est affilié pour la prévoyance professionnelle auprès de la Fondation de B.__ SA. Le prénommé a effectué deux rachats d’années d’assurance auprès de la Fondation, à hauteur de 160’000 fr. le 11.12.2020 puis de 172’080 fr. le 29.10.2021. Au 01.01.2022, les possibilités de rachats s’élevaient encore à 11’086’197 fr. 70.

Le 22.07.2022, l’assuré a effectué un nouveau rachat d’un montant de 250’000 fr. Le 04.08.2022, la Fondation lui a indiqué ne pas pouvoir accepter un rachat annuel supérieur à 172’080 fr. en 2022, car cette limite correspondait au 20% de son salaire assuré maximum qui s’élevait à 860’040 fr. en cette même année. Elle a précisé que la somme de rachat annuelle versée par les personnes arrivant de l’étranger qui n’avaient jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse ne devait pas dépasser, pendant les cinq années qui suivaient leur entrée dans l’institution de prévoyance suisse, 20% du salaire assuré tel qu’il était défini par son règlement. La Fondation a dès lors invité l’assuré à lui communiquer ses coordonnées bancaires en vue de la restitution du trop-perçu. Le 30.08.2022, l’assuré lui a répondu ne pas partager son point de vue et lui a demandé de garder le montant versé en trop pour l’affecter à sa prévoyance jusqu’à l’issue du désaccord.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/536/2023 – consultable ici)

Par jugement du 30.06.2023, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2.1 [résumé]
L’art. 79b LPP, en vigueur depuis le 1er janvier 2006, limite les possibilités de rachat aux seules prestations réglementaires (al. 1) et prévoit que le Conseil fédéral règle la question du rachat pour les personnes n’ayant jamais été affiliées à une institution de prévoyance au moment où elles exercent cette faculté (al. 2).

En application de ce mandat, le Conseil fédéral a édicté l’art. 60b OPP 2, également en vigueur depuis le 1er janvier 2006 (dans sa teneur applicable dès le 1er janvier 2011). Cette disposition prévoit que, pour les personnes arrivant de l’étranger et n’ayant jamais été affiliées en Suisse, la somme de rachat annuelle ne peut excéder, durant les cinq premières années d’affiliation, 20% du salaire assuré défini par le règlement. Après ce délai, le rachat complet devient possible. L’art. 60b al. 2 OPP 2 prévoit en outre une exception lorsque l’assuré transfère directement des avoirs de prévoyance professionnelle étrangère dans une institution de prévoyance suisse, sous certaines conditions (transfert direct [let. a], admission par l’institution d’un tel transfert [let. b] et absence de déduction fiscale en Suisse [let. c]).

Consid. 3.2.2
Entrent également en ligne de compte pour la solution du litige, comme l’a retenu à juste titre la juridiction cantonale, deux dispositions de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681), soit les art. 2 et 21 par. 3.

Selon l’art. 2 ALCP, les ressortissants d’une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d’une autre partie contractante ne sont pas, dans l’application et conformément aux dispositions des annexes I, II et III de cet accord, discriminés en raison de leur nationalité. Ce principe de l’égalité de traitement est repris à l’art. 9 de l’annexe I de l’ALCP, qui énonce, à son par. 2 une règle spécifique visant à faire bénéficier le travailleur salarié et les membres de sa famille des mêmes avantages fiscaux et sociaux que ceux dont disposent les travailleurs salariés nationaux et les membres de leur famille.

En vertu de l’art. 21 par. 3 ALCP, aucune disposition du présent accord ne fait obstacle à l’adoption ou l’application par les parties contractantes d’une mesure destinée à assurer l’imposition, le paiement et le recouvrement effectif des impôts ou à éviter l’évasion fiscale conformément aux dispositions de la législation fiscale nationale d’une partie contractante ou aux accords visant à éviter la double imposition liant la Suisse, d’une part, et un ou plusieurs États membres de la Communauté européenne, d’autre part, ou d’autres arrangements fiscaux.

Consid. 4 [résumé]
La juridiction cantonale a rappelé que l’art. 60b OPP 2 trouvait son origine dans la volonté du législateur de lutter contre les abus fiscaux liés aux rachats de prévoyance. Les personnes arrivant en Suisse pour y exercer une activité lucrative présentaient d’importantes lacunes dans le deuxième pilier, par comparaison avec celles ayant uniquement un « passé de prévoyance suisse ». Dès lors, ces lacunes, pouvant être comblées par des rachats exonérés d’impôt, présentaient un risque d’utilisation abusive à des fins fiscales.

Après la suppression de la limitation de l’ancien art. 79a LPP (en vigueur jusqu’au 31 décembre 2005) et l’impossibilité pratique de vérifier l’existence à l’étranger de régimes comparables, le législateur avait confié au Conseil fédéral, par l’art. 79b al. 2 LPP (en vigueur dès le 1er janvier 2006), la tâche d’édicter une disposition anti-abus. L’art. 60b OPP 2, conçu comme une norme de nature fiscale, visait ainsi les personnes venant temporairement en Suisse, réduisant leur revenu imposable par des rachats, puis quittant le pays en retirant leur avoir de prévoyance en espèces selon l’art. 5 al. 1 let. a LFLP. Comme la plupart des conventions de double imposition attribuaient à l’État de résidence le droit d’imposer ces prestations, la Suisse en sortait défavorisée fiscalement. Le plafonnement instauré par l’art. 60b al. 1 OPP 2 visait donc à éviter qu’un contribuable à revenu élevé et de séjour limité n’élude largement l’impôt en Suisse.

Tout en laissant indécise la question de savoir si ce plafonnement constituait une discrimination indirecte envers les ressortissants de l’Union européenne prohibée par l’ALCP, les juges cantonaux ont retenu que la mesure demeurait compatible avec cet accord. Ils ont souligné qu’elle constituait une mesure « visant à assurer l’imposition » au sens de l’art. 21 par. 3 ALCP, norme permettant de justifier une restriction afin de lutter contre l’évasion fiscale. Enfin, ils ont jugé que la limitation à 20% du salaire assuré pendant cinq ans apparaissait proportionnée.

Consid. 6.1 [résumé]
Il est incontesté que l’assuré, ressortissant français arrivé en Suisse en 2020 pour y exercer une activité lucrative, entre dans le champ d’application personnel de l’ALCP (art. 1 ALCP et art. 1 annexe I ALCP).

Il n’est pas non plus litigieux que la faculté de rachat d’années de prévoyance non pas au moment de l’entrée dans l’institution (art. 9 LFLP en lien avec l’art. 79b LPP), mais en cours d’assurance, relève de la prévoyance plus étendue (arrêt 9C_813/2014 du 26 mai 2015 consid. 2.3.2, in SVR 2016 BVG n° 23 p. 98; STÉPHANIE Perrenoud/Marc Hürzeler, in Commentaire bâlois, Berufliche Vorsorge, 2021, n° 7 ad art. 9 LFLP). Celle-ci n’entre pas dans le champ d’application du Règl. (CE) n° 883/2004 (RS 0.831.109.268), mais dans celui de la Directive 98/49 CE du Conseil européen du 29 juin 1998 relative à la sauvegarde des droits à pension complémentaire des travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (ci-après: Directive 98/49), à laquelle renvoie le ch. 5 section A de l’annexe II ALCP (ATF 140 II 364 consid. 4.3 et les références; 137 V 181 consid. 2.1; Basile Cardinaux, in Commentaire bâlois, Berufliche Vorsorge, 2021, n° 18 ad art. 89a LPP; ROLAND MÜLLER/ Gertrud Bollier, in LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 18 ad Rem. prél. art. 89a-89d LPP). Cette directive n’a toutefois pas de portée plus large que l’art. 2 ALCP en matière de non-discrimination. De plus, il n’y a pas lieu de revenir sur la qualification, admise par la juridiction cantonale et non contestée, du rachat en cause comme avantage fiscal et social au sens de l’art. 9 par. 2 annexe I ALCP.

Consid. 6.2 [résumé]
Conformément à l’analyse des juges cantonaux, l’art. 60b al. 1 OPP 2 est une norme à caractère fiscal. Selon l’OFAS, son objectif est de prévenir les utilisations abusives des rachats à des fins fiscales et non pour améliorer la prévoyance professionnelle, le législateur ayant confié au Conseil fédéral la mission d’adopter une telle disposition après la suppression de l’art. 79a aLPP. L’OFAS considère par ailleurs que la règle respecte l’égalité de traitement internationale, puisqu’elle s’applique indifféremment aux ressortissants suisses et étrangers (Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 83 du 16 juin 2005, ch. 484, p. 22). L’assuré fait toutefois valoir qu’elle entraîne, dans son cas, une discrimination indirecte au sens de l’ALCP, grief qu’il convient d’examiner.

Consid. 6.2.1
Selon la jurisprudence, le principe de non-discrimination déduit de l’art. 2 ALCP (ainsi que des art. 9 al. 2 et 15 al. 2 annexe I ALCP) prohibe non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité (discriminations directes), mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (discriminations indirectes). Dans le domaine de la fiscalité directe, qui relève de leur compétence, les États doivent ainsi s’abstenir de toute discrimination ostensible ou déguisée fondée sur la nationalité (ATF 140 II 141 consid. 7.1.1 et les références; arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne [CJUE] – précédemment Cour de justice des Communautés européennes [CJCE] – du 30 mai 2024 C-627/22 Finanzamt Köln-Süd, point 83).

Consid. 6.2.2
En l’occurrence, l’application de l’art. 60b al. 1 OPP 2 à l’assuré constitue une différence de traitement avec quiconque est déjà établi en Suisse et qui est affilié à une institution de prévoyance de par son activité lucrative. En effet, ainsi que l’a constaté de manière pertinente la cour cantonale, s’il est vrai que cette disposition s’applique indistinctement aux ressortissants suisses et étrangers, il n’en demeure pas moins qu’en pratique, les ressortissants européens arrivant en Suisse où ils s’établissent n’ont, pour la plupart d’entre eux, jamais été affiliés à une institution de prévoyance en Suisse. L’assuré subit donc, dans les faits, une différence de traitement par rapport à une personne habitant en Suisse, qui a déjà en principe préalablement cotisé à la prévoyance professionnelle. À la différence de la situation de cette personne, l’assuré est limité dans ses possibilités de rachats d’années d’assurance pendant les cinq années suivant son entrée dans l’institution de prévoyance suisse. Il ne peut donc pas pleinement bénéficier des avantages fiscaux liés à la déduction des cotisations de la prévoyance professionnelle dans la même mesure qu’une personne habitant en Suisse et qui est affiliée à une institution de prévoyance. En effet, puisque les primes, cotisations et montants légaux, statutaires ou réglementaires versés à des institutions de la prévoyance professionnelle sont déductibles du revenu (cf. art. 33 al. 1 let. d LIFD [RS 642.11] et 9 al. 2 let. d LHID [RS 642.14]), l’assuré subit dans le contexte de la prévoyance professionnelle un désavantage de trésorerie en raison de la limitation prévue par l’art. 60b al. 1 OPP 2. Partant, la réglementation en cause est de nature à le dissuader de faire effectivement usage de son droit de circulation tiré de l’ALCP.

Consid. 7
Puisque la réglementation prévue par l’art. 60b al. 1 OPP 2est susceptible d’induire une discrimination (indirecte), il convient maintenant d’examiner si celle-ci peut être justifiée en application de l’art. 21 par. 3 ALCP (étant précisé que l’éventualité de l’art. 21 par. 2 ALCP n’entre pas en considération). On rappellera que cette disposition permet aux parties contractantes d’adopter ou appliquer une mesure destinée à assurer l’imposition, le paiement et le recouvrement effectif des impôts ou à éviter l’évasion fiscale, sans qu’on puisse leur opposer notamment le principe de non discrimination prévu par l’ALCP (consid. 3.2.2 supra).

Consid. 7.1.1
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’art. 21 par. 3 ALCP ne contient pas de notions de droit communautaire, de sorte qu’il convient d’interpréter cette disposition selon l’art. 31 al. 1 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (CV; 0.111; cf. ATF 140 II 167 consid. 5.5.2). Outre les mesures visant à lutter contre l’évasion fiscale, le Tribunal fédéral a jugé que l’art. 21 par. 3 ALCP permettait de justifier une inégalité de traitement par une législation visant à garantir la « cohérence du système » (« Systemkohärenz »; ATF 140 II 167 consid. 4.1 et 5.5.3).

Quand bien même les motifs justificatifs figurant à l’art. 21 par. 3 ALCP ne se recoupent pas avec ceux développés par la CJUE dans sa jurisprudence relative à la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Union, celle-ci a néanmoins considéré que les mesures de l’art. 21 par. 3 ALCP correspondaient aux « raisons impérieuses d’intérêt général » (arrêts de la CJUE du 30 mai 2024 C-627/22 Finanzamt Köln-Süd, point 104 et du 26 février 2019 C-581/17 Wächtler, point 63; qui peuvent être pris en considération dans le but d’assurer une situation juridique parallèle entre les États membres de l’Union européenne, d’une part, et entre ceux-ci et la Suisse, d’autre part [« Beachtungsgebot »; cf. ATF 149 I 248 consid. 6.7 et les références; arrêt 2C_162/2024 du 30 janvier 2025 consid. 5.2 et les références]). À titre d’exemple, constituent une « raison impérieuse d’intérêt général » qui justifie une entrave à la libre circulation la sauvegarde de la cohérence des systèmes fiscaux, ainsi que la volonté d’exclure d’un avantage fiscal les montages purement artificiels (soit d’exclure les cas d’évasion fiscale; cf. ALEXANDRE MAITROT DE LA MOTTE, Droit fiscal de l’Union européenne, 3e éd. 2022, n° 174 p. 305). De telles mesures doivent, en tout état de cause, respecter le principe de proportionnalité, à savoir qu’elles doivent être propres à réaliser les objectifs (de la législation nationale en cause) et qu’elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (arrêt de la CJUE du 30 mai 2024 C-627/22 Finanzamt Köln-Süd, point 104; arrêt de la CJUE du 26 février 2019 C-581/17 Wächtler, point 63).

Consid. 7.1.2
En définitive, on constate que l’art. 21 par. 3 ALCP permet à un État contractant de justifier une discrimination par des mesures qui visent soit à garantir la cohérence du système fiscal, soit à éviter l’évasion fiscale. Il convient dès lors d’examiner si l’art. 60b al. 1 OPP 2 s’inscrit dans ce cadre.

Consid. 7.2.1
En ce qui concerne la justification fondée sur le risque d’évasion fiscale, on rappellera que la CJCE a considéré que le caractère entravant (aux libertés de circulations) de certaines législations fiscales nationales destinées à lutter contre la fraude fiscale internationale pouvait être justifié par la volonté de mettre en échec « les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la loi fiscale » d’un État membre (cf. arrêt de la CJCE du 16 juillet 1988 C-264/96 Imperial Chemical Industries / Colmer, Rec. p. I-4695, point 26; ALEXANDRE MAITROT DE LA MOTTE, op. cit, n° 176 p. 307). La CJUE a précisé dans sa jurisprudence ultérieure qu’il n’était cependant possible de justifier l’entrave d’une liberté de circulation en lien avec l’existence de tels montages qu’à la condition qu »‘ils soient dépourvus de réalité économique » et qu’ils poursuivent « le but d’éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des activités réalisées sur le territoire national » (arrêt de la CJUE du 12 septembre 2006 C-196/04 Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, Rec. p. I-7995 point 55). Partant, la justification ne vaut que pour autant que la réglementation d’un État membre vise uniquement à éviter les montages purement artificiels (ALEXANDRE MAITROT DE LA MOTTE, op. cit., n° 176 p. 309).

Consid. 7.2.2
Dans le contexte de l’évasion fiscale, il paraît utile de rappeler qu’en droit interne suisse, le Tribunal fédéral considère que, dans le cadre des rachats dans la prévoyance professionnelle, l’utilisation du 2e pilier comme « compte-courant fiscalement avantageux » peut typiquement constituer un cas d’évasion fiscale (cf. ATF 142 II 399 consid. 3.3.4; arrêt 9C_206/2024 du 30 janvier 2025 consid. 3.4 et les références).

Consid. 7.2.3
À la lumière des développements précédents sur l’art. 21 par. 3 ALCP, l’avis de la juridiction cantonale selon lequel l’art. 60b al. 1 OPP 2 fait partie des instruments fiscaux réservés par l’art. 21 par. 3 ALCP en tant qu’il vise à lutter contre l’optimisation fiscale abusive peut être suivi dans son principe (cf. également JACQUES-ANDRÉ SCHNEIDER/NICOLAS MERLINO/DIDIER MANGE, in LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 88 ad art. 79b al. 2 LPP; HANS-PETER CONRAD/PETER LANG, in Commentaire bâlois, Berufliche Vorsorge, 2021, n° 32 ad art. 79b LPP). Il n’est en effet pas exclu que l’institution du 2e pilier soit utilisée comme un « compte-courant fiscalement avantageux » dans une constellation telle que celle du cas d’espèce.

Cela étant, et dans la mesure où l’art. 21 par. 3 ALCP exigerait que les mesures prévues par le droit national respectent le principe de proportionnalité (ce qui a été reconnu par la CJUE, supra consid. 7.1.1; sur cette question sous l’angle du droit suisse, STEFAN OESTERHELT/MORITZ SEILER, in Internationales Steuerrecht der Schweiz, 2e éd. 2023, p. 709), on peut toutefois douter que la limitation prévue par l’art. 60b al. 1 OPP 2 respecte un tel principe sous l’angle de la lutte contre l’évasion fiscale. En effet, on ne saurait retenir que cette disposition s’appliquerait surtout à des cas dans lesquels un ressortissant de l’Union européenne, qui vient s’établir en Suisse, procède à des rachats de la prévoyance professionnelle dans le seul but d’éluder l’impôt. Il n’est en effet pas exclu qu’un tel ressortissant souhaite effectuer des rachats en vue d’améliorer sa prévoyance professionnelle ou de procéder à des rattrapages de cotisation qui soient en adéquation avec son salaire en Suisse, sans penser à un départ à relativement court terme, et qui donc, seraient économiquement justifiés. En d’autres termes, la limitation posée par la disposition en cause de l’OPP 2, bien qu’elle puisse s’appliquer aux cas d’évasion fiscale, a pour vocation à régir toutes les situations dans lesquelles une personne venant de l’étranger vient s’établir en Suisse et procède à des versements dans la prévoyance professionnelle qui peuvent se justifier pour des raisons d’amélioration d’une telle prévoyance. Dans cette mesure et en s’appliquant de manière indifférenciée aux cas d’évasion fiscale et aux situations ne présentant pas une telle composante (soit celle du cas de rachats effectués dans le but d’amélioration de la prévoyance professionnelle et qui sont économiquement justifiés), l’art. 60b al. 1 OPP 2 ne vise pas uniquement les situations dans lesquelles les conditions pour admettre une évasion fiscale seraient réunies. À cet égard, une partie de la doctrine considère que l’art. 60b OPP 2 constitue une mesure disproportionnée au regard de l’art. 21 par. 3 ALCP (BASILE CARDINAUX, Das Personenfreizügigkeitsabkommen und die schweizerische berufliche Vorsorge, 2008, p. 564). Toutefois, tant la question de savoir si une mesure au sens de l’art. 21 par. 3 ALCP doit respecter l’exigence de proportionnalité que le point de savoir si l’art. 60b al. 1 OPP 2 respecte effectivement ce principe dans le cas d’espèce peuvent souffrir de demeurer indécis, vu ce qui suit.

Consid. 7.3.1 [résumé]
Tant selon la jurisprudence du Tribunal fédéral que selon celle de la CJUE (supra consid. 7.1), la cohérence du système fiscal peut être invoquée afin de justifier une différence de traitement interdite, en principe, par l’art. 9 par. 2 de l’annexe I de l’ALCP. Encore faut-il, selon la CJUE, pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse être admis, que l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé soit établie (arrêt de la CJUE du 30 mai 2024 C-627/22 Finanzamt Köln-Süd, point 108).

Une telle justification a été reconnue dans l’affaire Commission c. Belgique, où la CJCE a jugé conforme au droit communautaire une législation belge conditionnant la déductibilité des cotisations d’assurance complémentaire au versement de celles-ci à des assureurs établis en Belgique. La CJCE a considéré que la déduction de ces primes était liée à l’imposition future des prestations servies, de telle sorte que la cohérence du régime fiscal belge devait être sauvegardée (arrêt de la CJCE du 28 janvier 1992 C-300/90 Commission / Belgique, Rec. 1992 I p. 305 point 21).

Consid. 7.3.2.1 [résumé]
Sous l’angle du système fiscal suisse, l’art. 33 al. 1 let. d LIFD permet de déduire les cotisations versées aux institutions de prévoyance alors que l’art. 22 al. 1 LIFD rend imposables toutes les prestations de prévoyance, y compris les prestations en capital. Toutefois, l’art. 38 al. 3 LIFD prévoit un taux privilégié pour ces prestations en capital, celles-ci étant imposées séparément et soumises à un impôt annuel entier calculé sur la base du taux représentant le cinquième des barèmes ordinaires inscrits à l’art. 36 LIFD (ATF 145 II 2 consid. 4.1).

Ainsi, en l’absence d’élément d’extranéité, la perte fiscale due aux déductions (cf. art. 33 al. 1 let. d LIFD) est compensée, même partiellement, par l’imposition des prestations futures. Le régime est analogue aux niveaux cantonal et communal (art. 9 al. 2 let. d et 11 al. 3 LHID).

Consid. 7.3.2.2 [résumé]
En revanche, dans un cas présentant un élément d’extranéité, soit par exemple celui d’un ressortissant français établi en Suisse, qui quitte ce pays et se fait verser sa prestation de libre passage, la situation se présente de manière différente.

Conformément à l’art. 96 al. 1 LIFD, les prestations restent imposables même si le bénéficiaire est à l’étranger. Toutefois l’art. 20 par. 1 de la Convention franco-suisse du 9 septembre 1966 en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (CDI CH-FR; RS 0.672.934.91) confère le droit exclusif d’imposition à l’État de résidence. Il découle donc de cette disposition conventionnelle et de l’effet négatif des conventions de double imposition (sur ce principe, cf. ATF 143 II 65 consid. 3.5) que le droit d’imposer les prestations de libre passage en cas de départ à l’étranger d’un ressortissant français ayant travaillé en Suisse, puis retournant s’établir en France, revient exclusivement à la France (comp. ATF 143 II 65 consid. 3.1; arrêt 2C_436/2011 du 13 décembre 2011 consid. 2.4 et 4.1.2).

Même si un impôt à la source est retenu en Suisse, il est restitué, sans intérêt, sur requête du contribuable dans les trois ans dès l’échéance de la prestation et de la production d’une attestation de l’État de domicile confirmant qu’il a connaissance du versement de la prestation (cf. art. 19 de l’ordonnance du 11 avril 2018 du DFF sur l’imposition à la source dans le cadre de l’impôt fédéral direct [OIS; RS 642.118.2]). Nonobstant cette procédure, le droit d’imposer le capital de libre passage revient uniquement à la France. Un système similaire existe en droit cantonal genevois s’agissant des impôts cantonal et communal.

Consid. 7.3.3
Compte tenu du système fiscal décrit ci-avant, on constate qu’en l’absence du mécanisme de limitation prévu par l’art. 60b al. 1 OPP 2, l’assuré, ou toute autre personne arrivée de l’étranger bénéficiant d’un revenu élevé et travaillant en Suisse où elle est domiciliée, aurait la possibilité de réduire son revenu imposable de manière non négligeable par l’affectation d’une partie de celui-ci au rachat d’années de prévoyance. Ainsi, l’assuré pourrait affecter une partie du montant de ses revenus s’élevant à 860’040 fr. au rachat d’années de prévoyance (soit de 250’000 fr. projeté en 2022). Or, si par hypothèse l’assuré devait retourner s’établir en France avant le délai de cinq ans suivant son arrivée en Suisse, il lui serait possible de déduire entièrement les cotisations de ses revenus, sans toutefois que les avoirs de libre passage ne puissent être soumis à la souveraineté fiscale suisse lors du départ. Dès lors, l’art. 60b al. 1 OPP 2 permet de préserver (du moins partiellement) la cohérence du système fiscal en conservant une forme d’équilibre entre la déduction de cotisations permise dans une certaine mesure et l’imposition de l’assuré durant son séjour en Suisse. Par ailleurs, la durée de cinq ans telle que choisie par l’auteur de l’ordonnance est admissible, de même que le plafond (20 % du salaire assuré), afin de ménager l’équilibre du système fiscal entre les déductions permises et l’imposition d’un contribuable. Sous cet angle, le principe de la proportionnalité, dût-il être applicable, serait respecté.

Consid. 7.4
Il découle de ce qui précède que, contrairement à ce que prétend l’assuré, l’inégalité de traitement résultant de l’application de l’art. 60b al. 1 OPP 2 à sa situation est justifiée en application de l’art. 21 par. 3 ALCP, en tant que le mécanisme prévu par la disposition de l’ordonnance vise à garantir la cohérence du système fiscal. Partant, il n’y a pas besoin d’examiner le grief lié à la possibilité d’introduire des mesures moins incisives qui selon lui seraient possibles (soit la production de preuves liées à la constitution de sa prévoyance professionnelle en France), puisqu’un tel grief se réfère à une autre justification encore fondée sur l’art. 21 par. 3 ALCP, soit celle des « contrôles fiscaux efficaces ».

En définitive, la juridiction cantonale a rejeté à bon droit la demande du 13 septembre 2022. Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_430/2023 consultable ici

 

 

 

9C_526/2024 (f) du 03.07.2025 – Allocation pour impotent pour mineurs atteints de diabète – Notion de surveillance personnelle régulière, permanente et intense

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_526/2024 (f) du 03.07.2025

 

Consultable ici

 

Allocation pour impotent pour mineurs atteints de diabète / 9 LPGA – 42 LAI – 42bis LAI

Notion de surveillance personnelle régulière, permanente et intense / 37 RAI

 

Résumé
Un enfant né en 2017 et atteint d’un diabète de type 1 avait obtenu en instance cantonale une allocation pour impotent de degré faible au motif qu’il nécessitait une surveillance personnelle permanente. Le Tribunal fédéral a annulé cette décision, considérant que les besoins de surveillance de l’enfant, âgé de moins de six ans, ne dépassaient pas ceux d’un enfant en bonne santé du même âge. Le besoin de surveillance est certes régulier mais non pas permanent et intense et ne justifie pas la reconnaissance d’une impotence. Le recours de l’OFAS a ainsi été admis.

 

Faits
Assuré, né en 2017, est atteint d’un diabète de type 1 diagnostiqué en octobre 2021. En novembre 2022, par l’intermédiaire de ses parents, il a présenté une demande d’allocation pour impotent. Après avoir notamment diligenté une enquête à domicile (rapport du 5 juillet 2023 et complément du 22 août 2023), l’office AI a rejeté la demande (décision du 22 septembre 2023).

 

Procédure cantonale

Par jugement du 19.08.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision en ce sens que l’assuré a droit à une allocation pour impotent de degré faible depuis le 01.10.2022.

 

TF

Consid. 3.3
L’arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs notamment à la notion d’impotence (art. 9 LPGA), aux conditions du droit à une allocation pour (mineur) impotent (art. 42 al. 1 à 3 et 42bis LAI), aux critères d’évaluation de l’impotence (art. 37 RAI) et à la notion de surveillance personnelle permanente (art. 37 al. 2 let. b et al. 3 let. b RAI; arrêts 8C_393/2021 du 13 octobre 2021 consid. 3.2.2; 9C_831/2017 du 3 avril 2018 consid. 3.1). Il rappelle aussi la jurisprudence concernant le niveau de vraisemblance que doit atteindre un fait pour être considéré comme établi (ATF 139 V 176 consid. 5.3 et les arrêts cités), ainsi que les règles applicables à la valeur probante des rapports d’enquête pour l’évaluation du degré d’impotence (art. 69 al. 2 RAI; ATF 130 V 61 consid. 6; 128 V 93) et à la libre appréciation des preuves (art. 61 let. c LPGA).

Consid. 3.4
L’interprétation et l’application correctes de la notion juridique de l’impotence, ainsi que les exigences relatives à la valeur probante de rapports d’enquête au domicile de l’assuré relèvent de questions de droit, que le Tribunal fédéral examine librement (art. 95 let. a LTF). Est en revanche une question de fait, soumise au Tribunal fédéral sous un angle restreint, celle de savoir si les éléments constitutifs d’une surveillance personnelle permanente au sens de la loi et de la jurisprudence sont réalisés dans un cas concret (arrêts 8C_393/2021 précité consid. 3.3; 9C_831/2017 précité consid. 1.2 et les arrêts cités).

Consid. 4.1 [résumé]
Les juges cantonaux ont admis l’existence d’un besoin de surveillance personnelle permanente au sens de l’art. 37 al. 3 let. b et al. 4 RAI, en se fondant notamment sur le rapport médical du 6 août 2023 et en se référant à l’arrêt 9C_825/2014 du 23 juin 2015 consid. 4.4.1. L’instance cantonale a retenu, sur la base de l’avis de la médecin traitante, que la surveillance assurée par les parents visait à prévenir des hypoglycémies ou hyperglycémies pouvant entraîner des séquelles graves, voire mettre sa vie en danger, de sorte que son intensité et son caractère permanent devaient être admis, même chez un enfant de moins de 6 ans. Elle a dès lors reconnu le droit de l’assuré à une allocation pour impotent de degré faible dès le 1er octobre 2022, date correspondant à un an après le diagnostic (art. 42 al. 4 LAI).

Consid. 4.2
L’OFAS recourant reproche aux juges précédents d’avoir violé le droit fédéral (art. 42 al. 4 LAI, art. 37 al. 3 let. b et al. 4 RAI) en retenant que l’assuré nécessite une surveillance personnelle permanente. Il fait en substance valoir que le besoin de surveillance que requièrent les enfants atteints de diabète de type 1 ne peut pas être qualifié de permanent ou de suffisamment intensif pour admettre la nécessité d’une surveillance personnelle permanente au sens de l’art. 37 al. 3 let. b RAI.

Consid. 5.1
Sous l’intitulé « Recommandations relatives à l’évaluation de l’impotence déterminante pour les mineurs », l’annexe II de la Circulaire sur l’impotence de l’OFAS (CSI), dans sa teneur valable à partir du 1er janvier 2022, état au 1er juillet 2023 (compte tenu de la date de la décision administrative litigieuse [du 22 septembre 2023]; cf. consid. 5.3 infra), prévoit qu’avant l’âge de 6 ans, une surveillance personnelle ne peut en général pas être prise en considération. Mais en fonction de la situation et du degré de gravité, un besoin de surveillance peut être reconnu pour les enfants dès 4 ans lorsqu’ils sont sujets à des crises d’épilepsie impossibles à prévenir par médication ou qu’ils présentent un autisme infantile. En cas de risque d’étouffement suite à de fréquents vomissements, il faut prendre en compte une surveillance dès le début. En cas de problèmes respiratoires, la surveillance n’est pas forcément nécessaire (elle dépend du degré de gravité et de l’applicabilité de mesures non personnelles, comme la surveillance par moniteur, etc.).

Consid. 5.2
Le 31 juillet 2024, l’OFAS a publié une Lettre-circulaire n° 443 relative à l’allocation pour impotent pour mineurs atteints de diabète. Selon le ch. 4 de cette circulaire, portant le titre marginal « Surveillance », « [a]vant 6 ans, l’enfant doit de toute façon être surveillé, même s’il est en bonne santé. Le contrôle régulier de la glycémie relève des mesures de soins et non de la surveillance. Les enfants diabétiques se comportent comme les autres enfants de leur âge, et ont la même perception du danger. Ils comprennent et peuvent suivre les instructions et les ordres. Bien que les parents doivent constamment garder un oeil sur la glycémie de leur enfant pour pouvoir réagir si nécessaire (par ex. en lui donnant des aliments appropriés ou de l’insuline supplémentaire), les enfants atteints de diabète peuvent régulièrement s’éloigner de la supervision de leurs parents, aller à l’école ou pratiquer des loisirs avec leurs amis (par ex. jouer dehors, jouer au foot). Même si les parents veilleront à ce qu’en règle générale, quelqu’un soit présent pour reconnaître les symptômes d’une hypoglycémie et réagir en conséquence, cela ne signifie pas qu’ils ne peuvent jamais quitter les enfants des yeux, ne serait-ce que pour quelques minutes. Il y a donc un certain besoin de surveillance, mais celui-ci n’est pas permanent (‘intensif’) au sens de l’art. 37, al. 3, let. b, RAI. Par ‘surveillance personnelle permanente’, on entend l’observation constante d’un assuré, qui ne saurait être interrompue plus de quelques minutes ici et là sans que cela ne cause de danger important pour la vie de l’assuré ou pour des tiers. Les enfants atteints de diabète n’ont pas besoin d’une surveillance aussi intense. […]. En vertu de l’obligation de réduire le dommage, il convient également de prendre en compte les moyens auxiliaires numériques qui permettent de réduire le besoin de présence des parents (par ex. applications pour smartphone indiquant simplement et rapidement les valeurs pertinentes). Dans de rares cas (à partir de 6 ans), un besoin de surveillance peut être reconnu si le diabète est très instable et qu’un état comateux risquait à tout moment de survenir sans signe annonciateur ».

Consid. 5.3
Bien que les directives administratives ne lient en principe pas le juge, celui-ci est néanmoins tenu de les considérer dans son jugement, pour autant qu’elles permettent une interprétation des normes juridiques qui soit adaptée au cas d’espèce et équitable. Ainsi, si les directives administratives constituent une concrétisation convaincante des dispositions légales, le tribunal ne s’en départit pas sans motif pertinent. Dans cette mesure, il prend en considération le but de l’administration tendant à garantir une application égale du droit (ATF 148 V 102 consid. 4.2; 146 V 224 consid. 4.4. et l’arrêt cité). En principe, il convient de tenir compte de la version qui était à la disposition de l’autorité de décision au moment de la décision (et qui a déployé un effet contraignant à son égard), soit en l’occurrence, de l’annexe II de la CSI, dans sa teneur valable à partir du 1er janvier 2022, état au 1er juillet 2023 (au vu de la date de la décision administrative litigieuse [du 22 septembre 2023]); des compléments ultérieurs peuvent éventuellement être pris en compte, notamment s’ils permettent de tirer des conclusions sur une pratique administrative déjà appliquée auparavant (cf. ATF 147 V 278 consid. 2.2 et les références), comme c’est le cas de la Lettre-circulaire n° 443 du 31 juillet 2024 relative à l’allocation pour impotent pour mineurs atteints de diabète.

Consid. 6
L’appréciation de la juridiction cantonale, qui a admis que l’assuré, âgé d’un peu plus de 5 ans au moment de la décision administrative litigieuse, requérait une surveillance personnelle permanente accrue au sens de l’art. 37 al. 3 let. b et al. 4 RAI, ne peut pas être suivie, pour les raisons qui suivent.

Consid. 6.1
On rappellera qu’en vertu de l’art. 37 al. 4 RAI, l’impotence des mineurs doit être évaluée en prenant en considération uniquement le surcroît d’aide et de surveillance que le mineur handicapé nécessite par rapport à un mineur du même âge et en bonne santé. Conformément à l’annexe II de la CSI (qui a succédé à l’annexe 3 de la Circulaire sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité [CIIAI] établie par l’OFAS avec effet au 1er janvier 2022), une surveillance personnelle ne doit en règle générale pas être prise en considération avant l’âge de six ans, l’OFAS [recourant] insistant à cet égard sur le fait que tous les enfants ont besoin d’une surveillance importante avant cet âge. En fonction de la situation et du degré de gravité, un besoin de surveillance peut cependant être reconnu déjà avant l’âge de six ans, notamment si l’enfant présente un autisme infantile (arrêt 8C_158/2008 du 15 octobre 2008 consid. 5.2.2 et les références; cf. aussi consid. 5.1 supra).

Consid. 6.2
Certes, dans l’arrêt 8C_195/2023 du 5 mars 2024 consid. 5.2.2, le Tribunal fédéral a laissé ouverte la question de savoir si un besoin de surveillance personnelle peut également être reconnu dès l’âge de quatre ans pour les enfants atteints de diabète sucré de type 1, en fonction de la situation et du degré de surveillance, par analogie avec la situation des enfants sujets à des crises d’épilepsie. Dans le cas jugé à l’époque, les contrôles réguliers de la glycémie ne dépassaient en effet pas de manière significative le niveau habituel de surveillance d’un enfant de trois ou cinq ans, selon les constatations de l’instance précédente qui liaient le Tribunal fédéral (« bindende Feststellungen »). Tel est également le cas en l’espèce. En effet, selon les constatations de l’enquêtrice, l’assuré requiert une surveillance en adéquation avec son âge; l’enquêtrice a précisé à cet égard que l’enfant suit une scolarité normale et va à l’accueil parascolaire, qu’il peut jouer seul dans une pièce et que sa glycémie est 73% du temps dans la cible. On ne saurait en déduire que les contrôles réguliers de la glycémie dépasseraient de manière significative le niveau habituel de surveillance d’un enfant de moins de six ans, ce d’autant plus que la pédiatre traitante ne l’a pas indiqué; dans son rapport du 6 août 2023, la médecin traitante a fixé le nombre de contrôles de la glycémie recommandés à plus de quatre par jour. Par ailleurs, il n’apparaît pas non plus que l’assuré souffrirait d’autres troubles susceptibles de nécessiter un besoin de surveillance personnelle plus élevé par rapport à un enfant en bonne santé du même âge (déficience intellectuelle ou cognitive, par exemple). Dans ce contexte, on rappellera que selon la jurisprudence, pour admettre la nécessité d’une surveillance personnelle permanente au sens de l’art. 37 al. 2 let. b et al. 3 let. b RAI, il faut qu’en raison de son état de santé sur le plan physique, psychique ou mental, l’assuré ne puisse pas être laissé seul toute la journée en raison de défaillances mentales, ou un tiers doive être présent toute la journée, sauf pendant de brèves interruptions (arrêt 9C_831/2017 précité consid. 3.1 et les arrêts cités).

Quant au fait que l’assuré ne peut pas être laissé seul la nuit, sous peine d’être en danger, il ne permet pas de parvenir à une autre conclusion. Comme le fait valoir l’OFAS, tous les enfants, en particulier quand ils sont âgés de moins de six ans, ne peuvent pas être laissés seuls la nuit. De plus, selon la jurisprudence, des contrôles et des interventions nécessaires plusieurs nuits par semaine ne suffisent pas pour admettre qu’un enfant souffrant de diabète de type 1 nécessite un besoin de surveillance permanente (cf. arrêt 8C_719/2022 du 5 mars 2024 consid. 6.6). Or à cet égard, les parents de l’assuré ont rapporté à l’enquêtrice devoir intervenir seulement de manière irrégulière de nuit (entre 1 et 3 fois pendant une nuit, puis plus pendant 2 à 4 nuits, puis 2 nuits de suite, puis plus, etc.).

Consid. 6.3
Par ailleurs, si la pédiatre traitante a indiqué qu’un enfant sans surveillance et en proie à une hyper- ou hypoglycémie se mettrait selon toute probabilité en danger, si bien qu’il doit être sous une surveillance personnelle accrue, permanente et perpétuelle, ses explications doivent être nuancées au regard du considérant précédent. La pédiatre traitante a exposé des considérations d’ordre général, transposables à la situation de tout enfant diabétique. Dans son rapport du 6 août 2023, elle ne s’est en effet pas concrètement référée au cas de l’assuré, lorsqu’elle a exposé qu’un enfant diabétique ne peut pas se prendre en charge de manière autonome et fiable avant l’âge de 12 ans environ (étant donné la capacité de calcul, de discipline et de prévoyance exigée par cette discipline), si bien que la présence constante d’un adulte (parents, professeur ou maman de jour) ayant été sensibilisé à cette pathologie et au comportement à adopter en cas de complication aiguë est indispensable pour assurer un équilibre glycémique et intervenir de manière adéquate en cas d’urgence.

En l’occurrence, si l’enquêtrice a admis l’existence d’un danger lorsque la glycémie de l’assuré n’est pas dans la cible, faisant état d’hyperglycémies susceptibles de se révéler délétères à long terme pour les organes vitaux, elle a cependant nié la nécessité d’une surveillance personnelle permanente. Elle a en particulier exposé que la glycémie était 73% du temps dans la cible et que durant les 27% du temps restants, l’enfant était plus souvent en hyperglycémie qu’en hypoglycémie, ce qui ne représentait pas un risque vital immédiat. L’enquêtrice a également expliqué que l’assuré dispose de moyens auxiliaires, notamment d’un capteur à glycémie et qu’il porte une pompe à insuline, qui sont reliés à une application pour smartphone et permettent de fournir en direct le taux de sucre dans le sang et d’émettre un signal lorsque la glycémie s’élève au-delà ou s’abaisse en-deçà de la cible, respectivement d’adapter la dose d’insuline injectée, d’où une diminution du risque de mise en danger pour l’enfant et du besoin de présence des parents. Le point de vue de l’enquêtrice n’est du reste pas contredit par l’avis de la pédiatre traitante, qui a en effet indiqué que son patient sait quand il est dans des valeurs hors cible et comment réagir. Au demeurant, lorsque l’assuré présente des hypoglycémies, elles sont le plus souvent sans gravité et remontent rapidement. Ces éléments confirment un besoin de surveillance certes régulier mais non pas permanent et intense, comme le fait valoir l’OFAS. Ils n’établissent par ailleurs pas, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’enfant courrait un danger important pour sa vie s’il était laissé sans surveillance durant quelques minutes.

Consid. 6.4
Quant aux interventions effectuées en cas d’urgence (augmentation de la dose d’insuline ou remise en place du cathéter, notamment), elles ont déjà été prises en compte dans le cadre de l’évaluation des besoins en soins de l’enfant, si bien qu’il n’y a pas lieu d’en tenir compte lorsqu’il s’agit d’évaluer le besoin de surveillance (arrêt 9C_831/2017 précité consid. 3.1).

Consid. 7
En définitive, en reconnaissant le droit de l’assuré à une allocation pour impotent de degré faible depuis le 01.10.2022, les juges cantonaux ont violé le droit fédéral. Ils ont en effet méconnu la notion de surveillance personnelle permanente au sens de l’art. 37 al. 3 let. b RAI. Le recours est bien fondé.

 

Le TF admet le recours de l’OFAS.

 

Arrêt 9C_526/2024 consultable ici

 

9C_221/2025 (f) du 23.06.2025 – Allocation pour impotent / Actes «se vêtir/se dévêtir», «faire sa toilette», «se déplacer à l’intérieur ou à l’extérieur, établir des contacts» et besoin d’un accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie niés

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_221/2025 (f) du 23.06.2025

 

Consultable ici

 

Allocation pour impotent / 9 LPGA – 42 LAI – 37 RAI

Actes «se vêtir/se dévêtir», «faire sa toilette», «se déplacer à l’intérieur ou à l’extérieur, établir des contacts» et besoin d’un accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie niés

 

Résumé
Assuré au bénéfice d’une rente entière depuis le 01.11.2019, a demandé une allocation pour impotent. Après enquête à domicile (rapport relevant l’aide régulière et importante d’autrui pour accomplir un acte ordinaire de la vie, soit celui de manger), l’office AI a rejeté la demande. Tant dans la procédure cantonale que fédérale, il n’a pas été établi un besoin d’aide régulier et important pour «se vêtir/se dévêtir», «faire sa toilette» ou «se déplacer/établir des contacts», ni la nécessité d’un accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie. Selon le Tribunal fédéral, les constatations médicales et factuelles n’ont pas été jugées arbitraires et le grief de défaut de motivation a été écarté.

 

Faits
Assuré, né en 1970, a perçu une rente entière de l’assurance-invalidité du 01.08.2014 au 31.03. 2016. Il bénéficie à nouveau d’une rente entière depuis le 01.11.2019.

Le 16.08.2022, l’assuré a déposé une demande d’allocation pour impotent. L’office AI a notamment mis en oeuvre une enquête au domicile de l’assuré le 02.11.2023. Dans un rapport du 20.11.2023, l’enquêtrice a constaté que l’assuré avait besoin d’une aide régulière et importante d’autrui pour accomplir un acte ordinaire de la vie, soit celui de manger. Par décision du 21.02.2024, l’office AI a rejeté la demande d’allocation pour impotent.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 94/24 – 82/2025 – consultable ici)

Par jugement du 20.03.2025, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
L’impotence est moyenne si l’assuré, même avec des moyens auxiliaires, a besoin d’une aide régulière et importante d’autrui pour accomplir la plupart des actes ordinaires de la vie, d’une aide régulière et importante d’autrui pour accomplir au moins deux actes ordinaires de la vie et nécessite, en outre, une surveillance personnelle permanente, ou d’une aide régulière et importante d’autrui pour accomplir au moins deux actes ordinaires de la vie et nécessite, en outre, un accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie au sens de l’art. 38 RAI (art. 37 al. 2 let. a à c RAI). Selon cette disposition, ce besoin existe lorsque la personne assurée ne peut pas en raison d’une atteinte à la santé vivre de manière indépendante sans l’accompagnement d’une tierce personne, faire face aux nécessités de la vie et établir des contacts sociaux sans l’accompagnement d’une tierce personne, ou éviter un risque important de s’isoler durablement du monde extérieur (art. 38 al. 1 let. a à c RAI).

Dans la première éventualité, l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie doit permettre à la personne concernée de gérer elle-même sa vie quotidienne. Il intervient lorsque la personne nécessite de l’aide pour au moins l’une des activités suivantes: structurer la journée, faire face aux situations qui se présentent tous les jours (p. ex. problèmes de voisinage, questions de santé, d’alimentation et d’hygiène, activités administratives simples) et tenir son ménage (aide directe ou indirecte d’un tiers; ATF 133 V 450 consid. 10). Dans la deuxième éventualité (accompagnement pour les activités hors du domicile), l’accompagnement pour faire face aux nécessités de la vie doit permettre à la personne assurée de quitter son domicile pour certaines activités ou rendez-vous nécessaires, tels les achats, les loisirs ou les contacts avec les services officiels, le personnel médical ou le coiffeur. Dans la troisième éventualité, l’accompagnement en cause doit prévenir le risque d’isolement durable ainsi que de la perte de contacts sociaux et, par là, la péjoration subséquente de l’état de santé de la personne assurée (arrêt 9C_308/2022 du 28 mars 2023 consid. 3.3 et la référence).

Consid. 2.3
La nécessité de l’aide apportée par une tierce personne doit être examinée de manière objective, selon l’état de santé de la personne assurée, indépendamment de l’environnement dans lequel celle-ci se trouve; seul importe le point de savoir si, dans la situation où elle ne dépendrait que d’elle-même, la personne assurée aurait besoin de l’aide d’un tiers (arrêt 9C_354/2023 du 15 novembre 2023 consid. 2.3 et les références).

Consid. 4.1 [résumé]
S’agissant de l’acte «se vêtir/se dévêtir», l’assuré soutient que l’enquêtrice avait omis de cocher «se dévêtir». Les juges cantonaux ont constaté que la mention «idem» figurait pour cet acte, de sorte qu’ils pouvaient retenir sans arbitraire que les limitations étaient identiques pour «se vêtir» et «se dévêtir». Le recours ne contient aucun élément propre à démontrer l’arbitraire. Le simple rappel d’atteintes psychiatriques, notamment une majoration des symptômes physiques pour des raisons psychologiques, ne montre pas que ces aspects n’auraient pas été pris en compte. Au contraire, les limitations fonctionnelles avaient été clairement définies par le médecin du SMR avant l’enquête à domicile, ce que l’assuré ne conteste pas. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation des juges cantonaux.

Consid. 4.2 [résumé]
Pour l’acte «faire sa toilette», l’assuré se limite aux déclarations de sa fille selon lesquelles il devait être «stimulé». Il ne prétend ni ne démontre que cette stimulation dépasserait de simples rappels ponctuels. Les juges cantonaux pouvaient dès lors retenir sans arbitraire que l’aide de l’épouse ne traduisait pas un besoin d’assistance important justifié par l’état de santé. Aucun élément médical objectif ne faisait obstacle à l’accomplissement de cet acte, ce que l’assuré ne conteste pas.

Consid. 4.3 [résumé]
Pour l’acte «se déplacer à l’intérieur ou à l’extérieur, établir des contacts», contrairement à ce que soutient l’assuré, les juges cantonaux ne se sont pas fondés uniquement sur une capacité de travail résiduelle. Ils ont retenu qu’il vivait avec son épouse et leurs enfants, conservait son autonomie de déplacement dans l’appartement, utilisait une canne anglaise à la main gauche, conduisait encore une voiture automatique «à titre exceptionnel» et se rendait parfois seul aux séances de physiothérapie. Ils ont dès lors retenu sans arbitraire qu’il pouvait se déplacer et établir des contacts.

Consid. 4.4
Enfin, en ce qui concerne le besoin d’un accompagnement durable pour faire face aux nécessités de la vie, l’assuré se borne à nouveau à opposer sa propre appréciation à celle de la juridiction cantonale, sans toutefois démontrer en quoi celle-ci serait manifestement insoutenable. Il en va en particulier ainsi lorsqu’il fait valoir que les diagnostics psychiatriques et la structure de sa personnalité justifieraient, déjà à eux seuls, le besoin revendiqué. Ce faisant, il n’établit pas qu’il était insoutenable de la part des juges précédents, et il n’apparaît pas que tel soit le cas, de suivre les constatations concrètes de l’enquêtrice de l’office AI, et d’en tirer qu’il était capable de structurer son quotidien sans difficultés substantielles, conservait la faculté de gérer des activités ordinaires simples et n’était pas entravé par ses limitations fonctionnelles physiques ou psychiques dans la réalisation de tâches légères (éventuellement en les fractionnant et en se servant de moyens auxiliaires).

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_221/2025 consultable ici

 

 

 

8C_463/2024 (f) du 27.05.2025, destiné à la publication – Prestations complémentaires – Dessaisissement de fortune et consommation excessive de la fortune – Soutien d’un proche / 11a LPC – 17b à 17e OPC-AVS/AI – 328 ss CC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_463/2024 (f) du 27.05.2025, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Prestations complémentaires – Dessaisissement de fortune et consommation excessive de la fortune – Accomplissement d’un devoir moral / 11a LPC – 17b à 17e OPC-AVS/AI

Le fait d’assurer le soutien d’un proche – atteint de trisomie et présentant des TOC –, au-delà des limites financières prescrites par les art. 328 ss CC, entraîne un état d’indigence chez celui qui en assume la charge et constitue un dessaisissement

 

Résumé
Une assurée au bénéfice d’une rente AI a demandé des prestations complémentaires; la caisse de compensation a refusé en tenant compte d’un dessaisissement de 255’873 fr. L’utilisation de sa fortune pour son entretien et surtout pour celui de son frère handicapé n’a pas été reconnue comme relevant d’une obligation légale ni d’une contre-prestation; les contributions, incluant des frais non nécessaires (notamment des hospitalisations en division privée), ont excédé les besoins vitaux. La fortune de l’assurée est passée de 450’000 fr. (2017) à 84’124 fr. (2021), mais, avec le dessaisissement – même en tenant compte de l’amortissement annuel –, le montant déterminant est resté supérieur à 100’000 fr..

 

Faits
Assurée, née en 1967, perçoit une rente de l’assurance-invalidité depuis le 01.06.2014. Elle est curatrice de portée générale de son frère, B.__, né en 1969, lequel vit avec elle depuis son arrivée en Suisse en octobre 2015. B.__, atteint de trisomie et présentant des troubles obsessionnels compulsifs, n’a pas d’autonomie. Il s’est vu refuser le droit à une rente d’invalidité ainsi qu’à une allocation pour impotent, au motif qu’il ne remplissait pas les conditions générales d’assurance. Par décision du 22.11.2022, sa demande de revenu d’insertion a été examinée à compter du 01.10.2022. Il s’est opposé à cette décision, estimant avoir droit à de telles prestations dès le dépôt de sa demande, le 01.11.2021.

Après que la caisse de compensation eut rejeté par deux fois sa demande de prestations complémentaires, l’assurée a sollicité à nouveau l’octroi de prestations complémentaires à sa rente de l’assurance-invalidité le 19.02.2022. Se fondant sur les divers renseignements et documents communiqués par la requérante, la caisse de compensation a rejeté la demande par décision du 17.06.2022. Elle a tenu compte d’un dessaisissement de fortune de 255’873 fr. au 31.12.2021.

Le 18.07.2022, l’assurée s’est opposée à cette décision. Elle a soutenu qu’elle ne s’était jamais illégitimement dessaisie de sa fortune puisque, n’ayant pas d’activité lucrative en raison de son invalidité, elle avait été contrainte d’utiliser une partie importante de sa fortune pour son entretien et celui de son frère. La caisse de compensation a rejeté l’opposition et confirmé le refus d’octroyer des prestations. Elle a estimé en substance que l’assurée n’avait pas d’obligation légale de subvenir aux besoins de son frère, de sorte qu’elle s’était dessaisie de sa fortune au sens des dispositions applicables.

 

Procédure cantonale (arrêt PC 2/23 – 29/2024 – consultable ici)

Par jugement du 19.06.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Les prestations complémentaires sont allouées aux bénéficiaires de prestations à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité afin de couvrir leurs besoins vitaux sans qu’ils doivent recourir à l’aide sociale (M ICHEL VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, Genève/Zurich 2015, n° 6 ad art. 3 LPC). Le soutien apporté par le régime des prestations complémentaires est ainsi supérieur au minimum vital découlant de l’aide d’urgence, lequel concrétise l’art. 12 Cst., ainsi qu’au minimum du droit des poursuites (ATF 138 V 481 consid. 3.2; 138 II 191 consid. 5.3; 127 V 368 consid. 5a; 122 V 19 consid. 5a). La loi ne définit pas la notion de besoins vitaux mais se contente de fixer des règles de calcul permettant de déterminer le montant de la prestation complémentaire. Celle-ci correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants (art. 9 al. 1 LPC). Ceux-ci comprennent généralement des ressources et des biens dont l’ayant droit peut disposer sans restriction (art. 11 LPC) et exceptionnellement des ressources et parts de fortune dont celui-ci s’est dessaisi (art. 11a LPC).

Selon l’art. 9a al. 1 let. a LPC, les personnes seules dont la fortune nette est inférieure à 100’000 fr. ont droit à des prestations complémentaires.

Consid. 4.2
L’art. 11a LPC, entré en vigueur le 1er janvier 2021, contient une définition claire de la notion de dessaisissement. Il prévoit que si une personne renonce volontairement à exercer une activité lucrative que l’on pourrait raisonnablement exiger d’elle, le revenu hypothétique correspondant est pris en compte comme revenu déterminant (al. 1). Les autres revenus, parts de fortune et droits légaux ou contractuels auxquels l’ayant droit a renoncé sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate sont pris en compte dans les revenus déterminants comme s’il n’y avait pas renoncé (al. 2).

Les conditions relatives à l’absence d’obligation légale et à l’absence de contre-prestation adéquate ne sont pas cumulatives mais alternatives (Message du Conseil fédéral du 16 septembre 2016 relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires [Réforme PC], FF 2016 7322; ATF 134 I 65 consid. 3.2; 131 V 329 consid. 4.3 s.).

Ce dispositif légal est complété par l’art. 17b let. a OPC-AVS/AI. Selon cette disposition, il y a dessaisissement de fortune lorsqu’une personne aliène des parts de fortune sans obligation légale et que la contre-prestation n’atteint pas au moins 90% de la valeur de la prestation. Le montant du dessaisissement en cas d’aliénation correspond à la différence entre la valeur de la prestation et la valeur de la contre-prestation (art. 17c OPC-AVS/AI).

Consid. 4.3
Un dessaisissement de fortune est également pris en compte si, à partir de la naissance d’un droit à une rente de survivant de l’AVS ou à une rente de l’AI, plus de 10% de la fortune est dépensée par année sans qu’un motif important ne le justifie. Si la fortune est inférieure ou égale à 100’000 francs, la limite est de 10’000 francs par année (art. 11a al. 3 LPC). Cette disposition s’applique aux bénéficiaires d’une rente de vieillesse de l’AVS également pour les dix années qui précèdent la naissance du droit à la rente.

Il y a consommation excessive de la fortune, au sens de l’art. 11a al. 3 LPC, lorsqu’une personne a consommé, au cours de la période considérée, une part excessive de sa fortune et qu’il n’existe aucun motif justificatif à cette consommation excessive. Seules les diminutions de fortune intervenues depuis le 1er janvier 2021 peuvent se voir appliquer les règles en matière de consommation excessive (al. 3 des dispositions transitoires de la modification du 22 mars 2019 de la LPC [Réforme des PC]; ch. 3533.01 et 3533.02 des Directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI dans leur version en vigueur au 1er janvier 2021 [DPC]).

Selon l’art. 17d OPC-AVS/AI, le montant du dessaisissement en cas de consommation excessive de la fortune correspond à la différence entre la consommation effective de la fortune et la consommation admise pour la période considérée (al. 1). La consommation admise de la fortune est calculée en appliquant à chaque année de la période considérée la limite de la consommation de la fortune autorisée à l’art. 11a, al. 3, LPC et en additionnant les montants annuels ainsi obtenus (al. 2). Ne sont notamment pas pris en compte dans la détermination du montant du dessaisissement les diminutions de la fortune imputables, entre autres, aux frais de traitements dentaires (al. 3, let. b, ch. 2), aux frais en rapport avec une maladie ou une invalidité non couverts par une assurance sociale (let. b, ch. 3) et, durant les années précédant l’octroi de la prestation complémentaire annuelle, aux dépenses nécessaires à l’entretien usuel de l’assuré lorsque les revenus réalisés étaient insuffisants (let. b, ch. 6).

Consid. 4.4
Le montant total de la fortune qui fait l’objet d’un dessaisissement correspond à l’addition du montant dessaisi en cas d’aliénation de la fortune et du montant dessaisi en cas de consommation excessive de la fortune (ch. 3531.01 DPC).

Aux termes de l’art. 17e OPC-AVS/AI, le montant de la fortune qui a fait l’objet d’un dessaisissement au sens de l’art. 11a, al. 2 et 3, LPC et qui doit être pris en compte dans le calcul de la prestation complémentaire est réduit chaque année de 10’000 francs (al. 1). Le montant de la fortune au moment du dessaisissement doit être reporté tel quel au 1er janvier de l’année suivant celle du dessaisissement pour être ensuite réduit chaque année (al. 2). Est déterminant pour le calcul de la prestation complémentaire annuelle le montant réduit de la fortune au 1er janvier de l’année pour laquelle la prestation est servie (al. 3).

Consid. 5.1 [résumé]
La cour cantonale a constaté que la caisse de compensation avait refusé d’allouer des prestations complémentaires parce que la fortune de l’assurée, incluant 255’873 fr. de dessaisissement, dépassait le seuil de 100’000 fr. pour une personne seule; bien que la caisse de compensation n’ait pas précisé si elle se fondait sur l’art. 11a al. 2 ou 3 LPC, la cour cantonale a considéré qu’un dessaisissement devait être retenu dans les deux cas.

Consid. 5.2 [résumé]
Se fondant sur un arrêt du Tribunal administratif fédéral (TAF) du 21 août 2017, la cour cantonale a admis la dépendance du frère pour les actes du quotidien, mais non une dépendance financière, les pièces au dossier montrant au contraire que la situation du frère était aisée, ce qui laissait penser qu’il ne dépendrait pas des oeuvres publiques. Malgré des indemnités d’environ 5’000 fr./mois versées en monnaie libanaise dévaluée et des virements arrêtés fin 2020, il avait bénéficié de subsides LAMal dès 2019 et les frais médicaux à sa charge (2016–2022) étaient limités. La cour cantonale a retenu que seuls des frais d’entretien assurant une existence décente étaient admissibles, à l’exclusion notamment des hospitalisations en division privée; des contributions excédant les besoins vitaux constituaient un dessaisissement. Vu la baisse de fortune de 450’000 fr. (2017) à 84’124 fr. (2021), elle a conclu à un dessaisissement sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate (art. 11a al. 2 LPC).

Consid. 5.3 [résumé]
Sous l’angle de l’art. 11a al. 3 LPC, la cour cantonale a relevé une diminution de fortune de 196’060 fr. (31.12.2020) à 84’124 fr. (31.12.2021), soit 111’936 fr. en une année, et a jugé que les dépenses dentaires et médicales du frère ne pouvaient être exceptées, l’art. 17d al. 3 OPC-AVS/AI visant uniquement les frais propres de la personne requérant les prestations.

Consid. 5.4
En fin de compte, la cour cantonale a conclu que dans la mesure où la fortune de l’assurée, comprenant le montant dont elle s’était dessaisie, dépassait le seuil de 100’000 fr. fixé à l’art. 9a al. 1 LPC, la caisse de compensation avait nié à juste titre le droit aux prestations.

Consid. 7.1
Chacun est en principe libre de disposer de son patrimoine comme il l’entend. Cependant, les prestations complémentaires ne couvrent pas les besoins d’existence des personnes qui ont renoncé sans nécessité à des éléments de fortune ou à des revenus. À cet égard, il importe peu que la personne assurée ait eu, au moment de la renonciation à un revenu ou à une part de fortune, l’intention ou non d’obtenir des PC. Il n’appartient en effet pas à l’assureur social et partant à la collectivité, d’assumer l’éventuel « découvert » dans les comptes de l’assuré lorsque celui-ci l’a provoqué sans motif valable. L’art. 11a al. 2 LPC tient compte de ce genre de situation en prescrivant qu’il y a lieu d’ajouter aux revenus les ressources et les parts de fortune dont un ayant droit s’est dessaisi. Autrement dit, les ressources auxquelles la personne a renoncé et les biens cédés sont pris en compte comme si la personne assurée en était encore titulaire (MICHEL VALTERIO, op. cit., n° 94 ad art. 11 LPC). On se trouve en présence d’une renonciation lorsqu’une personne remet ou abandonne des éléments de fortune sans qu’elle y soit obligée. Ces actes de dessaisissement peuvent revêtir plusieurs formes dont les principales sont la cession ou l’abandon de biens à titre gratuit (comme les donations, l’avancement d’hoirie ou des placements risqués) ou la remise moyennant une contre-prestation ne correspondant manifestement pas à leur valeur (donations mixtes, constitution d’un droit d’usufruit ou d’habitation lors d’un transfert de propriété [MICHEL VALTERIO, op. cit., n° 103 ad art. 11 LPC]). Il y a lieu de retenir un dessaisissement lorsque la personne assurée a renoncé à des éléments de revenu ou de fortune « sans obligation juridique », respectivement « sans avoir reçu en échange une contre-prestation équivalente », ces conditions n’étant pas cumulatives mais alternatives. Par ailleurs, avec la réforme des PC intervenue au 1er janvier 2021, non seulement l’abandon de patrimoine mais aussi la consommation excessive de fortune est désormais prise en compte dans le calcul des prestations complémentaires.

Consid. 7.2
Aux termes de l’art. 239 CO, la donation est la disposition entre vifs par laquelle une personne cède tout ou partie de ses biens à une autre sans contre-prestation correspondante (al. 1). Le fait de renoncer à un droit avant de l’avoir acquis ou de répudier une succession ne constitue pas une donation (al. 2). Il en est de même de l’accomplissement d’un devoir moral (al. 3).

Le Tribunal fédéral a été saisi d’un litige dans lequel la titulaire d’une rente de vieillesse avait cédé à son fils et à sa belle-fille un montant de 90’000 fr. Elle avait motivé cette cession par l’assistance qu’ils lui avaient apportée dans la tenue de son ménage lors des dernières années. Le Tribunal fédéral a d’abord constaté que cette prestation financière ne reposait pas sur une obligation légale ou contractuelle. Il a ensuite nié qu’elle ait été effectuée en accomplissement d’un devoir moral, étant précisé qu’un tel devoir ne doit être admis qu’à des conditions restrictives. Il ne suffit pas qu’un certain comportement soit socialement attendu; il faut bien plus que l’omission de ce comportement soit considérée comme inconvenante. Cette condition n’étant pas remplie, le Tribunal fédéral a laissé la question ouverte de savoir si, à supposer que la prestation ait été effectuée en accomplissement d’un tel devoir, cette circonstance aurait exclu de prendre en considération un dessaisissement dans le cadre de la loi sur les prestations complémentaires (ATF 131 V 329; cf. également arrêt 9C_846/2010 du 12 août 2011 consid. 5.3).

Consid. 8.1
À l’appui de son argumentation, l’assurée se réfère notamment à un arrêt du 19 janvier 2021 (2C_148/2020), dans lequel le Tribunal fédéral devait se prononcer sur la question de savoir si l’accomplissement d’un devoir moral excluait ou non l’existence d’une donation sous l’angle fiscal. À cette occasion, se référant à l’art. 239 al. 3 CO, le Tribunal fédéral a rappelé que la doctrine niait l’existence d’une donation (en raison de l’absence de l’animus donandi) lorsqu’une prestation était effectuée en vertu d’une obligation juridique ou en accomplissement d’un devoir moral. Il a toutefois indiqué que selon certains auteurs de doctrine, l’existence d’un devoir moral ne devait pas être admis largement. À titre d’exemples de versements effectués par devoir moral, ces auteurs mentionnaient les montants versés à titre d’entretien d’un ancien concubin afin de lui éviter de dépendre de l’aide sociale, ou les montants versés à un enfant par un parent qui ne serait pas lié à son égard par une obligation légale d’entretien.

Toujours dans l’arrêt 2C_148/2020 cité par l’assurée, le Tribunal fédéral n’a pas tranché la question de savoir si le fait qu’une attribution avait été effectuée en exécution d’un devoir moral excluait ou non l’existence d’une donation au sens de l’art. 24 let. a LIFD. Il a précisé que les arrêts qui évoquaient cette question le faisaient en lien avec des dispositions cantonales concernant l’impôt sur les donations. Dans une affaire qui concernait l’ancien droit cantonal bernois relatif à l’impôt sur les donations, le Tribunal fédéral avait seulement souligné que les motifs ayant présidé à une donation, tels que la gratitude, la générosité ou l’existence d’un devoir moral, n’étaient pas pertinents pour l’assujettissement à l’impôt sur les donations, et que la disposition cantonale bernoise qui le précisait (« Die Gründe und Absichten, aus welchen die Schenkung erfolgte, üben auf die Steuerpflicht keinen Einfluss aus ») montrait seulement que la notion fiscale de donation pouvait être plus large que celle du droit civil (ATF 118 Ia 497 consid. 2b/cc). Dans un autre arrêt, qui concernait également l’impôt sur les donations bernois, le Tribunal fédéral avait laissé ouverte la question de savoir si l’existence d’un devoir moral pouvait être assimilée à une obligation juridique, faisant ainsi obstacle à la reconnaissance du caractère gratuit de l’attribution et, partant, à l’existence d’une donation (arrêt 2P.332/1999 du 4 avril 2000 consid. 3d; cf. aussi ATF 102 Ia 418 consid. 4c). Le Tribunal fédéral a conclu qu’il ressortait de ces arrêts que la jurisprudence n’était pas univoque quant au point de savoir si l’existence d’un devoir moral excluait ou pas l’existence d’une donation sous l’angle fiscal.

Consid. 8.2
En droit des poursuites, les donations accomplies en exécution d’un devoir moral qui lèsent les droits des créanciers du donateur peuvent faire l’objet d’une action révocatoire au sens des art. 286 LP et 82 LCA (MARGARETA BADDELEY, in Commentaire romand, CO I, 3e éd. 2021, n° 83 ad art. 239 CO).

Consid. 8.3
En matière de droit successoral, la donation en accomplissement d’un devoir moral est, pour la jurisprudence et la majorité de la doctrine, sujette aux rapports et réunions/réductions matrimoniale et successorale (MARGARETA BADDELEY, op. cit., n° 84 ad art. 239 CO). Le Tribunal fédéral a indiqué que le caractère réductible ne dépendait pas des raisons pour lesquelles une libéralité avait été faite, de sorte que le caractère réductible d’une libéralité n’était pas lié à la question de savoir si elle avait été faite pour accomplir une obligation morale (ATF 116 II 243; JdT 1992 I 130).

Consid. 8.4
Vu ce qui précède, l’assurée ne peut pas tirer d’argument en sa faveur d’une analogie avec le droit fiscal, le droit successoral ou le droit des poursuites.

Consid. 9.1
Aux termes de l’art. 328 al. 1 CC, chacun, pour autant qu’il vive dans l’aisance, est tenu de fournir des aliments à ses parents en ligne directe ascendante et descendante, lorsque, à défaut de cette assistance, ils tomberaient dans le besoin. Selon l’art. 329 al. 1 CC, l’action alimentaire (…) tend aux prestations nécessaires à l’entretien du demandeur et compatibles avec les ressources de l’autre partie.

Le prétendant a droit à la couverture de ce qui est nécessaire pour vivre, après que ses propres moyens aient été épuisés. Une situation de besoin ne saurait être reconnue du seul fait que le créancier ne parviendrait plus à mener le même train de vie que par le passé. En effet, seuls les besoins élémentaires sont couverts par l’art. 328 al. 1 CC, à savoir la nourriture, l’habillement, le logement, les soins médicaux de base, l’assurance-maladie obligatoire, les médicaments, les frais d’hospitalisation et le traitement en institution (ATF 136 III 1 consid. 4; 133 III 507 consid. 5.1, JdT 2007 I 130; 132 III 97 consid. 2.2; 121 V 204 consid. 5a; ANTOINE EIGENMANN, Commentaire romand, CC I, 2e éd. 2024, n° 11 ad art. 328/329 CC).

Quant au débiteur, il n’est tenu de fournir des aliments que s’il vit dans l’aisance. Pour déterminer sa situation financière, il est non seulement tenu compte de ses revenus mais également de sa fortune. Toutefois le débiteur ne sera pas tenu d’entamer sa fortune lorsque celle-ci doit demeurer intacte afin d’assurer à long terme ses moyens d’existence (ATF 132 III 97 consid. 3).

Consid. 9.2
Au vu des limites posées par la loi et la jurisprudence à l’obligation d’assistance entre parents en ligne directe, il est douteux qu’un devoir moral d’assistance puisse être retenu entre des personnes non visées par les art. 328 ss, qui irait financièrement au-delà des obligations légales des parents en ligne directe ascendante et descendante. Quoi qu’il en soit, à supposer qu’un tel devoir moral puisse être admis dans le contexte de l’art. 239 al. 3 CO, il ne justifierait pas d’exclure un dessaisissement au sens de l’art. 11a al. 2 LPC lorsque la personne concernée est elle-même titulaire d’une rente de l’assurance-invalidité ne couvrant pas ses propres besoins, comme l’assurée, au moment où elle renonce sans contre-prestation à une part de revenus ou de fortune. Dans de telles circonstances, le fait d’assurer le soutien d’un proche, au-delà des limites financières prescrites par les art. 328 ss CC pour les parents en ligne ascendante et descendante directe, entraîne un état d’indigence chez celui qui en assume la charge et constitue un dessaisissement (cf. également arrêt P 76/01 du 9 janvier 2003 consid. 3.1 et la référence, ainsi que le Message du Conseil fédéral du 16 septembre 2016 relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires [Réforme PC], FF 2016 7322).

Consid. 9.3 [résumé]
Le grief relatif aux frais d’hospitalisation en division privée de son frère est d’emblée infondé, pour autant qu’il soit recevable au regard des exigences de motivation accrues posées par l’art. 106 al. 2 LTF, dès lors que l’assurée ne peut se prévaloir d’un devoir moral d’entretien envers son frère pour justifier un dessaisissement de fortune alors qu’elle ne disposait elle-même pas des revenus nécessaires à son propre entretien (consid. 9.2 supra)

Il résulte de ce qui précède que les prestations financières de l’assurée en faveur de son frère constituent un dessaisissement de fortune au sens de l’art. 11a al. 2 LPC. Au vu des montants évoqués par l’assurée elle-même dans ce contexte, le dessaisissement et la fortune dont elle dispose encore sont manifestement supérieurs au seuil de 100’000 fr. excluant l’octroi de prestations complémentaires (art. 9a al. 1 let. a LPC), même en prenant en considération l’amortissement prévu par l’art. 17e al. 1 OPC-AVS/AI. Il n’est pas nécessaire, dans ces conditions, de déterminer si un montant supplémentaire entrerait en considération à titre de consommation excessive de fortune au sens de l’art. 11a al. 3 LPC. Un renvoi de la cause à l’intimée pour un calcul plus précis n’est pas nécessaire pour statuer sur la période litigieuse, étant toutefois précisé que l’assurée peut demander à l’intimée les renseignements nécessaires pour établir son droit éventuel aux prestations complémentaires pour une période postérieure, conformément à l’art. 27 al. 2 LPGA.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_463/2024 consultable ici

 

 

 

4A_301/2024 (f) du 24.06.2025, arrêt destiné à la publication – Contrat de prévoyance liée (pilier 3a) – Quid de la compétence rationae materiae du Tribunal civil sur le litige / Litiges appréhendés par l’art. 73 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_301/2024 (f) du 24.06.2025, arrêt destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Contrat de prévoyance liée (pilier 3a) – Quid de la compétence rationae materiae du Tribunal civil sur le litige (libération du paiement des primes, vice du consentement, réticence dans le cadre de la conclusion de la police d’assurance, prescription)

Litiges appréhendés par l’art. 73 LPP

 

Résumé
Assuré, musicien, a conclu en 2001 une police 3a avec libération des primes en cas d’incapacité, puis a signé en 2006 un avenant supprimant cette garantie; mis au bénéfice d’une rente AI dès 2003, il a réclamé en 2017 la restitution des primes versées de 2003 à 2019 pour enrichissement illégitime en invoquant un vice du consentement, tandis que l’assureur a opposé prescription et réticence. Le Tribunal civil a partiellement admis la demande, puis la Cour d’appel a déclaré l’action irrecevable contre l’assureur pour incompétence ratione materiae. Le Tribunal fédéral a été retenu que le litige a relevé de la prévoyance liée (pilier 3a) et a résulté du contrat, de sorte qu’il a relevé de la juridiction spécialisée de l’art. 73 LPP, indépendamment du fondement en enrichissement illégitime, de l’application de la LCA/CO ou de la forme sociale de l’assureur. L’irrecevabilité a été confirmée et la compétence a été attribuée à la Cour des assurances sociales, les conclusions contre les codéfendeurs demeurant traitées séparément au niveau cantonal.

 

Faits
Assuré, musicien, exploitait une école de musique à titre indépendant. Début 2001, il a souhaité conclure un contrat de prévoyance 3a et s’est adressé à son beau-frère, C.__, administrateur du bureau de courtage D.__. Le 26.01.2001, il a signé un document intitulé « B.__ Assurances – Offre d’assurances de capitaux – vie individuelle », comportant en pied de page la mention « Agence D.__ SA. ». À la même date, une « Proposition d’assurance liée sur la vie avec couverture provisoire » a été signée conjointement par l’assuré et C.__ – présent pour l’assister – sur un document timbré « E.__ SA […] », société qui était alors agent général indépendant pour les sociétés de l’ancienne B.__.

Cette proposition comprenait un questionnaire de santé. À la question 6.5 (« Avez-vous déjà souffert ou souffrez-vous actuellement de : Affections du cerveau ou du système nerveux : vertiges, évanouissements, épilepsie, convulsions, paralysie, dépression, maladie mentale, etc. ? »), l’assuré a répondu par la négative. Il a donné la même réponse à la question 6.12 relative à la consommation de stupéfiants. À la question 8 sur la cause d’une éventuelle inaptitude au travail à l’heure actuelle et durant les cinq dernières années, il a indiqué souffrir d’une affection aux ligaments de l’épaule gauche et d’une diminution de la vue.

Le 2 mai 2001, l’assuré a contracté une police de prévoyance liée auprès de B.__ SA (à l’époque, B.__ compagnie d’assurances sur la vie) d’une durée de 19 ans échéant le 01.01.2020. La police prévoyait le versement d’un capital en cas de vie à l’échéance ou en cas de décès de 71’752 fr. Elle comprenait une assurance complémentaire prévoyant la libération du paiement des primes en cas d’incapacité de gain par suite de maladie ou d’accident (durée 19 ans) après un délai d’attente de 90 jours, sous réserve notamment d’une incapacité de gain partielle ou totale liée aux séquelles de l’entorse de l’épaule gauche, laquelle ne donnerait droit à aucune prestation. Les conditions générales d’assurances prévoyaient qu’en cas de décès par maladie ou accident ou en cas d’incapacité de gain, le bénéficiaire était tenu d’avertir sans tarder la société d’assurance. Cette police était établie sur un papier à en-tête imprimé des logos « B.__ Assurances », « D.__ S.A., C.__ » et « E.__ S.A. ».

Depuis le 01.05.2003, l’assuré est au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité basée sur un degré d’invalidité de 76%. Par courrier recommandé du 19.04.2006 adressé à « B.__ Assurances » – l’adresse étant celle du siège de E.__ S.A. – et après en avoir discuté avec C.__, il a sollicité la suppression, dès le 01.05.2006, de la garantie complémentaire de libération du paiement des primes en cas d’incapacité de travail. Cette correspondance a été transmise à la société d’assurances par E.__ S.A. Le 26.06.2006, la société d’assurances a fait parvenir à l’assuré un avenant prévoyant la suppression de cette couverture à compter du 01.05.2006, en abaissement la prime annuelle à compter de cette date; elle y faisait mention de l’ancien art. 12 al. 1 LCA (rectification dans les quatre semaines). L’assuré n’a pas contesté cet avenant et s’est acquitté de la prime ainsi modifiée pendant plus de dix ans.

Par courrier du 08.02.2016 adressé à B.__, l’assuré a transmis une attestation du 01.02.2016 de l’assurance-invalidité indiquant qu’il bénéficiait d’une rente entière basée sur un degré d’invalidité de 76% depuis le mois de juillet 2003, versée depuis le 01.05.2003. Le 22.03.2016, la société d’assurances a indiqué qu’aucune prestation d’incapacité de gain ne lui était due et a refusé d’entrer en matière sur la libération des primes, en se référant à l’avenant du 26.06.2006; elle a en outre invoqué la prescription. Le 29.04.2016, l’assuré a invoqué un vice du consentement. Le 20.06.2016, son médecin traitant a attesté un trouble bipolaire de type I présentant depuis 2004 « une évolution progressive de plus en plus sévère », de sorte « qu’en 2006, le patient était dans un état psychologique catastrophique et que sa capacité de discernement était certainement altérée à ce moment ».

Par courrier du 2 février 2021, la société d’assurances a invoqué la réticence relativement à la police de prévoyance litigieuse. Elle a notamment fait valoir qu’il ressortait d’un rapport d’expertise judiciaire que l’assuré avait séjourné à de multiples reprises en milieu hospitalier en raison de troubles psychiques entre 1984 et 1988, qu’il avait perçu une rente AI de 1984 à 1990 et qu’il avait ensuite dû bénéficier d’un traitement aigu et être hospitalisé du 10 au 28 février 2001, de sorte que lors de la signature de la proposition, il n’était ni en parfaite santé ni apte au travail.

 

Procédures cantonales

Par jugement du 28 mars 2023, le Tribunal civil a admis partiellement la demande. Le tribunal a admis sa compétence, estimant que, malgré le contrat de prévoyance liée conclu entre les parties, le fondement de la demande reposait davantage sur le droit des obligations, plus spécifiquement les dispositions relatives aux vices du consentement, à l’enrichissement illégitime, voire à la responsabilité contractuelle ou extracontractuelle. Par ailleurs, les prétentions du demandeur étaient dirigées non seulement contre la défenderesse, mais également à l’encontre de codéfendeurs auxquels l’art. 73 LPP ne s’étendait pas, si bien que la demande était recevable.

Par arrêt du 15 avril 2024 (arrêt PT17.017006-230657 161 – consultable ici), la Cour d’appel civile a admis l’appel de la défenderesse et déclaré la demande irrecevable, dans la mesure où elle était dirigée contre cette même défenderesse. La cour cantonale a en revanche déclarée recevable la demande dans la mesure où elle concernait les codéfendeurs.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
L’arrêt entrepris prononce l’irrecevabilité de la demande en paiement dirigée contre la société d’assurances intimée (ci-après: la demande) ; le litige porte sur la compétence rationae materiae du Tribunal civil. Il s’ensuit que les développements consacrés au fond sont à ce stade superfétatoires, puisque, si la demande était jugée recevable, il ne pourrait pas être statué sur son bien-fondé et il devrait être renvoyé à la cour cantonale (ATF 138 III 46 consid. 1.2; arrêt 4A_516/2023 du 8 octobre 2024 consid. 1.2). Par ailleurs, dès lors que le prononcé relatif aux codéfendeurs n’a pas été remis en cause, ce point du dispositif est entré en force (art. 107 al. 1 LTF), de sorte que, comme observé, les codéfendeurs ne sont pas intimés dans la présente procédure.

Consid. 3.2 [résumé]
Le litige se présente ainsi : selon la cour cantonale, la demande relève de la compétence rationae materiae de la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud, en vertu de l’art. 73 al. 1 let. b LPP en relation avec l’art. 93 al. 1 let. c LPA-VD (RSV 173.36) et l’art. 83b LOJV (RSV 173.01). Les juges cantonaux ont considéré que, le demandeur et la défenderesse étant parties à un contrat de prévoyance liée, le litige tombait sous l’art. 73 al. 1 let. b LPP. Le demandeur avait certes requis la restitution de primes versées à tort – en se fondant sur l’enrichissement illégitime et en invoquant un vice du consentement quant à l’avenant du 26.06.2006 –, mais la source des paiements (les primes) résidait dans le contrat de prévoyance liée et l’avenant n’était qu’un accessoire de ce contrat. Le fait que l’action ait été ouverte contre plusieurs défendeurs ne faisait pas échec à l’application de l’art. 73 LPP, en ce sens que cela ne créait pas d’attraction de compétence en faveur du juge civil. La règle de compétence de l’art. 73 LPP était impérative et ne pouvait être contournée par l’ajout de codéfendeurs non visés par cette disposition. Enfin, le fait que la défenderesse ait excipé de l’incompétence au stade des plaidoiries finales ne pouvait valoir admission de compétence, aucun abus de droit ne pouvant lui être reproché. Il en résultait l’incompétence du tribunal civil.

L’assuré recourant estime que la cour cantonale s’est fourvoyée. En résumé, à l’en croire, le tribunal saisi serait compétent rationae materiae pour connaître de la demande.

Consid. 4.1
L’art. 73 al. 1, 1re phrase, LPP prévoit que chaque canton désigne un tribunal qui connaît, en dernière instance cantonale, des contestations opposant institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit.

Consid. 4.1.1
Selon la jurisprudence, la compétence des autorités visées par l’art. 73 LPP est doublement définie. Elle l’est, tout d’abord, quant à la nature du litige: il faut que la contestation entre les parties porte sur des questions spécifiques de la prévoyance professionnelle, au sens étroit ou au sens large. Ce sont donc principalement des litiges qui portent sur des prestations d’assurance, des prestations de libre passage et des cotisations. Ainsi, avant l’entrée en vigueur de l’art. 35a LPP, la jurisprudence avait établi que le tribunal prévu à l’art. 73 LPP était compétent pour trancher les demandes de restitution des prestations de prévoyance professionnelle, que les institutions de prévoyance ne pouvaient alors fonder, à défaut de norme statutaire ou réglementaire, que sur les art. 62 ss CO (ATF 133 V 205 consid. 2.1 et 3; 128 V 50 consid. 1a et 3a). Cette compétence s’étendait aux contestations touchant à la restitution de prestations de libre passage, dont la correction ultérieure à leur versement n’a pas d’incidence en droit de la prévoyance (arrêt du Tribunal fédéral des assurances B 41/99 du 20 mars 2000 consid. 3b, publié in RSAS 2001 p. 485). En revanche, les voies de droit de l’art. 73 LPP ne sont pas ouvertes lorsque la contestation a un fondement juridique autre que le droit de la prévoyance professionnelle, même si elle devait avoir des effets relevant du droit de ladite prévoyance (ATF 141 V 170 consid. 3; 130 V 103 consid. 1.1; 128 V 254 consid. 2a; arrêts 9C_695/2019 du 14 septembre 2020 consid. 2.1; 9C_130/2017 du 20 novembre 2017 consid. 3.1; HÜRZELER/BRÜHWILER, Obligatorische berufliche Vorsorge, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 2016, p. 2159 s. n. 250 ss; MEYER/UTTINGER, in Commentaire LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n os 24, 54, 59 et 61 ad art. 73 LPP).

Cette compétence est également limitée par le fait que la loi désigne de manière non équivoque les parties pouvant être liées à une contestation, à savoir, à l’origine, uniquement les institutions de prévoyance, les employeurs et les ayants droit. Lorsque la compétence matérielle entre les juridictions civiles et les autorités visées par l’art. 73 LPP prête à discussion, le point de savoir si une question spécifique de la prévoyance professionnelle se pose doit être résolu – conformément à la nature juridique de la demande – en se fondant sur les conclusions de la demande et sur les faits invoqués à l’appui de ces conclusions; le fondement de la demande est alors un critère décisif de distinction (ATF 141 V 170 consid. 3; 128 V 254 consid. 2a; arrêts 9C_695/2019 précité consid. 2.1; 9C_130/2017 précité consid. 3.1; MEYER/UTTINGER, op. cit., n o 24 ad art. 73 LPP).

Consid. 4.1.2
Depuis le 1er janvier 2005, la compétence du tribunal cantonal de dernière instance s’étend également aux contestations avec des institutions lorsque ces contestations résultent de l’application de l’art. 82 al. 2 LPP (art. 73 al. 1 let. b LPP). Sont notamment visés, les litiges relatifs aux contrats de prévoyance liée (pilier 3a), c’est-à-dire les contrats spéciaux d’assurance de capital et de rentes sur la vie ou en cas d’invalidité ou de décès, y compris d’éventuelles assurances complémentaires en cas de décès par accident ou d’invalidité, qui sont conclus avec une institution d’assurance soumise à la surveillance des assurances ou avec une institution d’assurance de droit public satisfaisant aux exigences fixées à l’art. 67 al. 1 LPP et qui sont affectés exclusivement et irrévocablement à la prévoyance (art. 82 al. 2 LPP cum art. 1 al. 2 de l’ordonnance du 13 novembre 1985 sur les déductions admises fiscalement pour les cotisations versées à des formes reconnues de prévoyance [OPP 3]).

Le Message du 1er mars 2000 relatif à la 1re révision de la LPP (FF 2000 2540 ch. 2.9.5) rend compte de ce que l’extension de la compétence de l’autorité cantonale désignée pour connaître des contestations opposant fondations ou institutions de prévoyance, employeurs et ayants droit aux litiges relevant de la prévoyance liée procède d’une volonté d’unifier la compétence matérielle, afin qu’une seule juridiction soit saisie du contentieux en matière de prévoyance professionnelle, de libre passage et de prévoyance individuelle liée.

Ainsi, bien que les contrats de prévoyance liée soient matériellement régis par la LCA et, au surplus, par le Code des obligations, les contestations résultant de leur application, et qui opposent les ayants droit, les établissements d’assurance ou les fondations bancaires, relèvent de la compétence matérielle des tribunaux de la prévoyance professionnelle (ATF 141 V 439 consid. 1.1; arrêts 9C_62/2022 du 22 novembre 2022 consid. 1.1; 9C_380/2018 du 14 novembre 2018 consid. 1.1; 9C_44/2013 du 24 avril 2013 consid. 2; 9C_1092/2009 du 29 avril 2011 consid. 2.2; 9C_557/2008 du 3 avril 2009 consid. 1, non publié in ATF 135 III 289; 9C_944/2008 du 30 mars 2009 consid. 2.2; HÜRZELER/BRÜHWILER, op. cit., p. 2160 s. n. 254 ss; MEYER/UTTINGER, op. cit., n os 18 et 67 ad art. 73 LPP; GHISLAINE FRÉSARD-FELLAY, in Frésard-Fellay et al. [éd.], Droit suisse de la sécurité sociale, vol. II, 2015, n. 226 p. 566).

Consid. 4.1.3
Les règles de compétence prévues à l’art. 73 LPP ont un caractère impératif; en d’autres termes, il n’est pas possible d’y déroger (ATF 132 V 404 consid. 4.3; FABIENNE HOHL, Procédure civile, t. II, 2e éd. 2010, p. 43 n. 130).

Consid. 4.2
(…) Il est constant que le présent litige se rattache au pilier 3a, soit une autre forme de prévoyance au sens de l’art. 82 LPP. Cela étant, si l’art. 73 LPP avait à l’origine un champ d’application limité aux litiges et acteurs du 2e pilier, le législateur, dans un souci d’unifier la compétence matérielle pour ce qui a trait à la prévoyance professionnelle au sens large, a précisément étendu, à l’art. 73 al. 1 let. b LPP, la compétence de l’autorité cantonale aux contestations relatives à la prévoyance liée et à ses participants (cf. supra consid. 4.1.2). Le fait que les contrats d’assurance de prévoyance liée soient matériellement régis par la LCA et, au surplus, par le CO n’a pas d’incidence, n’en déplaise au recourant. Que la société d’assurances intimée revête la forme d’une société anonyme ne la fait pas plus sortir du cadre de l’art. 73 LPP. Bien au contraire, l’art. 7 LSA, à laquelle renvoie l’art. 1 al. 2 OPP 3, impose que les entreprises d’assurance soient constituées en sociétés anonymes ou en sociétés coopératives. Ceci répond à deux des griefs du recourant.

Quant au dernier d’entre eux, relatif au fondement des prétentions émises contre la défenderesse, il ne résiste pas non plus à l’examen. Certes, l’affaire concerne le remboursement de primes que l’assuré estime avoir payées à tort (art. 62 ss CO) et non pas le versement de rentes ou d’un capital auxquels l’assuré estime avoir droit (art. 3 OPP 3). Toutefois, dans l’un comme dans l’autre cas, le fait générateur de la prétention de l’assuré réside dans un contrat d’assurance liée, en tant que l’issue du litige dépend de l’absence, respectivement de la validité de cette cause juridique. Il serait dès lors contraire au droit de traiter différemment les deux aspects d’une même chose, la lettre et l’esprit de l’art. 73 al. 1 let. b LPP (cf. supra consid. 4.1.2) imposant au demeurant de soumettre au même juge de la prévoyance professionnelle l’une comme l’autre des contestations, puisqu’elles « résultent » du contrat de prévoyance liée. Le Tribunal fédéral a d’ailleurs déjà eu à connaître plusieurs affaires concernant des prétentions en restitution de primes de la prévoyance individuelle liée, traitées par les juridictions instituées en vertu de l’art. 73 LPP, dont il a implicitement reconnu la compétence, ce point n’ayant donné lieu à aucun débat (cf. arrêts 9C_380/2018 du 14 novembre 2018; 9C_557/2008 du 3 avril 2009, publié in ATF 135 III 289). Cette appréciation est d’ailleurs conforme à la jurisprudence rendue dans le domaine du 2e pilier avant l’entrée en vigueur de la 1re révision de la LPP (cf. supra consid. 4.1.1). En effet, du moment que l’on admet que l’art. 73 al. 1 LPP couvre des demandes de restitution de prestations fondées sur l’enrichissement illégitime, résultant dans certains cas de corrections sans incidence en droit de la prévoyance, on doit pareillement soumettre au juge de la prévoyance professionnelle les demandes de restitution de primes dérivant d’un contrat de prévoyance liée, fondées, elles aussi, sur l’enrichissement illégitime.

Au regard de ces éléments, il n’apparaît pas que les juges cantonaux aient violé le droit fédéral en considérant que le présent litige ressortait à l’art. 73 al. 1 let. b LPP. C’est donc à bon droit qu’ils ont frappé la demande du recourant du sceau de l’irrecevabilité.

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 4A_301/2024 consultable ici

 

 

8C_178/2025 (f) du 09.07.2025 – Gain assuré pour les indemnités journalières des membres de la famille de l’employeur travaillant dans l’entreprise, des associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives – 15 LAA – 22 al. 2 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_178/2025 (f) du 09.07.2025

 

Consultable ici

 

Gain assuré pour les indemnités journalières des membres de la famille de l’employeur travaillant dans l’entreprise, des associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives / 15 LAA – 22 al. 2 OLAA

Gain assuré déterminé au moyen de l’ESS de la région lémanique – Niveau de compétences 2 pour un administrateur président d’une société active dans le domaine de la gravure

 

Résumé
Le litige a porté sur la fixation du gain assuré d’un administrateur-président graveur devenu totalement incapable de travailler après un accident ; en raison de son lien avec l’employeur (sa propre société), l’évaluation a été faite selon le salaire correspondant aux usages professionnels et locaux (art. 22 al. 2 let. c OLAA). L’assureur a entrepris des démarches auprès de l’association professionnelle et d’entreprises sans obtenir de réponses probantes, puis a retenu un gain assuré fondé sur les salaires statistiques ESS 2018 (fabrication de produits métalliques) au niveau de compétence 2, adapté à la région lémanique. Les éléments du dossier ont montré que l’activité s’est essentiellement composée de tâches pratiques de gravure avec une gestion limitée d’une petite structure; les critiques, notamment fondées sur un rapport de coaching AI, n’ont pas convaincu et aucune violation du devoir d’instruction ni du droit d’être entendu n’a été établie. Le recours a été rejeté et la détermination du gain assuré fondée sur l’ESS a été confirmée.

 

Faits
Assuré, né en 1967, est l’administrateur président de B__ SA, société active dans le domaine de la gravure, depuis 2008, dont il détient l’intégralité du capital-actions. Il a dirigé la société depuis son acquisition et y a déployé une activité de graveur. Selon son extrait de compte individuel AVS, l’assuré a réalisé au service de la société, entre 2009 et 2019, des revenus oscillants entre 13’672 fr. et 45’500 fr. par année.

Le 05.09.2018, il a subi un accident, qui a entraîné une incapacité de travail totale dès cette date. Dans la déclaration d’accidents, la case « Membre de la famille, associé » n’a pas été cochée et le salaire indiqué était de 6’000 fr. par mois. L’assurance-accidents lui a versé des indemnités journalières de 189 fr. 40 en tenant compte du 13e salaire et des allocations familiales. Par décision, confirmée sur opposition, l’administration a maintenu ce montant, les éléments du dossier ne permettant pas de retenir des augmentations progressives de salaire comme soutenu.

Saisi d’un recours, le tribunal cantonal l’a partiellement admis par arrêt du 15.11.2022 et a renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision. Il a retenu qu’il n’était pas démontré au degré de la vraisemblance prépondérante que des augmentations salariales étaient prévues, tout en relevant que le gain assuré de 6’000 fr. par mois aurait pu être inférieur au revenu usuel dans la profession au regard de salaires statistiques dans l’horlogerie (non spécifiques à la région lémanique et couvrant plusieurs autres activités). L’assurance-accidents a ainsi été chargée d’établir le revenu que l’assuré aurait pu percevoir en tant que gérant salarié exerçant essentiellement une activité en atelier dans une entreprise de gravure de taille similaire.

À la suite de cet arrêt, l’assureur-accidents s’est adressé à l’Union suisse des graveurs pour connaître le revenu brut d’une activité telle que celle exercée par l’assuré, sans obtenir de réponse, puis à son président, lequel n’a pas pu articuler de revenu précis et a indiqué l’existence d’une forte pression salariale à Genève. L’assurance-accidents s’est en outre adressée à cinq entreprises de gravure, restées sans réponse. Par décision, confirmée sur opposition le 09.01.2024, l’assurance-accidents s’est fondée sur un gain assuré de 82’800 fr., et de 86’400 fr. allocations familiales incluses, en tenant compte du salaire correspondant aux usages professionnels et locaux, dès lors que le revenu statistique dans la fabrication de produits métalliques (ESS 2018, TA1_tirage_skill_level, ligne 25, niveau de compétence 2), adapté à la région lémanique, était de 75’363 fr. 76.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/95/2025 – consultable ici)

Par jugement du 04.02.2025, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, en augmentant le montant des indemnité journalières à 196 fr. 80.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 15 LAA, les indemnités journalières et les rentes sont calculées d’après le gain assuré (al. 1). Est réputé tel, pour le calcul des indemnités journalières, le dernier salaire que l’assuré a reçu avant l’accident (al. 2). L’alinéa 3 let. c de cette disposition confère au Conseil fédéral la compétence d’édicter des prescriptions sur le gain assuré pris en considération lorsque l’assuré ne gagne pas, ou pas encore, le salaire usuel dans sa profession.

Selon l’art. 22 al. 2 OLAA, est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS, sous réserve, en particulier, des membres de la famille de l’employeur travaillant dans l’entreprise, des associés, des actionnaires ou des membres de sociétés coopératives, pour lesquels il est au moins tenu compte du salaire correspondant aux usages professionnels et locaux (art. 22 al. 2 let. c OLAA). Le but de cette réglementation est d’éviter que les assurés qui se trouvent dans un rapport particulier avec leur employeur et, de ce fait, perçoivent un gain inférieur à celui qu’ils pourraient réaliser normalement sur le marché du travail, ne soient désavantagés lorsqu’ils ont droit à des prestations de l’assurance-accidents (arrêts 8C_461/2024 du 26 mars 2025 consid. 3; 8C_14/2016 du 21 décembre 2016 consid. 3.3). Le gain assuré doit alors être déterminé de la manière la plus simple possible, sans la participation de la personne assurée ni de son employeur, ce qui peut être fait à l’aide de statistiques salariales ou de renseignements sur les salaires fournis par des employeurs hypothétiques (arrêt 8C_88/2007 du 30 juillet 2007 consid. 3.2.1, publié in SVR 2007 UV n° 39 p. 131).

Consid. 4.3.1
Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession. Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques).

Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier; arrêt 8C_50/2022 du 11 août 2022 consid. 5.1.2, in SVR 2023 UV n° 8 p. 22). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.2.3 et les arrêts cités). L’application du niveau 2 se justifie uniquement si la personne assurée dispose de compétences ou de connaissances particulières (arrêt 8C_202/2022 du 9 novembre 2022 consid. 4.1 et les arrêts cités; pour le tout, cf. arrêt 8C_605/2022 du 29 juin 2023 consid. 4.2.2, in SVR 2023 UV n°47 p. 165). L’accent est donc mis sur le type de tâches que l’assuré est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications mais pas sur les qualifications en elles-mêmes (arrêts 8C_293/2023 du 10 août 2023 consid. 4.2 in fine; 8C_801/2021 du 28 juin 2022 consid. 2.3; 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.1 et les références). Il faut encore préciser que l’expérience professionnelle de plusieurs années dont peut se prévaloir un assuré – sans formation commerciale ni autre qualification particulière acquise pendant l’exercice de la profession – ne justifie pas à elle seule un classement supérieur au niveau de compétence 2, dès lors que dans la plupart des secteurs professionnels un diplôme ou du moins des formations et des perfectionnements (formalisés) sont exigés (arrêts 9C_486/2022 du 17 août 2023 consid. 7.3.3 in fine; 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.2.4; 8C_581/2021 du 19 janvier 2022 consid. 4.4; 9C_148/2016 du 2 novembre 2016 consid. 2.2; pour le tout, ATF 150 V 354 consid. 6.1).

Consid. 4.3.2 [résumé]
L’argumentation de l’assuré ne saurait être suivie. Il n’est pas seulement relevé que la petite taille de l’entreprise limitait l’étendue et la complexité des tâches de direction et de gestion; des doutes fondés ont également été émis quant à la fiabilité du rapport de coaching produit, soulignant des incohérences factuelles (le nombre d’années d’expérience dans le domaine du laser) et l’absence de corroboration par des tiers. Établi sur mandat de l’assurance-invalidité, ce rapport ne paraît pas pertinent pour les enjeux du cas d’espèce ; il n’est au demeurant pas démontré pour quelle raison l’assurance-accidents y serait liée (ATF 133 V 549 consid. 6). Inséré dans le contexte d’une reprise d’activité après l’accident et élaboré avec la participation directe de l’assuré, le rapport en question présente des lacunes potentielles d’objectivité (cf. consid. 3 et arrêt 8C_88/2007 du 30 juillet 2007 consid. 3.2.1).

Aussi, le tribunal cantonal a correctement privilégié les déclarations de l’assuré lors de l’entretien du 10 juillet 2019, qui indiquaient, avant l’accident, une activité à 90% dévolue aux travaux de gravure et à 10% à la préparation technique et au développement. Au vu du dossier, l’appréciation selon laquelle son rôle dans les projets de recherche relevait de l’exécution plutôt que de l’élaboration intellectuelle ne prête pas le flanc à la critique. Il en va de même des formations invoquées, soit parce qu’elles ne sont pas comparables à des études de niveau supérieur (cours de mathématiques et d’informatique de gestion), soit en raison de l’absence de pertinence du diplôme en management international de 1994 pour estimer le salaire statistique le plus proche du salaire correspondant aux usages professionnels et locaux. Les critiques soulevées ne permettent pas de s’écarter des faits constatés.

Consid. 4.3.3 [résumé]
En retenant des tâches principalement pratiques de gravure (même sur laser), complétées par la gestion d’une petite entreprise et le suivi de projets, et en l’absence de formations de niveau supérieur directement pertinentes, l’application du niveau de compétence 2 de l’ESS 2018 ne viole pas le droit fédéral. Cela est du reste conforme à la jurisprudence rendue en la matière, comme exposé par la cour cantonale dans l’arrêt entrepris (auquel on peut renvoyer, cf. en particulier les arrêts 8C_276/2021 du 2 novembre 2021 consid. 5.4.1; 8C_374/2021 du 13 août 2021 consid. 5.3; 8C_5/2020 du 22 avril 2020 consid. 5.3.2; 8C_732/2018 du 26 mars 2019 consid. 8.2). L’ensemble des éléments versés au dossier ne permet donc pas de justifier la prise en compte d’un niveau de compétence supérieur à celui retenu par les juges cantonaux et l’assurance-accidents.

Consid. 4.3.4
En dernier lieu, on voit mal dans quelle mesure l’assuré pourrait valablement invoquer une violation de l’art. 43 al. 1 LPGA dans le cas concret. L’assurance-accidents s’est conformée aux instructions reçues par la cour cantonale dans l’arrêt de renvoi et a entrepris suffisamment de démarches afin de définir le salaire correspondant aux usages professionnels et locaux, même si celles-ci n’ont pas abouti à un résultat. Pour le reste, la portée des constatations de l’assurance-invalidité a déjà été discutée ci-dessus (consid. 4.3.2) et ne nécessite pas d’approfondissement supplémentaire. L’assuré ne motive d’ailleurs pas pour quelle raison il faudrait préférer une telle analyse en faisant abstraction de tout contexte, qu’il ne détaille pas davantage dans le recours. Enfin, la prétendue violation du droit d’être entendu, à tout le moins implicitement invoquée, ne satisfait pas aux exigences accrues de motivation en vertu de l’art. 106 al. 2 LTF, ce qui rend le grief inadmissible.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_178/2025 consultable ici

 

 

Remarque

Arrêt cantonal particulièrement détaillé et instructif. Sa lecture est recommandée aux praticiennes et aux praticiens.

 

 

9C_660/2024 (f) du 27.06.2025 – Capacité de travail exigible – Rapport du médecin traitant probant – Mauvaise lecture par le médecin du SMR / Appréciation arbitraire des faits et des preuves par le tribunal cantonal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_660/2024 (f) du 27.06.2025

 

Consultable ici

 

Capacité de travail exigible – Rapport du médecin traitant probant – Mauvaise lecture par le médecin du SMR / 16 LPGA – 43 LPGA

Appréciation arbitraire des faits et des preuves par le tribunal cantonal

 

Résumé
Assurée, née en 1982, souffrant d’un syndrome de type angiome Klippel-Trenaunay de la jambe droite. L’office AI a nié le droit à des mesures professionnelles et à la rente, confirmé par la juridiction cantonale. Sur la base des pièces, le Tribunal fédéral a été retenu que le SMR avait mal interprété l’avis de l’angiologue traitant, qui a précisé qu’il ne serait pas possible de travailler assise une journée complète et a limité la capacité à environ quatre heures par jour. L’appréciation cantonale des preuves a été jugée arbitraire; une expertise médicale indépendante doit être mise en œuvre et la cause a été renvoyée à l’office AI.

 

Faits
En octobre 2021, assurée, née en 1982, a présenté une demande de prestations de l’assurance-invalidité. Elle y indiquait souffrir depuis la naissance d’un syndrome de type angiome Klippel-Trenaunay sur toute la jambe droite. Après avoir en particulier sollicité des renseignements auprès des médecins traitants de l’assurée, qu’il a soumis à son SMR, l’office AI a nié le droit de l’intéressée à des mesures d’ordre professionnel et à une rente.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 15.10.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Les juges cantonaux ont d’abord constaté que le médecin traitant spécialiste en médecine interne générale et en angiologie avait indiqué que l’assurée disposait d’une capacité de travail de 50% dans son activité habituelle de responsable de fabrication auprès de D.__ Sàrl, respectivement de 100% dans une activité entièrement adaptée à ses limitations fonctionnelles. Ils ont ensuite considéré qu’aucune raison ne permettait de « s’écarter » de l’appréciation probante du médecin du SMR, selon laquelle l’assurée disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité légère et adaptée. En particulier, l’avis de l’angiologue traitant ne contredisait pas les conclusions du médecin du SMR quant à l’exigibilité de l’exercice à 100% d’une activité entièrement adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assurée, à savoir un emploi sédentaire où celle-ci pourrait rester assise toute la journée et le cas échéant effectuer des pauses régulières pour allonger sa jambe droite. Après avoir confirmé le taux d’invalidité arrêté par l’office intimé à 38%, la juridiction cantonale a finalement nié le droit de l’assurée à une rente, ainsi qu’à des mesures de réadaptation.

Consid. 5.1
En l’occurrence, en ce qu’elle a considéré que l’avis du médecin traitant spécialiste en médecine interne générale et en angiologie ne contredisait pas les conclusions du médecin du SMR, selon lesquelles une activité entièrement adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assurée était exigible à 100%, la juridiction cantonale a apprécié arbitrairement les faits et les preuves. Elle s’est fondée sur l’avis du médecin du SMR, qui, appelé à se prononcer au sujet des conclusions de l’angiologue traitant, avait admis que son confrère avait apprécié la situation de sa patiente en ce sens qu’elle disposait d’une capacité de travail de 50% au maximum « dans l’activité habituelle (plutôt debout) » et de 100% « dans une activité plutôt assise ».

Or tels ne sont pas les propos de l’angiologue traitant. Dans son rapport, le médecin traitant n’a en effet pas indiqué que l’assurée disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée (même assise ou plutôt assise). Après avoir d’abord rappelé qu’en 2008, il s’était adressé à l’employeur de sa patiente afin de lui signifier qu’elle « devrait avoir au moins 50% de son activité en position assise », l’angiologue traitant a décrit l’« évolution sur 13 ans », en faisant état d’une « diminution de la capacité de travail lié[e] aux douleurs du [membre inférieur droit] de plus en plus importantes ». Dans ce contexte, le médecin traitant a indiqué que l’atteinte angiomateuse du réseau veineux profond ne pouvait bénéficier d’aucun traitement en dehors de la contention et de l’hygiène veineuse et qu’il « ne serait pas possible de travailler assise une journée complète »; il a précisé à ce propos qu’il pensait clairement que l’on ne pouvait pas attendre de l’assurée plus de quatre heures par jour de travail dans son activité et dans toute activité d’ailleurs. À cet égard, la considération de la juridiction cantonale, selon laquelle cette « précision » de l’angiologue traitant ne reposait sur aucune explication et semblait dès lors être principalement fondée par la relation de confiance particulière le liant à sa patiente, ne peut pas être suivie.

Consid. 5.2
On rappellera que le fait, tiré de l’expérience de la vie, qu’en raison du lien de confiance (inhérent au mandat thérapeutique) qui l’unit à son patient, le médecin traitant est généralement enclin à prendre parti pour celui-ci (ATF 135 V 465 consid. 4.5; 125 V 351 consid. 3a/cc) ne libère pas le juge de son devoir d’apprécier correctement les preuves, ce qui suppose de prendre également en considération les rapports versés par l’assuré à la procédure. Le juge doit alors examiner si ceux-ci mettent en doute, même de façon minime, la fiabilité et la pertinence des constatations des médecins internes à l’assurance. Lorsque, comme en l’occurrence, une décision administrative s’appuie exclusivement sur l’appréciation d’un médecin interne à l’assureur social et que l’avis motivé d’un médecin traitant ou d’un expert privé auquel on peut également attribuer un caractère probant laisse subsister des doutes quant à la fiabilité et à la pertinence de cette appréciation, la cause ne saurait être tranchée en se fondant sur l’un ou sur l’autre de ces avis. Il y a lieu de mettre en oeuvre une expertise par un médecin indépendant selon la procédure de l’art. 44 LPGA (ou une expertise judiciaire; ATF 135 V 465 consid. 4.5 et 4.6; arrêt 9C_553/2023 du 14 novembre 2024 consid. 3.2 et les références). Aussi la cause doit-elle être renvoyée à l’office AI pour ce faire. Le recours est bien fondé.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_660/2024 consultable ici