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8C_515/2024 (d) du 23.05.2025, destiné à la publication – Maxime inquisitoire – Principe de la libre appréciation des preuves / Rapport établi par une psychologue

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_515/2024 (d) du 23.05.2025, destiné à la publication

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Maxime inquisitoire – Principe de la libre appréciation des preuves / 61 let. c LPGA – 43 al. 1 LPGA

Rapport établi par une psychologue

 

Résumé
Le Tribunal fédéral rappelle que l’évaluation du droit aux prestations nécessite des bases médicales de décision fiables. En l’espèce, la cour cantonale s’est exclusivement fondée sur l’évaluation – sur dossier – du médecin orthopédiste du SMR, sans tenir compte du rapport circonstancié de la psychothérapeute traitante, ni des diagnostics antérieurs attestant d’un trouble psychique. Le Tribunal fédéral a jugé que ni l’office AI ni le tribunal cantonal n’ont satisfait à leur obligation d’instruire, en omettant d’évaluer de manière approfondie l’état psychique de l’assurée malgré des indices sérieux d’une atteinte à la santé psychique. Il a dès lors annulé l’arrêt cantonal et renvoyé la cause à l’office AI pour des mesures d’instruction complémentaire et nouvelle décision.

 

Faits
Assurée, née en 1965, a déposé en septembre 2014 une première demande de prestations de l’assurance-invalidité. Par décision du 09.11.2016, l’office AI lui a octroyé une demi-rente limitée au mois de mars 2015. Cette décision n’avait pas été contestée.

En mai 2021, l’assurée a déposé une nouvelle demande, invoquant des douleurs au genou ainsi qu’une dépression. L’office AI a procédé à une évaluation de la situation médicale et professionnelle. Après consultation du SMR, l’office AI a informé l’assurée de son intention de rejeter la demande. À l’issue de compléments d’instruction et notamment d’un nouvel avis du SMR, l’office AI a rejeté la demande (décision du 21.12.2023).

 

Procédure cantonale (arrêt VBE.2024.82 – consultable ici)

Par jugement du 25.06.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon la cour cantonale, il convient de se fonder, comme base probante pour apprécier l’état de santé, le profil de capacité de travail exigible et les limitations fonctionnelles, sur la seule appréciation sur dossier du 18.07.2023 établi par le Dr B.__, orthopédiste et médecin du SMR. Selon celle-ci, il n’existerait, ni sur le plan somatique, ni sur le plan psychique, d’atteintes à la santé ayant une incidence sur la capacité de travail. Il convient dès lors d’admettre une pleine capacité de travail de la recourante pour toute activité au plus tard dès septembre 2021.

Consid. 3.2
Comme déjà lors de la procédure cantonale, l’assurée ne conteste pas l’appréciation du SMR sur le plan somatique. Il n’y a dès lors pas lieu d’aller plus loin sur ce point.

Consid. 3.3
Sur le plan psychique, l’assurée invoque une violation du principe inquisitoire (art. 61 let. c LPGA). Elle fait valoir que la conclusion de l’instance cantonale, selon laquelle il n’existerait pas même de doutes minimes quant à la prise de position interne à l’assurance du Dr B.__, est insoutenable. Elle invoque également une appréciation arbitraire des preuves par les juges cantonaux.

Consid. 4.1
La cour cantonale a constaté qu’aucune pathologie psychique n’est établie par un médecin spécialiste, ce que ne changeait pas non plus le rapport de la psychothérapeute traitante, lic. phil. C.__, du 18.04.2023. Il ne s’agissait en effet pas d’une évaluation médicale spécialisée. En outre, ce rapport ne contenait ni indications anamnestiques suffisantes ni une explicitation compréhensible du raisonnement diagnostique.

Consid. 4.3
Comme l’a reconnu à juste titre le tribunal cantonal, l’évaluation de la psychothérapeute ne constitue pas une appréciation médicale spécialisée. Il est également exact qu’une évaluation spécialisée de l’état de santé et de la capacité de travail ne peut en principe être remise en cause que sur la base d’une autre évaluation divergente émanant elle aussi d’un médecin spécialiste (arrêts 8C_584/2018 du 13 novembre 2018 consid. 4.1.1.2 ; 8C_450/2018 du 16 octobre 2018 consid. 5.1 ; 9C_139/2014 du 6 octobre 2014 consid. 5.2 et les références citées). On ne saurait toutefois en déduire qu’un rapport émanant d’une psychothérapeute serait d’emblée dépourvu de pertinence (cf. par ex. arrêt 8C_398/2018 du 5 décembre 2018 consid. 5.1 et 5.4). Le principe de la libre appréciation des preuves (art. 61 let. c LPGA) impose plutôt aux tribunaux cantonaux des assurances sociales d’examiner objectivement tous les moyens de preuve, indépendamment de leur origine, et de décider ensuite si les pièces disponibles permettent une évaluation fiable du droit litigieux.

Consid. 4.4
L’évaluation du droit aux prestations relevant du droit des assurances sociales nécessite des bases médicales de décision fiables (ATF 134 V 231 consid. 5.1; SVR 2018 UV Nr. 27 p. 94, 8C_830/2015 consid. 5.2). Tant la procédure administrative que le procès cantonal en matière d’assurances sociales sont régis par la maxime inquisitoire (art. 43 al. 1 et art. 61 let. c LPGA). Selon ce principe, l’administration et le tribunal cantonal doivent établir d’office les faits juridiquement pertinents. Cette obligation d’instruction s’étend jusqu’à ce que les faits nécessaires à l’examen des prétentions en cause soient suffisamment élucidés (SVR 2013 UV Nr. 9 p. 29, 8C_592/2012 consid. 5.1 et les références ; cf. également ATF 144 V 427 consid. 3.2 et les références). La maxime inquisitoire présente des liens étroits avec le principe de la libre appréciation des preuves, applicable tant au niveau administratif que judiciaire (cf. consid. 4.3 supra).

Si les investigations menées d’office conduisent, dans le cadre d’une appréciation des preuves complète, correcte, objective et matérielle (ATF 132 V 393 consid. 4.1), l’assureur ou le tribunal est convaincu que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante (ATF 126 V 353 consid. 5b ; 125 V 193 consid. 2) et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu de rechercher d’autres preuves. Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d’être entendu (appréciation anticipée des preuves ; ATF 134 I 140 consid. 5.3 ; 124 V 90 consid. 4b). En revanche, si des doutes sérieux subsistent quant à l’exhaustivité et/ou l’exactitude des constatations de fait établies jusqu’ici, il convient de compléter l’instruction de la cause, pour autant que l’on puisse attendre un résultat probant des mesures d’instruction entrant en considération (arrêt 8C_676/2023 du 22 mai 2024 consid. 3.2 et la référence).

Consid. 4.5
Selon les constatations non arbitraires de l’instance cantonale, l’expertise bidisciplinaire rhumatologique et psychiatrique du 27.11.2015 n’a pas attesté d’incapacité de travail en raison d’une atteinte psychique. Toutefois, l’experte psychiatre y a posé le diagnostic d’un épisode dépressif léger (CIM-10 F32.0). Comme l’a également relevé la cour cantonale, le rapport des services psychiatriques du 21.10.2015 mentionnait le diagnostic d’un épisode dépressif modéré à sévère. Ces indications médicales ne concernent certes pas la période déterminante de la nouvelle demande. Elles montrent néanmoins qu’une atteinte à la santé psychique avait été diagnostiquée par un médecin spécialiste dans le passé. Il ressort en outre du rapport de lic. phil. C.__ du 18.04.2023 que l’assurée se trouve depuis plusieurs années en traitement psychothérapeutique prescrit par un médecin.

Consid. 4.6
Comme le fait valoir à juste titre l’assurée, le médecin orthopédiste du SMR ne s’est absolument pas penché sur le contenu des indications fournies par lic. phil. C.__. Il s’est contenté d’écarter de manière générale aux psychologues la qualification professionnelle nécessaire à l’évaluation de l’état de santé psychique. Lui-même ne dispose toutefois ni d’un titre de spécialiste en psychiatrie, ni n’a jamais examiné personnellement l’assurée. Il convient également de relever que, selon l’art. 50c OAMal en vigueur depuis le 1er juillet 2022, les psychologues-psychothérapeutes sont, sous certaines conditions, reconnus comme fournisseurs de prestations dans l’assurance obligatoire des soins (voir à ce sujet les conditions d’autorisation à l’exercice de la psychothérapie à l’art. 11b de l’Ordonnance du DFI du 29 septembre 1995 sur les prestations de l’assurance des soins [OPAS ; RS 832.112.31] ; voir également l’art. 24 de la loi fédérale du 18 mars 2011 sur les professions de la psychologie [LPsy ; RS 935.81]). Ce seul fait ne rend certes pas superflue une évaluation par un médecin spécialiste. Toutefois, en raison des constatations psychopathologiques établies par la psychothérapeute (cf. consid. 4.2 supra), il existe en tout cas des indices sérieux d’une atteinte psychique significative. En ce sens, la conclusion du tribunal cantonal selon laquelle il n’existerait aucun indice d’un tableau clinique de maladie psychique apparaît insoutenable.

Consid. 4.7
Au vu de ce qui précède, il demeure incertain si la capacité de travail de l’assurée est ou non limitée pour des raisons psychiques. Il manque donc, sur le plan psychique, une base médicale fiable pour la décision. En renonçant à procéder à des investigations complémentaires concernant l’état de santé psychique de l’assurée, le tribunal cantonal a constaté les faits juridiquement pertinents de manière incomplète et en violation de la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA ; cf. consid. 4.4 ci-dessus). De son côté, l’office AI n’a pas non plus satisfait à son obligation d’instruire (art. 43 al. 1 LPGA), de sorte que la cause doit lui être renvoyée afin qu’il examine de manière suffisante l’état de santé psychique de l’assurée et vérifie si une modification notable de son état de santé est intervenue depuis la dernière évaluation matérielle. Il devra ensuite rendre une nouvelle décision sur le droit aux prestations.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_515/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_515/2024 (d) du 23.05.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/08/8c_515-2024)

 

 

8C_696/2024 (f) du 13.05.2025 – Calcul de la prestation complémentaire – Dessaisissement de fortune – Prêt de 121’266 fr. de l’époux de l’assurée à une tierce personne résidant aux Etats-Unis – Absence de remboursement du prêt pendant plus d’une décennie – Prescription de la dette

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_696/2024 (f) du 13.05.2025

 

Consultable ici

 

Calcul de la prestation complémentaire – Dessaisissement de fortune / 9 al. 1 aLPC – 17a al. 1 aOPC-AVS/AI

Prêt de 121’266 fr. de l’époux de l’assurée à une tierce personne résidant aux Etats-Unis – Absence de remboursement du prêt pendant plus d’une décennie

Prescription de la dette

 

Résumé
L’arrêt porte sur la prise en compte, dans le calcul des prestations complémentaires d’une assurée résidant en EMS, d’un prêt consenti en 2005 par son époux, resté impayé. Le Tribunal fédéral a confirmé que cette créance, dont la prescription n’était intervenue qu’en août 2022, constituait une fortune puis une fortune dessaisie dès décembre 2022, en l’absence de démarches suffisantes pour en obtenir le remboursement. Il a validé la réduction annuelle de 10’000 francs dès 2024 selon l’art. 17a OPC-AVS/AI, et jugé applicable l’art. 9 al. 3 aLPC en raison de la résidence durable en EMS.

 

Faits
Assurée, née en 1944, et son époux, né en 1942, sont au bénéfice d’une rente AVS. Dès août 2018, l’assurée a séjourné en EMS. Dès septembre 2018, la caisse de compensation leur a versé des prestations complémentaires en tenant compte, dans le calcul, d’une créance de 121’266 fr. correspondant à un prêt consenti en 2005 par l’époux à C.__, laquelle résidait aux États-Unis. Ce prêt, régi par le droit suisse et prévoyant un for en Suisse, n’a donné lieu à aucun remboursement, même partiel, en septembre 2018.

Par décisions du 27 juin 2022, la caisse de compensation a alloué aux époux des prestations complémentaires mensuelles de 3’979 fr. respectivement 685 fr. dès le 01.05.2022, retenant le prêt de 121’266 fr. et une dette de 13’032 fr. relative à des arriérés de frais d’hébergement de l’EMS. Le 20.01.2023, elle a rendu de nouvelles décisions, requalifiant le prêt en dessaisissement de fortune (donation), avec une déduction annuelle de 10’000 fr. dès 2025, et a reconnu le droit de l’assurée à des prestations complémentaires mensuelles de 4’044 fr. dès le 01.01.2023.

L’assurée a formé opposition, faisant valoir que la perte de fortune était involontaire, son époux ayant tenté en vain de recouvrer la créance. Par décisions du 18.08.2023, la caisse a partiellement admis l’opposition : l’amortissement du dessaisissement de fortune de 10’000 fr. était pris en compte dès le 01.01.2024, et la fortune des époux a été actualisée au 01.02.2023. Les prestations complémentaires étaient dès lors fixées à 4’065 fr. pour l’assurée et à 707 fr. pour son époux, sur la base d’une fortune de 63’618 fr. (13’000 fr. de comptes bancaires, 2’384 fr. de titres, 121’266 fr. de fortune dessaisie, sous déduction de 13’032 fr. de dettes envers l’EMS et de la déduction légale pour les couples de 60’000 fr.).

 

Procédure cantonale (arrêt PC 52/23 – 49/2024 – consultable ici)

Par jugement du 18.10.2024, admission très partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que l’assurée avait droit à des prestations complémentaires à hauteur de 4’094 fr. dès le 01.02.2023.

 

TF

Consid. 3.2
Le 01.01.2021 est entrée en vigueur la modification du 22 mars 2019 de la LPC (Message du 16 septembre 2016 relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires [Réforme des PC], FF 2016 7249; RO 2020 585). Conformément à l’al. 1 des dispositions transitoires de ladite modification, l’ancien droit reste applicable pendant trois ans à compter de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions légales aux bénéficiaires de prestations complémentaires pour lesquels la réforme des PC entraîne, dans son ensemble, une diminution de la prestation complémentaire annuelle ou la perte du droit à la prestation complémentaire annuelle.

Les juges cantonaux ont appliqué la LPC dans son ancienne teneur (ci-après: aLPC), jugeant que l’ancien droit était plus favorable à l’assurée. Celle-ci ne le conteste pas. On peut donc s’en tenir aux considérations convaincantes de la cour cantonale, sans autre considération à défaut de grief sur ce point.

Consid. 3.3
Le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants (art. 9 al. 1 aLPC). Ceux-ci comprennent, notamment, un dixième de la fortune nette pour les bénéficiaires de rentes de vieillesse, dans la mesure où elle dépasse 37’500 fr. pour les personnes seules, respectivement 60’000 fr. pour les couples (art. 11 al. 1 let. c aLPC).

L’art. 17a al. 1 OPC-AVS/AI, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, en relation avec l’art. 11 al. 1 let. g aLPC, pose le principe de la réduction, chaque année de 10’000 fr., du montant de la fortune qui a fait l’objet d’un dessaisissement et qui doit être pris en compte dans le calcul de la prestation complémentaire. Par dessaisissement, il faut entendre, en particulier, la renonciation à des éléments de revenu ou de fortune sans obligation juridique ni contre-prestation équivalente (ATF 140 V 267 consid. 2.2; 134 I 65 consid. 3.2; 131 V 329 consid. 4.2). Pour vérifier s’il y a contre-prestation équivalente et pour fixer la valeur d’un éventuel dessaisissement, il faut comparer la prestation et la contre-prestation à leurs valeurs respectives au moment de ce dessaisissement (ATF 120 V 182 consid. 4b).

Consid. 4 [résumé]
Les juges cantonaux ont retenu que l’entrée de l’assurée en EMS en 2018, en raison de son état de santé, relevait de l’art. 9 al. 3 aLPC, applicable aux couples dont l’un ou les deux conjoints résident en home ou à l’hôpital. Cette disposition impliquait un calcul séparé des prestations complémentaires pour chaque époux, sur la base de la fortune du couple répartie par moitié, rendant sans pertinence le fait que l’assurée n’était pas partie au contrat de prêt.

La cour cantonale a constaté qu’aucun remboursement du prêt n’était intervenu malgré les relances effectuées par l’époux de l’assurée entre 2006 et 2009, puis en 2012. Bien qu’il eût été possible de saisir la justice, aucune démarche n’avait été entreprise, ni pour obtenir le remboursement ni pour interrompre la prescription. Ils avaient relevé qu’un courriel d’août 2012 par lequel l’emprunteuse s’engageait à rembourser faisait courir un nouveau délai de prescription, expirant en août 2022. La créance avait ainsi été jugée recouvrable jusqu’à cette date et devait être considérée comme fortune, puis comme fortune dessaisie.

Les juges cantonaux ont retenu que l’époux de l’assurée avait conservé l’intention d’obtenir le remboursement du prêt jusqu’à décembre 2022, date à laquelle les époux avaient réagi aux décisions de prestations complémentaires fondées sur la créance. L’absence de manifestation explicite de renonciation avant cette date justifiait la requalification du prêt en fortune dessaisie à compter du 01.12.2022. Au 01.01.2023, cette fortune devait être intégrée pour sa pleine valeur, puis réduite de 10’000 fr. par an à partir de 2024, selon l’art. 17a al. 1 et 2 OPC-AVS/AI.

Par ailleurs, les juges cantonaux ont relevé une divergence entre le montant de la dette retenue dans la décision sur opposition du 01.12.2023 (20’345 fr. 75) et celui inscrit dans les décisions chiffrées du 18.08.2023 (13’032 fr.). Sur la base des décomptes versés à l’appui de l’opposition, la dette envers l’EMS devait être fixée à 20’105 fr. 45 au 01.12.2023, ce qui modifiait la fortune nette (56’545 fr.) et le montant des prestations complémentaires, porté à 4’094 fr. par mois. Le recours était dès lors très partiellement admis, l’assurée ayant droit à des prestations complémentaires à hauteur de 4’094 fr. dès le 01.12.2023, sans qu’un complément d’instruction fût nécessaire.

Consid. 5.2 [résumé]
Les tentatives passées en vue de recouvrer sa créance ne sont pas pertinentes au regard de la prescription intervenue en août 2022. L’assurée ne prétend pas que son époux aurait tenté d’interrompre cette prescription, mais soutient que la créance était irrécouvrable depuis plusieurs années et qu’une action judiciaire aurait été vaine et coûteuse, vu l’incertitude sur la situation financière de la débitrice et l’inexécutabilité d’un jugement suisse aux États-Unis sans procédure supplémentaire. Toutefois, l’époux avait obtenu une reconnaissance de dette en 2012 sans frais judiciaires, contredisant ses propres déclarations postérieures selon lesquelles il n’aurait plus eu de contact avec la débitrice depuis 2008. L’assurée ne démontre pas que des démarches avaient été entreprises après 2012 pour localiser la débitrice ou recouvrer la créance. Au contraire, l’époux avait cessé tout contact dès 2018. Dans ces circonstances, les juges cantonaux pouvaient, sans arbitraire, rejeter l’argument selon lequel la créance aurait été irrécouvrable.

Consid. 5.3 [résumé]
Ils pouvaient également refuser, sans arbitraire, l’audition de l’époux et du fils de l’assurée, en vertu d’une appréciation anticipée des preuves. Les affirmations vagues selon lesquelles la débitrice aurait évoqué avec le fils de l’assurée l’absence de remboursement n’étaient pas datées ni étayées, et ne suffisaient pas à établir l’irrécouvrabilité de la créance. Par ailleurs, l’assurée admettait elle-même que son fils n’avait pas participé activement aux démarches de recouvrement. Quant à l’audition de l’époux, elle aurait porté sur les conditions de négociation du prêt, qui n’étaient pas litigieuses, rendant cette preuve non déterminante.

Consid. 6.1 [résumé]
L’assurée soutient, à titre subsidiaire, que la créance était en réalité prescrite depuis 2017 déjà, de sorte qu’un amortissement annuel de 10’000 fr. au titre de fortune dessaisie aurait dû commencer au plus tard en 2017. Elle conteste que le courriel du 02.08.2012 constituât une reconnaissance de dette interruptive de prescription au sens de l’art. 135 CO, invoquant son contenu vague, l’absence de proposition concrète ou de paiement, les conditions posées, la référence à Dieu, ainsi que le comportement antérieur de la débitrice, marqué par des promesses jamais respectées.

Consid. 6.2
L’argumentation est mal fondée. En effet, on peut clairement déduire des échanges de courriers électroniques de 2012 que la débitrice reconnaît sa dette et s’engage à la rembourser. Dans le courriel adressé antérieurement, soit le 07.05.2012, elle écrivait « Par rapport au remboursement, je compte commencer à partir du mois de juillet 2012 ». Le fait que dans le courriel du 02.08.2012, la promesse de remboursement restait vague quant aux modalités pratiques et au délai n’y change rien.

Consid. 7.1 [résumé]
L’assurée fait valoir qu’un calcul séparé des prestations devrait être appliqué à chacun des époux. Elle invoque la séparation définitive d’avec son époux depuis 2018, rendue irréversible par ses besoins de soins spécifiques. Elle soutient également que l’art. 9 al. 3 aLPC ne devrait pas s’appliquer en l’espèce, puisque la prise en compte d’un prêt dont elle n’était pas titulaire pour calculer sa fortune réduit ses prestations complémentaires et augmente sa dette envers l’EMS, impactant aussi son époux.

Consid. 7.2
Les couples dont l’un des conjoints (ou les deux) vit en permanence ou pour une longue période dans un home par nécessité ne sont pas considérés comme vivant séparés volontairement du point de vue des prestations complémentaires. Dans leur cas, le calcul des prestations complémentaires est réglé part l’art. 9 al. 3 aLPC, en tant que lex specialis. Selon cette disposition, la prise en compte d’un dessaisissement doit intervenir par moitié dans les revenus, peu importe à qui le patrimoine dessaisi appartenait (MICHEL VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, 2015, n° 45 ad art. 9 LPC). Il s’ensuit que le grief est mal fondé.

Consid. 8
Dans un dernier grief, l’assurée se prévaut d’une violation de l’art. 61 let. g LPGA. Elle reproche à la juridiction cantonale de ne pas lui avoir alloué de dépens pour une procédure ayant conduit à une admission très partielle de son recours. Cependant, les juges cantonaux pouvaient, sans violer le droit fédéral, refuser d’allouer des dépens à l’assurée dans la mesure où elle n’obtenait que très partiellement gain de cause et pour des motifs qu’elle n’avait elle-même pas invoqués dans son recours en instance cantonale, ses griefs ayant été rejetés. Son écriture, à elle seule, n’exigeait pas l’allocation de dépens.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_696/2024 consultable ici

 

 

8C_683/2021 + 8C_753/2021 (f) du 13.07.2022 – Période pour l’examen mensuel des recherches d’emploi – Suspension du droit à l’indemnité de chômage – Formalisme excessif / Révision d’un jugement cantonal – Voie ordinaire du recours au TF vs voie extraordinaire de la révision

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_683/2021 + 8C_753/2021 (f) du 13.07.2022

 

Consultable ici

 

Période à prendre en considération dans le cadre de l’examen mensuel des recherches d’emploi / 17 LACI – 26 OACI – 27a OACI

Suspension du droit à l’indemnité de chômage / 30 LACI

Formalisme excessif

Révision d’un jugement cantonal (non encore entrée en force) en raison de l’omission de l’octroi des dépens / 61 let. i LPGA – 80 let. d LPA/GE

Voie ordinaire du recours au TF vs voie extraordinaire de la révision

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé l’annulation d’une suspension de neuf jours du droit à l’indemnité de chômage prononcée à l’encontre d’une assurée, considérant que la prise en compte d’une postulation effectuée le 31.08.2020 – non reprise dans le formulaire du mois d’août mais incluse dans celui de septembre – ne constituait pas un comportement fautif de nature à justifier une sanction. En jugeant que son exclusion relevait du formalisme excessif, la cour cantonale n’avait pas violé le droit fédéral (art. 17 LACI, 26 et 27a OACI). Le Tribunal fédéral a en outre validé la révision du jugement cantonal accordant des dépens à l’assurée, admettant que l’omission de statuer sur ce point constituait un motif de révision selon l’art. 80 let. d LPA/GE, sans que cette décision soit arbitraire dans son résultat.

 

Faits
Assurée inscrite auprès de l’Office cantonal de l’emploi le 30.08.2019.

Par décision du 20.10.2020, confirmée sur opposition, l’Office cantonal de l’emploi a prononcé la suspension du droit à l’indemnité de chômage de l’assurée pour une durée de 9 jours à compter du 01.10.2020, au motif que ses recherches personnelles d’emploi avaient été insuffisantes quantitativement durant le mois de septembre 2020.

 

Procédure cantonale (arrêts ATAS/873/2021 et ATAS/1036/2021)

Par jugement du 31.08.2021, admission du recours par le tribunal cantonal.

Le 13.09.2021, l’assurée avait déposé une demande de révision de cet arrêt, au motif que la cour cantonale n’avait pas statué sur les dépens, et avait conclu à ce qu’une indemnité de 1250 fr. lui soit allouée. Par arrêt sur révision du 05.10.2021, le tribunal cantonal a admis la demande de révision et a condamné l’Office cantonal de l’emploi à verser à l’assurée une indemnité de 1800 fr. pour la procédure cantonale.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
Dans son arrêt sur le fond du 31.08.2021, la juridiction cantonale avait constaté que l’Office cantonal de l’emploi reprochait à l’assurée d’avoir effectué seulement neuf recherches personnelles d’emploi durant le mois de septembre 2020, alors qu’elle s’était engagée à en effectuer dix selon le plan d’actions signé le 04.02.2020. Elle a constaté que l’assurée avait inscrit dix recherches sur le formulaire de septembre 2020, couvrant la période du 31.08.2020 au 30.09.2020, mais que l’Office cantonal de l’emploi n’avait pas pris en compte celle du 31.08.2020, car elle ne relevait pas du mois civil concerné.

Se référant à un cas semblable dans lequel elle avait considéré qu’il relevait du formalisme excessif d’écarter des recherches d’emploi dans la mesure où elles n’avaient pas été mentionnées dans le formulaire relatif au mois précédent et où elles avaient effectivement été menées durant la première semaine du mois correspondant à la période de contrôle (ATAS/185/2011), la cour cantonale a relevé qu’en l’espèce, la recherche du 31.08.2020 ne figurait pas déjà sur le formulaire de preuves des recherches personnelles du mois d’août 2020 et que le 31.08.2020 tombait sur le lundi de la première semaine du mois de septembre 2020. Elle en avait déduit que l’intimée n’avait commis aucune faute justifiant une sanction et avait annulé la suspension du droit aux indemnités.

Consid. 3.3.1
Le formalisme excessif est un aspect particulier du déni de justice prohibé par l’art. 29 al. 1 Cst. Il est réalisé lorsque la stricte application des règles de procédure ne se justifie par aucun intérêt digne de protection, devient une fin en soi, complique de manière insoutenable la réalisation du droit matériel ou entrave de manière inadmissible l’accès aux tribunaux (ATF 142 IV 299 consid. 1.3.2; 142 I 10 consid. 2.4.2; 135 I 6 consid. 2.1; 130 V 177 consid. 5.4.1; 128 II 139 consid. 2a; 127 I 31 consid. 2a/bb).

Consid. 3.3.2 [résumé]
Aux termes de l’art. 17 al. 1 LACI, l’assuré qui fait valoir des prestations d’assurance doit, avec l’assistance de l’office du travail compétent, entreprendre tout ce qu’on peut raisonnablement exiger de lui pour éviter le chômage ou l’abréger, notamment chercher du travail, y compris en dehors de sa profession antérieure, et apporter la preuve de ses efforts. Selon l’art. 26 al. 2 OACI, cette preuve doit être remise pour chaque période de contrôle au plus tard le cinq du mois suivant ou le premier jour ouvrable suivant ; à défaut et sans excuse valable, les recherches d’emploi ne sont plus prises en considération (ATF 139 V 164 consid. 3.1).

Consid. 3.3.3 [résumé]
L’art. 30 al. 1 let. c LACI sanctionne les manquements aux obligations prévues par les art. 17 al. 1 LACI et 26 OACI par le biais d’une suspension du droit à l’indemnité de chômage. Cette sanction, de nature administrative et non pénale, vise à inciter les assurés à chercher activement un emploi. Son but est de permettre à l’assuré de participer de manière appropriée à ce dommage qu’il a causé à l’assurance par son comportement contraire à ses obligations (ATF 124 V 225 consid. 2b).

Consid. 3.3.4
Le nombre de recherches d’emploi à effectuer est fixé par le conseiller en personnel de l’ORP. Selon la pratique administrative, on exige en principe au maximum dix à douze recherches d’emploi par période de contrôle. En matière de contrôle des recherches d’emploi, il importe de tenir compte des efforts réalisés durant toute une période de contrôle, à savoir durant un mois civil entier (art. 27a OACI), c’est-à-dire du premier au dernier jour du mois concerné (BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 24 ad art. 17 LACI).

Consid. 3.4 [résumé]
Il ressort du formulaire des recherches personnelles du mois de septembre 2020 que l’assurée avait effectué dix recherches, réparties entre le 31.08.2020 et le 30.09.2020. Quoi qu’en dise l’office recourant, la recherche effectuée le lundi 31.08.2020 plutôt que le mardi 01.09.2020 ne signifie pas que l’assurée n’a pas fait suffisamment d’efforts pour trouver du travail et qu’elle devrait être sanctionnée de ce fait. En effet, une suspension pour recherches d’emploi insuffisantes est justifiée pour autant que le manque de recherches prolonge le chômage (cf. consid. 3.3.3 supra).

Tel n’était pas le cas en l’espèce, l’avance d’un jour dans l’envoi d’une candidature n’ayant pas prolongé la période de chômage. De plus, cette postulation ne figurait pas sur le formulaire d’août 2020, dont les recherches étaient par ailleurs suffisantes. Dès lors, sanctionner l’assurée au motif qu’elle avait anticipé d’un jour la période de contrôle, alors qu’elle avait accompli le nombre requis de recherches, relevait du formalisme excessif, comme l’avait justement retenu la cour cantonale.

Consid. 3.5
Au vu de ce qui précède, le recours contre l’arrêt cantonal du 31.08.2021 doit être rejeté.

Consid. 4.1 [résumé]
Dans son arrêt sur révision du 05.10.2021, la cour cantonale a constaté que l’assurée avait obtenu entièrement gain de cause sur le fond dans la procédure ayant conduit à l’arrêt du 31.08.2021, ce qui lui ouvrait droit à des dépens en vertu de l’art. 61 let. g LPGA. Aucun dépens ne lui ayant été alloué, les juges cantonaux s’étaient interrogés sur la recevabilité du courrier de l’assurée du 13.09.2021, expédié dans le délai de 30 jours suivant la notification de l’arrêt, en tant que réclamation au sens de l’art. 87 al. 4 LPA/GE. Cette question avait toutefois été laissée ouverte, l’omission de statuer sur les dépens constituant un motif de révision au sens de l’art. 80 let. d LPA/GE. Par économie de procédure, il y avait donc lieu d’entrer en matière sur la demande de révision, même si sur ce point l’arrêt du 31.08.2021 aurait pu, le cas échéant, faire l’objet d’un recours devant le Tribunal fédéral.

Consid. 4.3.1
L’art. 61 let. i LPGA impose seulement aux cantons de prévoir, en son principe, la possibilité d’une révision en présence des deux motifs classiques de celle-ci, à savoir lorsque des faits ou des moyens de preuve nouveaux sont découverts ou si un crime ou un délit a influencé le jugement. Pour le reste, la procédure de révision est régie par le droit cantonal, qui peut également prévoir d’autres motifs de révision que ceux mentionnés à l’art. 61 let. i LPGA (ATF 111 V 51; JEAN MÉTRAL, in Commentaire LPGA, n° 133 ad art. 61 LPGA, p. 771). Tel est notamment le cas dans le canton de Genève, l’art. 80 let. d LPA/GE prévoyant qu’il y a lieu à révision lorsque, dans une affaire réglée par une décision définitive, il apparaît que la juridiction n’a pas statué sur certaines conclusions des parties de manière à commettre un déni de justice formel.

Consid. 4.3.2
En l’espèce, la question de savoir si le fait d’omettre, par inadvertance, de se prononcer sur l’octroi de dépens – auxquels avait conclu l’assurée dans son recours cantonal contre la décision sur opposition de l’Office cantonal de l’emploi – constituait un motif de révision au sens de l’art. 80 let. d LPA/GE ne relève pas du droit fédéral mais du droit cantonal. Or le Tribunal fédéral ne revoit l’interprétation et l’application du droit cantonal en général que sous l’angle de l’arbitraire. Il ne s’écarte de la solution retenue que si celle-ci se révèle insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, ou si elle a été adoptée sans motifs objectifs et en violation d’un droit certain, ce qu’il appartient au recourant de démontrer par une argumentation qui réponde aux exigences des art. 42 al. 2 et 106 al. 2 LTF (ATF 142 V 577 consid. 3.2; 141 I 36 consid. 1.3; 139 I 229 consid. 2.2). En outre, pour qu’une décision soit annulée au titre de l’arbitraire, il ne suffit pas qu’elle se fonde sur une motivation insoutenable; encore faut-il qu’elle apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 147 I 241 consid. 6.2.1; 144 I 113 consid. 7.1).

Consid. 4.4 [résumé]
L’office recourant ne conteste pas que l’omission de la juridiction cantonale de statuer sur les dépens de la procédure constitue un motif de révision au sens de l’art. 80 let. d LPA/GE. Il soutient toutefois que l’assurée aurait dû emprunter la voie ordinaire du recours au Tribunal fédéral et non celle, extraordinaire, de la révision pour contester l’arrêt du 31.08.2021. Il argue en outre que la révision ne pouvait porter que sur une décision définitive, ce qui n’était pas le cas de l’arrêt du 31.08.2021, le délai de recours n’étant pas encore échu lors du prononcé de l’arrêt sur révision du 05.10.2021, ce délai arrivant à échéance le 07.10.2021.

Ce faisant, le recourant n’allègue pas – alors que cette démonstration lui incombe (cf. consid. 4.3.2 supra) – qu’en se prononçant de manière prématurée, l’autorité précédente aurait appliqué arbitrairement l’art. 80 let. d LPA/GE. Il ne prétend pas non plus que d’autres droits de rang constitutionnel auraient été violés à cette occasion. On ne discerne nullement dans son argumentation des motifs suffisants pour faire apparaître la décision de l’autorité cantonale d’entrer en matière sur la demande de révision de l’assurée et de l’admettre comme arbitraire dans son résultat.

Consid. 4.5
Dans le cas d’espèce, la demande de révision portait uniquement sur l’allocation de dépens en procédure cantonale. Dans l’hypothèse où l’office recourant aurait obtenu gain de cause sur le fond du litige devant le Tribunal fédéral (cause 8C_683/2021), ce dernier aurait dû annuler l’arrêt du 31.08.2021 et l’assurée n’aurait pas eu droit à des dépens pour la procédure cantonale. Une contradiction serait alors survenue avec l’arrêt sur révision du 05.10.2021.

La question de savoir si l’arrêt sur révision du 05.10.2021 devrait être annulé peut cependant demeurer ouverte, dès lors qu’en l’occurrence, la situation se présente autrement. En effet, le Tribunal fédéral rejette le recours de l’Office cantonal de l’emploi contre l’arrêt cantonal du 31.08.2021 (cf. consid. 3.5 supra) avec la conséquence que le droit de l’assurée à des dépens pour la procédure cantonale est pleinement justifié et que le Tribunal fédéral peut modifier la décision de l’autorité précédente sur ce point (art. 68 al. 5 LTF; ATF 144 I 208 consid. 3.1). Il n’existe dès lors aucune contradiction entre l’arrêt sur révision du 05.10.2021 allouant des dépens à l’assurée et le présent arrêt du Tribunal fédéral qui rejette le recours de l’Office cantonal de l’emploi contre l’arrêt au fond du 31.08.2021.

Consid. 4.6
Il résulte de ce qui précède que quand bien même l’entrée en matière et le traitement de la demande de révision de l’assurée par la cour cantonale étaient prématurés, cette manière de faire n’était en tous les cas pas arbitraire dans son résultat.

 

Le TF rejette les recours de l’Office cantonal de l’emploi.

 

Arrêt 8C_683/2021 + 8C_753/2021 consultable ici

 

 

8C_631/2024 (f) du 06.05.2025 – Droit à l’indemnité de chômage – Aptitude au placement – 8 LACI – 15 LACI – Vraisemblance de démarches en vue d’une activité indépendante

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_631/2024 (f) du 06.05.2025

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité de chômage – Aptitude au placement / 8 LACI – 15 LACI

Vraisemblance de démarches en vue d’une activité indépendante

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a admis le recours d’un assuré déclaré inapte au placement au motif qu’il aurait poursuivi une activité indépendante durable. Il a considéré que ni la fondation de la société anonyme, ni la participation de l’assuré à des conférences en lien avec le Bitcoin, ni ses fonctions limitées d’administrateur ne suffisaient à démontrer une indisponibilité au placement au sens de l’art. 15 al. 1 LACI. En l’absence d’éléments concrets établissant un engagement prépondérant dans une activité indépendante, et au vu des démarches de recherche d’emploi constatées, l’inaptitude au placement ne pouvait être retenue.

 

Faits
Assuré, né en 1993, a travaillé de septembre 2018 à octobre 2022 comme ingénieur informaticien, spécialiste en crypto-monnaies, au service de la société B.__ SA. Le 26.09.2022, il s’est inscrit en qualité de demandeur d’emploi auprès de l’ORP et a sollicité des indemnités journalières à compter du 01.11.2022. Le 2 février 2023, il a déposé une demande de soutien à l’activité indépendante (SAI) en tant que consultant et développeur de logiciels dans le domaine du Bitcoin, projet porté par une entreprise non encore enregistrée. L’ORP a rejeté la demande le 17.04.2023, relevant notamment l’absence de contacts avec des fournisseurs, une assise financière insuffisante et des risques extrinsèques importants pouvant influencer négativement le développement du projet.

Lors d’un entretien du 15.09.2023, l’assuré a informé l’ORP d’un nouveau projet avec son frère, concrétisé par l’inscription au registre du commerce, le 20.11.2023, de la société D.__ SA, ayant pour but l’exploitation d’équipements de minage de Bitcoin. Cette société, dépourvue de clients, services et employés, avait pour administrateurs l’assuré et son frère. L’assuré a participé à deux événements en lien avec la crypto-monnaie en octobre 2023 et mars 2024. Interpellé en janvier et février 2024 sur son aptitude au placement, il a indiqué ne pas vouloir obtenir un statut d’indépendant, ne pas être employé par D.__ SA, et consacrer à celle-ci très peu de temps, tout en recherchant un emploi à plein temps.

Par décision du 15.02.2024, confirmée sur opposition, la Direction générale de l’emploi et du marché du travail (DGEM) a déclaré l’assuré inapte au placement dès le 20.11.2023, estimant qu’il visait le développement d’une activité indépendante à caractère durable, à laquelle il n’était pas disposé à renoncer en faveur d’une activité salariée, compte tenu de l’investissement financier important.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 79/24 – 136/2024 – consultable ici)

Par jugement du 27.09.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré n’a droit à l’indemnité de chômage que s’il est apte au placement (art. 8 al. 1 let. f LACI). Est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire (art. 15 al. 1 LACI). L’aptitude au placement comprend ainsi deux éléments: le premier est la capacité de travail, c’est-à-dire la faculté de fournir un travail – plus précisément d’exercer une activité lucrative salariée – sans que l’assuré en soit empêché pour des causes inhérentes à sa personne; le deuxième élément est la disposition à accepter immédiatement un travail convenable au sens de l’art. 16 LACI, laquelle implique non seulement la volonté de prendre un tel travail s’il se présente, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que l’assuré peut consacrer à un emploi et quant au nombre des employeurs potentiels (ATF 146 V 210 consid. 3.1; 125 V 51 consid. 6a).

Consid. 4.2
Est notamment réputé inapte au placement l’assuré qui n’a pas l’intention ou qui n’est pas à même d’exercer une activité salariée, parce qu’il a entrepris – ou envisage d’entreprendre – une activité lucrative indépendante, cela pour autant qu’il ne puisse plus être placé comme salarié ou qu’il ne désire pas ou ne puisse pas offrir à un employeur toute la disponibilité normalement exigible. L’aptitude au placement doit par ailleurs être admise avec beaucoup de retenue lorsque, en raison de l’existence d’autres obligations ou de circonstances personnelles particulières, un assuré désire seulement exercer une activité lucrative à des heures déterminées de la journée ou de la semaine. Un chômeur doit être en effet considéré comme inapte au placement lorsqu’une trop grande limitation dans le choix des postes de travail rend très incertaine la possibilité de trouver un emploi (ATF 112 V 326 consid. 1a et les références; DTA 2003 n° 14 p. 128 [C 234/01] consid. 2.1). Selon la jurisprudence, l’assuré qui exerce une activité indépendante pendant son chômage n’est apte au placement que s’il peut exercer cette activité indépendante en dehors de l’horaire de travail normal. L’assuré qui, après avoir perdu son travail, exerce une activité indépendante à titre principal n’est pas apte au placement. Il en va autrement lorsque, selon les circonstances, l’activité indépendante est peu importante et qu’elle peut être exercée en dehors du temps de travail ordinaire (DTA 2009 p. 339 [8C_79/2009] consid. 4.1; arrêt 8C_282/2018 du 14 novembre 2018 consid. 4.2).

Consid. 4.3
L’intention d’un assuré d’entreprendre une activité indépendante est conforme à son devoir légal de diminuer le dommage. Si, dans ce but, il omet de prendre toutes les mesures exigibles pour retrouver un emploi, cela peut avoir cependant des conséquences sur son aptitude au placement et, partant, sur son droit à l’indemnité de chômage (arrêts 8C_853/2009 du 5 août 2010 consid. 3.5; 8C_662/2009 du 9 décembre 2009 consid. 3 et C 307/05 du 3 novembre 2006 consid. 2.1; cf. aussi DTA 1993 n° 30 p. 212 [C 171/93 consid. 3b]). En effet, il n’appartient pas à l’assurance-chômage de couvrir les risques de l’entrepreneur. Le fait qu’en général l’intéressé ne réalise pas de revenu ou seulement un revenu modique en commençant une activité indépendante est typiquement un risque qui n’est pas assuré (DTA 2002 n° 5 p. 54 [C 353/00 consid. 2b]; 2000 n° 5 p. 22 [C 117/98 consid. 2a]; arrêts 8C_853/2009 du 5 août 2010 consid. 3.5; 8C_619/2009 du 23 juin 2010 consid. 3.3.2 et C 88/02 du 17 décembre 2002 consid. 1).

Consid. 6.1 [résumé]
La cour cantonale a considéré que la décision d’inaptitude au placement reposait sur une base factuelle suffisante pour retenir l’exercice ou la volonté concrète d’exercer une activité indépendante. L’inscription de l’entreprise D.__ SA au registre du commerce faisait présumer cette intention, présomption renforcée par la demande antérieure de soutien à l’activité indépendante. La participation régulière de l’assuré à des conférences spécialisées confirmait son intérêt soutenu. Le développement d’une société dans ce domaine, même en collaboration avec son frère, impliquait un engagement personnel et financier non négligeable. Les recherches d’emploi, concentrées dans le même secteur, ne faisaient pas obstacle à l’appréciation selon laquelle l’assuré poursuivait un projet indépendant, mobilisant son énergie de manière dynamique et durable, sans réelle volonté d’y renoncer au profit d’une activité salariée.

Consid. 6.2 [résumé]
L’assuré soutient que les juges cantonaux ont retenu à tort qu’il s’était engagé dans une activité indépendante à long terme. Il affirme ne pas exercer d’activité pour la société D.__ SA, hormis ses fonctions d’administrateur limitées à une ou deux heures par mois, la gestion effective étant assumée par son frère. Il rappelle que la société ne produisait aucun bien et ni fournissait pas de services. Sa participation à des conférences s’inscrivait dans sa formation professionnelle. Ces éléments ne traduiraient pas une indisponibilité subjective ou objective à assumer un emploi salarié à plein temps. Il souligne avoir renoncé définitivement au projet initial faisant l’objet de la demande SAI, distinct des buts poursuivis par D.__ SA. Il reproche à la cour cantonale une appréciation arbitraire des faits et une absence de motivation quant au rejet de ses arguments. Celui-ci aurait en effet démontré qu’il aurait eu non seulement la volonté de trouver un emploi en tant que salarié mais qu’il aurait eu en outre la possibilité de mettre tout son temps au profit d’un employeur.

Consid. 6.3 [résumé]
La création d’une société anonyme et la participation à des conférences en lien avec son domaine professionnel ne rendent pas automatiquement un assuré inapte au placement ni ne créent une présomption en ce sens. Conformément à la jurisprudence (cf. consid. 4), il faut encore que l’assuré omette de prendre toutes les mesures exigibles pour retrouver un emploi, qu’il ne puisse par exemple plus être placé comme salarié ou qu’il ne désire pas ou ne puisse pas offrir à un employeur toute la disponibilité normalement exigible, ou encore qu’il ne soit pas en mesure d’exercer l’activité indépendante en dehors de l’horaire de travail normal.

En l’espèce, de tels éléments ne ressortaient pas des faits établis par les juges cantonaux. Ceux-ci avaient constaté que les activités principales de la société – sans clients, services ni employés – étaient assurées par le frère de l’assuré. Ils ont, certes, considéré qu’un tel développement nécessitait du temps et de l’investissement personnel et financier, en se limitant toutefois à une observation toute générale sur ce point, sans expliquer pourquoi et de quelle manière, dans le contexte de l’examen de l’aptitude au placement, cela affecterait concrètement le temps et la disponibilité de l’assuré, ni quels auraient été les investissements financiers à prendre en compte (cf. aussi, par ailleurs, arrêt C 102/04 du 15 juin 2005 let. A.a et consid. 4.2.1, où le Tribunal fédéral a retenu apte au placement un assuré qui avait constitué une société en la forme d’une Sàrl, en l’inscrivant au registre du commerce et en retirant des revenus de diverses activités pour le compte de celle-ci). De même, le tribunal cantonal ne peut pas être suivi lorsqu’il justifie ses conclusions par l’intérêt et la passion de l’assuré pour la thématique des conférences auxquelles il a participé, alors que celle-ci coïncide avec sa formation et son expérience professionnelles.

En résumé, on ne peut pas conclure que l’assuré ait entrepris des démarches en vue d’une activité indépendante à tel point avancées qu’il ne pouvait plus accepter une activité salariée, ni que cela ne lui était pas possible au motif qu’il se consacrait essentiellement à la préparation d’une activité indépendante. Au vu de ces circonstances, compte tenu également des recherches d’emploi effectuées par l’assuré et constatées dans l’arrêt cantonal, les juges cantonaux ont violé l’art. 15 al. 1 LACI.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_631/2024 consultable ici

 

 

 

9C_559/2021 (f) du 14.07.2022 – Début du droit à la rente d’invalidité – 28 al. 1 aLAI / Principe de la priorité de la réadaptation sur la rente – Possibilité de réadaptation professionnelle en raison de l’état de santé de l’assuré

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_559/2021 (f) du 14.07.2022

 

Consultable ici

 

Début du droit à la rente d’invalidité / 28 al. 1 aLAI

Principe de la priorité de la réadaptation sur la rente – Possibilité de réadaptation professionnelle en raison de l’état de santé de l’assuré

 

Résumé
L’assurée, active à temps partiel comme concierge et dans des activités indépendantes, avait déposé une demande de prestations AI en juillet 2014 en raison de lombalgies et d’une hernie discale. En l’absence de stabilisation de son état de santé, aucune mesure de réadaptation n’était exigible jusqu’à fin 2017, malgré une capacité de travail de 70% reconnue rétrospectivement dès août 2014. Le Tribunal fédéral a admis l’ouverture du droit à une demi-rente d’invalidité dès le 01.08.2015, soulignant que la reconnaissance rétrospective par les médecins-experts et le SMR d’une capacité de travail de 70% dans une activité adaptée ne remettait pas en cause l’impossibilité de mettre en œuvre une réadaptation avant fin 2017.

 

Faits
Assurée, née en 1969, a exercé une activité de concierge à temps partiel (30%) pour une commune dès octobre 2009, ainsi qu’une activité indépendante dans le nettoyage et au sein de l’exploitation agricole familiale. Le 02.07.2014, elle a déposé une demande AI en raison de lombalgies et d’une hernie discale médio-latérale gauche L5-S1.

L’office AI a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire. Dans leur rapport du 30.11. 2016, les spécialistes en médecine interne générale, psychiatrie et psychothérapie, rhumatologie et neurologie ont diagnostiqué des lombalgies chroniques (M54.5) avec discopathie et protrusion discale L5-S1 (M51.2), un status après cure de hernie discale en 2014, ainsi qu’une diminution de l’audition modérée à gauche et sévère à droite sur otosclérose. Hormis l’atteinte auditive, qui réduisait la capacité de travail dans toute activité impliquant la communication ou l’audition depuis 1995, les experts ont conclu à une capacité de travail entière dans une activité adaptée, avec une baisse de rendement d’environ 30% dès le 05.08.2014, soit trois mois après la cure de hernie discale.

Le 12.02.2018, l’office AI a octroyé une mesure de reclassement professionnel, prévue du 12.02.2018 au 31.07.2018, interrompue trois jours plus tard en raison de l’état de santé. Des indemnités journalières d’attente ont été versées du 27.04.2017 au 11.02.2018.

Le 20.11.2018, l’office AI a requis une expertise complémentaire, dont le rapport du 01.04.2019 a confirmé les conclusions précédentes. Par décision du 03.04.2020, l’office AI a reconnu le droit à une demi-rente d’invalidité dès le 01.02.2018, fondée sur un taux d’invalidité de 51%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 21.09.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
En instance fédérale, le litige porte uniquement sur la date à partir de laquelle est né le droit de l’assurée à une demi-rente d’invalidité. L’assurée est d’avis que cette prestation lui est due à compter du 01.08.2015, tandis que la juridiction cantonale a confirmé la décision administrative selon laquelle la demi-rente doit être allouée depuis le 01.02.2018.

Consid. 2.2
Dans le cadre du « développement continu de l’AI », la LAI, le RAI et la LPGA – notamment – ont été modifiés avec effet au 01.02.2022 (RO 2021 705; FF 2017 2535). Compte tenu cependant du principe de droit intertemporel prescrivant l’application des dispositions légales qui étaient en vigueur lorsque les faits juridiquement déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), le droit applicable reste, en l’occurrence, celui qui était en vigueur jusqu’au 31.12.2021 dès lors que la décision litigieuse a été rendue avant cette date.

A teneur de l’art. 28 al. 1 LAI, l’assuré a droit à une rente aux conditions suivantes: a. sa capacité de gain ou sa capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles; b. il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40 % en moyenne durant une année sans interruption notable; c. au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40 % au moins. Selon l’art. 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29, al. 1, LPGA, mais pas avant le mois qui suit le 18e anniversaire de l’assuré. D’après l’art. 29 al. 2 LAI, le droit à la rente ne prend pas naissance tant que l’assuré peut faire valoir son droit à une indemnité journalière au sens de l’art. 22.

Selon la jurisprudence, si l’assuré peut prétendre à des prestations de l’assurance-invalidité, l’allocation d’une rente d’invalidité à l’issue du délai d’attente (cf. art. 28 al. 1 LAI), n’entre en considération que si l’intéressé n’est pas, ou pas encore, susceptible d’être réadapté professionnellement en raison de son état de santé (principe dit de la priorité de la réadaptation sur la rente; ATF 121 V 190 consid. 4c). La preuve de l’absence de capacité de réadaptation comme condition à l’octroi d’une rente d’invalidité doit présenter un degré de vraisemblance prépondérante. Dans les autres cas, une rente de l’assurance-invalidité ne peut être allouée avec effet rétroactif que si les mesures d’instruction destinées à démontrer que l’assuré est susceptible d’être réadapté ont révélé que celui-ci ne l’était pas (ATF 121 V 190 consid. 4d; arrêts 9C_380/2021 du 31 janvier 2022 consid. 5.1 et les références; 9C_794/2007 du 27 octobre 2008 consid. 2.2).

Consid. 4.1 [résumé]
Le 22.09.2014, des mesures d’intervention précoce avaient été envisagées (rapport IP du même jour), mais immédiatement abandonnées en raison de l’état de santé de l’assurée (rapport du 24.01.2015). Le médecin du SMR a relevé le 03.03.2015 une absence de stabilisation de la situation et la nécessité d’une mise à jour du dossier médical après une intervention neurochirurgicale envisagée. Celle-ci a été réalisée le 13.10.2015. Par la suite, la médecin traitante a estimé dans son rapport du 30.11.2015 que toute mesure de réadaptation professionnelle paraissait alors illusoire. Le médecin du SMR a confirmé cette évaluation dans un avis du 27.04.2017, tout en précisant que la capacité de travail était entière dans une activité adaptée avec une diminution de rendement de 30% dès le 05.08.2014. Résumant la situation dans un rapport intermédiaire du 14.12.2017, l’office AI a indiqué qu’aucune mesure n’avait pu être mise en place auparavant en raison des suivis médicaux, mais que le droit à des mesures d’ordre professionnel était désormais ouvert. Ces mesures ont effectivement débuté le 12.02.2018, conformément aux communications du même jour et à la décision du 13.02.2018.

Consid. 4.2 [résumé]

Contrairement ce que soutient l’office intimé, aucune mesure professionnelle n’était envisageable entre août 2014 et décembre 2017, l’état de santé de l’assurée n’étant pas stabilisé durant cette période. La reconnaissance rétrospective par les médecins-experts (rapport du 30.11.2016) et du SMR (avis du 27.04.2017) d’une capacité de travail de 70% dans une activité adaptée à partir du 05.08.2014 ne remet pas en cause l’impossibilité de mettre en œuvre une réadaptation avant fin 2017.

En conséquence, comme l’assurée n’était pas susceptible de réadaptation jusqu’à ce moment-là, l’allocation d’une rente à titre rétroactif est justifiée (consid. 2.2 supra). Le taux d’invalidité correspond à la perte de gain établie par l’office AI compte tenu de la capacité de travail de 70% dans une activité adaptée. Partant, il y a lieu d’admettre la conclusion de l’assurée tendant à l’allocation du droit à une demi-rente d’invalidité depuis le 01.08.2015 (cf. art. 28 et 29 LAI; cf. art. 107 al. 1 LTF), sous déduction des indemnités journalières perçues entre le 27.04.2017 et le 11.02.2018.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_559/2021 consultable ici

 

9C_409/2024 (f) du 13.05.2025 – Formation professionnelle initiale (FPI) – Droit et but aux indemnités journalières AI – Vraisemblance prépondérante du manque à gagner dû à l’invalidité

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_409/2024 (f) du 13.05.2025

 

Consultable ici

 

Formation professionnelle initiale (FPI) – Droit aux indemnités journalières AI / 22 al. 1bis aLAI

But de l’indemnité journalière AI pendant la FPI – Vraisemblance prépondérante du manque à gagner dû à l’invalidité

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé la décision de l’office AI refusant d’allouer des indemnités journalières à une assurée atteinte de cécité bilatérale pendant sa formation universitaire. Il a retenu que l’intéressée n’avait pas rendu vraisemblable, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu’elle aurait exercé une activité lucrative en parallèle de ses études pour subvenir à ses besoins si elle n’avait pas été invalide. Il a en outre constaté qu’elle n’avait ni prolongé sa formation en raison de son invalidité, ni démontré que ses conditions financières l’obligeaient à travailler.

 

Faits
L’assurée, née en octobre 2001 et atteinte de cécité bilatérale depuis 2013 en lien avec une infirmité congénitale, a bénéficié de diverses prestations de l’assurance-invalidité, notamment d’une mesure de formation professionnelle initiale pour la poursuite de sa scolarité en école de maturité. Après l’obtention de son certificat de maturité en juillet 2019, elle a entamé une formation à l’École B.__ au semestre d’automne 2019. L’office AI a pris en charge les frais supplémentaires afférents aux trois années de Bachelor effectuées entre le 01.08.2019 et le 31.07.2022, ainsi que les frais de logement. Par communications du 14.07.2022, l’office AI a indiqué qu’il prendrait en charge les frais supplémentaires liés à la première année de Master de l’assurée à l’École B.__ (du 01.08.2022 au 31.07.2023), ainsi que ses frais de logement.

Le 6 juillet 2020, l’office AI a informé l’assurée qu’il allait examiner son droit à une indemnité journalière. Par l’intermédiaire de son avocat, elle a demandé le 02.12.2022 à ce qu’une décision soit rendue à ce sujet. Le 15.12.2022, l’office AI a répondu que le droit à une indemnité journalière avait été examiné, mais que les conditions d’octroi n’étaient pas remplies, position qu’il a maintenue les 17.01.2023 et 01.03.2023.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 82/23 – 179/2024 – consultable ici)

Par acte du 13.03.2023, l’assurée a formé un recours pour déni de justice, concluant à la constatation du refus illicite de statuer de l’office AI au sens des art. 49 al. 1 et 56 al. 2 LPGA, à l’octroi d’indemnités journalières dès le 24.10.2019, ainsi qu’au renvoi de la cause à l’administration pour fixation desdites indemnités. Dans sa réponse du 22.05.2023, l’office AI a proposé, pour des motifs d’économie de procédure, de considérer son écriture du 01.03.2023 comme une décision informelle. À la suite notamment d’une audience de débats publics tenue le 09.04.2024, au cours de laquelle le mandataire de l’assurée a produit un « procédé écrit », la cour cantonale a, par arrêt du même jour, rejeté le recours et confirmé la communication du 01.03.2023 de l’office AI comme valant décision.

 

TF

Consid. 2.4
Dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, l’art. 22 al. 1bis LAI prévoit que l’assuré qui suit une formation professionnelle initiale ainsi que l’assuré qui n’a pas encore atteint l’âge de 20 ans et n’a pas encore exercé d’activité lucrative ont droit à une indemnité journalière s’ils ont perdu entièrement ou partiellement leur capacité de gain. L’indemnité journalière correspond à 10% du montant maximum de l’indemnité journalière défini à l’art. 24 al. 1 LAI (art. 22 al. 1 RAI). Elle est allouée lorsque la personne assurée subit un manque à gagner dû à l’invalidité (ATF 124 V 113 consid. 4b; arrêt I 568/99 du 16 mars 2000 consid. 2c; cf. aussi le ch. 1032 de la CIJ, valable dès le 01.01.2019, applicable en l’espèce). Il existe un manque à gagner notamment lorsque l’assuré commence sa formation avec un certain retard (désavantage par rapport au montant du salaire d’apprenti) ou doit prolonger sa formation en raison de son invalidité (cf. ch. 1034 de la CIJ, valable dès le 01.01.2019). Un tel manque à gagner a ainsi été admis dans le cas d’un invalide, au bénéfice d’un diplôme de l’école de commerce, qui ne trouvait pas de travail en raison d’un grave handicap moteur-cérébral d’origine congénitale et avait poursuivi, pour cette raison, sa formation (perfectionnement professionnel d’une durée de trois ans) dans une école supérieure spécialisée (ATF 124 V 113 consid. 4c). Un manque à gagner peut également être admis s’il y a suffisamment d’indices selon lesquels l’assuré aurait exercé une activité lucrative régulière, à côté des études, soit pendant les semestres ou durant les vacances, s’il n’avait pas été invalide, obtenant ainsi une part essentielle de ses moyens d’existence et des ressources nécessaires au financement de ses études (cf. ATF 124 V 113 consid. 4b; arrêts I 570/00 du 25 mai 2011 consid. 2d; I 85/89 du 19 octobre 1989, in: RCC 1990 p. 506 et ss; cf. aussi le ch. 1039 de la CIJ, valable dès le 01.01.2019).

Consid. 2.5
Bien que les directives administratives ne lient en principe pas le juge, celui-ci est néanmoins tenu de les considérer dans son jugement, pour autant qu’elles permettent une interprétation des normes juridiques qui soit adaptée au cas d’espèce et équitable. Ainsi, si les directives administratives constituent une concrétisation convaincante des dispositions légales, le tribunal ne s’en départit pas sans motif pertinent. Dans cette mesure, il tient compte du but de l’administration tendant à garantir une application égale du droit (ATF 148 V 102 consid. 4.2; 146 V 224 consid. 4.4. et l’arrêt cité). En principe, il convient de tenir compte de la version qui était à la disposition de l’autorité de décision au moment de la décision (et qui a déployé un effet contraignant à son égard); des compléments ultérieurs peuvent éventuellement être pris en compte, notamment s’ils permettent de tirer des conclusions sur une pratique administrative déjà appliquée auparavant (ATF 147 V 278 consid. 2.2 et les références).

Consid. 4.2
Le droit d’être entendu, compris comme l’un des aspects de la notion générale de procès équitable au sens de l’art. 6 par. 1 CEDH (cf., également, art. 29 Cst.), englobe notamment le droit pour l’intéressé de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les arrêts cités). La garantie constitutionnelle n’empêche toutefois pas le juge de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d’une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1; 140 I 285 consid. 6.3.1). En particulier, le droit d’être entendu ne comprend pas le droit d’être entendu oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins; l’autorité de jugement peut renoncer à faire citer des témoins si elle peut dénier à ces témoignages une valeur probante décisive pour le jugement (ATF 130 II 425 consid. 2.1). Le refus d’une mesure probatoire par appréciation anticipée des preuves ne peut être remis en cause devant le Tribunal fédéral qu’en invoquant l’arbitraire (art. 9 Cst.) de manière claire et détaillée (art. 106 al. 2 LTF; cf. arrêt 8C_159/2018 du 17 décembre 2018 consid. 3.2 et la référence citée).

Consid. 4.3 [résumé]
L’assurée fait valoir que l’audition de ses parents ainsi que celle de C., conseiller social à l’École B., aurait permis à la juridiction cantonale d’obtenir des informations essentielles sur sa situation personnelle, son planning d’études et les exigences qui y étaient liées, ce qui aurait permis d’évaluer plus concrètement si elle pouvait exercer une activité lucrative en parallèle. Toutefois, par son argumentation, elle ne remet pas en cause l’appréciation anticipée des preuves opérée par les premiers juges en renonçant à ces auditions, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner ce point plus avant (art. 42 al. 2 LTF). Les juges cantonaux ont en outre relevé que le conseiller social avait fourni un témoignage écrit daté du 21.03.2023, produit par le conseil de l’assurée, et que cette dernière avait pu s’exprimer lors de l’audience de débats du 09.04.2024. Quant au reproche de l’assurée selon lequel la juridiction cantonale aurait statué sur ses réquisitions de preuve dans l’arrêt attaqué, l’empêchant ainsi de réagir ou de proposer de nouveaux moyens de preuve, il repose sur une prémisse erronée, à savoir qu’elle disposerait d’un droit illimité à offrir des preuves, ce qui n’est pas le cas (cf. consid. 4.2).

 

Consid. 5.2.1
Le principe selon lequel une indemnité journalière est allouée aux assurés en cours de formation professionnelle initiale ainsi qu’aux assurés âgés de moins de 20 ans qui n’ont pas encore exercé d’activité lucrative, lorsqu’ils subissent un manque à gagner dû à l’invalidité, a été introduit le 1er juillet 1987, lors de l’entrée en vigueur de la modification de la loi sur l’assurance-invalidité du 9 octobre 1986 (2e révision de l’assurance-invalidité; cf. art. 22 al. 1, 2e phrase, dans sa teneur en vigueur à ce moment-là; RO 1987 447). Auparavant, aucune indemnité journalière n’était allouée pendant la formation professionnelle initiale au sens de l’art. 16 LAI (cf. art. 22 al. 1, 2e phrase, LAI, dans sa teneur au moment de l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959, le 15 octobre 1959; RO 1959 857; cf. aussi ATF 118 V 7 consid. 1b; arrêt I 416/87 du 5 août 1988 consid. 1b). L’absence de droit à une indemnité journalière pendant la formation professionnelle initiale, à l’entrée en vigueur de la LAI, avait été justifiée par le fait qu’une personne ne présentant pas d’invalidité n’était généralement pas payée non plus pendant son apprentissage ou ses études et qu’au surplus l’assurance couvrait tous les frais supplémentaires de quelque importance (Message du 24 octobre 1958 relatif à un projet de loi sur l’assurance-invalidité ainsi qu’à un projet de loi modifiant celle sur l’assurance-vieillesse et survivants, FF 1958 II 1161, 1212 s.). Dans le cadre des travaux préparatoires de la 2e révision de l’assurance-invalidité, le Conseil fédéral a exposé que l’indemnité journalière vise à compenser d’une manière appropriée un manque à gagner subi pendant l’application de mesures de réadaptation, que la condition du droit à retenir en cas de formation professionnelle initiale semble donc être la privation d’un revenu du travail et que l’indemnité ne doit par conséquent être accordée que si l’assuré subit une telle perte pendant la formation et aussi longtemps seulement qu’il la subit (Message du 21 novembre 1984 concernant la deuxième révision de l’assurance-invalidité, FF 1985 I 21, 49 ch. 233.2). Ainsi, dans sa teneur en vigueur du 1er juillet 1987 au 31 décembre 2007, l’art. 22 al. 1, 2e phrase, LAI subordonnait expressément l’octroi d’une indemnité journalière pendant la formation professionnelle initiale à l’existence d’un manque à gagner dû à l’invalidité. La volonté du législateur était donc bien de conditionner le droit à l’indemnité journalière pendant la formation professionnelle initiale à l’existence d’un manque à gagner dû à l’invalidité.

Consid. 5.2.2
Par la suite, lors de l’entrée en vigueur de la 5e révision de l’assurance-invalidité, le 1er janvier 2008, un art. 22 al. 1bis LAI a été introduit, parallèlement à la suppression de la 2e phrase de l’art. 22 al. 1 LAI. Selon l’art. 22 al. 1bis LAI (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, date de son abrogation [RO 2021 705]), l’assuré qui suit une formation professionnelle initiale ainsi que l’assuré qui n’a pas encore atteint l’âge de 20 ans et n’a pas encore exercé d’activité lucrative ont droit à une indemnité journalière s’ils ont perdu entièrement ou partiellement leur capacité de gain (RO 2007 5129). Avec la notion de perte entière ou partielle de la capacité de gain selon l’art. 22 al. 1bis LAI (dans sa teneur au 1er janvier 2008), le législateur n’a pas voulu s’écarter de celle de « manque à gagner dû à l’invalidité » au sens de l’art. 22 al. 1, 2e phrase, LAI (dans sa teneur jusqu’au 31 décembre 2007). Il ressort en effet à cet égard des travaux préparatoires de la 5e révision de l’assurance-invalidité que le nouvel art. 22 al. 1bis LAI devait correspondre à l’art. 22 al. 1, 2e phrase, LAI, auquel il se substituait (Message du 22 juin 2005 concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [5e révision de l’AI], FF 2005 4215, 4320).

Consid. 5.3.1 [résumé]
L’analyse du dossier révèle que, le 15.12.2022, l’office AI a informé l’assurée que son droit aux indemnités journalières avait été examiné, mais que les conditions d’octroi n’étaient pas remplies. Le 17.01.2023, il l’a invitée à produire des preuves montrant que l’activité accessoire qu’elle aurait exercée durant ses études, en l’absence d’atteinte à la santé, était nécessaire à sa subsistance. L’assurée a indiqué, le 19.01.2023, qu’elle transmettrait des « attestations démontrant la perte de gain ». Le 01.03.2023, l’office AI lui a réitéré qu’elle pouvait produire des éléments rendant vraisemblable de manière prépondérante qu’elle aurait exercé une activité lucrative en parallèle de ses études pour subvenir à ses besoins, ce que son invalidité empêchait.

Dans le cadre de son recours pour déni de justice introduit le 13.03.2023, l’assurée a produit un certificat médical du 16.03.2023, établi par l’ophtalmologue traitant, attestant d’une cécité bilatérale empêchant l’exercice d’une activité lucrative à côté d’études « sollicitant beaucoup de temps et d’énergie ». Elle a également versé une attestation du conseiller social du Service des affaires estudiantines de l’École B.__, précisant qu’il n’était pas envisageable de lui confier un poste d’assistante compte tenu de ses limitations fonctionnelles, une charge supplémentaire pouvant compromettre la réussite de ses études « particulièrement exigeantes en termes de temps et d’énergie ».

Consid. 5.3.2
Si les pièces produites par l’assurée devant le tribunal cantonal permettent d’établir qu’elle est limitée ou empêchée dans l’exercice d’une activité lucrative en raison de son atteinte à la santé, elles ne contiennent en revanche aucun indice rendant vraisemblable qu’elle aurait dû travailler pour pouvoir financer une partie de ses besoins et sa formation parce qu’elle ne disposait pas des moyens financiers nécessaires. Il y a lieu de rappeler à cet égard que le but de l’indemnité journalière allouée durant la formation initiale ne vise pas à compenser la perte de l’argent de poche de l’assuré, mais bien celle d’un revenu dont il appert au degré de la vraisemblance prépondérante que celui-ci a besoin pour subvenir à ses besoins (Message concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [Développement continu de l’AI] du 15 février 2017, FF 2017 2363, 2386). Or l’assurée n’a pas démontré – ni même allégué en instance cantonale – qu’elle aurait dû financer ses études par ses propres moyens, du fait, par exemple, de l’absence de fortune de ses parents ou du revenu modeste de ceux-ci. Dans ces circonstances, c’est en vain qu’elle se prévaut d’une discrimination selon que la personne assurée était ou non déjà invalide avant ses études.

Quoi qu’en dise l’assurée, il lui était en effet loisible de produire, dans la procédure administrative et de recours cantonale, des éléments afin de rendre vraisemblable qu’elle aurait exercé une activité lucrative parallèlement à ses études pour subvenir à ses besoins, ce qu’elle n’a toutefois pas fait. Son argumentation sur ce point est du reste contradictoire lorsqu’elle affirme à la fois qu’il lui serait impossible de rendre vraisemblable l’aspect litigieux en cause, alors qu’elle énumère ensuite les « nombreux critères » pertinents pour ce faire.

Par conséquent, l’assurée ne saurait reprocher un manque d’instruction à la juridiction cantonale, alors qu’elle n’a pas fait suite aux demandes de l’administration de lui fournir des documents permettant de confirmer que l’activité qu’elle aurait exercée pendant ses études s’avérait nécessaire à sa subsistance, ni allégué voire produit de pièces concernant la situation financière de ses parents. Procédant à une appréciation anticipée des preuves, l’instance cantonale pouvait ainsi, sans arbitraire et sans violer le droit d’être entendue de l’assurée, rejeter les demandes d’audition qu’elle avait présentées. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’examiner plus avant les critiques d’ordre général de l’assurée en relation notamment avec la méconnaissance, par les premiers juges, des réalités académiques et des conditions de vie des étudiants, pas plus du reste que ses griefs tirés d’une constatation des faits et d’une appréciation des preuves arbitraires y relatives.

Consid. 5.4
C’est également en vain que l’assurée fait grief aux juges précédents d’avoir constaté les faits de manière inexacte, en ce qu’ils ont nié qu’elle eût dû prolonger la durée de sa formation en raison de son invalidité, subissant ainsi un manque à gagner. Elle se limite à cet égard à affirmer qu’« il a clairement été allégué et rendu vraisemblable qu[‘elle] a dû prolonger ses études d’une année, en raison de son invalidité » et à reprocher à la juridiction de première instance de ne pas avoir instruit ce fait, en violation de son devoir d’instruction. En l’occurrence, selon les constatations cantonales, non contestées par l’assurée, elle a réussi toutes ses années d’études, effectuant même une année de mobilité à l’étranger. Une prolongation de la formation au sens du ch. 1034 CIJ (dans sa teneur valable dès le 01.01.2019) entre en ligne de compte lorsqu’un assuré poursuit ses études parce qu’il ne trouve pas d’emploi à la fin de sa formation (cf. ATF 124 V 113 consid. 4c). Or l’assurée ne prétend pas qu’elle aurait dû poursuivre sa formation, parce qu’elle n’aurait pas trouvé d’emploi à la fin de ses études à l’École B.__, en raison de son atteinte à la santé, et il n’apparaît pas qu’elle ait dû renoncer à entrer dans le monde du travail à cette époque à cause de son handicap.

Consid. 5.5
En définitive, au vu des arguments avancés, il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation de la juridiction cantonale qui l’a conduite à nier que les conditions du droit de l’assurée à des indemnités journalières pendant sa formation auprès de l’École B.__ débutée en automne 2019 étaient réalisées.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_409/2024 consultable ici

 

 

9C_183/2022 (f) du 01.06.2022 – Procuration en faveur d’un avocat vague, d’une portée générale et établie pour une précédente procédure – 40 al. 2 LTF / Frais judiciaires à la charge du représentant de l’assuré

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_183/2022 (f) du 01.06.2022

 

Consultable ici

 

Procuration en faveur d’un avocat vague, d’une portée générale et établie pour une précédente procédure / 40 al. 2 LTF

Vérification de la volonté de recourir de l’assuré

Frais judiciaires à la charge du représentant de l’assuré / 40 LTF – 66 LTF

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours interjeté contre le refus d’octroi de l’assistance judiciaire dans le cadre d’une nouvelle demande de prestations AI, au motif que le mandataire n’avait pas produit, dans le délai imparti, une procuration spécifique l’autorisant à recourir dans cette procédure. Il a rappelé que le juge instructeur peut exiger une procuration actualisée et topique sans que cela constitue un formalisme excessif, et que le non-respect de cette exigence entraîne l’irrecevabilité du recours. Les frais judiciaires ont été mis à la charge du mandataire.

 

Faits
L’assuré s’est vu allouer une rente entière d’invalidité limitée dans le temps (juillet 2015 à décembre 2017), décision confirmée par jugement cantonal du 11.02.2021.

Le 16.06.2020, il avait déposé une nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité. Par décision du 18.01.2022, l’office AI a refusé d’entrer en matière sur cette demande.

Le 02.03.2022, le juge instructeur cantonal a rejeté la demande d’assistance judiciaire de l’assuré dans le cadre du recours formé contre la décision du 18.01.2022, et imparti un délai de 30 jours pour verser une avance de frais de 600 francs, sous peine d’irrecevabilité du recours.

L’assuré a interjeté un recours en matière de droit public contre la décision du 02.03.2022, accompagné d’une procuration du 21.09.2018, ainsi que de requêtes d’effet suspensif et d’assistance judiciaire.

Par ordonnance du 04.05.2022, le Tribunal fédéral a invité son mandataire à produire, jusqu’au 17.05.2022, une procuration conférant expressément le pouvoir de recourir contre la décision du 02.03.2022, faute de quoi le recours serait déclaré irrecevable, cette autorisation ne ressortant pas de la procuration de 2018.

Par écriture du 10.05.2022, le représentant de l’assuré a produit une copie de la procuration du 21.09.2018 en soutenant que ce document suffisait pour recourir contre la décision litigieuse.

 

TF

La procuration du 21.09.2018 a été produite dans le cadre d’une précédente demande de prestations ayant abouti au jugement du 11.02.2021.

Dans le contexte d’une nouvelle demande suivie d’une décision et d’un nouveau litige, il est loisible au Tribunal fédéral de s’assurer que l’assuré entend contester les décisions rendues dans ce contexte, singulièrement le refus de l’octroi de l’assistance judiciaire pour la procédure cantonale de recours consécutive au refus d’entrer en matière sur cette demande.

Le Tribunal fédéral est légitimé à vérifier qu’une personne a bien la volonté de recourir, en particulier lorsque l’objet est vague et d’une portée générale, soit comme en l’espèce « Dans le cadre de l’affaire: c/AI ».

En vertu de l’art. 40 al. 2 LTF, le tribunal peut exiger une procuration spécifique et, selon l’art. 42 al. 5 LTF, trancher l’affaire en cas d’absence d’autorisation valable du mandataire. En d’autres termes, le juge instructeur peut requérir, s’il l’estime nécessaire, une procuration actualisée et topique, sans pour autant que sa demande relève du formalisme excessif.

Si l’on se conformait aux souhaits de l’assuré recourant, une partie pourrait en définitive décider elle-même du contenu et de la validité des procurations qu’elle entend déposer devant le Tribunal fédéral et, plus généralement, choisir à sa guise de se conformer ou non aux directives du juge instructeur, sans que cela puisse avoir d’incidence sur la suite de la procédure, si bien que les art. 32 al. 1, 40 al. 2 et 42 al. 5 LTF seraient ainsi dénués de toute portée (cf. arrêt 9F_7/2013 du 27 novembre 2013 consid. 3.2.2).

L’assuré recourant n’ayant pas remédié au vice de forme dans le délai imparti, le recours est déclaré irrecevable selon la procédure simplifiée. Etant vouée à l’échec, la requête d’assistance judiciaire pour la procédure fédérale est rejetée.

En vertu de l’art. 66 al. 1 et 3 LTF, il convient de mettre les frais judiciaires à la charge du représentant de l’assuré (cf. arrêt 9C_459/2012 du 13 février 2013 consid. 4; LAURENT MERZ, Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 3e éd., ch. 43 ad art. 40 LTF),

 

Le TF déclare le recours irrecevable.

 

Arrêt 9C_183/2022 consultable ici

 

8C_598/2024 (f) du 19.05.2025 – Violation du droit d’être entendu en instance cantonale / Preuve nouvelle (envoi d’une clé USB) autorisée par le TF – 99 LTF

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_598/2024 (f) du 19.05.2025

 

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Violation du droit d’être entendu en instance cantonale

Preuve nouvelle (envoi d’une clé USB) autorisée par le TF / 99 LTF

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a admis le recours d’une société contre l’arrêt cantonal, en raison d’une violation de son droit d’être entendu. La juridiction cantonale ne lui avait transmis qu’une partie du dossier de la CNA, bien que celle-ci se soit fondée sur des pièces issues de deux dossiers distincts pour statuer. Ce vice procédural, qui ne peut être réparé en instance fédérale, entraîne l’annulation de la décision attaquée et le renvoi de la cause à l’autorité précédente pour nouvelle décision.

 

Faits
B.__ a informé la CNA avoir créé le 01.11.2019 une entreprise active dans l’agencement et la menuiserie sous la raison sociale C.__. Il a rempli un formulaire, reçu par la CNA le 15.11.2021, pour déterminer sa situation en matière d’assurances sociales. Le 09.11.2022, la CNA a été informée que la société A.__ SA avait un sous-traitant en attente de validation de statut. Le 01.12.2022, elle a indiqué que l’activité de B.__ pouvait être reconnue comme indépendante, excluant ainsi une assurance obligatoire contre les accidents. Après réexamen, elle a précisé le 07.02.2023 qu’il présentait un double statut : indépendant pour les travaux réalisés en son nom et pour son propre compte, dépendant lorsqu’il intervenait comme sous-traitant ou pour le compte d’une entreprise de prêt de personnel.

Le 01.03.2023, la CNA a informé A.__ SA qu’elle considérait que B.__ exerçait une activité dépendante à son égard et lui a demandé les montants versés à ce dernier pour les années 2020 à 2022. Le 02.03.2023, la société a transmis une liste de factures établies par B.__, pour un montant total de 255’020 francs. Le 12.05.2023, la CNA a adressé des factures de primes définitives pour la période du 01.01.2020 au 31.12.2022.

Le 17 mai 2023, A.__ SA a formé opposition contre cette décision. Le 18.07.2023, elle a répondu aux questions de la CNA sur sa collaboration avec B.__. Par décision sur opposition du 13.11.2023, la CNA a rejeté l’opposition, estimant que l’intéressé ne remplissait pas les critères pour une activité lucrative indépendante en ce qui concernait son activité de menuiserie pour elle.

Procédure cantonale (arrêt ATAS/679/2024 – consultable ici)

Le 14.12.2023, A.__ SA a recouru contre la décision sur opposition, en sollicitant préalablement l’appel en cause de B.__.

Par courrier du 18.12.2023, la cour cantonale a transmis une copie du recours à la CNA, en lui demandant de faire parvenir sa réponse ainsi que le dossier en version papier et électronique. La CNA a conclu au rejet du recours et a produit les dossiers de A.__ SA (n° yyy) et de C.__ (n° xxx). La cour a invité la recourante à déposer sa réplique d’ici au 7 février 2024 et l’a informée qu’elle pouvait consulter le dossier au greffe ou demander l’envoi d’une version sur CD-Rom. Le 18.01.2024, la cour a envoyé à la recourante le CD-Rom des pièces de la partie intimée, avec prière de le lui retourner sous pli recommandé. Le 19.01.2024, A.__ SA a retourné le CD-Rom original. Dans sa réplique du 07.02.2024, elle a réitéré sa demande d’appel en cause de B.__ et requis que la CNA produise les pièces du dossier n° xxx.

La cour cantonale a appelé en cause B.__ en lui impartissant un délai au 01.03.2024 pour se déterminer, ce qu’il n’a pas fait. Par arrêt du 04.09.2024, la cour a rejeté le recours.

 

TF

Consid. 2
Le litige porte sur la qualification – salariée ou indépendante – de l’activité exercée par B.__ à l’égard de A.__ SA entre le 01.01.2020 et le 31.12.2022. La question litigieuse n’ayant pas comme telle pour objet l’octroi ou le refus de prestations d’assurance, le Tribunal fédéral est lié par les faits établis par l’autorité précédente (art. 97 al. 2 et 105 al. 3 LTF a contrario; art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s’en écarter que si ces faits ont été établis en violation du droit au sens de l’art. 95 LTF ou de manière manifestement inexacte (art. 105 al. 2 LTF), à savoir arbitraire (ATF 149 II 337 consid. 2.3; 148 V 366 consid. 3.3; 145 V 188 consid. 2). Par ailleurs, à teneur de l’art. 99 LTF, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l’autorité précédente.

Consid. 3.2
La clé USB produite par la recourante constitue une pièce nouvelle que la recourante est exceptionnellement autorisée à produire pour la première fois devant le Tribunal fédéral dans la mesure où elle tend à prouver l’inexactitude d’un fait retenu dans l’arrêt attaqué et à établir la violation de son droit d’être entendu (cf. GRÉGORY BOVEY, in : Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n° 26 ad art. 99 LTF).

Dans sa réponse au recours en matière de droit public, la CNA fait valoir que le dossier concernant B.__ (dossier n° xxx) a bel et bien été versé au format papier et électronique. Il n’y a aucune raison de mettre en doute cette allégation, d’autant moins que dans les pièces transmises par la juridiction cantonale au Tribunal fédéral figurent deux dossiers de la CNA (n° yyy et n° xxx), tant au format papier qu’au format électronique. Il s’agit en réalité de deux classeurs distincts, contenant chacun un CD-Rom. Le dossier complet de la cause contenait par conséquent deux dossiers, respectivement deux CD-Rom, l’un ayant pour référence le n° yyy et l’autre le n° xxx.

Or, pour une raison inexpliquée, la cour cantonale n’a transmis que le dossier n° yyy à la recourante, comme en atteste son courrier du 18.01.2024 adressé à la recourante, dans lequel elle indiquait lui remettre « le CD-Rom ». Il ressort pourtant clairement de la réplique de la recourante, en procédure cantonale, que celle-ci n’avait pas pu consulter le dossier n° xxx. Contrairement à ce qu’ont retenu les juges cantonaux, une éventuelle violation du droit d’être entendu de la recourante par l’intimée n’a pas pu être guérie par la production du dossier complet en procédure cantonale, une partie de ce dossier n’ayant pas été transmise à la recourante, en dépit de la demande présentée dans ce sens par celle-ci. En procédant ainsi, la juridiction cantonale a elle-même commis une violation du droit d’être entendu. Ce vice ne pouvant pas être réparé devant le Tribunal fédéral (cf. ATF 142 II 218 consid. 2.8; 137 I 195 consid. 2.7), il entraîne l’annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 148 IV 22 consid. 5.5.2; 144 I 11 consid. 5.3).

 

Le TF admet le recours.

 

Arrêt 8C_598/2024 consultable ici

 

 

 

8C_818/2021 (f) du 12.05.2022 – Interprétation du contenu et de la portée d’une décision / Intérêt digne de protection d’une caisse-maladie à s’opposer à une décision portant sur l’art. 46 al. 2 LAA (fausse déclaration d’accident)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_818/2021 (f) du 12.05.2022

 

Consultable ici

 

Interprétation du contenu et de la portée d’une décision / 49 LPGA

Intérêt digne de protection d’une caisse-maladie à s’opposer à une décision portant sur l’art. 46 al. 2 LAA (fausse déclaration d’accident)

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a retenu qu’une décision par laquelle l’assurance-accidents a annulé sa prise en charge initiale, en application de l’art. 46 al. 2 LAA, portait à la fois sur le refus des indemnités journalières et sur celui des frais médicaux. Cette décision affecte directement les intérêts de la caisse-maladie, de sorte que celle-ci dispose d’un intérêt digne de protection pour former opposition. En déclarant cette opposition irrecevable, l’assurance-accidents a violé le droit.

 

Faits
Par déclaration du 14.06.2018, l’employeur de l’assuré a annoncé un accident survenu le 11.06.2018, ayant entraîné des blessures aux côtes, au bras droit et au poignet gauche. Le 22.06.2018, l’assurance-accidents a informé l’employeur qu’elle prenait en charge le cas et versait des prestations d’assurance à l’assuré.

Par décision du 25.10.2018, l’assurance-accidents a annulé cette prise en charge, considérant que les circonstances effectives de l’accident (bagarre) divergeaient des déclarations initiales (glissade sur sol mouillé), et a exigé la restitution de 4075 fr. à titre d’indemnités journalières perçues à tort. Une copie de cette décision a été transmise à la caisse-maladie de l’assuré.

Le 26.10.2018, l’assurance-accidents a adressé à la caisse-maladie une facture intitulée « répartition des coûts frais de traitement » d’un montant de 965 fr. 85.

Par décision sur opposition du 24.01.2019, l’assurance-accidents a déclaré irrecevable l’opposition formée par la caisse-maladie, au motif que cette dernière ne disposait d’aucun intérêt digne de protection dès lors que l’assuré avait subi un accident.

Par décision du 20.02.2019, non communiquée à la caisse-maladie, l’assurance-accidents a réclamé à l’assuré la restitution de 581 fr. 75 à titre de frais de traitement médical.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1154/2021 – consultable ici)

Saisie d’un recours de la caisse-maladie contre la décision sur opposition du 24.01.2019, le tribunal cantonal l’a rejeté par arrêt du 15.11.2021, tout en transmettant l’écriture déposée le 28.05.2019 par la caisse-maladie recourante, dans laquelle celle-ci avait formé opposition contre la décision du 20.02.2019, à l’assurance-accidents, à charge pour elle de rendre une décision sur opposition.

 

TF

Consid. 4.2
Le contenu et la portée d’une décision administrative ressortent en premier lieu de son dispositif. Lorsque celui-ci est peu clair, incomplet, équivoque ou contradictoire, l’insécurité doit être levée par une interprétation, en se référant à la motivation de la décision. Comme la décision doit être conforme à la loi et au principe de l’égalité de traitement, il convient aussi de prendre en considération, pour son interprétation, quelle solution est conforme à la loi et correspond aux critères sur lesquels se fonde habituellement l’autorité. Il s’agit de dégager le sens véritable de la décision, conformément à sa signification juridique concrète, en s’écartant au besoin du sens littéral (ATF 120 V 496 consid. 1a et la référence). Le principe de la confiance limite toutefois cette interprétation: une décision doit être comprise dans le sens que son destinataire pouvait et devait lui attribuer selon les règles de la bonne foi, compte tenu de l’ensemble des circonstances qu’il connaissait ou qu’il aurait dû connaître (ATF 115 II 415 consid. 3a; arrêt 9C_571/2019 du 23 juillet 2020 consid. 4.4.2).

Consid. 4.3
En l’espèce, l’assurance-accidents a, le 22.06.2018, annoncé à l’assuré qu’elle lui allouait « les prestations d’assurance légales pour les suites de [l]’accident professionnel du 11.06.2018 »; elle précisait notamment que le droit à l’indemnité journalière allait prendre effet au plus tôt dès le 14.06.2018 et qu’elle allait régler directement les frais de traitement des médecins et autres prestataires de soins exerçant en Suisse. Dans sa décision du 25.10.2018, également adressée à l’assuré et dont copie a été transmise à la caisse-maladie recourante, l’assurance-accidents a indiqué devoir « annuler [sa] prise en charge du 22.06.2018 », précisant plus loin que « [n]otre décision de prise en charge doit être annulée et nous devons refuser après-coup de vous allouer nos prestations ». Dans la même décision, l’assurance-accidents a, sur la base de l’art. 25 al. 1 LPGA, exigé de l’assuré le remboursement des indemnités journalières versées à tort. Dans sa décision du 20.02.2019, dont aucune copie n’a été portée à la connaissance de la caisse-maladie recourante, l’assurance-accidents a indiqué à l’assuré qu' »[a]près contrôle des actes, il est apparu que la restitution des frais de traitement n’avait pas été requise par notre première décision »; elle l’a par conséquent invité à rembourser des frais médicaux pour un montant de 581 fr. 75, sur la base de l’art. 25 al. 1 LPGA.

Consid. 4.4
Il découle clairement du contenu de la décision du 25.10.2018 que par celle-ci, l’assurance-accidents a annulé intégralement celle du 22.06.2018, laquelle reconnaissait le droit de l’assuré à des prestations, y compris la prise en charge des frais médicaux. Contrairement à ce que soutient l’assurance-accidents et à ce qu’ont retenu les juges cantonaux, la décision du 25.10.2018 ne portait donc pas uniquement sur les indemnités journalières, mais également sur les frais de traitement dont la prise en charge était finalement refusée. Le fait que l’assurance-accidents se soit, dans cette décision, limitée à demander la restitution des seules indemnités journalières ne saurait aboutir à une autre interprétation; il ressort du reste de la décision du 20.02.2019 que c’est vraisemblablement par oubli que l’assurance-accidents n’a pas requis le remboursement des frais médicaux le 25.10.2018.

On notera encore que la décision du 20.02.2019 concerne uniquement la restitution de frais médicaux d’un montant de 581 fr. 75 et ne porte donc pas sur le principe même de la prise en charge de ce type de frais.

En définitive, la décision du 25.10.2018 constitue une décision de refus d’allocation de prestations (indemnités journalières et frais de traitement) doublée d’une demande de restitution des indemnités journalières, alors que celle du 20.02.2019 porte uniquement sur la restitution de frais médicaux, pour un montant de surcroît limité.

Consid. 4.5
Il s’ensuit que l’assurance-accidents devait entrer en matière sur l’opposition formée par la caisse-maladie recourante contre sa décision du 25.10.2018 et se prononcer sur le fond s’agissant de la prise en charge des frais médicaux.

Le recours se révèle dès lors bien fondé. Par conséquent, l’arrêt entrepris et la décision du 24.01.2019 doivent être annulés et la cause renvoyée à l’assurance-accidents pour nouvelle décision.

 

Le TF admet le recours de la caisse-maladie.

 

Arrêt 8C_818/2021 consultable ici

 

8C_6/2025 (f) du 07.05.2025 – Montant de la prestation complémentaire – Dépenses reconnues / Partage obligatoire du loyer – Contrat de sous-location et ménage commun entre les assurés et leur fille et ses enfants

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_6/2025 (f) du 07.05.2025

 

Consultable ici

 

Montant de la prestation complémentaire – Dépenses reconnues / 10 LPC

Partage obligatoire du loyer – Contrat de sous-location et ménage commun entre les assurés et leur fille et ses enfants / 16c OPC-AVS/AI

 

Résumé
S’agissant du calcul des dépenses de logement reconnues pour l’octroi de prestations complémentaires à des bénéficiaires vivant en sous-location auprès de leur fille, le Tribunal fédéral confirme qu’en vertu de l’art. 16c OPC-AVS/AI, le loyer doit être réparti à parts égales entre toutes les personnes cohabitant dans le logement, dès lors que certaines d’entre elles ne sont pas incluses dans le calcul des prestations, sauf exceptions. Il rejette l’assimilation de la fille des assurés à un propriétaire ainsi que toute dérogation fondée sur une obligation d’entretien envers ses enfants, au motif qu’admettre une répartition contractuelle libre du loyer reviendrait à faire supporter aux prestations complémentaires la charge d’entretien de tiers exclus du calcul.

 

Faits
Les époux A.__ (née en 1949) et B.__ (né en 1947), bénéficiaires d’une rente AVS, vivaient avec leur fille et les deux enfants de celle-ci dans une villa individuelle de six pièces. Leur fille, locataire du bien pour un loyer mensuel brut de 2’800 fr., avait conclu avec eux un contrat de sous-location fixant un sous-loyer mensuel de 1’500 fr., frais accessoires inclus.

En août 2023, les époux ont déposé une demande de prestations complémentaires. Par du 06.12.2023, la caisse de compensation leur a accordé des prestations complémentaires mensuelles de 694 fr. 30 par personne dès le 01.08.2023 (correspondant à 16’651 fr. par an pour les deux époux), en tenant notamment compte de frais de logement mensuels de 1’120 fr. au titre des dépenses reconnues. Par décision du 05.01.2024, les prestations ont été portées à 707 fr. 30 par époux à compter du 01.01.2024 (soit 16’963 fr. par an pour les deux époux). Ces décisions ont été confirmées sur opposition.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2024 97 – consultable ici)

Par jugement du 14.11.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants (art. 9 al. 1 LPC). Sont notamment reconnues comme dépenses, pour les personnes vivant à domicile, le loyer d’un appartement et les frais accessoires y relatifs (art. 10 al. 1 let. b LPC).

Consid. 4.2
Sous le titre marginal « partage obligatoire du loyer », l’art. 16c OPC-AVS/AI prévoit que lorsque des appartements ou des maisons familiales sont aussi occupés par des personnes non comprises dans le calcul des PC, le loyer doit être réparti entre toutes les personnes. Les parts de loyer des personnes non comprises dans le calcul des PC ne sont pas prises en compte lors du calcul de la prestation complémentaire annuelle (al. 1). En principe, le montant du loyer est réparti à parts égales entre toutes les personnes (al. 2).

Consid. 4.2.1 [résumé]
Avant l’entrée en vigueur de l’art. 16c OPC-AVS/AI le 01.01.1998, la jurisprudence suivait une pratique administrative imposant une répartition du loyer à parts égales entre toutes les personnes cohabitant dans un logement, indépendamment du nom du locataire contractuel ou du payeur du loyer (arrêt du TFA du 15 juillet 1974, in RCC 1974 p. 510). Des exceptions, admises avec retenue pour prévenir les abus, étaient possibles lorsque des motifs juridiques ou moraux justifiaient qu’une personne supporte seule le loyer.

La jurisprudence avait ainsi admis une dérogation au partage du loyer dans le cas où la bénéficiaire des prestations complémentaires vivait avec son petit-fils âgé d’un peu plus de six mois au moment où elle l’avait accueilli chez elle. Selon le Tribunal fédéral, il ne pouvait être raisonnablement question d’une location commune d’un appartement, voire d’un rapport de location payant entre l’assurée et son petit-fils (arrêt P 21/90 du 16 novembre 1990). Ce cas a conduit à l’adaptation du ch. 3023 des Directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (DPC), édictées par l’OFAS, dans leur version en vigueur à partir du 01.01.1992 (jusqu’au 31.12.1997).

Consid. 4.2.2
L’art. 16c al. 1 OPC-AVS/AI, introduit le 01.01.1998, a été adopté pour ancrer dans la réglementation d’exécution les principes de la pratique administrative en matière de répartition du loyer. Toutefois, selon cette disposition, la répartition du loyer ne présuppose pas que l’appartement ou la maison familiale soit loué en commun; il suffit que les personnes vivent ensemble (ménage commun). Dans l’ATF 127 V 10, le Tribunal fédéral des assurances a qualifié l’art. 16c OPC-AVS/AI de conforme à la loi, puisque son but était d’empêcher le financement indirect par les prestations complémentaires de personnes non comprises dans le calcul des PC. Selon la lettre de cette disposition, le terme « aussi occupés par » justifie à lui seul déjà un partage du loyer, indépendamment du point de savoir si le logement est loué en commun (arrêt 9C_326/2022 du 23 novembre 2022 consid. 3.2 et les arrêt cités; VSI 2001 p. 236).

Consid. 4.2.3
Le Tribunal fédéral a néanmoins considéré que même après l’entrée en vigueur de l’art. 16c OPC-AVS/AI, la vie commune sous le même toit ne conduit pas dans tous les cas à la répartition du loyer. D’une part, selon la lettre de cette disposition, le partage ne doit être effectué que si les personnes qui vivent sous le même toit ne sont pas incluses dans le calcul des PC. D’autre part, la jurisprudence rendue jusque-là en matière de répartition du loyer n’a pas perdu toute sa signification, de sorte que des exceptions restent possibles. Notamment, le fait que la cohabitation est dictée par un devoir (d’entretien) juridique ou moral peut conduire à une autre répartition du loyer, voire – exceptionnellement – à une renonciation à toute répartition du loyer. La jurisprudence rendue sous l’ancien droit reste d’actualité sous l’empire de l’art. 16c OPC-AVS/AI (ATF 142 V 299 consid. 3.2.1; arrêts 9C_153/2022 du 26 avril 2023 consid. 7.2.2; 9C_326/2022 du 23 novembre 2022 consid. 3.2.1).

Consid. 4.2.4
Le ch. 3231.06 DPC (devenu le ch. 3231.07 à partir du 1er janvier 2025; ci-après: ch. 3231.07 DPC) prévoit que lorsque le bénéficiaire de PC partage un logement avec le propriétaire de celui-ci et qu’un contrat de bail a été passé entre eux, c’est en principe ce contrat de bail et le loyer prévu qui sont déterminants pour le calcul de la PC (jusqu’au montant maximal admissible), pour autant que le loyer convenu soit effectivement payé et qu’il ne soit pas manifestement excessif. Lorsqu’aucun loyer n’a été convenu ou payé, ou si le loyer est manifestement excessif, c’est le montant de la valeur locative du logement, auquel s’ajoute le forfait pour frais accessoires, qui est déterminant, moyennant une répartition par tête.

Consid. 5 [résumé]
La cour cantonale a retenu que le ch. 3231.07 DPC ne permettait pas de déroger à la répartition du loyer par tête dans un cas de sous-location. Une telle dérogation pouvait être envisagée uniquement lorsque le propriétaire du logement cohabitait avec le bénéficiaire de PC, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. L’arrêt 9C_153/2022 du 26 avril 2023 invoqué par les assurés ne leur était pas applicable, car une exception à la répartition à parts égales suppose une cohabitation fondée sur un devoir d’entretien juridique ou moral, ce qui n’était pas établi à l’égard de leur fille ou de leurs petits-enfants. Les juges cantonaux ont constaté que cinq personnes vivaient dans le logement, de sorte que le loyer mensuel de 2’800 fr., accessoires compris, devait être réparti en cinq parts égales. Aucun élément du dossier ne permettait de conclure qu’un des membres du foyer faisait un usage disproportionné du logement. C’était donc à juste titre que la caisse de compensation avait pris en compte un montant mensuel de 1’120 fr. (ou annuel de 13’440 fr.) à titre de dépenses reconnues.

Consid. 6.2
Les assurés font une analogie entre le contrat de sous-location signé le 30.06.2023 et le contrat de bail principal du 03.10.2019, en ce sens que la position de leur fille serait assimilable à celle de propriétaire. Or tel n’est pas le cas.

Il est établi – et non contesté – que la fille n’est pas propriétaire du logement mais la titulaire du contrat de bail. Elle occupe, avec ses deux enfants, la villa de 6 pièces qu’elle partage avec les assurés, mettant ainsi à leur disposition une partie de la maison moyennant une part du loyer principal. Le contrat de sous-location, conclu entre les assurés et leur fille, prévoit un loyer mensuel de 1’500 fr. (frais accessoires inclus); il en résulte un solde de 1’300 fr., soit une part moindre du loyer pour la fille et ses deux enfants alors même qu’il est probable qu’ils occupent à eux trois plus de la moitié du logement. Les assurés ne soutiennent d’ailleurs pas qu’ils bénéficieraient d’une plus grande part du logement en vertu d’une répartition particulière des locaux (cf. ATF 105 V 271 et ch. 3231.04 DPC). Cela étant, il convient de respecter l’objectif poursuivi par l’art. 16c OPC-AVS/AI, qui est d’éviter que les prestations complémentaires ne doivent également couvrir les parts de loyer de personnes qui ne sont pas incluses dans le calcul des PC (consid. 4.2.2 supra). Le raisonnement des juges cantonaux – selon lequel il résulterait un risque d’abus inadmissible si l’on admettait, sous l’angle des prestations complémentaires, que les locataires et sous-locataires d’un logement puissent, par contrat, ventiler à leur guise la charge commune du loyer convenu avec le tiers propriétaire – ne revient pas à créer une inégalité de traitement entre les bénéficiaires de prestations complémentaires. Comme l’ont exposé à juste titre les juges cantonaux, le propriétaire ne paie pas un loyer correspondant à l’usage du logement mais des charges hypothécaires, dont le montant peut varier fortement et ne pas correspondre au loyer usuel qui pourrait être convenu avec les locataires cohabitant avec lui. On ajoutera que le ch. 3231.03 DPC prévoit, dans le contexte de la répartition du montant du loyer à parts égales, qu’il soit également procédé à une répartition du loyer en cas de sous-location. Il s’ensuit que les assurés ne peuvent se prévaloir du ch. 3231.07 DPC pour prétendre à une dérogation au partage du loyer à parts égales.

Consid. 7 [résumé]
Les assurés ont, à titre subsidiaire, soutenu qu’il convenait de déroger à la répartition du loyer à parts égales prévue à l’art. 16c al. 2 OPC-AVS/AI. Tout en admettant ne pas avoir eux-mêmes une obligation d’entretien envers leurs petits-enfants, ils ont invoqué celle de leur fille à l’égard de ces derniers, estimant que cela justifierait, selon la jurisprudence (arrêt 9C_153/2022 précité), l’exclusion des enfants du calcul des prestations complémentaires. Les assurés ne soutiennent toutefois pas que leur fille aurait elle-même droit à des prestations complémentaires. Admettre leur raisonnement reviendrait à faire financer indirectement, par les prestations complémentaires perçues par les assurés, une partie de la contribution d’entretien incombant à leur fille.

 

Le TF rejette le recours des assurés.

 

Arrêt 8C_6/2025 consultable ici