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9C_733/2023 (f) du 10.03.2025 – Examen du droit à un reclassement – Evaluation prospective / Aptitude objective et subjective au reclassement

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_733/2023 (f) du 10.03.2025

 

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Examen du droit à un reclassement – Evaluation prospective / 17 LAI

Aptitude objective et subjective au reclassement

 

Assuré, né en 1984, victime d’un accident de la circulation en 2004. Il a obtenu un CFC d’assistant en soins et santé communautaire le 01.07.2008. Dépôt de la demande AI le 13.04.2012. Les médecins (interniste et psychiatre) ont diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – un status après accident avec polytraumatisme, traumatismes cranio-cérébral et coma le 04.04.2004. Les médecins ont retenu une capacité de travail de 100% comme assistant en soins et santé communautaire, mais avec une baisse de rendement de 25%, et une capacité de 100% sans baisse de rendement dans une activité adaptée depuis 2011. Par décision du 18.09.2017, l’office AI a refusé les prestations, décision confirmée par le tribunal cantonal le 27.06.2019.

L’assuré a déposé une nouvelle demande AI le 10.07.2019. L’office AI a pris en charge une mesure de réadaptation professionnelle auprès de la fondation D.__, à 50% dès août 2021, puis à 70% dès octobre 2021. En janvier et mars 2022, l’assuré a passé des tests psychométriques, qui ont révélé des aptitudes insuffisantes pour une formation CFC, mais compatibles avec une formation de type AFP (attestation fédérale de formation professionnelle) avec soutien spécialisé. En avril 2022, le médecin du Service médical régional AI a recommandé d’orienter l’assuré vers une formation adaptée à ses limitations neuropsychologiques et orthopédiques.

Après plusieurs échanges d’écriture, l’office AI a sommé l’assuré le 03.06.2022 de transmettre par écrit un choix professionnel adapté à ses problèmes de santé et limitations fonctionnelles et l’a averti des conséquences d’un manque de collaboration. Le 29.06.2022, l’assuré a informé l’office AI qu’il s’était inscrit à une formation d’assistant médical menant à un CFC auprès de l’École F.__. Par décision du 16.09.2022, l’office AI a rejeté la nouvelle demande de prestations.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 17.10.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Le sens et le but de la procédure de mise en demeure avec un délai de réflexion prescrite à l’art. 21 al. 4 LPGA est de rendre la personne assurée attentive aux conséquences négatives possibles d’une attitude rénitente à collaborer, afin qu’elle soit à même de prendre une décision en pleine connaissance de cause et, le cas échéant, de modifier sa conduite (arrêt I 552/06 du 13 juin 2007 consid. 4.1 et les références).

Consid. 3.1 [résumé]
La juridiction cantonale a retenu que les tests psychométriques révélaient chez l’assuré des aptitudes verbales comparables à un niveau CFC, mais des compétences spatiales et numériques correspondant au profil AFP, avec un raisonnement bien inférieur aux attentes de ce même niveau. Ces résultats ont conduit à la conclusion qu’il ne possédait pas les compétences nécessaires pour entreprendre une formation CFC d’assistant médical. L’office AI a donc sommé l’assuré de choisir une formation adaptée à ses aptitudes, sommation restée sans réponse, entravant ainsi sa réadaptation. Les juges ont estimé que, même en cas d’adaptation de la formation CFC, l’office AI aurait été en droit d’exiger un choix professionnel différent, les préférences personnelles de l’assuré n’étant pas déterminantes (ATF 130 V 488 consid. 4.2). Les conditions de l’article 21 alinéa 4 LPGA étant remplies, l’office AI a statué correctement sur le refus de mesures de reclassement en l’état du dossier.

Consid. 4.1
Toute mesure de réadaptation, y compris un reclassement (art. 17 LAI), doit être évaluée sur la base de toutes les circonstances du cas concret. La tâche des organes de l’assurance-invalidité consiste à pronostiquer – au degré de la vraisemblance prépondérante – le succès de la réadaptation en tenant compte de l’âge de l’assuré, de son niveau de développement, de ses aptitudes et de la durée probable de la vie active (art. 8 al. 1 bis let. a-d LAI). Il faut entendre par la « durée probable de la vie active » la période restante jusqu’à l’âge ordinaire de la retraite selon l’art. 21 al. 1 LAVS (ATF 143 V 190 consid. 7.4 et les références; arrêt 9C_71/2023 du 5 septembre 2023 consid. 3.3.1). En règle générale, l’assuré n’a droit qu’aux mesures nécessaires, propres à atteindre le but de réadaptation visé, mais non pas à celles qui seraient les meilleures dans son cas (ATF 139 V 399 consid. 5.4).

Consid. 4.2
En l’espèce, l’examen du droit à un reclassement doit faire l’objet d’une évaluation prospective (arrêt 9C_384/2023 du 11 janvier 2024 consid. 4.2). Dès lors, pour évaluer le pronostic des organes de l’assurance-invalidité, les juges cantonaux ont rappelé à juste titre que les faits survenus postérieurement à la décision du 16.09.2022 ne sont en principe pas pertinents (cf. ATF 148 V 21 consid. 5.3; 132 V 215 consid. 3.1.1 et les références). En se limitant à indiquer que la réussite de son premier trimestre à l’École F.__ démontrait qu’il avait les capacités de suivre une formation CFC d’assistant médical, l’assuré n’expose pas d’éléments suffisants pour s’écarter de ces principes.

Au demeurant, même à supposer que ces faits puissent être pris en considération, les juges cantonaux ont considéré sans arbitraire qu’ils ne changeraient en rien l’issue de la procédure. L’assuré détient déjà un CFC d’assistant en soins et santé communautaire, obtenu après son accident. Dès lors, l’autorité cantonale savait qu’il était en mesure, d’un point de vue formel, de réussir des examens menant à une certification professionnelle. Elle a relevé que la réussite de ce premier CFC avait toutefois nécessité de la part de l’assuré un « très grand effort sur soi-même et [une] lutte constante ». Or, selon les faits constatés par la juridiction cantonale, la situation médicale de l’assuré s’était encore dégradée depuis lors, celui-ci ne pouvant plus exercer l’activité d’assistant en soins et santé communautaire. Aussi, quoi qu’en dise l’assuré, la réussite de son premier trimestre à l’École F.__ ne constitue pas un élément de preuve suffisant pour remettre en cause l’appréciation de l’autorité cantonale. Comme l’ont mis en évidence les tests d’aptitude, ses limitations fonctionnelles cognitives, en particulier sa grande lenteur d’exécution, ses problèmes de mémoire et sa fatigabilité, compromettent grandement son aptitude à réussir une formation CFC et à exercer durablement une activité d’assistant médical de manière conforme aux exigences du marché du travail. Ces déficits, bien qu’ils ne l’ont pas empêché d’acquérir des connaissances théoriques et de les valoriser dans un cadre scolaire structuré lors de son premier trimestre à l’École F.__, constituent objectivement des obstacles importants à son reclassement professionnel dans une formation exigeante sur un plan physique et psychique. Il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation des juges cantonaux.

Consid. 4.3
Pour le surplus, les juges cantonaux ont confirmé sans arbitraire qu’en entreprenant – malgré une mise en demeure – une voie professionnelle trop exigeante pour lui, l’assuré avait démontré une absence d’aptitude subjective au reclassement. En particulier, on ne saurait reprocher à la juridiction cantonale d’avoir statué en l’état du dossier sur la demande de prestations, dès lors que les démarches entreprises pour favoriser le reclassement de l’assuré apparaissaient compromises par la volonté clairement exprimée de celui-ci de mener à terme une formation vraisemblablement trop exigeante sur un plan physique et psychique (supra consid. 4.2).

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_733/2023 consultable ici

 

8C_414/2024 (f) du 11.03.2025 – Surindemnisation – Indemnité journalière LAA et rente AI / Gain dont l’assuré est présumé avoir été privé – Evolution vraisemblable du taux d’activité de la personne assurée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_414/2024 (f) du 11.03.2025

 

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Surindemnisation – Indemnité journalière LAA et rente AI / 69 LPGA – 51 al. 3 OLAA

Gain dont l’assuré est présumé avoir été privé – Evolution vraisemblable du taux d’activité de la personne assurée

 

Assurée, née en 1970, exerçant deux activités professionnelles : un poste à 60% comme réceptionniste à l’Hôtel C.__ depuis mai 2008 et un engagement extra à 20% pour le service du brunch à l’Hôtel D.__ depuis mars 2009. Le 14.11.2010, elle a été victime d’un accident dans la cuisine de l’Hôtel D.__ (fracture de l’humérus gauche). L’assurance-accidents a versé des indemnités journalières pour les deux emplois jusqu’aux reprises partielles en juin 2012, puis janvier 2013 et septembre 2013, entrecoupées de nouvelles périodes d’incapacité (décembre 2015 à juin 2016).

Une enquête ménagère diligentée par l’office AI a conclu à un statut d’activité professionnelle initialement à 80% (et 20% ménagère), puis à 100% dès novembre 2012.

L’assurance-accidents a mis fin aux indemnités journalières en septembre 2016 pour l’Hôtel C.__ et octobre 2016 pour l’Hôtel D.__ par décision du 21 mars 2017. Elle a également refusé une rente d’invalidité et une IPAI, décision partiellement réformée par le tribunal cantonal le 1er novembre 2019, octroyant une IPAI de 3’150 fr.

L’office AI a alloué à l’assurée une rente entière d’invalidité du 01.03.2013 au 28.02.2014, une demi-rente du 01.03.2014 au 29.02.2016 et une rente entière du 01.03.2016 au 28.02.2017 (arrêt du tribunal cantonal du 14.06.2022).

Par décision du 15.04.2021, confirmée sur opposition le 25.01.2022, l’assurance-accidents a exigé de l’assurée le remboursement d’un montant de 22’320 fr., correspondant à sa surindemnisation du fait du versement d’indemnités journalières de l’assurance-accidents du 14.11.2010 au 31.08.2016 et d’une rente d’invalidité de l’assurance-invalidité du 01.03.2013 au 31.08.2016.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 28/22 – 62/2024 [jugement non consultable sur le site du TC])

Par jugement du 06.06.2024, admission du recours par le tribunal cantonal et annulation de la décision sur opposition.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 68 LPGA, sous réserve de surindemnisation, les indemnités journalières et les rentes de différentes assurances sociales sont cumulées. L’art. 69 al. 1 LPGA prévoit que le concours de prestations des différentes assurances sociales ne doit pas conduire à une surindemnisation de l’ayant droit (première phrase); ne sont prises en compte dans le calcul de la surindemnisation que des prestations de nature et de but identiques qui sont accordées à l’assuré en raison de l’événement dommageable (seconde phrase). L’art. 69 al. 2 LPGA précise qu’il y a surindemnisation dans la mesure où les prestations sociales légalement dues dépassent, du fait de la réalisation du risque, à la fois le gain dont l’assuré est présumé avoir été privé, les frais supplémentaires et les éventuelles diminutions de revenu subies par les proches. Aux termes de l’art. 69 al. 3 LPGA, les prestations en espèces sont réduites du montant de la surindemnisation (première phrase); sont exceptées de toute réduction les rentes de l’AVS et de l’AI, de même que les allocations pour impotents et les indemnités pour atteinte à l’intégrité (deuxième phrase); pour les prestations en capital, la valeur de la rente correspondante est prise en compte (troisième phrase).

En vertu de l’art. 51 al. 3 OLAA, le gain dont on peut présumer que l’assuré se trouve privé correspond à celui qu’il pourrait réaliser s’il n’avait pas subi de dommage (première phrase); le revenu effectivement réalisé est pris en compte (seconde phrase).

Consid. 3.2
Selon la jurisprudence, le « gain dont l’assuré est présumé avoir été privé » correspond au salaire hypothétique que l’assuré aurait réalisé sans invalidité, au moment où doit s’effectuer le calcul de surindemnisation. Il ne correspond pas forcément au gain effectivement obtenu avant la survenance de l’invalidité. En revanche, il existe une relation étroite entre le gain dont l’assuré est présumé avoir été privé et le revenu sans invalidité fixé sur la base de l’art. 16 LPGA. Dans les deux cas, il s’agit en effet du revenu hypothétique que la personne concernée aurait vraisemblablement obtenu sans atteinte à la santé. À cet égard, les circonstances concrètes et les chances réelles de l’assuré sur le marché du travail dont déterminantes. En partant du dernier salaire perçu avant l’atteinte à la santé, il convient de prendre en compte tous les changements ayant une incidence sur le revenu (renchérissement, augmentation réelle, progression de carrière, etc.) qui auraient vraisemblablement eu lieu en l’absence de l’invalidité (ATF 137 V 20 consid. 5.2.3.1; 126 V 468 consid. 4a; 125 V 163 consid. 3b; 122 V 151 consid. 3c; arrêt 8C_298/2020 du 2 novembre 2020 consid. 5.1; cf. aussi GHISLAINE FRÉSARD-FELLAY / JEAN-MAURICE FRÉSARD, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 37 et 38 ad art. 69 LPGA). S’il existe des éléments concrets permettant d’admettre qu’un assuré travaillant jusqu’alors à temps partiel aurait repris, en l’absence d’invalidité, une activité à plein temps, la limite de surindemnisation doit être adaptée en conséquence (ATF 142 V 75 consid. 6.3.1; arrêt 9C_554/2023 du 22 mai 2024 consid. 4.1).

Consid. 4 [résumé]
Les juges cantonaux ont relevé que les parties ne contestaient pas le caractère de prestations de nature et de but identiques des indemnités journalières de l’assurance-accidents et de la rente d’invalidité de l’assurance-invalidité, accordées en raison du même événement dommageable. Concernant le gain perdu, ils ont estimé, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assurée aurait augmenté son taux d’activité à 100% dès novembre 2012 sans l’accident, compte tenu de sa situation financière (mari au chômage et nécessité de subvenir aux besoins familiaux). L’office AI et le tribunal cantonal avaient confirmé ce statut dans leurs décisions respectives. Selon la cour cantonale, il n’y avait pas de raison, dans le calcul de surindemnisation, de s’écarter de ce qui avait été retenu en matière d’assurance-invalidité au sujet de l’évolution vraisemblable du taux d’activité de l’assurée.

L’assurance-accidents n’a pas fourni d’arguments pour s’écarter de cette évaluation, se bornant à invoquer un arrêt du Tribunal fédéral (8C_512/2012 du 7 juin 2013), jugé non pertinent en l’espèce.

Les juges cantonaux ont calculé les gains présumés perdus en retenant un taux de 100% à l’Hôtel C.__ dès novembre 2012 : 62’159 fr. 56 pour la période du 17.11.2010 au 17.06.2012 et 196’911 fr. 53 pour celle du 28.01.2013 au 31.08.2016. Après déduction des revenus effectivement perçus en reprenant partiellement son travail pendant la période faisant l’objet du calcul de surindemnistation (46’789 fr. 59), le gain perdu total s’élève à 212’281 fr. 50 pour la période du 14.11.2010 au 31.08.2016, et à 150’121 fr. 94 pour celle du 28.01.2013 au 31.08.2016. Les prestations perçues par l’assurée (175’409 fr. pour la première période et 126’224 fr. pour la seconde) n’excèdent pas ces montants. Ainsi, aucune surindemnisation n’est constatée, que le calcul débute le 14.11.2010 ou le 28.01.2013.

Consid.5.2
Quoi qu’en dise l’assurance-accidents, les motifs avancés par la cour cantonale pour fixer le salaire hypothétique de l’assurée en tenant compte d’une activité à temps plein à compter de novembre 2012 sont convaincants. Même si l’assurance-accidents n’est pas liée par les décisions en matière d’assurance-invalidité, il y a selon la jurisprudence une relation étroite entre le gain dont l’assuré est présumé avoir été privé et le revenu sans invalidité fixé sur la base de l’art. 16 LPGA (cf. consid. 3.2 supra). Or, en assurance-invalidité, l’office AI puis le tribunal cantonal ont estimé que sans invalidité, l’assurée aurait travaillé à temps complet dès novembre 2012. En matière de surindemnisation, au vu des éléments au dossier – en particulier l’enquête ménagère diligentée par l’office AI en novembre 2013 -, les juges cantonaux pouvaient également retenir que sans invalidité, l’assurée aurait vraisemblablement augmenté son taux d’activité à 100% dès novembre 2012. Au moment de l’accident, celle-ci avait déjà augmenté son temps de travail global en mars 2009 en acceptant un poste à 20% pour l’Hôtel D.__, en sus de son emploi à 60% auprès de l’Hôtel C.__. En décembre 2011, elle a fait savoir à l’office AI que sans atteinte à la santé, elle travaillerait à un taux de 80%. Environ deux ans plus tard, elle a expliqué à l’enquêtrice ménagère que la situation financière difficile de son ménage l’aurait conduite, sans atteinte à la santé, à travailler à plein temps dès novembre 2012; elle précisait que son époux touchait des prestations de la caisse de chômage depuis une année et que sa fille était âgée de douze ans. Le rapport de l’enquêtrice détaille la situation financière du ménage et rien ne permet de douter de la réalité des revenus et charges qui y sont énumérés. Par ailleurs, les questions et détails liés au droit du mari de l’assurée à l’indemnité de chômage ne sont pas déterminants; dès l’instant où celui-ci était sans emploi, il est plausible que l’assurée aurait en toute circonstance cherché à augmenter encore plus son taux de travail si son état de santé l’avait permis. On ajoutera qu’en novembre 2012, l’âge de la fille du couple était davantage conciliable avec un emploi à temps complet de l’assurée que quelques années auparavant, indépendamment de l’activité de son époux.

Comme relevé par l’autorité précédente, l’arrêt 8C_512/2012 cité par l’assurance-accidents ne lui est d’aucun secours. Comme exposé par la cour cantonale, ce jugement précise que seules les pertes de revenus causées par l’accident indemnisé doivent être prises en compte pour déterminer le gain dont l’assuré est présumé avoir été privé, sans pour autant remettre en cause la jurisprudence relative au calcul de ce gain (cf. consid. 3.2 supra), à laquelle l’assurance-accidents fait d’ailleurs elle-même référence. Les griefs de l’assurance-accidents s’avèrent ainsi mal fondés.

Pour le reste, l’assurance-accidents ne critique pas les calculs opérés par les juges cantonaux, qui leur ont permis de conclure à l’absence d’une surindemnisation de l’assurée, quelle que soit la période de calcul considérée (à savoir celle du 14.11.2010 au 31.08.2016 ou celle du 28.01.2013 au 31.08.2016). Le point – évoqué dans le recours – de savoir laquelle de ces périodes est déterminante peut donc rester indécis.

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_414/2024 consultable ici

 

9C_392/2024 (f) du 14.03.2025 – Responsabilité de l’employeur – Connaissance du dommage – Dies a quo du délai de prescription au sens de l’art. 52 al. 3 LAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_392/2024 (f) du 14.03.2025

 

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Responsabilité de l’employeur – Connaissance du dommage – Dies a quo du délai de prescription au sens de l’art. 52 al. 3 LAVS

 

La faillite de la société C.__ SA a été prononcée en janvier 2015, puis suspendue faute d’actifs en septembre 2019. La société a été radiée du registre du commerce en septembre 2019.

La caisse de compensation a réclamé à A.__, en sa qualité d’administrateur président, à D.__, en sa qualité d’administrateur, à feu E.__, en sa qualité d’administrateur, à F.__, en sa qualité d’administrateur, à B.__, en sa qualité d’administrateur, et à G.__, en sa qualité de directeur, la réparation du dommage qu’elle a subi dans la faillite de la société.

La caisse de compensation a rejeté l’opposition formée par A.__. Elle a fixé le dommage à 510’130 fr. 65, correspondant au solde des cotisations sociales dues sur les salaires versés par la société pour les années 2013 à 2015.

 

Procédure cantonale (arrêt AVS 34/22 ap. TF – 27/2024 – consultable ici)

La cour cantonale a invité la caisse de compensation à préciser l’issue des procédures en responsabilité ouvertes contre les tiers responsables. La caisse de compensation a indiqué que D.__, les héritiers de feu E.__, F.__ et G.__ avaient été libérés de toute responsabilité, soit au stade de leur opposition aux décisions du 11.05.2018, soit ultérieurement. Quant à B.__, sa responsabilité avait été confirmée par arrêt du 16.08.2021. La cour cantonale a invité B.__ à participer à la procédure.

Par jugement du 29.05.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.2.1
Selon la jurisprudence, la caisse de compensation a connaissance du dommage (au sens de l’art. 52 al. 3 LAVS) dès le moment où, avec toute l’attention que l’on peut attendre d’elle, elle doit constater qu’elle ne peut plus recouvrer les cotisations. Lorsque le dommage résulte d’une faillite, le moment de la connaissance du dommage ne coïncide pas avec celui où la caisse connaît la répartition finale ou reçoit un acte de défaut de biens; la jurisprudence considère, en effet, que le créancier qui entend demander la réparation d’une perte qu’il subit dans une faillite connaît suffisamment son préjudice, en règle ordinaire, lorsqu’il est informé de sa collocation dans la liquidation; il connaît ou peut connaître à ce moment-là le montant de l’inventaire, sa propre collocation dans la liquidation, ainsi que le dividende prévisible. Ces principes s’appliquent aussi en cas de faillite liquidée par la procédure sommaire car le jugement ordonnant la liquidation sommaire ne permet pas à lui seul de connaître le dommage (ATF 134 V 257 consid. 3.3; 129 V 193 consid. 2.3 et les références; arrêt 9C_258/2022 du 14 novembre 2022 consid. 4.1.1). Il n’est donc en règle générale pas nécessaire que la caisse entame une procédure en réparation du dommage avant le dépôt de l’état de collocation (Directives de l’OFAS sur la perception des cotisations dans l’AVS, AI et APG [DP] du 1 er janvier 2021, n° 8053).

Consid. 5.2.2
La partie lésée peut toutefois, en raison de circonstances spéciales, acquérir la connaissance nécessaire du dommage avant la publication de l’état de collocation. Ainsi, on peut exiger d’une caisse de compensation qu’elle se fasse représenter à la première assemblée des créanciers, dès lors que son devoir de diligence lui commande de suivre l’évolution de la procédure de faillite (ATF 121 V 240 consid. 3c/aa et les références). S’il apparaît à ce moment-là déjà qu’elle subira un dommage, le délai de prescription relatif de l’art. 52 al. 3 LAVS commencera à courir (ATF 134 V 257 consid. 3.3.1; arrêts 9C_258/2022 du 14 novembre 2022 consid. 4.1.2; 9C_260/2021 du 6 décembre 2021 consid. 4.1.2 et les références).

Consid. 5.3
En l’occurrence, A.__ et B.__, recourants, se contentent de faire prévaloir leur propre interprétation des faits concernant le moment de la survenance du dommage et leur appréciation des preuves à celle de la juridiction cantonale, en s’appuyant sur des pièces qui, soit ne sont pas au dossier cantonal, soit, à tout le moins, n’ont pas été désignées d’une manière suffisante dans le recours pour permettre au Tribunal fédéral de les consulter.

Consid. 5.3.1
À ce sujet, les recourants se réfèrent tout d’abord à l’arrêt de la Cour des poursuites et faillites du Tribunal cantonal du canton de Vaud du 9 mars 2015, mais n’établissent nullement avoir versé cette pièce au dossier. En particulier, en instance cantonale, A.__ a produit un extrait du registre du commerce au soutien de ses allégués, qui mentionne certes la date de l’arrêt, mais ne fournit aucune information sur son contenu. Quoi qu’il en soit, selon les faits constatés par la juridiction cantonale, de manière à lier le Tribunal fédéral, la faillite de la société a été prononcée car elle n’avait présenté aucun plan d’assainissement précis et crédible de nature à établir, même au stade de la vraisemblance, que sa situation aurait pu être redressée à court ou moyen terme. Ces considérations ne permettent nullement, à elles seules, de connaître l’étendue du dommage de la caisse de compensation. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’écarter des considérations de la juridiction cantonale.

Consid. 5.3.2
Ensuite, en ce qui concerne l’affirmation selon laquelle la procédure de faillite de C.__ SA s’était « indéniablement » déroulée selon la procédure ordinaire, les recourants n’apportent aucun élément probant au soutien de leur affirmation. Au contraire, la pièce n° 17 du bordereau de A.__, soit la Circulaire n° 1 aux créanciers du 7 août 2018, indique que la procédure de faillite a été traitée « en la forme sommaire ». Quant à la caisse de compensation, quoiqu’en disent les recourants, elle a soutenu en instance cantonale que la procédure de faillite avait été traitée en la forme sommaire (et non pas ordinaire), et qu’il n’y avait pas eu d’assemblée de créanciers. Bien que la juridiction cantonale ne se soit pas expressément prononcée sur ce point, l’envoi d’une circulaire aux créanciers, tel que prévu par l’art. 231 al. 3 ch. 1 LP, suffit à justifier cette affirmation, écartant ainsi tout doute quant à la forme (sommaire) prise par la procédure de faillite. En conséquence, il ne saurait être reproché à la juridiction cantonale de n’avoir pas instruit cette question plus avant (s’agissant de l’appréciation anticipée des preuves en lien avec le droit d’être entendu, voir ATF 145 I 167 consid. 4.1 et la référence). Dans ces conditions, les recourants ne parviennent pas à démontrer l’existence d’une convocation à une assemblée des créanciers, leur argumentation ne reposant que sur des hypothèses non étayées par des éléments de preuve et contredites par les pièces versées au dossier.

Consid. 5.4
Ensuite des éléments qui précèdent, les recourants n’ont pas établi de circonstances spéciales qui auraient permis à la caisse de compensation d’acquérir la connaissance nécessaire du dommage avant la publication de l’état de collocation (art. 249 al. 2 LP). Le fait que la société présentait une situation financière difficile constituait certes un indice pour la caisse de compensation que sa créance ne serait probablement pas réglée à temps ou seulement dans une mesure insuffisante. Toutefois, ce n’est qu’à compter de la publication de l’état de collocation que la caisse a su qu’aucun dividende ne serait prévisible. C’est donc à ce moment-là que le délai de prescription de deux ans de l’ancien art. 52 al. 3 LAVS a commencé à courir, comme l’a retenu à juste titre l’autorité précédente.

 

Le TF rejette le recours de A.__ et B.__.

 

Arrêt 9C_392/2024 consultable ici

 

8C_171/2024 (f) du 03.09.2024 – Revenu d’invalide – Détermination de la ligne de l’ESS / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_171/2024 (f) du 03.09.2024

 

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Revenu d’invalide – Détermination de la ligne de l’ESS / 16 LPGA

Branches économiques 69-71 vs 77-82 de l’ESS

 

Assuré, né en 1962 et titulaire d’un CFC de cuisinier obtenu en juillet 1981, a été victime d’un grave accident de la circulation en le 19.07.1982, entraînant un polytraumatisme des membres inférieurs et plusieurs opérations. Depuis cet accident, il a été en incapacité totale de travail et a déposé une demande de prestations AI en janvier 1984. L’office AI a alors pris en charge une reconversion professionnelle, permettant à l’assuré de suivre une formation de programmeur et employé de commerce (type G), achevée en 1988. Il a ensuite exercé la profession de comptable pour différents employeurs. Par décision du 04.04.1989, l’office AI a refusé toute rente d’invalidité, considérant qu’il n’y avait pas de perte de gain.

Le 08.03.2018, l’assuré a déposé une nouvelle demande de prestations AI, invoquant notamment des acouphènes survenus après un accident de la route en 2013. Une expertise pluridisciplinaire a été ordonnée (médecine interne, ORL, rhumatologie, psychiatrie), concluant que l’assuré restait apte à travailler à plein temps comme comptable, mais avec une baisse de rendement de 30% depuis l’accident de 2013 en raison des troubles ORL. Par décision du 02.11.2021, l’office AI a refusé d’octroyer une rente d’invalidité, estimant que le taux d’invalidité calculé selon la comparaison entre le revenu hypothétique de cuisinier et celui de comptable à 70% restait insuffisant pour ouvrir le droit à une rente.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 12.02.2024, admission du recours par le tribunal cantonal et octroi d’un quart de rente d’invalidité, fondé sur un taux d’invalidité de 46%, dès le 01.09.2018.

 

TF

Consid. 5.1 [résumé]
L’office AI recourant reproche à la cour cantonale d’avoir établi les faits de manière manifestement inexacte et d’avoir violé le droit fédéral dans la détermination du revenu hypothétique d’invalide. Il soutient que la ligne 77-82 (« Activités de services administratifs et de soutien »), retenue par les juges cantonaux et appliquée dans la décision du 02.11.2021, ne permet pas de fixer un revenu d’invalide qui exploite pleinement la capacité résiduelle de gain de l’assuré. Selon la NOGA 2008, le secteur d’activité de l’assuré correspond aux activités comptables et fiduciaires de la branche 6920, qui serait plus précise que la ligne 77-82. L’office AI estime qu’il n’est pas justifié d’utiliser une branche différente pour déterminer le revenu d’invalide par rapport à celle utilisée pour le revenu sans invalidité, d’autant que la poursuite de l’activité habituelle restait exigible selon les experts, avec une capacité de travail de 100% et une diminution de rendement de 30%. Il propose de retenir un revenu avec invalidité de CHF 53’426, calculé sur la base de la branche 69-71 (« Activités juridiques, comptables, de gestion d’architecture, d’ingénierie ») de l’ESS 2018, niveau de compétences 2, en tenant compte de la durée hebdomadaire de travail, d’une capacité résiduelle de 70% et d’un abattement de 5%. Ce calcul, comparé au revenu sans invalidité de CHF 80’339.85, ne permettrait pas d’atteindre un taux d’invalidité suffisant pour ouvrir le droit à la rente.

Consid. 5.2
Contrairement à ce que soutient l’assuré, l’office AI recourant peut revenir sur la détermination du revenu d’invalide, bien que cet aspect n’ait pas été contesté en procédure cantonale. En effet, une argumentation juridique nouvelle est admissible en instance fédérale pour autant qu’elle repose sur les faits retenus par la cour cantonale (ATF 136 V 362 consid. 4.1).

Consid. 5.3.1
Lorsque les tables ESS sont appliquées, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 (secteur privé), à la ligne « total »; on se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la valeur médiane ou centrale (ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les arrêts cités). Lorsque cela paraît indiqué dans un cas concret pour permettre à l’assuré de mettre pleinement à profit sa capacité résiduelle de travail, il y a lieu parfois de se référer aux salaires mensuels de secteurs particuliers (secteur 2 [production] ou 3 [services]), voire à des branches particulières. Cette faculté reconnue par la jurisprudence concerne les cas particuliers dans lesquels, avant l’atteinte à la santé, l’assuré concerné a travaillé dans un domaine pendant de nombreuses années et où une activité dans un autre domaine n’entre pratiquement plus en ligne de compte (arrêt 8C_709/2023 du 8 mai 2024 consid. 6.2.1 et les arrêts cités).

Consid. 5.3.2
La correcte application des tables de l’ESS, notamment le choix de la table et du niveau de compétences applicable, est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4; 132 V 393 consid. 3.3).

Consid. 5.4
En l’espèce, selon l’expertise pluridisciplinaire, dont la valeur probante – reconnue implicitement par la juridiction cantonale – n’est pas remise en cause par les parties, l’assuré dispose d’une capacité de travail totale, moyennant une baisse de rendement de 30% depuis 2013, dans son domaine d’activité habituel de comptable. Il n’y a donc pas lieu de se fonder sur la branche particulière « Activités de services administratifs et de soutien » (ligne 77-82) comme l’ont fait les juges cantonaux. Avec l’office AI recourant, on ne voit en effet pas que cette branche serait particulièrement adaptée à la situation de l’assuré au point de justifier son application. Selon la NOGA 2008, cette branche regroupe les activités de location et location-bail (77), les activités liées à l’emploi (78), les activités des agences de voyage, voyagistes, services de réservation et activités connexes (79), les activités d’enquête et de sécurité (80), les activités de services relatifs aux bâtiments et aménagement paysager (81) ainsi que les activités administratives et autres activités de soutien aux entreprises (82) (cf. NOGA, site interne www.kubb-tool.bfs.admin.ch/fr/code/n, consulté le 22 août 2024). Au contraire, on doit admettre que le secteur d’activités ressortant de la ligne 69-71 est adapté et exigible, dès lors qu’il comprend des activités correspondant aux types de tâches que l’assuré est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications et regroupe effectivement les activités comptables (6920).

Au demeurant, il était contradictoire de la part de la juridiction cantonale de se fonder, pour l’évaluation du revenu d’invalide, sur des branches d’activités différentes de celles utilisées pour l’évaluation du revenu hypothétique sans invalidité, alors que l’assuré peut continuer à travailler en tant que comptable, comme auparavant. Il y a lieu de confirmer, pour le surplus, le niveau de compétences 2 qui n’est pas contesté (sur les niveaux de compétences, voir arrêt 8C_657/2023 du 14 juin 2024 consid. 6.1, destiné à la publication, et les arrêts cités).

Consid. 5.5
Par conséquent, le taux d’invalidité doit être recalculé. A juste titre, il convient de se référer aux salaires statistiques de l’ESS de l’année 2018 (selon les données publiées au moment de la décision litigieuse, cf. ATF 150 V 67 consid. 4.2 et les références), particulièrement au salaire auquel peuvent prétendre les hommes du niveau de compétences 2, ligne 69-71, soit 6’453 fr. par mois, montant qui doit être adapté à l’horaire de travail moyen de la branche concernée (41,5 heures par semaine en 2018; tableau « Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique », branche 69 « Activités juridiques et comptables ») et au taux d’activité raisonnablement exigible de l’assuré (70%). De ce montant, il convient encore de déduire 5% à titre d’abattement, non remis en cause en instance fédérale. Le revenu d’invalide s’élève ainsi à CHF 53’426 par année. Compte tenu d’un revenu sans invalidité de CHF 80’339.85 (6’453 x 41.5 / 40 x 12) – on rectifiera d’office, sur ce point, le revenu calculé par la juridiction cantonale sans adaptation à la durée hebdomadaire du travail dans les entreprises -, il résulte un taux d’invalidité de 33,5%, arrondi à 34% (ATF 130 V 121 consid. 3.2), qui n’ouvre pas le droit à une rente de l’assurance-invalidité (art. 28 al. 2 LAI).

 

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

Arrêt 8C_171/2024 consultable ici

 

9C_131/2024 (f) du 03.10.2024 – Prévoyance professionnelle surobligatoire – Réticence – 4 LCA – 6 LCA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_131/2024 (f) du 03.10.2024

 

Consultable ici

 

Prévoyance professionnelle surobligatoire – Réticence / 4 LCA – 6 LCA

 

Assuré, né en 1962, affilié depuis le 19.06.2006 au Fonds d’assurance-retraite de B.__, repris ensuite par le Fonds interprofessionnel de prévoyance. À l’époque de son affiliation, il avait rempli une déclaration de santé (figurant dans le formulaire « demande d’affiliation » au-dessous de la partie complétée par son employeur) dans laquelle il affirmait jouir d’une pleine capacité de travail et ne souffrir d’aucune infirmité, maladie ou séquelle d’accident.

Depuis le 30.08.2019, il est totalement incapable de travailler en raison notamment d’un trouble bipolaire II à prédominance dépressive, trouble présent depuis l’adolescence. Par décision du 26.010.2021, il a été mis au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité à compter du 01.09.2020.

L’institution de prévoyance, après avoir constaté dans le dossier AI l’existence d’un traitement antidépresseur et d’un suivi psychiatrique régulier depuis janvier 2006 ainsi que la présence d’une dépression présente depuis l’adolescence, a considéré que l’assuré avait commis une réticence lors de sa déclaration de santé en 2006. Elle a donc annulé la partie surobligatoire du contrat de prévoyance et limité le droit de l’assuré à une rente d’invalidité calculée selon les minima LPP dès le 29.08.2021. L’assuré conteste avoir commis une telle réticence, mais le fonds de prévoyance a maintenu sa position.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 26/22 – 2/2024 – consultable ici)

Par jugement du 23.01.2024, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Le jugement entrepris expose notamment la jurisprudence portant sur l’étendue des droits et des devoirs des institutions de prévoyance dites « enveloppantes » (ATF 136 V 313 consid. 4), ainsi que sur l’interprétation des contrats de prévoyance (ATF 144 V 376 consid. 2.2; 140 V 145 consid. 3.3). Il cite en outre la disposition réglementaire relative à la réticence et à ses effets (art. 2 al. 5 let. b du Règlement de B.________, en vigueur dès le 1er janvier 2006; art. 3 al. 5 du Règlement de B.________, en vigueur dès le 1er janvier 2022), ainsi que les conditions permettant l’application des principes relatifs à la réticence dégagés dans le cadre de la loi sur le contrat d’assurance (LCA) à la prévoyance professionnelle plus étendue (art. 4 et 6 LCA; ATF 130 V 9; arrêts 9C_532/2014 du 23 octobre 2014 consid. 3.1, 4.1 et 5.2, in SVR 2015 BVG n° 34 p. 124; 9C_333/2020 du 23 février 2021 consid. 4.2.1; 9C_606/2017 du 14 mars 2018 consid. 3.2). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 5 [résumé]
L’assuré reproche à la juridiction cantonale d’avoir constaté et apprécié les faits de manière arbitraire. Il soutient que répondre à la question de savoir s’il souffrait d’une maladie supposait qu’il ait connaissance de son propre état de santé et de la notion de maladie. Selon lui, les éléments médicaux retenus par le tribunal cantonal ne démontrent pas qu’il avait conscience d’être atteint d’une maladie au moment de son affiliation, car ces éléments sont postérieurs à la demande d’affiliation et n’indiquent aucun diagnostic psychique à cette époque. Il estime donc que les juges cantonaux ne pouvaient pas conclure qu’il avait donné une réponse qu’il savait inexacte. Il ajoute qu’au regard de la définition de la maladie selon l’art. 3 LPGA, il ne pouvait pas savoir, quelques mois après le début d’un traitement antidépresseur, s’il souffrait d’une maladie durable ou s’il s’agissait simplement d’une atteinte passagère à son bien-être, ce qui, selon lui, ne l’obligeait pas à signaler le suivi médical en cours.

L’assuré critique aussi le refus du tribunal de reconnaître un motif légitime à la réticence. Il estime que la procédure d’affiliation, qui imposait de remettre le questionnaire de santé à l’employeur, portait atteinte à sa sphère privée. Il considère que les solutions proposées par le tribunal cantonal, soit refuser de remettre le formulaire à l’employeur pour l’envoyer directement à la caisse de prévoyance, soit corriger ultérieurement une réponse erronée, sont irréalistes et pourraient susciter la méfiance de l’employeur, voire rompre le lien de confiance. Selon lui, dans le premier cas, il aurait désobéi à une instruction de l’employeur, et dans le second, l’employeur aurait été informé de l’existence d’une réserve ou d’une prime différente, ce qui aurait éveillé des soupçons.

Enfin, il reproche aux juges cantonaux d’avoir violé l’art. 328b CO (selon lequel l’employeur ne peut traiter des données concernant le travailleur que dans la mesure où ces données portent sur les aptitudes du travailleur à remplir son emploi ou sont nécessaires à l’exécution du contrat de travail) et l’art. 13 al. 1 aLPD. Il soutient qu’il a suivi les instructions de l’employeur, qui lui demandait de remplir et signer le questionnaire de santé puis de le lui remettre en original, sans alternative, afin de ne pas risquer de briser la confiance. Il considère que cette méthode de transmission est contraire au droit, car elle permet à l’employeur d’accéder indûment à des données sensibles, et que les solutions du tribunal cantonal ne permettent pas d’éviter une rupture du lien de confiance.

Consid. 6.1 [résumé]
L’argumentation de l’assuré, selon laquelle il n’aurait pas eu conscience de sa maladie ni l’obligation d’en informer l’institution de prévoyance au moment de son affiliation, n’est pas fondée. Il se contente de reprendre des arguments déjà développés devant la première instance, sans démontrer en quoi le tribunal cantonal aurait fait preuve d’arbitraire dans son appréciation des faits. Son grief doit donc être rejeté. Il convient de relever que la question posée dans le formulaire d’affiliation exigeait de signaler toute atteinte à la santé (infirmité, maladie ou suite d’accidents et pas nécessairement un diagnostic précis). Or, un trouble psychique présent depuis l’adolescence, nécessitant un traitement antidépresseur et un suivi psychothérapeutique à raison de deux consultations par semaine depuis six mois au moment de l’affiliation, constitue manifestement plus qu’une atteinte temporaire au bien-être pouvant être passée sous silence. Ce trouble a d’ailleurs été attesté, même après la date d’affiliation, tant par le psychiatre traitant que par des experts indépendants. Dans ces circonstances, le tribunal cantonal pouvait légitimement conclure à l’existence d’une réticence sans commettre d’arbitraire dans la constatation et l’appréciation des faits.

Consid. 6.2 [résumé]
L’argumentation de l’assuré concernant l’existence d’un motif légitime justifiant sa réticence n’est pas retenue. Selon les constatations cantonales, aucune méthode précise n’avait été imposée par le fonds de prévoyance pour la transmission du formulaire d’affiliation et du questionnaire de santé. Les affirmations de l’assuré, selon lesquelles il aurait été obligé de remettre le questionnaire à son employeur, ne reposent sur aucun élément concret et ne démontrent pas que les solutions proposées par les juges cantonaux seraient arbitraires ou déconnectées de la réalité. Ce grief doit donc être rejeté.

Il est vrai que l’état de santé de l’assuré constitue une donnée personnelle sensible, à laquelle l’employeur ne devrait en principe pas avoir accès sans consentement. Toutefois, l’assuré aurait pu facilement éviter le risque de divulgation de telles données en envoyant directement le formulaire au fonds de prévoyance. Contrairement à ce qu’il soutient, les réserves de santé sont communiquées à l’assuré et non à l’employeur, qui n’en aurait pas eu connaissance. De plus, l’existence d’une réserve liée à la santé n’a aucune incidence sur le montant des cotisations de prévoyance. Enfin, l’assuré n’a entrepris aucune démarche pour corriger ses déclarations pendant plus de quinze ans. Dans ces circonstances, il n’est pas possible de reprocher à la juridiction cantonale une appréciation arbitraire des faits ou une violation du droit fédéral. Le recours est donc entièrement mal fondé et doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_131/2024 consultable ici

 

Commentaire

Dans cet arrêt le Tribunal fédéral rappelle que l’assuré avait l’obligation de déclarer toute atteinte à la santé, même en l’absence de diagnostic précis, et que le fait d’être déjà sous traitement antidépresseur et suivi psychothérapeutique de façon régulière constituait manifestement plus qu’une atteinte temporaire au bien-être. L’argument selon lequel l’assuré n’aurait pas eu conscience de la gravité de son état ou de l’obligation de le déclarer n’a pas été retenu, car il s’agit d’une appréciation subjective qui ne saurait prévaloir face à la réalité médicale objectivée par les pièces du dossier.

L’arrêt souligne également que la protection des données médicales et la sphère privée de l’assuré doivent être respectées, mais qu’en l’espèce, aucune méthode imposée n’obligeait à transmettre le questionnaire de santé via l’employeur, et l’assuré aurait pu directement s’adresser à l’institution de prévoyance pour éviter tout risque de divulgation. Le Tribunal fédéral rappelle que les réserves médicales ne sont pas communiquées à l’employeur et que l’existence d’une réserve n’influence pas le montant des cotisations.

Ce cas illustre l’importance, pour les assurés, d’être particulièrement attentifs et transparents lors de la déclaration de santé à l’affiliation à une institution de prévoyance. Même en présence d’un suivi médical ou d’un traitement, il est impératif de signaler toute atteinte à la santé, sous peine de voir la couverture surobligatoire annulée en cas de réticence. L’arrêt rappelle aussi que la protection des données ne saurait être invoquée pour justifier une omission, dès lors que des alternatives existent pour préserver la confidentialité.

 

9C_260/2024 (f) du 03.02.2025 – Valeur probante de l’expertise médicale / Vraisemblance du diagnostic de syndrome d’Asperger (F84.5 CIM-10) / Constatations issues des rapports du psychiatre traitant vs du médecin-expert

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_260/2024 (f) du 03.02.2025

 

Consultable ici

 

Valeur probante de l’expertise médicale / 44 LPGA

Vraisemblance du diagnostic de syndrome d’Asperger (F84.5 CIM-10)

Constatations issues des rapports du psychiatre traitant vs du médecin-expert

 

L’assurée, née en 1983, a travaillé comme enseignante dans un centre scolaire secondaire. Se plaignant d’un «épuisement maternel» depuis 2018, puis de «difficultés personnelles et professionnelles» à partir de novembre 2019, elle a déposé une demande de prestations auprès de l’assurance-invalidité le 23.04.2020.

Au cours de l’instruction, l’office AI a recueilli un rapport d’expertise psychiatrique établi par le docteur B.__ pour l’assureur perte de gain le 23 juin 2020, qui diagnostiquait un trouble dépressif récurrent, épisode moyen, sans syndrome somatique, et attestait une incapacité totale de travail depuis le 18.11.2019. Les médecins traitants ont en plus diagnostiqué un syndrome d’Asperger.

L’office AI a confié une expertise psychiatrique au docteur E.__ qui s’est adjoint l’aide de la psychologue F.__. Ces experts ont retenu un trouble dépressif récurrent léger, une agoraphobie avec phobies sociales légères, ainsi que des traits de personnalité anxieuse, labile et dépendante, mais sans effet sur la capacité de travail, et ont écarté le diagnostic de syndrome d’Asperger.

Se fondant sur les conclusions de ce rapport, l’office AI a informé l’assurée, par projet de décision du 26.01.2022, qu’il entendait rejeter sa demande, faute d’atteinte invalidante à la santé. À la suite des critiques du docteur C.__ (psychiatre traitant) et de D.__ (psychologue traitante) sur le rapport d’expertise, l’office AI a sollicité un nouvel avis du docteur E.__, qui a établi une liste de questions complémentaires à poser au psychiatre et à la psychologue de l’assurée. Le docteur E.__ n’ayant pas modifié son appréciation après examen des réponses des thérapeutes traitants, l’office AI a rejeté la demande de prestations par décision du 25.04.2023.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 04.04.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4 [résumé]
Le tribunal cantonal a jugé que l’office AI pouvait se fonder sur le rapport d’expertise du docteur E.__ pour refuser à l’assurée le droit à une rente d’invalidité, dans la mesure où le médecin-expert n’a retenu aucun trouble psychique susceptible d’influencer durablement la capacité de travail de l’assurée.

Sur le plan formel, la cour cantonale a écarté les critiques de l’assurée concernant les compétences de l’expert pour diagnostiquer un syndrome d’Asperger et la durée des examens, estimant que le rapport remplissait toutes les conditions requises pour avoir pleine valeur probante. Sur le plan matériel, elle a considéré que l’expertise permettait une évaluation structurée des troubles psychiques conformément aux exigences jurisprudentielles, et expliquait précisément pourquoi le syndrome d’Asperger n’avait pas été retenu : absence de symptômes typiques, apparition improbable sans observation préalable par les médecins traitants, capacité de l’assurée à travailler sans limitation et à entretenir des relations sociales pendant plus de dix ans, ainsi que développement de nouveaux centres d’intérêt. Le tribunal cantonal a aussi rejeté le reproche de diagnostic incomplet, relevant que tous les symptômes décrits par les médecins traitants avaient été pris en compte par l’expert, qui ne les jugeait pas incapacitants. Il a également noté la discordance entre la capacité de travail diminuée selon les médecins traitants et les activités quotidiennes de l’assurée, ainsi que l’absence d’hospitalisation psychiatrique ou de traitement médicamenteux spécifique. Les informations complémentaires transmises par le psychiatre et la psychologue traitants n’apportaient pas d’éléments nouveaux par rapport à ceux déjà considérés par l’expert, qui n’a donc pas modifié son appréciation. Enfin, la cour a écarté la diminution de capacité de travail mentionnée par le psychiatre traitant, estimant que celle-ci reposait sur des limitations difficilement objectivables, en particulier l’incapacité de l’assurée à admettre ses propres limites.

Consid. 6 [résumé]
Contrairement à l’avis de la juridiction cantonale, le médecin-expert n’a pas accordé l’importance nécessaire aux avis détaillés du docteur C.__ tout au long de la procédure administrative. La lecture de l’arrêt révèle une contradiction manifeste entre les mêmes éléments anamnestiques, utilisés différemment par l’expert et le psychiatre traitant pour retenir ou exclure un syndrome d’Asperger. Tandis que le psychiatre traitant relevait des signes tels que manque d’autonomie, rigidité de comportement, besoin de soutien parental, crises violentes, problèmes de communication et angoisses omniprésentes, le médecin-expert inférait l’absence de difficultés à partir de la stabilité professionnelle et relationnelle ou du maintien de relations sociales, sans expliquer cette divergence fondamentale. Bien que le tribunal cantonal ait expressément indiqué que l’expert avait tenu compte de tous ces symptômes, on ne retrouve toutefois dans son raisonnement aucune explication éclairant ces divergences notables. La référence aux critères diagnostiques du syndrome d’Asperger (F84.5 de la CIM-10) pour appuyer le point de vue de l’expert n’explique pas davantage cette divergence.

Pour soutenir le caractère convaincant de l’expertise, les juges cantonaux ont attaché beaucoup d’importance aux constatations de l’expert sur l’absence de symptôme psychotique et de traitement antipsychotique d’une part et à l’absence d’hospitalisation en milieu psychiatrique d’autre part. Or, si la juridiction cantonale avait cité l’intégralité du point F84.5 CIM-10, elle aurait pu non seulement relever que le syndrome d’Asperger se caractérisait par l’altération des interactions sociales réciproques (élément à propos duquel on ne retrouve dans l’arrêt attaqué aucune explication quant à l’appréciation fondamentalement différente de l’expert et du psychiatre traitant), mais aussi qu’il s’accompagnait parfois – pas nécessairement toujours – d’épisodes psychotiques au début de l’âge adulte. L’absence de symptôme psychotique et de traitement y relatif ne semble donc pas déterminant en l’occurrence, contrairement à ce que laisse accroire le tribunal cantonal. De plus, on peine à comprendre en quoi une hospitalisation constituerait un autre élément déterminant au regard de l’importante structure de soutien de l’assurée mise en place (un suivi intensif institué par l’Office de protection de l’enfant, une psychologue et une infirmière en psychiatrie en plus du soutien de l’ex-mari et des parents) que les juges cantonaux ont pourtant dûment relevé, mais dont ils n’ont tiré aucune conclusion.

Il ressort au demeurant des différents rapports produits par le psychiatre traitant tout au long de la procédure administrative que celui-ci a décrit de façon constante et circonstanciée les difficultés rencontrées par sa patiente dans sa vie personnelle, professionnelle et sociale – à tous âges et pas seulement au moment de l’établissement de son rapport – ainsi que les différentes stratégies mises en place par celle-ci pour y remédier ou les dissimuler. Il a pris position de manière tout autant circonstanciée sur le rapport d’expertise. Il a en particulier contesté la capacité de l’assurée à gérer son quotidien de manière autonome, contrairement à ce qu’avait retenu le médecin-expert sur la base de la description d’une journée type de travail, en réitérant ses observations cliniques et celles des multiples intervenants s’occupant de l’assurée. Il a aussi expliqué les raisons pour lesquelles le syndrome d’Asperger avait été long à diagnostiquer. Confronté à ces nombreuses critiques, l’expert a brièvement relevé quelques incertitudes, déclaré manquer d’éléments pour se prononcer et a établi une liste de questions à poser au psychiatre traitant. Le psychiatre traitant a répondu de façon très précise à ces questions. Il a singulièrement expliqué en détail pourquoi le diagnostic avait été posé tardivement, comment celui-ci s’était exprimé dans tous les domaines de la vie et à tous âges, pourquoi il avait échappé aux médecins traitants et experts antérieurs ou comment la situation avait évolué. Sa nouvelle appréciation correspondait pour l’essentiel à l’appréciation déjà faite auparavant. En réaction, le médecin-expert s’est contenté de déclarer ne pas avoir assez d’éléments pour remettre en cause son appréciation initiale. Il apparaît dès lors que l’expert n’a pas apporté de réponses satisfaisantes aux nombreuses observations et objections consciencieusement motivées du psychiatre traitant. Il est tout particulièrement surprenant que les conclusions du médecin-expert reposent surtout sur la capacité de l’assurée à gérer sa vie quotidienne telle qu’elle ressortait de la description d’une journée type. Or, si une telle journée s’organisait avant tout autour des activités réalisées par les enfants et de quelques loisirs selon l’expert, le psychiatre traitant a expliqué que sa patiente était incapable de s’occuper adéquatement de ses enfants sans l’importante structure institutionnelle et familiale de soutien mise en place et qu’elle ne s’en occupait en outre qu’un week-end sur deux, les lundis et mardis et un mercredi sur deux. Il s’agit d’une divergence fondamentale d’avis qui ne trouve pas d’explication dans l’arrêt attaqué, ni dans le rapport d’expertise.

 

 

Dans ces circonstances, l’appréciation de la juridiction cantonale est manifestement inexacte. L’assurée a soulevé suffisamment d’éléments pour remettre en cause les conclusions de l’expert, et l’arrêt ne lève pas les doutes. Par conséquent, l’arrêt cantonal et la décision administrative sont annulés et la cause est renvoyée à l’office AI pour complément d’instruction par une nouvelle expertise psychiatrique et nouvelle décision.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_260/2024 consultable ici

 

Commentaire

L’arrêt 8C_465/2024 met en lumière l’importance des rapports médicaux des médecins traitants dans la procédure d’assurances sociales. Dans le contexte de l’assurance-invalidité, la qualité et la cohérence des rapports médicaux jouent un rôle déterminant dans l’établissement des faits et l’appréciation du droit aux prestations. Si la jurisprudence rappelle que la valeur probante des rapports des médecins traitants peut être limitée, elle n’en souligne pas moins leur importance lorsque ces documents sont circonstanciés, étayés et continus dans le temps.

Les rapports médicaux du médecin traitant constituent souvent la base du dossier médical, car ils reflètent l’évolution clinique, les stratégies d’adaptation et la réalité quotidienne du patient. Lorsque ces rapports sont de bonne qualité, ils permettent de documenter de manière précise non seulement les symptômes, mais aussi leur impact concret sur la capacité de travail et la vie sociale de l’assuré. Dans l’arrêt 8C_465/2024, le Tribunal fédéral reproche précisément à l’expert mandaté d’avoir insuffisamment pris en compte les avis circonstanciés et continus du psychiatre traitant, alors même que ceux-ci décrivaient avec constance les limitations fonctionnelles et les besoins de soutien de l’assurée dans tous les domaines de sa vie. Cette lacune a conduit à l’annulation de la décision administrative et au renvoi pour complément d’instruction.

Cet arrêt illustre ainsi la nécessité, pour l’administration comme pour les experts, de ne pas se limiter à une lecture formelle ou superficielle des rapports du médecin traitant. Lorsque ceux-ci sont de bonne qualité, ils doivent être analysés de manière approfondie, confrontés aux autres éléments du dossier et, le cas échéant, conduire à des investigations complémentaires si des divergences majeures subsistent. La recherche de la vérité matérielle, principe fondamental en assurances sociales, ne peut être atteinte que par une prise en compte équilibrée, rigoureuse et respectueuse de toutes les sources médicales pertinentes, en particulier celles émanant du médecin traitant qui accompagne l’assuré sur la durée.

Cf. également : David Ionta, Les rapports médicaux en assurances sociales – Le rôle du médecin traitant en particulier, in : Jusletter 13 mai 2024

 

9C_458/2024 (f) du 10.02.2025 – Marché équilibré du travail réaliste pour un port de charge maximum de 1 kg avec le membre supérieur droit / Revenu avec invalidité sans prise en considération d’un salaire minimum cantonal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_458/2024 (f) du 10.02.2025

 

Consultable ici

 

Capacité résiduelle de travail moyennant l’exécution préalable de mesures de réadaptation / 16 LPGA

Marché équilibré du travail réaliste pour un port de charge maximum de 1 kg avec le membre supérieur droit

Ni la loi ni la jurisprudence n’admettent la prise en considération d’un « salaire minimum cantonal » pour la détermination du revenu avec invalidité

 

À la suite d’un premier refus de prestations de l’assurance-invalidité (décision du 03.03.2021), l’assuré, né en 1972, a déposé une nouvelle demande de prestations, au mois de juin 2021. Après avoir notamment diligenté une expertise médicale, dont il a soumis les conclusions à son Service médical régional, l’office AI a rejeté la demande, par décision du 03.10.2023.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/504/2024 – consultable ici)

Par jugement du 25.06.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
Selon la jurisprudence, lorsque le corps médical fixe une capacité résiduelle de travail, tout en réservant que celle-ci ne pourra être atteinte que moyennant l’exécution préalable de mesures de réadaptation, il n’y a pas lieu de procéder à une évaluation du taux d’invalidité sur la base de la capacité résiduelle de travail médico-théorique avant que lesdites mesures n’aient été exécutées (arrêt 9C_809/2017 du 27 mars 2018 consid. 5.2 et les arrêts cités).

Consid. 5.2 [résumé]
Selon les constatations cantonales, les médecins du centre d’expertise ont attesté d’une capacité de travail de 100% dans une activité adaptée, sans subordonner cette capacité à l’exécution préalable de mesures de réadaptation. Le rapport d’expertise rédigé par le docteur E.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, excluait le besoin d’une rééducation avant une reprise du travail, précisant qu’aucune mesure médicale ou thérapie ne permettrait d’améliorer significativement la capacité de travail, celle-ci étant déjà de 100% dans une activité adaptée. La juridiction cantonale a expliqué que l’avis des docteurs B.__ et C.__ [produits par l’assuré dans le cadre de la procédure cantonale], qui recommandaient une rééducation pour travailler la souplesse de l’épaule et espérer une reprise du métier habituel de peintre, ne remettait pas en cause ces conclusions. Leur proposition n’allait pas au-delà d’une aide à la reprise professionnelle et ne contestait pas la position du médecin-expert sur l’absence de nécessité de mesures médicales préalables à une reprise complète dans une activité adaptée.

Le simple fait, pour l’assuré, de souligner que le rapport qu’il a produit émane de médecins réputés ne suffit pas à démontrer que l’appréciation des premiers juges serait arbitraire ou contraire au droit. Il n’est pas non plus établi que des mesures de réadaptation préalables seraient nécessaires du point de vue médical. De plus, les médecins B.__ et C.__ n’ont évoqué la réadaptation qu’en lien avec la reprise de l’activité habituelle de peintre, pas pour une activité adaptée. Le recours est donc mal fondé sur ce point.

Consid. 5.3
En ce qu’il affirme ensuite que les activités considérées comme adaptées par l’instance cantonale étaient « manifestement incompatibles » avec ses limitations fonctionnelles, l’assuré ne fait pas état de spécificités telles qu’elles rendraient illusoire l’exercice d’une activité professionnelle. À cet égard, les juges cantonaux ont dûment exposé que le marché équilibré du travail (sur cette notion, cf. ATF 110 V 273 consid. 4b; arrêt 9C_326/2018 du 5 octobre 2018 consid. 6.2) offrait un nombre significatif d’activités simples et légères, accessibles à l’assuré eu égard à son profil, soit de nombreux emplois en lien avec ses connaissances, compétences et expériences (tels qu’agent de sécurité, préposé à l’emballage de petites pièces ou composants, contrôleur/visiteur en salle blanche dans l’industrie légère, chauffeur au transport de personnes), qui étaient compatibles avec les limitations fonctionnelles liées à son état de santé (activité sédentaire; pas d’élévation antérieure des épaules au-dessus de la ligne des mamelons, pas de mouvement d’abduction-adduction de l’épaule répétitif; l’activité peut se faire les avant-bras posés sur un support, l’activité étant légère [charge maximum au niveau du membre supérieur droit de 1 kg]) et ne requéraient pas de formation complémentaire particulière.

L’instance cantonale a en particulier expliqué que si les limitations fonctionnelles de l’assuré, notamment celle relative à l’empêchement de porter une charge de plus de 1 kg avec le bras droit, étaient susceptibles de restreindre le nombre d’emplois disponibles pour lui sur le marché du travail, on ne se trouvait en l’occurrence pas dans un cas où l’activité exigible au sens de l’art. 16 LPGA ne pourrait être exercée que sous une forme tellement restreinte qu’elle n’existerait pratiquement pas sur le marché général du travail ou que son exercice supposerait d’un employeur des concessions irréalistes et que, de ce fait, il semblerait exclu de trouver un emploi correspondant. Au demeurant, l’assuré ne conteste pas la considération de la juridiction cantonale, selon laquelle il apparaît être en mesure de travailler par exemple comme manutentionnaire en atelier avec ses bras et mains, sur des objets légers, de tels emplois n’étant pas rares.

Consid. 5.4
L’assuré ne saurait finalement rien tirer en sa faveur d’une critique de l’ « application automatique des statistiques ESS ». En se référant notamment à son âge (51 ans), à son absence de formation et à sa mauvaise maîtrise du français, il reproche à l’instance cantonale de ne pas avoir déterminé son revenu avec invalidité en se fondant sur le salaire minimum cantonal genevois de 4’368 fr. par mois.

Quoi qu’en dise l’assuré, et comme l’a dûment exposé la juridiction cantonale, ni la loi ni la jurisprudence n’admettent la prise en considération d’un « salaire minimum cantonal » pour la détermination du revenu avec invalidité (arrêt 9C_197/2024 du 12 août 2024, consid. 5.3.4 et les références). On rappellera à cet égard, à la suite des juges cantonaux, que le revenu avec invalidité doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de la personne assurée. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé – soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible -, le revenu avec invalidité peut être évalué sur la base des données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS; ATF 148 V 174 consid. 6.2 et les arrêts cités). En l’occurrence, l’assuré ne prétend pas qu’il aurait effectivement réalisé un revenu, qui eût dû être pris en compte pour évaluer son revenu d’invalide. Partant, il n’y a pas lieu de s’écarter du revenu avec invalidité arrêté par la juridiction cantonale (à 67’102 fr.).

Consid. 5.5
Compte tenu du taux d’invalidité de l’assuré constaté par les premiers juges (13%), c’est à bon droit qu’ils ont nié son droit à une rente d’invalidité (cf. art. 28 al. 1 let. c LAI) et à des mesures de reclassement professionnel (cf. art. 17 LAI). Dans ce contexte, on rappellera en effet que le seuil minimum fixé par la jurisprudence pour ouvrir le droit à une mesure de reclassement est une diminution de la capacité de gain de 20% environ (ATF 139 V 399 consid. 5.3; 130 V 488 consid. 4.2 et les références). Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_458/2024 consultable ici

 

8C_465/2024 (f) du 05.02.2025 – Aptitude au placement d’un étudiant / 8 LACI – 15 LACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_465/2024 (f) du 05.02.2025

 

Consultable ici

 

Droit aux indemnités chômage – Aptitude au placement d’un étudiant / 8 LACI – 15 LACI

 

Assuré, né en 1989 et titulaire d’un doctorat en droit de l’École des hautes études en sciences économiques, a travaillé notamment pour la société B.__ dans le cadre d’un contrat de travail à durée déterminée. Il s’est inscrit comme demandeur d’emploi à 50% auprès de l’Office régional de placement (ORP) et a sollicité des prestations de l’assurance-chômage à partir du 15.09.2023. Lors de son premier entretien avec son conseiller ORP le 09.10.2023, il a indiqué avoir débuté le 18.09.2023 une formation à plein temps à la Haute école d’art C.__ pour obtenir un Bachelor en communication visuelle, et a transmis le planning des cours pour l’année académique 2023-2024.

Face à des doutes sur son aptitude au placement, l’ORP a soumis le dossier à la Direction de l’autorité cantonale de l’emploi. Invité à s’exprimer, l’assuré a expliqué qu’il était disponible pour des mesures de chômage à 50%, soit 20 heures par semaine, et pour travailler les jeudis, vendredis, ainsi que les demi-journées du mercredi et du samedi. La Haute école C.__ a précisé que le Bachelor en communication visuelle représentait trois années d’études à plein temps, avec un calendrier hebdomadaire de 40 heures de cours en présentiel, mais aussi 23 semaines par an sans cours durant lesquelles les étudiants pouvaient travailler à 100%. Elle a ajouté que le parcours d’études de l’assuré pouvait être adapté ou prolongé si nécessaire, et que celui-ci était prêt à renoncer à la formation pour prendre un emploi ou suivre une mesure de l’ORP.

Par décision du 15.11.2023, confirmée sur opposition, la Direction générale de l’emploi et du marché du travail (DGEM) a déclaré l’assuré inapte au placement. En substance, elle a retenu que l’assuré n’avait jamais mentionné être prêt à renoncer à sa formation pour prendre un emploi salarié durable ou pour suivre une mesure de marché du travail, mais uniquement être disposé à adapter son plan d’études.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 41/24 – 108/2024 – consultable ici)

Par jugement du 18.07.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré a droit à l’indemnité de chômage si, entre autres conditions, il est apte au placement (art. 8 al. 1 let. f LACI). Est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire (art. 15 al. 1 LACI). L’aptitude au placement comprend ainsi un élément objectif et un élément subjectif: la capacité de travail d’une part, c’est-à-dire la faculté d’exercer une activité lucrative salariée sans que la personne assurée en soit empêchée pour des causes inhérentes à sa personne, et d’autre part la disposition à accepter immédiatement un travail convenable au sens de l’art. 16 LACI, ce qui implique non seulement la volonté de prendre un tel travail s’il se présente, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que la personne assurée peut consacrer à un emploi et quant au nombre des employeurs potentiels (ATF 146 V 210 consid. 3.1; 125 V 51 consid. 6a).

Consid. 4.2
L’aptitude au placement est évaluée de manière prospective d’après l’état de fait existant au moment où la décision sur opposition a été rendue (ATF 143 V 168 consid. 2 et les références) et n’est pas sujette à fractionnement. Soit l’aptitude au placement est donnée (en particulier la disposition à accepter un travail au taux d’au moins 20% d’une activité à plein temps; cf. art. 5 OACI), soit elle ne l’est pas (ATF 143 V 168 consid. 2; 136 V 95 consid. 5.1). Lorsqu’un assuré est disposé à n’accepter qu’un travail à temps partiel (d’un taux d’au moins 20%), il convient non pas d’admettre une aptitude au placement partielle pour une perte de travail de 100% mais, à l’inverse, d’admettre purement et simplement l’aptitude au placement de l’intéressé dans le cadre d’une perte de travail partielle (ATF 145 V 399 consid. 2.2; 136 V 95 consid. 5.1). C’est sous l’angle de la perte de travail à prendre en considération (cf. art. 11 al. 1 LACI) qu’il faut, le cas échéant, tenir compte du fait qu’un assuré au chômage ne peut ou ne veut pas travailler à plein temps (ATF 126 V 124 consid. 2; cf. BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, n° 9 ad art. 11 LACI et n° 5 ad art. 15 LACI).

Consid. 4.3
Lorsqu’un assuré participe à un cours de formation durant la période de chômage (sans que les conditions des art. 59 ss LACI soient réalisées), il doit, pour être reconnu apte au placement, clairement être disposé à y mettre un terme du jour au lendemain afin de pouvoir débuter une nouvelle activité. Cette question doit être examinée selon des critères objectifs. Une simple allégation de l’assuré ne suffit pas à cet effet (ATF 122 V 264 consid. 4; arrêts 8C_82/2022 du 24 août 2022 consid. 4.4; 8C_742/2019 du 8 mai 2020 consid. 3.4). Il faut que la volonté de l’assuré se traduise par des actes, et ce pendant toute la durée du chômage (arrêt 8C_82/2022 du 24 août 2022 loc. cit.; RUBIN, op. cit., n° 19 ad art. 15 LACI). Pour juger si l’assuré remplit cette condition, il faut examiner toutes les circonstances, notamment le coût de la formation, l’ampleur de celle-ci et le moment de la journée où elle a lieu, la possibilité de remboursement partiel en cas d’interruption de celle-ci, les clauses contractuelles relatives au délai de résiliation (s’il existe un contrat écrit) et le comportement de l’assuré (arrêt 8C_474/2017 du 22 août 2018 consid. 5.2; RUBIN, op. cit. n° 50 ad art. 15 LACI), en particulier s’il poursuit ses recherches d’emploi de manière qualitativement et quantitativement satisfaisante (arrêts 8C_933/2008 du 27 avril 2009 consid. 4.3.2; C 149/00 du 7 février 2001 consid. 2a, in DTA 2001 p. 230).

Consid. 5 [résumé]
La juridiction cantonale a constaté que l’assuré avait entamé une formation à plein temps à la Haute école C.__ en vue d’obtenir un Bachelor en communication visuelle et de se reconvertir professionnellement. Elle a estimé que la disponibilité de 23 semaines sans cours par an, soit un taux de 44%, n’était pas un argument pertinent pour démontrer l’aptitude au placement, car la disponibilité pour un emploi ou une mesure du marché du travail ne se mesure pas de façon purement mathématique, mais doit être appréciée selon les circonstances concrètes. Les juges ont constaté que, selon le planning académique, les cours se déroulaient tous les jours, souvent de 8h30 à 17h30 ou 18h, parfois jusqu’à 20h, ce qui contredisait la disponibilité avancée par l’assuré pour certains jours et demi-journées. Ils ont aussi relevé que la formation impliquait 40 heures de cours en présentiel par semaine, qu’elle n’était pas proposée à temps partiel, et que l’assuré s’était inscrit pour des études à temps plein, tout en indiquant initialement être disponible pour travailler les soirs et week-ends. À cela s’ajoutaient son engagement comme ambassadeur des réseaux sociaux de l’école, sa volonté de réaliser un film sur quatre mois, et un emploi de commis administratif à 20% dès avril 2024.

Au vu de l’ensemble de ces éléments, l’instance cantonale a considéré que l’assuré ne pouvait pas exercer une activité salariée à 50%, ni qu’un employeur pourrait accepter ses horaires fluctuants. La cour cantonale a également jugé que ses déclarations sur la possibilité d’adapter son plan d’études ou d’aménager son programme ne démontraient pas une réelle volonté d’interrompre sa formation. Ce n’est que dans le cadre du recours qu’il a évoqué la possibilité de renoncer à ses études, tout en restant ouvert à un aménagement du programme. L’assuré n’a donc pas manifesté une intention claire de cesser sa formation immédiatement pour accepter un emploi ou suivre une mesure du marché du travail, ni prouvé avoir sollicité un plan d’études personnalisé. Enfin, le fait d’être prêt à accepter un emploi dans divers secteurs ne suffisait pas, selon la cour cantonale, à établir son aptitude au placement.

Consid. 6.3 [résumé]
L’assuré soutient que ses activités d’ambassadeur des réseaux sociaux et de réalisation de film ont été à tort retenues pour nier son intention de prendre un emploi durable. Il n’est effectivement pas certain que l’argumentation des juges puisse être suivie sur ce point, car ces activités étaient présentées comme des recherches d’emploi par l’assuré, sans examen particulier par la juridiction cantonale. Toutefois, ces activités, de nature très accessoire selon les propres déclarations de l’assuré, ne suffisent pas à établir son aptitude au placement. Par ailleurs, la conclusion des juges sur la disponibilité trop limitée de l’assuré repose sur d’autres éléments suffisants pour écarter le grief d’arbitraire.

Consid. 6.4
L’assuré ne saurait par ailleurs être suivi lorsqu’il se prévaut, à titre de preuves, de ses nombreuses recherches d’emploi effectuées entre septembre 2023 et juin 2024 pour attester son aptitude au placement. Le seul fait que les recherches d’emploi satisfont aux exigences jurisprudentielles ne suffit pas pour reconnaître l’aptitude au placement pendant la fréquentation d’un cours lorsqu’on peut tenir pour établi que l’intéressé n’est pas disposé à interrompre le cours en tout temps (arrêt 8C_598/2011 du 16 août 2012 consid. 4.4).

Consid. 6.5
Enfin, l’assuré ne saurait tirer argument de l’absence de mesures relatives au marché du travail en vue d’établir son aptitude au placement, alors que cette dernière est précisément l’une des conditions à l’octroi d’une telle mesure (art. 8 al. 1 let. f LACI par renvoi de l’art. 59 al. 3 let. a LACI).

Consid. 7.1 [résumé]
L’assuré reproche à la cour cantonale d’avoir appliqué à tort des précédents jurisprudentiels à son cas, estimant que seule l’application de l’art. 15 al. 1 LACI et de la jurisprudence y relative aurait dû prévaloir. Il considère que l’exigence d’abandonner ses études du jour au lendemain est contraire à la liberté économique et personnelle ainsi qu’au bon sens. Il invoque également son statut S, qui lui permet de travailler en Suisse à plein temps sans restriction, et fait valoir que sa situation financière (absence de bourse, absence de fortune) n’a pas été prise en compte. Enfin, il reproche aux premiers juges de ne pas avoir tenu compte de faits postérieurs à la décision attaquée, tels que sa demande de plan d’études personnalisé du 21 juin 2024 et ses 105 heures de travail en juin 2024 à la Haute école C.__.

Consid. 7.2 [résumé]
L’examen de l’aptitude au placement doit se faire sur la base de la situation factuelle existant jusqu’au prononcé de la décision administrative litigieuse. Les faits survenus en juin 2024, invoqués par l’assuré, ne sont pas pertinents pour l’examen du litige, puisque la période déterminante s’étend de l’inscription au chômage en septembre 2023 jusqu’à la décision sur opposition du 24 janvier 2024.

Consid. 7.3 [résumé]
La cour cantonale a examiné l’aptitude au placement de l’assuré en tenant compte du calendrier des cours et de sa volonté de renoncer à sa formation. Elle a constaté qu’il n’avait pas déposé de demande de plan d’études personnalisé ni démontré son intention de renoncer à sa formation pour prendre un emploi. Les déclarations de l’assuré évoquaient seulement la possibilité d’adapter son plan d’études, mais pas d’y renoncer. Il n’a donc pas pris de mesures concrètes pour mettre un terme à sa formation et débuter une activité salariée. Ses arguments ne suffisent pas à établir une volonté réelle de travailler à 50%, d’autant que la Haute école C.__ a confirmé que le cursus ne pouvait pas être suivi à temps partiel et qu’aucune adaptation n’était garantie. Par ailleurs, l’assuré ne conteste pas que le calendrier prévoyait 40 heures de cours en présentiel du lundi au vendredi, ce qui confirme l’absence d’arbitraire dans le constat de son indisponibilité pour un emploi durable à 50%.

Consid. 7.4
Cela étant, les juges cantonaux ont considéré, à juste titre, qu’en se prévalant de 23 semaines sans cours, équivalant à un temps de travail au taux de 44%, l’assuré faisait état d’une disponibilité sporadique, à l’instar des étudiants qui ne désirent exercer une activité lucrative qu’entre 2 semestres académiques. On ne saurait dès lors leur faire grief d’avoir cité la jurisprudence relative à l’aptitude au placement des étudiants, ressortant notamment à l’ATF 120 V 392 consid. 2a. Contrairement à ce que soutient l’assuré, les juges cantonaux n’ont pas assimilé sa situation à celle ayant donné lieu à l’ATF précité, où le litige portait sur l’aptitude au placement d’un ressortissant étranger ne possédant pas l’autorisation d’exercer une activité salariée en Suisse.

Consid. 7.5
Pour le surplus, l’argument de l’assuré relatif à son statut S « qui lui permet[trait] de travailler en Suisse à plein temps sans restriction » est dépourvu de pertinence. Son autorisation à travailler en Suisse n’a pas été remise en cause et elle ne suffit pas à fonder son aptitude au placement dès lors qu’il n’a pas la disponibilité alléguée. Quant à l’évocation de sa situation financière, elle ne démontre pas que l’assuré entendait renoncer à sa formation pour débuter une activité lucrative.

Consid. 7.6
Enfin, on ne voit pas que la décision litigieuse serait contraire aux principes de la liberté économique et personnelle, dès lors qu’elle n’interdit pas à l’assuré de continuer ses études. Ce dernier demeure libre dans son choix de poursuivre sa formation, mais il lui appartient de remplir les conditions du droit à l’indemnité de chômage s’il entend bénéficier des prestations de l’assurance-chômage.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_465/2024 consultable ici

 

9C_271/2022 (f) du 28.11.2022 – Nouvelle demande AI – Revenu sans invalidité et revenu d’invalide après des précédentes mesures d’ordre professionnel

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_271/2022 (f) du 28.11.2022

 

Consultable ici

 

Nouvelle demande AI – Revenu sans invalidité et revenu d’invalide après des précédentes mesures d’ordre professionnel / 16 LPGA

Vraisemblance des possibilités théoriques de développement professionnel

 

Assuré, né en 1980, a obtenu un CFC de caviste en 1998, une maturité professionnelle en 1999 et un baccalauréat littéraire français en 2001. Il a exercé la profession de caviste à plusieurs reprises pour l’entreprise B.__ entre 1999 et 2004, ainsi que pour une société de remontées mécaniques en Valais de 2003 à 2006.

En septembre 2005, il a déposé une demande de prestations AI en raison des séquelles d’une fracture du talon subie en 1996. L’office AI a accordé des mesures professionnelles, permettant à l’assuré de suivre une formation dans une Haute école spécialisée dès 2006, où il a obtenu un bachelor en sciences du vivant en 2009, puis un master en chimie en 2011. Dès le 01.05.2011, il a travaillé comme adjoint scientifique pour l’entreprise C.__.

Par décision du 23.05.2011, l’office AI a refusé l’octroi d’une rente, retenant que la comparaison entre les revenus issus de ses activités antérieures (caviste et employé de remontées mécaniques) et son revenu d’adjoint scientifique ne révélait pas un taux d’invalidité suffisant.

En février 2014, l’assuré a présenté une nouvelle demande de prestations (arthrodèse au pied droit). Après instruction, l’office AI a reconnu un droit à une rente entière du 01.08.2014 au 30.11.2014. Il a considéré que, sans problèmes de santé, l’assuré aurait poursuivi ses activités de caviste et d’employé de remontées mécaniques, ces activités servant de référence pour le revenu sans invalidité. La comparaison avec le revenu d’adjoint scientifique a abouti à des taux d’invalidité (de 3 % à 14 %) insuffisants pour maintenir un droit à la rente au-delà du 30.11.2014.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 14.04.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.3.1
On rappellera toutefois qu’en ce qui concerne le revenu sans invalidité, est déterminant le salaire qu’aurait effectivement réalisé l’assuré sans atteinte à la santé, selon le degré de la vraisemblance prépondérante. En règle générale, on se fonde sur le dernier salaire réalisé avant l’atteinte à la santé, compte tenu de l’évolution des circonstances à l’époque où est né le droit à la rente. Au regard des capacités professionnelles de l’assuré et des circonstances personnelles le concernant, on prend en considération ses chances réelles d’avancement compromises par le handicap, en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Des exceptions ne sauraient être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2; arrêt 9C_708/2017 du 23 février 2018 consid. 8.1).

Consid. 3.3.2
Le revenu que pourrait réaliser l’assuré sans invalidité est en principe établi sans prendre en considération les possibilités théoriques de développement professionnel (lié en particulier à un complément de formation) ou d’avancement, à moins que des indices concrets rendent très vraisemblable qu’elles se seraient réalisées. Cela pourra être le cas lorsque l’employeur a laissé entrevoir une telle perspective d’avancement ou a donné des assurances en ce sens. En revanche, de simples déclarations d’intention de l’assuré ne suffisent pas; l’intention de progresser sur le plan professionnel doit s’être manifestée par des étapes concrètes, telles que la fréquentation d’un cours, le début d’études ou la passation d’examens (arrêt 8C_45/2022 du 3 août 2022 consid. 3.2 et les références).

Consid. 3.3.3
Dans la procédure de révision, à la différence de la procédure initiale à l’issue de laquelle le droit à la rente est déterminé pour la première fois, le parcours professionnel effectivement suivi entre-temps par la personne assurée est connu. Celui-ci permet éventuellement – à la différence toujours de l’octroi initial de la rente – de faire des déductions (supplémentaires) quant à l’évolution professionnelle et salariale hypothétique sans atteinte à la santé. Pour examiner alors ce que la personne assurée aurait atteint sur le plan professionnel et salarial sans atteinte à la santé ou de quelle manière son salaire se serait développé, il faut tenir compte de l’ensemble des circonstances survenues jusqu’au moment de la révision (arrêt 9C_708/2017 cité consid. 8.2 et les références).

Consid. 4 [résumé]
La juridiction cantonale a constaté que, durant près de quatre ans après l’obtention de son baccalauréat, l’assuré avait poursuivi ses activités de caviste et d’employé auprès de sociétés de remontées mécaniques, sans entreprendre de démarches concrètes pour accéder à des études universitaires ou supérieures. Les juges cantonaux ont considéré que les déclarations de l’assuré concernant une éventuelle poursuite d’études relevaient de simples intentions, sans élément concret pour les rendre plausibles, puisqu’aucune inscription ni projet n’avait été concrétisé. De plus, l’assuré ne s’était pas opposé à la première décision de l’office AI du 23.05.2011, qui avait déjà fixé le revenu sans invalidité sur la base de ses activités de caviste et d’employé de remontées mécaniques. Dès lors, faute d’éléments concrets rendant vraisemblable la poursuite d’études universitaires, il convenait de fixer le revenu sans invalidité en fonction des dernières activités exercées par l’assuré en 2004 et 2005.

 

Consid. 6.1
La majorité des titulaires d’un certificat de maturité gymnasiale obtiennent avec grande vraisemblance un diplôme universitaire par la suite, éventuellement après avoir changé de branche d’études (cf. arrêt 9C_439/2020 du 18 août 2020 consid. 4.4). Toutefois, l’assuré ne saurait en l’espèce être suivi lorsqu’il soutient qu’il ne pouvait « aspirer qu’à un changement d’orientation professionnelle » et qu’il aurait donc effectué des études supérieures, puisque les titres et les diplômes qu’il avait obtenus « se trouvaient en déconnexion avec les activités professionnelles exercées jusqu’alors [activités de caviste et employé de remontées mécaniques] ». En effet, à la suite des juges cantonaux, on constate que pendant une période de quatre années entre l’obtention de son baccalauréat français (assimilable en l’occurrence à une maturité suisse) et la présentation de la demande de prestations en septembre 2005 (en raison d’une arthrose sous-astragalienne post-traumatique modérée), l’assuré n’a pas entrepris de démarches particulières, comme par exemple une immatriculation, afin de poursuivre des études supérieures. A cet égard, l’assuré ne remet pas en cause la constatation des juges cantonaux selon laquelle la seule pièce du dossier mentionnant une possibilité d’évolution professionnelle était un compte-rendu d’entretien d’enquête de l’assurance-accidents. A cette occasion, l’assuré avait indiqué vouloir rester dans le domaine du vin, en évoquant la possibilité d’une formation d’oenologue, qu’il n’a pourtant jamais entreprise. Il n’existe donc pas d’éléments concrets permettant de conclure qu’en 2005, l’assuré avait la volonté de changer de carrière et aurait planifié la suite de sa formation auprès d’une université ou d’une haute école.

C’est également en vain que l’assuré fait valoir, pour démontrer qu’il faudrait tenir compte de l’issue de sa formation pour déterminer son revenu sans invalidité, que l’office AI avait relevé chez lui des aptitudes qui se situaient « au-delà de la moyenne » ainsi qu’un « important potentiel de reclassement. En effet, si de telles appréciations se sont révélées correctes puisque l’assuré a terminé avec succès une formation de niveau supérieur, elles ne permettent pas d’établir, au degré très vraisemblable, que l’assuré aurait suivi une telle formation sans atteinte à la santé (comp. arrêt 8C_778/2017 du 25 avril 2018 consid. 4.3).

Consid. 6.2
On doit ainsi constater que les mesures professionnelles mises en place par l’office AI ont été déterminantes, en ce sens qu’elles ont constitué l’impulsion à partir de laquelle l’assuré a entrepris de poursuivre des études de niveau supérieur, ainsi qu’un changement d’orientation professionnelle. En définitive, en tenant compte de l’ensemble des circonstances jusqu’à la procédure de révision, on ne saurait déduire du succès de la carrière de l’assuré après l’invalidité qu’il aurait occupé une position semblable dans le domaine des sciences du vivant, sans invalidité. Partant, c’est à bon droit que la juridiction cantonale a fixé le revenu sans invalidité, en se référant aux dernières activités exercées par l’assuré en 2004 et 2005 (activité de caviste et employé auprès de sociétés de remontées mécaniques).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_271/2022 consultable ici

 

9C_52/2024 (f) du 06.03.2025 – Versement de la prestation de libre passage à l’assuré en violation de l’art. 5 al. 2 LFLP – Vérification du consentement de l’épouse / Prestations en faveur des survivants – Prescription – Actes interruptifs

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_52/2024 (f) du 06.03.2025

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges non publié)

 

Versement de la prestation de libre passage à l’assuré en violation de l’art. 5 al. 2 LFLP – Vérification du consentement de l’épouse / 97 CO

Prestations en faveur des survivants – Police de libre passage – Prescription – Actes interruptifs / 135 CO

 

L’assuré, policier assuré par la Caisse C.__ pour la prévoyance professionnelle (gérée par les Retraites Populaires), a démissionné le 31.01.2006. Le 24.01.2008, il a annoncé son intention de s’établir à son compte et a obtenu le 27.02.2008 le remboursement d’une partie de sa prestation de libre passage (CHF 137’528.30). Il a en outre obtenu le remboursement de la part des Retraites Populaires du capital de sa police de libre passage (CHF 342’420.60) le 06.06.2008. Il est décédé le 10.06.2009.

Son épouse, A.__, a contacté à plusieurs reprises les Retraites Populaires pour contester l’absence de prestations de survivants. L’institution de prévoyance a invoqué les remboursements de 2008, auxquels elle aurait consenti par signature. La veuve a nié avoir été informée ou avoir signé ces documents. Le 24.02.2011, elle a déposé une réclamation contestant l’authenticité des signatures et blâmant l’institution de prévoyance pour le manque de vérifications. Le Conseil d’administration des Retraites Populaires a rejeté sa demande le 26.09.2011, confirmant la régularité des remboursements.

Le 06.06.2019, la veuve a déposé des réquisitions de poursuite pour un montant de CHF 342’420.60 (capital de la police de libre passage) avec intérêts à 5% depuis le 10.06.2009. Les Retraites Populaires se sont opposées aux commandements de payer notifiés le 13.06.2019. Les Retraites Populaires ont aussi renoncé à invoquer la prescription les 03.06.2020 et 16.06.2021, jusqu’au 30.06.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 29/21 – 36/2023 – consultable ici)

La veuve a engagé deux actions devant le tribunal cantonal : la première le 09.11.2021 contre les Retraites Populaires Fondation de prévoyance, et la seconde le 23.06.2022 contre les Retraites Populaires. Le tribunal cantonal a joint les causes le 27.10.2022.

Par jugement du 30.11.2023, le tribunal cantonal a d’abord établi que les Retraites Populaires étaient la défenderesse principale, tandis que la Fondation de prévoyance intervenait à titre accessoire. Sur le fond, il a partiellement admis l’action contre les Retraites Populaires, condamnant l’institution à verser à la veuve la part du capital de la police de libre passage lui revenant en qualité d’épouse survivante. Ce montant, augmenté des intérêts applicables jusqu’au 10.06.2009 (date du décès), devait être majoré d’intérêts à 5% annuels à compter du 10.09.2009.

 

TF

Consid. 3 [résumé]
Le tribunal cantonal a estimé que les Retraites Populaires avaient fait preuve de négligence en vérifiant le prétendu consentement de la veuve au remboursement intégral du capital de la police de libre passage de son mari, ce qui lui avait causé un préjudice en la privant indûment de ses droits à prestations après le décès de celui-ci. Il a relevé que le devoir de vérification des institutions de prévoyance avait été renforcé depuis la publication du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 51 du 22.06.2000. Une comparaison des signatures de la veuve sur sa carte d’identité et sur le formulaire de remboursement montrait des différences manifestes. De plus, les circonstances ayant conduit le défunt à démissionner de ses fonctions de policier ne permettaient pas d’accorder une confiance particulière dans le cadre du remboursement.

Le tribunal cantonal a évalué le dommage subi par la veuve à la moitié du capital assuré et des intérêts convenus dans la police jusqu’au décès, l’autre moitié revenant légalement à leur fille. Il s’est appuyé sur l’arrêt ATF 130 V 103 pour examiner l’obligation de réparer un dommage consécutif à l’impossibilité d’exécuter une obligation prévue par un contrat de prévoyance privé, en application de l’art. 97 CO.

En réponse au grief des Retraites Populaires concernant la prescription, le tribunal cantonal a conclu que le délai avait commencé à courir au décès du défunt, le 10.06.2009, et non au versement du capital en juin 2008, puisque les prétentions de la veuve n’étaient pas exigibles du vivant de son mari. Le délai avait été valablement interrompu par la réquisition de poursuite déposée le 06.06.2019, les renonciations à invoquer la prescription les 03.06.2020 et 16.06.2021, ainsi que l’ouverture de l’action le 09.11.2021. Le tribunal a également admis l’intérêt moratoire requis à hauteur de 5% par an depuis le 10.09.2009, date à laquelle la créance était devenue exigible.

Consid. 4.2.1
Les juges cantonaux ont fondé leur raisonnement sur l’art. 41 al. 2 LPP, aux termes duquel « les actions en recouvrement de créances se prescrivent par cinq ans quand elles portent sur des cotisations ou des prestations périodiques, par dix ans dans les autres cas. Les art. 129 à 142 CO sont applicables ». Ils ont retenu que, dans la mesure où la prestation litigieuse était en l’espèce le versement d’un capital, et non d’une rente, c’était le délai décennal qui s’appliquait à la prescription. Ils ont en outre considéré que, comme la jurisprudence situait l’exigibilité d’une prestation de la prévoyance professionnelle lors de la naissance du droit à cette prestation d’après les dispositions légales et réglementaires qui lui étaient applicables (cf. ATF 132 V 159 consid. 3), ce délai avait débuté avec le décès de l’assuré. Par conséquent, les prétentions de la veuve n’étaient pas exigibles du vivant de son conjoint. Les juges cantonaux ont encore exposé que ce délai avait valablement été interrompu par le dépôt de la réquisition de poursuite le 06.06.2019, les renonciations à invoquer la prescription des 03.06.2020 et 16.06.2021, ainsi que l’ouverture de l’action le 09.11.2021.

Consid. 4.2.2
Sous cet angle, le raisonnement du tribunal cantonal est fondé. En cas de décès de l’assuré, le droit aux prestations de libre passage (qui ne tombent pas dans la succession) revient en principe aux bénéficiaires énumérés à l’art. 15 OLP (ATF 129 III 305 consid. 3; arrêt 2C_738/2021 du 23 décembre 2021 consid. 4.3.1), dont en premier lieu le conjoint survivant. Les bénéficiaires disposent d’un droit originaire qui leur est conféré par la loi (art. 15 OLP qui renvoie aux art. 19 à 20 LPP) ou par le règlement de l’institution de prévoyance. Dans cette dernière éventualité, les ayants droit apparaissent comme les bénéficiaires d’une stipulation pour autrui au sens de l’art. 112 CO (ATF 131 V 27 consid. 3.1; 113 V 287 consid. 4b; cf. arrêt 9C_588/2020 du 18 mai 2021 consid. 4.1.2). Dès lors que la veuve faisait valoir son droit au capital de la police de libre passage de son mari et que ce capital n’était pas exigible avant le décès de celui-ci, elle a effectivement agi à temps, avant que son droit ne soit prescrit.

Consid. 4.3.1
Cependant, la juridiction cantonale a en l’espèce perdu de vue que, dans la mesure où le remboursement à l’assuré de l’intégralité du capital de sa police de libre passage était intervenu le 06.06.2008, les recourantes se retrouvaient dans l’impossibilité de donner suite aux prétentions de la veuve.

Consid. 4.3.2
Dans l’ATF 130 V 103, cité par les juges cantonaux, le Tribunal fédéral a examiné le point de savoir si, comme en l’espèce, l’institution de prévoyance pouvait être tenue de verser une seconde fois le montant de la prestation de libre passage lorsque celle-ci avait été versée à l’assuré en violation de l’art. 5 al. 2 LFLP (soit sans le consentement écrit du conjoint de l’assuré). Il a considéré que, dans ces conditions, le versement en question n’était pas nul à la différence d’autres dispositions apparentées, telles que l’art. 494 al. 1 et 3 CO, où l’absence de consentement valable conduisait à la nullité de l’acte juridique, sans que la partie contractante ne puisse se prévaloir de sa bonne foi (cf. consid. 3.2). Il a alors fondé la prétention en cause sur les art. 97 ss CO et a retenu que l’institution de prévoyance est tenue de prester si elle n’a pas fait preuve de la diligence requise pour vérifier le consentement du conjoint (cf. consid. 3.3). Il a toutefois exclu que, dans la situation alors jugée, l’institution de prévoyance ait manqué à son devoir de diligence lors de la vérification du consentement des ayants droit et doive réparer le dommage en résultant (cf. consid. 3.4 et 3.5). Cette jurisprudence a été confirmée et appliquée à de nombreuses reprises (cf. ATF 133 V 205 consid. 4.4; arrêt B 126/04 du 20 mars 2006 consid. 2.3 et les cas d’application mentionnés; cf. en particulier arrêt B 58/01 du 7 janvier 2004; voir aussi THOMAS GEISER/CHRISTOPH SENTI in: Commentaire LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 59 ss ad art. 5 LFLP; Hans-Ulrich Stauffer, Berufliche Vorsorge, 3e éd. 2019, p. 472 n° 1465).

Consid. 4.3.3
Les recourantes se retrouvaient donc en l’espèce vis-à-vis de la veuve dans la situation prévue à l’art. 97 al. 1 CO. Selon cette disposition « lorsque le créancier ne peut obtenir l’exécution de l’obligation ou ne peut l’obtenir qu’imparfaitement, le débiteur est tenu de réparer le dommage en résultant, à moins qu’il ne prouve qu’aucune faute ne lui est imputable ». La cour cantonale a considéré que, dès lors que l’institution de prévoyance avait été particulièrement négligente dans le traitement du remboursement du capital de la police de libre passage de l’assuré, elle avait causé un dommage à la veuve et devait le réparer conformément à l’art. 99 CO. Une fois admise la non exécution du contrat de prévoyance, il reste à examiner si la veuve a fait valoir son droit à la réparation du dommage – et non son droit au capital de la police de libre passage – dans le délai de prescription. Or, d’après l’art. 127 CO applicable à l’inexécution des obligations contractuelles, « toutes les créances se prescrivent par dix ans, lorsque le droit civil fédéral n’en dispose pas autrement ». Les règles relatives à la responsabilité dérivant d’actes illicites s’appliquant par analogie aux effets de la faute contractuelle (art. 99 al. 3 CO), le début du délai de prescription correspond au moment où est survenu l’acte dommageable tant pour les prétentions contractuelles que pour les prétentions extra-contractuelles (cf. ATF 146 III 14 consid. 6.1.2). Dès lors que l’acte qui a privé la veuve de ses prétentions envers les recourantes est en l’occurrence le versement du capital de la police de libre passage fondé sur une demande de remboursement contenant la signature contrefaite de la veuve, le droit de celle-ci d’obtenir la réparation de son dommage s’est éteint dix ans après le 06.06.2008 et était prescrit lors du dépôt de la première réquisition de poursuite le 06.06.2019.

Consid. 4.3.4
On précisera encore que, dans le domaine de la prévoyance professionnelle, les actes interruptifs de la prescription sont limités à ceux énumérés de façon exhaustive à l’art. 135 CO (cf. ATF 132 V 404 consid. 5.2; arrêt B 55/05 du 16 octobre 2006 consid. 4.2.3). Le fait que la veuve a déposé le 24.02.2011 une réclamation contre une lettre des recourantes l’informant qu’elle avait consenti au remboursement du capital de la police de libre passage de son mari n’a donc pas interrompu la prescription.

Consid. 4.4
Compte tenu de ce qui précède, il convient d’admettre le recours, sans qu’il ne soit nécessaire d’examiner les autres griefs de l’institution de prévoyance et de réformer le jugement cantonal en ce sens que les demandes de la veuve des 09.11.2021 et 23.06.2022 sont rejetées.

 

Le TF admet le recours des Retraites Populaires, réformant le jugement cantonal en ce sens que les demandes de la veuve sont rejetées.

 

Arrêt 9C_52/2024 consultable ici