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8C_463/2024 (f) du 27.05.2025, destiné à la publication – Prestations complémentaires – Dessaisissement de fortune et consommation excessive de la fortune – Soutien d’un proche / 11a LPC – 17b à 17e OPC-AVS/AI – 328 ss CC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_463/2024 (f) du 27.05.2025, destiné à la publication

 

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Prestations complémentaires – Dessaisissement de fortune et consommation excessive de la fortune – Accomplissement d’un devoir moral / 11a LPC – 17b à 17e OPC-AVS/AI

Le fait d’assurer le soutien d’un proche – atteint de trisomie et présentant des TOC –, au-delà des limites financières prescrites par les art. 328 ss CC, entraîne un état d’indigence chez celui qui en assume la charge et constitue un dessaisissement

 

Résumé
Une assurée au bénéfice d’une rente AI a demandé des prestations complémentaires; la caisse de compensation a refusé en tenant compte d’un dessaisissement de 255’873 fr. L’utilisation de sa fortune pour son entretien et surtout pour celui de son frère handicapé n’a pas été reconnue comme relevant d’une obligation légale ni d’une contre-prestation; les contributions, incluant des frais non nécessaires (notamment des hospitalisations en division privée), ont excédé les besoins vitaux. La fortune de l’assurée est passée de 450’000 fr. (2017) à 84’124 fr. (2021), mais, avec le dessaisissement – même en tenant compte de l’amortissement annuel –, le montant déterminant est resté supérieur à 100’000 fr..

 

Faits
Assurée, née en 1967, perçoit une rente de l’assurance-invalidité depuis le 01.06.2014. Elle est curatrice de portée générale de son frère, B.__, né en 1969, lequel vit avec elle depuis son arrivée en Suisse en octobre 2015. B.__, atteint de trisomie et présentant des troubles obsessionnels compulsifs, n’a pas d’autonomie. Il s’est vu refuser le droit à une rente d’invalidité ainsi qu’à une allocation pour impotent, au motif qu’il ne remplissait pas les conditions générales d’assurance. Par décision du 22.11.2022, sa demande de revenu d’insertion a été examinée à compter du 01.10.2022. Il s’est opposé à cette décision, estimant avoir droit à de telles prestations dès le dépôt de sa demande, le 01.11.2021.

Après que la caisse de compensation eut rejeté par deux fois sa demande de prestations complémentaires, l’assurée a sollicité à nouveau l’octroi de prestations complémentaires à sa rente de l’assurance-invalidité le 19.02.2022. Se fondant sur les divers renseignements et documents communiqués par la requérante, la caisse de compensation a rejeté la demande par décision du 17.06.2022. Elle a tenu compte d’un dessaisissement de fortune de 255’873 fr. au 31.12.2021.

Le 18.07.2022, l’assurée s’est opposée à cette décision. Elle a soutenu qu’elle ne s’était jamais illégitimement dessaisie de sa fortune puisque, n’ayant pas d’activité lucrative en raison de son invalidité, elle avait été contrainte d’utiliser une partie importante de sa fortune pour son entretien et celui de son frère. La caisse de compensation a rejeté l’opposition et confirmé le refus d’octroyer des prestations. Elle a estimé en substance que l’assurée n’avait pas d’obligation légale de subvenir aux besoins de son frère, de sorte qu’elle s’était dessaisie de sa fortune au sens des dispositions applicables.

 

Procédure cantonale (arrêt PC 2/23 – 29/2024 – consultable ici)

Par jugement du 19.06.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Les prestations complémentaires sont allouées aux bénéficiaires de prestations à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité afin de couvrir leurs besoins vitaux sans qu’ils doivent recourir à l’aide sociale (M ICHEL VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, Genève/Zurich 2015, n° 6 ad art. 3 LPC). Le soutien apporté par le régime des prestations complémentaires est ainsi supérieur au minimum vital découlant de l’aide d’urgence, lequel concrétise l’art. 12 Cst., ainsi qu’au minimum du droit des poursuites (ATF 138 V 481 consid. 3.2; 138 II 191 consid. 5.3; 127 V 368 consid. 5a; 122 V 19 consid. 5a). La loi ne définit pas la notion de besoins vitaux mais se contente de fixer des règles de calcul permettant de déterminer le montant de la prestation complémentaire. Celle-ci correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants (art. 9 al. 1 LPC). Ceux-ci comprennent généralement des ressources et des biens dont l’ayant droit peut disposer sans restriction (art. 11 LPC) et exceptionnellement des ressources et parts de fortune dont celui-ci s’est dessaisi (art. 11a LPC).

Selon l’art. 9a al. 1 let. a LPC, les personnes seules dont la fortune nette est inférieure à 100’000 fr. ont droit à des prestations complémentaires.

Consid. 4.2
L’art. 11a LPC, entré en vigueur le 1er janvier 2021, contient une définition claire de la notion de dessaisissement. Il prévoit que si une personne renonce volontairement à exercer une activité lucrative que l’on pourrait raisonnablement exiger d’elle, le revenu hypothétique correspondant est pris en compte comme revenu déterminant (al. 1). Les autres revenus, parts de fortune et droits légaux ou contractuels auxquels l’ayant droit a renoncé sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate sont pris en compte dans les revenus déterminants comme s’il n’y avait pas renoncé (al. 2).

Les conditions relatives à l’absence d’obligation légale et à l’absence de contre-prestation adéquate ne sont pas cumulatives mais alternatives (Message du Conseil fédéral du 16 septembre 2016 relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires [Réforme PC], FF 2016 7322; ATF 134 I 65 consid. 3.2; 131 V 329 consid. 4.3 s.).

Ce dispositif légal est complété par l’art. 17b let. a OPC-AVS/AI. Selon cette disposition, il y a dessaisissement de fortune lorsqu’une personne aliène des parts de fortune sans obligation légale et que la contre-prestation n’atteint pas au moins 90% de la valeur de la prestation. Le montant du dessaisissement en cas d’aliénation correspond à la différence entre la valeur de la prestation et la valeur de la contre-prestation (art. 17c OPC-AVS/AI).

Consid. 4.3
Un dessaisissement de fortune est également pris en compte si, à partir de la naissance d’un droit à une rente de survivant de l’AVS ou à une rente de l’AI, plus de 10% de la fortune est dépensée par année sans qu’un motif important ne le justifie. Si la fortune est inférieure ou égale à 100’000 francs, la limite est de 10’000 francs par année (art. 11a al. 3 LPC). Cette disposition s’applique aux bénéficiaires d’une rente de vieillesse de l’AVS également pour les dix années qui précèdent la naissance du droit à la rente.

Il y a consommation excessive de la fortune, au sens de l’art. 11a al. 3 LPC, lorsqu’une personne a consommé, au cours de la période considérée, une part excessive de sa fortune et qu’il n’existe aucun motif justificatif à cette consommation excessive. Seules les diminutions de fortune intervenues depuis le 1er janvier 2021 peuvent se voir appliquer les règles en matière de consommation excessive (al. 3 des dispositions transitoires de la modification du 22 mars 2019 de la LPC [Réforme des PC]; ch. 3533.01 et 3533.02 des Directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI dans leur version en vigueur au 1er janvier 2021 [DPC]).

Selon l’art. 17d OPC-AVS/AI, le montant du dessaisissement en cas de consommation excessive de la fortune correspond à la différence entre la consommation effective de la fortune et la consommation admise pour la période considérée (al. 1). La consommation admise de la fortune est calculée en appliquant à chaque année de la période considérée la limite de la consommation de la fortune autorisée à l’art. 11a, al. 3, LPC et en additionnant les montants annuels ainsi obtenus (al. 2). Ne sont notamment pas pris en compte dans la détermination du montant du dessaisissement les diminutions de la fortune imputables, entre autres, aux frais de traitements dentaires (al. 3, let. b, ch. 2), aux frais en rapport avec une maladie ou une invalidité non couverts par une assurance sociale (let. b, ch. 3) et, durant les années précédant l’octroi de la prestation complémentaire annuelle, aux dépenses nécessaires à l’entretien usuel de l’assuré lorsque les revenus réalisés étaient insuffisants (let. b, ch. 6).

Consid. 4.4
Le montant total de la fortune qui fait l’objet d’un dessaisissement correspond à l’addition du montant dessaisi en cas d’aliénation de la fortune et du montant dessaisi en cas de consommation excessive de la fortune (ch. 3531.01 DPC).

Aux termes de l’art. 17e OPC-AVS/AI, le montant de la fortune qui a fait l’objet d’un dessaisissement au sens de l’art. 11a, al. 2 et 3, LPC et qui doit être pris en compte dans le calcul de la prestation complémentaire est réduit chaque année de 10’000 francs (al. 1). Le montant de la fortune au moment du dessaisissement doit être reporté tel quel au 1er janvier de l’année suivant celle du dessaisissement pour être ensuite réduit chaque année (al. 2). Est déterminant pour le calcul de la prestation complémentaire annuelle le montant réduit de la fortune au 1er janvier de l’année pour laquelle la prestation est servie (al. 3).

Consid. 5.1 [résumé]
La cour cantonale a constaté que la caisse de compensation avait refusé d’allouer des prestations complémentaires parce que la fortune de l’assurée, incluant 255’873 fr. de dessaisissement, dépassait le seuil de 100’000 fr. pour une personne seule; bien que la caisse de compensation n’ait pas précisé si elle se fondait sur l’art. 11a al. 2 ou 3 LPC, la cour cantonale a considéré qu’un dessaisissement devait être retenu dans les deux cas.

Consid. 5.2 [résumé]
Se fondant sur un arrêt du Tribunal administratif fédéral (TAF) du 21 août 2017, la cour cantonale a admis la dépendance du frère pour les actes du quotidien, mais non une dépendance financière, les pièces au dossier montrant au contraire que la situation du frère était aisée, ce qui laissait penser qu’il ne dépendrait pas des oeuvres publiques. Malgré des indemnités d’environ 5’000 fr./mois versées en monnaie libanaise dévaluée et des virements arrêtés fin 2020, il avait bénéficié de subsides LAMal dès 2019 et les frais médicaux à sa charge (2016–2022) étaient limités. La cour cantonale a retenu que seuls des frais d’entretien assurant une existence décente étaient admissibles, à l’exclusion notamment des hospitalisations en division privée; des contributions excédant les besoins vitaux constituaient un dessaisissement. Vu la baisse de fortune de 450’000 fr. (2017) à 84’124 fr. (2021), elle a conclu à un dessaisissement sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate (art. 11a al. 2 LPC).

Consid. 5.3 [résumé]
Sous l’angle de l’art. 11a al. 3 LPC, la cour cantonale a relevé une diminution de fortune de 196’060 fr. (31.12.2020) à 84’124 fr. (31.12.2021), soit 111’936 fr. en une année, et a jugé que les dépenses dentaires et médicales du frère ne pouvaient être exceptées, l’art. 17d al. 3 OPC-AVS/AI visant uniquement les frais propres de la personne requérant les prestations.

Consid. 5.4
En fin de compte, la cour cantonale a conclu que dans la mesure où la fortune de l’assurée, comprenant le montant dont elle s’était dessaisie, dépassait le seuil de 100’000 fr. fixé à l’art. 9a al. 1 LPC, la caisse de compensation avait nié à juste titre le droit aux prestations.

Consid. 7.1
Chacun est en principe libre de disposer de son patrimoine comme il l’entend. Cependant, les prestations complémentaires ne couvrent pas les besoins d’existence des personnes qui ont renoncé sans nécessité à des éléments de fortune ou à des revenus. À cet égard, il importe peu que la personne assurée ait eu, au moment de la renonciation à un revenu ou à une part de fortune, l’intention ou non d’obtenir des PC. Il n’appartient en effet pas à l’assureur social et partant à la collectivité, d’assumer l’éventuel « découvert » dans les comptes de l’assuré lorsque celui-ci l’a provoqué sans motif valable. L’art. 11a al. 2 LPC tient compte de ce genre de situation en prescrivant qu’il y a lieu d’ajouter aux revenus les ressources et les parts de fortune dont un ayant droit s’est dessaisi. Autrement dit, les ressources auxquelles la personne a renoncé et les biens cédés sont pris en compte comme si la personne assurée en était encore titulaire (MICHEL VALTERIO, op. cit., n° 94 ad art. 11 LPC). On se trouve en présence d’une renonciation lorsqu’une personne remet ou abandonne des éléments de fortune sans qu’elle y soit obligée. Ces actes de dessaisissement peuvent revêtir plusieurs formes dont les principales sont la cession ou l’abandon de biens à titre gratuit (comme les donations, l’avancement d’hoirie ou des placements risqués) ou la remise moyennant une contre-prestation ne correspondant manifestement pas à leur valeur (donations mixtes, constitution d’un droit d’usufruit ou d’habitation lors d’un transfert de propriété [MICHEL VALTERIO, op. cit., n° 103 ad art. 11 LPC]). Il y a lieu de retenir un dessaisissement lorsque la personne assurée a renoncé à des éléments de revenu ou de fortune « sans obligation juridique », respectivement « sans avoir reçu en échange une contre-prestation équivalente », ces conditions n’étant pas cumulatives mais alternatives. Par ailleurs, avec la réforme des PC intervenue au 1er janvier 2021, non seulement l’abandon de patrimoine mais aussi la consommation excessive de fortune est désormais prise en compte dans le calcul des prestations complémentaires.

Consid. 7.2
Aux termes de l’art. 239 CO, la donation est la disposition entre vifs par laquelle une personne cède tout ou partie de ses biens à une autre sans contre-prestation correspondante (al. 1). Le fait de renoncer à un droit avant de l’avoir acquis ou de répudier une succession ne constitue pas une donation (al. 2). Il en est de même de l’accomplissement d’un devoir moral (al. 3).

Le Tribunal fédéral a été saisi d’un litige dans lequel la titulaire d’une rente de vieillesse avait cédé à son fils et à sa belle-fille un montant de 90’000 fr. Elle avait motivé cette cession par l’assistance qu’ils lui avaient apportée dans la tenue de son ménage lors des dernières années. Le Tribunal fédéral a d’abord constaté que cette prestation financière ne reposait pas sur une obligation légale ou contractuelle. Il a ensuite nié qu’elle ait été effectuée en accomplissement d’un devoir moral, étant précisé qu’un tel devoir ne doit être admis qu’à des conditions restrictives. Il ne suffit pas qu’un certain comportement soit socialement attendu; il faut bien plus que l’omission de ce comportement soit considérée comme inconvenante. Cette condition n’étant pas remplie, le Tribunal fédéral a laissé la question ouverte de savoir si, à supposer que la prestation ait été effectuée en accomplissement d’un tel devoir, cette circonstance aurait exclu de prendre en considération un dessaisissement dans le cadre de la loi sur les prestations complémentaires (ATF 131 V 329; cf. également arrêt 9C_846/2010 du 12 août 2011 consid. 5.3).

Consid. 8.1
À l’appui de son argumentation, l’assurée se réfère notamment à un arrêt du 19 janvier 2021 (2C_148/2020), dans lequel le Tribunal fédéral devait se prononcer sur la question de savoir si l’accomplissement d’un devoir moral excluait ou non l’existence d’une donation sous l’angle fiscal. À cette occasion, se référant à l’art. 239 al. 3 CO, le Tribunal fédéral a rappelé que la doctrine niait l’existence d’une donation (en raison de l’absence de l’animus donandi) lorsqu’une prestation était effectuée en vertu d’une obligation juridique ou en accomplissement d’un devoir moral. Il a toutefois indiqué que selon certains auteurs de doctrine, l’existence d’un devoir moral ne devait pas être admis largement. À titre d’exemples de versements effectués par devoir moral, ces auteurs mentionnaient les montants versés à titre d’entretien d’un ancien concubin afin de lui éviter de dépendre de l’aide sociale, ou les montants versés à un enfant par un parent qui ne serait pas lié à son égard par une obligation légale d’entretien.

Toujours dans l’arrêt 2C_148/2020 cité par l’assurée, le Tribunal fédéral n’a pas tranché la question de savoir si le fait qu’une attribution avait été effectuée en exécution d’un devoir moral excluait ou non l’existence d’une donation au sens de l’art. 24 let. a LIFD. Il a précisé que les arrêts qui évoquaient cette question le faisaient en lien avec des dispositions cantonales concernant l’impôt sur les donations. Dans une affaire qui concernait l’ancien droit cantonal bernois relatif à l’impôt sur les donations, le Tribunal fédéral avait seulement souligné que les motifs ayant présidé à une donation, tels que la gratitude, la générosité ou l’existence d’un devoir moral, n’étaient pas pertinents pour l’assujettissement à l’impôt sur les donations, et que la disposition cantonale bernoise qui le précisait (« Die Gründe und Absichten, aus welchen die Schenkung erfolgte, üben auf die Steuerpflicht keinen Einfluss aus ») montrait seulement que la notion fiscale de donation pouvait être plus large que celle du droit civil (ATF 118 Ia 497 consid. 2b/cc). Dans un autre arrêt, qui concernait également l’impôt sur les donations bernois, le Tribunal fédéral avait laissé ouverte la question de savoir si l’existence d’un devoir moral pouvait être assimilée à une obligation juridique, faisant ainsi obstacle à la reconnaissance du caractère gratuit de l’attribution et, partant, à l’existence d’une donation (arrêt 2P.332/1999 du 4 avril 2000 consid. 3d; cf. aussi ATF 102 Ia 418 consid. 4c). Le Tribunal fédéral a conclu qu’il ressortait de ces arrêts que la jurisprudence n’était pas univoque quant au point de savoir si l’existence d’un devoir moral excluait ou pas l’existence d’une donation sous l’angle fiscal.

Consid. 8.2
En droit des poursuites, les donations accomplies en exécution d’un devoir moral qui lèsent les droits des créanciers du donateur peuvent faire l’objet d’une action révocatoire au sens des art. 286 LP et 82 LCA (MARGARETA BADDELEY, in Commentaire romand, CO I, 3e éd. 2021, n° 83 ad art. 239 CO).

Consid. 8.3
En matière de droit successoral, la donation en accomplissement d’un devoir moral est, pour la jurisprudence et la majorité de la doctrine, sujette aux rapports et réunions/réductions matrimoniale et successorale (MARGARETA BADDELEY, op. cit., n° 84 ad art. 239 CO). Le Tribunal fédéral a indiqué que le caractère réductible ne dépendait pas des raisons pour lesquelles une libéralité avait été faite, de sorte que le caractère réductible d’une libéralité n’était pas lié à la question de savoir si elle avait été faite pour accomplir une obligation morale (ATF 116 II 243; JdT 1992 I 130).

Consid. 8.4
Vu ce qui précède, l’assurée ne peut pas tirer d’argument en sa faveur d’une analogie avec le droit fiscal, le droit successoral ou le droit des poursuites.

Consid. 9.1
Aux termes de l’art. 328 al. 1 CC, chacun, pour autant qu’il vive dans l’aisance, est tenu de fournir des aliments à ses parents en ligne directe ascendante et descendante, lorsque, à défaut de cette assistance, ils tomberaient dans le besoin. Selon l’art. 329 al. 1 CC, l’action alimentaire (…) tend aux prestations nécessaires à l’entretien du demandeur et compatibles avec les ressources de l’autre partie.

Le prétendant a droit à la couverture de ce qui est nécessaire pour vivre, après que ses propres moyens aient été épuisés. Une situation de besoin ne saurait être reconnue du seul fait que le créancier ne parviendrait plus à mener le même train de vie que par le passé. En effet, seuls les besoins élémentaires sont couverts par l’art. 328 al. 1 CC, à savoir la nourriture, l’habillement, le logement, les soins médicaux de base, l’assurance-maladie obligatoire, les médicaments, les frais d’hospitalisation et le traitement en institution (ATF 136 III 1 consid. 4; 133 III 507 consid. 5.1, JdT 2007 I 130; 132 III 97 consid. 2.2; 121 V 204 consid. 5a; ANTOINE EIGENMANN, Commentaire romand, CC I, 2e éd. 2024, n° 11 ad art. 328/329 CC).

Quant au débiteur, il n’est tenu de fournir des aliments que s’il vit dans l’aisance. Pour déterminer sa situation financière, il est non seulement tenu compte de ses revenus mais également de sa fortune. Toutefois le débiteur ne sera pas tenu d’entamer sa fortune lorsque celle-ci doit demeurer intacte afin d’assurer à long terme ses moyens d’existence (ATF 132 III 97 consid. 3).

Consid. 9.2
Au vu des limites posées par la loi et la jurisprudence à l’obligation d’assistance entre parents en ligne directe, il est douteux qu’un devoir moral d’assistance puisse être retenu entre des personnes non visées par les art. 328 ss, qui irait financièrement au-delà des obligations légales des parents en ligne directe ascendante et descendante. Quoi qu’il en soit, à supposer qu’un tel devoir moral puisse être admis dans le contexte de l’art. 239 al. 3 CO, il ne justifierait pas d’exclure un dessaisissement au sens de l’art. 11a al. 2 LPC lorsque la personne concernée est elle-même titulaire d’une rente de l’assurance-invalidité ne couvrant pas ses propres besoins, comme l’assurée, au moment où elle renonce sans contre-prestation à une part de revenus ou de fortune. Dans de telles circonstances, le fait d’assurer le soutien d’un proche, au-delà des limites financières prescrites par les art. 328 ss CC pour les parents en ligne ascendante et descendante directe, entraîne un état d’indigence chez celui qui en assume la charge et constitue un dessaisissement (cf. également arrêt P 76/01 du 9 janvier 2003 consid. 3.1 et la référence, ainsi que le Message du Conseil fédéral du 16 septembre 2016 relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires [Réforme PC], FF 2016 7322).

Consid. 9.3 [résumé]
Le grief relatif aux frais d’hospitalisation en division privée de son frère est d’emblée infondé, pour autant qu’il soit recevable au regard des exigences de motivation accrues posées par l’art. 106 al. 2 LTF, dès lors que l’assurée ne peut se prévaloir d’un devoir moral d’entretien envers son frère pour justifier un dessaisissement de fortune alors qu’elle ne disposait elle-même pas des revenus nécessaires à son propre entretien (consid. 9.2 supra)

Il résulte de ce qui précède que les prestations financières de l’assurée en faveur de son frère constituent un dessaisissement de fortune au sens de l’art. 11a al. 2 LPC. Au vu des montants évoqués par l’assurée elle-même dans ce contexte, le dessaisissement et la fortune dont elle dispose encore sont manifestement supérieurs au seuil de 100’000 fr. excluant l’octroi de prestations complémentaires (art. 9a al. 1 let. a LPC), même en prenant en considération l’amortissement prévu par l’art. 17e al. 1 OPC-AVS/AI. Il n’est pas nécessaire, dans ces conditions, de déterminer si un montant supplémentaire entrerait en considération à titre de consommation excessive de fortune au sens de l’art. 11a al. 3 LPC. Un renvoi de la cause à l’intimée pour un calcul plus précis n’est pas nécessaire pour statuer sur la période litigieuse, étant toutefois précisé que l’assurée peut demander à l’intimée les renseignements nécessaires pour établir son droit éventuel aux prestations complémentaires pour une période postérieure, conformément à l’art. 27 al. 2 LPGA.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_463/2024 consultable ici

 

 

 

8C_696/2024 (f) du 13.05.2025 – Calcul de la prestation complémentaire – Dessaisissement de fortune – Prêt de 121’266 fr. de l’époux de l’assurée à une tierce personne résidant aux Etats-Unis – Absence de remboursement du prêt pendant plus d’une décennie – Prescription de la dette

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_696/2024 (f) du 13.05.2025

 

Consultable ici

 

Calcul de la prestation complémentaire – Dessaisissement de fortune / 9 al. 1 aLPC – 17a al. 1 aOPC-AVS/AI

Prêt de 121’266 fr. de l’époux de l’assurée à une tierce personne résidant aux Etats-Unis – Absence de remboursement du prêt pendant plus d’une décennie

Prescription de la dette

 

Résumé
L’arrêt porte sur la prise en compte, dans le calcul des prestations complémentaires d’une assurée résidant en EMS, d’un prêt consenti en 2005 par son époux, resté impayé. Le Tribunal fédéral a confirmé que cette créance, dont la prescription n’était intervenue qu’en août 2022, constituait une fortune puis une fortune dessaisie dès décembre 2022, en l’absence de démarches suffisantes pour en obtenir le remboursement. Il a validé la réduction annuelle de 10’000 francs dès 2024 selon l’art. 17a OPC-AVS/AI, et jugé applicable l’art. 9 al. 3 aLPC en raison de la résidence durable en EMS.

 

Faits
Assurée, née en 1944, et son époux, né en 1942, sont au bénéfice d’une rente AVS. Dès août 2018, l’assurée a séjourné en EMS. Dès septembre 2018, la caisse de compensation leur a versé des prestations complémentaires en tenant compte, dans le calcul, d’une créance de 121’266 fr. correspondant à un prêt consenti en 2005 par l’époux à C.__, laquelle résidait aux États-Unis. Ce prêt, régi par le droit suisse et prévoyant un for en Suisse, n’a donné lieu à aucun remboursement, même partiel, en septembre 2018.

Par décisions du 27 juin 2022, la caisse de compensation a alloué aux époux des prestations complémentaires mensuelles de 3’979 fr. respectivement 685 fr. dès le 01.05.2022, retenant le prêt de 121’266 fr. et une dette de 13’032 fr. relative à des arriérés de frais d’hébergement de l’EMS. Le 20.01.2023, elle a rendu de nouvelles décisions, requalifiant le prêt en dessaisissement de fortune (donation), avec une déduction annuelle de 10’000 fr. dès 2025, et a reconnu le droit de l’assurée à des prestations complémentaires mensuelles de 4’044 fr. dès le 01.01.2023.

L’assurée a formé opposition, faisant valoir que la perte de fortune était involontaire, son époux ayant tenté en vain de recouvrer la créance. Par décisions du 18.08.2023, la caisse a partiellement admis l’opposition : l’amortissement du dessaisissement de fortune de 10’000 fr. était pris en compte dès le 01.01.2024, et la fortune des époux a été actualisée au 01.02.2023. Les prestations complémentaires étaient dès lors fixées à 4’065 fr. pour l’assurée et à 707 fr. pour son époux, sur la base d’une fortune de 63’618 fr. (13’000 fr. de comptes bancaires, 2’384 fr. de titres, 121’266 fr. de fortune dessaisie, sous déduction de 13’032 fr. de dettes envers l’EMS et de la déduction légale pour les couples de 60’000 fr.).

 

Procédure cantonale (arrêt PC 52/23 – 49/2024 – consultable ici)

Par jugement du 18.10.2024, admission très partielle du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que l’assurée avait droit à des prestations complémentaires à hauteur de 4’094 fr. dès le 01.02.2023.

 

TF

Consid. 3.2
Le 01.01.2021 est entrée en vigueur la modification du 22 mars 2019 de la LPC (Message du 16 septembre 2016 relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires [Réforme des PC], FF 2016 7249; RO 2020 585). Conformément à l’al. 1 des dispositions transitoires de ladite modification, l’ancien droit reste applicable pendant trois ans à compter de l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions légales aux bénéficiaires de prestations complémentaires pour lesquels la réforme des PC entraîne, dans son ensemble, une diminution de la prestation complémentaire annuelle ou la perte du droit à la prestation complémentaire annuelle.

Les juges cantonaux ont appliqué la LPC dans son ancienne teneur (ci-après: aLPC), jugeant que l’ancien droit était plus favorable à l’assurée. Celle-ci ne le conteste pas. On peut donc s’en tenir aux considérations convaincantes de la cour cantonale, sans autre considération à défaut de grief sur ce point.

Consid. 3.3
Le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants (art. 9 al. 1 aLPC). Ceux-ci comprennent, notamment, un dixième de la fortune nette pour les bénéficiaires de rentes de vieillesse, dans la mesure où elle dépasse 37’500 fr. pour les personnes seules, respectivement 60’000 fr. pour les couples (art. 11 al. 1 let. c aLPC).

L’art. 17a al. 1 OPC-AVS/AI, dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, en relation avec l’art. 11 al. 1 let. g aLPC, pose le principe de la réduction, chaque année de 10’000 fr., du montant de la fortune qui a fait l’objet d’un dessaisissement et qui doit être pris en compte dans le calcul de la prestation complémentaire. Par dessaisissement, il faut entendre, en particulier, la renonciation à des éléments de revenu ou de fortune sans obligation juridique ni contre-prestation équivalente (ATF 140 V 267 consid. 2.2; 134 I 65 consid. 3.2; 131 V 329 consid. 4.2). Pour vérifier s’il y a contre-prestation équivalente et pour fixer la valeur d’un éventuel dessaisissement, il faut comparer la prestation et la contre-prestation à leurs valeurs respectives au moment de ce dessaisissement (ATF 120 V 182 consid. 4b).

Consid. 4 [résumé]
Les juges cantonaux ont retenu que l’entrée de l’assurée en EMS en 2018, en raison de son état de santé, relevait de l’art. 9 al. 3 aLPC, applicable aux couples dont l’un ou les deux conjoints résident en home ou à l’hôpital. Cette disposition impliquait un calcul séparé des prestations complémentaires pour chaque époux, sur la base de la fortune du couple répartie par moitié, rendant sans pertinence le fait que l’assurée n’était pas partie au contrat de prêt.

La cour cantonale a constaté qu’aucun remboursement du prêt n’était intervenu malgré les relances effectuées par l’époux de l’assurée entre 2006 et 2009, puis en 2012. Bien qu’il eût été possible de saisir la justice, aucune démarche n’avait été entreprise, ni pour obtenir le remboursement ni pour interrompre la prescription. Ils avaient relevé qu’un courriel d’août 2012 par lequel l’emprunteuse s’engageait à rembourser faisait courir un nouveau délai de prescription, expirant en août 2022. La créance avait ainsi été jugée recouvrable jusqu’à cette date et devait être considérée comme fortune, puis comme fortune dessaisie.

Les juges cantonaux ont retenu que l’époux de l’assurée avait conservé l’intention d’obtenir le remboursement du prêt jusqu’à décembre 2022, date à laquelle les époux avaient réagi aux décisions de prestations complémentaires fondées sur la créance. L’absence de manifestation explicite de renonciation avant cette date justifiait la requalification du prêt en fortune dessaisie à compter du 01.12.2022. Au 01.01.2023, cette fortune devait être intégrée pour sa pleine valeur, puis réduite de 10’000 fr. par an à partir de 2024, selon l’art. 17a al. 1 et 2 OPC-AVS/AI.

Par ailleurs, les juges cantonaux ont relevé une divergence entre le montant de la dette retenue dans la décision sur opposition du 01.12.2023 (20’345 fr. 75) et celui inscrit dans les décisions chiffrées du 18.08.2023 (13’032 fr.). Sur la base des décomptes versés à l’appui de l’opposition, la dette envers l’EMS devait être fixée à 20’105 fr. 45 au 01.12.2023, ce qui modifiait la fortune nette (56’545 fr.) et le montant des prestations complémentaires, porté à 4’094 fr. par mois. Le recours était dès lors très partiellement admis, l’assurée ayant droit à des prestations complémentaires à hauteur de 4’094 fr. dès le 01.12.2023, sans qu’un complément d’instruction fût nécessaire.

Consid. 5.2 [résumé]
Les tentatives passées en vue de recouvrer sa créance ne sont pas pertinentes au regard de la prescription intervenue en août 2022. L’assurée ne prétend pas que son époux aurait tenté d’interrompre cette prescription, mais soutient que la créance était irrécouvrable depuis plusieurs années et qu’une action judiciaire aurait été vaine et coûteuse, vu l’incertitude sur la situation financière de la débitrice et l’inexécutabilité d’un jugement suisse aux États-Unis sans procédure supplémentaire. Toutefois, l’époux avait obtenu une reconnaissance de dette en 2012 sans frais judiciaires, contredisant ses propres déclarations postérieures selon lesquelles il n’aurait plus eu de contact avec la débitrice depuis 2008. L’assurée ne démontre pas que des démarches avaient été entreprises après 2012 pour localiser la débitrice ou recouvrer la créance. Au contraire, l’époux avait cessé tout contact dès 2018. Dans ces circonstances, les juges cantonaux pouvaient, sans arbitraire, rejeter l’argument selon lequel la créance aurait été irrécouvrable.

Consid. 5.3 [résumé]
Ils pouvaient également refuser, sans arbitraire, l’audition de l’époux et du fils de l’assurée, en vertu d’une appréciation anticipée des preuves. Les affirmations vagues selon lesquelles la débitrice aurait évoqué avec le fils de l’assurée l’absence de remboursement n’étaient pas datées ni étayées, et ne suffisaient pas à établir l’irrécouvrabilité de la créance. Par ailleurs, l’assurée admettait elle-même que son fils n’avait pas participé activement aux démarches de recouvrement. Quant à l’audition de l’époux, elle aurait porté sur les conditions de négociation du prêt, qui n’étaient pas litigieuses, rendant cette preuve non déterminante.

Consid. 6.1 [résumé]
L’assurée soutient, à titre subsidiaire, que la créance était en réalité prescrite depuis 2017 déjà, de sorte qu’un amortissement annuel de 10’000 fr. au titre de fortune dessaisie aurait dû commencer au plus tard en 2017. Elle conteste que le courriel du 02.08.2012 constituât une reconnaissance de dette interruptive de prescription au sens de l’art. 135 CO, invoquant son contenu vague, l’absence de proposition concrète ou de paiement, les conditions posées, la référence à Dieu, ainsi que le comportement antérieur de la débitrice, marqué par des promesses jamais respectées.

Consid. 6.2
L’argumentation est mal fondée. En effet, on peut clairement déduire des échanges de courriers électroniques de 2012 que la débitrice reconnaît sa dette et s’engage à la rembourser. Dans le courriel adressé antérieurement, soit le 07.05.2012, elle écrivait « Par rapport au remboursement, je compte commencer à partir du mois de juillet 2012 ». Le fait que dans le courriel du 02.08.2012, la promesse de remboursement restait vague quant aux modalités pratiques et au délai n’y change rien.

Consid. 7.1 [résumé]
L’assurée fait valoir qu’un calcul séparé des prestations devrait être appliqué à chacun des époux. Elle invoque la séparation définitive d’avec son époux depuis 2018, rendue irréversible par ses besoins de soins spécifiques. Elle soutient également que l’art. 9 al. 3 aLPC ne devrait pas s’appliquer en l’espèce, puisque la prise en compte d’un prêt dont elle n’était pas titulaire pour calculer sa fortune réduit ses prestations complémentaires et augmente sa dette envers l’EMS, impactant aussi son époux.

Consid. 7.2
Les couples dont l’un des conjoints (ou les deux) vit en permanence ou pour une longue période dans un home par nécessité ne sont pas considérés comme vivant séparés volontairement du point de vue des prestations complémentaires. Dans leur cas, le calcul des prestations complémentaires est réglé part l’art. 9 al. 3 aLPC, en tant que lex specialis. Selon cette disposition, la prise en compte d’un dessaisissement doit intervenir par moitié dans les revenus, peu importe à qui le patrimoine dessaisi appartenait (MICHEL VALTERIO, Commentaire de la loi fédérale sur les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI, 2015, n° 45 ad art. 9 LPC). Il s’ensuit que le grief est mal fondé.

Consid. 8
Dans un dernier grief, l’assurée se prévaut d’une violation de l’art. 61 let. g LPGA. Elle reproche à la juridiction cantonale de ne pas lui avoir alloué de dépens pour une procédure ayant conduit à une admission très partielle de son recours. Cependant, les juges cantonaux pouvaient, sans violer le droit fédéral, refuser d’allouer des dépens à l’assurée dans la mesure où elle n’obtenait que très partiellement gain de cause et pour des motifs qu’elle n’avait elle-même pas invoqués dans son recours en instance cantonale, ses griefs ayant été rejetés. Son écriture, à elle seule, n’exigeait pas l’allocation de dépens.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_696/2024 consultable ici

 

 

8C_438/2023 (i) du 18.03.2024, destiné à la publication – Prestations transitoires pour chômeurs âgés : la consommation excessive de la fortune, antérieure à la naissance du droit aux prestations, n’est pas prise en compte

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_438/2023 (i) du 18.03.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 24.04.2024 consultable ici

 

Prestations transitoires pour chômeurs âgés : la consommation excessive de la fortune, antérieure à la naissance du droit aux prestations, n’est pas prise en compte / 13 LPtra

 

Pour décider d’un éventuel droit aux prestations transitoires pour les chômeurs âgés, le fait que la personne concernée ait auparavant consommé excessivement sa fortune n’est pas pris en compte, contrairement à ce qui est le cas en matière de prestations complémentaires. Le Tribunal fédéral rejette le recours de la Caisse de compensation du canton du Tessin.

En septembre 2022, une personne assurée, domiciliée dans le canton du Tessin, a demandé à percevoir des prestations transitoires pour les chômeurs âgés. Sa requête a été rejetée par la Caisse cantonale de compensation AVS/AI/APG, dès lors qu’au cours des dix-huit mois environ précédant le dépôt de la demande, l’assuré avait dépensé plus de 120’000 francs de son avoir de libre passage versé par sa caisse de pension, sans en indiquer le motif. De l’avis de la caisse de compensation, cela équivalait à un dessaisissement volontaire, par consommation excessive de la fortune, pour un montant de 71’000 francs. En tenant compte de ce montant, la fortune du requérant excédait le seuil d’éligibilité de 50’000 francs. En 2023, le Tribunal cantonal du canton du Tessin a admis le recours de la personne assurée ; selon la loi fédérale sur les prestations transitoires pour les chômeurs âgés (LPtra), entrée en vigueur le 1er juillet 2021, une consommation excessive de la fortune ne doit être prise en compte que si elle intervient après la naissance du droit aux prestations transitoires. Tel n’était pas le cas en espèce, puisque le droit du requérant n’avait en principe pris naissance qu’après le versement de la dernière prestation de l’assurance-chômage à fin novembre 2022. L’affaire a été renvoyée à la caisse de compensation pour nouvelle décision.

Le Tribunal fédéral rejette le recours de la caisse de compensation. Cette dernière a notamment fait valoir que la décision du Tribunal cantonal créait des problèmes de coordination entre prestations transitoires et prestations complémentaires. Selon le Tribunal fédéral, la volonté claire du législateur était d’aligner autant que possible le système des prestations transitoires sur celui des prestations complémentaires. La jurisprudence en matière de prestations complémentaires peut ainsi en principe être prise en considération comme aide à l’interprétation des dispositions relatives aux prestations transitoires. Il s’agit toutefois de faire une exception pour le dessaisissement volontaire en cas de consommation excessive de la fortune. En vertu de l’art. 13 al. 3 LPtra, seul le temps écoulé à partir de la naissance du droit aux prestations est déterminant à cet égard. La loi ne prévoit pas de clause de rétroactivité, contrairement à ce qui est le cas en matière de prestations complémentaires ; une consommation excessive de la fortune est également prise en compte en matière de prestations complémentaires lorsqu’elle intervient dans les dix années qui précèdent la naissance du droit à la rente AVS.

 

Arrêt 8C_438/2023 consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 24.04.2024 consultable ici

 

9C_493/2022 (f) du 28.09.2023 – Prestations complémentaires – Dessaisissement de fortune et capacité de discernement – Diminution de patrimoine causée par une infraction pénale

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_493/2022 (f) du 28.09.2023

 

Consultable ici

 

Prestations complémentaires – Condition de la fortune / 9a LPC – 11a LPC

Notion de dessaisissement de fortune (17b OPC-AVS/AI) et capacité de discernement (16 CC) – Prêt sans condition de CHF 585’000

Acte déraisonnable indice d’un défaut de discernement

Diminution de patrimoine causée par une infraction pénale

 

Par ordonnance du 06.07.2021, le Tribunal de protection de l’adulte et de l’enfant (ci-après: le TPAE) a institué une curatelle de représentation et de gestion en faveur de l’assurée, née en 1941, et désigné Maître X.__ aux fonctions de curateur.

Le 13.10.2021, l’assurée a déposé une demande de prestations complémentaires à sa rente de l’assurance-vieillesse et survivants, par l’intermédiaire de son curateur. Dans le courrier accompagnant la demande, le curateur indiquait que la santé psychique de la prénommée était très inquiétante et qu’une admission dans un lieu de vie sécurisé était urgente; il y précisait également que l’assurée avait prêté, sans aucune garantie, la quasi-totalité de son disponible financier à B.__, domiciliée en Espagne, et qu’il ignorait si les prêts seraient remboursés. Par décision, confirmée sur opposition, le Service des prestations complémentaires (ci-après: le SPC) a rejeté la demande. En bref, il a considéré que la fortune nette de l’assurée était évaluée à 599’992 fr. 60, une fois pris en compte les prêts octroyés à hauteur de 585’000 fr., et que l’intéressée n’avait pas démontré avoir été victime de tromperie lors de l’octroi des prêts successifs, ni que la créance était irrécupérable; en tout état de cause, même si la créance ne pouvait pas effectivement être récupérée, elle devait être prise en compte sous l’angle d’un dessaisissement de fortune.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/818/2022 – consultable ici)

L’assurée a, par l’intermédiaire de son curateur, interjeté recours le 19.11.2021. Le 14.01.2022, le curateur a informé la juridiction cantonale du dépôt, le jour même, d’une plainte pénale à l’encontre de B.__. Après avoir notamment requis des renseignements auprès de la médecin traitante de l’assurée et tenu des audiences d’enquêtes au cours desquelles elle a entendu deux témoins, la cour cantonale a rejeté le recours (arrêt du 19.09.2022).

 

TF

Consid. 4.2
La capacité de discernement doit être présumée et que celui qui en allègue l’absence doit prouver l’incapacité de discernement au degré de la vraisemblance prépondérante (cf. art. 16 CC; ATF 124 III 5 consid. 1b; arrêts 9C_28/2021 du 4 novembre 2021 consid. 5.2; 5A_914/2019 du 15 avril 2021 consid. 3.2). En revanche, lorsque l’expérience de la vie conduit à présumer (par exemple pour les jeunes enfants, en présence de certaines affections psychiques ou pour les personnes affaiblies par l’âge) que la personne en cause, en fonction de sa constitution, ne doit pas être jugée capable de discernement, la preuve est considérée comme suffisamment rapportée et la présomption renversée. L’autre partie peut alors tenter de prouver un intervalle de lucidité (cf. ATF 124 III 5 consid. 1b; arrêt 6B_869/2010 du 16 septembre 2011 consid. 4.2).

La présomption d’incapacité de discernement concerne, selon la jurisprudence, les cas dans lesquels la personne en cause se trouve, au moment d’agir, diminuée psychiquement de manière durable en raison de l’âge ou de la maladie, comme cela est notoirement le cas en présence de démences séniles (syndrome psycho-organique avec pour cause une artériosclérose sénile, trouble délirant persistant ou démence sénile de type Alzheimer, p. ex.; cf. arrêt 5A_951/2016 du 14 septembre 2017 consid. 3.1.3.1 et les arrêts cités; arrêt 5A_926/2021 du 19 mai 2021 consid. 3.1.1.1). L’incapacité de discernement n’est, en revanche, pas présumée et doit, partant, être prouvée, par exemple chez une personne d’un âge avancé qui n’est que faible, atteinte dans sa santé et confuse par moment, chez une personne qui ne souffre que d’absences sporadiques ensuite d’une apoplexie ou encore qui ne souffre que de trous de mémoire liés à l’âge (arrêt 5A_951/2016 cité consid. 3.1.3.1 et les références). Un simple doute sur l’état mental ne suffit pas à renverser la présomption de capacité de discernement (arrêt 6B_869/2010 précité consid. 4.5).

Consid. 4.3
Les juges cantonaux n’ont pas déduit « une prétendue absence de troubles du seul fait que la Dre C.__ a[va]it indiqué qu’elle ne pouvait pas se prononcer sur les troubles de sa patiente en 2017, vu les rendez-vous médicaux plus espacés ». Selon leurs constatations, le médecin traitant n’avait pas observé, lors des consultations durant la période des prêts, une incapacité de sa patiente à gérer ses propres affaires. A la suite de la juridiction cantonale, force est d’admettre que la Dre C.__ n’a mis en évidence aucun élément objectif permettant de remettre en cause la capacité de discernement de l’assurée durant les années 2017 à 2019, même si elle a indiqué qu’elle ne pouvait se prononcer sur la capacité de sa patiente à gérer ses affaires. Elle a fait état d’une « situation se détériorant rapidement » durant la période postérieure, à compter de 2021, voire déjà 2020, qui l’a conduite à signaler sa patiente auprès du TPAE le 17 mai 2021. La Dre C.__ a en effet rapporté qu’elle avait observé objectivement en consultation une perte rapide dans l’autogestion en janvier 2021, qui était probablement déjà présente en 2020, selon l’anamnèse établie à l’époque, même si cela ne ressortait pas à ce moment à l’occasion des consultations. Partant, l’argumentation de l’assurée ne démontre pas en quoi les constatations de fait des juges cantonaux, fondées sur le rapport du médecin traitant, en relation avec sa capacité de discernement entre 2017 et 2019, soit à l’époque du dessaisissement de fortune, seraient manifestement inexactes ou arbitraires.

Consid. 4.4
L’assurée ne peut pas davantage être suivie lorsqu’elle affirme que les témoignages de D.__ et de E.__, qui la connaissent depuis de nombreuses années, démontrent son « incapacité de discernement claire » en 2017 déjà. Si D.__ a certes indiqué que, selon elle, A.__ « n’avait pas toute sa capacité de discernement au moment d’octroyer les prêts », elle ne l’a pas vue durant la période en cause, puisqu’elle s’est occupée d’elle uniquement à partir de l’année 2021, voire 2020. Dès lors déjà que les constatations de D.__ concernent une période postérieure à celle des prêts, c’est sans arbitraire, ni violation du droit, que la juridiction cantonale a considéré que son témoignage ne permettait pas de remettre en question la capacité de discernement de l’assurée entre 2017 et 2019.

Quant à E.__, qui a rendu visite à A.__ à raison d’une fois par semaine entre 2017 et 2019, elle a mentionné s’être aperçue dès 2018 que son amie était confuse, que celle-ci mélangeait les choses et qu’elle se trompait de dates, en précisant également que, selon elle, si l’assurée avait été en pleine santé, elle n’aurait jamais octroyé un prêt si important. Ces éléments ne suffisent cependant pas pour admettre, au moment des prêts, un état durable d’altération mentale lié à l’âge ou à la maladie, en présence duquel la personne en cause est en principe présumée dépourvue de la capacité d’agir raisonnablement (cf. consid. 4.2 supra). Les considérations de personnes proches quant à l’ampleur et au caractère peu raisonnable des prêts que l’assurée a accordés ne sauraient du reste l’emporter sur les constatations médicales figurant au dossier, en l’occurrence celles de la Dre C.__, qui ne fait pas mention d’un état durable d’altération mentale ni d’une incapacité de discernement pour la période antérieure à 2021, voire à 2020.

Consid. 4.5
C’est également en vain que l’assurée affirme que « la remise des fonds en elle-même est déjà un signe évident d’incapacité de discernement ». Elle allègue à ce propos que tout simplement personne, à part quelqu’un qui n’a plus sa faculté d’agir raisonnablement, « aurait remis l’entier de sa fortune, soit plus de 500’000 fr., à une brève connaissance, pour des activités en Espagne, sans aucune garantie ». Cette argumentation est mal fondée, dès lors qu’une personne peut agir de manière déraisonnable sans être dépourvue de la capacité de discernement. Une personne n’est en effet privée de discernement au sens de la loi que si sa faculté d’agir raisonnablement est altérée, en partie du moins, par l’une des causes énumérées à l’art. 16 CC (ATF 117 II 231 consid. 2a; cf. aussi arrêt 8C_916/2011 du 8 janvier 2013 consid. 2.2). Or une telle cause n’est pas établie à l’époque déterminante à laquelle les prêts ont été accordés, au vu des indications médicales au dossier (consid. 4.3 supra).

Il est vrai que les juges cantonaux ont retenu qu’« il y a lieu d’admettre qu’aucune personne raisonnable n’aurait, dans la même situation et les mêmes circonstances octroyé, un tel prêt ». Si un acte déraisonnable peut dans certaines circonstances constituer un indice d’un défaut de discernement (arrêt 5A_910/2021 du 8 mars 2023 consid. 6.2.3 et les arrêts cités), en l’occurrence, cet indice est insuffisant à lui seul. L’appréciation de la juridiction cantonale se rapporte du reste au caractère déraisonnable du prêt octroyé par l’assurée, en relation avec la jurisprudence selon laquelle si l’octroi d’un prêt ne saurait être assimilé à un dessaisissement de fortune, dès lors qu’il fonde un droit au remboursement, il faut cependant réserver l’hypothèse où, au regard des circonstances concrètes du cas d’espèce, il apparaît dès le départ que ce prêt ne sera pas remboursé (arrêts 9C_333/2016 du 3 novembre 2016 consid. 4.3.3; 9C_180/2010 du 15 juin 2010 consid. 5.2 et les arrêts cités). Le recours est mal fondé sur ce point.

Consid. 5
Le grief de l’assurée tiré d’un établissement inexact des faits et d’une violation des art. 11a LPC et 17 OPC-AVS/AI, en ce que la juridiction cantonale n’a pas examiné la « problématique de diminution de patrimoine causée par une infraction pénale », est en revanche bien fondé.

Selon la jurisprudence, une diminution du patrimoine due à des actes punissables (p. ex. escroquerie) ne peut en effet pas être qualifiée de dessaisissement de fortune, étant donné que le propre d’une telle diminution du patrimoine est précisément que la victime de l’acte punissable n’est pas consciente de l’ampleur du risque de l’investissement réalisé ou qu’elle est trompée astucieusement à ce sujet (arrêts 9C_180/2010 précité consid. 5.2; 8C_567/2007 du 2 juillet 2008 consid. 6.5). Or en l’espèce, bien que dûment informés par le curateur de l’assurée du dépôt d’une plainte pénale à l’encontre de B.__, le 14 janvier 2022, les juges cantonaux n’ont pas tenu compte de ce fait, qui avait pourtant une importance décisive pour l’issue du litige. La plainte semble comprendre des éléments suffisamment concrets pour justifier un examen des faits invoqués sous l’angle pénal. En conséquence, la cause doit leur être renvoyée afin qu’ils instruisent le point de savoir si la diminution de patrimoine de l’assurée a été provoquée par un acte punissable, en se fondant, le cas échéant, sur l’issue de la procédure pénale.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_493/2022 consultable ici

 

9C_329/2023 (f) du 21.08.2023 – Dessaisissement de fortune / 9a LPC – 11a LPC (nouveau droit entré en vigueur le 01.01.2021) – Dispositions transitoires

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_329/2023 (f) du 21.08.2023

 

Consultable ici

 

Dessaisissement de fortune / 9a LPC – 11a LPC (nouveau droit entré en vigueur le 01.01.2021) – Dispositions transitoires

 

Par décision du 11.11.2013, le Service des prestations complémentaires (ci-après: le SPC) a rejeté la demande de prestations complémentaires présentée par les époux A.__ en septembre 2013, compte tenu d’un montant de biens dessaisis de 492’904 fr. Le SPC a par la suite nié le droit des prénommés à des prestations complémentaires fédérales et cantonales à leurs rentes de vieillesse pour l’année 2022, compte tenu d’un montant de biens dessaisis de 402’904 fr., par décision du 01.12.2021.

Par décision du 20.12.2021 – annulant et remplaçant la précédente – et décision sur opposition du 18.05.2022, le SPC a confirmé sa décision de refus de prestations complémentaires fédérales et cantonales et a supprimé le droit à l’aide sociale pour 2022.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/212/2023 – consultable ici)

Par jugement du 28.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
A la suite des juges cantonaux, on rappellera que depuis l’entrée en vigueur de la modification du 22 mars 2019 (Réforme des PC; RO 2020 585 et 599), le 1er janvier 2021, les couples dont la fortune nette est égale ou supérieure à 200’000 fr. n’ont pas droit à des prestations complémentaires (art. 9a al. 1 let. b LPC).

Conformément à l’al. 1 des dispositions transitoires de ladite modification, l’ancien droit reste applicable pendant trois ans à compter de l’entrée en vigueur de la présente modification aux bénéficiaires de prestations complémentaires pour lesquels la réforme des PC entraîne, dans son l’ensemble, une diminution de la prestation complémentaire annuelle ou la perte du droit à la prestation complémentaire annuelle. A contrario, le nouvel art. 9a LPC est applicable aux personnes qui n’ont pas bénéficié de prestations complémentaires avant l’entrée en vigueur de la Réforme des PC.

Consid. 4.2
Le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants (art. 9 al. 1 LPC). Selon l’art. 11 al. 1 let. c LPC, ceux-ci comprennent, notamment, un dixième de la fortune nette, pour les bénéficiaires de rentes de vieillesse, dans la mesure où elle dépasse 30’000 fr. pour les personnes seules, respectivement 50’000 fr. pour les couples.

L’art. 17a al. 1 OPC-AVS/AI (RS 831.301; RO 2007 5823), en relation avec l’art. 11 al. 1 let. g LPC (dans leur teneur respective en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020), pose le principe de la réduction, chaque année de 10’000 fr., du montant de la fortune qui a fait l’objet d’un dessaisissement et qui doit être pris en compte dans le calcul de la prestation complémentaire.

La Réforme des PC a introduit un nouvel art. 11a LPC, relatif à la renonciation à des revenus ou parts de fortune, qui est entré en vigueur le 1er janvier 2021. Conformément à celui-ci, les parts de fortune auxquelles l’ayant droit a renoncé sans obligation légale et sans contre-prestation adéquate doivent être pris en compte dans les revenus déterminants comme s’il n’y avait pas renoncé (al. 2). Un dessaisissement de fortune est également pris en compte si, à partir de la naissance d’un droit à une rente de survivant de l’AVS ou à une rente de l’AI, plus de 10% de la fortune est dépensée par année sans qu’un motif important ne le justifie, étant précisé que si la fortune est inférieure ou égale à 100’000 fr., la limite est de 10’000 fr. par année, et que le Conseil fédéral règle les modalités, en définissant en particulier la notion de « motif important » (art. 11a al. 3 LPC). L’al. 3 s’applique aux bénéficiaires d’une rente de vieillesse de l’AVS également pour les dix années qui précèdent la naissance du droit à la rente (art. 11a al. 4 LPC). L’art. 17e al. 1 OPC-AVS/AI, également entré en vigueur le 1er janvier 2021, prévoit que le montant de la fortune qui a fait l’objet d’un dessaisissement au sens de l’art. 11a al. 2 et 3 LPC et qui doit être pris en compte dans le calcul de la prestation complémentaire est réduit chaque année de 10’000 fr.

Selon l’al. 3 des dispositions transitoires de la modification du 22 mars 2019, l’art. 11a al. 3 et 4 LPC ne s’applique qu’à la fortune qui a été dépensée après l’entrée en vigueur de la présente modification (al. 3).

 

Consid. 5.1
La juridiction cantonale a considéré, en se fondant sur l’al. 1 des dispositions transitoires de la Réforme des PC, que l’ancien droit n’était pas applicable aux époux A.__, dès lors qu’ils n’avaient jamais bénéficié d’une prestation complémentaire, ni fédérale, ni cantonale. Elle a toutefois laissé ouverte la question de savoir si la limite de fortune, prévue par le nouvel art. 9a al. 1 LPC depuis le 1er janvier 2021 pour bénéficier de prestations complémentaires, pouvait s’appliquer à la fortune effective ou également aux valeurs dont la personne requérante s’est dessaisie. En effet, les juges cantonaux ont considéré que le droit des époux A.__ à des prestations complémentaires fédérales et cantonales pour 2022 devait en l’occurrence de toute manière être nié, parce que leurs revenus déterminants dépassaient largement leurs dépenses reconnues.

Consid. 5.2
Les époux A.__ reprochent à la juridiction de première instance d’avoir utilisé un « mode de calcul qui ne prend en compte qu’un amortissement de CHF 10’000.00 par année » en cas de dessaisissement de la fortune pour calculer le montant de la fortune nette à prendre en considération dans leurs revenus déterminants. Ils font en substance valoir que la « consommation » effective des montants dessaisis doit être appréciée de manière conforme à la réalité.

Consid. 5.3
L’argumentation des époux A.__ est mal fondée, dès lors déjà qu’ils ne satisfont pas aux conditions relatives à la fortune, prévues par le nouvel art. 9a al. 1 LPC depuis le 1er janvier 2021. Conformément à cette disposition, qui leur est applicable – étant donné qu’ils ne sont pas bénéficiaires de prestations complémentaires (cf. al. 1 des dispositions transitoires de la modification du 22 mars 2019, a contrario) -, les couples dont la fortune nette est égale ou supérieure à 200’000 fr. n’ont pas droit à des prestations complémentaires (art. 9a al. 1 let. b LPC). Le ch. 2512.02 des Directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (DPC) de l’OFAS, valables dès le 1er avril 2011 (état au 1er janvier 2023) prévoit à cet égard que les éléments auxquels une personne a renoncé font également partie de la fortune. Or en l’espèce, il ressort des constatations cantonales que le montant de la fortune à prendre en compte pour l’année 2022 s’élève à 407’634 fr. (402’904 fr. [montant de la fortune dessaisi à prendre en considération] + 4’730 fr. [épargne]). Même en tenant compte d’une déduction de 10’000 fr. depuis les dix dernières années, leur fortune atteint ainsi un montant largement supérieur à la limite de 200’000 fr. prévue par l’art. 9a al. 1 let. b LPC, au vu des montants de la fortune dessaisis à prendre en considération en 2005 (562’904 fr.) et 2013 (492’904 fr.).

Pour cette raison déjà, il n’y a pas lieu d’examiner plus avant l’affirmation des époux A.__ selon laquelle la « pratique administrative qui se fonde sur l'[…] OPC-AVS/AI […] n’a pas été adaptée aux exigences de la nouvelle LPC ». On précisera toutefois que le principe de la réduction, chaque année de 10’000 fr., du montant de la fortune qui a fait l’objet d’un dessaisissement et qui doit être pris en compte dans le calcul de la prestation complémentaire, jadis posé par l’art. 17a al. 1 OPC-AVS/AI (RO 2007 5823), en relation avec l’art. 11 al. 1 let. g LPC (dans leur teneur respective en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020), a été repris à l’art. 17e al. 1 OPC-AVS/AI, avec effet au 1er janvier 2021 (RO 2020 599). La Réforme des PC, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2021 (RO 2020 585 et 599) et à laquelle les époux A.__ se réfèrent, n’a en effet pas modifié ce principe. Il ressort à cet égard du Message relatif à la modification de la loi sur les prestations complémentaires (Réforme des PC) du 16 septembre 2016 que les limites fixées (à l’art. 17a al. 1 OPC-AVS/AI, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020) permettent de déterminer si la fortune a été dépensée trop rapidement ou non et que dans la mesure où l’organe d’exécution constate l’existence d’un dessaisissement de fortune, le montant de 10’000 fr. doit continuer à être pris en compte sous l’empire du nouveau droit entré en vigueur le 1er janvier 2021 (FF 2016 7249 [7323]).

 

Le TF rejette le recours des époux A.__.

 

Arrêt 9C_329/2023 consultable ici

 

9C_422/2021 (f) du 23.03.2022 – Prestations complémentaires – Dessaisissement de fortune – 17 OPC-AVS/AI (dans sa teneur jusqu’au 31.12.2020) / Détermination de la part de l’assurée sur les immeubles cédé aux enfants

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_422/2021 (f) du 23.03.2022

 

Consultable ici

 

Prestations complémentaires – Dessaisissement de fortune – 17 OPC-AVS/AI (dans sa teneur jusqu’au 31.12.2020)

Détermination de la part de l’assurée sur les immeubles cédé aux enfants

 

Assurée, née en 1938, a présenté une demande de prestations complémentaires à sa rente AVS, en novembre 2018. Par décisions du 01.03.2019, la caisse de compensation (ci-après: la caisse) a rejeté la demande. En bref, elle a considéré que pour la période courant dès le 01.11.2018, les revenus déterminants étaient supérieurs aux dépenses reconnues, en prenant notamment en considération que l’assurée s’était dessaisie sans contrepartie de biens immobiliers au profit de ses deux fils.

Le 26.09.2019, la caisse a rejeté l’opposition de l’assurée. Dans ses calculs, elle a fixé respectivement à 117’260 fr. (pour 2018) et 107’260 fr. (pour 2019) les montants de la fortune dessaisie, après déduction des dettes hypothécaires, en fonction des informations données par la commission de taxation de la commune, qui avait estimé la valeur des biens cédés en mars et septembre 2007 à 323’120 fr. et 433’400 fr. Selon la caisse, les immeubles cédés constituaient des acquêts, de sorte que la part de dessaisissement de l’assurée correspondait à la moitié de la valeur des biens.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 14.07.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
Il y a dessaisissement lorsque la personne concernée a renoncé à des éléments de revenu ou de fortune sans obligation juridique et sans avoir reçu en échange une contre-prestation équivalente, ces deux conditions étant alternatives (ATF 140 V 267 consid. 2.2; 134 I 65 consid. 3.2; 131 V 329 consid. 4.4). Aux termes de l’art. 17 OPC-AVS/AI (RS 831.301), dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31.12.2020, la fortune prise en compte doit être évaluée selon les règles de la législation sur l’impôt cantonal direct du canton du domicile (al. 1). Lorsque des immeubles ne servent pas d’habitation au requérant ou à une personne comprise dans le calcul de la prestation complémentaire, ils seront pris en compte à la valeur vénale (al. 4).

Consid. 4.1
L’assurée ne conteste pas les constatations de la juridiction cantonale selon lesquelles feu son époux était inscrit au registre foncier comme propriétaire des deux parcelles objets des libéralités et qu’elle avait cédé sa part dans l’hoirie de son conjoint à ses deux fils, singulièrement à B.__ selon l’acte notarié du 03.03.1997 et à D.__ selon l’acte notarié du 05.09.2007. Elle ne s’en prend pas non plus aux considérations de la juridiction cantonale selon lesquelles pour déterminer le montant de la fortune nette dont elle s’était dessaisie, il convenait de fixer non seulement la quote-part découlant de sa participation à l’hoirie, mais également sa participation à la liquidation du régime matrimonial, laquelle précédait celle de la succession. L’assurée s’en prend uniquement à la quotité de la part sur les biens cédés à ses fils, que la juridiction cantonale a fixée à deux tiers au lieu de la moitié retenue par la caisse. Elle se limite cependant à contester la modification de la répartition effectuée par le Tribunal cantonal et retenir dans ses propres calculs la « répartition validée par la caisse (…), soit 1/2 », sans faire valoir d’élément concret à l’encontre du raisonnement de la juridiction cantonale.

Toutefois, les considérations cantonales, fondées sur les règles du code civil relatives à la liquidation du régime matrimonial en vigueur jusqu’au 31.121987 (soit avant l’entrée en vigueur de la modification du Code civil suisse du 05.10.1984 [Effets généraux du mariage, régime matrimonial et successions; RO 1986 122]), en fonction de la date du décès de l’époux de l’assurée (en 1984), ainsi que sur les règles sur le partage successoral (dont en particulier l’art. 462 ch. 1 CC), reposent sur une application erronée du droit. Les premiers juges ont d’abord correctement tenu compte des (anciennes) règles sur l’union des biens, applicables à défaut de contrat de mariage ou de situation soumise au régime matrimonial extraordinaire (art. 178 aCC, en relation avec l’art. 9a al. 2 des dispositions transitoires du CC). Conformément aux art. 213 et 214 al. 1 aCC, au décès du mari, le bénéfice restant après le prélèvement de ses apports par la femme appartient pour un tiers à celle-ci ou à ses descendants et, pour le surplus, au mari ou à ses héritiers. En revanche, la juridiction cantonale a perdu de vue que selon l’art. 462 al. 1 aCC, qui a été modifié au 01.01.1988 (RO 1986 122, p. 143), le conjoint survivant peut réclamer à son choix, si le défunt laisse des descendants, l’usufruit de la moitié ou la propriété du quart de la succession. La part de l’assurée à la succession de son époux s’élevait dès lors à un quart au décès de celui-ci, moment de l’ouverture de la succession (art. 537 al. 1 CC; cf. STEINAUER, Le droit des successions, 2e éd. 2015, N 62, 104 et 852 ss). La part de l’assurée sur les immeubles cédés à ses fils s’élevait dès lors à 1/2 (1/3 [résultant de la dissolution du régime matrimonial] + [1/4 x 2/3 résultant du partage de la succession]). Par conséquent, c’est bien la quotité d’une demie prise en considération par la caisse qui se révèle conforme au droit. Ce résultat ne modifie cependant pas l’issue de la cause, comme il ressort des considérations suivantes.

Consid. 4.3
L’assurée invoque finalement en vain une violation de l’art. 17c OPC-AVS/AI, selon lequel le montant du dessaisissement en cas d’aliénation correspond à la différence entre la valeur de la prestation et la valeur de la contre-prestation. Cette disposition est entrée en vigueur au 01.01.2021 (RO 2020 599) et n’est par conséquent pas applicable en l’occurrence. Au demeurant, contrairement à ce que soutient l’assurée, les dettes hypothécaires « en vigueur en mars 1997 » ne constituent pas une contre-prestation au sens de la règle d’exécution.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_422/2021 consultable ici

 

9C_28/2021 (f) du 04.11.2021 – Droit aux prestations complémentaires à l’AVS / Dessaisissement de fortune – Pas de preuve d’une incapacité de discernement lors du dessaisissement d’éléments de fortune

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_28/2021 (f) du 04.11.2021

 

Consultable ici

 

Droit aux prestations complémentaires à l’AVS

Dessaisissement de fortune / 11 al. 1 let. g LPC – 17a OPC-AVS/AI (dans leur teneur en vigueur jusqu’au 31.12.2020)

Pas de preuve d’une incapacité de discernement lors du dessaisissement d’éléments de fortune / 16 CC

 

Assuré, né en 1950, a pris sa retraite le 01.03.2012. Cette année-là, la caisse de pensions B.__ lui a versé deux prestations en capital de la prévoyance professionnelle pour un montant total de 517’256 fr.

Le 14.02.2018, l’assuré a déposé une demande de prestations complémentaires à l’AVS. La caisse cantonale de compensation a nié le droit de l’assuré à des prestations complémentaires en raison d’un excédent net de revenus résultant notamment de la prise en compte d’un dessaisissement de fortune de 280’000 fr.

 

Procédure cantonale

La juridiction cantonale a retenu que l’assuré avait perçu en 2012 des prestations en capital de la prévoyance professionnelle en lien avec son départ à la retraite. Afin d’expliquer la diminution de la fortune importante, l’assuré avait exposé qu’il s’était départi de son capital LPP en réglant diverses dettes et en procédant à d’importantes libéralités en faveur de ses ex-épouses, sans obligation ou contreprestations équivalentes. Pour les juges cantonaux, les explications étaient restées vagues et inconsistantes. On ignorait ainsi tout des dettes prétendument réglées et des donations effectuées en faveur des ex-épouses, le dossier ne contenant aucun élément de preuve à ce sujet.

L’instance cantonale a par ailleurs constaté que l’assuré avait été hospitalisé cinq ans après son départ à la retraite, en septembre 2017. Les médecins de l’Hôpital C.__ avaient établi qu’il souffrait notamment de troubles psychiques chroniques à l’origine d’une désorganisation du comportement avec une négligence de ses affaires et de sa personne ainsi que d’angoisses interpersonnelles invalidantes. Ces renseignements ne permettaient toutefois pas d’établir que l’assuré avait été privé de sa capacité de discernement lorsqu’il avait procédé aux prétendues donations, d’autant moins que le jugement de divorce de juillet 2013 ne mentionnait pas de tels troubles et que l’assuré avait obtenu la garde de son fils alors âgé de 14 ans compte tenu de ses capacités parentales qualifiées d’adéquates. Il n’était donc pas possible de retenir qu’il avait été privé de sa capacité de discernement lorsqu’il s’était dessaisi d’éléments de fortune.

Par jugement du 23.11.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5

L’assuré ne conteste pas les constatations de la juridiction cantonale sur le dessaisissement de fortune de 280’000 fr., en tant que telles, mais celles sur la capacité de discernement dont il disposait au moment où sa fortune a diminué.

La capacité de discernement doit être présumée et celui qui prétend qu’elle fait défaut doit le prouver (cf. art. 16 CC; ATF 124 III 5 consid. 1b; arrêt 5A_914/2019 du 15 avril 2021 consid. 3.2). L’assuré ne démontre toutefois pas en quoi les constatations de fait des juges cantonaux relatives à son état de santé psychique et à sa capacité de discernement en 2012, soit à l’époque du dessaisissement de fortune, seraient inexactes, ni en quoi elles résulteraient d’une violation du principe de l’instruction d’office et de son droit d’être entendu.

En effet, en plus du jugement de divorce de l’assuré rendu en juillet 2013, d’un rapport de l’Hôpital C.__ du 14 mai 2019, l’instance cantonale disposait de la décision de l’Autorité de protection de l’enfant et de l’adulte du 27 mars 2019. Or il ne ressort pas de cette décision que l’assuré avait besoin d’une assistance avant son hospitalisation en septembre 2017, ni d’éléments dont on pourrait inférer l’existence d’une incapacité de discernement antérieurement à 2017. Il en va de même du rapport médical du 14 mai 2019. Les médecins de l’Hôpital C.__, qui ont diagnostiqué notamment des troubles exécutifs précoces au moment de l’hospitalisation de l’assuré en août 2018, ont indiqué que les troubles psychiques et les difficultés d’autonomie du patient étaient plus manifestes depuis sa retraite. Toutefois ces éléments ne suffisent pas à admettre une incapacité de discernement en 2012, ni un état durable d’altération mentale lié à l’âge ou à la maladie, en présence duquel la personne en cause est en principe présumée dépourvue de la capacité d’agir raisonnablement (cf. arrêt 5A_951/2016 du 14 septembre 2017 consid. 3.1.3.1).

En d’autres termes, l’appréciation anticipée des preuves à laquelle a procédé la juridiction cantonale n’était pas arbitraire. Elle a à juste titre qualifié de superfétatoires les mesures probatoires complémentaires portant sur l’état de santé psychique de l’assuré au moment du dessaisissement (interrogatoire des deux médecins de l’Hôpital C.__, de la fille de l’assuré et de lui-même). La « perception directe de l’état mental » de l’assuré par les médecins, dont l’assuré se prévaut ne peut porter que sur « les défaillances observées » à partir de son hospitalisation et non sur la période de plus de cinq ans antérieure, ici déterminante.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_28/2021 consultable ici

 

 

9C_787/2020+9C_22/2021 (f) du 14.04.2021 – Décision incidente – Dommage irréparable pour l’administration mais pas pour l’assuré – 93 LTF / Dessaisissement de fortune – 11 al. 1 let. g LPC – 17a OPC-AVS/AI (teneur jusqu’au 31.12.2020)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_787/2020+9C_22/2021 (f) du 14.04.2021

 

Consultable ici

 

Décision incidente – Dommage irréparable pour l’administration mais pas pour l’assuré / 93 LTF

Dessaisissement de fortune / 11 al. 1 let. g LPC – 17a OPC-AVS/AI (teneur jusqu’au 31.12.2020)

 

A.__, ouvrier agricole né en 1959, est marié et père de deux enfants (nés en 1993 et 2000). Il est au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité depuis le 01.01.1996 et de prestations complémentaires cantonales et fédérales depuis le 01.03.2004.

Au cours d’une révision périodique du dossier, le Service des prestations complémentaires (ci-après: le SPC) a constaté que A.__ était propriétaire d’un bien immobilier non déclaré au Portugal, dont il avait fait donation à ses deux enfants en 2012. Par décisions, le SPC a procédé à un nouveau calcul du droit de A.__ à des prestations complémentaires et requis le remboursement d’un montant global de 113’163 fr. 40. Par décision sur opposition, le SPC a partiellement admis les oppositions de l’intéressé et réduit à 97’421 fr. le montant réclamé en restitution pour la période du 1 er octobre 2010 au 31 octobre 2017 (plus 2062 fr. de subsides de l’assurance-maladie et plus 97 fr. 65 de frais médicaux).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1112/2020 – consultable ici)

La juridiction cantonale a retenu qu’il était établi au degré de la vraisemblance prépondérante que l’assuré avait cherché à dissimuler l’existence d’un bien immobilier au Portugal, en cachant d’abord au SPC l’existence de ce bien, puis en organisant sa donation à ses enfants en 2012. Dès lors, elle a considéré qu’il se justifiait de prendre en compte dans le calcul du droit de l’assuré à des prestations complémentaires la valeur et les revenus hypothétiques de ce bien au titre de fortune pour les années 2010 et 2011, puis à titre de bien dessaisi à compter de 2012. Dans le plan de calcul des prestations complémentaires établi par le SPC, certains montants paraissaient cependant erronés.

Par jugement du 19.11.2020, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et renvoyant la cause au SPC pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

TF

Décision incidente – Dommage irréparable – 93 LTF

Dans un arrêt ATF 133 V 477, le Tribunal fédéral a précisé les notions de décisions finales, partielles, préjudicielles et incidentes au sens des art. 90 à 93 LTF. Il a considéré qu’un jugement de renvoi ne met pas fin à la procédure, de sorte qu’il ne constitue pas une décision finale au sens de la LTF. Les jugements de renvoi qui tranchent une question de droit matériel ne sont pas non plus des décisions partielles au sens de l’art. 91 let. a LTF car il ne s’agit pas de décisions qui statuent sur un objet dont le sort est indépendant de celui qui reste en cause. Ils constituent bien plutôt des décisions incidentes qui peuvent être attaquées séparément aux conditions prévues à l’art. 93 al. 1 LTF (ATF 133 V 477 consid. 4.2 p. 481 et les références).

En tant que la juridiction cantonale renvoie la cause au SPC pour procéder à de nouveaux calculs dans la prise en compte des biens dessaisis et de la fortune immobilière de l’assuré conformément aux considérants, son jugement constitue une décision incidente au sens de l’art. 93 LTF (ATF 144 V 280 consid. 1.2 p. 283; 139 V 99 consid. 1.3 p. 101 et la référence).

Dans son écriture, A.__, qui considère à tort que la décision attaquée est finale, n’expose nullement que la décision incidente litigieuse lui causerait un préjudice irréparable ou qu’une décision finale immédiate permettrait d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse. Faute d’un préjudice irréparable allégué ou manifeste au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 142 V 26 consid. 1.2 p. 28 et les références), le recours déposé par l’assuré contre le jugement du 19 novembre 2020 est irrecevable (cause 9C_22/2021).

Le renvoi de la cause pour instruction complémentaire et nouvelle décision cause en revanche un dommage irréparable au SPC dans la mesure où le jugement comporte des instructions contraignantes sur la manière dont l’administration devra trancher certains aspects du rapport litigieux, restreignant de manière importante sa latitude, et qu’elle ne peut plus, en conséquence, s’en écarter (ATF 145 V 266 consid. 1.3 p. 269; 145 I 239 consid. 3.3 p. 242; 144 V 280 consid. 1.2 p. 283). A ce titre, le recours du SPC contre le jugement du 19 novembre 2020 est recevable au regard de l’art. 93 LTF (cause 9C_787/2020).

 

Dessaisissement de fortune – 11 al. 1 let. g LPC – 17a OPC-AVS/AI

Il y a dessaisissement lorsque la personne concernée a renoncé à des éléments de revenu ou de fortune sans obligation juridique et sans avoir reçu en échange une contre-prestation équivalente, ces deux conditions étant alternatives (ATF 140 V 267 consid. 2.2 p. 269; 134 I 65 consid. 3.2 p. 70; 131 V 329 consid. 4.2 p. 332). Aux termes de l’art. 17a de l’ordonnance du 15 janvier 1971 sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité (OPC-AVS/AI), dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, la part de fortune dessaisie à prendre en compte (art. 11 al. 1 let. g LPC) est réduite chaque année de 10’000 francs (al. 1); la valeur de la fortune au moment du dessaisissement doit être reportée telle quelle au 1er janvier de l’année suivant celle du dessaisissement, pour être ensuite réduite chaque année (al. 2); est déterminant pour le calcul de la prestation complémentaire annuelle le montant réduit de la fortune au 1er janvier de l’année pour laquelle la prestation est servie (al. 3).

A.__ a procédé à la donation de son bien immobilier à ses enfants en juillet 2012. Il s’ensuit que la valeur de ce bien au moment de la donation (120’179 fr. 57) devait être reporté telle quelle au 01.01.2013, pour être ensuite réduite chaque année de 10’000 fr. En retenant que le montant du bien dessaisi s’élevait à 117’996 fr. 95 en 2013, la juridiction cantonale a violé l’anc. art. 17a al. 2 OPC-AVS/AI.

 

En ce qui concerne la part de fortune des enfants dont il n’est pas tenu compte dans le calcul des prestations complémentaires (au sens de l’anc. art. 8 OPC-AVS/AI), le SPC ne prétend pas qu’il serait contraint par les instructions de la juridiction cantonale de statuer dans un sens contraire au droit fédéral. Même si le SPC conteste la nécessité de reprendre ses calculs, car ceux-ci seraient selon lui déjà corrects, il n’y a pas lieu d’ouvrir la possibilité d’un recours immédiat uniquement pour améliorer ou compléter le cas échéant un considérant cantonal. En tout état de cause, le SPC dispose d’une latitude suffisante pour exposer dans la nouvelle décision qu’il est appelé à rendre la manière selon laquelle il exclut la part de fortune de l’enfant mineur dont il n’est pas tenu compte dans le calcul des prestations complémentaires. Le grief est ainsi irrecevable en l’état.

 

 

Le TF rejette le recours de l’assuré et admet partiellement le recours du Service des prestations complémentaires, annulant le jugement cantonal et la décision sur opposition du SPC, renvoyant la cause à ce dernier pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

 

Arrêt 9C_787/2020+9C_22/2021 consultable ici