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9C_787/2020+9C_22/2021 (f) du 14.04.2021 – Décision incidente – Dommage irréparable pour l’administration mais pas pour l’assuré – 93 LTF / Dessaisissement de fortune – 11 al. 1 let. g LPC – 17a OPC-AVS/AI (teneur jusqu’au 31.12.2020)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_787/2020+9C_22/2021 (f) du 14.04.2021

 

Consultable ici

 

Décision incidente – Dommage irréparable pour l’administration mais pas pour l’assuré / 93 LTF

Dessaisissement de fortune / 11 al. 1 let. g LPC – 17a OPC-AVS/AI (teneur jusqu’au 31.12.2020)

 

A.__, ouvrier agricole né en 1959, est marié et père de deux enfants (nés en 1993 et 2000). Il est au bénéfice d’une rente entière de l’assurance-invalidité depuis le 01.01.1996 et de prestations complémentaires cantonales et fédérales depuis le 01.03.2004.

Au cours d’une révision périodique du dossier, le Service des prestations complémentaires (ci-après: le SPC) a constaté que A.__ était propriétaire d’un bien immobilier non déclaré au Portugal, dont il avait fait donation à ses deux enfants en 2012. Par décisions, le SPC a procédé à un nouveau calcul du droit de A.__ à des prestations complémentaires et requis le remboursement d’un montant global de 113’163 fr. 40. Par décision sur opposition, le SPC a partiellement admis les oppositions de l’intéressé et réduit à 97’421 fr. le montant réclamé en restitution pour la période du 1 er octobre 2010 au 31 octobre 2017 (plus 2062 fr. de subsides de l’assurance-maladie et plus 97 fr. 65 de frais médicaux).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1112/2020 – consultable ici)

La juridiction cantonale a retenu qu’il était établi au degré de la vraisemblance prépondérante que l’assuré avait cherché à dissimuler l’existence d’un bien immobilier au Portugal, en cachant d’abord au SPC l’existence de ce bien, puis en organisant sa donation à ses enfants en 2012. Dès lors, elle a considéré qu’il se justifiait de prendre en compte dans le calcul du droit de l’assuré à des prestations complémentaires la valeur et les revenus hypothétiques de ce bien au titre de fortune pour les années 2010 et 2011, puis à titre de bien dessaisi à compter de 2012. Dans le plan de calcul des prestations complémentaires établi par le SPC, certains montants paraissaient cependant erronés.

Par jugement du 19.11.2020, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur opposition et renvoyant la cause au SPC pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

TF

Décision incidente – Dommage irréparable – 93 LTF

Dans un arrêt ATF 133 V 477, le Tribunal fédéral a précisé les notions de décisions finales, partielles, préjudicielles et incidentes au sens des art. 90 à 93 LTF. Il a considéré qu’un jugement de renvoi ne met pas fin à la procédure, de sorte qu’il ne constitue pas une décision finale au sens de la LTF. Les jugements de renvoi qui tranchent une question de droit matériel ne sont pas non plus des décisions partielles au sens de l’art. 91 let. a LTF car il ne s’agit pas de décisions qui statuent sur un objet dont le sort est indépendant de celui qui reste en cause. Ils constituent bien plutôt des décisions incidentes qui peuvent être attaquées séparément aux conditions prévues à l’art. 93 al. 1 LTF (ATF 133 V 477 consid. 4.2 p. 481 et les références).

En tant que la juridiction cantonale renvoie la cause au SPC pour procéder à de nouveaux calculs dans la prise en compte des biens dessaisis et de la fortune immobilière de l’assuré conformément aux considérants, son jugement constitue une décision incidente au sens de l’art. 93 LTF (ATF 144 V 280 consid. 1.2 p. 283; 139 V 99 consid. 1.3 p. 101 et la référence).

Dans son écriture, A.__, qui considère à tort que la décision attaquée est finale, n’expose nullement que la décision incidente litigieuse lui causerait un préjudice irréparable ou qu’une décision finale immédiate permettrait d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse. Faute d’un préjudice irréparable allégué ou manifeste au sens de l’art. 93 al. 1 let. a LTF (ATF 142 V 26 consid. 1.2 p. 28 et les références), le recours déposé par l’assuré contre le jugement du 19 novembre 2020 est irrecevable (cause 9C_22/2021).

Le renvoi de la cause pour instruction complémentaire et nouvelle décision cause en revanche un dommage irréparable au SPC dans la mesure où le jugement comporte des instructions contraignantes sur la manière dont l’administration devra trancher certains aspects du rapport litigieux, restreignant de manière importante sa latitude, et qu’elle ne peut plus, en conséquence, s’en écarter (ATF 145 V 266 consid. 1.3 p. 269; 145 I 239 consid. 3.3 p. 242; 144 V 280 consid. 1.2 p. 283). A ce titre, le recours du SPC contre le jugement du 19 novembre 2020 est recevable au regard de l’art. 93 LTF (cause 9C_787/2020).

 

Dessaisissement de fortune – 11 al. 1 let. g LPC – 17a OPC-AVS/AI

Il y a dessaisissement lorsque la personne concernée a renoncé à des éléments de revenu ou de fortune sans obligation juridique et sans avoir reçu en échange une contre-prestation équivalente, ces deux conditions étant alternatives (ATF 140 V 267 consid. 2.2 p. 269; 134 I 65 consid. 3.2 p. 70; 131 V 329 consid. 4.2 p. 332). Aux termes de l’art. 17a de l’ordonnance du 15 janvier 1971 sur les prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité (OPC-AVS/AI), dans sa version en vigueur jusqu’au 31 décembre 2020, la part de fortune dessaisie à prendre en compte (art. 11 al. 1 let. g LPC) est réduite chaque année de 10’000 francs (al. 1); la valeur de la fortune au moment du dessaisissement doit être reportée telle quelle au 1er janvier de l’année suivant celle du dessaisissement, pour être ensuite réduite chaque année (al. 2); est déterminant pour le calcul de la prestation complémentaire annuelle le montant réduit de la fortune au 1er janvier de l’année pour laquelle la prestation est servie (al. 3).

A.__ a procédé à la donation de son bien immobilier à ses enfants en juillet 2012. Il s’ensuit que la valeur de ce bien au moment de la donation (120’179 fr. 57) devait être reporté telle quelle au 01.01.2013, pour être ensuite réduite chaque année de 10’000 fr. En retenant que le montant du bien dessaisi s’élevait à 117’996 fr. 95 en 2013, la juridiction cantonale a violé l’anc. art. 17a al. 2 OPC-AVS/AI.

 

En ce qui concerne la part de fortune des enfants dont il n’est pas tenu compte dans le calcul des prestations complémentaires (au sens de l’anc. art. 8 OPC-AVS/AI), le SPC ne prétend pas qu’il serait contraint par les instructions de la juridiction cantonale de statuer dans un sens contraire au droit fédéral. Même si le SPC conteste la nécessité de reprendre ses calculs, car ceux-ci seraient selon lui déjà corrects, il n’y a pas lieu d’ouvrir la possibilité d’un recours immédiat uniquement pour améliorer ou compléter le cas échéant un considérant cantonal. En tout état de cause, le SPC dispose d’une latitude suffisante pour exposer dans la nouvelle décision qu’il est appelé à rendre la manière selon laquelle il exclut la part de fortune de l’enfant mineur dont il n’est pas tenu compte dans le calcul des prestations complémentaires. Le grief est ainsi irrecevable en l’état.

 

 

Le TF rejette le recours de l’assuré et admet partiellement le recours du Service des prestations complémentaires, annulant le jugement cantonal et la décision sur opposition du SPC, renvoyant la cause à ce dernier pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

 

Arrêt 9C_787/2020+9C_22/2021 consultable ici

 

 

9C_751/2018 (f) du 16.04.2019 – Prestations complémentaires – Evaluation de la fortune – 11 al. 1 LPC – 17 OPC-AVS/AI – 23 OPC-AVS/AI / Fortune et biens immobiliers en Tunisie – Caractère transférable des devises tunisiennes en Suisse / Estimation du prix d’appartements en Tunisie – Valeur locative

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_751/2018 (f) du 16.04.2019

 

Consultable ici

 

Prestations complémentaires – Evaluation de la fortune / 11 al. 1 LPC – 17 OPC-AVS/AI – 23 OPC-AVS/AI

Fortune et biens immobiliers en Tunisie – Caractère transférable des devises tunisiennes en Suisse

Estimation du prix d’appartements en Tunisie – Valeur locative

 

L’assuré perçoit une rente de vieillesse de l’AVS depuis le 01.06.2012. Il a sollicité le 24.09.2012, et obtenu dès le 01.01.2013, des prestations complémentaires de la caisse cantonale de compensation AVS (ci après : la caisse).

La caisse a appris le 18.07.2015 que l’assuré avait omis de déclarer les biens mobiliers et immobiliers qu’il détenait en Tunisie ainsi que les revenus qu’il en tirait. La caisse a requis la production de diverses pièces justificatives pour qu’elle puisse procéder à la révision du droit aux prestations complémentaires. Entre autres documents, elle a obtenu de l’intéressé sa décision de taxation 2014, des relevés de clôtures de son compte bancaire suisse pour les années 2012-2015, des certificats de copropriété relatifs à des terres agricoles, un contrat portant sur la vente d’un appartement sis à B.__, un acte constatant le partage d’un bien immobilier sis à C.__, un rapport d’expertise relatif à l’évaluation de la valeur d’une habitation de deux appartements sise à C.__ ainsi que des relevés de comptes bancaires tunisiens.

Sur la base de ces éléments, l’administration a recalculé le montant du droit aux prestations complémentaires puis réclamé le remboursement de 43’229 fr. payés indûment entre les 01.06.2012 et 31.10.2016. L’assuré s’y est opposé. Il contestait en particulier la prise en considération dans le calcul des prestations complémentaires de ses biens tunisiens dans la mesure où il ne pouvait ni les réaliser ni transférer des dinars tunisiens en Suisse. La caisse a rejeté l’opposition.

 

Procédure cantonale (arrêt PC 1/17 – 9/2018 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont retenu que la fortune tunisienne de l’assuré – immobilière, mobilière ainsi que les revenus qui en découlaient – devait être prise en compte pour calculer les prestations complémentaires et ont corroboré le montant fixé par la caisse. La cour cantonale a rappelé que, dans d’autres cas analogues, le Tribunal fédéral avait tenu compte de biens tunisiens.

Par jugement du 25.09.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon le Tribunal fédéral, il est vrai que la fortune déterminante au sens de l’art. 11 al. 1 let b et c LPC englobe effectivement les actifs que l’assuré a reçus et dont il peut disposer sans restriction. Les immeubles ainsi que les titres qu’il possède doivent donc être pris en compte dans le calcul des prestations complémentaires quelle que soit leur situation. L’OFAS a toutefois émis des directives selon lesquelles les éléments de fortune situés à l’étranger et ne pouvant être transférés en Suisse ou réalisés pour une raison quelconque ne doivent pas être pris en considération dans la fortune déterminante (ch. 3443.06 des Directives de l’OFAS concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI [DPC], valable dès le 1er avril 2011 [état: 1er janvier 2016]). Ce principe a été jugé conforme au droit fédéral (arrêt du Tribunal fédéral des assurances P 82/02 du 26 mai 2003 consid. 2.2; cf. également arrêt 9C_333/2016 du 3 novembre 2016 consid. 4.3.1, in SVR 2017 EL n° 1 p. 1).

En l’espèce, aucune des deux autorités (tribunal cantonal et la caisse de compensation) n’a réellement examiné la question du caractère transférable des devises tunisiennes en Suisse à la lumière des arguments avancés par l’assuré et des pièces produites par celui-ci. Or, si le site internet de la Poste tunisienne (www.poste.tn, consulté le 15 avril 2018) proposait effectivement toujours à ses clients divers moyens pour recevoir de l’argent de l’étranger et en transférer vers l’étranger sans mentionner de restrictions particulières, d’autres extraits internet (tels que le site swissbankers.ch) et d’autres documents (tels que le décret tunisien de 1977 concernant la législation des changes et le commerce extérieur) produits par l’assuré en instance cantonale suggèrent l’existence de telles restrictions. Par ailleurs, les premiers juges ne pouvaient se référer à l’arrêt 9C_540/2009 du 17 septembre 2009 pour justifier la prise en considération des biens tunisiens dans le calcul des prestations complémentaires dans la mesure où le consid. 3 de cet arrêt constate que, selon le droit tunisien, seul le produit de la vente d’un bien immobilier tunisien acquis en devises étrangères semble exportable. Or l’assuré prétend avoir hérité des appartements de C.__. Dans ces circonstances, ni la juridiction cantonale ni la caisse avant elle ne pouvaient se dispenser d’obtenir de l’assuré des renseignements fiables sur la façon dont celui-ci avait acquis ses biens en Tunisie (achat, héritage, etc.) et d’établir si l’éventuel produit de la vente de ces biens était transférable en Suisse au besoin en requérant des informations à ce propos auprès de l’ambassade tunisienne ou de l’ambassade suisse en Tunisie à l’instar de ce qui avait été réalisé dans le cas objet de l’arrêt P 82/02 du 26 mai 2003.

 

S’agissant de l’estimation du prix des appartements de C.__, on relèvera que le Tribunal fédéral admet la possibilité de se référer à un rapport d’expertise réalisée à l’étranger pour déterminer la valeur d’un immeuble s’il n’est pas raisonnablement possible de procéder à une autre estimation (cf. arrêt 9C_540/2009 du 17 septembre 2009 consid. 5.2). Les juges cantonaux ne pouvaient toutefois inférer du seul fait que les autorités tunisiennes avaient pris des mesures « pour démanteler les cellules terroristes et renforcer la sécurité dans les lieux à forte influence » que les experts avaient tenu compte de l’influence des attentats commis en Tunisie en 2015 lors de l’évaluation des biens immobiliers. L’absence de toute répercussion sur le marché immobilier, pas plus que l’éventuelle diminution de valeur que pourraient engendrer de tels événements ne peuvent être en soi exclues et ne ressortent en tout cas pas du rapport d’expertise produit. Il appartenait à la caisse et à la juridiction cantonale de s’en assurer, au besoin avec l’aide de l’assuré, auprès de professionnel de l’immobilier.

S’agissant en outre de la valeur locative des appartements en question telle que fixée par la caisse et entérinée par le tribunal cantonal, on relèvera que le montant qui doit en principe être pris en considération à titre de loyer lorsqu’un immeuble est vide alors même qu’une location serait possible est le loyer qui est usuellement pratiqué dans la région ou, autrement dit, un loyer conforme à la loi du marché (ch. 3433.03 des DPC; arrêt P 33/05 du 8 novembre 2005 consid. 4). En l’occurrence, il apparaît que la caisse et les juges cantonaux n’ont entrepris aucune démarche pour déterminer le loyer que pourrait effectivement obtenir l’assuré. Il leur aurait appartenu de le faire en vertu de leur devoir respectif d’instruction, au besoin en demandant la participation de l’assuré, avant de mettre en application une autre méthode.

 

Le TF admet le recours de l’assuré. Le jugement cantonal et la décision administrative doivent être annulés et la cause renvoyée à la caisse de compensation pour qu’elle complète l’instruction dans le sens des considérants.

 

 

Arrêt 9C_751/2018 consultable ici