8C_184/2025 (f) du 15.09.2025 – Réparation du dommage causé par l’office AI lors d’un entretien de détection précoce – Condition de l’illicéité / Devoir de conseil de l’assureur social

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_184/2025 (f) du 15.09.2025

 

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Réparation du dommage causé par l’office AI lors d’un entretien de détection précoce – Condition de l’illicéité / 78 LPGA – 3 al. 1 LRCF

Devoir de conseil de l’assureur social / 27 LPGA

Notion de la détection précoce / 3a LAI

 

Résumé
L’assurée reprochait à l’office AI de ne pas l’avoir invitée à déposer une demande de prestations ni informée des conditions ouvrant le droit à une rente lors de la procédure de détection précoce en février 2017. Elle estimait que cette omission constituait une violation du devoir de conseil et engageait la responsabilité de l’office AI. Le Tribunal fédéral a confirmé que l’administration avait agi conformément à la volonté exprimée par l’assurée de se réadapter seule, dans un contexte d’amélioration – certes sensible – de son état de santé, et qu’aucune obligation spécifique d’information ne s’imposait alors à l’office AI. Faute d’acte illicite, la demande en réparation du dommage a donc été rejetée.

 

Faits
Assurée, née en 1965, exerce depuis 2007 comme kinésiologue, thérapeute et masseuse indépendante. En janvier 2017, elle a signalé des difficultés à l’office AI par le biais d’un formulaire de détection précoce. Son dossier d’assurance perte de gain faisait état d’une maladie de Lyme et d’une une incapacité de travail totale du 22.06.2016 au 09.10.2016 et de 70% depuis le 10.10.2016. Lors d’un entretien de détection précoce le 01.02.2017, elle a mentionné vouloir reprendre progressivement son activité et éventuellement suivre une formation complémentaire. Le 08.02.2017, l’office AI lui a indiqué qu’une demande AI formelle n’était pas nécessaire pour le moment, tout en restant disponible pour soutenir financièrement d’éventuels cours.

En juin 2018, l’assurée a sollicité une aide financière, invoquant un diagnostic de polyarthrite rhumatoïde sévère posé en avril 2017 et une aggravation de son état. Elle a ensuite déposé une demande formelle de prestations AI le 25.09.2018. Par décisions des 14.04.2.023 et 06.06.2023, l’office AI lui a accordé une rente entière du 01.03.2019 au 31.08.2019 puis une demi-rente dès le 01.09.2019.

Le 07.06.2023, l’assurée a déposé auprès de l’office AI une demande en réparation du dommage, estimant que l’office AI ne l’avait pas correctement informée lors de la détection précoce en 2017, ce qui l’aurait privée d’une rente entière entre août 2017 et février 2019. Le 29.06.2023, l’office a rejeté la demande en niant toute faute.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 242/23 – 49/2025 – consultable ici)

Par jugement du 24.02.2025, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1.1
Aux termes de l’art. 78 al. 1 LPGA, les corporations de droit public, les organisations fondatrices privées et les assureurs répondent, en leur qualité de garants de l’activité des organes d’exécution des assurances sociales, des dommages causés illicitement à un assuré ou à des tiers par leurs organes d’exécution ou par leur personnel. Cette disposition institue une responsabilité causale et ne présuppose donc pas une faute d’un organe de l’institution d’assurance. Les corporations de droit public, les organisations fondatrices privées et les assureurs répondent donc si un organe ou un agent accomplit, en sa qualité d’organe d’exécution de la loi, un acte illicite et dommageable. Il doit en outre exister un rapport de causalité entre l’acte et le dommage (ATF 133 V 14 consid. 7).

Consid. 3.1.2
Selon l’art. 3 al. 1 LRCF (RS 170.32) – auquel renvoie l’art. 78 al. 4 LPGA -, la Confédération répond du dommage causé sans droit à un tiers par un fonctionnaire dans l’exercice de ses fonctions, sans égard à la faute du fonctionnaire. La condition de l’illicéité au sens de l’art. 3 al. 1 LRCF suppose la violation par l’État, au travers de ses organes ou agents, d’une norme protectrice des intérêts d’autrui en l’absence de motifs justificatifs (consentement, intérêt public prépondérant, etc.). La jurisprudence a également considéré comme illicite la violation de principes généraux du droit ou encore, selon les circonstances, un excès ou un abus du pouvoir d’appréciation conféré par la loi. L’illicéité peut d’emblée être réalisée si le fait dommageable découle de l’atteinte à un droit absolu (vie, santé ou droit de propriété). Si, en revanche, le fait dommageable consiste en une atteinte à un autre intérêt (par exemple le patrimoine), l’illicéité suppose que l’auteur ait violé une norme de comportement ayant pour but de protéger le bien juridique lésé (Verhaltensunrecht) (ATF 148 II 73 consid. 3.2; 144 I 318 consid. 5.5; 139 IV 137 consid. 4.2; 137 V 76 consid. 3.2).

Une omission peut constituer un acte illicite uniquement s’il existe une disposition la sanctionnant ou imposant de prendre la mesure omise. Ce chef de responsabilité suppose que l’État se trouve dans une position de garant à l’égard du lésé et que les prescriptions déterminant la nature et l’étendue de ce devoir aient été violées (ATF 148 II 73 consid. 3.2; 144 I 318 consid. 5.5; 137 V 76 consid. 3.2; 133 V 14 consid. 8.1).

Consid. 3.2.1
L’art. 27 LPGA prévoit que dans les limites de leur domaine de compétence, les assureurs et les organes d’exécution des diverses assurances sociales sont tenus de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations (al. 1) et que chacun a le droit d’être conseillé, en principe gratuitement, sur ses droits et obligations (al. 2, première phrase).

Consid. 3.2.2
Le devoir de conseil de l’assureur social au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA comprend l’obligation d’attirer l’attention de la personne intéressée sur le fait que son comportement pourrait mettre en péril la réalisation de l’une des conditions du droit aux prestations. Les conseils ou renseignements portent sur les faits que la personne qui a besoin de conseils doit connaître pour pouvoir correctement user de ses droits et obligations dans une situation concrète face à l’assureur. Le devoir de conseil s’étend non seulement aux circonstances de fait déterminantes, mais également aux circonstances de nature juridique. Son contenu dépend entièrement de la situation concrète dans laquelle se trouve l’assuré, telle qu’elle est reconnaissable pour l’administration (ATF 139 V 524 consid. 2.2; 131 V 472 consid. 4.3; arrêt 8C_419/2022 du 6 avril 2023 consid. 4.2 in fine et l’arrêt cité).

Consid. 3.3.1
Selon l’art. 29 al. 1 LPGA, celui qui fait valoir son droit à des prestations doit s’annoncer à l’assureur compétent, dans la forme prescrite pour l’assurance sociale concernée. En vertu de l’art. 28 al. 1 LAI – dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, applicable ratione temporis au cas d’espèce (cf. ATF 150 V 323 consid. 4.2; 150 II 390 consid. 4.3; 149 II 320 consid. 3) -, l’assuré a droit à une rente aux conditions suivantes: sa capacité de gain ou sa capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles (let. a); il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable (let. b); au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins (let. c). Conformément à l’art. 29 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29 al. 1 LPGA, mais pas avant le mois qui suit le 18 e anniversaire de l’assuré (al. 1); la rente est versée dès le début du mois au cours duquel le droit prend naissance (al. 3).

Consid. 3.3.2
Selon l’art. 3a al. 1 LAI, la détection précoce a pour but de prévenir l’invalidité (art. 8 LPGA) de personnes en incapacité de travail (art. 6 LPGA). L’art. 3c LAI dispose que l’office AI examine la situation personnelle de l’assuré, en particulier son incapacité de travail et les causes et conséquences de celle-ci, et détermine si des mesures d’intervention précoce au sens de l’art. 7d sont indiquées (al. 2, première phrase); il peut inviter l’assuré et, si besoin est, son employeur à un entretien de conseil (al. 2, seconde phrase); au besoin, l’office AI ordonne à l’assuré de s’annoncer à l’AI conformément à l’art. 29 LPGA (al. 6, première phrase); il l’informe du fait que les prestations peuvent être réduites ou refusées s’il ne s’annonce pas dans les meilleurs délais (al. 6, seconde phrase).

L’art. 1quinquies RAI – dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, applicable au cas d’espèce – prévoit que l’office AI peut convoquer l’assuré à un entretien de détection précoce dont le but est d’évaluer si le dépôt d’une demande de prestations AI est indiqué (al. 1); l’entretien de détection précoce vise notamment à analyser la situation médicale, professionnelle et sociale de l’assuré (al. 1 let. a).

Une annonce de détection précoce ne constitue pas une demande de prestations de l’assurance-invalidité au sens de l’art. 29 al. 1 LPGA (arrêts 9C_324/2021 du 16 septembre 2021 consid. 5.2; 9C_463/2014 du 9 septembre 2014 consid. 3.2 et les références citées).

Consid. 6.1 [résumé]
L’assurée invoque une violation des art. 78 al. 1 et 27 LPGA. Elle reproche à la cour cantonale d’avoir admis que l’office AI ne l’avait ni invitée à déposer une demande de prestations à la suite de la détection précoce, ni informée de son éventuel droit à une rente d’invalidité. Elle soutient que cette omission d’information constitue une violation du devoir de conseil prévu à l’art. 27 LPGA, puisqu’elle n’a pas été renseignée sur les conditions juridiques entourant l’ouverture du droit aux prestations, notamment le délai de six mois fixé par l’art. 29 al. 1 LAI. Selon elle, aucune justification ne permettait à l’office AI de s’abstenir de cette information.

En février 2017, son incapacité de travail durait depuis huit mois, son activité était fortement réduite par ses atteintes à la santé et elle cherchait déjà à se réorienter par des formations personnelles. Or, la cour cantonale aurait ainsi dispensé l’office AI de tout devoir de conseil dès lors qu’un assuré tente spontanément de réduire son dommage, ce qui serait contraire au sens de l’art. 27 LPGA.

De plus, l’assurée conteste avoir refusé toute aide de l’office AI. Elle affirme au contraire avoir été incitée par la spécialiste en réinsertion à ne pas déposer de demande AI. Elle souligne qu’en l’absence d’explications sur les conditions d’octroi d’une rente, elle n’était pas en mesure de choisir en connaissance de cause de faire valoir son droit. Même si elle avait exprimé un refus d’aide, l’office AI aurait dû, selon elle, l’avertir que ne pas déposer une demande pouvait l’exposer à une perte rétroactive de rente en vertu de l’art. 29 al. 1 LAI.

Dans ces conditions, l’office AI aurait omis de l’informer en violation de l’art. 27 LPGA, ce qui serait constitutif d’un acte illicite. Dès lors qu’elle aurait subi un dommage et que le lien de causalité entre celui-ci et l’acte illicite serait donné, les conditions de la responsabilité de l’office AI, au sens de l’art. 78 al. 1 LPGA, seraient réalisées.

Consid. 6.2.1 [résumé]

L’assurée soutenait qu’elle n’avait jamais déclaré, lors de l’entretien du 01.02.2017, refuser l’aide de l’office AI, et qu’au contraire, la conseillère en réinsertion l’aurait incitée à ne pas déposer de demande de prestations. L’assurée remet en cause les faits retenus par la cour cantonale sans démontrer d’arbitraire. En conséquence, les faits constatés définitivement dans l’arrêt cantonal demeurent applicables. Ainsi, il est retenu qu’au cours de la détection précoce, l’assurée a exprimé la volonté de se réorienter par ses propres moyens et qu’il a été convenu, d’un commun accord avec la conseillère en réinsertion, de ne pas introduire de demande AI à ce stade.

Consid. 6.2.2
Selon les faits constatés sans arbitraire par le tribunal cantonal (cf. consid. 5 et 6.2.1 supra), l’assurée a effectué une annonce de détection précoce sur demande expresse de son assureur perte de gain, et non pas de sa propre initiative. Lors de l’entretien du 01.02.2017, elle a clairement exprimé son souhait de ne pas être aidée par l’office AI, en précisant ne pas voir le sens de sa démarche auprès de celui-ci. Elle indiquait vouloir diversifier ses activités en suivant des formations complémentaires. Au moment de la phase de détection précoce, elle avait d’ailleurs déjà entamé des formations de Qi Gong et d’animation d’ateliers de coaching et avait l’intention d’entreprendre une formation pour enseigner une introduction à la philosophie. Au plan médical, les rapports que s’est procurés l’office AI mentionnaient une évolution lentement favorable et une amélioration de la capacité de travail à compter du 10.09.2016.

Compte tenu de la posture de l’assurée et des informations à sa disposition en février 2017, l’office AI pouvait légitimement penser que celle-ci était en mesure de se réinsérer professionnellement toute seule et qu’une demande de prestations n’était pas indiquée.

A posteriori, il apparaît certes qu’il aurait été préférable que l’office AI attire expressément l’attention de l’assurée sur les conditions d’octroi d’une rente d’invalidité, en particulier sur les délais prévus aux art. 28 al. 1 let. b et 29 al. 1 LAI, dans l’hypothèse où l’évolution en cours ne devait pas se poursuivre comme attendu. Il reste que dans les circonstances connues de l’office AI à l’époque, l’omission d’un tel renseignement ne constitue pas une violation de l’art. 27 al. 2 LPGA et, partant, n’est pas illicite au sens de l’art. 78 al. 1 LPGA. Au vu notamment des démarches déjà entreprises par l’assurée pour diversifier son activité, de l’amélioration apparemment en cours de son état de santé et du fait que l’assurée elle-même avait indiqué ne pas souhaiter d’aide de l’assurance-invalidité hormis le financement d’une formation si besoin, l’office AI pouvait raisonnablement considérer qu’il n’y avait pas à s’attendre à une invalidité imminente. Il s’ensuit que l’arrêt cantonal échappe à la critique et que le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_184/2025 consultable ici

 

 

 

8C_517/2024 (f) du 28.08.2025 – Suicide, traitement médicamenteux (Citalopram et Dalmadorm) et capacité de discernement au moment de l’acte / 37 al. 1 LAA – 48 OLAA – 16 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_517/2024 (f) du 28.08.2025

 

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Suicide, traitement médicamenteux (Citalopram et Dalmadorm) et capacité de discernement au moment de l’acte / 37 al. 1 LAA – 48 OLAA – 16 CC

Expertise judiciaire pharmacologique – Capacité de discernement ne peut être attestée que par un-e psychiatre

 

Résumé
Un assuré a été retrouvé pendu à son domicile peu après l’introduction d’un traitement antidépresseur au Citalopram. Son épouse et ses enfants soutenaient qu’il avait agi sans discernement en raison d’effets indésirables liés au médicament. Après avoir refusé ces prestations, l’assurance-accidents avait vu sa décision annulée par la juridiction cantonale, laquelle s’était fondée sur une expertise pharmacologique concluant à une altération significative du discernement de l’assuré.

Le Tribunal fédéral a jugé que cette expertise, d’ordre pharmacologique uniquement, ne suffisait pas à établir une incapacité totale de discernement au moment du passage à l’acte. Considérant que seul un psychiatre pouvait se prononcer sur ce point, il a estimé que l’instruction demeurait incomplète. L’arrêt cantonal a été annulé et la cause renvoyée pour mise en œuvre d’une expertise psychiatrique, puis nouvelle décision sur le droit éventuel aux prestations.

 

Faits
Assuré, né en 1974, marié et père de deux enfants nés en 2005 et 2010, travaillait comme délégué médical. Depuis 2015, il avait été suivi par un psychiatre pour une dépression, traitée par médicaments, avec une amélioration initiale suivie d’une rechute en novembre 2016. Le psychiatre traitant lui avait alors prescrit un traitement antidépresseur (Citalopram et Dalmadorm).

Le 25.11.2016, son épouse partie au travail et son fils aîné à l’école, l’assuré avait amené son fils cadet à l’école avant de rentrer à la maison pour travailler. À son retour du travail à 17h45, l’épouse avait découvert le corps de son époux, lequel s’était pendu dans un appentis de la cave de leur villa.

L’assurance-accidents avait mené des investigations, notamment en s’entretenant avec l’épouse du défunt, et recueilli les avis du psychiatre traitant et du psychiatre-conseil. Par décision du 13.07.2017, elle avait refusé toute prestation, hormis les frais funéraires, considérant que le décès résultait d’un acte volontaire.

La veuve et ses enfants, représentés par un avocat, avaient formé opposition, soutenant que l’assuré était dénué de discernement au moment de son suicide à la suite de la prise de l’antidépresseur Citalopram. Ils avaient en outre contesté la valeur du rapport du psychiatre-conseil, estimé incomplet, et requis une expertise psychiatrique externe. L’assurance-accidents avait rejeté l’opposition le 29.01.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 44/18 – 84/2024 – consultable ici)

Saisi d’un recours, le tribunal cantonal avait ordonné une expertise pharmacologique confiée au Dr H.__, lequel avait conclu, dans son rapport du 29 décembre 2021, à une participation significative du Citalopram dans le geste suicidaire. Après la production des déterminations de l’assurance-accidents et du rapport de sa médecin-conseil, spécialiste en chirurgie générale et traumatologie, la juridiction cantonale avait, par arrêt du 18 juillet 2024, admis le recours, annulé la décision sur opposition et renvoyé la cause à l’assurance-accidents pour qu’elle fixe les prestations de survivants dues à la veuve et aux orphelins, tout en mettant les frais d’expertise, d’un montant de 3’000 francs, à la charge de l’assurance-accidents.

 

TF

Consid. 3.1
Il est établi que le décès de l’assuré était la conséquence d’un suicide. Est en revanche litigieuse la question de savoir si, au moment de l’acte, celui-ci était totalement incapable de se comporter raisonnablement, respectivement privé de sa capacité de discernement, sans faute de sa part.

Consid. 3.2
L’arrêt entrepris expose correctement les règles légales (art. 4 LPGA, 6 al. 1 et 37 al. 1 LAA, 48 OLAA) et la jurisprudence sur les conditions dans lesquelles les suites d’un suicide sont prises en charge par l’assurance-accidents; il suffit d’y renvoyer. Il rappelle à juste titre que le suicide comme tel n’est un accident assuré, conformément à l’art. 48 OLAA, que s’il a été commis dans un état d’incapacité de discernement au sens de l’art. 16 CC. Pour qu’un assureur-accident soit tenu de verser des prestations, il faut établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, l’existence d’une maladie psychique ou d’un trouble sévère de la conscience. Cela implique la preuve de symptômes psychopathologiques tels que des idées délirantes, des hallucinations, un état de stupeur dépressif (état d’agitation aiguë avec tendance suicidaire), un raptus (état d’excitation soudaine en tant que symptôme d’un trouble psychique), ou autres manifestations similaires. Le motif de suicide ou de la tentative de suicide doit découler directement de cette symptomatologie psychiatrique. Autrement dit, l’acte ne doit pas seulement apparaître disproportionné mais insensé (arrêts 8C_791/2023 du 18 juin 2024 consid. 3.2; 8C_359/2021 du 7 juillet 2021 consid. 2.3; HANS KIND, Suizid oder « Unfall » ?, Die psychiatrischen Voraussetzungen für die Anwendung von Art. 48 UVV, RSAS 1993, p. 291). L’incapacité de discernement n’est donc pas appréciée dans l’abstrait, mais concrètement, par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance, les facultés requises devant exister au moment de l’acte (principe de la relativité du discernement; voir par exemple ATF 150 III 147 consid. 7.3).

Consid. 3.3
Pour établir l’absence de capacité de discernement, il ne suffit pas de considérer l’acte de suicide et, partant, d’examiner si cet acte est déraisonnable. Il convient bien plutôt d’examiner, compte tenu de l’ensemble des circonstances, en particulier du comportement et des conditions d’existence de l’assuré avant le suicide, s’il était raisonnablement en mesure d’éviter ou non de mettre fin ou de tenter de mettre fin à ses jours. Il n’y a pas lieu d’imposer des exigences strictes pour prouver l’incapacité de discernement; celle-ci est réputée établie lorsqu’un acte suicidaire motivé par des pulsions irrésistibles semble plus probable qu’un acte encore largement rationnel et volontaire (arrêt 8C_359/2021 du 7 juillet 2021 consid. 2.4 avec renvois).

Consid. 3.4
Celui qui prétend des prestations d’assurance doit, en cas de suicide ou de tentative de suicide, apporter la preuve de l’incapacité de discernement au moment de l’acte au sens de l’art. 16 CC (arrêts 8C_791/2023 du 18 juin 2024 consid. 3.4; 8C_359/2021 du 7 juillet 2021 consid. 2.5; 8C_662/2015 du 30 novembre 2015 consid. 3.2; RAMA 1996 n° U 247 p. 168 consid. 2a, 1988 n° U 55 p. 361 consid. 1b). Dans la procédure en matière d’assurance sociale, régie par le principe inquisitoire, les parties ne supportent pas le fardeau de l’administration des preuves. Les parties assument néanmoins le fardeau de la preuve en ce sens qu’elles supportent les conséquences de l’éventuelle absence de preuve des faits dont elles entendent déduire un droit. Cette règle de preuve ne s’applique toutefois que lorsqu’il est impossible, en se fondant sur l’appréciation des preuves recueillies conformément au principe inquisitoire, d’établir un état de fait qui apparaisse au moins vraisemblablement correspondre à la réalité (ATF 138 V 218 consid. 6; 117 V 261 consid. 3b).

Consid. 3.5
Les constatations relatives à l’état de santé mentale d’une personne, la nature et l’importance d’éventuels troubles de l’activité de l’esprit, le fait que la personne concernée pouvait se rendre compte des conséquences de ses actes et pouvait opposer sa propre volonté aux personnes cherchant à l’influencer, relèvent de l’établissement des faits. En revanche, la conclusion que le juge en a tirée quant à la capacité, ou non, d’agir raisonnablement relève du droit et le Tribunal fédéral la revoit librement (ATF 144 III 264 consid. 6.2.1; 124 III 5 consid. 4; 117 II 231 consid. 2c).

Consid. 3.6
On rappellera, s’agissant de la valeur probante d’une expertise judiciaire, que le juge ne s’écarte en principe pas sans motifs impérieux de ses conclusions (ATF 143 V 269 consid. 6.2.3.2; 125 V 351 consid. 3b/aa), la tâche de l’expert étant précisément de mettre ses connaissances spéciales à la disposition de la justice afin de l’éclairer sur les aspects médicaux d’un état de fait donné. Selon la jurisprudence, peut notamment constituer une raison de s’écarter d’une expertise judiciaire le fait que celle-ci contient des contradictions ou qu’une surexpertise ordonnée par le tribunal en infirme les conclusions de manière convaincante. En outre, lorsque d’autres spécialistes émettent des opinions contraires aptes à mettre sérieusement en doute la pertinence des déductions de l’expert, on ne peut pas exclure, selon les cas, une interprétation divergente des conclusions de ce dernier par le juge ou, au besoin, une instruction complémentaire sous la forme d’une nouvelle expertise médicale (ATF 135 V 465 consid. 4.4).

Consid. 4.1 [résumé]
La juridiction cantonale a constaté que l’assuré souffrait d’un trouble dépressif récurrent, dont les premiers signes remontaient à 2007. En avril 2015, devant l’aggravation des symptômes anxio-dépressifs, son médecin généraliste lui avait prescrit un traitement associant de la Paroxétine (Deroxat), du chlordiazepoxide (Tranxilium) et de l’oxazepam (Seresta). Ce traitement, ayant provoqué une aggravation de l’état et l’apparition d’une idéation suicidaire, avait été interrompu après deux semaines. L’assuré avait alors été adressé au Centre K.__ pour une décompensation anxieuse et dépressive avec idéation suicidaire; un traitement ambulatoire avait été instauré, posant les diagnostics de dysthymie et de trouble dépressif chronique de degré moyen. L’assuré avait bénéficié d’un arrêt de travail et du Tranxilium lui avait été prescrit, ce qui avait conduit à une amélioration de la symptomatologie.

À la suite de cet épisode, il avait été suivi par son psychiatre traitant, qui lui avait prescrit de l’agomélatine (Valdoxan) et de l’oxazepam (Seresta) en réserve, permettant une reprise de l’activité professionnelle. En novembre 2016, dans un contexte professionnel tendu et après l’aggravation progressive d’une humeur dépressive avec anxiété, insomnie et idées suicidaires, l’assuré avait consulté son psychiatre traitant le 21.11.2016. Celui-ci avait diagnostiqué un épisode dépressif moyen et prescrit du Citalopram et du Dalmadorm. Après avoir célébré sans incident l’anniversaire de son fils aîné le 23 novembre, l’assuré avait présenté dès le lendemain un état mélancolique marqué, associant mutisme, apathie, anorexie et retrait social. Le 25.11.2016, son épouse partie au travail, l’assuré avait accompagné son cadet à l’école comme convenu, étant prévu qu’il travaille ensuite depuis son domicile. Cependant, rentré à la maison, il avait mis fin à ses jours en se pendant avec une lanière en plastique dans un appentis de la cave de la maison familiale, sans laisser de message d’adieu.

Consid. 4.2.1 [résumé]
La juridiction cantonale a relevé que, selon l’expertise pharmacologique du docteur H.__, les antidépresseurs appartenant à la classe des inhibiteurs sélectifs de la recapture de la sérotonine (ISRS), tels que le Citalopram, pouvaient provoquer chez certains patients dépressifs un passage à l’acte suicidaire. Ce risque survenait en particulier au début du traitement, lorsque l’activation psychique induite par le médicament apparaissait avant que ne s’améliorent l’humeur et les pensées dépressives, processus nécessitant plusieurs semaines. L’expert a expliqué que cette activation pouvait entraîner une tension intérieure, un sentiment d’inconfort, de l’anxiété, une agitation mentale, une impatience, des bouffées de panique ou de désespoir, voire une «envie impérieuse d’en finir à tout prix».

Il a ajouté que ce traitement induisait souvent une forme de détachement émotionnel, en dissociant les événements vécus et les idées des émotions qu’ils devraient susciter. Ce détachement pouvait aider un patient à prendre de la distance face à ses difficultés, mais aussi altérer sa prise de conscience des conséquences de ses actes et son empathie. Ces complications comportementales représentaient le versant psychique d’un « syndrome sérotoninergique », pouvant s’accompagner de signes neurologiques tels que tremblements, hypertonie musculaire, réflexes ostéo-tendineux hyper-vifs, agitation motrice, accélération du transit, nausées et perte d’appétit.

Consid. 4.2.2 [résumé]
Le docteur H.__, après avoir mentionné plusieurs études sur la suicidalité induite par les antidépresseurs, a indiqué que retenir un rôle causal d’un médicament psychotrope dans le déclenchement d’un comportement funeste revenait à se convaincre que ce comportement aurait été significativement moins susceptible de survenir en l’absence d’exposition à la substance incriminée. Selon les critères pharmacologiques, un doublement du risque basal est considéré comme indiquant un impact « significatif » d’un médicament sur l’occurrence d’un événement indésirable.

En l’espèce, les éléments cliniques et épidémiologiques réunis permettaient de retenir un lien causal entre la prise de Citalopram et le passage à l’acte suicidaire. L’expert a souligné la proximité temporelle entre le début du traitement et le suicide, les signes cliniques apparus la veille, l’absence de préméditation, de message d’adieu ou d’explications, ainsi que la contradiction entre l’estime exprimée par l’assuré envers sa famille et la gravité de son geste. Ces aspects correspondaient au tableau typique d’une toxicité comportementale induite par le traitement.

Il a également noté que des antécédents familiaux de dépression et de comportements suicidaires, la possibilité d’un trouble cyclique de l’humeur et une mauvaise tolérance antérieure à la Paroxétine constituaient des facteurs de risque supplémentaires. Enfin, l’expert a rappelé qu’un risque suicidaire préexiste chez tout patient dépressif, mais que ce risque augmente significativement dans les jours et semaines suivant l’introduction d’un antidépresseur sérotoninergique tel que le Citalopram. Sur cette base, l’expert a conclu qu’il était vraisemblable, à plus de 50 %, que l’assuré présentait une altération de sa capacité de discernement, au moment du passage à l’acte, et que son acte n’était ainsi pas volontaire.

Consid. 4.3 [résumé]
Les juges cantonaux ont procédé à une comparaison entre l’appréciation de la médecin-conseil et celle de l’expert H.__. Ils ont rappelé que la question de savoir si l’assuré s’était suicidé dans un état d’incapacité de discernement devait être tranchée selon le degré de la vraisemblance prépondérante, puisqu’il était impossible d’établir avec certitude les circonstances exactes du passage à l’acte. S’ils ont reconnu que certaines formulations de l’expert pouvaient prêter à confusion, notamment l’emploi des termes «possible» et «vraisemblable», ils ont retenu que ses conclusions demeuraient claires et cohérentes. Selon lui, le Citalopram avait provoqué, au degré de la vraisemblance prépondérante, le passage à l’acte de l’assuré.

La médecin-conseil, en revanche, s’était essentiellement fondée sur sa propre interprétation des faits, jugée peu convaincante. Elle avait minimisé la sensibilité antérieure de l’assuré aux antidépresseurs sérotoninergiques, alors même qu’en 2015, une telle médication avait aggravé les idées suicidaires au point de motiver l’arrêt du traitement et d’envisager une hospitalisation. Les juges cantonaux ont souligné que ces antécédents démontraient que l’assuré appartenait à la catégorie de patients réagissant mal à ce type de médicament, lequel accentuait son état dépressif et ses pensées suicidaires.

Ils ont également constaté que la médecin-conseil n’avait pas pris en compte le changement brutal d’attitude observé la veille du décès, son épouse l’ayant retrouvé le soir amorphe et sans appétit, élément qui plaidait également en faveur d’effets indésirables des antidépresseurs, comme en 2015. Ces éléments affaiblissaient les objections formulées par la médecin-conseil et confirmaient la pertinence des conclusions de l’expert H.__. En conséquence, l’instance cantonale a retenu, sur la base de cette expertise, que l’assuré était privé de sa capacité de discernement au moment du suicide.

Consid. 6.1
L’expert H.__ a certes indiqué que la prise de Citalopram avait considérablement augmenté le risque de suicide dans le cas de l’assuré (de l’ordre de 2 à 10 fois le risque de base lié au seul trouble psychiatrique et à la personnalité du patient). Toutefois, il ne suffit pas qu’il existe un lien de causalité entre la prise de Citalopram et le suicide. Pour qu’un accident soit reconnu, il faut que la personne soit totalement incapable de discernement au moment du passage à l’acte. À la question de savoir si le Citalopram était en mesure d’altérer la capacité de discernement, l’expert H.__ a répondu qu’il pouvait induire des modifications du fonctionnement psychique impactant la manière d’apprécier une situation et de prendre des décisions en conséquence. Même si l’on peut admettre que la prise de Citalopram ait pu altérer la capacité de discernement de l’assuré, il n’est pas possible d’en inférer que l’assuré ait été totalement privé de sa capacité de discernement au moment du passage à l’acte. À aucun moment l’expert n’a constaté que la capacité de discernement de l’assuré avait totalement disparu.

Comme le fait valoir l’assurance-accidents recourante, l’expert a conclu que l’incapacité de discernement n’était probablement pas « totale ». Il a également précisé que les antidépresseurs ne provoquaient pour ainsi dire pas de délire, de confusion ni d’état crépusculaire propres à abolir complètement la capacité de discernement. Cela étant, si d’un point de vue psychologique, la capacité de discernement présente tous les degrés possibles, allant de la pleine capacité à tous les niveaux de diminution, jusqu’à l’absence totale de discernement (HANS KIND, op. cit., p. 277), d’un point de vue juridique en revanche, il n’existe pas de gradation dans l’appréciation de la capacité de discernement: la capacité de discernement est suffisante ou non, elle existe ou n’existe pas au moment déterminant par rapport à un acte donné (YVES DONZALLAZ, Traité de droit médical, Vol. III, 2021, n° 7020 p. 3383). Par conséquent, on ne peut pas parler, en relation avec un acte déterminé, de divers niveaux de capacité de discernement (STEINAUER/FOUNTOULAKIS, Droit des personnes physiques et de la protection de l’adulte, Berne 2014, n° 90 p. 30).

Consid. 6.2
En l’occurrence, l’expert en pharmacologie a évoqué l’hypothèse d’un « raptus mélancolique » induit ou tout au moins facilité par la prise du Citalopram. En d’autres termes, il a constaté que la prise de Citalopram pouvait provoquer un raptus. Cela étant, seul un psychiatre pouvait attester que l’assuré ait été privé subitement de toute possibilité de se déterminer raisonnablement au moment où il s’est suicidé (cf. consid. 3.2 supra), un pharmacologue n’étant pas habilité à faire une telle constatation. Il résulte de ce qui précède que le rapport d’expertise pharmacologique ne permet pas à lui seul de retenir avec un degré de vraisemblance prépondérante une incapacité de discernement de l’assuré décédé au moment de son passage à l’acte.

On relèvera à ce propos que la veuve et ses enfants avaient demandé la mise en oeuvre d’une expertise psychiatrique au stade de la procédure d’opposition puis une expertise bidisciplinaire (psychiatrique et pharmacologique) au stade de la procédure de recours cantonale. La juridiction cantonale a fait droit à cette requête en désignant le professeur H.__, tout en lui laissant le choix, s’il l’estimait nécessaire, de s’adjoindre le concours d’un expert psychiatre, ce qu’il n’a pas fait. Il convient dès lors de constater que l’instruction est restée lacunaire, en l’absence d’un expert psychiatre.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et renvoie l’instance cantonale pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

 

Arrêt 8C_517/2024 consultable ici

 

 

8C_154/2025 (f) du 11.08.2025 – Activité accessoire à temps partiel en sus d’une activité à 100% – Prise en compte du revenu de l’activité accessoire dans le revenu sans invalidité et le revenu d’invalide

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_154/2025 (f) du 11.08.2025

 

Consultable ici

 

Activité accessoire à temps partiel en sus d’une activité à 100% – Prise en compte du revenu de l’activité accessoire dans le revenu sans invalidité et le revenu d’invalide / 16 LPGA

 

Résumé
Le Tribunal fédéral rappelle qu’un revenu provenant d’une activité accessoire ne peut être intégré au calcul du degré d’invalidité que si l’on peut admettre que l’assuré aurait continué à le percevoir sans atteinte à la santé et s’il dispose médicalement de la capacité d’exercer une activité accessoire adaptée.

Faits
Assuré, né en 1991, au bénéfice d’un CFC de micro-mécanicien et d’une formation de technicien (ES), a été engagé en qualité de chef de secteur, à plein temps, par la société B.__ SA, à compter du 1er mars 2017. Depuis 2020, il exerçait en sus, à titre indépendant, une activité accessoire de mécanicien/serrurier à un taux de 20%. Pour ces deux activités, il était assuré contre le risque d’accident auprès du même assureur-accidents.

Le 05.01.2021, alors qu’il effectuait des travaux de bûcheronnage, l’assuré s’est pris la main gauche (dominante) dans la poulie d’un treuil, laquelle a été écrasée.

L’assuré a repris progressivement son activité salariée jusqu’à retrouver un plein temps au 04.01.2023. L’assurance-accidents a mis fin au versement des indemnités journalières et à la prise en charge des soins médicaux dès le 31.01.2023. Par décision du 25.07.2023, confirmée sur opposition, elle a refusé l’octroi d’une rente d’invalidité en retenant que le taux d’invalidité établi par comparaison des revenus restait inférieur au seuil de 10% ouvrant droit à la prestation, tout en lui reconnaissant une IPAI de 10%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 12.02.2025, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3 [résumé]
La cour cantonale a constaté que l’évaluation médicale relative à la stabilisation, à l’activité adaptée et aux limitations fonctionnelles n’était pas contestée et qu’elle reposait sur l’avis probant du médecin-conseil. Elle a retenu que l’assuré n’était plus en mesure d’exercer son activité accessoire antérieure de mécanicien/serrurier indépendant à 20%, mais qu’il existait toutefois des motifs suffisants d’admettre qu’il aurait continué à percevoir un revenu complémentaire sans atteinte à la santé. Ce revenu devait donc être pris en compte dans le calcul tant du revenu sans invalidité que du revenu d’invalide. L’état de santé de l’assuré ne s’opposait pas à l’exercice d’une activité accessoire adaptée à 20%. Partant, l’assureur avait correctement intégré un revenu hypothétique accessoire de 20% selon les données de l’ESS pour déterminer le revenu sans invalidité.

Consid. 5.1
Selon la jurisprudence, le revenu obtenu avant l’atteinte à la santé doit être calculé compte tenu de tous ses éléments constitutifs, y compris ceux qui proviennent d’une activité accessoire, lorsque l’on peut admettre, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré aurait continué de percevoir de tels revenus sans l’atteinte à la santé. Ceux-ci doivent également être pris en considération dans le revenu d’invalide lorsqu’il est établi que l’assuré est toujours en mesure, sur le plan médical, de réaliser des revenus d’appoint (arrêts 8C_922/2012 du 26 février 2013 consid. 5.2; 8C_671/2010 du 25 février 2011 consid. 4.5 et 5, in: SVR 2011 IV n° 55 p. 163). De même qu’en ce qui concerne l’activité principale, il convient d’examiner sur la base des avis médicaux quelle activité accessoire est exigible au regard de l’état de santé et dans quelle mesure (arrêts 8C_765/2016 du 13 septembre 2017 consid. 4.5, in SVR 2018 UV n° 12 p. 29; 9C_883/2007 du 18 février 2008 consid. 2.3; U 130/02 du 29 novembre 2002 consid. 3.2.1, in RAMA 2003 n° U 476 p. 107).

Consid. 5.2
Il s’ensuit que la prise en considération, dans le revenu d’invalide, d’un revenu provenant d’une activité accessoire se justifie – pour autant que celle-ci soit exigible sur le plan médical – lorsque la personne assurée aurait continué de percevoir un tel revenu sans l’atteinte à la santé, à savoir lorsque le revenu sans invalidité en tient compte.

Comme pour l’assuré qui n’exerçait qu’une seule activité, devenue inadaptée après un accident, il convient également lorsqu’il s’agit d’une activité accessoire désormais inadaptée, de prendre en considération un revenu d’invalide correspondant à ce que pourrait réaliser l’assuré en exerçant une activité (accessoire) raisonnablement exigible. L’assuré ne peut donc pas se prévaloir du fait que son activité accessoire constituait un projet bien précis dans son domaine de compétences, respectivement qu’il n’aurait pas d’intérêt personnel à exercer une autre activité accessoire si l’ancienne n’est plus exigible. Cet aspect n’est pas déterminant lorsqu’il s’agit de déterminer le revenu d’invalide. Par ailleurs, si l’on admettait que le cumul des deux activités était temporaire et que l’assuré n’entendait pas travailler à plus de 100%, il faudrait également en tenir compte dans la détermination du revenu sans invalidité, en ne se fondant que sur une source de revenu. En effet, si le revenu sans invalidité se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’intéressé avant l’atteinte à la santé, on prend également en considération l’évolution du revenu réel en raison des circonstances personnelles (comme un changement de profession) lorsque ces circonstances apparaissent dûment établies (arrêt 8C_290/2013 du 11 mars 2014 consid. 6). De simples déclarations d’intention de la personne assurée ne suffisent toutefois pas (arrêts 8C_145/2012 du 9 novembre 2012 consid. 3.2; 9C_486/2011 du 12 octobre 2011 consid. 4.1 et les arrêts cités).

Consid. 5.3 [résumé]
La prise en considération d’un revenu d’appoint exercé en sus d’une activité principale suppose encore la capacité sur le plan médical d’exercer une activité accessoire. Le médecin-conseil conclut à une pleine capacité de travail dans une activité parfaitement adaptée, excluant toutefois la manipulation répétée de charges de plus de 5 kg avec la main gauche, ainsi que les travaux nécessitant de la dextérité, de la rapidité ou exposant à des chocs, vibrations ou variations de température. Le médecin n’a pas expressément reconnu une capacité à exercer une activité adaptée à un taux de 120% et il est peu probable qu’en retenant une pleine capacité de travail dans une activité adaptée, le médecin envisageait également l’exercice d’une activité accessoire supplémentaire de 20%.

On ne peut pas déduire une capacité de travail de 120% du fait que l’assuré a repris son poste de chef de secteur à plein temps, cette reprise s’inscrivant dans le cadre d’une mesure de réentraînement au travail prise en charge par l’AI et après un aménagement de son cahier des charges pour respecter ses limitations. Le médecin-conseil mentionne en outre l’apparition d’une tendinite au bras droit liée à la modification du niveau d’activité. On ne saurait retenir que les séquelles accidentelles n’ont aucune répercussion sur le retour au travail de l’assuré. Quoi qu’il en soit, c’est au médecin qu’il appartient de se prononcer sur le point de savoir si l’exercice d’une activité supplémentaire de 20% est exigible d’un point de vue médical.

Dans cette mesure, le grief est bien fondé. La cause devra dès lors être renvoyée à l’assurance-accidents pour qu’elle complète l’instruction sur cette question, par exemple en sollicitant à nouveau son médecin-conseil.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_154/2025 consultable ici

 

 

 

9C_343/2025 (d) du 08.08.2025 – Allocation pour mineur impotent – Notion de « soins particulièrement astreignants » – Allergie alimentaire et acte ordinaire « manger »

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_343/2025 (d) du 08.08.2025

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Allocation pour mineur impotent – Notion de « soins particulièrement astreignants » / 9 LPGA – 42 LAI – 37 al. 3 RAI

Allergie alimentaire et acte ordinaire « manger »

 

Résumé
Un enfant de trois ans souffrant de dermatite atopique et d’allergies alimentaires a demandé une allocation pour impotent. L’office AI a refusé la prestation, décision confirmée par le tribunal cantonal. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours : il a considéré que ni les soins liés aux affections cutanées, ni le respect du régime alimentaire, ni le port de couches ne révélaient un besoin d’aide supérieur à celui d’un enfant du même âge sans atteinte à la santé.

 

Faits
Assuré, né en octobre 2020, souffre de dermatite atopique et de diverses allergies alimentaires. Sa mère a déposé, en février 2024, une demande d’allocation pour impotent destinée aux mineurs. Par décision du 09.07.2024, l’office AI a refusé le droit à une telle prestation.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 09.05.2025, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
Est réputée impotente toute personne qui, en raison d’une atteinte à sa santé, a besoin de façon permanente de l’aide d’autrui ou d’une surveillance personnelle pour accomplir des actes élémentaires de la vie quotidienne (art. 9 LPGA).

Les assurés impotents qui ont leur domicile et leur résidence habituelle en Suisse ont droit à une allocation pour impotent. (art. 42, al. 1, LAI ; les conditions particulières applicables aux mineurs selon l’art. 42bis al. 3 LAI ne jouent aucun rôle en l’espèce). Il convient de distinguer entre l’impotence grave, moyenne et légère (art. 42 al. 2 LAI). Le montant de l’allocation pour impotent dépend du degré de l’impotence personnelle (art. 42ter al. 1, première phrase, LAI). Selon l’art. 42ter al. 3 LAI, l’allocation pour impotent destinée aux mineurs qui nécessitent en outre des soins particulièrement intensifs – ce qui suppose un besoin d’assistance d’au moins quatre heures par jour (cf. art. 39 RAI) – est majorée d’un supplément pour soins intensifs.

Consid. 2.1
Selon l’art. 37 al. 3 RAI, l’impotence est faible si l’assuré, même avec des moyens auxiliaires, a besoin de façon régulière et importante, de l’aide d’autrui pour accomplir au moins deux actes ordinaires de la vie (let. a), a besoin d’une surveillance personnelle permanente (let. b), ou a besoin de façon permanente, de soins particulièrement astreignants, exigés par l’infirmité de l’assuré (let. c). Les autres hypothèses de l’art. 37 al. 3 RAI (let. d et e) ne sont pas pertinentes en l’espèce.

Dans le cas des mineurs, seul est pris en considération le surcroît d’aide et de surveillance que le mineur handicapé nécessite par rapport à un mineur du même âge et en bonne santé (art. 37 al. 4 RAI).

Consid. 2.3.1
Les actes ordinaires de la vie se répartissent en six domaines : « se vêtir, se dévêtir », « se lever, s’asseoir, se coucher », « manger », « faire sa toilette », « aller aux toilettes » ainsi que « se déplacer (dans l’appartement, à l’extérieur) et entretenir les contacts sociaux » (cf. ATF 133 V 450 consid. 7.2 ; ch. 2020 de la Circulaire de l’Office fédéral des assurances sociales sur l’impotence, en vigueur depuis le 1er janvier 2022 [CSI ; sur la valeur des directives administratives, cf. arrêt 8C_669/2023 du 1er avril 2025 consid. 6.2, destiné à la publication ; ATF 148 V 385 consid. 5.2 ; 147 V 79 consid. 7.3.2]).

Consid. 2.3.2
Le besoin, de façon permanente, de soins particulièrement astreignants au sens de l’art. 37 al. 3 let. c RAI ne se rapportent pas aux actes ordinaires de la vie. Au contraire, tout comme l’exigence d’une surveillance personnelle permanente (art. 37 al. 2 let. b et al. 3 let. b RAI), il s’agit d’une aide médicale ou infirmière rendue nécessaire par l’état physique ou psychique de la personne assurée.

Ces soins peuvent être astreignants pour diverses raisons : ils le sont selon un critère quantitatif lorsqu’ils exigent beaucoup de temps ou entraînent des coûts particulièrement élevés. D’un point de vue qualitatif, ils peuvent l’être lorsque les soins doivent être prodigués dans des conditions difficiles, par exemple parce qu’ils sont particulièrement pénibles ou qu’ils doivent être prodigués à des heures inhabituelles (par exemple vers minuit) (SVR 2017 IV n° 43 p. 128, 8C_663/2016 E. 2.2.2 et les nombreuses références).

Un besoin de soins de plus de deux heures par jour est qualifié de particulièrement astreignants si des critères qualitatifs aggravants doivent aussi être pris en compte (SVR 2017 IV n° 43 p. 128, 8C_663/2016 consid. 2.2.3, avec renvoi aux arrêts I 314/92 du 28 janvier 1993 et I 142/86 du 25 mai 1987 ; cf. aussi ch. 2065 CSI). Selon la pratique administrative (cf. ch. 2066 ss CSI), si le besoin de soins est supérieur à trois heures par jour, l’aide peut être qualifiée d’astreignante si au moins un critère qualitatif (par ex. soins pendant la nuit) s’y ajoute. Un besoin de soins de quatre heures par jour ou plus est par principe considéré comme astreignant, même sans critère qualitatif supplémentaire.

Consid. 4.1
Il est établi et incontesté que l’assuré souffre de dermatite atopique et de diverses allergies alimentaires. En lien avec son impotence, aucune autre atteinte à la santé n’a été et n’est évoquée.

Consid. 4.2
Même si le recourant mentionne un « supplément d’efforts dans la prise en charge » ou un surcroît d’efforts pour la « surveillance personnelle », il ne fait pas valoir (de manière fondée) un besoin de surveillance personnelle permanente au sens de l’art. 37 al. 3 let. b RAI. Un tel besoin n’apparaît d’ailleurs pas.

Consid. 4.3
L’assuré ne soutient pas non plus que les soins supplémentaires liés à l’utilisation de bains à l’huile et de crèmes relipidantes (ainsi que le temps supplémentaire consacré à l’accompagnement lors des rendez-vous médicaux et thérapeutiques) constitueraient des soins constants et particulièrement astreignants au sens de l’art. 37 al. 3 let. c RAI (cf. consid. 2.3.2 supra). De tels soins ne ressortent pas non plus du dossier, aucun problème cutané grave ou complexe n’étant attestée.

Par conséquent, les critiques de l’assuré relatives à l’augmentation des soins corporels – consistant essentiellement en une violation alléguée du principe d’instruction et du droit d’être entendu, au motif que la personne chargée de l’évaluation de l’office AI aurait insuffisamment pris en compte le besoin accru de soins et que la juridiction cantonale n’aurait pas ordonné une nouvelle enquête sur place – sont dénuées de fondement.

Consid. 4.4.1
Il reste donc à examiner une impotence (légère) au sens de l’art. 37 al. 3 let. a RAI, et plus particulièrement le besoin accru d’aide dans l’acte ordinaire de la vie « manger ».

Consid. 4.4.2
Selon le ch. 2038 CSI, la nécessité d’un régime alimentaire (par ex. chez les personnes atteintes de diabète ou de maladie cœliaque) ne fonde pas une impotence. Toutefois, selon l’arrêt 8C_912/2008 du 5 mars 2009, consid. 9.2, un besoin d’aide pertinent pour la fonction « manger » existe lorsqu’une alimentation spéciale ou un régime particulier est nécessaire pour des raisons médicales et que la personne assurée, pour des raisons de santé, n’est pas en mesure de s’y conformer.

Cette interprétation est conforme au raisonnement de la juridiction cantonale, selon lequel le refus d’admettre un besoin accru d’aide pour l’acte ordinaire de la vie « manger » reposait sur le constat que des enfants du même âge (environ trois ans) sans restriction alimentaire particulière nécessitaient eux aussi une aide comparable pour manger.

Consid. 4.4.3
L’assuré soutient essentiellement que le respect d’un régime alimentaire (ou l’éviction de certains aliments) implique, par rapport aux enfants en bonne santé, un besoin accru d’aide, intrinsèquement et indépendamment de l’âge. Il relève en outre que l’alimentation par sonde est reconnue comme générant un surcroît d’efforts dès son instauration.

Cependant, l’assuré n’explique pas en quoi le surcroît d’efforts qu’il allègue pour le respect d’un régime alimentaire serait important et comparable à celui que suppose une alimentation par sonde. Son argumentation ne contient aucun motif valable justifiant de s’écarter du principe figurant au ch. 2038 CSI (cf. les remarques en fin du consid. 2.3.1 précédent), ni de modifier la jurisprudence mentionnée au consid. 4.4.2 ci-dessus (cf. ATF 149 II 381, consid. 7.3.1 ; 149 II 354, consid. 2.3 ; 149 V 177, consid. 4.5). Il n’y a donc pas lieu d’aller plus avant sur ce point.

Consid. 4.4.4
Dans ce contexte, on ne voit pas pour quelle raison la décision de l’instance cantonale de renoncer à de nouvelles investigations violerait la maxime inquisitoire ou le droit d’être entendu (cf. sur l’appréciation anticipée des preuves : ATF 144 V 361, consid. 6.5 ; 136 I 229, consid. 5.3 ; arrêt 9C_298/2024 du 14 août 2024, consid. 5.2). Les arguments contestant la force probante de divers documents (en particulier la prise de position du SMR et le rapport d’enquête à domicile) ne portent pas sur les éléments décisifs (cf. consid. 4.2, 4.3 et 4.4.3 ci‑dessus) ; il n’y a pas lieu de les examiner plus avant.

Consid. 4.4.5
La question du besoin d’aide pour l’acte ordinaire de la vie « manger » n’est en définitive pas déterminante, car il convient de tenir compte d’un autre élément d’office dans l’application du droit.

Consid. 4.4.6
S’agissant d’un droit à une allocation pour impotent, un besoin d’aide pour l’acte ordinaire de la vie « aller aux toilettes » ne peut être pris en considération que dans la mesure où il est, au degré de la vraisemblance prépondérante, imputable à une atteinte à la santé. Cela ressort déjà du texte clair de l’art. 9 LPGA (dans ses versions allemande, française et italienne).

Le fait que l’assuré, lors de l’enquête sur place (à l’âge de trois ans et trois mois), portait des couches de jour comme de nuit et nécessitait une aide à cet égard n’a rien d’inhabituel, et encore moins de valeur pathologique en soi (cf. SVR 2012 KV n° 15 p. 57, arrêt 9C_567/2011, consid. 4.2.1, et les références), même si le chiffre 5 de l’annexe 2 de la CSI indique qu’un enfant de trois ans n’a généralement plus besoin de couches durant la journée. Ce fait n’a manifestement aucun lien de causalité avec la dermatite, une allergie alimentaire ou toute autre atteinte à la santé de l’assuré. Dès lors, la juridiction cantonale (comme l’office AI avant elle) a à tort admis un besoin d’aide important (supplémentaire) pour cet acte ordinaire de la vie.

Par conséquent, même si un besoin d’aide pour l’acte ordinaire « manger » devait être reconnu, il n’existerait de toute manière aucun droit à une allocation pour impotent, y compris au titre de l’art. 37 al. 3 let. a RAI. Le recours est infondé.

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_343/2025 consultable ici

 

Proposition de citation : 9C_343/2025 (d) du 08.08.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/10/9c_343-2025)

 

 

 

8C_411/2024 (d) du 11.08.2025, destiné à la publication – Infirmités congénitales « latentes » – Dysplasie congénitale des dents / 13 LAI – 3 al. 1 RAI – ch. 205 OIC-DFI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_411/2024 (d) du 11.08.2025, destiné à la publication

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Infirmité congénitale – Dysplasie congénitale des dents / 13 LAI – 3 al. 1 RAI – ch. 205 OIC-DFI

Infirmités congénitales dites « latentes »

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a jugé qu’une amélogenèse imparfaite causée par une mutation génétique constitue une infirmité congénitale au sens du ch. 205 OIC-DFI, même si toutes les dents atteintes ne sont pas encore sorties. Il a précisé que la limite des douze dents gravement touchées vise seulement à définir un degré minimal de gravité ouvrant droit aux prestations, et non à différer la reconnaissance du droit. Les infirmités congénitales dites « latentes », existant déjà à la naissance mais non encore visibles, peuvent également ouvrir droit à des mesures médicales dès qu’il est établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu’elles atteignent le degré requis.

 

Faits
Assuré, né en 2012, a fait une première demande à l’AI en 2014, en invoquant des troubles dentaires dus à une dysplasie congénitale des dents. L’office AI a rejeté cette demande par décisions en 2015, décisions confirmées par le tribunal cantonal le 10.02.2016.

À la suite d’une nouvelle demande, l’office AI a, par décision du 23.05.2018, refusé à nouveau le droit à des prestations. Après une troisième demande, l’office AI est entré en matière mais l’a rejetée par décision du 21.07.2023.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 30.05.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Aux termes de l’art. 13 al. 1 LAI, les assurés ont droit jusqu’à ce qu’ils atteignent l’âge de 20 ans à des mesures médicales pour le traitement des infirmités congénitales. Est réputée infirmité congénitale, selon l’art. 3 al. 2 LPGA, toute maladie présente à la naissance accomplie de l’enfant.

Conformément à l’art. 13 al. 2 LAI, les mesures médicales au sens de l’art. 13 al. 1 LAI sont accordées pour le traitement des malformations congénitales, des maladies génétiques ainsi que des affections prénatales et périnatales qui font l’objet d’un diagnostic posé par un médecin spécialiste (let. a), engendrent une atteinte à la santé (let. b), présentent un certain degré de gravité (let. c), nécessitent un traitement de longue durée ou complexe (let. d), et peuvent être traitées par des mesures médicales au sens de l’art. 14 LAI (let. e).

Selon l’article 3, alinéa 1, lettre e, du RAI, une affection qui présente un certain degré de gravité – au sens de l’art. 13 al. 2 let. c LAI – est une affection qui, sans traitement, entraîne des limitations fonctionnelles durables ne pouvant plus être complètement corrigées.

Consid. 3.2
Selon l’art. 14ter al. 1 let. b LAI, le Conseil fédéral détermine les infirmités congénitales donnant droit à des mesures médicales en vertu de l’art. 13 LAI. Le Conseil fédéral a délégué cette compétence, à l’art. 3bis al. 1 RAI, au Département fédéral de l’intérieur (DFI). Sur la base de cette subdélégation, le Département a édicté l’ordonnance du DFI du 3 novembre 2021 concernant les infirmités congénitales (OIC-DFI ; RS 831.232.211) ; les infirmités congénitales sont énumérées dans l’annexe de cette ordonnance.

Consid. 3.3
La dysplasie dentaire congénitale est mentionnée au ch. 205 de l’annexe OIC-DFI, pour autant qu’au moins 12 dents de la seconde dentition après éruption sont très fortement atteintes. En cas d’odontodysplasie (dents fantômes), il suffit qu’au moins deux dents dans un quadrant soient atteintes. Le diagnostic doit être contrôlé par un représentant de la Société suisse des médecins-dentistes (SSO) reconnu par l’AI pour cet examen spécifique.

Selon le chiffre 205.2 de la circulaire sur les mesures médicales de réadaptation de l’AI (CMRM), entrent par exemple dans la catégorie visée sous le ch. 205 OIC-DFI l’amelogenesis imperfecta, la dentinogenesis imperfecta et la dysplasie dentaire. L’absence d’ébauches de dents permanentes compte comme dents atteintes (ch. 205.5 CMRM).

Consid. 4.1
Selon les constatations de fait de l’instance cantonale, l’assuré souffre, entre autres, d’une amélogenèse imparfaite causée par une mutation homozygote du gène LTBP3, et donc d’une affection dentaire pouvant, en principe, être rattachée à la notion de dysplasie dentaire congénitale au sens du chiffre 205 de l’annexe OIC-DFI. En raison de cette mutation génétique, il présente également une éruption dentaire fortement retardée ; au moment de la décision, seules six dents de la seconde dentition avaient percé. Comme le relève le tribunal cantonal, les radiographies orthopantomographiques montrent désormais que les dents retenues présentent elles aussi des altérations hypoplasiques. Les dents en train de percer devraient être traitées de manière conservatrice immédiatement après leur éruption afin d’éviter une dévitalisation.

Selon le chiffre 205 de l’annexe OIC-DFI, une dysplasie dentaire congénitale ne peut être reconnue comme une infirmité congénitale ouvrant droit à des mesures médicales au sens de l’art. 13 al. 1 LAI, que si au moins douze dents de la seconde dentition, après leur éruption, sont gravement atteintes. Étant donné qu’au moment de la décision, seules six dents avaient poussé, l’instance cantonale et l’office AI ont nié l’existence d’un tel droit.

Consid. 4.2
Le sens et le but de la restriction prévue au ch. 205 de l’annexe OIC-DFI, selon laquelle au moins douze dents de la seconde dentition doivent être très fortement atteintes après leur éruption, consistent à fixer un certain seuil minimal de gravité de l’infirmité congénitale à partir duquel les prestations de l’assurance-invalidité sont dues (cf. également arrêt I 173/97 du 6 novembre 1998, consid. 3c).

Les infirmités congénitales qui, même sans traitement, n’entraînent pas de limitations fonctionnelles durables ou qui ne peuvent plus être complètement corrigées ne donnent pas droit à des mesures médicales au sens de l’art. 13 LAI (cf. art. 13 al. 2 let. c LAI, en relation avec l’art. 3bis al. 1 RAI, a contrario ; cf. également Erwin Murer, Invalidenversicherungsgesetz [Art. 1–27 bis IVG], 2014, n° 130 s. ad art. 13 LAI). En revanche, cette restriction n’a pas pour but de reporter dans le temps le droit aux prestations pour des infirmités congénitales qui atteignent le degré minimal de gravité requis. Il est ainsi reconnu que les infirmités congénitales dites « latentes », c’est-à-dire celles qui étaient déjà présentes à la naissance mais qui n’étaient pas encore visibles de l’extérieur, peuvent également donner droit à une prestation.

En conséquence, le moment où une infirmité congénitale est reconnue comme telle n’a en principe pas d’importance (cf. Ulrich Meyer/Marco Reichmuth, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Bundesgesetz über die Invalidenversicherung, 4e éd. 2022, n° 5 ad art. 13 LAI ; Michel Valterio, Commentaire de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité (LAI), 2018, n° 7 ad art. 13 LAI). Ni l’assurance-invalidité ni la personne assurée n’ont intérêt à retarder le traitement d’une infirmité congénitale grave, ce qui rendrait ultérieurement le traitement plus difficile, voire compromettrait son succès.

Il s’ensuit, contrairement à ce qu’a retenu l’instance cantonale, qu’un droit à des mesures médicales ne naît pas seulement lorsque douze dents au moins de la seconde dentition ont percé et sont gravement atteintes, mais déjà à partir du moment où il est établi, selon le degré de preuve usuel en droit des assurances sociales – celui de la vraisemblance prépondérante (cf. ATF 150 II 321, consid. 3.6.3 ; 144 V 427, consid. 3.2 ; 139 V 176, consid. 5.3 ; 126 V 353, consid. 5b) –, qu’au moins douze dents de la seconde dentition seront gravement atteintes après leur éruption.

Consid. 4.3
Selon les constatations de fait de l’autorité cantonale, seules six dents de la seconde dentition avait poussé et étaient gravement atteintes au moment de la décision. Toutefois, il avait été démontré par orthopantomogramme que les dents incluses présentaient elles aussi des altérations hypoplasiques. Ainsi, au moment de la décision, une infirmité congénitale au sens du chiffre 205 de l’annexe OIC-DFI était établie. En conséquence, le recours doit être admis, le jugement entrepris et la décision de l’office AI doivent être annulés, et la cause renvoyée à l’office AI pour qu’il statue à nouveau, après examen des autres conditions du droit, sur le droit de l’assuré aux mesures médicales.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_411/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_411/2024 (d) du 11.08.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/10/8c_411-2024)

 

 

8C_183/2025 (f) du 12.06.2025 – Compétence ratione loci des tribunaux cantonaux / 58 LPGA – 119 al. 1 let. a OACI – 128 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_183/2025 (f) du 12.06.2025

 

Consultable ici

 

Compétence ratione loci des tribunaux cantonaux / 58 LPGA – 119 al. 1 let. a OACI – 128 OACI

 

Résumé
Dans le domaine de l’assurance-chômage, la compétence ratione loci se détermine selon le lieu où l’assuré se soumet au contrôle obligatoire auprès de l’ORP au moment de la décision attaquée, et non selon son domicile. Ainsi, lorsque la personne assurée réside dans un canton mais est contrôlée par un ORP situé dans un autre, le tribunal compétent est celui de ce second canton. En l’espèce, la compétence revenait au Tribunal cantonal fribourgeois, dès lors que la recourante – domiciliée en Valais – faisait l’objet du contrôle du chômage dans le canton de Fribourg au moment pertinent.

 

Faits
Par décision du 19.02.2024, la caisse de chômage à Sion a prononcé à l’encontre de l’assurée, domiciliée dans le canton du Valais, une suspension du droit à l’indemnité de chômage d’une durée de 31 jours, au motif qu’elle était sans travail par sa propre faute. L’assurée ayant contesté cette décision, la caisse de chômage l’a confirmée par décision sur opposition du 04.11.2024, laquelle a été notifiée à la résidence secondaire de l’assurée dans le canton de Fribourg.

 

Procédures cantonales

L’assuré a recouru contre la décision sur opposition devant le tribunal cantonal du canton de Fribourg. Estimant être incompétent ratione loci, ce dernier a déclaré le recours manifestement irrecevable et l’a transmis au tribunal cantonal du canton du Valais comme objet de sa compétence (jugement du 19.12.2024). Celui-ci s’est également déclaré incompétent à raison du lieu et n’est pas entré en matière sur le recours de l’assurée (jugement du 26.02.2025).

 

TF

Consid. 1
En recourant (en temps utile) contre la décision de non-entrée en matière du Tribunal cantonal du Valais du 26.02.2025, l’assurée a également respecté le délai de recours contre la décision du Tribunal du canton de Fribourg du 19.12.2024, par laquelle celui-ci a décliné sa compétence (art. 100 al. 1 et 5 LTF; ATF 148 I 104 consid. 1.1; 143 V 363 consid. 2; 139 V 127 consid. 5.3). Lorsque le second tribunal saisi n’entre pas en matière sur un recours en déclinant sa compétence à raison du lieu, le Tribunal fédéral doit examiner, dans le cadre de la procédure de recours introduite contre cette dernière décision, la compétence des deux tribunaux en question, sans être lié par la décision de non-entrée en matière du premier tribunal cantonal. Étant donné qu’en l’absence de compétence du second tribunal, il n’y aurait pas d’autre instance compétente, la décision de non-entrée en matière du premier tribunal cantonal ne peut pas entrer en force dans une telle situation procédurale (cf. ATF 143 V 363 consid. 2; 135 V 153 consid. 1.2 et les références).

Consid. 2.1
Dans les procédures en matière d’assurances sociales, l’art. 58 al. 1 LPGA prévoit, en ce qui concerne la compétence ratione loci des tribunaux cantonaux, la règle selon laquelle le tribunal des assurances compétent est celui du canton de domicile de l’assuré ou d’une autre partie au moment du dépôt du recours. Il convient toutefois de tenir compte d’éventuelles dérogations dans les dispositions spéciales de certaines branches d’assurances sociales (cf. ATF 136 V 106 consid. 3.2.3; arrêt 9C_738/2020 du 7 juin 2021 consid. 2.2).

Consid. 2.2
Dans le domaine de l’assurance-chômage, l’art. 100 al. 3 LACI confère au Conseil fédéral la compétence d’édicter des règles particulières de compétence dérogeant à l’art. 58 LPGA. Le Conseil fédéral a fait usage de cette compétence en édictant l’art. 128 OACI. Selon l’alinéa 1 de cette disposition, lorsque la décision attaquée a été rendue par une caisse de chômage, la détermination du tribunal cantonal des assurances s’opère selon les critères de l’art. 119 OACI. D’après l’art. 119 al. 1 let. a OACI, la compétence de l’autorité cantonale à raison du lieu se détermine d’après le lieu où l’assuré se soumet au contrôle obligatoire, pour l’indemnité de chômage (art. 18). L’art. 119 al. 2 OACI fixe comme moment déterminant celui où la décision est prise. Si, au moment où la décision est prise, l’assuré ne se soumet plus au contrôle, le tribunal compétent sera celui du lieu du domicile de l’assuré (art. 119 al. 1 let. e OACI; voir aussi BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 35 ad art. 100 LACI).

Consid. 2.3
En l’espèce, les juges cantonaux fribourgeois ont constaté, après s’être renseignés auprès du contrôle des habitants de la commune de U.__, que l’assurée avait une résidence secondaire dans le canton de Fribourg, depuis le 1er janvier 2024. Son domicile principal se trouvait dans le canton du Valais. Les juges cantonaux valaisans ont pour leur part constaté qu’il ressortait des dossiers de la caisse de chômage ainsi que de l’OORP de Morat que, depuis février 2024, l’assurée était contrôlée par l’ORP de Morat, région où elle séjournait la majeure partie de son temps et y recherchait un nouvel emploi. Dans sa prise de position concernant le recours de l’assurée devant le Tribunal fédéral, le Tribunal cantonal fribourgeois admet sa compétence à raison du lieu fondée sur l’art. 119 al. 1 let. a OACI en lien avec l’art. 128 al. 1 OACI.

Il résulte des constatations cantonales précitées, lesquelles ne sont au demeurant pas contestées, que l’assurée est certes domiciliée en Valais mais qu’au moment où la caisse de chômage a rendu sa décision sur opposition le 4 novembre 2024, l’assurée séjournait pendant la semaine dans le canton de Fribourg et faisait contrôler son chômage à l’ORP de Morat. Conformément à l’art. 119 al. 1 let. a OACI, c’est donc le tribunal cantonal des assurances du canton de Fribourg qui est compétent ratione loci pour statuer sur le recours de l’assurée contre la décision sur opposition litigieuse de la caisse de chômage.

Consid. 2.4
Vu ce qui précède, la décision de non-entrée en matière du Tribunal cantonal fribourgeois doit être annulée et l’affaire renvoyée à ce tribunal pour qu’il statue sur le fond du recours de première instance.

Consid. 3
L’assurée, qui a été contrainte de recourir à la fois contre la décision du 19 décembre 2024 et celle du 25 février 2025 pour sauvegarder ses droits, obtient gain de cause et ne peut donc pas se voir imputer des frais judiciaires. Il en va de même de l’intimée, qui a renoncé à se déterminer sur le recours et ne voit pas sa décision du 4 novembre 2024 annulée ou réformée. Conformément à l’art. 66 al. 4 LTF, des frais judiciaires ne peuvent pas non plus être mis à la charge du Tribunal cantonal fribourgeois, et encore moins à la charge du Tribunal cantonal du Valais. Par conséquent, on renoncera à percevoir des frais judiciaires. L’assurée a droit à des dépens à la charge de l’État de Fribourg (art. 68 al. 4 en lien avec l’art. 66 al. 3 LTF; cf. arrêt 8C_750/2018 du 6 mai 2019 consid. 6, non publié in: ATF 145 V 247; 9C_18/2017 consid. 6, non publié in: ATF 143 V 363 et les arrêts cités).

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_183/2025 consultable ici

 

 

Un rapport met en lumière le potentiel d’amélioration dans le 2e pilier pour les personnes au service de plusieurs employeurs

Un rapport met en lumière le potentiel d’amélioration dans le 2e pilier pour les personnes au service de plusieurs employeurs

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 22.10.2025 consultable ici

Arianna Lüscher/Astrid von Wyl, Comment améliorer la prévoyance professionnelle des personnes travaillant pour plusieurs employeurs ?, in Sécurité Sociale CHSS du 22.10.2025 disponible ici

 

Les personnes cumulant plusieurs emplois sont généralement moins bien assurées dans la prévoyance professionnelle que celles n’ayant qu’un seul employeur. La solution la plus efficace à ce problème serait d’abaisser le seuil d’entrée et la déduction de coordination, et de rendre obligatoire l’assurance de l’activité lucrative accessoire. Cet ensemble de modifications permettrait d’améliorer la prévoyance des personnes touchant un bas salaire, ainsi que celle des personnes travaillant à temps partiel ou cumulant plusieurs emplois. Tel est le constat que dresse le Conseil fédéral dans un rapport adopté lors de sa séance du 22 octobre 2025.

À revenu égal, les personnes travaillant pour le compte d’un seul employeur sont mieux assurées dans le 2e pilier que celles ayant plusieurs employeurs. En effet, pour la majorité des travailleurs occupant plusieurs postes, seule l’activité principale est couverte par l’assurance obligatoire. Les autres revenus sont considérés comme provenant d’une activité accessoire et ne sont assurés que sur une base volontaire. Les institutions de prévoyance peuvent appliquer aux bas salaires des conditions d’assurance particulières, comme par exemple une déduction de coordination moins élevée que celle prescrite par la loi, ou encore la couverture de salaires inférieurs au seuil d’entrée du 2e pilier.

Dans son postulat 23.4168 (« Améliorer la situation vis-à-vis du deuxième pilier des personnes cumulant plusieurs emplois »), le conseiller national Thomas Rechsteiner a chargé le Conseil fédéral de présenter un rapport indiquant comment améliorer la prévoyance professionnelle des personnes travaillant pour le compte de plusieurs employeurs.

Dans ce rapport, le Conseil fédéral analyse divers modèles visant à améliorer dans le 2e pilier la situation des travailleurs cumulant plusieurs emplois. Cette question avait déjà été abordée dans le cadre de la première réforme de la LPP, de la réforme Prévoyance vieillesse 2020 et de la réforme LPP ; elle a également suscité plusieurs interventions parlementaires. Le rapport relève que la prévoyance professionnelle obligatoire offre peu de possibilités d’améliorer la situation actuellement peu satisfaisante des personnes cumulant plusieurs emplois.

 

Abaisser le seuil d’entrée et réduire la déduction de coordination

Dans son rapport, le Conseil fédéral parvient à la conclusion que le meilleur moyen d’améliorer la prévoyance professionnelle des personnes cumulant plusieurs emplois est d’abaisser le seuil d’entrée, de diminuer la déduction de coordination et d’éliminer la distinction entre activité principale et activité accessoire. Cet ensemble de mesures permettrait d’augmenter tant le nombre des assurés que le salaire assuré.

Le rapport avertit également sur les conséquences d’un tel élargissement de l’obligation d’assurance : si le taux de conversion minimal, actuellement déjà trop élevé, n’est pas simultanément abaissé, le défaut de financement déjà présent dans l’assurance obligatoire est appelé à s’accentuer encore. Le taux de conversion est le paramètre qui sert à déterminer la rente de vieillesse dans le 2e pilier. S’il est trop élevé, cela crée un déséquilibre entre la prestation à verser et son financement. Une des conséquences de ce déséquilibre est l’apparition, au sein des institutions de prévoyance proches du minimum légal, de subventionnements croisés, c’est-à-dire que les assurés actifs financent les rentes des retraités, ce qui réduit leurs propres futures rentes.

Les solutions alternatives ne modifiant ni le seuil d’entrée ni la déduction de coordination sont difficiles à mettre en œuvre. Elles entraîneraient en outre un coût et une charge administrative supplémentaires élevés, mais n’amélioreraient que de façon marginale la prévoyance professionnelle des personnes concernées.

 

Résumé du rapport du Conseil fédéral du 22.10.2025 donnant suite au postulat 23.4168 Rechsteiner

Le projet répond au constat que le système actuel de prévoyance professionnelle obligatoire ne tient pas suffisamment compte des évolutions du marché du travail, notamment la diversification des formes d’emploi avec un recours accru au travail à temps partiel et au cumul d’emplois. La loi datant de 1985 a été conçue pour un salarié unique travaillant à plein temps, ce qui crée des inégalités pour les personnes cumulant plusieurs emplois ou travaillant à temps partiel, majoritairement des femmes.

Aujourd’hui, en Suisse, environ 8,2% des actifs déclarent avoir plus d’un emploi, et un nombre important parmi eux ne bénéficie pas d’une couverture adéquate dans le deuxième pilier (LPP). En effet, pour être assuré, le salaire perçu auprès d’un même employeur doit dépasser un seuil d’entrée fixé à 22 680 francs (2025). Par ailleurs, la prévoyance professionnelle obligatoire n’assure pas la totalité du salaire annuel, mais seulement le salaire coordonné, obtenu par application d’une déduction de coordination. Cette déduction de coordination s’élève dans la LPP à 26 460 francs (montant de 2025) et elle est indépendante du taux d’occupation. Un autre élément important est que le salaire annuel assuré obligatoirement est limité à 90 720 francs (limite supérieure du salaire annuel, montant de 2025). Le salaire coordonné maximal est par conséquent de 64 260 francs (différence entre la limite supérieure du salaire annuel de 90 720 francs et la déduction de coordination de 26 460 francs).

Les conséquences du régime légal actuel dans la prévoyance professionnelle obligatoire peuvent être démontrées à l’aide des exemples suivants :

 

Salarié 1

Salarié 2

Salarié 3

Salaire annuel – employeur 1

CHF 60’000

CHF 40’000

CHF 20’000

Salaire annuel – employeur 2

CHF 20’000

CHF 20’000

Salaire annuel – employeur 3

CHF 20’000

Assujettissement à la prévoyance professionnelle

Oui
(salaire complet)

Oui
(pour CHF 40’000)

Non

Salaire coordonné – employeur 1

CHF 33’540
(60’000 – 26’460)

CHF 13’540
(40’000 – 26’460)

Salaire coordonné total

CHF 33’540

CHF 13’540

Le cumul des salaires de plusieurs employeurs n’est donc pas pris en compte pour l’assurance obligatoire et seule une activité principale est assurée, les revenus accessoires restent souvent non couverts ou assurés sur une base volontaire. Ce traitement différencié crée un traitement inégal pour des salariés percevant un revenu global identique selon qu’ils ont un ou plusieurs employeurs.

Le rapport du Conseil fédéral analyse plusieurs modèles d’amélioration de la couverture du deuxième pilier pour ces personnes. Une modification du seuil d’entrée et des mesures concernant la déduction de coordination produisent le meilleur effet positif sur la prévoyance pour les bas salaires et également en cas de temps partiel et de cumul d’emplois. Ces modèles seraient la plupart du temps réalisables moyennant de faibles charges (ou un faible surcroît de charges) pour les employeurs et les institutions de prévoyance.

Ces changements permettraient à davantage de salariés cumulant plusieurs emplois, à temps partiel, ou ayant des bas salaires d’être assurés dans le cadre obligatoire, avec une meilleure couverture. Cela garantirait une égalité de traitement quel que soit le nombre d’employeurs et supprimerait les lacunes actuelles liées aux critères rigides de seuil et de distinction des activités.

Toutefois, le rapport souligne aussi les risques liés à un élargissement de l’obligation d’assurance sans réformes du taux de conversion minimal, déjà considéré comme trop élevé, ce qui aggraverait le déficit de financement du régime obligatoire. Cela pourrait accentuer des subventionnements croisés entre assurés actifs et bénéficiaires de rentes.

L’étude examine aussi diverses autres propositions, notamment l’extension de l’assurance facultative obligatoire, la totalisation des salaires pour un seul assujettissement, l’introduction d’un plan de prévoyance simplifié pour les bas salaires, ou encore l’intégration du modèle spécifique « Swissstaffing » pour les travailleurs flexibles. Ces alternatives présentent diverses limites, charges administratives accrues et gains moindres.

Le rapport constate que si rien n’est fait, la responsabilité d’une meilleure couverture des personnes concernées reste à la charge des institutions de prévoyance, des employeurs et des partenaires sociaux via des solutions surobligatoires.

Enfin, la réforme s’inscrit dans un contexte de nombreuses interventions parlementaires appelant à une mise à jour législative qui tienne compte des nouvelles réalités du marché du travail et des attentes en matière de prévoyance professionnelle, notamment pour les femmes, majoritairement concernées par la flexibilité et la pluriactivité.

Ce projet législatif représente donc un pas important vers une adaptation nécessaire du deuxième pilier qui puisse mieux couvrir les besoins des travailleurs cumulant plusieurs emplois, à temps partiel ou avec des bas salaires, et offrir ainsi une plus grande équité et sécurité sociale pour ces catégories professionnelles.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 22.10.2025 consultable ici

Arianna Lüscher/Astrid von Wyl, Comment améliorer la prévoyance professionnelle des personnes travaillant pour plusieurs employeurs ?, in Sécurité Sociale CHSS du 22.10.2025 disponible ici

Rapport du Conseil fédéral du 22.10.2025 donnant suite au postulat 23.4168 Rechsteiner disponible ici

Postulat Rechsteiner 23.4168 « Améliorer la situation vis-à-vis du deuxième pilier des personnes cumulant plusieurs emplois » consultable ici

 

 

8C_289/2024 (d) du 28.07.2025 – Violation de l’obligation de tenue de dossier et obstruction à la preuve – 46 LPGA / Refus de l’assurance-accidents de transmettre au tribunal et à l’assuré le dossier que lui a remis l’office AI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_289/2024 (d) du 28.07.2025

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Maxime inquisitoire / 43 LPGA – 61 LPGA

Violation de l’obligation de tenue de dossier et obstruction à la preuve / 46 LPGA

Refus de l’assurance-accidents de transmettre au tribunal et à l’assuré le dossier que lui a remis l’office AI

L’art. 33 LPGA ne vise ni la personne assurée ni les tribunaux

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a admis le recours d’un assuré contre la suppression de sa rente d’invalidité par son assureur-accidents. Notre Haute Cour a jugé que l’assureur-accidents avait violé son obligation de produire l’intégralité du dossier, en particulier les documents provenant de l’assurance-invalidité, qu’il avait conservés sans les transmettre au tribunal cantonal. Ni le fait de ne pouvoir garantir l’exhaustivité de ces dossiers ni l’indication de l’office AI de ne pas communiquer les pièces à des tiers (art. 33 LPGA) ne justifiaient un tel refus.

 

Faits
Le 22.04.1994, l’assuré, né en 1963, a subi un accident de la circulation. Pour les séquelles permanentes de cet accident, l’assurance-accidents lui a alloué, par décision du 16.04.1998, une IPAI de 35%. Par décision du 22.09.1998, l’assureur lui a en outre octroyé, dès le 01.10.1998, une rente fondée sur un taux d’invalidité de 46%. Ces deux décisions sont entrées en force.

En janvier 2021, l’assurance-accidents a ouvert une procédure de révision de la rente. La rente a été supprimée avec effet au 28.02.2022, par décision du 03.02.2022, confirmée sur opposition.

 

Procédure cantonale (arrêt UV.2023.00032 – consultable ici)

Par jugement du 29.02.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 43 al. 1 LPGA, l’assureur (et, conformément à l’art. 61 let. c LPGA, également le tribunal des assurances sociales) doit – selon la maxime inquisitoire – établir d’office les faits déterminants de manière correcte et complète afin que la décision concernant la prestation litigieuse puisse être rendue sur cette base (art. 49 LPGA ; ATF 136 V 376 consid. 4.1.1). Le devoir d’instruction s’étend jusqu’à ce que les faits nécessaires à l’examen des prétentions en cause soient suffisamment élucidés. Le principe inquisitoire est étroitement lié au principe de la libre appréciation des preuves, applicable tant au niveau administratif qu’au niveau judiciaire.

Si l’assureur ou le tribunal, se fondant sur une appréciation consciencieuse des preuves fournies par les investigations auxquelles il doit procéder d’office, est convaincu que certains faits présentent un degré de vraisemblance prépondérante (ATF 126 V 353 consid. 5b ; 125 V 193 consid. 2) et que d’autres mesures probatoires ne pourraient plus modifier cette appréciation, il est superflu de rechercher d’autres preuves. Une telle manière de procéder ne viole pas le droit d’être entendu (appréciation anticipée des preuves ; ATF 146 V 240 consid. 8.2 ; 134 I 140 consid. 5.3 ; 124 V 90 consid. 4b).

En cas de doute important quant à l’exactitude et/ou à l’exhaustivité des faits, il convient de compléter l’instruction, pour autant que l’on peut encore attendre un résultat probant des mesures d’instruction supplémentaires (arrêt 8C_594/2024 du 20 juin 2025 consid. 4.1 ; SVR 2010 AlV Nr. 2 p. 3 consid. 2.2 et la référence, 8C_269/2009).

Consid. 3.2
Il ne dépend pas du bon vouloir de l’autorité, dans le cadre d’une procédure de recours, de ne transmettre au tribunal que les pièces qu’elle considère comme nécessaires et déterminantes pour l’appréciation du cas (arrêt 8C_616/2013 du 28 janvier 2014 consid. 2.1). Autrement, les principes de preuve exposés ci-dessus seraient vidés de leur substance (SVR 2010 AlV n° 2 p. 3 consid. 5.2.2, 8C_269/2009 ; arrêt 8C_751/2009 du 24 février 2010 consid. 4.3.2). Le droit constitutionnel à une tenue de dossier ordonnée et claire impose aux autorités et aux tribunaux de garantir l’exhaustivité des pièces produites ou établies au cours de la procédure (ATF 138 V 218 consid. 8.1.2 ; SVR 2011 IV n° 44 p. 131 consid. 2.2.1, 8C_319/2010 ; arrêt 5A_341/2009 du 30 juin 2009 consid. 5.2).

Pour les assureurs soumis à la partie générale du droit des assurances sociales, l’obligation de tenue de dossier a été concrétisée au niveau légal à l’art. 46 LPGA. Selon cette disposition, lors de chaque procédure relevant des assurances sociales, l’assureur enregistre de manière systématique tous les documents qui peuvent être déterminants (ATF 138 V 218 consid. 8.1.2 ; voir aussi arrêt 9C_171/2024 du 8 novembre 2024 consid. 4.3.2).

En outre, les documents doivent être classés dès le début dans l’ordre chronologique ; en cas de demande de consultation du dossier et au plus tard au moment de la décision, le dossier doit également être paginé dans son intégralité (SVR 2011 IV n° 44 p. 131 consid. 2.2.2, 8C_319/2010). En règle générale, il convient également d’établir un répertoire des pièces contenant une liste chronologique de toutes les écritures produites dans le cadre d’une procédure (arrêt 2C_327/2010 du 19 mai 2011 consid. 3.2, non publié in ATF 137 I 247 ; SVR 2011 IV n° 44 p. 131 consid. 2.2.2, 8C_319/2010).

Une violation de l’obligation de tenue de dossier, par omission ou suppression de documents, peut – sous réserve de simples irrégularités mineures dans la gestion du dossier – constituer une obstruction à la preuve et entraîner un renversement du fardeau objectif de la preuve (arrêt 8C_545/2021 du 4 mai 2022 consid. 5.2.2 et la référence à l’ATF 138 V 218 consid. 8.1 et 8.3).

Consid. 3.3
Conformément à l’art. 32 al. 1 LPGA, les autorités administratives et judiciaires de la Confédération, des cantons, des districts, des circonscriptions et des communes fournissent gratuitement aux organes des assurances sociales, dans des cas particuliers et sur demande écrite et motivée, les données qui leur sont nécessaires pour fixer ou modifier des prestations, ou encore en réclamer la restitution, pour prévenir des versements indus, pour fixer et percevoir les cotisations ainsi que pour faire valoir une prétention récursoire contre le tiers responsable.

Les organes des assurances sociales se prêtent mutuellement assistance aux mêmes conditions (art. 32 al. 2 LPGA).

Les personnes qui participent à l’application des lois sur les assurances sociales ainsi qu’à son contrôle ou à sa surveillance sont tenues, conformément à l’art. 33 LPGA, de garder le secret à l’égard des tiers.

Consid. 4
Dans sa prise de position du 28 juin 2024, l’assurance-accidents reconnaît être en possession de dossiers de l’office AI qu’elle n’a pas transmis au tribunal cantonal. À cet égard, elle fait valoir, d’une part, qu’elle ne peut garantir l’exhaustivité de ces dossiers et, d’autre part, que ceux-ci lui ont été remis par l’office AI sous la condition de ne pas les communiquer à des tiers. Ces deux motifs ne constituent toutefois pas des raisons suffisantes pour refuser à l’assuré la consultation de ces dossiers et pour ne pas les soumettre au tribunal.

Si l’office AI a, lors de la transmission des dossiers, fait référence à l’art. 33 LPGA selon lequel les dossiers ne peuvent être communiqués à des tiers, cette mention ne saurait viser ni la personne assurée ni les tribunaux chargés d’examiner la légalité des décisions de l’assurance-accidents. De même, la question de savoir comment la personne assurée doit procéder lorsqu’elle constate que les dossiers AI sont incomplets – et s’elle doit s’en prévaloir auprès de l’assurance-accidents ou de l’office AI – doit être séparée de la question de la consultation et de la communication des dossiers dans le cadre de la procédure judiciaire.

Aucun autre intérêt public ou privé prépondérant susceptible de s’opposer à la production de ces dossiers (sur la justification d’un refus du droit de consulter le dossier : arrêt 9C_171/2024 du 8 novembre 2024 consid. 4.3.2 et les références) n’a été allégué ni n’apparaît manifeste. En l’espèce, rien ne justifie donc de retenir ces dossiers et de ne pas les communiquer au tribunal cantonal.

Par conséquent, le recours doit être admis, le jugement cantonal annulé, et la cause renvoyée à la cour cantonale pour qu’elle statue à nouveau sur le recours contre la décision sur opposition du 18 janvier 2023, après production de l’ensemble du dossier – notamment des dossiers AI disponibles. Ce faisant, elle devra tenir compte de la jurisprudence récente du Tribunal fédéral, selon laquelle l’octroi d’une prestation par l’assurance-accidents implique toujours un examen au moins implicite du lien de causalité adéquate et qu’une reconsidération n’est admissible que si cet examen implicite du caractère adéquat était manifestement erroné au regard de la situation de fait et de droit prévalant au moment de la décision initiale (arrêt 8C_698/2023 du 27 novembre 2024 consid. 5 et 6 ; voir également arrêt 8C_325/2024 du 20 février 2025 consid. 5.2).

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_289/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_289/2024 (d) du 28.07.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/10/8c_289-2024)

 

 

9C_577/2024 (f) du 09.07.2025, destiné à la publication – Qualité de bénéficiaires en cas de décès – 15 OLP / Droit aux prestations décès d’une concubine vs de l’ex-épouse

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_577/2024 (f) du 09.07.2025, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Qualité de bénéficiaires en cas de décès / 15 OLP – 19 LPP – 20 OPP 2

Droit aux prestations décès d’une concubine vs de l’ex-épouse – Conditions pour assimiler l’ex-épouse à une veuve / 20 al. 1 OPP 2

Cercle prioritaire des bénéficiaires en vertu des art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a précisé les conditions dans lesquelles une ex-conjointe peut être assimilée à une veuve pour prétendre à une prestation de libre passage après le décès de son ancien époux. Il précise également que l’ordre des bénéficiaires prévu par l’art. 15 OLP doit être respecté : même si l’assuré dispose de la faculté de préciser les droits de chacun et d’inclure d’autres personnes dans le cercle bénéficiaire, il ne peut exclure totalement un bénéficiaire prioritaire. Enfin, la délégation légale permettant au Conseil fédéral de fixer les conditions du droit du conjoint divorcé à des prestations pour survivants ne l’autorise pas à restreindre ou supprimer ce droit par voie réglementaire.

Ainsi, l’ex-épouse et la compagne du défunt appartiennent toutes deux au cercle prioritaire des bénéficiaires au sens de l’ordonnance sur le libre passage et du règlement de la fondation concernée. La cause a été renvoyée à la juridiction cantonale afin qu’elle répartisse entre elles le capital de libre passage contesté.

 

Faits
Assuré, né en 1954, et son épouse, née en 1949, se sont mariés en 1976 et ont eu deux enfants, nés en 1977 et 1980. Leur mariage a été dissous par jugement de divorce du 20 mai 1998, la convention homologuée prévoyant le versement d’une pension mensuelle de 1’800 fr. à l’épouse, augmentée de 500 fr. dès que les enfants auraient acquis leur indépendance financière.

Le 25 juin 2015, l’assuré a demandé à la Banque cantonale de Fribourg (BCF) que le capital de son compte de libre passage soit mis à disposition de sa compagne, avec qui il faisait ménage commun depuis 10 ans, et a désigné celle-ci comme bénéficiaire pour le versement de prestations en cas de décès à 100% du capital-décès auprès de la Fondation de prévoyance de son dernier employeur, la Fondation D.__. Par testament olographe du 20 janvier 2016, il a institué héritiers ses deux enfants pour trois quarts et sa compagne pour un quart.

À la suite du décès de l’assuré survenu le 1er février 2016, ses enfants et sa compagne ont conclu une convention le 26 juin 2016, par laquelle la compagne s’engageait à répudier la succession et à renoncer à ses droits successoraux en faveur des enfants, lesquels renonçaient, en sa faveur, à leurs prétentions relatives au compte auprès de la Fondation de libre passage. La compagne a perçu des prestations de la Fondation D.__, en qualité de bénéficiaire des avoirs, conformément au formulaire transmis par le défunt en juin 2015.

En août et septembre 2016, la BCF l’a informée que l’ex-épouse de l’assuré faisait valoir des prétentions sur le compte de libre passage du défunt, non manifestement injustifiées, de sorte qu’en l’absence de décision judiciaire définitive et exécutoire ou d’un accord écrit entre les intéressées, elle ne pouvait libérer les avoirs litigieux. Malgré les échanges ultérieurs, la BCF a maintenu sa position.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2023 161 – consultable ici)

La compagne a ouvert action contre la Fondation de libre passage. L’ex-épouse a été intégrée à la procédure comme intervenante. Par arrêt du 04.09.2024, la juridiction cantonale a partiellement admis l’action et ordonné à la Fondation de verser la totalité du capital sur le compte indiqué par la compagne, avec intérêts.

 

TF

Consid. 1.2.2
Dans le domaine des assurances sociales, l’institution de l’intervention vise à éviter que des décisions contradictoires ne soient rendues dans la même affaire et vise également une fonction de coordination du droit matériel (arrêts 9C_627/2023 du 25 juin 2024 consid. 6.3.2; 9C_198/2017 et 9C_199/2017 du 29 août 2017 consid. 3.2.1; cf. aussi arrêt 9C_717/2023 du 7 août 2024 consid. 4.4, non publié in ATF 151 III 143). L’intervention de partie n’a pas d’autres effets (ATF 130 V 501 consid. 1.2). Dès lors, les personnes intégrées dans la procédure par le biais de l’intervention n’ont aucune obligation qui découlerait de l’issue de la première procédure; celles-ci devront en revanche se laisser opposer les effets de cette décision dans d’autres procédures ultérieures (cf. arrêt 9C_198/2017 et 9C_199/2017 du 29 août 2017 consid. 3.2.2).

Consid. 1.2.3
En l’espèce, l’ex-épouse a pris part à la procédure en question, certes pas en tant que partie principale, mais en qualité d’intervenante. Comme elle le fait valoir, lui dénier la qualité pour recourir reviendrait à lui opposer les effets de l’arrêt cantonal, en ce que la juridiction cantonale a nié ses prétentions sur le capital litigieux, sans lui laisser la possibilité de faire valoir ses droits dans une autre procédure distincte, ce qui n’est pas compatible avec les garanties de procédure (cf. art. 29 à 30 Cst., art. 6 CEDH; cf. également FLORIAN BRUNNER, Verfahren mit mehreren Parteien im öffentlichen Recht, 2021, n° 460). Par ailleurs, les conclusions de l’ex-épouse ont été rejetées devant la juridiction cantonale, ce qui est une condition supplémentaire pour qu’elle puisse recourir devant le Tribunal fédéral (art. 89 al. 1 let. b et c LTF). Partant, quoi qu’en dise la compagne à cet égard, la recevabilité du recours déposé par l’ex-épouse ne prête pas le flanc à la critique sous l’angle de l’art. 89 al. 1 LTF.

Consid. 3.1
Selon l’art. 15 al. 1 let. b ch. 1 et 2 OLP, ont qualité de bénéficiaires s’agissant du maintien de la prévoyance, en cas de décès, les personnes ci-après dans l’ordre suivant : les survivants au sens des art. 19, 19a et 20 LPP (ch. 1), ainsi que les personnes à l’entretien desquelles l’assuré subvenait de façon substantielle, ou la personne qui avait formé avec lui une communauté de vie ininterrompue d’au moins cinq ans immédiatement avant le décès ou qui doit subvenir à l’entretien d’un ou de plusieurs enfants communs (ch. 2). L’assuré peut préciser dans le contrat les droits de chacun des bénéficiaires et inclure dans le cercle des personnes défini à l’al. 1, let. b, ch. 1, celles qui sont mentionnées au ch. 2 (art. 15 al. 2 OLP).

Consid. 3.2
Conformément à l’art. 19 al. 1 LPP, le conjoint survivant a droit à une rente si, au décès de son conjoint, il remplit l’une ou l’autre des conditions suivantes : il a au moins un enfant à charge (let. a) ; il a atteint l’âge de 45 ans et le mariage a duré au moins cinq ans (let. b). L’art. 19 al. 3 LPP précise que le Conseil fédéral définit le droit du conjoint divorcé à des prestations pour survivants. Faisant usage de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a adopté l’art. 20 OPP 2.

Aux termes de l’art. 20 al. 1 OPP 2, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2016 (RO 2004 4279 et 4653), applicable en l’espèce (ATF 148 V 174 consid. 4.1 et les références), le conjoint divorcé est assimilé au veuf ou à la veuve en cas de décès de son ancien conjoint à la condition que son mariage ait duré dix ans au moins (let. a) et qu’il ait bénéficié, en vertu du jugement de divorce, d’une rente ou d’une indemnité en capital en lieu et place d’une rente viagère (let. b).

Consid. 3.3 [résumé]
Selon l’art. 6 du règlement de la Fondation de libre passage, en vigueur au moment du décès, sont bénéficiaires (art. 15 OLP), dans l’ordre, les survivants visés par les art. 19, 19a et 20 LPP, puis les personnes à l’entretien desquelles le preneur subvenait de manière substantielle ou celles ayant formé avec lui une communauté de vie d’au moins cinq ans avant le décès, ou encore celles chargées de subvenir à l’entretien d’enfants communs. L’assuré peut, par écrit et par courrier recommandé, préciser les droits de chacun et inclure dans le premier cercle les personnes du second. À défaut d’une déclaration écrite reçue par la fondation, le capital est réparti proportionnellement entre les ayants droit selon l’ordre établi.

La version postérieure du règlement (état au 1er septembre 2023) consacre ces principes dans l’art. 8, qui maintient l’ordre de priorité et la faculté d’aménagement des droits des bénéficiaires (art. 8 al. 1 et 2). Elle introduit l’usage d’un formulaire pour modifier cet ordre ou définir plus précisément les droits en cas de décès (art. 8 al. 3) et autorise la fondation à exiger des compléments d’information ou des documents pour vérifier le droit aux prestations (art. 8 al. 8).

Consid. 6.1
Conformément à l’art. 15 al. 1 let. b OLP, les bénéficiaires prioritaires s’agissant du maintien de la prévoyance sont les survivants au sens des art. 19, 19a et 20 LPP. Ces bénéficiaires, qui disposent d’un droit originaire qui leur est conféré par la loi (art. 15 OLP qui renvoie aux art. 19 à 20 LPP; arrêts 9C_52/2024 du 6 mars 2025 consid. 4.2.2; 9C_124/2015 du 19 octobre 2015 consid. 3.3), sont donc identiques aux bénéficiaires de prestations de la prévoyance obligatoire (art. 19, 19a et 20 LPP). Pour les autres rangs (art. 15 al. 1 let. b ch. 2-4 OLP), le cercle des bénéficiaires est exhaustif et correspond à celui de l’art. 20a LPP (cf. Rapport du Conseil fédéral « Analyse de la flexibilisation de l’ordre des bénéficiaires du pilier 3a » du 7 juin 2024 donnant suite au postulat 22.3220 Nantermod du 17 mars 2022, ch. 3.3.2; cf. aussi Message relatif à la révision de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité [LPP] [1 re révision LPP] du 1er mars 2000, FF 2000 2495, 2541, ch. 2.9.6.3).

Il résulte de l’art. 15 al. 1 let. b ch. 1 et 2 OLP que si le concubin (au sens défini par la disposition) peut se voir reconnaître le droit à la prestation de libre passage, son droit est en principe subordonné à la condition que le défunt n’ait pas de survivants au sens des art. 19, 19a et 20 LPP. Dans la mesure où les fondations de libre passage n’accordent pas de prestations aux survivants selon les art. 19, 19a et 20 LPP, ceux-ci sont en effet des ayants droit prioritaires à la prestation de libre passage (art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP). Ainsi, lorsque le défunt était marié ou lié par un partenariat enregistré, ou s’il avait des enfants, le concubin n’a droit à la prestation de libre passage que si le défunt l’a inclus dans le cercle des ayants droit prioritaires selon l’art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP, comme l’y autorise l’art. 15 al. 2 OLP (cf. STÉPHANIE PERRENOUD, Familles et sécurité sociale en Suisse: l’état civil, un critère pertinent ?, 2022, n° 1750; cf. aussi MARC HÜRZELER, Berufliche Vorsorge, Ein Grundriss für Studium und Praxis, 2020, n° 288). Le but de cette dernière disposition est de conférer à l’assuré la possibilité de tenir compte de l’objectif de prévoyance, par exemple en prenant en considération la situation personnelle et financière particulière des bénéficiaires (HÜRZELER, op. cit., n° 289). Cela étant, l’ordre des bénéficiaires prévu par l’art. 15 OLP doit être respecté. Cela signifie que si l’assuré fait usage de la possibilité prévue à l’art. 15 al. 2 OLP – à savoir qu’il peut préciser dans le contrat les droits de chacun des bénéficiaires et inclure dans le cercle des personnes défini à l’art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP celles qui sont mentionnées à l’art. 15 al. 1 let. b ch. 2 OLP -, il ne peut exclure totalement un des bénéficiaires du ch. 1 de l’art. 15 al. 1 let. b OLP en réduisant sa part à néant (cf. Rapport du Conseil fédéral du 7 juin 2024 précité, ch. 3.3.2; cf. aussi OFAS, Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 79 du 27 janvier 2005, ch. 472 p. 9; cf. également HÜRZELER, op. cit., n° 289).

On rappellera au demeurant que selon la jurisprudence, les règles applicables aux bénéficiaires de prestations pour survivants des institutions de prévoyance selon l’art. 20a LPP et aux prestations de libre passage selon l’art. 15 OLP concernent des états de fait différents. L’exclusion du versement de prestations pour survivants aux bénéficiaires de prestations selon l’art. 20a al. 1 LPP (catégorie au sein de laquelle s’inscrit en particulier la personne qui a formé avec le défunt une communauté de vie ininterrompue d’au moins cinq ans immédiatement avant le décès ou qui doit subvenir à l’entretien d’un ou de plusieurs enfants communs) en raison de la perception d’une rente de veuf ou de veuve, comme le prévoit l’art. 20a al. 2 LPP, ne s’applique pas aux prestations de libre passage (ATF 135 V 80 consid. 3.4).

Consid. 6.2
Dans la prévoyance obligatoire, les bénéficiaires de prestations de survivants, qui sont désignés de manière impérative par la loi (cf. art. 19, 19a et 20 LPP), comprennent le conjoint et le partenaire enregistré survivants (art. 19 et 19a LPP), l’ex-conjoint et l’ex-partenaire enregistré survivants (art. 19 al. 3 et 19a LPP et 20 OPP 2), ainsi que les orphelins (art. 20 LPP; cf. PERRENOUD, op. cit., n os 1659 et 1718; de cet avis également, notamment: ESTHER AMSTUTZ, in Basler Kommentar, Berufliche Vorsorge, 2021, n° 1 ad art. 20a LPP; MARC HÜRZELER/ GUSTAVO SCARTAZZINI, in Commentaire LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n os 1 et 37 ad art. 20a LPP).

Ainsi, le principe selon lequel le conjoint divorcé a droit à une rente de survivant de la prévoyance professionnelle obligatoire est prévu dans la loi, à l’art. 19 al. 3 LPP. La délégation de compétence que contient cette disposition (consid. 3.2 supra), dont le Conseil fédéral a fait usage en adoptant l’art. 20 OPP 2, ne porte que sur les conditions du droit du conjoint divorcé à des prestations pour survivants; elle n’autorise pas le Conseil fédéral à supprimer, par la voie réglementaire, le droit du conjoint divorcé à de telles prestations (cf. Message à l’appui d’un projet de loi sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 19 décembre 1975, FF 1976 I 117, 199, ch. 521.32; cf. aussi Message relatif à la 1re révision LPP précité, FF 2002 2495, 2549, ch. 4.1, selon lequel la nouvelle formulation de l’al. 3 [de l’art. 19] rend possible que l’ex-mari ait droit à une rente de veuf aux mêmes conditions que la femme survivante divorcée).

Consid. 6.3
En définitive, en considérant que les conjoints divorcés ne sont pas inclus dans le cercle des conjoints survivants selon l’art. 19 LPP, auquel renvoient les art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP et 8 du règlement de la Fondation de libre passage, la juridiction cantonale a violé le droit. Un conjoint divorcé fait partie du cercle prioritaire des ayants droit selon les dispositions précitées, pour autant que soient remplies les conditions auxquelles l’art. 20 OPP 2 subordonne l’assimilation du conjoint divorcé au veuf ou à la veuve.

Consid. 7.1
Il reste à examiner si les conditions posées par l’art. 20 al. 1 OPP 2 sont en l’occurrence réalisées, ce qui permettrait dans l’affirmative à l’ex-épouse d’être assimilée à une veuve et donc, d’être considérée comme un conjoint survivant au sens de l’art. 19 LPP et de faire partie, à ce titre, du cercle prioritaire des ayants droit selon les art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP et 8 du règlement de la Fondation de libre passage.

Consid. 7.2
Concernant d’abord la condition afférente à la durée du mariage (art. 20 al. 1 let. a OPP 2), il est constant que l’ex-épouse et feu l’assuré se sont mariés le 12 mars 1976 et que la dissolution de leur mariage par le divorce a été prononcée le 20 mai 1998. Ils ont donc été mariés pendant plus de dix ans, comme l’exige l’art. 20 al. 1 let. a OPP 2.

Consid. 7.3 [résumé]

Quant à la seconde condition (art. 20 al. 1 let. b OPP 2, dans sa version applicable jusqu’au 31 décembre 2016; cf. consid. 3.2 supra), la convention de divorce du 20 mai 1998 prévoyait que l’assuré devait verser à son ex-épouse la moitié de sa prestation de sortie LPP acquise pendant le mariage (104’735 fr. 90) et une pension mensuelle de 1’800 fr., augmentée de 500 fr. dès que chaque enfant aurait acquis son indépendance financière. Selon la convention, l’assuré avait renoncé à demander une réduction de la pension tant que les revenus de son ex-épouse restaient inférieurs à 1’500 fr. nets par mois, sous réserve d’une baisse importante et durable de ses propres revenus en dessous de 7’200 fr. nets. A cet égard, la compagne n’allègue pas que feu l’assuré ne versait plus de pension à son ex-épouse au moment de son décès.

En ce qui concerne l’ex-épouse, le décès de son ex-conjoint a ainsi eu pour conséquence la fin du versement de contributions d’entretien, alors qu’elle avait déjà atteint l’âge de la retraite. La condition relative à l’octroi d’une rente, en vertu du jugement de divorce (art. 20 al. 1 let. b OPP 2) est donc remplie. On rappellera à cet égard que la rente, prévue comme condition de l’assimilation du conjoint divorcé au veuf ou à la veuve par l’art. 20 al. 1 let. b OPP 2, peut également être une rente limitée dans le temps (ATF 137 V 373 consid. 2-6). Ce qui importe, c’est que l’obligation alimentaire existe encore au moment du décès de l’ex-conjoint tenu à aliments (cf. OFAS, Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 1 du 24 octobre 1986, ch. 2 p. 4 s.; cf. aussi HÜRZELER/SCARTAZZINI, op. cit., n os 18 et 31 ad art. 19 LPP). L’art. 20 OPP 2 vise en effet à indemniser le conjoint divorcé pour la perte de soutien qu’il subit ensuite du décès de son ancien conjoint (ATF 137 V 373 consid. 6.2 et les arrêts cités; cf. aussi arrêts 9C_33/2011 du 14 septembre 2011 consid. 5.2; B 135/06 du 9 novembre 2007 consid. 3.6). Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner plus avant le grief de l’ex-épouse recourante tiré de la violation de la maxime inquisitoire par les juges cantonaux, en relation avec la fonction de soutien de la contribution d’entretien.

Consid. 8 [résumé]
En conséquence de ce qui précède, la cause doit être renvoyée à la juridiction cantonale afin qu’elle répartisse le capital litigieux entre l’ex-épouse et la compagne, qui appartiennent toutes deux au cercle prioritaire des bénéficiaires selon les art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP et 8 du règlement de la Fondation de libre passage (correspondant à l’art. 6 de l’ancien règlement).

 

Le TF admet le recours de l’ex-épouse.

 

Arrêt 9C_577/2024 consultable ici

 

 

 

9C_283/2024 (f) du 27.06.2025 – Notion d’invalidité et d’incapacité de travail – Syndrome douloureux somatoforme et d’affections psychosomatiques comparables / Valeur probante des expertises judiciaires

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_283/2024 (f) du 27.06.2025

 

Consultable ici

 

Notion d’invalidité et d’incapacité de travail – Syndrome douloureux somatoforme et d’affections psychosomatiques comparables / 7 LPGA – 8 LPGA – 16 LPGA – 4 al. 1 LAI

Valeur probante des expertises judiciaires – Un diagnostic ne suffit pas à déterminer une incapacité de travail

 

Résumé
Assurée ayant obtenu une demi-rente d’invalidité en raison de troubles psychiques et physiques, puis à qui la cour cantonale a reconnu une rente entière sur la base d’expertises judiciaires. Le Tribunal fédéral a relevé que les constatations médicales n’étaient pas suffisamment détaillées pour évaluer objectivement la gravité des atteintes invoquées ni pour apprécier leur impact réel sur la capacité de travail. Les juges cantonaux ont donc, selon lui, accordé une valeur probante excessive à une expertise lacunaire.

Le Tribunal fédéral rappelle que la nature d’un diagnostic ne suffit pas à déterminer une incapacité de travail. Ce qui importe, ce sont les limitations fonctionnelles concrètes qui en découlent, lesquelles doivent être examinées de manière structurée et cohérente au regard des exigences professionnelles. Constatant l’insuffisance de l’évaluation médicale respectant pleinement les exigences en la matière (cf. ATF 141 V 281), il renvoie la cause à la juridiction cantonale afin qu’elle complète l’instruction et statue à nouveau sur le droit de l’assurée à une rente supérieure à une demi-rente.

 

Faits
Assurée, née en 1968, a exercé comme secrétaire médicale à plein temps dès août 2000 puis à 80% dès septembre 2009. En arrêt de travail complet depuis le 10.11.2015, puis partiel dans le cadre de reprises thérapeutiques, elle a déposé le 22.02.2017 une demande de prestations AI en raison d’un syndrome d’épuisement professionnel. L’assurée a tenté une reprise de son travail à 50% en avril 2017 puis a séjourné dans une institution de réadaptation psychosomatique en juillet-août 2017.

L’office AI a recueilli divers rapports médicaux, organisé des mesures préparatoires – interrompues prématurément – et mis en œuvre une expertise psychiatrique. L’expert, dans un rapport du 17 juin 2019, a diagnostiqué des troubles dépressifs récurrents moyens avec syndrome somatique et des troubles paniques, limitant la capacité de travail dans son activité habituelle ou toute autre activité également adaptée à 50% depuis 2016.

Sur le plan somatique, le médecin du SMR a convoqué l’assurée pour une évaluation et a retenu un syndrome polyalgique compatible avec un syndrome d’Ehlers-Danlos hypermobile, une hypermobilité bénigne ou une fibromyalgie. L’assurée disposait d’une capacité de travail de 70% dans son activité habituelle ou toute autre activité adaptée depuis le 10.11.2015. Après une enquête économique sur ménage, l’office AI a octroyé une demi-rente dès le 01.08.2017 (décision du 23.02.2021).

Procédure cantonale (arrêt ATAS/204/2024 – consultable ici)

L’assurée a produit de nouveaux rapports psychiatriques. La cour cantonale a procédé à l’audition des parties, puis a ordonné une expertise judiciaire (psychiatrie et rhumatologie). L’expert rhumatologue a retenu un syndrome douloureux chronique, tandis que l’expert psychiatre a diagnostiqué des troubles envahissants du développement, notamment un syndrome d’Asperger, un trouble de l’anxiété généralisée et un trouble dépressif récurrent (actuellement en rémission). Selon lui, l’assurée est incapable d’exercer son activité depuis 2015 et ne peut envisager qu’une activité protégée à très faible taux.

Par jugement du 27.03.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente entière d’invalidité dès le 01.08.2017.

 

TF

Consid. 2.2
Comme l’ont rappelé les premiers juges, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d’évaluation de la capacité de travail, respectivement de l’incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d’affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d’évaluation au moyen d’un catalogue d’indicateurs (ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d’évaluation aux autres affections psychiques ou psychosomatiques (ATF 143 V 409 et 418; 145 V 215). Aussi, le caractère invalidant d’atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d’un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, dont notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l’art (ATF 143 V 409 consid. 4.4).

Consid. 3.1 [résumé]
L’office recourant soutient que la cour cantonale a arbitrairement accordé pleine valeur probante à l’expertise de l’expert judiciaire psychiatre. Il reproche à ce dernier un diagnostic insuffisamment motivé de trouble du spectre autistique, fondé principalement sur le test « Quotient du spectre de l’autisme (AQ-10) » sans corroboration clinique, anamnestique ni référence aux critères diagnostiques reconnus. Selon l’office AI, l’assurée, âgée de 56 ans, présentait un parcours social et professionnel sans altération significative, et les restrictions décrites relevaient d’un trouble anxieux. Il souligne l’absence d’éléments cliniques pertinents (troubles cognitifs, perceptifs ou du moi) et conteste les conclusions rétrospectives de l’expert depuis 2015.

Consid. 3.2 [résumé]
L’assurée soutient au contraire que l’expert judiciaire psychiatre a fondé son diagnostic sur une analyse détaillée de l’anamnèse et sur les critères internationaux du syndrome d’Asperger, en reliant les symptômes observés à ceux-ci. L’expert avait décrit une évolution marquée par des épisodes d’épuisement et de dépression depuis 2011, avec une incapacité totale de travail dès 2015, en expliquant que son niveau d’intelligence – évalué de manière objective à l’aide d’un test reconnu – avait masqué les signes autistiques depuis l’enfance. Il avait en outre observé des particularités gestuelles et mimiques confirmant le diagnostic, de sorte que l’examen de l’impact d’une éventuelle fibromyalgie était superflu face à une incapacité totale due au syndrome d’Asperger.

Consid. 4.1
En l’occurrence, comme le relève l’office recourant, le diagnostic de troubles envahissants du développement, même s’il était posé de manière fondée (question qui peut être laissée ouverte, voir infra consid. 4.3), ne peut pas à lui seul justifier une incapacité de travail totale dans toute activité. Ce qui importe dans l’évaluation de la capacité de travail, ce n’est pas uniquement la nature du diagnostic, mais les limitations fonctionnelles qui en résultent. Les déficits fonctionnels, qui du point de vue conceptuel font partie du diagnostic posé selon les règles de l’art, doivent être comparés aux exigences de la vie professionnelle et convertis en une éventuelle diminution de la capacité de travail à l’aide d’une grille d’évaluation normative et structurée (notamment des indicateurs du degré de gravité fonctionnel et de cohérence). De cette manière, les limitations fonctionnelles mises en évidence par l’expert peuvent être confirmées ou écartées par les organes de l’assurance-invalidité après un soigneux examen de plausibilité en fonction des circonstances du cas particulier (ATF 141 V 281 consid. 2.1.2 et les références).

Consid. 4.2
À cet égard, en se contentant d’affirmer que l’expertise judiciaire psychiatrique répondait aux « réquisits » nécessaires à la reconnaissance de sa pleine valeur probante, et qu’elle était détaillée et convaincante, la juridiction cantonale n’a pas constaté les éléments de fait suffisants pour que le Tribunal fédéral puisse juger des griefs soulevés par l’office recourant (art. 112 al. 1 let. b LTF). Cette appréciation est de plus arbitraire dans son résultat.

À l’inverse de ce que soutient implicitement la juridiction cantonale, l’expert psychiatre ne s’est pas exprimé sur le caractère prononcé des éléments et des symptômes pertinents pour les différents diagnostics, en particulier ceux de troubles envahissants du développement et d’anxiété généralisée. Au contraire, il s’est fondé essentiellement sur la manière dont l’assurée elle-même ressentait et assumait ses facultés de travail depuis 2015, pour recommander son intégration dans un atelier spécialisé, alors qu’il aurait été tenu d’établir, au moyen d’une évaluation fonctionnelle rigoureuse conforme aux exigences de l’ATF 141 V 281, la mesure de ce qui était raisonnablement exigible le plus objectivement possible. Au regard du parcours de l’assurée, qui a travaillé durant plus de trente ans, en dernier lieu en qualité de secrétaire dans un service de psychiatrie hospitalière, l’expert n’a en particulier pas apporté d’éléments suffisants pour apprécier la gravité de l’atteinte à la santé à l’aide de tous les éléments à disposition provenant de l’étiologie et de la pathogenèse déterminante pour le diagnostic en tant qu’échelle de mesure pour voir si elle prive l’assurée de ses ressources.

De plus, il manque dans l’expertise une discussion approfondie du « contexte social » de l’assurée, l’office recourant soutenant à juste titre que les interactions sociales de celle-ci étaient limitées selon l’anamnèse principalement en raison du trouble anxieux. Or, alors qu’il retient que l’anxiété généralisée était de « gravité légère » selon les tests psychométriques et que les vulnérabilités psychologiques liées aux émotions et au dynamisme ne justifiaient pas une incapacité de travail, l’expert judiciaire n’a pas discuté le niveau d’activité de l’assurée avant et après 2015. Il n’a donc pas considéré le niveau d’activité de l’assurée dans son environnement habituel par rapport à l’incapacité de travail invoquée concrètement. L’expertise judiciaire ne permet dès lors pas d’examiner si ces comorbidités psychiatriques, en tant qu’échelle de mesure, privent l’assurée de certaines ressources. En d’autres termes, l’expertise judiciaire ne fournit manifestement pas les éléments cliniques et documentaires nécessaires permettant d’évaluer de manière objective la gravité de l’atteinte à la santé et l’étendue de la diminution de la capacité de travail qu’elle entraîne pour l’assurée.

Consid. 4.3
Ensuite des éléments qui précèdent, alors que les conclusions de l’expertise se heurtent à la réalité concrète et observable de la vie professionnelle de l’assurée pendant plus de trente ans, l’expert judiciaire n’a pas exposé d’éléments détaillés et convaincants susceptibles de permettre de comprendre ou de suivre ses conclusions. Dans ces circonstances, la question de savoir si les troubles envahissants du développement, notamment de type syndrome d’Asperger, ont été diagnostiqués selon les règles de l’art peut rester ouverte. Il appartiendra au nouvel expert psychiatrique d’examiner cette problématique ab novo, puis de se prononcer avec l’expert rhumatologue au terme d’une discussion interdisciplinaire.

Consid. 5
En conclusion, en l’absence d’une évaluation médicale qui satisfasse pleinement aux exigences en la matière (cf. ATF 141 V 281) et permette de se prononcer sur le droit de l’assurée à une rente supérieure à une demi-rente dès le 1 er août 2017, il convient de renvoyer la cause à l’autorité précédente (art. 107 al. 2 LTF) pour qu’elle mette en oeuvre les mesures d’instruction qui s’imposent sur le plan médical, puis statue à nouveau.

 

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_283/2024 consultable ici