8C_631/2024 (f) du 06.05.2025 – Droit à l’indemnité de chômage – Aptitude au placement – 8 LACI – 15 LACI – Vraisemblance de démarches en vue d’une activité indépendante

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_631/2024 (f) du 06.05.2025

 

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Droit à l’indemnité de chômage – Aptitude au placement / 8 LACI – 15 LACI

Vraisemblance de démarches en vue d’une activité indépendante

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a admis le recours d’un assuré déclaré inapte au placement au motif qu’il aurait poursuivi une activité indépendante durable. Il a considéré que ni la fondation de la société anonyme, ni la participation de l’assuré à des conférences en lien avec le Bitcoin, ni ses fonctions limitées d’administrateur ne suffisaient à démontrer une indisponibilité au placement au sens de l’art. 15 al. 1 LACI. En l’absence d’éléments concrets établissant un engagement prépondérant dans une activité indépendante, et au vu des démarches de recherche d’emploi constatées, l’inaptitude au placement ne pouvait être retenue.

 

Faits
Assuré, né en 1993, a travaillé de septembre 2018 à octobre 2022 comme ingénieur informaticien, spécialiste en crypto-monnaies, au service de la société B.__ SA. Le 26.09.2022, il s’est inscrit en qualité de demandeur d’emploi auprès de l’ORP et a sollicité des indemnités journalières à compter du 01.11.2022. Le 2 février 2023, il a déposé une demande de soutien à l’activité indépendante (SAI) en tant que consultant et développeur de logiciels dans le domaine du Bitcoin, projet porté par une entreprise non encore enregistrée. L’ORP a rejeté la demande le 17.04.2023, relevant notamment l’absence de contacts avec des fournisseurs, une assise financière insuffisante et des risques extrinsèques importants pouvant influencer négativement le développement du projet.

Lors d’un entretien du 15.09.2023, l’assuré a informé l’ORP d’un nouveau projet avec son frère, concrétisé par l’inscription au registre du commerce, le 20.11.2023, de la société D.__ SA, ayant pour but l’exploitation d’équipements de minage de Bitcoin. Cette société, dépourvue de clients, services et employés, avait pour administrateurs l’assuré et son frère. L’assuré a participé à deux événements en lien avec la crypto-monnaie en octobre 2023 et mars 2024. Interpellé en janvier et février 2024 sur son aptitude au placement, il a indiqué ne pas vouloir obtenir un statut d’indépendant, ne pas être employé par D.__ SA, et consacrer à celle-ci très peu de temps, tout en recherchant un emploi à plein temps.

Par décision du 15.02.2024, confirmée sur opposition, la Direction générale de l’emploi et du marché du travail (DGEM) a déclaré l’assuré inapte au placement dès le 20.11.2023, estimant qu’il visait le développement d’une activité indépendante à caractère durable, à laquelle il n’était pas disposé à renoncer en faveur d’une activité salariée, compte tenu de l’investissement financier important.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 79/24 – 136/2024 – consultable ici)

Par jugement du 27.09.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré n’a droit à l’indemnité de chômage que s’il est apte au placement (art. 8 al. 1 let. f LACI). Est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire (art. 15 al. 1 LACI). L’aptitude au placement comprend ainsi deux éléments: le premier est la capacité de travail, c’est-à-dire la faculté de fournir un travail – plus précisément d’exercer une activité lucrative salariée – sans que l’assuré en soit empêché pour des causes inhérentes à sa personne; le deuxième élément est la disposition à accepter immédiatement un travail convenable au sens de l’art. 16 LACI, laquelle implique non seulement la volonté de prendre un tel travail s’il se présente, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que l’assuré peut consacrer à un emploi et quant au nombre des employeurs potentiels (ATF 146 V 210 consid. 3.1; 125 V 51 consid. 6a).

Consid. 4.2
Est notamment réputé inapte au placement l’assuré qui n’a pas l’intention ou qui n’est pas à même d’exercer une activité salariée, parce qu’il a entrepris – ou envisage d’entreprendre – une activité lucrative indépendante, cela pour autant qu’il ne puisse plus être placé comme salarié ou qu’il ne désire pas ou ne puisse pas offrir à un employeur toute la disponibilité normalement exigible. L’aptitude au placement doit par ailleurs être admise avec beaucoup de retenue lorsque, en raison de l’existence d’autres obligations ou de circonstances personnelles particulières, un assuré désire seulement exercer une activité lucrative à des heures déterminées de la journée ou de la semaine. Un chômeur doit être en effet considéré comme inapte au placement lorsqu’une trop grande limitation dans le choix des postes de travail rend très incertaine la possibilité de trouver un emploi (ATF 112 V 326 consid. 1a et les références; DTA 2003 n° 14 p. 128 [C 234/01] consid. 2.1). Selon la jurisprudence, l’assuré qui exerce une activité indépendante pendant son chômage n’est apte au placement que s’il peut exercer cette activité indépendante en dehors de l’horaire de travail normal. L’assuré qui, après avoir perdu son travail, exerce une activité indépendante à titre principal n’est pas apte au placement. Il en va autrement lorsque, selon les circonstances, l’activité indépendante est peu importante et qu’elle peut être exercée en dehors du temps de travail ordinaire (DTA 2009 p. 339 [8C_79/2009] consid. 4.1; arrêt 8C_282/2018 du 14 novembre 2018 consid. 4.2).

Consid. 4.3
L’intention d’un assuré d’entreprendre une activité indépendante est conforme à son devoir légal de diminuer le dommage. Si, dans ce but, il omet de prendre toutes les mesures exigibles pour retrouver un emploi, cela peut avoir cependant des conséquences sur son aptitude au placement et, partant, sur son droit à l’indemnité de chômage (arrêts 8C_853/2009 du 5 août 2010 consid. 3.5; 8C_662/2009 du 9 décembre 2009 consid. 3 et C 307/05 du 3 novembre 2006 consid. 2.1; cf. aussi DTA 1993 n° 30 p. 212 [C 171/93 consid. 3b]). En effet, il n’appartient pas à l’assurance-chômage de couvrir les risques de l’entrepreneur. Le fait qu’en général l’intéressé ne réalise pas de revenu ou seulement un revenu modique en commençant une activité indépendante est typiquement un risque qui n’est pas assuré (DTA 2002 n° 5 p. 54 [C 353/00 consid. 2b]; 2000 n° 5 p. 22 [C 117/98 consid. 2a]; arrêts 8C_853/2009 du 5 août 2010 consid. 3.5; 8C_619/2009 du 23 juin 2010 consid. 3.3.2 et C 88/02 du 17 décembre 2002 consid. 1).

Consid. 6.1 [résumé]
La cour cantonale a considéré que la décision d’inaptitude au placement reposait sur une base factuelle suffisante pour retenir l’exercice ou la volonté concrète d’exercer une activité indépendante. L’inscription de l’entreprise D.__ SA au registre du commerce faisait présumer cette intention, présomption renforcée par la demande antérieure de soutien à l’activité indépendante. La participation régulière de l’assuré à des conférences spécialisées confirmait son intérêt soutenu. Le développement d’une société dans ce domaine, même en collaboration avec son frère, impliquait un engagement personnel et financier non négligeable. Les recherches d’emploi, concentrées dans le même secteur, ne faisaient pas obstacle à l’appréciation selon laquelle l’assuré poursuivait un projet indépendant, mobilisant son énergie de manière dynamique et durable, sans réelle volonté d’y renoncer au profit d’une activité salariée.

Consid. 6.2 [résumé]
L’assuré soutient que les juges cantonaux ont retenu à tort qu’il s’était engagé dans une activité indépendante à long terme. Il affirme ne pas exercer d’activité pour la société D.__ SA, hormis ses fonctions d’administrateur limitées à une ou deux heures par mois, la gestion effective étant assumée par son frère. Il rappelle que la société ne produisait aucun bien et ni fournissait pas de services. Sa participation à des conférences s’inscrivait dans sa formation professionnelle. Ces éléments ne traduiraient pas une indisponibilité subjective ou objective à assumer un emploi salarié à plein temps. Il souligne avoir renoncé définitivement au projet initial faisant l’objet de la demande SAI, distinct des buts poursuivis par D.__ SA. Il reproche à la cour cantonale une appréciation arbitraire des faits et une absence de motivation quant au rejet de ses arguments. Celui-ci aurait en effet démontré qu’il aurait eu non seulement la volonté de trouver un emploi en tant que salarié mais qu’il aurait eu en outre la possibilité de mettre tout son temps au profit d’un employeur.

Consid. 6.3 [résumé]
La création d’une société anonyme et la participation à des conférences en lien avec son domaine professionnel ne rendent pas automatiquement un assuré inapte au placement ni ne créent une présomption en ce sens. Conformément à la jurisprudence (cf. consid. 4), il faut encore que l’assuré omette de prendre toutes les mesures exigibles pour retrouver un emploi, qu’il ne puisse par exemple plus être placé comme salarié ou qu’il ne désire pas ou ne puisse pas offrir à un employeur toute la disponibilité normalement exigible, ou encore qu’il ne soit pas en mesure d’exercer l’activité indépendante en dehors de l’horaire de travail normal.

En l’espèce, de tels éléments ne ressortaient pas des faits établis par les juges cantonaux. Ceux-ci avaient constaté que les activités principales de la société – sans clients, services ni employés – étaient assurées par le frère de l’assuré. Ils ont, certes, considéré qu’un tel développement nécessitait du temps et de l’investissement personnel et financier, en se limitant toutefois à une observation toute générale sur ce point, sans expliquer pourquoi et de quelle manière, dans le contexte de l’examen de l’aptitude au placement, cela affecterait concrètement le temps et la disponibilité de l’assuré, ni quels auraient été les investissements financiers à prendre en compte (cf. aussi, par ailleurs, arrêt C 102/04 du 15 juin 2005 let. A.a et consid. 4.2.1, où le Tribunal fédéral a retenu apte au placement un assuré qui avait constitué une société en la forme d’une Sàrl, en l’inscrivant au registre du commerce et en retirant des revenus de diverses activités pour le compte de celle-ci). De même, le tribunal cantonal ne peut pas être suivi lorsqu’il justifie ses conclusions par l’intérêt et la passion de l’assuré pour la thématique des conférences auxquelles il a participé, alors que celle-ci coïncide avec sa formation et son expérience professionnelles.

En résumé, on ne peut pas conclure que l’assuré ait entrepris des démarches en vue d’une activité indépendante à tel point avancées qu’il ne pouvait plus accepter une activité salariée, ni que cela ne lui était pas possible au motif qu’il se consacrait essentiellement à la préparation d’une activité indépendante. Au vu de ces circonstances, compte tenu également des recherches d’emploi effectuées par l’assuré et constatées dans l’arrêt cantonal, les juges cantonaux ont violé l’art. 15 al. 1 LACI.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_631/2024 consultable ici

 

 

 

9C_559/2021 (f) du 14.07.2022 – Début du droit à la rente d’invalidité – 28 al. 1 aLAI / Principe de la priorité de la réadaptation sur la rente – Possibilité de réadaptation professionnelle en raison de l’état de santé de l’assuré

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_559/2021 (f) du 14.07.2022

 

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Début du droit à la rente d’invalidité / 28 al. 1 aLAI

Principe de la priorité de la réadaptation sur la rente – Possibilité de réadaptation professionnelle en raison de l’état de santé de l’assuré

 

Résumé
L’assurée, active à temps partiel comme concierge et dans des activités indépendantes, avait déposé une demande de prestations AI en juillet 2014 en raison de lombalgies et d’une hernie discale. En l’absence de stabilisation de son état de santé, aucune mesure de réadaptation n’était exigible jusqu’à fin 2017, malgré une capacité de travail de 70% reconnue rétrospectivement dès août 2014. Le Tribunal fédéral a admis l’ouverture du droit à une demi-rente d’invalidité dès le 01.08.2015, soulignant que la reconnaissance rétrospective par les médecins-experts et le SMR d’une capacité de travail de 70% dans une activité adaptée ne remettait pas en cause l’impossibilité de mettre en œuvre une réadaptation avant fin 2017.

 

Faits
Assurée, née en 1969, a exercé une activité de concierge à temps partiel (30%) pour une commune dès octobre 2009, ainsi qu’une activité indépendante dans le nettoyage et au sein de l’exploitation agricole familiale. Le 02.07.2014, elle a déposé une demande AI en raison de lombalgies et d’une hernie discale médio-latérale gauche L5-S1.

L’office AI a mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire. Dans leur rapport du 30.11. 2016, les spécialistes en médecine interne générale, psychiatrie et psychothérapie, rhumatologie et neurologie ont diagnostiqué des lombalgies chroniques (M54.5) avec discopathie et protrusion discale L5-S1 (M51.2), un status après cure de hernie discale en 2014, ainsi qu’une diminution de l’audition modérée à gauche et sévère à droite sur otosclérose. Hormis l’atteinte auditive, qui réduisait la capacité de travail dans toute activité impliquant la communication ou l’audition depuis 1995, les experts ont conclu à une capacité de travail entière dans une activité adaptée, avec une baisse de rendement d’environ 30% dès le 05.08.2014, soit trois mois après la cure de hernie discale.

Le 12.02.2018, l’office AI a octroyé une mesure de reclassement professionnel, prévue du 12.02.2018 au 31.07.2018, interrompue trois jours plus tard en raison de l’état de santé. Des indemnités journalières d’attente ont été versées du 27.04.2017 au 11.02.2018.

Le 20.11.2018, l’office AI a requis une expertise complémentaire, dont le rapport du 01.04.2019 a confirmé les conclusions précédentes. Par décision du 03.04.2020, l’office AI a reconnu le droit à une demi-rente d’invalidité dès le 01.02.2018, fondée sur un taux d’invalidité de 51%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 21.09.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
En instance fédérale, le litige porte uniquement sur la date à partir de laquelle est né le droit de l’assurée à une demi-rente d’invalidité. L’assurée est d’avis que cette prestation lui est due à compter du 01.08.2015, tandis que la juridiction cantonale a confirmé la décision administrative selon laquelle la demi-rente doit être allouée depuis le 01.02.2018.

Consid. 2.2
Dans le cadre du « développement continu de l’AI », la LAI, le RAI et la LPGA – notamment – ont été modifiés avec effet au 01.02.2022 (RO 2021 705; FF 2017 2535). Compte tenu cependant du principe de droit intertemporel prescrivant l’application des dispositions légales qui étaient en vigueur lorsque les faits juridiquement déterminants se sont produits (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), le droit applicable reste, en l’occurrence, celui qui était en vigueur jusqu’au 31.12.2021 dès lors que la décision litigieuse a été rendue avant cette date.

A teneur de l’art. 28 al. 1 LAI, l’assuré a droit à une rente aux conditions suivantes: a. sa capacité de gain ou sa capacité d’accomplir ses travaux habituels ne peut pas être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles; b. il a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40 % en moyenne durant une année sans interruption notable; c. au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40 % au moins. Selon l’art. 29 al. 1 LAI, le droit à la rente prend naissance au plus tôt à l’échéance d’une période de six mois à compter de la date à laquelle l’assuré a fait valoir son droit aux prestations conformément à l’art. 29, al. 1, LPGA, mais pas avant le mois qui suit le 18e anniversaire de l’assuré. D’après l’art. 29 al. 2 LAI, le droit à la rente ne prend pas naissance tant que l’assuré peut faire valoir son droit à une indemnité journalière au sens de l’art. 22.

Selon la jurisprudence, si l’assuré peut prétendre à des prestations de l’assurance-invalidité, l’allocation d’une rente d’invalidité à l’issue du délai d’attente (cf. art. 28 al. 1 LAI), n’entre en considération que si l’intéressé n’est pas, ou pas encore, susceptible d’être réadapté professionnellement en raison de son état de santé (principe dit de la priorité de la réadaptation sur la rente; ATF 121 V 190 consid. 4c). La preuve de l’absence de capacité de réadaptation comme condition à l’octroi d’une rente d’invalidité doit présenter un degré de vraisemblance prépondérante. Dans les autres cas, une rente de l’assurance-invalidité ne peut être allouée avec effet rétroactif que si les mesures d’instruction destinées à démontrer que l’assuré est susceptible d’être réadapté ont révélé que celui-ci ne l’était pas (ATF 121 V 190 consid. 4d; arrêts 9C_380/2021 du 31 janvier 2022 consid. 5.1 et les références; 9C_794/2007 du 27 octobre 2008 consid. 2.2).

Consid. 4.1 [résumé]
Le 22.09.2014, des mesures d’intervention précoce avaient été envisagées (rapport IP du même jour), mais immédiatement abandonnées en raison de l’état de santé de l’assurée (rapport du 24.01.2015). Le médecin du SMR a relevé le 03.03.2015 une absence de stabilisation de la situation et la nécessité d’une mise à jour du dossier médical après une intervention neurochirurgicale envisagée. Celle-ci a été réalisée le 13.10.2015. Par la suite, la médecin traitante a estimé dans son rapport du 30.11.2015 que toute mesure de réadaptation professionnelle paraissait alors illusoire. Le médecin du SMR a confirmé cette évaluation dans un avis du 27.04.2017, tout en précisant que la capacité de travail était entière dans une activité adaptée avec une diminution de rendement de 30% dès le 05.08.2014. Résumant la situation dans un rapport intermédiaire du 14.12.2017, l’office AI a indiqué qu’aucune mesure n’avait pu être mise en place auparavant en raison des suivis médicaux, mais que le droit à des mesures d’ordre professionnel était désormais ouvert. Ces mesures ont effectivement débuté le 12.02.2018, conformément aux communications du même jour et à la décision du 13.02.2018.

Consid. 4.2 [résumé]

Contrairement ce que soutient l’office intimé, aucune mesure professionnelle n’était envisageable entre août 2014 et décembre 2017, l’état de santé de l’assurée n’étant pas stabilisé durant cette période. La reconnaissance rétrospective par les médecins-experts (rapport du 30.11.2016) et du SMR (avis du 27.04.2017) d’une capacité de travail de 70% dans une activité adaptée à partir du 05.08.2014 ne remet pas en cause l’impossibilité de mettre en œuvre une réadaptation avant fin 2017.

En conséquence, comme l’assurée n’était pas susceptible de réadaptation jusqu’à ce moment-là, l’allocation d’une rente à titre rétroactif est justifiée (consid. 2.2 supra). Le taux d’invalidité correspond à la perte de gain établie par l’office AI compte tenu de la capacité de travail de 70% dans une activité adaptée. Partant, il y a lieu d’admettre la conclusion de l’assurée tendant à l’allocation du droit à une demi-rente d’invalidité depuis le 01.08.2015 (cf. art. 28 et 29 LAI; cf. art. 107 al. 1 LTF), sous déduction des indemnités journalières perçues entre le 27.04.2017 et le 11.02.2018.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_559/2021 consultable ici

 

9C_409/2024 (f) du 13.05.2025 – Formation professionnelle initiale (FPI) – Droit et but aux indemnités journalières AI – Vraisemblance prépondérante du manque à gagner dû à l’invalidité

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_409/2024 (f) du 13.05.2025

 

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Formation professionnelle initiale (FPI) – Droit aux indemnités journalières AI / 22 al. 1bis aLAI

But de l’indemnité journalière AI pendant la FPI – Vraisemblance prépondérante du manque à gagner dû à l’invalidité

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé la décision de l’office AI refusant d’allouer des indemnités journalières à une assurée atteinte de cécité bilatérale pendant sa formation universitaire. Il a retenu que l’intéressée n’avait pas rendu vraisemblable, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu’elle aurait exercé une activité lucrative en parallèle de ses études pour subvenir à ses besoins si elle n’avait pas été invalide. Il a en outre constaté qu’elle n’avait ni prolongé sa formation en raison de son invalidité, ni démontré que ses conditions financières l’obligeaient à travailler.

 

Faits
L’assurée, née en octobre 2001 et atteinte de cécité bilatérale depuis 2013 en lien avec une infirmité congénitale, a bénéficié de diverses prestations de l’assurance-invalidité, notamment d’une mesure de formation professionnelle initiale pour la poursuite de sa scolarité en école de maturité. Après l’obtention de son certificat de maturité en juillet 2019, elle a entamé une formation à l’École B.__ au semestre d’automne 2019. L’office AI a pris en charge les frais supplémentaires afférents aux trois années de Bachelor effectuées entre le 01.08.2019 et le 31.07.2022, ainsi que les frais de logement. Par communications du 14.07.2022, l’office AI a indiqué qu’il prendrait en charge les frais supplémentaires liés à la première année de Master de l’assurée à l’École B.__ (du 01.08.2022 au 31.07.2023), ainsi que ses frais de logement.

Le 6 juillet 2020, l’office AI a informé l’assurée qu’il allait examiner son droit à une indemnité journalière. Par l’intermédiaire de son avocat, elle a demandé le 02.12.2022 à ce qu’une décision soit rendue à ce sujet. Le 15.12.2022, l’office AI a répondu que le droit à une indemnité journalière avait été examiné, mais que les conditions d’octroi n’étaient pas remplies, position qu’il a maintenue les 17.01.2023 et 01.03.2023.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 82/23 – 179/2024 – consultable ici)

Par acte du 13.03.2023, l’assurée a formé un recours pour déni de justice, concluant à la constatation du refus illicite de statuer de l’office AI au sens des art. 49 al. 1 et 56 al. 2 LPGA, à l’octroi d’indemnités journalières dès le 24.10.2019, ainsi qu’au renvoi de la cause à l’administration pour fixation desdites indemnités. Dans sa réponse du 22.05.2023, l’office AI a proposé, pour des motifs d’économie de procédure, de considérer son écriture du 01.03.2023 comme une décision informelle. À la suite notamment d’une audience de débats publics tenue le 09.04.2024, au cours de laquelle le mandataire de l’assurée a produit un « procédé écrit », la cour cantonale a, par arrêt du même jour, rejeté le recours et confirmé la communication du 01.03.2023 de l’office AI comme valant décision.

 

TF

Consid. 2.4
Dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, l’art. 22 al. 1bis LAI prévoit que l’assuré qui suit une formation professionnelle initiale ainsi que l’assuré qui n’a pas encore atteint l’âge de 20 ans et n’a pas encore exercé d’activité lucrative ont droit à une indemnité journalière s’ils ont perdu entièrement ou partiellement leur capacité de gain. L’indemnité journalière correspond à 10% du montant maximum de l’indemnité journalière défini à l’art. 24 al. 1 LAI (art. 22 al. 1 RAI). Elle est allouée lorsque la personne assurée subit un manque à gagner dû à l’invalidité (ATF 124 V 113 consid. 4b; arrêt I 568/99 du 16 mars 2000 consid. 2c; cf. aussi le ch. 1032 de la CIJ, valable dès le 01.01.2019, applicable en l’espèce). Il existe un manque à gagner notamment lorsque l’assuré commence sa formation avec un certain retard (désavantage par rapport au montant du salaire d’apprenti) ou doit prolonger sa formation en raison de son invalidité (cf. ch. 1034 de la CIJ, valable dès le 01.01.2019). Un tel manque à gagner a ainsi été admis dans le cas d’un invalide, au bénéfice d’un diplôme de l’école de commerce, qui ne trouvait pas de travail en raison d’un grave handicap moteur-cérébral d’origine congénitale et avait poursuivi, pour cette raison, sa formation (perfectionnement professionnel d’une durée de trois ans) dans une école supérieure spécialisée (ATF 124 V 113 consid. 4c). Un manque à gagner peut également être admis s’il y a suffisamment d’indices selon lesquels l’assuré aurait exercé une activité lucrative régulière, à côté des études, soit pendant les semestres ou durant les vacances, s’il n’avait pas été invalide, obtenant ainsi une part essentielle de ses moyens d’existence et des ressources nécessaires au financement de ses études (cf. ATF 124 V 113 consid. 4b; arrêts I 570/00 du 25 mai 2011 consid. 2d; I 85/89 du 19 octobre 1989, in: RCC 1990 p. 506 et ss; cf. aussi le ch. 1039 de la CIJ, valable dès le 01.01.2019).

Consid. 2.5
Bien que les directives administratives ne lient en principe pas le juge, celui-ci est néanmoins tenu de les considérer dans son jugement, pour autant qu’elles permettent une interprétation des normes juridiques qui soit adaptée au cas d’espèce et équitable. Ainsi, si les directives administratives constituent une concrétisation convaincante des dispositions légales, le tribunal ne s’en départit pas sans motif pertinent. Dans cette mesure, il tient compte du but de l’administration tendant à garantir une application égale du droit (ATF 148 V 102 consid. 4.2; 146 V 224 consid. 4.4. et l’arrêt cité). En principe, il convient de tenir compte de la version qui était à la disposition de l’autorité de décision au moment de la décision (et qui a déployé un effet contraignant à son égard); des compléments ultérieurs peuvent éventuellement être pris en compte, notamment s’ils permettent de tirer des conclusions sur une pratique administrative déjà appliquée auparavant (ATF 147 V 278 consid. 2.2 et les références).

Consid. 4.2
Le droit d’être entendu, compris comme l’un des aspects de la notion générale de procès équitable au sens de l’art. 6 par. 1 CEDH (cf., également, art. 29 Cst.), englobe notamment le droit pour l’intéressé de s’exprimer sur les éléments pertinents avant qu’une décision soit prise touchant sa situation juridique, d’avoir accès au dossier, de produire des preuves pertinentes, d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuves pertinentes, de participer à l’administration des preuves essentielles ou à tout le moins de s’exprimer sur son résultat, lorsque cela est de nature à influer sur la décision à rendre (ATF 145 I 167 consid. 4.1 et les arrêts cités). La garantie constitutionnelle n’empêche toutefois pas le juge de mettre un terme à l’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de former sa conviction et que, procédant d’une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, il a la certitude que ces dernières ne pourraient pas l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1; 140 I 285 consid. 6.3.1). En particulier, le droit d’être entendu ne comprend pas le droit d’être entendu oralement, ni celui d’obtenir l’audition de témoins; l’autorité de jugement peut renoncer à faire citer des témoins si elle peut dénier à ces témoignages une valeur probante décisive pour le jugement (ATF 130 II 425 consid. 2.1). Le refus d’une mesure probatoire par appréciation anticipée des preuves ne peut être remis en cause devant le Tribunal fédéral qu’en invoquant l’arbitraire (art. 9 Cst.) de manière claire et détaillée (art. 106 al. 2 LTF; cf. arrêt 8C_159/2018 du 17 décembre 2018 consid. 3.2 et la référence citée).

Consid. 4.3 [résumé]
L’assurée fait valoir que l’audition de ses parents ainsi que celle de C., conseiller social à l’École B., aurait permis à la juridiction cantonale d’obtenir des informations essentielles sur sa situation personnelle, son planning d’études et les exigences qui y étaient liées, ce qui aurait permis d’évaluer plus concrètement si elle pouvait exercer une activité lucrative en parallèle. Toutefois, par son argumentation, elle ne remet pas en cause l’appréciation anticipée des preuves opérée par les premiers juges en renonçant à ces auditions, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’examiner ce point plus avant (art. 42 al. 2 LTF). Les juges cantonaux ont en outre relevé que le conseiller social avait fourni un témoignage écrit daté du 21.03.2023, produit par le conseil de l’assurée, et que cette dernière avait pu s’exprimer lors de l’audience de débats du 09.04.2024. Quant au reproche de l’assurée selon lequel la juridiction cantonale aurait statué sur ses réquisitions de preuve dans l’arrêt attaqué, l’empêchant ainsi de réagir ou de proposer de nouveaux moyens de preuve, il repose sur une prémisse erronée, à savoir qu’elle disposerait d’un droit illimité à offrir des preuves, ce qui n’est pas le cas (cf. consid. 4.2).

 

Consid. 5.2.1
Le principe selon lequel une indemnité journalière est allouée aux assurés en cours de formation professionnelle initiale ainsi qu’aux assurés âgés de moins de 20 ans qui n’ont pas encore exercé d’activité lucrative, lorsqu’ils subissent un manque à gagner dû à l’invalidité, a été introduit le 1er juillet 1987, lors de l’entrée en vigueur de la modification de la loi sur l’assurance-invalidité du 9 octobre 1986 (2e révision de l’assurance-invalidité; cf. art. 22 al. 1, 2e phrase, dans sa teneur en vigueur à ce moment-là; RO 1987 447). Auparavant, aucune indemnité journalière n’était allouée pendant la formation professionnelle initiale au sens de l’art. 16 LAI (cf. art. 22 al. 1, 2e phrase, LAI, dans sa teneur au moment de l’entrée en vigueur de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité du 19 juin 1959, le 15 octobre 1959; RO 1959 857; cf. aussi ATF 118 V 7 consid. 1b; arrêt I 416/87 du 5 août 1988 consid. 1b). L’absence de droit à une indemnité journalière pendant la formation professionnelle initiale, à l’entrée en vigueur de la LAI, avait été justifiée par le fait qu’une personne ne présentant pas d’invalidité n’était généralement pas payée non plus pendant son apprentissage ou ses études et qu’au surplus l’assurance couvrait tous les frais supplémentaires de quelque importance (Message du 24 octobre 1958 relatif à un projet de loi sur l’assurance-invalidité ainsi qu’à un projet de loi modifiant celle sur l’assurance-vieillesse et survivants, FF 1958 II 1161, 1212 s.). Dans le cadre des travaux préparatoires de la 2e révision de l’assurance-invalidité, le Conseil fédéral a exposé que l’indemnité journalière vise à compenser d’une manière appropriée un manque à gagner subi pendant l’application de mesures de réadaptation, que la condition du droit à retenir en cas de formation professionnelle initiale semble donc être la privation d’un revenu du travail et que l’indemnité ne doit par conséquent être accordée que si l’assuré subit une telle perte pendant la formation et aussi longtemps seulement qu’il la subit (Message du 21 novembre 1984 concernant la deuxième révision de l’assurance-invalidité, FF 1985 I 21, 49 ch. 233.2). Ainsi, dans sa teneur en vigueur du 1er juillet 1987 au 31 décembre 2007, l’art. 22 al. 1, 2e phrase, LAI subordonnait expressément l’octroi d’une indemnité journalière pendant la formation professionnelle initiale à l’existence d’un manque à gagner dû à l’invalidité. La volonté du législateur était donc bien de conditionner le droit à l’indemnité journalière pendant la formation professionnelle initiale à l’existence d’un manque à gagner dû à l’invalidité.

Consid. 5.2.2
Par la suite, lors de l’entrée en vigueur de la 5e révision de l’assurance-invalidité, le 1er janvier 2008, un art. 22 al. 1bis LAI a été introduit, parallèlement à la suppression de la 2e phrase de l’art. 22 al. 1 LAI. Selon l’art. 22 al. 1bis LAI (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, date de son abrogation [RO 2021 705]), l’assuré qui suit une formation professionnelle initiale ainsi que l’assuré qui n’a pas encore atteint l’âge de 20 ans et n’a pas encore exercé d’activité lucrative ont droit à une indemnité journalière s’ils ont perdu entièrement ou partiellement leur capacité de gain (RO 2007 5129). Avec la notion de perte entière ou partielle de la capacité de gain selon l’art. 22 al. 1bis LAI (dans sa teneur au 1er janvier 2008), le législateur n’a pas voulu s’écarter de celle de « manque à gagner dû à l’invalidité » au sens de l’art. 22 al. 1, 2e phrase, LAI (dans sa teneur jusqu’au 31 décembre 2007). Il ressort en effet à cet égard des travaux préparatoires de la 5e révision de l’assurance-invalidité que le nouvel art. 22 al. 1bis LAI devait correspondre à l’art. 22 al. 1, 2e phrase, LAI, auquel il se substituait (Message du 22 juin 2005 concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [5e révision de l’AI], FF 2005 4215, 4320).

Consid. 5.3.1 [résumé]
L’analyse du dossier révèle que, le 15.12.2022, l’office AI a informé l’assurée que son droit aux indemnités journalières avait été examiné, mais que les conditions d’octroi n’étaient pas remplies. Le 17.01.2023, il l’a invitée à produire des preuves montrant que l’activité accessoire qu’elle aurait exercée durant ses études, en l’absence d’atteinte à la santé, était nécessaire à sa subsistance. L’assurée a indiqué, le 19.01.2023, qu’elle transmettrait des « attestations démontrant la perte de gain ». Le 01.03.2023, l’office AI lui a réitéré qu’elle pouvait produire des éléments rendant vraisemblable de manière prépondérante qu’elle aurait exercé une activité lucrative en parallèle de ses études pour subvenir à ses besoins, ce que son invalidité empêchait.

Dans le cadre de son recours pour déni de justice introduit le 13.03.2023, l’assurée a produit un certificat médical du 16.03.2023, établi par l’ophtalmologue traitant, attestant d’une cécité bilatérale empêchant l’exercice d’une activité lucrative à côté d’études « sollicitant beaucoup de temps et d’énergie ». Elle a également versé une attestation du conseiller social du Service des affaires estudiantines de l’École B.__, précisant qu’il n’était pas envisageable de lui confier un poste d’assistante compte tenu de ses limitations fonctionnelles, une charge supplémentaire pouvant compromettre la réussite de ses études « particulièrement exigeantes en termes de temps et d’énergie ».

Consid. 5.3.2
Si les pièces produites par l’assurée devant le tribunal cantonal permettent d’établir qu’elle est limitée ou empêchée dans l’exercice d’une activité lucrative en raison de son atteinte à la santé, elles ne contiennent en revanche aucun indice rendant vraisemblable qu’elle aurait dû travailler pour pouvoir financer une partie de ses besoins et sa formation parce qu’elle ne disposait pas des moyens financiers nécessaires. Il y a lieu de rappeler à cet égard que le but de l’indemnité journalière allouée durant la formation initiale ne vise pas à compenser la perte de l’argent de poche de l’assuré, mais bien celle d’un revenu dont il appert au degré de la vraisemblance prépondérante que celui-ci a besoin pour subvenir à ses besoins (Message concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [Développement continu de l’AI] du 15 février 2017, FF 2017 2363, 2386). Or l’assurée n’a pas démontré – ni même allégué en instance cantonale – qu’elle aurait dû financer ses études par ses propres moyens, du fait, par exemple, de l’absence de fortune de ses parents ou du revenu modeste de ceux-ci. Dans ces circonstances, c’est en vain qu’elle se prévaut d’une discrimination selon que la personne assurée était ou non déjà invalide avant ses études.

Quoi qu’en dise l’assurée, il lui était en effet loisible de produire, dans la procédure administrative et de recours cantonale, des éléments afin de rendre vraisemblable qu’elle aurait exercé une activité lucrative parallèlement à ses études pour subvenir à ses besoins, ce qu’elle n’a toutefois pas fait. Son argumentation sur ce point est du reste contradictoire lorsqu’elle affirme à la fois qu’il lui serait impossible de rendre vraisemblable l’aspect litigieux en cause, alors qu’elle énumère ensuite les « nombreux critères » pertinents pour ce faire.

Par conséquent, l’assurée ne saurait reprocher un manque d’instruction à la juridiction cantonale, alors qu’elle n’a pas fait suite aux demandes de l’administration de lui fournir des documents permettant de confirmer que l’activité qu’elle aurait exercée pendant ses études s’avérait nécessaire à sa subsistance, ni allégué voire produit de pièces concernant la situation financière de ses parents. Procédant à une appréciation anticipée des preuves, l’instance cantonale pouvait ainsi, sans arbitraire et sans violer le droit d’être entendue de l’assurée, rejeter les demandes d’audition qu’elle avait présentées. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’examiner plus avant les critiques d’ordre général de l’assurée en relation notamment avec la méconnaissance, par les premiers juges, des réalités académiques et des conditions de vie des étudiants, pas plus du reste que ses griefs tirés d’une constatation des faits et d’une appréciation des preuves arbitraires y relatives.

Consid. 5.4
C’est également en vain que l’assurée fait grief aux juges précédents d’avoir constaté les faits de manière inexacte, en ce qu’ils ont nié qu’elle eût dû prolonger la durée de sa formation en raison de son invalidité, subissant ainsi un manque à gagner. Elle se limite à cet égard à affirmer qu’« il a clairement été allégué et rendu vraisemblable qu[‘elle] a dû prolonger ses études d’une année, en raison de son invalidité » et à reprocher à la juridiction de première instance de ne pas avoir instruit ce fait, en violation de son devoir d’instruction. En l’occurrence, selon les constatations cantonales, non contestées par l’assurée, elle a réussi toutes ses années d’études, effectuant même une année de mobilité à l’étranger. Une prolongation de la formation au sens du ch. 1034 CIJ (dans sa teneur valable dès le 01.01.2019) entre en ligne de compte lorsqu’un assuré poursuit ses études parce qu’il ne trouve pas d’emploi à la fin de sa formation (cf. ATF 124 V 113 consid. 4c). Or l’assurée ne prétend pas qu’elle aurait dû poursuivre sa formation, parce qu’elle n’aurait pas trouvé d’emploi à la fin de ses études à l’École B.__, en raison de son atteinte à la santé, et il n’apparaît pas qu’elle ait dû renoncer à entrer dans le monde du travail à cette époque à cause de son handicap.

Consid. 5.5
En définitive, au vu des arguments avancés, il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation de la juridiction cantonale qui l’a conduite à nier que les conditions du droit de l’assurée à des indemnités journalières pendant sa formation auprès de l’École B.__ débutée en automne 2019 étaient réalisées.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_409/2024 consultable ici

 

 

9C_183/2022 (f) du 01.06.2022 – Procuration en faveur d’un avocat vague, d’une portée générale et établie pour une précédente procédure – 40 al. 2 LTF / Frais judiciaires à la charge du représentant de l’assuré

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_183/2022 (f) du 01.06.2022

 

Consultable ici

 

Procuration en faveur d’un avocat vague, d’une portée générale et établie pour une précédente procédure / 40 al. 2 LTF

Vérification de la volonté de recourir de l’assuré

Frais judiciaires à la charge du représentant de l’assuré / 40 LTF – 66 LTF

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a déclaré irrecevable le recours interjeté contre le refus d’octroi de l’assistance judiciaire dans le cadre d’une nouvelle demande de prestations AI, au motif que le mandataire n’avait pas produit, dans le délai imparti, une procuration spécifique l’autorisant à recourir dans cette procédure. Il a rappelé que le juge instructeur peut exiger une procuration actualisée et topique sans que cela constitue un formalisme excessif, et que le non-respect de cette exigence entraîne l’irrecevabilité du recours. Les frais judiciaires ont été mis à la charge du mandataire.

 

Faits
L’assuré s’est vu allouer une rente entière d’invalidité limitée dans le temps (juillet 2015 à décembre 2017), décision confirmée par jugement cantonal du 11.02.2021.

Le 16.06.2020, il avait déposé une nouvelle demande de prestations de l’assurance-invalidité. Par décision du 18.01.2022, l’office AI a refusé d’entrer en matière sur cette demande.

Le 02.03.2022, le juge instructeur cantonal a rejeté la demande d’assistance judiciaire de l’assuré dans le cadre du recours formé contre la décision du 18.01.2022, et imparti un délai de 30 jours pour verser une avance de frais de 600 francs, sous peine d’irrecevabilité du recours.

L’assuré a interjeté un recours en matière de droit public contre la décision du 02.03.2022, accompagné d’une procuration du 21.09.2018, ainsi que de requêtes d’effet suspensif et d’assistance judiciaire.

Par ordonnance du 04.05.2022, le Tribunal fédéral a invité son mandataire à produire, jusqu’au 17.05.2022, une procuration conférant expressément le pouvoir de recourir contre la décision du 02.03.2022, faute de quoi le recours serait déclaré irrecevable, cette autorisation ne ressortant pas de la procuration de 2018.

Par écriture du 10.05.2022, le représentant de l’assuré a produit une copie de la procuration du 21.09.2018 en soutenant que ce document suffisait pour recourir contre la décision litigieuse.

 

TF

La procuration du 21.09.2018 a été produite dans le cadre d’une précédente demande de prestations ayant abouti au jugement du 11.02.2021.

Dans le contexte d’une nouvelle demande suivie d’une décision et d’un nouveau litige, il est loisible au Tribunal fédéral de s’assurer que l’assuré entend contester les décisions rendues dans ce contexte, singulièrement le refus de l’octroi de l’assistance judiciaire pour la procédure cantonale de recours consécutive au refus d’entrer en matière sur cette demande.

Le Tribunal fédéral est légitimé à vérifier qu’une personne a bien la volonté de recourir, en particulier lorsque l’objet est vague et d’une portée générale, soit comme en l’espèce « Dans le cadre de l’affaire: c/AI ».

En vertu de l’art. 40 al. 2 LTF, le tribunal peut exiger une procuration spécifique et, selon l’art. 42 al. 5 LTF, trancher l’affaire en cas d’absence d’autorisation valable du mandataire. En d’autres termes, le juge instructeur peut requérir, s’il l’estime nécessaire, une procuration actualisée et topique, sans pour autant que sa demande relève du formalisme excessif.

Si l’on se conformait aux souhaits de l’assuré recourant, une partie pourrait en définitive décider elle-même du contenu et de la validité des procurations qu’elle entend déposer devant le Tribunal fédéral et, plus généralement, choisir à sa guise de se conformer ou non aux directives du juge instructeur, sans que cela puisse avoir d’incidence sur la suite de la procédure, si bien que les art. 32 al. 1, 40 al. 2 et 42 al. 5 LTF seraient ainsi dénués de toute portée (cf. arrêt 9F_7/2013 du 27 novembre 2013 consid. 3.2.2).

L’assuré recourant n’ayant pas remédié au vice de forme dans le délai imparti, le recours est déclaré irrecevable selon la procédure simplifiée. Etant vouée à l’échec, la requête d’assistance judiciaire pour la procédure fédérale est rejetée.

En vertu de l’art. 66 al. 1 et 3 LTF, il convient de mettre les frais judiciaires à la charge du représentant de l’assuré (cf. arrêt 9C_459/2012 du 13 février 2013 consid. 4; LAURENT MERZ, Basler Kommentar, Bundesgerichtsgesetz, 3e éd., ch. 43 ad art. 40 LTF),

 

Le TF déclare le recours irrecevable.

 

Arrêt 9C_183/2022 consultable ici

 

8C_598/2024 (f) du 19.05.2025 – Violation du droit d’être entendu en instance cantonale / Preuve nouvelle (envoi d’une clé USB) autorisée par le TF – 99 LTF

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_598/2024 (f) du 19.05.2025

 

Consultable ici

 

Violation du droit d’être entendu en instance cantonale

Preuve nouvelle (envoi d’une clé USB) autorisée par le TF / 99 LTF

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a admis le recours d’une société contre l’arrêt cantonal, en raison d’une violation de son droit d’être entendu. La juridiction cantonale ne lui avait transmis qu’une partie du dossier de la CNA, bien que celle-ci se soit fondée sur des pièces issues de deux dossiers distincts pour statuer. Ce vice procédural, qui ne peut être réparé en instance fédérale, entraîne l’annulation de la décision attaquée et le renvoi de la cause à l’autorité précédente pour nouvelle décision.

 

Faits
B.__ a informé la CNA avoir créé le 01.11.2019 une entreprise active dans l’agencement et la menuiserie sous la raison sociale C.__. Il a rempli un formulaire, reçu par la CNA le 15.11.2021, pour déterminer sa situation en matière d’assurances sociales. Le 09.11.2022, la CNA a été informée que la société A.__ SA avait un sous-traitant en attente de validation de statut. Le 01.12.2022, elle a indiqué que l’activité de B.__ pouvait être reconnue comme indépendante, excluant ainsi une assurance obligatoire contre les accidents. Après réexamen, elle a précisé le 07.02.2023 qu’il présentait un double statut : indépendant pour les travaux réalisés en son nom et pour son propre compte, dépendant lorsqu’il intervenait comme sous-traitant ou pour le compte d’une entreprise de prêt de personnel.

Le 01.03.2023, la CNA a informé A.__ SA qu’elle considérait que B.__ exerçait une activité dépendante à son égard et lui a demandé les montants versés à ce dernier pour les années 2020 à 2022. Le 02.03.2023, la société a transmis une liste de factures établies par B.__, pour un montant total de 255’020 francs. Le 12.05.2023, la CNA a adressé des factures de primes définitives pour la période du 01.01.2020 au 31.12.2022.

Le 17 mai 2023, A.__ SA a formé opposition contre cette décision. Le 18.07.2023, elle a répondu aux questions de la CNA sur sa collaboration avec B.__. Par décision sur opposition du 13.11.2023, la CNA a rejeté l’opposition, estimant que l’intéressé ne remplissait pas les critères pour une activité lucrative indépendante en ce qui concernait son activité de menuiserie pour elle.

Procédure cantonale (arrêt ATAS/679/2024 – consultable ici)

Le 14.12.2023, A.__ SA a recouru contre la décision sur opposition, en sollicitant préalablement l’appel en cause de B.__.

Par courrier du 18.12.2023, la cour cantonale a transmis une copie du recours à la CNA, en lui demandant de faire parvenir sa réponse ainsi que le dossier en version papier et électronique. La CNA a conclu au rejet du recours et a produit les dossiers de A.__ SA (n° yyy) et de C.__ (n° xxx). La cour a invité la recourante à déposer sa réplique d’ici au 7 février 2024 et l’a informée qu’elle pouvait consulter le dossier au greffe ou demander l’envoi d’une version sur CD-Rom. Le 18.01.2024, la cour a envoyé à la recourante le CD-Rom des pièces de la partie intimée, avec prière de le lui retourner sous pli recommandé. Le 19.01.2024, A.__ SA a retourné le CD-Rom original. Dans sa réplique du 07.02.2024, elle a réitéré sa demande d’appel en cause de B.__ et requis que la CNA produise les pièces du dossier n° xxx.

La cour cantonale a appelé en cause B.__ en lui impartissant un délai au 01.03.2024 pour se déterminer, ce qu’il n’a pas fait. Par arrêt du 04.09.2024, la cour a rejeté le recours.

 

TF

Consid. 2
Le litige porte sur la qualification – salariée ou indépendante – de l’activité exercée par B.__ à l’égard de A.__ SA entre le 01.01.2020 et le 31.12.2022. La question litigieuse n’ayant pas comme telle pour objet l’octroi ou le refus de prestations d’assurance, le Tribunal fédéral est lié par les faits établis par l’autorité précédente (art. 97 al. 2 et 105 al. 3 LTF a contrario; art. 105 al. 1 LTF). Il ne peut s’en écarter que si ces faits ont été établis en violation du droit au sens de l’art. 95 LTF ou de manière manifestement inexacte (art. 105 al. 2 LTF), à savoir arbitraire (ATF 149 II 337 consid. 2.3; 148 V 366 consid. 3.3; 145 V 188 consid. 2). Par ailleurs, à teneur de l’art. 99 LTF, aucun fait nouveau ni preuve nouvelle ne peut être présenté à moins de résulter de la décision de l’autorité précédente.

Consid. 3.2
La clé USB produite par la recourante constitue une pièce nouvelle que la recourante est exceptionnellement autorisée à produire pour la première fois devant le Tribunal fédéral dans la mesure où elle tend à prouver l’inexactitude d’un fait retenu dans l’arrêt attaqué et à établir la violation de son droit d’être entendu (cf. GRÉGORY BOVEY, in : Commentaire de la LTF, 3e éd. 2022, n° 26 ad art. 99 LTF).

Dans sa réponse au recours en matière de droit public, la CNA fait valoir que le dossier concernant B.__ (dossier n° xxx) a bel et bien été versé au format papier et électronique. Il n’y a aucune raison de mettre en doute cette allégation, d’autant moins que dans les pièces transmises par la juridiction cantonale au Tribunal fédéral figurent deux dossiers de la CNA (n° yyy et n° xxx), tant au format papier qu’au format électronique. Il s’agit en réalité de deux classeurs distincts, contenant chacun un CD-Rom. Le dossier complet de la cause contenait par conséquent deux dossiers, respectivement deux CD-Rom, l’un ayant pour référence le n° yyy et l’autre le n° xxx.

Or, pour une raison inexpliquée, la cour cantonale n’a transmis que le dossier n° yyy à la recourante, comme en atteste son courrier du 18.01.2024 adressé à la recourante, dans lequel elle indiquait lui remettre « le CD-Rom ». Il ressort pourtant clairement de la réplique de la recourante, en procédure cantonale, que celle-ci n’avait pas pu consulter le dossier n° xxx. Contrairement à ce qu’ont retenu les juges cantonaux, une éventuelle violation du droit d’être entendu de la recourante par l’intimée n’a pas pu être guérie par la production du dossier complet en procédure cantonale, une partie de ce dossier n’ayant pas été transmise à la recourante, en dépit de la demande présentée dans ce sens par celle-ci. En procédant ainsi, la juridiction cantonale a elle-même commis une violation du droit d’être entendu. Ce vice ne pouvant pas être réparé devant le Tribunal fédéral (cf. ATF 142 II 218 consid. 2.8; 137 I 195 consid. 2.7), il entraîne l’annulation de la décision attaquée indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 148 IV 22 consid. 5.5.2; 144 I 11 consid. 5.3).

 

Le TF admet le recours.

 

Arrêt 8C_598/2024 consultable ici

 

 

 

8C_818/2021 (f) du 12.05.2022 – Interprétation du contenu et de la portée d’une décision / Intérêt digne de protection d’une caisse-maladie à s’opposer à une décision portant sur l’art. 46 al. 2 LAA (fausse déclaration d’accident)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_818/2021 (f) du 12.05.2022

 

Consultable ici

 

Interprétation du contenu et de la portée d’une décision / 49 LPGA

Intérêt digne de protection d’une caisse-maladie à s’opposer à une décision portant sur l’art. 46 al. 2 LAA (fausse déclaration d’accident)

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a retenu qu’une décision par laquelle l’assurance-accidents a annulé sa prise en charge initiale, en application de l’art. 46 al. 2 LAA, portait à la fois sur le refus des indemnités journalières et sur celui des frais médicaux. Cette décision affecte directement les intérêts de la caisse-maladie, de sorte que celle-ci dispose d’un intérêt digne de protection pour former opposition. En déclarant cette opposition irrecevable, l’assurance-accidents a violé le droit.

 

Faits
Par déclaration du 14.06.2018, l’employeur de l’assuré a annoncé un accident survenu le 11.06.2018, ayant entraîné des blessures aux côtes, au bras droit et au poignet gauche. Le 22.06.2018, l’assurance-accidents a informé l’employeur qu’elle prenait en charge le cas et versait des prestations d’assurance à l’assuré.

Par décision du 25.10.2018, l’assurance-accidents a annulé cette prise en charge, considérant que les circonstances effectives de l’accident (bagarre) divergeaient des déclarations initiales (glissade sur sol mouillé), et a exigé la restitution de 4075 fr. à titre d’indemnités journalières perçues à tort. Une copie de cette décision a été transmise à la caisse-maladie de l’assuré.

Le 26.10.2018, l’assurance-accidents a adressé à la caisse-maladie une facture intitulée « répartition des coûts frais de traitement » d’un montant de 965 fr. 85.

Par décision sur opposition du 24.01.2019, l’assurance-accidents a déclaré irrecevable l’opposition formée par la caisse-maladie, au motif que cette dernière ne disposait d’aucun intérêt digne de protection dès lors que l’assuré avait subi un accident.

Par décision du 20.02.2019, non communiquée à la caisse-maladie, l’assurance-accidents a réclamé à l’assuré la restitution de 581 fr. 75 à titre de frais de traitement médical.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1154/2021 – consultable ici)

Saisie d’un recours de la caisse-maladie contre la décision sur opposition du 24.01.2019, le tribunal cantonal l’a rejeté par arrêt du 15.11.2021, tout en transmettant l’écriture déposée le 28.05.2019 par la caisse-maladie recourante, dans laquelle celle-ci avait formé opposition contre la décision du 20.02.2019, à l’assurance-accidents, à charge pour elle de rendre une décision sur opposition.

 

TF

Consid. 4.2
Le contenu et la portée d’une décision administrative ressortent en premier lieu de son dispositif. Lorsque celui-ci est peu clair, incomplet, équivoque ou contradictoire, l’insécurité doit être levée par une interprétation, en se référant à la motivation de la décision. Comme la décision doit être conforme à la loi et au principe de l’égalité de traitement, il convient aussi de prendre en considération, pour son interprétation, quelle solution est conforme à la loi et correspond aux critères sur lesquels se fonde habituellement l’autorité. Il s’agit de dégager le sens véritable de la décision, conformément à sa signification juridique concrète, en s’écartant au besoin du sens littéral (ATF 120 V 496 consid. 1a et la référence). Le principe de la confiance limite toutefois cette interprétation: une décision doit être comprise dans le sens que son destinataire pouvait et devait lui attribuer selon les règles de la bonne foi, compte tenu de l’ensemble des circonstances qu’il connaissait ou qu’il aurait dû connaître (ATF 115 II 415 consid. 3a; arrêt 9C_571/2019 du 23 juillet 2020 consid. 4.4.2).

Consid. 4.3
En l’espèce, l’assurance-accidents a, le 22.06.2018, annoncé à l’assuré qu’elle lui allouait « les prestations d’assurance légales pour les suites de [l]’accident professionnel du 11.06.2018 »; elle précisait notamment que le droit à l’indemnité journalière allait prendre effet au plus tôt dès le 14.06.2018 et qu’elle allait régler directement les frais de traitement des médecins et autres prestataires de soins exerçant en Suisse. Dans sa décision du 25.10.2018, également adressée à l’assuré et dont copie a été transmise à la caisse-maladie recourante, l’assurance-accidents a indiqué devoir « annuler [sa] prise en charge du 22.06.2018 », précisant plus loin que « [n]otre décision de prise en charge doit être annulée et nous devons refuser après-coup de vous allouer nos prestations ». Dans la même décision, l’assurance-accidents a, sur la base de l’art. 25 al. 1 LPGA, exigé de l’assuré le remboursement des indemnités journalières versées à tort. Dans sa décision du 20.02.2019, dont aucune copie n’a été portée à la connaissance de la caisse-maladie recourante, l’assurance-accidents a indiqué à l’assuré qu' »[a]près contrôle des actes, il est apparu que la restitution des frais de traitement n’avait pas été requise par notre première décision »; elle l’a par conséquent invité à rembourser des frais médicaux pour un montant de 581 fr. 75, sur la base de l’art. 25 al. 1 LPGA.

Consid. 4.4
Il découle clairement du contenu de la décision du 25.10.2018 que par celle-ci, l’assurance-accidents a annulé intégralement celle du 22.06.2018, laquelle reconnaissait le droit de l’assuré à des prestations, y compris la prise en charge des frais médicaux. Contrairement à ce que soutient l’assurance-accidents et à ce qu’ont retenu les juges cantonaux, la décision du 25.10.2018 ne portait donc pas uniquement sur les indemnités journalières, mais également sur les frais de traitement dont la prise en charge était finalement refusée. Le fait que l’assurance-accidents se soit, dans cette décision, limitée à demander la restitution des seules indemnités journalières ne saurait aboutir à une autre interprétation; il ressort du reste de la décision du 20.02.2019 que c’est vraisemblablement par oubli que l’assurance-accidents n’a pas requis le remboursement des frais médicaux le 25.10.2018.

On notera encore que la décision du 20.02.2019 concerne uniquement la restitution de frais médicaux d’un montant de 581 fr. 75 et ne porte donc pas sur le principe même de la prise en charge de ce type de frais.

En définitive, la décision du 25.10.2018 constitue une décision de refus d’allocation de prestations (indemnités journalières et frais de traitement) doublée d’une demande de restitution des indemnités journalières, alors que celle du 20.02.2019 porte uniquement sur la restitution de frais médicaux, pour un montant de surcroît limité.

Consid. 4.5
Il s’ensuit que l’assurance-accidents devait entrer en matière sur l’opposition formée par la caisse-maladie recourante contre sa décision du 25.10.2018 et se prononcer sur le fond s’agissant de la prise en charge des frais médicaux.

Le recours se révèle dès lors bien fondé. Par conséquent, l’arrêt entrepris et la décision du 24.01.2019 doivent être annulés et la cause renvoyée à l’assurance-accidents pour nouvelle décision.

 

Le TF admet le recours de la caisse-maladie.

 

Arrêt 8C_818/2021 consultable ici

 

8C_6/2025 (f) du 07.05.2025 – Montant de la prestation complémentaire – Dépenses reconnues / Partage obligatoire du loyer – Contrat de sous-location et ménage commun entre les assurés et leur fille et ses enfants

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_6/2025 (f) du 07.05.2025

 

Consultable ici

 

Montant de la prestation complémentaire – Dépenses reconnues / 10 LPC

Partage obligatoire du loyer – Contrat de sous-location et ménage commun entre les assurés et leur fille et ses enfants / 16c OPC-AVS/AI

 

Résumé
S’agissant du calcul des dépenses de logement reconnues pour l’octroi de prestations complémentaires à des bénéficiaires vivant en sous-location auprès de leur fille, le Tribunal fédéral confirme qu’en vertu de l’art. 16c OPC-AVS/AI, le loyer doit être réparti à parts égales entre toutes les personnes cohabitant dans le logement, dès lors que certaines d’entre elles ne sont pas incluses dans le calcul des prestations, sauf exceptions. Il rejette l’assimilation de la fille des assurés à un propriétaire ainsi que toute dérogation fondée sur une obligation d’entretien envers ses enfants, au motif qu’admettre une répartition contractuelle libre du loyer reviendrait à faire supporter aux prestations complémentaires la charge d’entretien de tiers exclus du calcul.

 

Faits
Les époux A.__ (née en 1949) et B.__ (né en 1947), bénéficiaires d’une rente AVS, vivaient avec leur fille et les deux enfants de celle-ci dans une villa individuelle de six pièces. Leur fille, locataire du bien pour un loyer mensuel brut de 2’800 fr., avait conclu avec eux un contrat de sous-location fixant un sous-loyer mensuel de 1’500 fr., frais accessoires inclus.

En août 2023, les époux ont déposé une demande de prestations complémentaires. Par du 06.12.2023, la caisse de compensation leur a accordé des prestations complémentaires mensuelles de 694 fr. 30 par personne dès le 01.08.2023 (correspondant à 16’651 fr. par an pour les deux époux), en tenant notamment compte de frais de logement mensuels de 1’120 fr. au titre des dépenses reconnues. Par décision du 05.01.2024, les prestations ont été portées à 707 fr. 30 par époux à compter du 01.01.2024 (soit 16’963 fr. par an pour les deux époux). Ces décisions ont été confirmées sur opposition.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2024 97 – consultable ici)

Par jugement du 14.11.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Le montant de la prestation complémentaire annuelle correspond à la part des dépenses reconnues qui excède les revenus déterminants (art. 9 al. 1 LPC). Sont notamment reconnues comme dépenses, pour les personnes vivant à domicile, le loyer d’un appartement et les frais accessoires y relatifs (art. 10 al. 1 let. b LPC).

Consid. 4.2
Sous le titre marginal « partage obligatoire du loyer », l’art. 16c OPC-AVS/AI prévoit que lorsque des appartements ou des maisons familiales sont aussi occupés par des personnes non comprises dans le calcul des PC, le loyer doit être réparti entre toutes les personnes. Les parts de loyer des personnes non comprises dans le calcul des PC ne sont pas prises en compte lors du calcul de la prestation complémentaire annuelle (al. 1). En principe, le montant du loyer est réparti à parts égales entre toutes les personnes (al. 2).

Consid. 4.2.1 [résumé]
Avant l’entrée en vigueur de l’art. 16c OPC-AVS/AI le 01.01.1998, la jurisprudence suivait une pratique administrative imposant une répartition du loyer à parts égales entre toutes les personnes cohabitant dans un logement, indépendamment du nom du locataire contractuel ou du payeur du loyer (arrêt du TFA du 15 juillet 1974, in RCC 1974 p. 510). Des exceptions, admises avec retenue pour prévenir les abus, étaient possibles lorsque des motifs juridiques ou moraux justifiaient qu’une personne supporte seule le loyer.

La jurisprudence avait ainsi admis une dérogation au partage du loyer dans le cas où la bénéficiaire des prestations complémentaires vivait avec son petit-fils âgé d’un peu plus de six mois au moment où elle l’avait accueilli chez elle. Selon le Tribunal fédéral, il ne pouvait être raisonnablement question d’une location commune d’un appartement, voire d’un rapport de location payant entre l’assurée et son petit-fils (arrêt P 21/90 du 16 novembre 1990). Ce cas a conduit à l’adaptation du ch. 3023 des Directives concernant les prestations complémentaires à l’AVS et à l’AI (DPC), édictées par l’OFAS, dans leur version en vigueur à partir du 01.01.1992 (jusqu’au 31.12.1997).

Consid. 4.2.2
L’art. 16c al. 1 OPC-AVS/AI, introduit le 01.01.1998, a été adopté pour ancrer dans la réglementation d’exécution les principes de la pratique administrative en matière de répartition du loyer. Toutefois, selon cette disposition, la répartition du loyer ne présuppose pas que l’appartement ou la maison familiale soit loué en commun; il suffit que les personnes vivent ensemble (ménage commun). Dans l’ATF 127 V 10, le Tribunal fédéral des assurances a qualifié l’art. 16c OPC-AVS/AI de conforme à la loi, puisque son but était d’empêcher le financement indirect par les prestations complémentaires de personnes non comprises dans le calcul des PC. Selon la lettre de cette disposition, le terme « aussi occupés par » justifie à lui seul déjà un partage du loyer, indépendamment du point de savoir si le logement est loué en commun (arrêt 9C_326/2022 du 23 novembre 2022 consid. 3.2 et les arrêt cités; VSI 2001 p. 236).

Consid. 4.2.3
Le Tribunal fédéral a néanmoins considéré que même après l’entrée en vigueur de l’art. 16c OPC-AVS/AI, la vie commune sous le même toit ne conduit pas dans tous les cas à la répartition du loyer. D’une part, selon la lettre de cette disposition, le partage ne doit être effectué que si les personnes qui vivent sous le même toit ne sont pas incluses dans le calcul des PC. D’autre part, la jurisprudence rendue jusque-là en matière de répartition du loyer n’a pas perdu toute sa signification, de sorte que des exceptions restent possibles. Notamment, le fait que la cohabitation est dictée par un devoir (d’entretien) juridique ou moral peut conduire à une autre répartition du loyer, voire – exceptionnellement – à une renonciation à toute répartition du loyer. La jurisprudence rendue sous l’ancien droit reste d’actualité sous l’empire de l’art. 16c OPC-AVS/AI (ATF 142 V 299 consid. 3.2.1; arrêts 9C_153/2022 du 26 avril 2023 consid. 7.2.2; 9C_326/2022 du 23 novembre 2022 consid. 3.2.1).

Consid. 4.2.4
Le ch. 3231.06 DPC (devenu le ch. 3231.07 à partir du 1er janvier 2025; ci-après: ch. 3231.07 DPC) prévoit que lorsque le bénéficiaire de PC partage un logement avec le propriétaire de celui-ci et qu’un contrat de bail a été passé entre eux, c’est en principe ce contrat de bail et le loyer prévu qui sont déterminants pour le calcul de la PC (jusqu’au montant maximal admissible), pour autant que le loyer convenu soit effectivement payé et qu’il ne soit pas manifestement excessif. Lorsqu’aucun loyer n’a été convenu ou payé, ou si le loyer est manifestement excessif, c’est le montant de la valeur locative du logement, auquel s’ajoute le forfait pour frais accessoires, qui est déterminant, moyennant une répartition par tête.

Consid. 5 [résumé]
La cour cantonale a retenu que le ch. 3231.07 DPC ne permettait pas de déroger à la répartition du loyer par tête dans un cas de sous-location. Une telle dérogation pouvait être envisagée uniquement lorsque le propriétaire du logement cohabitait avec le bénéficiaire de PC, ce qui n’était pas le cas en l’espèce. L’arrêt 9C_153/2022 du 26 avril 2023 invoqué par les assurés ne leur était pas applicable, car une exception à la répartition à parts égales suppose une cohabitation fondée sur un devoir d’entretien juridique ou moral, ce qui n’était pas établi à l’égard de leur fille ou de leurs petits-enfants. Les juges cantonaux ont constaté que cinq personnes vivaient dans le logement, de sorte que le loyer mensuel de 2’800 fr., accessoires compris, devait être réparti en cinq parts égales. Aucun élément du dossier ne permettait de conclure qu’un des membres du foyer faisait un usage disproportionné du logement. C’était donc à juste titre que la caisse de compensation avait pris en compte un montant mensuel de 1’120 fr. (ou annuel de 13’440 fr.) à titre de dépenses reconnues.

Consid. 6.2
Les assurés font une analogie entre le contrat de sous-location signé le 30.06.2023 et le contrat de bail principal du 03.10.2019, en ce sens que la position de leur fille serait assimilable à celle de propriétaire. Or tel n’est pas le cas.

Il est établi – et non contesté – que la fille n’est pas propriétaire du logement mais la titulaire du contrat de bail. Elle occupe, avec ses deux enfants, la villa de 6 pièces qu’elle partage avec les assurés, mettant ainsi à leur disposition une partie de la maison moyennant une part du loyer principal. Le contrat de sous-location, conclu entre les assurés et leur fille, prévoit un loyer mensuel de 1’500 fr. (frais accessoires inclus); il en résulte un solde de 1’300 fr., soit une part moindre du loyer pour la fille et ses deux enfants alors même qu’il est probable qu’ils occupent à eux trois plus de la moitié du logement. Les assurés ne soutiennent d’ailleurs pas qu’ils bénéficieraient d’une plus grande part du logement en vertu d’une répartition particulière des locaux (cf. ATF 105 V 271 et ch. 3231.04 DPC). Cela étant, il convient de respecter l’objectif poursuivi par l’art. 16c OPC-AVS/AI, qui est d’éviter que les prestations complémentaires ne doivent également couvrir les parts de loyer de personnes qui ne sont pas incluses dans le calcul des PC (consid. 4.2.2 supra). Le raisonnement des juges cantonaux – selon lequel il résulterait un risque d’abus inadmissible si l’on admettait, sous l’angle des prestations complémentaires, que les locataires et sous-locataires d’un logement puissent, par contrat, ventiler à leur guise la charge commune du loyer convenu avec le tiers propriétaire – ne revient pas à créer une inégalité de traitement entre les bénéficiaires de prestations complémentaires. Comme l’ont exposé à juste titre les juges cantonaux, le propriétaire ne paie pas un loyer correspondant à l’usage du logement mais des charges hypothécaires, dont le montant peut varier fortement et ne pas correspondre au loyer usuel qui pourrait être convenu avec les locataires cohabitant avec lui. On ajoutera que le ch. 3231.03 DPC prévoit, dans le contexte de la répartition du montant du loyer à parts égales, qu’il soit également procédé à une répartition du loyer en cas de sous-location. Il s’ensuit que les assurés ne peuvent se prévaloir du ch. 3231.07 DPC pour prétendre à une dérogation au partage du loyer à parts égales.

Consid. 7 [résumé]
Les assurés ont, à titre subsidiaire, soutenu qu’il convenait de déroger à la répartition du loyer à parts égales prévue à l’art. 16c al. 2 OPC-AVS/AI. Tout en admettant ne pas avoir eux-mêmes une obligation d’entretien envers leurs petits-enfants, ils ont invoqué celle de leur fille à l’égard de ces derniers, estimant que cela justifierait, selon la jurisprudence (arrêt 9C_153/2022 précité), l’exclusion des enfants du calcul des prestations complémentaires. Les assurés ne soutiennent toutefois pas que leur fille aurait elle-même droit à des prestations complémentaires. Admettre leur raisonnement reviendrait à faire financer indirectement, par les prestations complémentaires perçues par les assurés, une partie de la contribution d’entretien incombant à leur fille.

 

Le TF rejette le recours des assurés.

 

Arrêt 8C_6/2025 consultable ici

 

9C_707/2020 (f) du 11.05.2021 – Décès de la personne assurée en cours d’instruction de la demande AI – Sort des prestations – Succession / Pas de nullité de la décision du fait du décès – antérieure – de la personne assurée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_707/2020 (f) du 11.05.2021

 

Consultable ici

 

Décès de la personne assurée en cours d’instruction de la demande AI – Sort des prestations – Succession / 560 CC – 566 CC

Pas de nullité de la décision du fait du décès – antérieure – de la personne assurée

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a jugé qu’en cas de décès de l’assurée en cours d’instruction d’une demande de prestations AI, la décision peut valablement être rendue postérieurement au décès et notifiée à la succession. Le droit à la rente d’invalidité, n’étant pas strictement personnel, entre dans la succession s’il existe encore au moment du décès. Les héritiers, ayant accepté la succession, sont pleinement titulaires des droits de la défunte et peuvent se voir notifier tant le projet que la décision. La notification à la succession ne viole ni les règles de procédure ni le droit d’être entendu, dès lors que les héritiers ont été mis en mesure de s’exprimer avant la décision et qu’ils ont reçu les informations nécessaires, même si le projet de décision manquait de précision quant à sa forme.

Faits
Au début du mois de mars 2017, l’employeur a signalé à l’AI le cas de son employée A.__, née en 1955 et atteinte d’un cancer. À la suite du dépôt d’une demande de prestations en juillet 2017, l’office AI a recueilli plusieurs avis médicaux. Il a également obtenu des renseignements économiques de l’employeur.

L’assurée est décédée en 2018, et ses filles, B.__ et C.__, ont accepté la succession. Le 25.09.2018, la caisse de pension a informé B.__ qu’elle lui verserait un capital de 209’946 fr. 95 en lien avec le décès de leur mère. Le 26.04.2019, l’office AI a transmis un projet de décision à la Justice de Paix, indiquant son intention d’octroyer une rente entière d’invalidité à l’assurée dès le 01.01.2018, sur la base d’un taux d’invalidité de 100%, une incapacité de travail étant médicalement attestée dès avril 2015; la prestation devait être limitée au 30.04.2018. Une copie de la décision a été adressée notamment à B.__, C.__ et à la caisse de pension.

Par courrier du 09.07.2019, la caisse de pension a demandé à C.__ la restitution du capital versé par erreur, n’ayant pas eu connaissance d’une demande AI en cours, feu l’assurée ne pouvant plus être considérée comme membre salariée mais comme membre pensionnée. Par décision du 15.08.2019, l’office AI a reconnu le droit de feu l’assurée à une rente entière d’invalidité du 01.01.2018 au 30.04.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 305/19 – 308/2020 – consultable ici)

Par jugement du 02.09.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1 [résumé]
Le litige porte sur la validité de la décision du 15.08.2019, B.__ et C.__, recourantes, soutenant sa nullité de plein droit au motif que le projet de décision du 26.04.2019 se rapportait à une personne décédée depuis le 13.04.2018. Selon elles, cette irrégularité entachait également la décision subséquente.

Consid. 2.2
Conformément à l’art. 31 al. 1 CC, la personnalité finit avec la mort. Au jour du décès, les héritiers acquièrent de plein droit l’universalité de la succession (art. 560 CC). Le droit à une rente de l’assurance-invalidité n’est pas un droit strictement personnel (cf. ATF 99 V 165 consid. 2b), de sorte qu’il entre dans la succession, dans la mesure où il existe (soit est encore en suspens) au moment du décès (ATF 136 V 7 consid. 2.1.2; Hans Michael Riemer, Vererblichkeit und Unvererblichkeit von Rechten und Pflichten im Privatrecht und im öffentlichen Recht, recht 1/2006, p. 31).

Comme l’a retenu à juste titre la juridiction cantonale, au décès de l’assurée, ses deux filles – qui ont accepté leur qualité d’héritières (cf. art. 566 CC) – ont acquis de plein droit l’universalité de la succession et sont devenues pleinement titulaires des droits et obligations de la défunte, y compris de la prétention à la rente d’invalidité (cf. ATF 141 V 170 consid. 4.3). Le fait que le projet de décision, puis la décision sur la prestation de l’assurance-invalidité n’ont pas été rendus du vivant de l’assurée n’est pas déterminant et ne conduit pas à la nullité du prononcé du 15.08.2019. L’argumentation des recourantes sur ce point méconnaît qu’en vertu du principe de la saisine prévu par l’art. 560 al. 1 CC, les héritiers « entrent directement et automatiquement dans les relations juridiques de l’auteur de la succession » (SANDOZ, Commentaire romand, Code civil II, n° 7 ad art. 560 CC) et que l’objet de la succession porte aussi sur les expectatives de droit (art. 560 al. 2 CC; SANDOZ, op. cit., n° 18 ad art. 560 CC). Dans ces circonstances, l’office AI, qui avait été saisi d’une demande de prestations de l’assurée, était en droit de rendre une décision postérieurement au décès de celle-ci, portant sur le droit de feu l’assurée à une rente de l’assurance-invalidité pour la période déterminante, s’étendant jusqu’à la fin du mois d’avril 2018 (cf. art. 30 LAI).

Contrairement à ce que prétendent par ailleurs les recourantes, le projet de décision du 26.04.2019 et la décision du 15.08.2019 n’ont pas été notifiés « à une personne défunte » mais à la succession de feu l’assurée, le premier à l’adresse de la Justice de Paix compétente, la seconde à l’adresse de l’hoirie, au domicile de B.__. Leur grief tiré d’une nullité de plein droit de la décision administrative est mal fondé.

Consid. 3.2 [résumé]
Après avoir pris connaissance du décès de l’assurée, l’office AI s’était renseigné auprès de la Justice de Paix (courrier du 12.04.2019), laquelle lui avait communiqué, le 18.04.2019, les noms et adresses des héritières ayant accepté la succession. Ces dernières prenaient dès lors la place de la défunte dans la procédure (consid. 2.2 supra). Le projet aurait donc dû leur être formellement adressé, comme cela fut fait pour la décision du 15.08.2019. Toutefois, selon les constatations non contestées, elles ont bien reçu copie du projet et en ont eu connaissance, ce qui leur a permis de prendre connaissance de la position de l’office AI, y compris des modalités d’opposition. Malgré l’imprécision de l’adresse (« Mesdames, Messieurs »), le contenu et l’objet du projet étaient clairs, à savoir l’octroi d’une rente en faveur de feu l’assurée, avec indication de la possibilité de faire valoir des objections. Leur argument selon lequel elles n’auraient pas compris qu’elles pouvaient se déterminer ne saurait être retenu.

Sous l’angle de la protection contre les notifications irrégulières (cf. ATF 122 I 97 consid. 3a/aa; 111 V 149 consid. 4c et les références), il ne ressort pas que les recourantes aient été effectivement induites en erreur par une notification uniquement en copie. Le projet leur ayant été communiqué plus de trois mois avant la décision, elles disposaient de suffisamment de temps pour faire valoir leurs objections, y compris pour envisager un retrait de la demande. Le grief tiré de la violation du droit d’être entendu est mal fondé, sans qu’il soit nécessaire d’examiner l’argument des recourantes quant à l’absence de possibilité de réparer le prétendu vice, voire la validité ou la portée d’un retrait de la demande de prestations qui n’a pas eu lieu jusqu’au prononcé de la décision administrative.

Consid. 4
Vu le motif soulevé par les recourantes en lien avec une « violation manifeste des principes applicables à l’évaluation de l’invalidité », le litige porte ensuite sur le bien-fondé du droit à la rente entière d’invalidité en faveur de feu l’assurée du 01.01.2018 au 30.04.2018.

Consid. 4.3
Invoquant une violation du droit fédéral et l’arbitraire dans la constatation des faits, les recourantes soutiennent que la répartition des champs d’activités propres à l’application de la méthode mixte d’évaluation aurait dû être de 50% pour l’activité lucrative et de 50% pour l’accomplissement des travaux ménagers (au lieu de 80% et 20%). Par ailleurs, l’assurée n’aurait présenté aucune invalidité pour la part ménagère mais seulement une invalidité de 50% pour la part professionnelle (50% d’un 50% ou encore 75% d’un 100%), de sorte que le taux d’invalidité maximal qui pouvait être retenu était de 25%, insuffisant pour ouvrir le droit à une rente d’invalidité.

Consid. 4.3.1 [résumé]
En l’espèce, la constatation cantonale selon laquelle l’assurée aurait exercé une activité lucrative à 80%, avec une part ménagère de 20%, ne relève pas de l’arbitraire. L’assurée avait par ailleurs déclaré, dans un questionnaire du 25.09.2017, qu’en l’absence d’atteinte à la santé, elle aurait continué à travailler à 80% ou 66%, ce dernier chiffre correspondant probablement au taux d’activité usuel dans l’enseignement public. Les affirmations contraires des recourantes sont donc mal fondées.

Consid. 4.3.2 [résumé]

Les recourantes contestaient le taux d’invalidité de 100% retenu dans la sphère professionnelle par les juges cantonaux.

Leur critique des rapports médicaux est infondée. Le Dr F.__, spécialiste en médecine interne, oncologie et hématologie, avait expliqué de manière circonstanciée l’évolution négative de la maladie justifiant les limitations fonctionnelles. De même, la prétendue absence de motivation du rapport du Dr I.__, spécialiste en médecine interne et médecin traitant, repose sur une lecture incomplète : ce dernier avait mentionné une fatigue intense en lien avec les traitements oncologiques lourds (chimiothérapie et radiothérapie) consécutifs au diagnostic posé en avril 2015.

Consid. 4.3.3 [résumé]
S’il ressort de la déclaration que l’assurée avait encore exercé partiellement une activité d’enseignement au début de l’année 2018, cela ne rend pas arbitraire la constatation d’une incapacité totale médicalement attestée dès le 01.01.2018. L’attestation du directeur, cohérente avec ses déclarations antérieures valorisant le courage de l’assurée et l’effet moral positif de quelques heures d’activité hebdomadaire, ne contredit pas les conclusions médicales, notamment celles du Dr F.__, du Dr I.__ et du SMR, attestant une incapacité totale en lien avec une aggravation clinique (progression des métastases nécessitant de nouveaux traitements). L’audition de l’employeur sollicitée par les recourantes n’aurait pas remis en cause ces éléments médicaux, rendant une instruction complémentaire inutile.

En tout état de cause, même s’il y avait lieu d’admettre que l’assurée aurait disposé d’une capacité de travail exigible de 25% tout au plus à partir du 01.01.2018 – équivalente à celle retenue pour la période antérieure -, il en résulterait un taux d’invalidité supérieur à celui de 25% invoqué par les recourantes. Indépendamment d’un éventuel empêchement pour le champ d’activités ménagères, une incapacité de travail de 75% pour la sphère professionnelle conduirait à un taux d’invalidité global de 60% ouvrant le droit à une rente d’invalidité.

 

Le TF rejette le recours de B.__ et C.__.

 

Arrêt 9C_707/2020 consultable ici

 

Jugement de la CrEDH – Affaire B.R. c. Suisse (Requête no 2933/23) du 08.07.2025 / Refus de l’assurance maladie de prendre en charge le coût très onéreux du médicament de la requérante souffrant d’une maladie rare

Jugement de la CrEDH – Affaire B.R. c. Suisse (Requête no 2933/23) du 08.07.2025

 

Consultable ici

 

Refus de l’assurance maladie de prendre en charge le coût très onéreux du médicament de la requérante souffrant d’une maladie rare / 71a LAMal – 71b LAMal

Évaluation de l’efficacité d’un médicament / 65a LAMal

Respect de la vie privée (8 CEDH) et de la dignité humaine (3 CEDH), discrimination fondée sur son état de santé (14 CEDH)

 

Résumé
la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a examiné la requête d’une femme atteinte de SMA de type 2, à qui les autorités suisses avaient refusé la prise en charge du traitement médicamenteux Spinraza. À une majorité de quatre voix contre trois, la Cour a jugé qu’il n’y avait pas eu violation de l’article 8 de la Convention, estimant que les juridictions suisses n’avaient pas outrepassé leur marge d’appréciation en appliquant strictement les exigences du droit interne, notamment quant à la preuve scientifique d’un bénéfice thérapeutique élevé. Les griefs tirés des articles 3 et 14 ont été déclarés irrecevables. Trois juges ont exprimé une opinion dissidente, reprochant aux autorités internes de ne pas avoir pris en compte de manière suffisante la situation concrète de la requérante et les effets concrets du traitement sur son autonomie, sa communication et sa dignité.

 

Faits
La requérante, née en 1988, souffre depuis l’âge de 8 mois d’une amyotrophie spinale de type 2, responsable d’une tétraplégie. Elle se déplace en fauteuil roulant depuis l’âge de 3 ans, est alimentée par sonde depuis 2003, trachéotomisée depuis 2007 et sous ventilation continue depuis 2016. Elle peut communiquer à l’aide du « pavé tactile » d’un ordinateur portable et utiliser le « joystick » de son fauteuil roulant. Elle a obtenu un master en linguistique en 2015, travaille comme assistante scientifique à l’université de Zurich et poursuit un doctorat. En novembre 2017 et janvier 2018, son médecin a sollicité auprès de la caisse-maladie la prise en charge du traitement par Spinraza (substance active : Nusinersen), médicament autorisé en Suisse depuis septembre 2017 mais non inscrit sur la liste des spécialités de l’OFSP. La caisse-maladie a rejeté cette demande en décembre 2017 et février 2018, puis rendu une décision formelle de refus le 29 mai 2018, confirmée sur opposition le 28 août 2018, au motif que les études disponibles ne démontraient pas un bénéfice thérapeutique élevé du Spinraza dans un cas comme celui de l’assurée.

Par arrêt du 20.03.2020, le tribunal cantonal a rejeté le recours, niant toute violation des art. 3, 8 et 14 CEDH.

Le même jour, l’assurée a fait parvenir au tribunal une étude scientifique (T. Hagenacker et al., « Nusinersen in adults with 5q spinal muscular atrophy: a non-interventional, multicentre, observational cohort study », The Lancet Neurology, vol. 19, avril 2020, pp. 317-25 – accessible en ligne dès le 18.03.2020) dont l’objet consistait en l’examen de la fiabilité et de l’efficacité du traitement sur des patients adultes atteints de SMA, peu de données étant alors disponibles sur ce sujet. Réalisée à partir d’un groupe de patients âgés de 16 à 65 ans, l’étude en question utilisait comme critère principal d’évaluation une modification d’au moins trois points (sur un total de 66 points) du score HFMSE (Hammersmith Functional Motor Scale Expanded). Une amélioration cliniquement significative du score HFMSE avait été mesurée chez 35 patients (28%) ayant bénéficié de six mois de traitement, chez 33 patients (35%) ayant suivi 10 mois de traitement et chez 23 patients (40%) ayant eu un traitement de 14 mois. Les conclusions de la recherche étaient toutefois plus nuancées concernant les patients souffrant de SMA de type 2, pour lesquels les scores étaient moins élevés : une amélioration cliniquement significative avait ainsi été relevée auprès de 1 patient (2%) après 6 mois de traitement, de 2 patients (7%) après 10 mois et de 1 patient (5%) après 14 mois. Les résultats obtenus indiquaient donc une efficacité du traitement généralement plus élevée pour des patients présentant une forme de la maladie de moindre gravité.

L’étude n’ayant pu être prise en compte, l’assurée a déposé le 18.05.2020 une demande de révision de l’arrêt du 20.03.2020 et un recours au Tribunal fédéral.

L’assurée a produit une expertise médicale favorable au traitement, rédigée par deux spécialistes de la clinique universitaire d’Essen, dont l’un était co-auteur de l’étude scientifique de 2020.

Le 01.07.2020, le Spinraza a été inscrit sur la liste des spécialités de l’OFSP, avec une restriction excluant les patients de plus de 20 ans sous ventilation continue ou trachéotomisés, sauf s’ils avaient commencé le traitement avant leurs 20 ans pris en charge par l’assurance-invalidité. Le prix du médicament était fixé à CHF 80’595.95.

Le tribunal cantonal a rejeté la demande de révision par arrêt du 22.09.2021.

Le Tribunal fédéral a, par arrêt 9C_318/2020+9C_606/2021 du 16 août 2022, rejeté le recours, estimant que l’efficacité clinique individuelle n’était pas suffisante pour fonder une obligation de prise en charge et que l’inscription ultérieure du Spinraza sur la liste des spécialités ne modifiait pas la situation juridique, l’assurée étant expressément exclue de la couverture. Il a considéré qu’aucune discrimination au sens de l’art. 14 CEDH n’était identifiable.

 

CrEDH

Pratique interne pertinente

  1. Le Tribunal fédéral considère, dans sa jurisprudence, que la réglementation pertinente (art. 52 al. let. b LAMal ; art. 34 et 64 ss OAMal ; art. 30 ss OPAS) exclut en principe la prise en charge, au titre de l’assurance obligatoire des soins, des coûts des médicaments qui ne figurent pas sur la « liste des spécialités », laquelle est exhaustive et contraignante. Quant aux médicaments inscrits sur ladite liste, ils ne sont pris en charge que s’ils sont prescrits pour un usage autorisé par l’Institut suisse des produits thérapeutiques (Swissmedic) dans le cadre des art. 9 et suivants de la loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux (LPTh). Cette restriction vise à assurer, d’une part, que seuls des médicaments sûrs et effectifs selon la législation sur les produits thérapeutiques sont facturés à l’assurance obligatoire des soins et, d’autre part, que des coûts des prestations, au sens de l’art. 32 de la LAMal, sont contrôlés, les médicaments figurant sur la « liste des spécialités » ne pouvant être facturés à un prix plus élevé que celui qui leur est attribué dans celle-ci. Outre la prévention d’abus, pareil contrôle des prix poursuit l’objectif de maintenir un rapport coûts / bénéfices approprié (ATF 136 V 395, consid. 5.1).
  2. Dans un arrêt de 2010, soit avant l’entrée en vigueur des art. 71a ss OAMal, le Tribunal fédéral a jugé que les coûts d’un médicament prescrit pour une indication autre que celle pour laquelle il a été autorisé (prise en charge « hors étiquette » (off label)) devaient être pris en charge à titre exceptionnel lorsque l’utilisation dudit médicament constituait un préalable indispensable à la réalisation d’une autre prestation largement prédominante et prise en charge par l’assurance obligatoire des soins, ou s’il permettait d’escompter un bénéfice élevé (curatif ou palliatif) à l’égard d’une maladie potentiellement mortelle pour l’assuré ou susceptible à tout le moins de lui causer des problèmes de santé graves et chroniques alors que, faute d’alternative thérapeutique, il n’existait pas d’autre traitement efficace autorisé (ATF 136 V 395 consid. 5.2). Ces critères ont par la suite été repris à l’art. 71a OAMal.
  3. Le Tribunal fédéral a précisé que de telles exceptions entraient notamment en ligne de compte concernant des produits pharmaceutiques traitant de maladies tellement rares que les fabricants de médicament renonçaient à en demander l’autorisation (utilisation orpheline ou maladies orphelines). Toutefois, l’usage hors étiquette ne pouvait être admis quel que fût l’ampleur du bénéfice thérapeutique attendu, sans quoi l’appréciation de l’existence d’un tel bénéfice aurait remplacé le système légal fondé sur des listes exhaustives. Celui-ci visant également à assurer le caractère économique des prestations, il importait en particulier d’éviter qu’une pratique extensive de la prise en charge à titre exceptionnel conduisît à évincer la voie ordinaire de l’inscription sur liste au profit d’une appréciation au cas par cas et que, de ce fait, le contrôle du caractère économique des traitements, assuré par la « liste des spécialités », ne fût contourné (ATF 136 V 395 consid. 5.2).
  4. Selon l’approche constante retenue par le Tribunal fédéral, le point de savoir si un médicament présente un bénéfice thérapeutique est une question de fait, alors que l’appréciation du caractère élevé ou non d’un tel bénéfice constitue une question de droit (ATF 136 V 395 consid. 6.3 ; ATF 144 V 333 consid. 11.1.3, avec renvois).
  5. Le tribunal a indiqué en outre que les conditions générales prévues à l’art. 32 LAMal, selon lesquelles une prestation doit être efficace, appropriée et économique, valaient aussi pour les médicaments orphelins, l’efficacité devant de surcroît être démontrée par des méthode scientifiques. Ainsi, l’examen relatif à ce critère ne saurait être effectué uniquement au regard du cas individuel concerné. Pareille conclusion découle, de plus, de la législation sur les produits thérapeutiques, celle-ci retenant également l’exigence d’un bénéfice thérapeutique élevé comme condition posée à l’autorisation à durée limitée de médicaments agissant contre les maladies susceptibles d’entraîner la mort ou une invalidité au sens de l’art. 9a al. 1 lettre b de la LPTh, en conséquence de quoi la demande d’une telle autorisation présuppose qu’il existe au moins des résultats intermédiaires d’études cliniques indiquant que l’utilisation du médicament procurera un bénéfice thérapeutique notable (en allemand : « grosser therapeutischer Nutzen », cf. art. 19 al. 1 lettre c de l’ordonnance de l’Institut suisse des produits thérapeutiques du 22 juin 2006 sur l’autorisation simplifiée de médicaments et l’autorisation de médicaments fondée sur une déclaration [OASMéd, RS 812.212.23]). Cependant, pour ce qui est des médicaments orphelins, en raison de la rareté des maladies qu’ils concernent et du non-recours à la procédure ordinaire d’autorisation, il n’existe souvent pas autant de résultats scientifiques que pour les autres médicaments, et la preuve de leur efficacité générale ne peut donc être soumise aux mêmes exigences que celles qui s’appliquent aux fins d’une inscription sur la « liste des spécialités » (cf. art. 26 al. 1 OASMéd). Toutefois, leur efficacité thérapeutique ne saurait être admise, en l’absence d’études cliniques susceptibles de la démontrer, du seul fait que le médicament concerné a produit un effet curatif dans le cas particulier dont il est question, car procéder de la sorte reviendrait à déduire un lien de causalité entre deux événements successifs au simple motif de leur chronologie (raisonnement post hoc ergo propter hoc) alors que l’amélioration d’un état de santé peut aussi survenir de manière spontanée ou pour d’autres raisons que le traitement reçu. Par conséquent, la question de savoir si l’usage du médicament permet d’escompter un bénéfice élevé doit être examinée aussi bien de manière générale qu’en relation avec le cas concret (ATF 136 V 395 consid. 6.5).
  6. Enfin, se référant aux dispositions des art. 9a LPTh et 26 al. 1 OASMéd, le Tribunal fédéral a jugé que la preuve d’un bénéfice thérapeutique élevé, au sens de l’art. 71a al. b OAMal devait être apportée sous la forme soit d’études cliniques publiées présentant des résultats à tout le moins intermédiaires de nature à soutenir une conclusion en faveur d’un effet curatif important, soit d’autres résultats publiés permettant une appréciation scientifique de l’efficacité du médicament dans le nouveau domaine d’application en question et sur le fondement desquels il existerait, parmi les spécialistes de la pathologie dont s’agit, un consensus dans le sens d’un probable bénéfice élevé (ATF 142 V 325 consid. 2.3.2.2 ; 146 V 240 consid. 6.2.2).

SUR LA VIOLATION ALLÉGUÉE DE L’ART. 8 DE LA CONVENTION

  1. La requérante soutient que le refus de prise en charge, dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins, du médicament Spinraza a emporté violation du droit au respect de sa vie privée, au sens de l’art. 8 de la Convention. Elle reproche en outre aux autorités internes de ne pas avoir dûment examiné ses griefs, notamment en ce qui concerne l’efficacité du médicament Spinraza.

L’appréciation de la Cour

Principes généraux applicables [résumé]

  1. La Convention ne garantit pas le droit à la santé en tant que tel (Vasileva c. Bulgarie, no 23796/10, § 63, 17 mars 2016) ni celui à un traitement médical précis souhaité par un patient (Wenner, précité, §§ 55-58), ni, encore moins, un droit à la gratuité des soins médicaux (Pentiacova et autres c. Moldova (déc.), no 14462/03, CEDH 2005‑I). La Cour peut, en revanche, examiner si l’intéressé a accès au niveau de soins de santé dont bénéficie la population dans son ensemble (Pentiacova et autres, décision précitée, et Abdyusheva et autres c. Russie, nos 58502/11 et 2 autres, § 131, 26 novembre 2019).
  2. Des griefs relatifs au refus de certains traitements ou médicaments ont été examinés sous l’angle de l’art. 8 CEDH, en tant que composante de la vie privée, englobant l’autonomie personnelle, le développement individuel et la dignité humaine.
  3. Les questions de santé publique relèvent d’une large marge d’appréciation des autorités nationales, mieux placées pour déterminer les priorités et l’allocation des ressources (Abdyusheva et autres, § 112 ; Shelley c. Royaume-Uni (déc.), no 23800/06 ; Hristozov et autres, § 119 ; Durisotto, § 36). Cette marge varie selon les circonstances et s’élargit en l’absence de consensus entre États membres, notamment lorsque sont en jeu des questions morales ou éthiques sensibles (Dubská et Krejzová c. République tchèque [GC], nos 28859/11 et 28473/12, § 178 ; Parrillo c. Italie [GC], no 46470/11, § 169). En matière économique ou sociale, une large latitude est habituellement reconnue à l’État, dont les choix ne sont remis en cause que s’ils sont manifestement dépourvus de base raisonnable (Dubská et Krejzová, § 179 ; Shelley ; Hristozov et autres, § 119).
  4. L’art. 8 impose également des obligations positives visant à assurer un respect effectif de la vie privée, en plus de l’interdiction des ingérences arbitraires. Que les obligations soient positives ou négatives, il convient de ménager un juste équilibre entre les intérêts de l’individu et ceux de la collectivité, l’État disposant dans les deux cas d’une certaine marge d’appréciation (Pentiacova et autres ; Hristozov et autres, § 117).

 

Application des principes susmentionnés au cas d’espèce

Sur la question de savoir s’il y avait une obligation positive ou s’il y a eu une ingérence dans l’exercice du droit invoqué [résumé]

  1. Dans des affaires relatives à l’accès à des médicaments, la Cour a examiné si la mesure contestée constituait une restriction de la liberté de choisir un traitement médical, donc une ingérence dans l’exercice du droit au respect de la vie privée, ou s’il s’agissait d’un manquement de l’État à son obligation positive de mettre en place un cadre réglementaire garantissant ce droit. Elle a jugé inutile de trancher entre ces deux approches, les frontières entre obligations positives et négatives au titre de l’art. 8 n’étant pas nettement définies, les principes applicables étant similaires dans les deux cas. Elle a retenu que l’analyse devait porter sur le respect du juste équilibre entre les intérêts de l’individu et ceux de la collectivité (Hristozov et autres, § 117 ; Abdyusheva et autres, § 114). En l’espèce, la Cour ne voit pas de raison de s’écarter de cette analyse. La question qui se pose est précisément celle de savoir si pareil équilibre a été ménagé, compte tenu de la marge d’appréciation de l’État dans ce domaine.

Sur la marge d’appréciation et la mise en balance des intérêts concurrents en présence

  1. La Cour doit dès lors répondre à la question de savoir si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts concurrents de l’individu et de la collectivité. Dans cet exercice, et compte tenu des principes rappelés ci‑dessus, elle gardera à l’esprit que les autorités internes sont généralement mieux placées pour évaluer les besoins et possibilités médicaux en recherchant un juste équilibre entre les intérêts concurrents de l’individu et de la collectivité.
  2. La Cour considère que dans la présente affaire, elle se trouve confrontée à l’interprétation à la lumière du droit suisse d’opinions scientifiques et d’expertises médicales. Sensible à la nature subsidiaire de sa mission, elle estime qu’il ne lui appartient pas de se prononcer sur des questions relevant exclusivement du champ de l’expertise médicale (Abdyusheva et autres, précité, § 118).
  3. La Cour rappelle que, si au moment où les cours nationales ont statué sur les demandes de la requérante, le Spinraza était autorisé en Suisse et figurait sur la liste des médicaments pris en charge par l’assurance obligatoire, il faisait l’objet d’une limitation qui excluait, en principe, la prise en charge de son coût pour des patients qui, comme l’intéressée, étaient âgés de 20 ans ou plus et avaient besoin d’une ventilation continue (paragraphe 15 ci-dessus). Cependant, en vertu du droit suisse pertinent, les assurances maladies avaient également l’obligation, à titre exceptionnel, de prendre en charge les médicaments faisant l’objet d’une limitation si l’usage du médicament en question permettait d’escompter un bénéfice élevé contre une maladie susceptible d’être mortelle pour l’assuré ou de lui causer des problèmes de santé graves et chroniques et que, faute d’alternative thérapeutique, il n’existait pas d’autre traitement efficace autorisé (art. 71a al. 1b OAMal ; paragraphe 20 ci-dessus). D’après la jurisprudence du Tribunal fédéral, le bénéfice élevé devait être prouvé pour le cas concret de l’assuré concerné, ainsi que de manière générale, selon des standards scientifiques, de sorte que la preuve d’un bénéfice dans un cas particulier ne suffisait pas pour que la condition fût remplie (paragraphe 25 ci-dessus).
  4. En l’espèce, les instances internes ont estimé que les études médicales concernant le Spinraza qui avaient été produites devant elles ne permettaient pas d’apporter la preuve scientifique d’un bénéfice élevé du médicament pour des malades souffrant de SMA de type 2 âgés d’au moins vingt ans et ayant besoin d’une ventilation permanente. Du reste, elles ont laissé ouverte la question de savoir si le traitement en question avait un bénéfice élevé pour la requérante, considérant qu’en tout état de cause l’efficacité du médicament dans un cas particulier ne pourrait à elle seule remplacer la preuve générale fondée sur des connaissances scientifiques.
  5. La Cour ne perd pas de vue qu’il revient au premier chef aux autorités nationales, particulièrement aux instances juridictionnelles, d’interpréter et d’appliquer le droit interne (voir, parmi d’autres, Naït-Liman c. Suisse [GC], no 51357/07, § 116, 15 mars 2018, et les affaires y citées). La Cour ne peut dès lors mettre en cause l’appréciation des autorités internes quant à de prétendues erreurs de droit que lorsque celles-ci sont arbitraires ou manifestement déraisonnables (voir, dans ce sens, Anheuser-Busch Inc. c. Portugal [GC], no 73049/01, §§ 85 et 86, CEDH 2007‑I).
  6. Concernant, tout d’abord, le système en place en Suisse, la Cour estime que les règles pertinentes du droit suisse impliquent a priori, notamment à travers les conditions d’« efficacité, [d’]adéquation, et [tenant au] caractère économique », une pesée entre, d’une part, l’intérêt de la communauté des assurés et la protection des ressources limitées de l’État et, d’autre part, l’intérêt privé d’une personne malade à recevoir un traitement donné onéreux. Dans ce contexte, la Cour, dans les limites de son contrôle européen, ne considère pas la différence de traitement basée sur l’âge des patients comme étant dépourvue de fondement. Selon la Cour, il en va de même de l’exigence d’un « bénéfice élevé » du médicament pour les malades souffrant de SMA de type 2 ayant dépassé une certaine limite d’âge et ayant besoin d’une ventilation permanente, comme c’est le cas de la requérante.
  7. Par ailleurs, les tribunaux internes ont expliqué de manière explicite et compréhensible pour quelles raisons la question de savoir si l’usage du médicament permettait d’escompter un bénéfice élevé devait être examinée aussi bien de manière générale qu’en relation avec le cas concret (voir notamment la pratique interne pertinente, en particulier au paragraphe 25 ci-dessus). De surcroît, il ressort de la pratique interne pertinente que la preuve d’un bénéfice thérapeutique élevé, au sens de l’art. 71a al. b OAMal, devait être apportée notamment par des études cliniques, permettant une appréciation scientifique de l’efficacité du médicament dans le nouveau domaine d’application en question et sur le fondement desquels il pouvait être établi qu’il existait, parmi les spécialistes de la pathologie concernée, un consensus dans le sens d’un probable bénéfice élevé.
  8. Pour ce qui est ensuite de l’application des règles pertinentes au cas d’espèce, la Cour est d’avis que l’interprétation faite par les instances internes du droit interne, notamment du concept de « bénéfice élevé », n’était pas davantage arbitraire ou manifestement déraisonnable. En particulier, elle n’aperçoit rien d’inapproprié dans le fait pour les instances internes de retenir que les études scientifiques disponibles ne permettaient pas de conclure que le médicament Spinraza présentait un bénéfice thérapeutique élevé dans des cas tel celui de la requérante, et que la condition prévue par la réglementation à cet égard faisait par conséquent défaut en l’espèce (voir notamment le paragraphe 6 ci-dessus).
  9. En ce qui concerne plus spécifiquement l’étude transmise par la requérante le 20.03.2020, le tribunal cantonal, dans son arrêt du 22.09.2021 (paragraphe 16 ci-dessus), a estimé que celle-ci ne fournissait pas, s’agissant des patients adultes dans la situation de la requérante, à savoir des malades atteints de SMA de type 2 et souffrant de graves déficiences, de résultats suffisamment différenciés et clairs d’un point de vue probatoire. Ainsi, selon le tribunal, l’étude en question ne permettait pas de conclure assurément et avec une probabilité prépondérante à un bénéfice thérapeutique élevé pour cette catégorie de patients.
  10. Concernant, enfin, l’expertise médicale du 13.10.2020 (paragraphe 14 ci-dessus), il a retenu que, même en admettant que le médicament Spinraza avait un bénéfice élevé pour la requérante compte tenu de la situation particulière de celle-ci, il n’en découlait aucune obligation de prise en charge dudit médicament par l’assurance au regard du droit suisse dès lors que le critère d’efficacité devait être établi selon des méthodes scientifiques et que, par conséquent, le cas individuel d’un patient traité avec succès ne suffisait pas à prouver l’efficacité requise. Il s’ensuit que le fait d’avoir laissé ouverte la question de savoir si le traitement en question apportait un bénéfice élevé à la requérante ne saurait être critiqué par la Cour, considérant que, selon le système en place, l’efficacité dans un cas particulier ne pouvait à elle seule remplacer la preuve générale fondée sur des connaissances scientifiques.
  11. Compte tenu de ce qui précède, la Cour estime que ni le système en place en Suisse, ni son application par les instances internes dans le cas concret n’apparaissent comme arbitraires ou manifestement déraisonnables en vertu du droit suisse, ni contraire à l’art. 8 de la Convention.
  12. [résumé] La Cour relevait aussi que la requérante avait pu faire valoir ses arguments dans un cadre juridique approprié et contradictoire, que les juridictions avaient répondu de manière détaillée à ses griefs, y compris ceux tirés de la Convention. L’absence de réponse du Tribunal des assurances sociales aux griefs conventionnels dans l’arrêt du 22 septembre 2021 n’était pas critiquable puisque la demande devait être rejetée en tout état.
  13. En conclusion, tout en reconnaissant l’extrême difficulté de la situation de la requérante, la Cour est d’avis que les autorités, qui disposent de ressources limitées, se voient parfois confrontées à des choix très difficiles. Même en admettant l’hypothèse selon laquelle un certain bénéfice découlant du traitement sollicité était réel chez la requérante, il reste que celle-ci devait être traitée selon les règles internes applicables et de manière égale à d’autres demandeurs potentiels, et que ses intérêts privés devaient être comparés aux intérêts opposés de l’État, notamment concernant les coûts liés au système de santé publique et des assurances sociales. Or, le médicament demandé était très onéreux, puisqu’il coûtait plus de CHF 80’000 par flacon, et la requérante avait besoin de plusieurs doses par an (paragraphe 15 ci-dessus). Dès lors, dans le cadre de son contrôle limité, la Cour ne voit pas que les autorités aient dépassé leur marge d’appréciation en refusant à la requérante le traitement demandé.
  14. Il s’ensuit qu’il n’y a pas eu violation de l’art. 8 de la Convention.

 

GRIEF RELATIF À L’ART. 3 DE LA CONVENTION

  1. La requérante soutient que le refus de prendre en charge, dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins, les coûts liés au médicament Spinraza constitue une négation de sa dignité humaine et, dès lors, une violation de l’art. 3.

Appréciation de la Cour

Principes applicables [résumé]

  1. L’art. 3 de la Convention, qui prohibe en termes absolus la torture ainsi que les peines ou traitements inhumains ou dégradants, constitue une valeur fondamentale des sociétés démocratiques. Pour relever de cette disposition, un mauvais traitement doit atteindre un seuil minimal de gravité, seuil dont l’évaluation est relative et dépend du contexte, notamment de la durée, des effets physiques ou mentaux, et parfois du sexe, de l’âge ou de l’état de santé de la victime (Bouyid c. Belgique [GC], no 23380/09, §§ 86-87, CEDH 2015).
  2. Si l’art. 3 est généralement appliqué à des actes intentionnels émanant d’agents de l’État, il peut aussi s’appliquer à d’autres situations, compte tenu de la souplesse nécessaire dans son interprétation (Pretty c. Royaume-Uni, no 2346/02, § 50, CEDH 2002-III). Ainsi, la souffrance liée à une maladie peut entrer dans le champ de l’art. 3 si elle est aggravée par un traitement imputable aux autorités. Dans ce contexte, le seuil requis est élevé, dès lors que le préjudice découle de la maladie elle-même et non d’un comportement intentionnel des autorités (Paposhvili, § 183 ; confirmé par Savran c. Danemark [GC], no 57467/15, § 133, 7 décembre 2021).

 

Application des principes susmentionnés en l’espèce

  1. La Cour considère que la présente espèce se distingue des affaires où des personnes gravement malades ne pourraient bénéficier d’un traitement médical si elles étaient éloignées vers leur pays d’origine ne disposant pas de moyens médicaux adéquats (voir, notamment, les affaires précitées, Paposhvili, Savran, et N. c. Royaume-Uni). En effet, contrairement auxdites affaires, où l’état de santé précaire des intéressés aurait pu être davantage aggravé par la décision des autorités de les expulser dans leurs pays d’origine, la Suisse n’a pas directement contribué aux souffrances de la requérante, pour laquelle la maladie SMA de type 2, à l’origine d’une tétraplégie, a été détectée quand l’intéressée était âgée de 8 mois (paragraphe 4 ci-dessus).
  2. En revanche, la situation de la requérante se rapproche de celles examinées dans les affaires Hristozov et autres et Abdyusheva et autres (précitées), dans lesquelles les requérants s’étaient vu refuser un traitement avec des substances interdites, qu’ils jugeaient nécessaires. Or, dans ces arrêts, la Cour a conclu que le refus des autorités de donner accès aux médicaments souhaités n’avait pas atteint un seuil de gravité suffisant pour pouvoir être qualifié de traitement inhumain. Ainsi, en l’absence d’intention d’humiliation ou de rabaissement de la part des autorités en question, voire de souffrances infligées directement par les agents de l’État, elle a conclu à la non-violation de l’art. 3 de la Convention dans l’affaire Hristozov et autres (précité, §§ 113-115), et à l’irrecevabilité du grief dans l’affaire Abdyusheva et autres (précité, §§ 167 et 168).
  3. La Cour se rallie à ce raisonnement dans la présente affaire. Elle considère que le grief de la requérante procède d’une interprétation de l’art. 3 qui confère à la notion de traitements inhumains ou dégradants une portée plus étendue que celle qu’elle a en réalité et que, dès lors, elle ne peut souscrire au raisonnement de l’intéressée. En particulier, l’on ne saurait prétendre qu’en refusant à la requérante la prise en charge d’un traitement médical très coûteux dont l’efficacité, considérée de manière générale pour la catégorie de patients dont elle fait partie, n’était pas établie de manière probante, les autorités auraient directement ajouté à ses souffrances, certes importantes, mais qu’elle subit naturellement depuis sa prime enfance (voir, mutatis mutandis, Hristozov et autres, précité, § 113). L’allégation de la requérante selon laquelle le médicament demandé déployait une certaine efficacité dans son cas individuel est sans pertinence à cet égard. En effet, dans la mesure où la Convention, même au regard de l’art. 3, ne garantit pas d’accès libre à tout traitement médical, si souhaitable qu’il soit, et eu égard au fait que les États membres ne disposent que de ressources limitées, de nombreux individus se voient refuser des traitements, même essentiels, surtout s’ils sont permanents et coûteux (dans ce sens, Wiater c. Pologne (déc.), no 42290/08, § 36, 15 mai 2012).

Conclusion

  1. Compte tenu de ce qui précède, le grief formulé sur le terrain de l’art. 3 est manifestement mal fondé au sens de l’art. 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l’art. 35 § 4.

 

GRIEF RELATIF À L’ART. 14, COMBINÉ AVEC LES ART. 3 ET 8 DE LA CONVENTION

  1. Enfin, la requérante estime avoir subi une discrimination fondée sur son état de santé, en méconnaissance de l’art. 14 de la Convention, combiné avec les art. 3 et 8.

Appréciation de la Cour

Principes applicables [résumé]

  1. L’art. 14 de la Convention n’a pas d’existence autonome ; il complète les autres dispositions normatives en garantissant l’absence de discrimination dans la jouissance des droits qu’elles protègent (Beeler c. Suisse [GC], no 78630/12, § 47 ; Şahin c. Allemagne [GC], no 30943/96, § 85 ; Fábián c. Hongrie [GC], no 78117/13, § 112).
  2. Il n’est pas nécessaire qu’un droit matériel ait été violé pour qu’il trouve à s’appliquer ; il suffit que les faits de la cause relèvent d’un art. de la Convention. Cette interdiction de discrimination s’étend aux droits additionnels que les États choisissent de protéger. Ce principe est profondément ancré dans la jurisprudence de la Cour (voir, parmi beaucoup d’autres, Beeler, précité, § 48, Konstantin Markin c. Russie [GC], no 30078/06, § 124, CEDH 2012 (extraits), Petrovic c. Autriche, 27 mars 1998, § 22, Recueil des arrêts et décisions 1998-II ; Yocheva et Ganeva c. Bulgarie, nos 18592/15 et 43863/15, § 71, 11 mai 2021, et Stec et autres c. Royaume-Uni(déc.) [GC], nos 65731/01 et 65900/01, § 39, CEDH 2005-X).
  3. Selon la jurisprudence constante de la Cour, pour qu’un problème se pose au regard de cette disposition, il doit y avoir une différence dans le traitement de personnes placées dans des situations analogues ou comparables. Une telle différence est discriminatoire si elle ne repose pas sur une justification objective et raisonnable, c’est-à-dire si elle ne poursuit pas un but légitime ou s’il n’y a pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé (voir, parmi d’autres, Beeler, précité, § 93, Biao c. Danemark [GC], no 38590/10, § 90, 24 mai 2016, et Khamtokhu et Aksenchik c. Russie [GC], no 60367/08 et 961/11, § 64, 24 janvier 2017).
  4. Les États jouissent d’une certaine marge d’appréciation pour juger si des différences de situation justifient des traitements différenciés (voir, par exemple, Hämäläinen c. Finlande [GC], no 37359/09, § 108, CEDH 2014, X et autres c. Autriche, [GC], no 19010/07, § 98, CEDH 2013, et Vallianatos et autres c. Grèce [GC], nos 29381/09 et 32684/09, § 76, CEDH 2013 (extraits)). Cette marge d’appréciation varie selon les domaines et le contexte, étant en principe plus large en matière économique ou sociale (Burden c. Royaume‑Uni [GC], no 13378/05, § 60, CEDH 2008, Şerife Yiğit c. Turquie [GC], no 3976/05, § 70, 2 novembre 2010, et Stummer c. Autriche [GC], no 37452/02, § 89, CEDH 2011).
  5. Enfin, en ce qui concerne la charge de la preuve sur le terrain de l’art. 14 de la Convention, la Cour a jugé par le passé que lorsqu’un requérant a établi l’existence d’une différence de traitement, il incombe au Gouvernement de démontrer que cette différence de traitement était justifiée (Beeler, § 94, Biao, § 92, et Khamtokhu et Aksenchik, § 65, tous précités).

 

Application des principes susmentionnés au cas d’espèce

  1. La Cour estime d’emblée que la requérante peut prétendre être victime d’une discrimination fondée sur son état de santé, voire son handicap, pareil critère relevant de l’art. 14 de la Convention (voir, par exemple, l’arrêt Glor, précité, § 80).
  2. [résumé] Elle note que le grief tombait sous l’empire de l’art. 8, ce qui rendait l’art. 14 applicable, et laissait ouverte la question d’un éventuel rattachement à l’art. 3, ce dernier ayant déjà été écarté (paragraphe 89 ci-dessus).
  3. [résumé] Concernant les comparaisons invoquées par la requérante, la Cour observe un certain flottement dans l’argumentation de l’intéressée : devant les juridictions internes, elle se comparait à des personnes traitées pour le cancer ou bénéficiant de l’assurance invalidité avant 20 ans (paragraphes 7 ci-dessus), tandis qu’auprès de la Cour, elle dénonçait aussi une différence de traitement par rapport aux personnes non handicapées, puis, dans ses observations, par rapport à des patients atteints de SMA de plus de 20 ans qui n’ont pas besoin d’une ventilation continue ou d’une trachéotomie permanente.
  4. La Cour considère tout d’abord que pour ce qui est de la discrimination dénoncée par rapport aux personnes sans handicap, le grief n’a pas été soulevé au niveau interne. La Cour estime que, outre le fait que ledit grief ne satisfait pas, dès lors, à la condition de l’épuisement des voies de recours internes prévue à l’art. 35 § 1 de la Convention, la requérante, lourdement handicapée, ne peut en tout état de cause prétendre se trouver dans une situation analogue ou similaire à celle d’une personne sans handicap. Quant à la discrimination alléguée par rapport aux personnes souffrant de SMA qui bénéficient d’une prise en charge du traitement par Spinraza, ainsi que par rapport aux patients souffrant d’un cancer, la Cour a exposé dans le cadre de son examen du grief formulé sous l’angle de l’art. 8 de la Convention que les tribunaux internes avaient justifié de manière très détaillée, au regard du droit interne, la différence de traitement réservée à ces diverses catégories de patients, notamment à la lumière des principes d’efficacité et d’économie. Sur la base de l’état de la science actuelle et d’une pesée adéquate et complète des intérêts privés et de ceux de l’État, notamment concernant les coûts liés au système de santé publique et des assurances sociales, ils ont indiqué de manière approfondie les raisons pour lesquelles ils aboutissaient à la conclusion que la demande de prise en charge devait être rejetée dans le cas de la requérante. Rappelant qu’une ample latitude est normalement laissée à l’État pour prendre des mesures d’ordre général en matière économique ou sociale, la Cour ne voit pas, dans le cadre de son examen limité, que les autorités aient dépassé leur marge d’appréciation en refusant à la requérante le traitement demandé tout en le garantissant à d’autres catégories de patients, ou que les décisions des tribunaux internes aient été inappropriées pour d’autres motifs. Il s’ensuit que les autorités internes pouvaient se prévaloir d’une justification objective et raisonnable, au sens de la jurisprudence précitée (paragraphe 95 ci-dessus), pour la différence de traitement dont se plaint la requérante.

Conclusion

  1. Compte tenu de ce qui précède, le grief portant sur l’art. 14, combiné avec les art. 3 et 8 de la Convention, est manifestement mal fondé au sens de l’art. 35 § 3 a) et doit être rejeté en application de l’art. 35 § 4.

 

La Cour a déclaré, à la majorité, recevable le grief tiré de l’art. 8 de la Convention, et a jugé le reste de la requête irrecevable. Par quatre voix contre trois, elle a conclu à l’absence de violation de l’art. 8 de la Convention.

 

OPINION DISSIDENTE DU JUGE SERGHIDES [résumé]

Le juge Serghides exprime son désaccord avec le point 1 du dispositif, en ce qu’il déclare irrecevables les griefs fondés sur les articles 3 et 14 de la Convention, lesquels ne sont pas examinés dans l’arrêt. Il conteste à la fois l’absence d’examen de ces griefs et leur rejet au stade de la recevabilité sans analyse au fond. Il fait valoir des préoccupations similaires dans plusieurs autres opinions séparées, notamment L.F. et autres c. Italie, no 52854/18, 6 mai 2025, Kavečanský c. Slovaquie, no 49617/22, 29 avril 2025, Adamčo c. Slovaquie (no 2), nos 55792/20, 35253/21 et 41955/22, 12 décembre 2024, ainsi que dans mon opinion partiellement dissidente commune avec la juge Adamska-Gallant dans Cioffi c. Italie, no 17710/15, 5 juin 2025.

 

OPINION DISSIDENTE COMMUNE AUX JUGES SERGHIDES, ZÜND ET KOVATCHEVA [résumé]

Les juges dissidents estiment qu’il y a eu violation de l’article 8 de la Convention. Ils reprochent à la majorité, ainsi qu’aux juridictions internes, de ne pas avoir appréhendé de manière effective la portée de la garantie conventionnelle de la vie privée. S’ils reconnaissent que les autorités nationales ont examiné la demande de prise en charge du Spinraza à la lumière du droit interne, ils considèrent que les griefs fondés sur la Convention ont été traités de manière lacunaire, voire éludés, en particulier par le Tribunal des assurances sociales et le Tribunal fédéral.

Ils soulignent que les tribunaux ont appliqué de manière rigide les exigences scientifiques sans évaluer concrètement les effets positifs du traitement dans la situation particulière de la requérante, notamment quant à son autonomie et sa capacité de communication. Ils estiment que l’absence de prise en compte du bénéfice individuel, documenté par une expertise médicale du 13 octobre 2020, et l’absence de réponse aux griefs relatifs aux droits garantis par l’article 8 (développement personnel, relations sociales, autonomie) constituent un manquement grave.

Ils relèvent également que l’argument du Gouvernement fondé sur le risque d’un raisonnement post hoc ergo propter hoc ne peut être retenu dans le contexte d’une maladie comme la SMA de type 2, qui ne présente aucune possibilité de guérison spontanée.

En conclusion, les juges estiment que les juridictions internes ont méconnu les obligations positives découlant de l’article 8 CEDH, notamment en ce qui concerne la situation concrète d’une personne vulnérable, et qu’il y a dès lors eu violation de cette disposition.

 

Jugement de la CrEDH – Affaire B.R. c. Suisse (Requête no 2933/23) du 08.07.2025 consultable ici

 

8C_82/2020 (f) du 12.03.2021 – Décompte d’indemnités journalières LAA – Décision non formelle – Effets du décompte entré en force de chose décidée / Demande de reconsidération rejetée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_82/2020 (f) du 12.03.2021

 

Consultable ici

 

Décompte d’indemnités journalières LAA – Décision non formelle – Effets du décompte entré en force de chose décidée / 51 LPGA – 124 OLAA

Reconsidération d’une décision non formelle entrée en force

 

Résumé
L’assuré, administrateur unique et seul employé de sa société, a contesté après son accident de 2009 le montant de l’indemnité journalière fixé à 87 fr. 70 par l’assurance-accidents, invoquant une convention –
en application de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA – postérieure prévoyant un gain assuré de 96’000 fr. Le Tribunal fédéral a confirmé que cette communication et le décompte d’indemnités journalières initial, valablement rendus selon la procédure simplifiée de l’art. 51 al. 1 LPGA, étaient entrés en force de chose décidée, faute de contestation dans le délai de 90 jours. Il a jugé que la demande ultérieure ne constituait ni une demande claire de reconsidération ni un motif de révision au sens de l’art. 53 LPGA. Le recours a donc été rejeté.

 

Faits
Fin 2008, A.__ (l’assuré), né en 1950 et ingénieur de profession, a repris l’entreprise B.__ SA, dont il a modifié la raison sociale en C.__ SA, devenant son administrateur unique et seul employé. Le 13.06.2009, il a subi un accident de la circulation ayant nécessité un traitement médical et entraîné une incapacité de travail. L’accident a été annoncé à l’assurance-accidents, qui a pris le cas en charge. La déclaration d’accident mentionnait un salaire annuel de 40’000 fr., avec la précision « salaire à déterminer depuis le 01.01.2009 » et la mention « Membre de la famille, associé(e) » sous la rubrique « Cas spéciaux ». Lors d’un entretien le 27.08.2009, il a remis à un inspecteur une attestation destinée à la caisse AVS indiquant une masse salariale annuelle prévue de 40’000 fr. pour 2009. Par courrier du 19.10.2009 (intitulée « Décision relative à l’accident non professionnel du 13.6.09 »), l’assurance-accidents lui a octroyé une indemnité journalière de 87 fr. 70 dès le 16.06.2009.

En mai 2011, l’assurance-accidents a recalculé les primes d’assurance pour C.__ SA. Par convention du 10.05.2011, le gain assuré de l’assuré a été fixé à 96’000 fr. dès le 01.01.2011, en application de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA.

Par lettre du 07.06.2011, l’assuré a confirmé un accord sur une incapacité de travail de 70% dès le 01.12.2009 et a sollicité un décompte récapitulatif des indemnités journalières, demandant aussi une révision du montant de ces indemnités à hauteur de 210 fr. 40 sur la base d’un salaire de 96’000 fr. Le décompte récapitulatif a été transmis le 09.06.2011. S’agissant du deuxième point soulevé, l’assurance-accidents a demandé le 28.02.2012 des documents complémentaires pour évaluer la plausibilité du revenu invoqué. Par lettre du 12.03.2012, l’assuré a précisé qu’il invoquait l’application de la dérogation prévue par l’art. 22 al. 2 let. c OLAA. Il a finalement transmis les documents requis et, dans une lettre du 22.08.2014, a réitéré sa demande de correction à la hausse des indemnités journalières.

Par décision du 19.11.2014, l’assurance-accidents a mis fin aux prestations au 13.07.2014, estimant par ailleurs que la vraisemblance d’une augmentation de revenus n’était pas établie, notamment à la lumière de l’extrait du compte AVS individuel, et que la convention sur une nouvelle base de perception ne changeait rien pour les cas passés. L’assuré a formé opposition. Dans une lettre du 30.01.2015, l’assurance-accidents a justifié son refus en invoquant l’art. 23 al. 7 OLAA, que l’assuré a considéré comme inapplicable, estimant que le litige portait sur l’art. 22 al. 2 let. c OLAA. Le 02.06.2017, l’assurance-accidents a confirmé sa décision en circonscrivant le litige à l’application avec effet ex tunc de cette dernière disposition et a rejeté l’opposition dans la mesure de sa recevabilité.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 85/17 – 159/2019 – consultable ici)

Par jugement du 06.12.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
En vertu de l’art. 51 al. 1 LPGA, les prestations, créances et injonctions qui ne sont pas visées à l’art. 49 al. 1 de cette loi, peuvent être traitées selon une procédure simplifiée. Tel est le cas des indemnités journalières (art. 124 OLAA a contrario; ATF 138 V 140 consid. 5.3.3 p. 144). Une communication effectuée conformément au droit sous la forme simplifiée de l’art. 51 al. 1 LPGA peut produire les mêmes effets qu’une décision entrée en force si l’assuré n’a pas, dans un délai d’examen et de réflexion convenable, manifesté son désaccord avec la solution adoptée par l’assureur social et exprimé sa volonté que celui-ci statue sur ses droits dans un acte administratif susceptible de recours (cf. ATF 134 V 145 consid. 5.2 p. 150 s.; 129 V 110 consid. 1.2.2 p. 111). En matière d’indemnités journalières, la jurisprudence du Tribunal fédéral a fixé le délai d’examen et de réflexion convenable à 3 mois ou 90 jours à compter de la communication d’un décompte d’indemnités journalières (SVR 2007 AlV n° 24 p. 75, consid. 3.2 [arrêt C 119/06 du 24 avril 2007]; arrêt 8C_14/2011 du 13 avril 2011, consid. 5).

Consid. 3.2
Les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient pas être produits auparavant (révision procédurale; art. 53 al. 1 LPGA). Par ailleurs, l’assureur peut revenir sur les décisions ou les décisions sur opposition formellement passées en force lorsqu’elles sont manifestement erronées et que leur rectification revêt une importance notable (reconsidération; art. 53 al. 2 LPGA). Cela vaut aussi pour les prestations qui ont été accordées sans avoir fait l’objet d’une décision formelle, mais d’une décision implicite prise dans le cadre d’une procédure simplifiée au sens de l’art. 51 al. 1 LPGA (cf. arrêt 8C_434/2011 du 8 décembre 2011 consid. 3 et les références).

Consid. 4.1 [résumé]
La cour cantonale a confirmé que la communication du 19.10.2009, fixant l’indemnité journalière à 87 fr. 70, avait été valablement rendue selon la procédure simplifiée de l’art. 51 al. 1 LPGA et était entrée en force, l’assuré ne l’ayant pas contestée dans le délai de réflexion de trois mois. Elle a rejeté l’argument selon lequel le décompte récapitulatif du 09.06.2011, établi à la demande de l’assuré et intégrant une modification du taux d’incapacité de travail, aurait remplacé les précédentes communications. La communication initiale ne pouvait donc être remise en cause que par une révision ou une reconsidération au sens de l’art. 53 LPGA. Constatant que l’assuré avait requis, par courrier du 07.06.2011, une adaptation du montant des prestations fondée sur la convention du 10.05.2011, les juges cantonaux ont examiné cette requête sous l’angle de l’art. 53 al. 1 LPGA et ont nié l’existence de motifs de révision.

Consid. 5.1
Selon la jurisprudence, l’administration n’est pas tenue de reconsidérer les décisions qui remplissent les conditions fixées; elle en a simplement la faculté et ni l’assuré ni le juge ne peuvent l’y contraindre (ATF 133 V 50 consid. 4.1 p. 52; 119 V 475 consid. 1b/cc p. 479; 117 V 8 consid. 2a p. 12 s.; arrêt 8C_866/2009 du 27 avril 2010 consid. 2.2). Cependant, lorsque l’administration entre en matière sur une demande de reconsidération et examine si les conditions requises sont remplies, avant de statuer au fond par une nouvelle décision de refus, celle-ci est susceptible d’être attaquée en justice; le contrôle juridictionnel dans la procédure de recours subséquente se limite alors au point de savoir si les conditions d’une reconsidération – à savoir inexactitude manifeste de la décision initiale et importance notable de la rectification – sont réunies (ATF 119 V 475 consid. 1b/cc p. 479; 117 V 8 consid. 2a p. 13; 116 V 62 consid. 3a p. 63; arrêt 8C_789/2012 du 16 septembre 2013 consid. 4.4.1).

Consid. 5.2
En l’occurrence, à l’inverse de ce que prétend l’assuré, ses références à la règle dérogatoire de l’art. 22 al. 2 let. c OLAA et à la convention du 10.05.2011 dans son courrier du 07.06.2011 ne permettent nullement de se faire une idée claire du cadre juridique dans lequel s’inscrivait sa requête visant à « revoir » le montant des indemnités journalières ni du moment à partir duquel il convenait de « porter [ce montant] à CHF 210.40 ».

En tant que l’assuré, qui était déjà à l’époque représenté par un mandataire professionnel, s’est prévalu de la convention portant le gain assuré à 96’000 fr. à partir du 01.01.2011, l’assurance-accidents a interprété sa démarche comme une demande d’adaptation du montant des prestations pour l’avenir et non pas comme une demande de reconsidération de sa décision informelle du 19.10.2009. Les mots qu’elle a employés dans sa réponse du 28.02.2012 (« Votre client demande, dès le 1.1.2011, une adaptation du salaire assuré à Fr. 96’000.-« ), ainsi que les questions auxquelles elle l’a invité à répondre – dont celle de savoir si l’assuré avait augmenté ses activités et comment il pouvait prétendre un salaire annuel de 96’000 fr. en dépit de son incapacité de travail résultant de l’accident -, ne pouvaient pas être compris autrement par l’assuré. Or ce dernier s’est contenté d’exprimer son étonnement et de réitérer sa demande dans les mêmes termes que précédemment. Par décision du 19.11.2014, l’assurance-accidents, après examen des documents fournis, a refusé de donner suite à la requête de l’assuré, considérant qu’il n’avait pas rendu plausible une augmentation de son salaire déterminant à partir du 01.01.2011. C’est en vain que l’assuré tente de donner une autre portée à cette décision. Sur opposition de celui-ci, l’assurance-accidents a expressément refusé d’entrer en matière sur une reconsidération de sa communication informelle du 19.10.2009, et la cour cantonale ne pouvait pas l’y contraindre (cf. consid. 5.1 supra).

Consid. 5.3
L’assuré ne saurait par ailleurs être suivi lorsqu’il prétend que la force de chose décidée de cette communication serait limitée à la période du 16.06.2009 au 13.07.2009. Comme on l’a dit plus haut (consid. 3.1 supra), à l’échéance du délai de réflexion de 90 jours, la communication d’un décompte d’indemnités journalières non contesté produit les mêmes effets qu’une décision entrée en force, étant précisé que l’entrée en force s’étend également au montant du gain assuré figurant sur le décompte de prestations (arrêt C 7/02 du 14 juillet 2003 consid. 3). Dans la mesure où l’assuré entend, par sa requête du 07.06.2011, remettre en cause la force de chose décidée du décompte initial quant au gain assuré en contestant les décomptes ultérieurs à partir du 01.03.2011, il doit pouvoir se prévaloir d’un titre de révocation. Or l’assurance-accidents lui a signifié son refus d’entrer en matière sur une reconsidération de la communication du 19.10.2009 pour toute la période du droit aux prestations fondées sur l’accident du 13.06.2009.

Consid. 5.4
Il s’ensuit que le jugement n’est pas critiquable et que le recours se révèle mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_82/2020 consultable ici