Archives de catégorie : Jurisprudence

8C_261/2019 (d) du 08.07.2019 – Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate – 6 LPGA / Examen de l’invalidité – 8 al. 1 LPGA – 18 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_261/2019 (d) du 08.07.2019

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

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Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate / 6 LPGA

Examen de l’invalidité / 8 al. 1 LPGA – 18 LAA

 

Assurée, née en 1963, employée de commerce dans une fondation, a été victime d’un accident de la circulation. La force de la collision lui a fait cogner la tête contre la vitre latérale de sa voiture. Après le remorquage de la voiture, l’assuré a pris le train pour se rendre au travail. Une première consultation médicale a eu lieu le jour suivant. Son médecin traitant, spécialiste en médecine générale, a diagnostiqué un TCC léger, une distorsion de la colonne cervicale et diverses contusions ; il a attesté une incapacité de travail à 50% à partir du 11.02.2015.

Le 14.11.2017, l’assurance-accidents a mis un terme à l’allocation des prestations rétroactivement au 01.09.2016, en se basant notamment sur l’évaluation du dossier par son médecin-conseil, spécialiste en neurologie. L’assurance-accidents a renoncé au remboursement des prestations octroyées au-delà du 22.08.2017. L’opposition de l’assurée a été rejetée.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a estimé qu’au 01.09.2016, date de la fin des prestations, aucune amélioration significative de l’état de santé ne devait être attendue par la poursuite du traitement médical, de sorte que l’assurance-accidents a eu raison de clore l’affaire. En ce qui concerne les troubles à la colonne cervicale, elle a nié, sur la base de la jurisprudence relative au coup du lapin (ATF 134 V 109), un lien de causalité adéquate entre l’accident et une (éventuelle) incapacité de travail pour les troubles évoqués au-delà du 01.09.2016.

En l’absence de lien de causalité adéquate, le tribunal cantonal aurait pu laisser ouverte la question d’un lien de causalité naturelle (ATF 135 V 465 consid. 5.1 p. 472). Néanmoins, les juges cantonaux l’ont examinée et ont constaté que les troubles n’étaient plus « accidentels », mais de nature dégénérative, à compter du 01.09.2016.

Par jugement du 14.03.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

En principe, l’octroi de prestations au titre de l’assurance accidents obligatoire présuppose un accident professionnel, un accident non professionnel ou une maladie professionnelle (art. 6 al. 1 LAA). Toutefois, l’assureur accidents n’est responsable des atteintes à la santé que dans la mesure où celles-ci présentent un lien de causalité non seulement naturelle mais aussi adéquat avec l’événement assuré (ATF 142 V 435 consid. 1 p. 438 ; 129 V 177 consid. 3 p. 181). L’adéquation – en tant que limitation légale de la responsabilité de l’assureur-accidents résultant du lien de causalité naturelle – est pratiquement sans importance dans le domaine des lésions traumatiques objectivables d’un point de vue organique, car ici la causalité adéquate coïncide largement avec la causalité naturelle (ATF 134 V 109 consid. 2 p. 111 s. ; 127 V 102 consid. 5b/bb p. 103).

Sont considérés comme objectivables les résultats de l’investigation (médicale) susceptibles d’être confirmés en cas de répétition de l’examen, lorsqu’ils sont indépendants de la personne de l’examinateur ainsi que des indications données par le patient. Ainsi, on ne peut parler de lésions traumatiques objectivables d’un point de vue organique que lorsque les résultats obtenus sont confirmés par des investigations réalisées au moyen d’appareils diagnostiques ou d’imagerie et que les méthodes utilisées sont reconnues scientifiquement (ATF 138 V 248 consid. 5.1 p. 251 ; arrêt 8C_387/2018 du 16 novembre 2018 consid. 3.3). Si les troubles en cause sont en lien de causalité naturelle avec l’accident, mais non objectivement prouvés, l’évaluation de l’adéquation doit se fonder sur le cours ordinaire des choses et, le cas échéant, d’autres critères liés à l’accident doivent être inclus (ATF 134 V 109 consid. 2.1 p. 111 s.).

Si la personne assurée a subi un accident qui justifie l’application de la juridiction du coup du lapin, les critères spécifiés par l’ATF 134 V 109 consid. 10 p. 126 ss sont déterminants à cet égard. Si cette jurisprudence n’est pas applicable, les critères d’adéquation développés pour les troubles psychiques consécutifs à un accident (ATF 115 V 133 consid. 6c/aa p. 140) doivent être appliqués (ATF 134 V 109 consid. 2.1 p. 111 s.). Si le lien de causalité avec l’accident est retenu, les critères développés dans l’ATF 130 V 352 puis 141 V 281 doivent être appliqués par analogie pour évaluer l’effet invalidant d’une lésion spécifique de la colonne cervicale sans déficit fonctionnel organique objectivable (voir ATF 141 V 574 ; selon l’ancienne jurisprudence : ATF 136 V 279 consid. 3.2.3 p. 283 en lien avec 141 V 281 consid. 4.2 p. 298).

Tous les troubles à la santé psychiques doivent être soumis à une procédure structurée conformément à l’ATF 141 V 281 (ATF 143 V 418) en ce qui concerne leurs effets sur les capacités. Pour des raisons d’égalité juridique, cela s’applique également – et indépendamment de leur caractère éventuellement organique – à l’évaluation de l’effet invalidant d’une lésion spécifique de la colonne cervicale sans déficit fonctionnel organique objectivable (voir ATF 141 V 574 ; voir déjà 136 V 279 consid. 3.2.3 p. 283, toujours dans le cadre de la pratique alors en vigueur de la surmontabilité selon ATF 130 V 352).

Contrairement à l’assurance-invalidité, régie par principe de la finalité, qui est axée sur l’évaluation de l’impact des atteintes à la santé, l’assurance-accidents présuppose l’existence d’un lien de causalité naturelle (dans le cas d’atteinte à la santé organique non objectivable, cf. ATF 138 V 248 consid. 4 p. 251) et adéquate entre ces derniers et l’accident.

Le lien de causalité (art. 6 al. 1 LAA) et la limitation de gain ou l’invalidité (art. 8 al. 1 LPGA en lien avec l’art. 18 LAA) représentent des conditions « de qualification » [Anspruchsvoraussetzungen] différentes et impliquent des questions complètement différentes avec des besoins de clarification ou d’examen différents. Ainsi, le Tribunal fédéral a récemment jugé que la procédure d’examen selon l’ATF 141 V 281 n’est pas conçue pour apporter la preuve d’un lien de causalité naturelle (arrêt 8C_181/2019 du 2 mai 2019 consid. 5.2). Par conséquent, l’examen de l’adéquation purement normatif, fondé sur des critères, poursuit un objectif différent – à savoir celui de limiter la responsabilité – de l’évaluation des répercussions fonctionnelles fondée sur une évaluation normative et structurée. Cela ne change rien au fait que des éléments de fait partiellement identiques sont pris en compte et que certains chevauchements peuvent apparaître avec des critères et indicateurs individuels (voir Thomas Gächter, Funktion und Kriterien der Adäquanz im Sozialversicherungsrecht, Personen-Schaden-Forum 2016, p. 36 ss). Donc, si le fait de nier le lien de causalité naturelle et adéquate signifie que cette condition préalable essentielle aux prestations fait déjà défaut, il n’est pas nécessaire de procéder à l’évaluation des répercussions fonctionnelles (voir ATF 141 V 574 consid. 5.2 p. 582 ; Kaspar Gehring, in Frey/Mosimann/Bollinger [Hrsg.]: AHVG-IVG, 2018, N. 58 ad Art. 4 ATSG).

Dès lors que l’instance cantonale a nié à la fois le lien de causalité naturelle et le lien de causalité adéquate, on ne peut objecter qu’elle n’a pas examiné plus avant l’existence d’une invalidité.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_261/2019 consultable ici

Proposition de citation : 8C_261/2019 (d) du 08.07.2019 – Troubles psychiques – Causalité naturelle et adéquate, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2020/05/8c_261-2019)

 

4A_65/2019 (f) du 18.02.2020 – Responsabilité d’une permanence – 394 CO / Atteinte du nerf sciatique lors d’une opération (prothèse totale de hanche), nécessitée par la nécrose aseptique de la tête fémorale imputable au mauvais diagnostic posé initialement / Lien de causalité naturelle et adéquate entre le diagnostic erroné et le dommage admis

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_65/2019 (f) du 18.02.2020

 

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Responsabilité d’une permanence / 394 CO

Fracture du col fémoral (type Garden I) non diagnostiquée

Atteinte du nerf sciatique lors d’une opération (prothèse totale de hanche), nécessitée par la nécrose aseptique de la tête fémorale imputable au mauvais diagnostic posé initialement

Lien de causalité naturelle et adéquate entre le diagnostic erroné et le dommage admis

 

A la suite d’une chute survenue le 09.10.2003 aux environs de 21 30, B.___ s’est rendu à la permanence A.___ SA où il a été examiné par le Dr M.___. Celui-ci a diagnostiqué une « contusion à la hanche gauche », sans effectuer de radiographie. Le patient en est sorti aux alentours de 00h30, sans béquilles et après avoir reçu une piqûre antalgique ainsi que des médicaments anti-inflammatoires. Aucun arrêt de travail n’ayant été prescrit, il a repris son activité professionnelle de cuisinier le même jour.

Le 10.10.2003 en fin de journée, devant la persistance des douleurs, il s’est rendu aux urgences des Etablissements C.___ qui ont diagnostiqué, sur radiographies, une « fracture de type Garden I du col fémoral gauche ». Le 11.10.2003 à 00h35, les Etablissements C.___ ont procédé à une première opération lors de laquelle le col du fémur gauche a été stabilisé par triple vissage. Le même jour dans l’après-midi, ils ont effectué une deuxième opération, après avoir constaté que les vis utilisées étaient trop longues. A l’issue d’un contrôle effectué trois mois après, le patient a été autorisé à reprendre son travail.

Au mois d’août 2004, en raison d’une recrudescence des douleurs, le patient a été examiné par les Etablissements C.___, lesquels ont diagnostiqué une « nécrose aseptique de la tête fémorale gauche ». Le 04.01.2005, il a subi une troisième opération visant à mettre en place une prothèse totale de la hanche gauche. Le 10.01.2005, un examen neurologique a mis en évidence une neurapraxie du nerf sciatique poplité externe gauche.

Confronté à des troubles moteurs du pied gauche et à des douleurs neurogènes, le patient a formé une demande de prestations d’invalidité. Dans le cadre de celle-ci, son état a été jugé stabilisé trois ans après la lésion, une amélioration n’étant plus probable ; l’exercice de l’activité de cuisinier lui était devenu impossible, mais il subsistait une capacité résiduelle de 50% en qualité de réceptionniste. Il a été mis au bénéfice d’une demi-rente d’invalidité dès le 01.04.2008.

 

Procédures cantonales

Le 31.10.2012, B.___ a ouvert action devant le Tribunal de première instance du canton de Genève contre la permanence A.___ SA et les Etablissements C.___.

De l’expertise judiciaire, il ressort que la prise en charge du patient par la permanence n’a pas été faite dans les règles de l’art, le diagnostic posé étant faux, voire ridicule. Quant à savoir si le risque de nécrose était accru en fonction du délai s’écoulant entre la fracture et l’opération, les études cliniques rétrospectives n’étaient pas probantes. L’attitude générale des orthopédistes en Suisse était de traiter une telle fracture sur une base urgente.Un diagnostic correct de la fracture de type « Garden I » du col fémoral aurait permis de diminuer ou de pallier le risque de nécrose aseptique de la tête fémorale gauche.

Quant à l’ostéosynthèse par triple vissage et la mise en place d’une prothèse totale de hanche, elles avaient été effectuées dans les règles de l’art. L’atteinte au nerf sciatique faisait partie des risques rares inhérents à la pose d’une prothèse totale de hanche, qui avait en l’occurrence été rendue nécessaire par la nécrose aseptique de la tête fémorale gauche. Il y avait dès lors un lien de causalité entre cette atteinte et l’erreur de diagnostic de la permanence.

A l’audience des débats principaux, l’expert judiciaire a précisé que la fracture était peu déplacée, de sorte qu’il n’y avait probablement pas de lésion vasculaire. L’accident avait provoqué des saignements qui avaient causé une pression dans l’articulation, ce qui avait interrompu la circulation sanguine. Si l’on intervenait dans un intervalle de 6 à 8 heures pour diminuer cette pression, on avait une meilleure chance de sauver la tête fémorale. Il était clair que si l’intervention s’était déroulée tout de suite après la lésion, les risques d’une nécrose auraient été minimisés. Le fait que les Etablissements C.___ aient utilisé des vis trop longues n’avait strictement aucune importance et n’avait rien à voir avec la nécrose.

Par jugement du 10.10.2017, le Tribunal de première instance a condamné la permanence à payer au patient un total de 39’662 fr. 60, portant intérêts.

Le patient a appelé de ce jugement. La permanence en a fait de même. La Cour de justice a jugé que la permanence avait violé son obligation de diligence en s’abstenant de procéder à un examen clinique correct et en posant un faux diagnostic : elle aurait dû constater une fracture de type « Garden I » du col fémoral gauche, alors qu’elle avait décelé uniquement une « contusion à la hanche gauche ». Pour tout traitement, elle avait prescrit une piqûre antalgique et des médicaments anti-inflammatoires, alors qu’elle aurait dû immédiatement diriger le patient vers un chirurgien, la règle étant d’opérer par vissage en urgence, si possible dans les 6 heures consécutives au traumatisme. Elle avait ainsi retardé la prise en charge chirurgicale du patient. En raison de ce retard, la tête fémorale gauche s’était nécrosée, ce qui avait ultérieurement nécessité une nouvelle intervention chirurgicale destinée à la pose d’une prothèse de la hanche. L’atteinte au nerf sciatique s’était produite durant cette opération. Celle-ci avait été effectuée dans les règles de l’art, mais ce risque était inhérent. Il y avait un lien de causalité tant naturelle qu’adéquate entre ce délai et l’atteinte en question. La permanence était dès lors responsable du dommage subi par le patient ensuite de son incapacité de travail et de l’atteinte portée à son avenir économique.

Par arrêt du 29.11.2018, la Cour de justice a réformé cette décision en ce sens qu’elle a condamné la permanence à payer au patient un total de 325’721 fr., intérêts en sus.

 

TF

Le patient a chargé le Dr. M.___, œuvrant au sein de la permanence (recourante) en qualité de médecin, d’examiner son état et de prendre les mesures thérapeutiques adéquates. Il s’agit d’un contrat de mandat au sens de l’art. 394 al. 1 CO (ATF 132 III 359 consid. 3.1 p. 362) et la responsabilité de la permanence s’analyse sous l’angle de l’art. 398 al. 1 CO, lequel renvoie aux règles régissant la responsabilité du travailleur dans les rapports de travail (art. 321e CO).

 

Lien de causalité naturelle entre le diagnostic erroné et le dommage

En matière de causalité hypothétique, la jurisprudence se satisfait du degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 132 III 715 consid. 3.2 p. 720; 124 III 155 consid. 3d p. 165). La vraisemblance prépondérante suppose que, d’un point de vue objectif, des motifs importants plaident pour l’exactitude d’une allégation, sans que d’autres possibilités ne revêtent une importance significative ou n’entrent raisonnablement en considération (ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 p. 89; 132 III 715 consid. 3.1 p. 720). Or, on peut inférer des explications de l’expert judiciaire qu’il n’existait certes pas d’absolue certitude, mais bel et bien une vraisemblance prépondérante selon laquelle la tête fémorale ne se serait pas nécrosée si l’intervention chirurgicale avait eu lieu sans tarder. La permanence ne convainc pas en proposant une autre lecture. L’appréciation des preuves à laquelle s’est livrée la cour cantonale n’a rien d’arbitraire.

Le pouvoir d’examen du Tribunal fédéral n’est pas illimité en cette matière. Certes, le Tribunal fédéral a coutume de préciser qu’il est lié, au sens de l’art. 105 al. 1 LTF, par les constatations concernant la causalité hypothétique lorsqu’elles reposent sur des faits ressortant de l’appréciation des preuves ; en revanche, si la causalité hypothétique est déduite exclusivement de l’expérience de la vie, il revoit librement cette question de droit (ATF 132 III 305 consid. 3.5 p. 311; 115 II 440 consid. 5b; arrêts 4A_403/2016 du 18 avril 2017 consid. 3.2, 4A_543/2016 du 1 er novembre 2016 consid. 3.2.3). En l’espèce, l’appréciation des juges cantonaux s’est fondée sur une expertise judiciaire définissant les standards de diligence que l’on pouvait attendre et les conséquences des manquements constatés. Il se justifie ainsi de restreindre à l’arbitraire le pouvoir d’examen du Tribunal fédéral. Cela étant, il est entendu que l’examen de la causalité adéquate, dans la mesure où il conserve un objet (cf. arrêt 4A_464/2008 du 22 décembre 2008 consid. 3.3.1), se fait avec un pouvoir d’examen libre (ATF 143 III 242 consid. 3.7  in fine; cf. consid. 5 infra).

La permanence affirme encore qu’un certain type de fracture favoriserait l’apparition d’une nécrose sans égard au délai de prise en charge. Certes, le Dr O.___, chef de clinique aux Etablissements C.___, a déclaré qu’il n’y avait dans la littérature aucune preuve formelle qu’un retard de 24 à 36 heures dans la prise en charge chirurgicale augmentait le risque de nécrose aseptique. Ce risque était à son avis lié au type de fracture et non pas à un délai de prise en charge chirurgicale. Toutefois, ce praticien a confirmé, comme deux autres médecins en sus de l’expert, qu’une prise en charge en urgence était indispensable. Au surplus, il n’y a rien à redire, sous l’angle de l’arbitraire, au fait que la cour cantonale ait accordé la préséance aux constatations de l’expert judiciaire, qui a – selon ses termes – poussé son analyse plus loin pour répondre à la question posée.

 

Lien de causalité adéquate entre l’erreur de diagnostic et le dommage

La permanence fait valoir que la lésion du nerf sciatique pendant l’opération de pose de prothèse de la hanche est exceptionnelle et imprévisible, ce qui ne permettrait pas d’admettre que cette opération était, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, propre à entraîner une telle lésion. Certes, il ressort du jugement cantonal que cette lésion survient dans un nombre très restreint de cas (1 à 2%). Cela étant, le caractère adéquat d’une cause ne suppose pas que l’effet considéré se produise généralement, ni même qu’il soit courant. Il suffit qu’il s’inscrive dans le champ raisonnable des possibilités objectivement prévisibles (ATF 143 III 242 consid. 3.7 p. 250; 139 V 176 consid. 8.4.2; 96 II 392 consid. 2). Tel est bien le cas ici. Il n’y a dès lors nulle violation du droit dont la permanence serait fondée à se plaindre.

La permanence soutient également que la troisième opération chirurgicale, lors de laquelle le nerf sciatique de le patient a été endommagé, a interrompu le lien de causalité adéquate. Certes, une telle interruption peut se concevoir en présence d’un événement extraordinaire ou exceptionnel auquel on ne pouvait s’attendre (force naturelle, fait du lésé ou d’un tiers) qui revêt une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus immédiate du dommage et relègue à l’arrière-plan les autres facteurs ayant contribué à le provoquer – y compris le fait imputable à la partie recherchée. Toutefois, il n’y a ici nulle faute des Etablissements C.___ susceptible d’intervenir à ce titre, ni intervention d’un élément naturel en tant que tel. De l’avis de l’expert, il s’agit d’un risque inhérent à l’opération, qui entre dans le champ du possible, mais se produit rarement ; or, l’opération comportant ce risque a été provoquée par la nécrose elle-même imputable au mauvais diagnostic de la permanence. Ce grief doit pareillement être rejeté.

 

 

Le TF rejette le recours de la permanence.

 

 

Arrêt 4A_65/2019 consultable ici

 

 

8C_766/2018 (f) du 23.03.2020 – Gain assuré pour la rente – 15 LAA / Droit à la rente naissant plus de cinq ans après l’accident – Rappel de la notion issue de l’art. 24 al. 2 OLAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_766/2018 (f) du 23.03.2020

 

Consultable ici

 

Gain assuré pour la rente / 15 LAA

Droit à la rente naissant plus de cinq ans après l’accident – Rappel de la notion issue de l’art. 24 al. 2 OLAA

Adaptation du gain assuré déterminant ne doit pas se faire concrètement (évolution auprès du dernier employeur) mais en fonction de l’évolution des salaires nominaux dans le domaine d’activité antérieur – Pas de revirement de la jurisprudence

 

Assuré, agent de piste, a subi le 04.10.1995 une distorsion au genou droit en jouant au football, laquelle a nécessité une arthroscopie avec méniscectomie partielle du ménisque interne droit. Le 15.06.2008, l’assuré a été admis en urgence au service de neurochirurgie de l’hôpital C.__ où il a subi une laminectomie C4 pour tétraparésie sub C4 sur canal étroit décompensé. L’incapacité de travail de l’assuré a été totale depuis lors.

Rechute de l’accident du 04.10.1995 : douleurs et lâchages au niveau du genou droit. IRM le 10.03.2009 faisant état d’une chondrocalcinose sévère et d’une gonarthrose. Le 08.09.2009, l’assuré a subi une arthroscopie avec toilette articulaire. En raison d’une évolution difficile avec inflammation récidivante, une prothèse totale a été implantée au niveau de son genou droit le 06.05.2010.

Expertise réalisée par des médecins du service de neurologie de l’hôpital D.__ (rapport du 07.08.2015). Les experts ont constaté qu’au moment de la rechute annoncée le 10.03.2009, la capacité de travail de l’assuré dans sa profession habituelle était entière, compte tenu de la seule problématique au genou droit. Entre le 10.03.2009 et le 06.05.2010, l’évolution sur le plan neurologique avait été favorable tandis que la pathologie arthrosique de genou était devenue prépondérante par rapport aux séquelles de myélopathie cervicale. La reprise des activités n’avait pas été possible jusqu’à l’arthroplastie du genou droit le 06.05.2010. Postérieurement à ladite intervention, les experts ont retenu qu’en faisant abstraction des autres pathologies, les douleurs persistantes au niveau du genou associées à un épanchement et à une pseudolaxité empêchaient l’exercice de l’activité d’agent de sûreté à 100%. En revanche, l’exercice d’une activité adaptée était possible à 100%, à condition d’éviter l’usage intensif des escaliers, le port de charges de plus de 20 kilos, la station debout prolongée et la marche rapide ou la course.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur une incapacité de gain de 40% dès le 01.06.2010 2010 et calculée sur la base d’un gain assuré de 68’686 fr. Elle lui a en outre accordé une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 25%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/886/2018 – consultable ici)

Le droit à la rente de l’assuré étant né le 01.06.2010, soit plus de cinq ans après l’accident du 04.10.1995, l’assurance-accidents a fait application de l’art. 24 al. 2 OLAA et retenu que le salaire déterminant était celui que l’assuré aurait réalisé du 01.06.2009 au 31.05.2010 s’il n’avait pas été victime de l’accident. Pour calculer ce revenu, elle a pris en compte les données salariales de l’assuré pour la période courant du 04.10.1994 au 03.10.1995 (année précédant l’accident initial). Selon l’extrait du livre de paie transmis par l’Office du personnel de l’Etat de Genève, la rémunération de l’assuré s’élevait alors à 58’203 fr. 90. Ce montant a ensuite été adapté à la période de calcul déterminante, soit à celle allant du 01.06.2009 au 31.05.2010. La juridiction cantonale a confirmé le montant du gain assuré de 68’686 fr.

Par jugement du 04.10.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 15 LAA, les indemnités journalières et les rentes sont calculées d’après le gain assuré (al. 1); est déterminant pour le calcul des rentes le salaire que l’assuré a gagné durant l’année qui a précédé l’accident (al. 2, deuxième phrase ; cf. également l’art. 22 al. 4, première phrase OLAA). Le Conseil fédéral édicte des prescriptions sur le gain assuré pris en considération dans des cas spéciaux (al. 3). Faisant usage de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a édicté l’art. 24 OLAA sous le titre marginal « Salaire déterminant pour les rentes dans des cas spéciaux ». Lorsque le droit à la rente naît plus de cinq ans après l’accident ou l’apparition de la maladie professionnelle, le salaire déterminant est celui que l’assuré aurait reçu, pendant l’année qui précède l’ouverture du droit à la rente, s’il n’avait pas été victime de l’accident ou de la maladie professionnelle, à condition toutefois que ce salaire soit plus élevé que celui qu’il touchait juste avant la survenance de l’accident ou l’apparition de la maladie professionnelle (art. 24 al. 2 OLAA).

Selon la jurisprudence, l’art. 24 al. 2 OLAA n’est pas seulement applicable lorsque la naissance du droit à la rente est différée en raison de la prolongation du processus de guérison après un accident, mais également lorsqu’on procède pour la première fois à la fixation de la rente après plusieurs accidents invalidants et que le droit à la rente naît plus de cinq ans après le premier accident (ATF 123 V 45 consid. 3c p. 50 s.). De même, le gain assuré doit aussi être déterminé conformément à l’art. 24 al. 2 OLAA lorsqu’on procède pour la première fois à la fixation de la rente après une rechute (ou des séquelles tardives) survenue (s) plus de cinq ans après l’accident (ATF 140 V 41 consid. 6.1.2 p. 44; arrêt U 427/99 du 10 décembre 2001 consid. 3a, non publié in ATF 127 V 456; SVR 2012 UV n° 3 p. 9 consid. 3.1.2, arrêt 8C_237/2011 du 19 août 2011; arrêt U 286/01 du 8 mars 2002 consid. 2b).

Il résulte de ce qui précède que le salaire déterminant pour le droit à la rente de l’assuré est celui qu’il aurait reçu pendant l’année qui précède l’ouverture du droit à la rente (le 01.06.2010), s’il n’avait pas été victime de l’accident et de la rechute, à condition que ce salaire soit plus élevé que celui qu’il touchait avant la survenance de l’accident (le 04.10.1995). Il convient dès lors d’examiner le montant du gain assuré contesté par l’assuré.

Selon la jurisprudence, l’art. 24 al. 2 OLAA a uniquement pour but de ne pas désavantager les assurés dont le droit à la rente naît plusieurs années après l’événement accidentel par rapport à ceux qui se voient octroyer la rente plus tôt, quand une forte augmentation des salaires s’est produite dans l’intervalle (ATF 127 V 165 consid. 3b p. 173; arrêt U 308/04 du 16 janvier 2006 consid. 3.1). En revanche, il n’y a pas lieu de placer l’assuré dans la situation qui serait la sienne si l’accident était survenu immédiatement avant l’ouverture du droit à la rente. La prise en compte, au moment de la fixation du droit à la rente, de l’évolution des salaires auprès du dernier employeur irait en substance au-delà du but réglementaire. Celui-ci consiste dans l’adaptation du gain assuré à l’évolution générale des salaires, c’est-à-dire à l’évolution normale du salaire dans le domaine d’activité habituelle. Aussi faut-il écarter tout autre changement dans les conditions salariales survenu depuis l’accident ou qui aurait pu se produire si l’accident n’avait pas eu lieu, comme une promotion professionnelle ou un changement d’employeur (ATF 127 V 165 consid. 3b p. 173, 118 V 298 consid. 3b p. 303) et considérer avec retenue toute évolution du salaire dans l’entreprise qui pourrait être influencée par l’assuré ou dépendre de lui. Or la prise en compte de l’évolution des salaires nominaux dans le domaine d’activité antérieur tient compte précisément de l’évolution intervenue, tout en écartant les facteurs étrangers au but visé à l’art. 24 al. 2 OLAA. C’est pourquoi elle est le mieux à même de mettre en œuvre cette disposition réglementaire, en conformité avec le principe de l’égalité de traitement (arrêt 8C_760/2014 du 15 octobre 2015, consid. 5.3.2 et les références).

En outre, contrairement à ce que prétend l’assuré, il convient de rappeler que les bases de calcul dans le temps du gain assuré sont différentes pour l’indemnité journalière et pour la rente (art. 15 al. 2 LAA). En effet, l’indemnité journalière est calculée sur la base du salaire que l’assuré a reçu en dernier lieu avant l’accident, y compris les éléments de salaire non encore perçus et auxquels il a droit (art. 22 al. 3 OLAA). En principe, on ne tient pas compte de ce que l’assuré aurait gagné après l’accident. L’indemnité journalière ne se fonde donc pas sur un salaire hypothétique mais sur le revenu dont l’assuré victime d’un accident est effectivement privé en raison de la réalisation du risque assuré (méthode de calcul concrète ; ATF 117 V 170 consid. 5b p. 173; SVR 2006 UV n° 6 p. 20, U 357/04 du 22 septembre 2005 consid. 1.5.4; JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in: Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], 3 e éd., 2016, n° 179 p. 956). Les rentes sont calculées quant à elles sur la base du salaire que l’assuré a reçu d’un ou de plusieurs employeurs durant l’année qui a précédé l’accident, y compris les éléments de salaire non encore perçus auxquels il a droit (art. 22 al. 4, première phrase, OLAA). Sont déterminants pour fixer le gain assuré le rapport de travail et les circonstances salariales qui existaient au moment de l’événement accidentel assuré, sans tenir compte des modifications du salaire qui seraient éventuellement intervenues sans l’accident (méthode de calcul abstraite; SVR 2006 UV n° 6 p. 20 consid. 1.5.4 déjà cité; JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, op. cit., n° 182 p. 956). Le Conseil fédéral a cependant apporté certains correctifs à la règle du dernier salaire obtenu avant l’accident, tant pour l’indemnité journalière que pour les rentes. C’est ainsi que selon l’art. 23 al. 8 OLAA, le salaire déterminant en cas de rechute n’est pas le dernier salaire obtenu avant l’accident mais le salaire que l’assuré recevait juste avant la rechute. Le gain assuré déterminant pour la rente peut ainsi être nettement inférieur à celui déterminant pour l’indemnité journalière dans le cas où, comme en l’espèce, il s’agit de statuer pour la première fois sur la rente en cas de rechute survenue plus de cinq ans après l’accident (DOROTHEA RIEDI HUNOLD, in: Hürzeler/Kieser [éd.], UVG, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, 2018, n° 33 ad art. 15 LAA).

Par ailleurs, l’assuré ne saurait pas non plus se fonder sur le principe d’équivalence (cf. à cet égard ATF 127 V 165 consid. 4a p. 173) pour voir son gain assuré déterminant ajusté au-dessus de l’évolution du salaire nominal. En effet, il a déjà été jugé que le principe d’équivalence n’est pas enfreint si la rente est calculée sur la base du gain assuré au moment de l’accident et adapté à l’évolution nominale des salaires jusqu’à l’ouverture du droit à la rente (arrêt U 286/01 du 8 mars 2002 consid. 3b/cc). De même, le principe d’équivalence n’est pas non plus remis en cause lorsque l’assuré a payé des primes sur un revenu plus élevé après l’accident dès lors qu’en cas de nouvel accident, c’est le salaire reçu durant l’année précédant ce dernier qui serait alors déterminant (art. 24 al. 4 OLAA; ATF 123 V 45 consid. 3a p. 49; arrêt U 286/01 précité consid. 3b/cc).

Vu ce qui précède, il n’y a pas lieu de revenir sur la jurisprudence selon laquelle l’adaptation du gain assuré déterminant pour la fixation de la rente née plus de cinq ans après l’accident (art. 24 al. 2 OLAA) ne doit pas se faire concrètement selon l’évolution des salaires auprès du dernier employeur mais en fonction de l’évolution des salaires nominaux dans le domaine d’activité antérieur.

Cela étant, le montant annuel du gain assuré fixé par l’assurance-accidents et confirmé par la cour cantonale ne prête pas le flanc à la critique, de sorte que le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_766/2018 consultable ici

 

 

8C_26/2019 (f) du 11.09.2019 – Lumbago à la suite d’un effort (soulèvement d’un sac de 15 kg) – Notion d’accident niée – 4 LPGA / Preuve de l’existence d’une cause extérieure prétendument à l’origine de l’atteinte à la santé – Premières déclarations font foi

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_26/2019 (f) du 11.09.2019

 

Consultable ici

 

Lumbago à la suite d’un effort (soulèvement d’un sac de 15 kg) – Notion d’accident niée / 4 LPGA

Preuve de l’existence d’une cause extérieure prétendument à l’origine de l’atteinte à la santé – Premières déclarations font foi

Préférence donnée aux déclarations rapportées par les médecins (anamnèse) et dans la déclaration d’accident qu’aux descriptions écrites ultérieures de l’assuré

 

Assuré, né en 1955, directeur, annonce par son employeur un accident survenu le 05.09.2016. L’assuré « s’est tourné et a ressenti une vive douleur dans le dos » alors qu’il soulevait un sac lourd avec ses deux mains. Lors de la consultation à la Permanence C.__ le 06.09.2016, le docteur D.__, médecin-assistant, a diagnostiqué un lumbago et a indiqué dans l’anamnèse : « la veille, en ramassant un sac de 15 kg par terre (en le levant et tournant), douleur aiguë en bas du dos à gauche ». Ce praticien a certifié une incapacité de travail entière jusqu’au 08.09.2016. Le 09.09.2016, l’assuré s’est à nouveau rendu à la Permanence C.__ et a été ausculté par la doctoresse E.__, médecin-assistante, qui a prolongé son incapacité de travail jusqu’au 12.09.2016.

L’assuré a décrit l’événement du 05.09.2016 comme suit : « alors que je transportais un sac de terreau d’une quinzaine de kilos de ma voiture à mon balcon, au moment de franchir la porte du balcon, un courant d’air a fait se rabattre la porte sur moi au moment où je franchissais le seuil. Cela m’a fait trébucher et échapper le sac de terreau et en voulant le rattraper je suis tombé et j’ai senti une vive douleur dans le bas du dos côté gauche ». Par la suite, le docteur F.__, spécialiste en médecine interne et médecin traitant, a fait état de douleurs lombaires après une chute. Le 08.11.2016, l’assuré a répondu à une première prise de position de l’assurance-accidents. Il a notamment réitéré ses explications sur le déroulement de l’événement du 05.09.2016.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé d’allouer ses prestations. Elle a considéré que les explications fournies par l’assuré n’étaient pas vraisemblables. Partant, elle s’est référée aux premières déclarations de l’assuré et a considéré que l’événement du 05.09.2016 ne pouvait pas être qualifié d’accident, la condition du caractère extraordinaire faisant manifestement défaut. Au surplus, l’assurance-accidents a précisé que le lumbago ne faisait pas partie de la liste des lésions assimilées à un accident.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 34/17 – 143/2018 – consultable ici)

Dans un premier temps, la cour cantonale a considéré comme invraisemblable la chute décrite par l’assuré. Celle-ci ne correspondait pas à ses premières déclarations déduites des rapports médicaux des docteurs D.__ et E.__ et de la déclaration d’accident établie par son employeur. Or il était peu vraisemblable que l’assuré eût oublié de mentionner un tel fait caractéristique au moins lors de la première des deux consultations médicales. Le docteur D.__ avait en outre relevé l’absence de traumatisme, ce qui n’était guère compatible avec une chute. Seul le docteur F.__ en avait fait mention, mais a posteriori, en se fondant sur les dires de l’assuré. La juridiction cantonale est arrivée à la conclusion que le reste de la description de l’événement faite par l’assuré ne pouvait pas non plus bénéficier de la présomption de vraisemblance qu’ont usuellement les premières déclarations de l’assuré, d’autant moins que l’assuré avait déclaré avoir donné des détails précis de ce qui lui était arrivé « après avoir saisi les subtilités visant à […] dédouaner [l’assureur] de toutes prises en charge » (courrier du 08.11.2016). Dans un deuxième temps, en se référant à la première version de l’assuré, à savoir une atteinte consécutive à une rotation en portant un sac, la cour cantonale a nié l’existence d’un facteur extérieur extraordinaire. D’après les juges cantonaux, le port d’un poids d’une quinzaine de kilos et la rotation avec un tel poids ne nécessitaient pas un effort extraordinaire pour une personne adulte normalement constituée. Il n’y avait pas non plus de mouvement non coordonné.

Par jugement du 12.11.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’assurance-accidents est en principe tenue d’allouer ses prestations en cas d’accident professionnel ou non professionnel (art. 6 al. 1 LAA). Est réputé accident toute atteinte dommageable, soudaine et involontaire, portée au corps humain par une cause extérieure extraordinaire qui compromet la santé physique, mentale ou psychique ou qui entraîne la mort (art. 4 LPGA). La notion d’accident se décompose ainsi en cinq éléments ou conditions, qui doivent être cumulativement réalisés : une atteinte dommageable, le caractère soudain de l’atteinte, le caractère involontaire de l’atteinte, le facteur extérieur de l’atteinte et, enfin, le caractère extraordinaire du facteur extérieur. Il suffit que l’un d’entre eux fasse défaut pour que l’événement ne puisse pas être qualifié d’accident (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 p. 221 ; 129 V 402 consid. 2.1 p. 404 et les références).

Suivant la définition même de l’accident, le caractère extraordinaire de l’atteinte ne concerne pas les effets du facteur extérieur, mais seulement ce facteur lui-même. Dès lors, il importe peu que le facteur extérieur ait entraîné des conséquences graves ou inattendues. Le facteur extérieur est considéré comme extraordinaire lorsqu’il excède le cadre des événements et des situations que l’on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d’habituels, autrement dit des incidents et péripéties de la vie courante (ATF 142 V 219 consid. 4.3.1 p. 221 et les références). Pour des lésions dues à l’effort (soulèvement, déplacement de charges notamment), il faut examiner de cas en cas si l’effort doit être considéré comme extraordinaire, en tenant compte de la constitution physique et des habitudes professionnelles ou autres de l’intéressé (arrêt 8C_292/2014 du 18 août 2014 consid. 5.1 et la référence).

L’existence d’un facteur extérieur est en principe admise en cas de « mouvement non coordonné », à savoir lorsque le déroulement habituel et normal d’un mouvement corporel est interrompu par un empêchement non programmé, lié à l’environnement extérieur, tel le fait de glisser, de trébucher, de se heurter à un objet ou d’éviter une chute; le facteur extérieur – modification entre le corps et l’environnement extérieur – constitue alors en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1 p. 118).

Au sujet de la preuve de l’existence d’une cause extérieure prétendument à l’origine de l’atteinte à la santé, on rappellera que les explications d’un assuré sur le déroulement d’un fait allégué sont au bénéfice d’une présomption de vraisemblance. Il peut néanmoins arriver que les déclarations successives de l’intéressé soient contradictoires entre elles. En pareilles circonstances, selon la jurisprudence, il convient de retenir la première explication, qui correspond généralement à celle que l’assuré a faite alors qu’il n’était pas encore conscient des conséquences juridiques qu’elle aurait, les nouvelles explications pouvant être – consciemment ou non – le produit de réflexions ultérieures (ATF 121 V 45 consid. 2a p. 47 et les références ; RAMA 2004 n° U 515 p. 420 consid. 1.2; VSI 2000 p. 201 consid. 2d).

 

En l’espèce, les médecins de la Permanence C.__ et l’employeur de l’assuré se sont inévitablement fondés sur les déclarations de ce dernier pour décrire l’événement en cause. Or, aussi concise que soit leur description, ils n’auraient pas omis de faire état d’une chute si l’assuré en avait fait mention. A cet égard, on peine à suivre l’assuré lorsqu’il soutient qu’un patient ne s’attacherait pas à renseigner son médecin sur l’événement à l’origine de ses douleurs alors qu’il a lui-même décrit ce qui avait provoqué les siennes, sans toutefois indiquer qu’il était tombé. La mention d’une chute n’est apparue pour la première fois que près d’un mois après l’événement, dans une version des faits différente de celle donnée immédiatement après la survenance de celui-ci. La cour cantonale pouvait dès lors considérer comme invraisemblable la chute alléguée dans l’écrit de l’assuré et remettre en cause la plausibilité du reste de la description de l’événement figurant dans ce même document. Elle n’a au demeurant pas omis de tenir compte du rapport médical du docteur F.__, mais a constaté que ce dernier avait fait état d’une chute a posteriori en se fondant sur les seules déclarations de l’assuré. Dans ces conditions, l’autorité cantonale était fondée à se référer aux premières déclarations de l’assuré pour déterminer si l’événement du 05.09.2016 était constitutif d’un accident au sens de l’art. 4 LPGA.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_26/2019 consultable ici

 

 

9C_618/2019 (f) du 16.03.2020 – Evaluation des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives – Trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline – 6 LPGA – 7 LPGA – 8 LPGA – 16 LPGA / Evaluation des troubles psychiques selon 141 V 281 et 145 V 215 / Obligation de diminuer le dommage – 7 al. 1 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_618/2019 (f) du 16.03.2020

 

NB : nous n’avons pas voulu trop résumer l’arrêt, qui aborde dans le détail la problématique. Cet arrêt (en français) reprend les notions développées dans les ATF 141 V 281 et 145 V 215 (en allemand).

 

Consultable ici

 

Incapacité de travail et de gain – Evaluation des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives – Trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline / 6 LPGA – 7 LPGA – 8 LPGA – 16 LPGA

Pertinence des diagnostics posés par le médecin-expert – 43 LPGA

Evaluation des troubles psychiques selon 141 V 281 et 145 V 215

Obligation de diminuer le dommage – Traitement psychothérapeutique et sevrage dans le cadre d’une hospitalisation de longue durée (six à douze mois) suivie d’un accompagnement ambulatoire post-cure raisonnablement exigibles / 7 al. 1 LAI

 

Assuré, né en 1978, responsable des risques (Risk Officer) dans un établissement bancaire. Arguant souffrir depuis le mois d’octobre 2011 des suites d’une dépression et d’un burn out, il a déposé une demande de prestations auprès de l’office AI le 02.06.2014. Les rapports de travail ont pris fin le 30.06.2014.

Entre autres mesures d’instruction, l’administration a recueilli l’avis des médecins traitants, dont celui de la psychiatre traitant. En septembre 2014, cette dernière a diagnostiqué un état dépressif sévère, un trouble mixte de la personnalité ainsi que des troubles mentaux et du comportement liés notamment à l’utilisation (en cours) de cocaïne. Elle a estimé que l’assuré ne pouvait plus assumer ses anciennes responsabilités mais que des mesures de réadaptation associées à un traitement médical approprié devraient lui permettre de reprendre une activité adaptée à 50 voire 100%. En mars 2015, elle a par la suite attesté une évolution thymique positive (l’épisode dépressif était léger) mais la persistance des symptômes du trouble de la personnalité.

L’office AI a accordé à l’intéressé des mesures d’ordre professionnel. Il a ainsi pris en charge les frais d’un stage (de chargé de partenariats et de « fundraising » pour une fondation) avec mesure d’accompagnement durant ce stage et d’un réentraînement au travail aussi avec accompagnement.

L’assuré ayant produit des certificats d’arrêt de travail pendant son dernier stage, l’administration a recueilli des informations complémentaires auprès du psychiatre traitant. En février 2017, celui-ci a annoncé une détérioration de l’état de santé de son patient en lien avec la consommation de toxiques. Outre un épisode dépressif léger à moyen et un trouble mixte de la personnalité, il a attesté l’existence de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation (en cours) de cocaïne, d’alcool et de cannabis. Il a conclu à une incapacité totale de travail dans toute activité depuis quatre mois environ. L’office AI a en outre mandaté un spécialiste en psychiatrie et psychothérapie pour une expertise. Dans son rapport du 04.10.2017, il a considéré que les troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de cocaïne, d’alcool et de cannabis, syndromes de dépendance, utilisation continue, découlaient d’un trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline, rendaient illusoire toute mesure de réadaptation ou de réinsertion dans le domaine bancaire mais permettaient d’envisager la reprise d’une activité adaptée à 100% dans un environnement peu stressant à condition que l’état clinique fût stabilisé par la mise en œuvre d’un traitement (hospitalier/ambulatoire) de six à douze mois. Il a également diagnostiqué une dysthymie et des traits de personnalité narcissique sans répercussion sur la capacité de travail.

Se référant à un avis du médecin de son Service médical régional (SMR), l’administration a refusé d’accorder d’autres mesures d’ordre professionnel à l’intéressé et nié son droit à une rente au motif qu’il ne présentait pas d’affections ressortissant à l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/689/2019 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont considéré que les diagnostics et conclusions du médecin-expert étaient insuffisamment précis et motivés. Citant la définition du trouble de la personnalité émotionnellement labile de type borderline selon la Classification statistique internationale des maladies et des problèmes de santé connexes (CIM-10, 10ème révision), ils ont inféré du rapport d’expertise que les éléments fondant ce diagnostic n’étaient en l’occurrence pas remplis de sorte que celui-ci ne pouvait être admis ni, par conséquent, le caractère secondaire des syndromes de dépendance. Ils ont en outre relevé que le médecin-expert ne s’était exprimé ni sur la gravité du trouble ni sur sa décompensation et semblait lier l’augmentation de la consommation de drogue à l’épisode dépressif de 2014. Ils ont également procédé à l’examen du trouble de la personnalité ainsi que des syndromes de dépendance à l’aune des indicateurs développés par la jurisprudence. Ils ont nié le caractère invalidant de ces atteintes à la santé au motif que l’assuré n’avait pas été empêché de mener une carrière professionnelle normale durant de nombreuses années, qu’il refusait de suivre un traitement approprié alors même que les médecins traitants admettaient l’exigibilité d’un sevrage, que les pathologies retenues avaient peu d’impact sur sa vie sociale et qu’il n’avait pas exploité toutes les possibilités de réadaptation offertes.

Par jugement du 06.08.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Il appartient aux médecins d’évaluer l’état de santé d’un assuré (c’est-à-dire, de procéder aux constatations nécessaires en effectuant des examens médicaux appropriés, de tenir compte des plaintes de l’intéressé et de poser les diagnostics). En particulier, poser un diagnostic relève de la tâche exclusive des médecins. Il leur appartient aussi de décrire l’incidence de ou des atteintes à la santé constatées sur la capacité de travail. Leur compétence ne va cependant pas jusqu’à trancher définitivement cette question mais consiste à motiver aussi substantiellement que possible leur point de vue, qui constitue un élément important de l’appréciation juridique visant à évaluer quels travaux sont encore exigibles de l’assuré. Il revient en effet aux organes chargés de l’application du droit (soit à l’administration ou au tribunal en cas de litige) de procéder à l’appréciation définitive de la capacité de travail de l’intéressé (ATF 140 V 193 consid. 3.2 p. 195 s.).

On ajoutera que l’évaluation de la capacité de travail par un médecin psychiatre est soumise à un contrôle (libre) des organes chargés de l’application du droit à la lumière de l’ATF 141 V 281 (ATF 145 V 361 consid. 4.3 p. 367), dont les principes ont ultérieurement été étendus à l’ensemble des troubles psychiques ou psychosomatiques (cf. ATF 143 V 409 et 418; ATF 145 V 215).

Comme pour les troubles somatoformes douloureux (ATF 141 V 281), les troubles dépressifs (ATF 143 V 409) et les autres troubles psychiques (ATF 143 V 418), le point de départ de l’évaluation des troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives (cf. ATF 145 V 215) est l’ensemble des constatations médicales qui ont été faites par l’expert psychiatre et lui ont permis de poser un diagnostic reposant sur les critères d’un système reconnu de classification (ATF 141 V 281 consid. 2.1 p. 285). L’expert doit motiver le diagnostic de telle manière que l’autorité chargée de l’application du droit soit en mesure de comprendre non seulement si les critères de la classification sont effectivement remplis (ATF 141 V 281 consid. 2.1.1 p. 285 s.) mais également si la pathologie diagnostiquée présente un degré de gravité susceptible d’occasionner des limitations dans les fonctions de la vie courante (ATF 141 V 281 consid. 2.1.2 p. 286 s.). A ce stade, ladite autorité doit encore s’assurer que l’atteinte à la santé résiste aux motifs d’exclusion (ATF 141 V 281 consid. 2.2 p. 287), tels que l’exagération des symptômes ou d’autres manifestations analogues (ATF 141 V 281 consid. 2.2.1 p. 287 s.), qui conduiraient d’emblée à nier le droit à la rente (ATF 141 V 281 consid. 2.2.2 p. 288).

 

Les diagnostics posés par le médecin-expert et les constatations médicales y relatives ont été motivés conformément aux exigences de la jurisprudence.

Tout d’abord, les troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de cocaïne, d’alcool et de dérivés du cannabis, syndromes de dépendance, utilisation continue, reposent sur la CIM-10 (F 14.25, F 12.25 et F 10.25 de la CIM-10). Ces troubles ne nécessitent pas d’explication ou d’étayage particulier, du moins à ce stade. L’expert a constaté l’ampleur de la consommation de l’assuré, en cours à l’époque de son examen, de plusieurs psychotropes à l’origine de syndromes de dépendance qui interféraient non seulement avec l’exercice d’une activité lucrative mais aussi avec celui du droit de visite sur les enfants.

C’est le lieu de relever que le diagnostic de troubles mentaux et du comportement liés à l’utilisation de substances psychoactives, assorti du codage supplémentaire « syndrome de dépendance » (quatrième chiffre « .2 » des diagnostics F10-F19 de la CIM-10) ne comprend pas en tant que tel un critère de gravité inhérent au diagnostic (comme c’est le cas, par exemple, du diagnostic de trouble somatoforme douloureux persistant [F45.40 de la CIM-10]; à ce sujet, ATF 141 V 281 consid. 2.1.1 p. 286). Il n’est pas caractérisé par des limitations concrètes (p. ex., pour les degrés de dépression [F32.- de la CIM-10], « réduction de l’énergie et diminution de l’activité ou diminution de l’aptitude à se concentrer ») dont on pourrait tirer directement un degré de gravité. Un « ensemble de phénomènes comportementaux, cognitifs et physiologiques survenant à la suite d’une consommation répétée d’une substance psychoactive, typiquement associés à un désir puissant de prendre de la drogue, à une difficulté à contrôler la consommation, à une poursuite de la consommation malgré des conséquences nocives, à un désinvestissement progressif des autres activités et obligations au profit de la consommation de cette drogue, à une tolérance accrue, et, parfois, à un syndrome de sevrage physique » (.2 Syndrome de dépendance [CIM-10]) ne comprend qu’indirectement des éléments susceptibles de fonder une limitation des capacités fonctionnelles, déterminante pour évaluer la capacité de travail: ainsi, la difficulté à contrôler la consommation ou le désinvestissement progressif des autres activités et obligations. Le degré de gravité du diagnostic en cause, en tant qu’élément déterminant sous l’angle juridique, n’apparaît dès lors qu’en lien avec les répercussions fonctionnelles concrètes qu’entraîne l’atteinte à la santé (cf. ATF 143 V 418 consid. 5.2.2 p. 425).

En ce qui concerne ensuite le diagnostic du trouble de la personnalité, on ne saurait suivre la juridiction cantonale lorsqu’elle en nie la pertinence. Contrairement à ce qu’elle a retenu, le diagnostic de trouble de la personnalité a suffisamment été motivé par l’expert psychiatre. Celui-ci ne s’est pas borné à qualifier cette affection de « grave » dans le chapitre relatif au traitement exigible mais en a évoqué les critères diagnostiques dans plusieurs pages de son rapport d’expertise. Il l’a fait en termes clairs et non en utilisant des « notions psychanalytiques […] difficilement accessibles aux profanes ». Il a ainsi extrait de l’anamnèse (familiale, personnelle, professionnelle et médicale), des plaintes exprimées par l’assuré, des renseignements obtenus auprès des médecins traitants ou du status clinique au moment de l’expertise des événements de vie précis qui mettaient en évidence de nombreux éléments ou traits de caractère justifiant le diagnostic de trouble de la personnalité, qu’il a qualifié de grave. Il convient dès lors de prendre également en compte ce trouble pour une évaluation dans son ensemble de la situation de l’assuré sous l’angle psychique.

 

Les indicateurs standards devant être pris en considération en général sont classés d’après leurs caractéristiques communes (sur les catégories et complexes d’indicateurs, cf. ATF 141 V 281 consid. 4.1.3 p. 297 s.). Les indicateurs appartenant à la catégorie « degré de gravité fonctionnel » forment le socle de base pour l’évaluation des troubles psychiques (ATF 141 V 281 consid. 4.3 p. 298).

Concernant le complexe « atteinte à la santé » (ATF 141 V 281 consid. 4.3 p. 298 ss), la juridiction cantonale s’est limitée à retenir que le trouble de la personnalité (allégué) et les syndromes de dépendance n’avaient pas entravé l’assuré dans sa vie professionnelle durant de nombreuses années, qu’il refusait de se soumettre à un traitement approprié et que la comorbidité que représentait le trouble de la personnalité apparaissait clairement au second plan. Ce raisonnement succinct ne suffit toutefois pas pour une évaluation conforme au droit.

Le fait d’avoir été en mesure d’exercer une activité lucrative pendant quatorze ans sans problème majeur est un élément important à prendre en considération dans l’évolution de la situation médicale de l’assuré. Il est toutefois arbitraire d’en déduire – comme l’a fait la juridiction cantonale – une absence de gravité des atteintes à la santé. Une telle déduction, fondée exclusivement sur la situation antérieure à la fin de l’année 2016, méconnaît totalement la problématique de la décompensation du trouble de la personnalité consécutive à des événements de vie marquants et la perte de contrôle de la consommation de psychotropes survenues à la fin de l’année 2016 et au début de l’année 2017, mises en évidence par la psychiatre traitant et confirmées par le médecin-expert. Ainsi, l’expert a repris la description d’une personne qui avait augmenté de manière importante la consommation de substances psychoactives en été 2016, à la suite d’une aggravation de l’état psychique liée à la séparation conjugale et de conflits qui en ont résulté.

Les nombreux éléments constatés par l’expert psychiatre lui ont en outre permis de mettre en évidence les interactions entre les affections diagnostiquées ainsi que les conséquences de ces interactions sur la capacité de l’assuré à exploiter ses ressources personnelles.

Le médecin-expert a ainsi retenu que la fragilité de la personnalité de l’assuré avait favorisé une consommation abusive d’alcool, de cannabis et de cocaïne ou que la dépendance aux substances psychoactives s’était installée de manière secondaire au trouble de la personnalité. Il a également déclaré que nombre des symptômes du trouble de la personnalité perturbait l’engagement de l’assuré dans les démarches thérapeutiques ou de réadaptation. L’humeur plus ou moins fortement dépressive en fonction des difficultés rencontrées (divorce, licenciement, etc.) et les traits de personnalité narcissique contribuaient aussi à l’entretien de la consommation d’alcool et de drogue. L’expert a par ailleurs fait état d’une inconsistance de l’investissement relationnel perturbant l’instauration de rapports professionnels stables et persistants, d’une limitation du seuil de tolérance à la frustration, ainsi qu’une vulnérabilité au stress, aux pressions temporelles et aux enjeux relationnels; le fonctionnement perturbé de l’assuré entraînait des difficultés d’organisation, d’autodiscipline et du sens du devoir. Cette analyse, prenant en considération les affections concomitantes aux syndromes de dépendance (y compris la dysthymie et les traits de personnalité narcissique), démontre dès lors l’existence au moment de l’expertise de plusieurs facteurs d’affaiblissement des ressources dont dispose l’assuré pour faire face à sa toxicomanie et de limitation de la capacité fonctionnelle. Le trouble de la personnalité « [n’]apparaît [donc pas] clairement au second plan », au contraire de ce qu’ont retenu les juges cantonaux sans plus ample motivation, mais doit être considéré comme une atteinte participant à la gravité des syndromes de dépendance.

 

Le déroulement et l’issue d’un traitement médical sont en règle générale aussi d’importants indicateurs concernant le degré de gravité du trouble psychique évalué. Il en va de même du déroulement et de l’issue d’une mesure de réadaptation professionnelle. Ainsi, l’échec définitif d’une thérapie médicalement indiquée et réalisée selon les règles de l’art de même que l’échec d’une mesure de réadaptation – malgré une coopération optimale de l’assuré – sont en principe considérés comme des indices sérieux d’une atteinte invalidante à la santé. A l’inverse, le défaut de coopération optimale conduit plutôt à nier le caractère invalidant du trouble en question. Le résultat de l’appréciation dépend toutefois de l’ensemble des circonstances individuelles du cas d’espèce (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.2 p. 299 s. et les références).

Au regard de la constatation de la juridiction cantonale sur le refus de l’assuré de se soumettre à une thérapie menée dans les règles de l’art, il convient de mettre en lumière une situation plus nuancée. Certes, le médecin-expert mentionne de nombreux éléments pouvant être interprétés comme un manque de collaboration de la part de l’assuré ou considérés comme autant d’indices atténuant le caractère de gravité des syndromes de dépendance. L’expert psychiatre évoque de surcroît l’existence d’options thérapeutiques sérieuses permettant d’envisager la reprise d’une activité lucrative.

Cependant, il apparaît également à la lecture du rapport d’expertise que les comorbidités psychiatriques ont joué un rôle non négligeable dans l’entrave du bon déroulement et du succès des traitements, influençant de manière significative la volonté de l’assuré.

Dans ces circonstances, le refus de l’assuré de se soumettre à des traitements appropriés ou l’échec des traitements entrepris ainsi que le défaut d’exploitation adéquate des possibilités de réadaptation offertes ne sauraient être considérés comme un indice du peu de gravité du diagnostic retenu comme l’a affirmé la juridiction cantonale. Au contraire, les conclusions de l’expert à cet égard – qui, pour la première fois, montre la complexité d’une situation qui n’est certes pas figée mais dont la résolution nécessite la mise en œuvre de moyens importants de la part de l’assuré – justifient de retenir des indicateurs en faveur du degré de gravité des atteintes psychiques, temporairement du moins.

A propos du complexe « personnalité » (ATF 141 V 281 consid. 4.3.2 p. 302), il a déjà été abordé précédemment en relation avec les diagnostics en cause ainsi que l’échec des traitements et de la réadaptation professionnelle. Il suffit de rappeler que d’après l’expert psychiatre, l’intensité avec laquelle se sont exprimés et s’exprimaient encore les symptômes du trouble de la personnalité associés aux symptômes des traits de personnalité narcissique avait clairement entretenu la consommation d’alcool et de drogue et amoindri tout aussi clairement la capacité de l’assuré à s’investir pleinement dans le sevrage de ses toxicomanies. Le médecin-expert n’a cependant pas considéré que la situation était définitivement figée mais qu’une longue période de traitement addictologique et psychothérapeutique combiné pourrait permettre la reprise d’une activité lucrative adaptée. Il apparaît dès lors que la personnalité de l’assuré au moment de l’examen influence de manière négative les capacités de l’assuré.

S’agissant du complexe « contexte social », dont il est aussi possible de faire des déductions quant aux ressources mobilisables de l’assuré (ATF 141 V 281 consid. 4.3.3 p. 303), le tribunal cantonal a constaté que les atteintes à la santé diagnostiquées n’avaient eu que peu d’incidence sur la vie sociale de l’assuré: celui-ci avait eu deux relations sentimentales depuis la séparation d’avec son épouse et avait indiqué à l’expert psychiatre se consacrer à des loisirs festifs et avoir un important cercle d’amis. Ces constatations sont toutefois manifestement incomplètes et doivent être nuancées. On ne voit d’abord pas en quoi le fait de se consacrer à des loisirs festifs (dans le contexte particulier d’une addiction à la cocaïne) mettrait en évidence un soutien dont l’assuré bénéficierait de manière positive. La circonstance que depuis 2017, il partage apparemment sa vie avec une nouvelle compagne perçue comme une alliée représente en revanche un appui certain. Le fait pour l’assuré de devoir faire contrôler son abstinence à la cocaïne s’il entend exercer le droit de visite sur ses enfants met néanmoins en évidence les répercussions négatives de son atteinte à la santé sur le plan privé, ce dont les premiers juges n’ont pas tenu compte. En définitive, on ne saurait déduire du contexte social que l’assuré dispose de ressources mobilisables de manière décisive.

Reste encore à examiner si les conséquences qui sont tirées de l’analyse des indicateurs de la catégorie « degré de gravité fonctionnel » résistent à l’examen sous l’angle de la catégorie « cohérence » (ATF 141 V 281 consid. 4.4 p. 303 s.). A ce titre, il convient notamment d’examiner si les limitations fonctionnelles se manifestent de la même manière dans la vie professionnelle et dans la vie privée, de comparer les niveaux d’activité sociale avant et après l’atteinte à la santé ou d’analyser la mesure dans laquelle les traitements et les mesures de réadaptation sont mis à profit ou négligés. Dans ce contexte, un comportement incohérent est un indice que les limitations évoquées seraient dues à d’autres raisons qu’une atteinte à la santé.

Or un tel comportement incohérent ne saurait être retenu en l’espèce. Il apparaît effectivement que la décompensation de la consommation d’alcool et de drogues, survenue alors que l’assuré effectuait un stage dans le cadre d’une mesure de réadaptation, a entraîné non seulement une incapacité totale de travail mais aussi des dysfonctionnements dans la vie privée: l’assuré devait faire contrôler son abstinence pour pouvoir exercer son droit de visite sur ses enfants. De surcroît, se consacrer à des loisirs festifs (activité que l’assuré reconnaissait avoir depuis l’âge de seize ans) ne peut servir de seul critère pour juger l’évolution du niveau d’activités sociales avant et après l’atteinte à la santé dans le contexte d’une consommation de psychotropes depuis l’adolescence. Enfin, s’agissant du comportement de l’assuré face aux traitements médicaux et à la réadaptation, il y a lieu de prendre en considération que le refus de se soumettre à des traitements appropriés ou l’échec des traitements entrepris ainsi que le défaut d’exploitation adéquate des possibilités de réadaptation offertes étaient conditionnés par les atteintes psychiques. Il n’y a dès lors pas de raison de penser que les limitations rencontrées par l’assuré dans le domaine professionnel seraient dues à d’autres facteurs que les atteintes à la santé qu’il présente.

En conséquence, en se fondant sur l’expertise, qui permet une évaluation convaincante de la capacité de travail de l’assuré à l’aune des indicateurs déterminants, il convient de constater que l’assuré est atteint de troubles psychiques présentant un degré de gravité certain et entraînant une incapacité totale de travail tant dans la profession exercée jusqu’en juin 2014 que dans une activité adaptée.

 

On ne saurait considérer la situation de l’assuré comme définitivement figée sur le plan médical. L’expert psychiatre atteste l’existence d’une option thérapeutique sérieuse, à savoir la prise en charge combinée du trouble de la personnalité (traitement psychothérapeutique) et des différents syndromes de dépendance (sevrage) dans le cadre d’une hospitalisation de longue durée (six à douze mois) suivie d’un accompagnement ambulatoire post-cure pour permettre la reprise d’une activité lucrative. Par conséquent, il apparaît raisonnablement exigible de l’assuré qu’il entreprenne un tel traitement médical dans le but de réduire la durée et l’étendue de son incapacité de travail au titre de son obligation de diminuer le dommage (art. 7 al. 1 LAI). Il appartiendra à l’office AI d’examiner ce point en fonction de la situation actuelle de l’assuré et, sous réserve d’un changement des circonstances, d’enjoindre à l’assuré de se soumettre au traitement recommandé par le médecin-expert, en procédant à une mise en demeure écrite conformément à l’art. 21 al. 4 LPGA (cf. art. 7b al. 1 en relation avec l’art. 7 al. 2 let. d LAI; voir aussi ATF 145 V 215 consid. 5.3.1 p. 225 s.; arrêt 9C_309/2019 du 7 novembre 2019 consid. 4.2.2 i. f. et les références).

 

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_618/2019 consultable ici

 

 

9C_668/2019 (d) du 03.03.2020 – Interruption de l’incapacité de travail / 28 al. 1 lit. b LAI – 29ter RAI Revenu d’invalide selon l’ESS – Assistante de bureau AFP – Niveau de compétences 1 / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_668/2019 (d) du 03.03.2020

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt du TF fait foi.

 

Consultable ici

 

Interruption de l’incapacité de travail / 28 al. 1 lit. b LAI – 29ter RAI

Revenu d’invalide selon l’ESS – Assistante de bureau AFP – Niveau de compétences 1 / 16 LPGA

 

Assurée, née en 1965, employée à 100 %, travaillant dans la logistique ainsi que dans le domaine de l’organisation de cours. Le 21.01.2015, annonce AI.

Une expertise a été réalisée par le MEDAS.

L’office AI a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 02.09.2019, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, octroyant le droit à l’assuré à un quart de rente AI du 01.07.2015 au 31.08.2015, à une rente entière du 01.09.2015 au 29.02.2016 et à un quart de rente AI dès le 01.03.2016.

 

TF

Interruption significative de l’incapacité de travail

Une interruption significative de l’incapacité de travail au sens de l’art. 28 al. 1 lit. b LAI existe lorsque l’assuré a été entièrement apte au travail pendant 30 jours consécutifs au moins (art. 29ter RAI).

L’office AI (recourant) argue qu’aucun certificat médical d’incapacité de travail n’a été délivré entre le 01.09.2014 et le 30.11.2014. Selon les médecins-experts, l’assurée a précédemment travaillé dans un bureau pour 50% et dans la logistique pour 50%. Toutes les activités physiquement légères, qui lui permettent d’épargner le dos, en tout cas l’activité au bureau, étaient raisonnablement exigible à 70%. Cependant, les travaux plus lourds de logistique étaient limités voire impossibles en raison des troubles dorsaux. Il est difficile à les quantifier et dépend des tâches respectives requises. Cependant, ces activités pénibles n’ont plus été possibles depuis le début de l’incapacité de travail en février 2014. Au vu des déclarations des experts, il ne fait aucun doute que leur évaluation est également valable rétrospectivement, à l’exception des incapacités partielles ou totales de travail plus élevées post- ou périopératoires.

Après examen, le Tribunal fédéral conclut que les constatations du tribunal cantonal selon lesquelles le délai d’attente n’a pas été interrompu, ne violent pas le droit fédéral.

 

Revenu d’invalide

L’assurée est au bénéfice d’une formation d’assistante de bureau AFP (attestation fédérale de formation professionnelle ; Eidgenössisches Berufsattest EBA en allemand) et n’a pas de qualification professionnelle supérieure. En particulier, sa formation n’est pas équivalente à celle d’une employée de commerce CFC (certificat fédéral de capacité ; Eidgenössisches Fähigkeitszeugnis EFZ en allemand).

Une AFP est obtenue après une formation professionnelle initiale de deux ans alors que le CFC l’est après une formation professionnelle initiale de trois ou quatre ans (art. 17 al. 2 et 3 et 37 s. LFPr [Loi fédérale sur la formation professionnelle]). Toute personne qui a terminé l’école obligatoire avec les exigences de base est admise à la formation d’assistante de bureau AFP. Pour l’apprentissage d’employée de commerce CFC, en revanche, il faut au moins avoir terminé l’école obligatoire au niveau le plus élevé avec des notes suffisantes ou au niveau intermédiaire avec de bonnes notes dans les matières principales. Après une formation d’assistante de bureau AFP, en cas de très bons résultats, il est possible de suivre une formation complémentaire pour obtenir le certificat fédéral de capacité d’employée de commerce. Dans ces conditions, il est justifié de qualifier la certification de l’assurée comme formation à une activité auxiliaire dans le secteur des bureaux, par rapport à celle d’employée de commerce CFC.

La conclusion du tribunal cantonal, selon laquelle l’assurée, malgré sa formation, ne pouvait être employée que pour de travaux simples de bureau, n’est donc en aucun cas manifestement erronée. Forte de cette constatation, la cour cantonale a établi à juste titre le revenu d’invalide sur la base du niveau de compétences 1. Cela ne peut être modifié par le simple fait que l’expérience professionnelle d’environ cinq ans de l’assurée dans le secteur commercial ne change rien en soi (cf. également dans le cas d’une expérience professionnelle de plusieurs années, arrêt 8C_728/2016 du 21 décembre 2016 consid. 3.3).

Enfin, le fait que le niveau de compétence 1 comprenne de nombreuses activités simples qui nécessitent de la force physique n’est pas pertinent, car chaque domaine d’activité contient un niveau de compétence 1 (cf. l’Enquête sur la structure des salaires de l’Office fédéral de la statistique).

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_668/2019 consultable ici

 

 

4A_578/2018 (f) du 25.11.2019 – Indemnité journalière maladie LCA / Incapacité de travail de nature psychique – Expertise médicale mandatée par l’assureur avec tests psychométriques

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_578/2018 (f) du 25.11.2019

 

Consultable ici

 

Indemnité journalière maladie LCA

Incapacité de travail de nature psychique – Expertise médicale mandatée par l’assureur avec tests psychométriques

 

Assuré, né en 1961, titulaire d’une licence en chimie, a travaillé dès septembre 1989 au service d’une société genevoise en qualité de directeur exécutif, puis de directeur général.

Comme l’ensemble du personnel, il était couvert par l’assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie que son employeuse avait souscrite auprès de la compagnie Z.__ SA. La police d’assurance prévoyait le versement d’indemnités pendant 730 jours, après un délai d’attente de 60 jours. L’indemnité équivalait à 80% du salaire assuré, plafonné à 250’000 fr. par an. Les conditions générales d’assurance (CGA) excluaient tout versement en cas d’incapacité de travail inférieure à 25%.

Le 21.04.2016, l’employeur l’a licencié pour le 31.07.2016 en le libérant immédiatement de son obligation de travailler.

En juin 2016, l’assuré a annoncé un cas de maladie à la compagnie d’assurances précitée en lui transmettant deux certificats établis par son médecin traitant, spécialiste FMH en cardiologie et médecine interne, attestant d’une incapacité de travail totale à compter du 25.05.2016.

Après l’écoulement du délai d’attente, la compagnie d’assurances a versé à l’assuré dès le 24.07.2016 des indemnités journalières calculées sur la base d’une incapacité de travail à 100%. A compter de la mi-août 2016, l’assuré a été suivi par une spécialiste FMH en psychiatrie, qui a attesté d’une incapacité de travail à 100%.

A la demande de la compagnie d’assurances, le médecin traitant a établi le 21.09.2016 un rapport faisant état d’un épisode dépressif de nature réactionnelle, induisant une incapacité de travail à 100% ; le pronostic était bon avec un suivi psychologique (psychothérapie).

Le 29.09.2016, la compagnie d’assurances a invité l’assuré, conformément aux CGA, à se présenter à la consultation d’un spécialiste FMH en neurologie, psychiatrie et psychothérapie. Ce dernier a procédé à l’examen psychiatrique de l’assuré le 18.10.2016. Le médecin-expert a retenu un trouble de l’adaptation avec prédominance de la perturbation d’autres émotions (F 42.23 CIM-10), consécutif à des conflits répétés sur le lieu de travail et à un licenciement signifié à la fin du mois d’avril 2016, chez un sujet dépourvu de tout antécédent psychiatrique. Sur les deux tests psychométriques effectués, l’échelle de Hamilton n’indique qu’un état dépressif léger, tandis que l’échelle de dépression M.A.D.R.S [Montgomery-Åsberg Depression Rating Scale, réd.] exclut même tout état dépressif. Dans son rapport, le médecin a conclu que l’assuré était capable de reprendre immédiatement une activité professionnelle à 50%, puis à 80% dès le 15.11.2016, et enfin à 100% dès le 01.12.2016.

Sur la base de cette analyse, la compagnie d’assurances a informé l’assuré par courrier du 03.11.2016 qu’elle mettrait fin à sa participation financière le 14.11.2016. L’intéressé a contesté la position de l’assurance par courrier du 07.11.2016.

Dans le courant du même mois, il a débuté une psychothérapie auprès d’une autre spécialiste FMH en psychiatrie et psychothérapie.

La psychiatre traitant a attesté mensuellement d’une incapacité de travail à 100% dès le mois de décembre 2016 jusqu’à la fin mai 2017, puis d’une incapacité de 50% dès juin 2017, ayant pris fin le 31.08.2017.

Parallèlement, l’office AI a été saisi d’une demande de prestations signée par l’assuré le 10.10.2016. Par décision du 13.11.2017, il a refusé toute rente d’invalidité, de même que des mesures professionnelles.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/834/2018 – consultable ici)

L’assuré a déposé une demande en paiement contre la compagnie d’assurances auprès de la Chambre des assurances sociales de la Cour de justice genevoise.

La première psychiatre traitant a vu l’assuré neuf fois entre le 11.08.2016 et le 17.11.2016. Ce médecin a contesté l’appréciation portée par le médecin-expert quant à la capacité de travail de l’assuré. La seconde psychiatre a commencé à suivre l’assuré dans le courant du mois de novembre 2016, à raison d’une fois par semaine, puis d’une fois tous les quinze jours. Selon ce médecin, l’assuré a initialement souffert d’un trouble de l’adaptation, qui s’est cependant accompagné de réactions anxieuses et dépressives de façon suffisamment durable pour engendrer un épisode dépressif d’intensité même sévère.

Le médecin-expert a notamment reproché à ses consoeurs d’avoir répété avec peu de recul critique les plaintes que l’assuré avait également présentées lors de l’examen d’expertise, en s’abstenant d’appliquer des échelles psychométriques standardisées pour objectiver la symptomatologie. Or, l’assuré avait pu maintenir un bon rythme journalier durant son arrêt de travail et avait même pu partir une semaine aux Etats-Unis, voyage peu compatible avec une symptomatologie dépressive moyenne à sévère, tout comme le fait de jouer au tennis une fois par semaine. Eu égard à son niveau d’activités dès la fin de l’année 2016, il était évident que sa symptomatologie anxio-dépressive n’était que d’intensité légère à moyenne au maximum, avec au demeurant un soutien pharmacologique minimal.

La cour cantonale a jugé que la preuve d’une incapacité de travail d’au moins 25% dès le 15.11.2016 n’était pas rapportée. Tous les médecins s’accordaient à dire que la symptomatologie était uniquement imputable aux conflits professionnels et au licenciement de l’assuré, et partant de nature purement réactionnelle. A cet élément, qui plaidait en faveur du diagnostic du médecin-expert, s’ajoutaient trois éléments. Premièrement, l’assuré – nonobstant quelques problèmes de motivation, notamment pour se lever le matin et sortir de chez lui – avait été capable de respecter une bonne structure journalière, d’assumer certaines tâches administratives, d’entretenir des contacts sociaux et de se lancer dans des activités (recherches d’emploi ; voyage aux Etats-Unis ; pratique du tennis, etc.). Deuxièmement, les tests psychométriques n’attestaient au pire que d’une symptomatologie anxio-dépressive d’intensité légère. Troisièmement, l’assuré présentait une blessure narcissique importante, le tout alors qu’il n’était au bénéfice que d’un soutien psychopharmaceutique minimal. Les deux psychiatres traitants n’avaient pas étayé leurs dires sur des tests psychométriques et n’avaient pas décrit de symptômes qui n’aient déjà été pris en compte par le médecin-expert. Dans l’intervalle avait été établi le rapport médical de ce dernier, ressenti négativement par l’assuré en tant qu’il le privait de l’assise médicale requise pour obtenir le versement des indemnités journalières. Qui plus est, les deux doctoresses avaient qualité de médecins traitants ; par la relation de confiance qui s’était tissée avec l’assuré, elles étaient enclines à soutenir peu objectivement les démarches visant à bénéficier de prestations au-delà de l’échéance retenue par la défenderesse.

Par jugement du 25.09.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’assuré, qui prétend au versement d’indemnités journalières, doit établir la persistance d’une telle incapacité de travail à l’aune de la vraisemblance prépondérante (ATF 141 III 241 consid. 3.1; arrêt 4A_516/2014 du 11 mars 2015 consid. 4.1). Sa position est facilitée dans la mesure où il n’est pas contesté qu’il s’est trouvé en incapacité de travail jusqu’à une certaine date. Cela étant, ce n’est pas à la compagnie d’assurances de prouver un recouvrement total ou partiel de la capacité de travail. Dans le cadre de son droit à la contre-preuve, elle doit tout au plus apporter des éléments propres à instiller des doutes et à ébranler la vraisemblance prépondérante que l’assuré s’efforce d’établir ; ce genre de doutes peut découler déjà d’allégations de partie, respectivement d’expertises privées (ATF 130 III 321 consid. 3.4; arrêt 4A_85/2017 du 4 septembre 2017 consid. 2.3).

 

L’assuré tente de tirer argument du fait que le médecin-expert ne l’a reçu qu’une seule fois, tandis que ses deux psychiatres l’ont suivi régulièrement et ont ainsi pu attester d’une péjoration de son état de santé, qui se serait produite après la consultation du médecin précité.

La consultation en question s’est tenue le 18.10.2016. Or, la première psychiatre traitant a situé l’aggravation de son état au mois d’octobre 2016, respectivement à la mi-septembre 2016. Le rapport du médecin-expert évoque une augmentation de la dose d’antidépresseurs deux semaines avant la consultation précitée. L’argument d’une aggravation postérieure à la consultation du médecin-expert apparaît ainsi privé d’assise. Qui plus est, l’arrêt attaqué retient que les deux psychiatres n’ont mis en avant aucun nouveau symptôme qui n’aurait pas déjà été décrit par le médecin-expert.

 

L’assuré objecte en outre que la Cour de justice n’avait pas les connaissances nécessaires pour apprécier la pertinence de l’argument tiré des deux tests psychométriques et qu’elle aurait même dû ordonner une expertise. C’est toutefois méconnaître que ni les deux doctoresses, ni le médecin du service régional de l’AI n’ont critiqué la pertinence de ces tests, dont la littérature scientifique accessible sur Internet semble au demeurant admettre qu’ils restent très répandus, nonobstant les critiques qu’appellent immanquablement les tentatives de mesurer une affection psychique (cf. par ex. HELLEM, SCHOLL ET AL., Preliminary Psychometric Evaluation of the Hamilton Depression Rating Scale in Methamphetamine Dependence, in Journal of Dual Diagnosis 2017 p. 305 ss; CARNEIRO ET AL., Hamilton Depression Rating Scale and Montgomery-Åsberg Depression Rating Scale in Depressed and Bipolar I Patients […], in Health and Quality of Life Outcomes 2015 13:42; RACHEL SHARP, The Hamilton Rating Scale for Depression, in Occupational Medicine 2015 65:340).

 

En définitive, la cour cantonale pouvait clairement exclure sans arbitraire la haute vraisemblance d’une incapacité de travail supérieure à 25%, des doutes suffisants s’opposant à un tel constat.

Dans ce cas de figure, le demandeur a encore la possibilité de rapporter la preuve par la mise en oeuvre d’une expertise judiciaire. Toutefois, dans sa réplique, l’intéressé concède avoir renoncé à requérir une telle expertise qui lui paraissait dépourvue de pertinence plus de deux ans après les faits (sur cette problématique, cf. arrêt 4A_66/2018 du 15 mai 2019 consid. 2.6.2). Cela suffit à clore toute discussion.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_578/2018 consultable ici

 

 

9C_612/2019 (f) du 16.10.2019 – Révision d’une rente d’invalidité – 17 LPGA / Expertise pluridisciplinaire AI après trois rapports de surveillance établis par des détectives privés / Violation inexcusable du devoir de collaborer de l’assuré malgré plusieurs mises en demeure – 28 LPGA – 43 LPGA / Renvoi de la cause à l’office AI pour mesure d’instruction

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_612/2019 (f) du 16.10.2019

 

Consultable ici

 

Révision d’une rente d’invalidité – 17 LPGA / Expertise pluridisciplinaire AI après trois rapports de surveillance établis par des détectives privés

Violation inexcusable du devoir de collaborer de l’assuré malgré plusieurs mises en demeure – 28 LPGA – 43 LPGA / Renvoi de la cause à l’office AI pour mesure d’instruction

Recours contre une décision incidente – Pas de préjudice irréparable – 93 LTF

 

Par décision du 26.11.2007, l’office AI a accordé une demi-rente d’invalidité à l’assuré, né en 1962, en raison des séquelles d’un accident survenu le 01.11.2000.

Le 18.09.2014, l’office AI est entré en possession de trois rapports de surveillance établis par des détectives privés sur mandat d’un autre assureur.

Dans une procédure parallèle, la Chambre des assurances sociales a annulé les décisions de l’assureur-accidents (qui supprimaient la rente octroyée à l’assuré) et lui a renvoyé la cause pour instruction complémentaire dès lors que le dossier ne comprenait aucun document médical permettant de comparer les situations pertinentes en cas de suppression de rente (ATAS/854/2015).

Pour sa part, l’office AI a organisé une expertise pluridisciplinaire. Compte tenu d’incidents de procédure, du renvoi des rendez-vous fixés par les experts et d’exigences concernant l’expertise (notamment la présence d’un journaliste ou d’un cameraman pendant les examens), l’administration a rappelé à l’assuré les conséquences d’un refus de collaborer. Les experts ont résilié leur mandat. Par décision du 02.08.2018, l’office AI a par conséquent annoncé à l’intéressé que sa rente serait supprimée à partir du 01.10.2018.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/653/2019 – consultable ici)

Saisi du recours de l’assuré qui concluait à ce qu’il soit ordonné à l’office AI de s’accorder avec l’assureur-accidents afin de réaliser l’expertise nécessaire, le tribunal cantonal l’a partiellement admis, en ce sens que la suppression de la rente était remplacée par sa suspension, et a renvoyé la cause à l’office AI dans le sens des considérants.

Le tribunal cantonal a constaté en substance que l’assuré avait manqué d’une manière inexcusable à son devoir de collaborer et n’avait pas apporté la preuve que son état de santé n’avait pas évolué, mais a malgré tout considéré qu’une expertise pluridisciplinaire était essentielle pour résoudre le cas.

 

TF

L’assuré sollicite l’annulation de l’arrêt cantonal et conclut à ce qu’il soit ordonné à l’office AI de se joindre à l’assureur-accidents afin de mettre en œuvre l’expertise nécessaire.

On peut se demander s’il est conforme à la loi et à la jurisprudence de constater la violation inexcusable du devoir de collaborer, ainsi que l’échec de l’assuré à démontrer l’absence de modification de son état de santé dans le cadre du renversement du fardeau de la preuve et de renvoyer simultanément la cause à l’office AI pour qu’il réalise la mesure d’instruction que le comportement fautif de l’assuré avait justement empêché malgré plusieurs mises en demeure.

Cette question ne peut toutefois être tranchée dans la mesure où, en réformant la décision litigieuse en ce sens que la rente n’était désormais plus supprimée mais suspendue et en renvoyant la cause à l’administration pour instruction complémentaire, les juges cantonaux ont rendu une décision incidente, au sens de l’art. 93 LTF, portant de surcroît sur des mesures provisionnelles, au sens de l’art. 98 LTF.

Un recours contre une décision incidente n’est recevable que si celle-ci peut causer un préjudice irréparable (art. 93 al. 1 let. a LTF) ou si l’admission du recours peut conduire immédiatement à une décision finale qui permet d’éviter une procédure probatoire longue et coûteuse (art. 93 al. 1 let. b LTF). Un préjudice irréparable est un dommage de nature juridique qui ne peut pas être réparé ultérieurement par un jugement final ou une autre décision favorable à l’assuré (cf. ATF 134 III 188 consid. 2.1 p. 190 s. et les références). Un dommage de pur fait, comme la prolongation de la procédure ou l’accroissement des frais de celle-ci, n’est pas irréparable (cf. ATF 131 I 57 consid. 1 p. 59 et les références),

Le renvoi du dossier à l’administration pour instruction complémentaire et nouvelle décision, comme en l’occurrence, n’est en principe pas de nature à causer aux parties un dommage irréparable et ne se confond en général pas avec une procédure probatoire longue et coûteuse (cf. ATF 133 V 477 consid. 5.2 p. 483; arrêts du Tribunal fédéral 9C_969/2009 du 18 décembre 2009; 9C_1039/2008 du 10 décembre 2009; 9C_646/2009 du 13 octobre 2009; 9C_704/2009 du 29 septembre 2009; 9C_750/2008 du 5 juin 2009; 9C_19/2009 du 22 janvier 2009; 9C_490/2008 du 9 décembre 2008 et les références). Il appartient à la partie recourante d’alléguer et d’établir le préjudice irréparable (cf. ATF 134 III 426 consid. 1.2 i. f. p. 428 ss et les références), à moins que ce dernier ne fasse d’emblée aucun doute (cf. arrêt 8C_271/2017 du 10 mai 2017 consid. 2.1 et les références),

Contrairement aux exigences de motivation et d’allégation de l’art. 42 al. 2 LTF (cf. ATF 133 III 545 consid. 2.2 p. 550; cf. aussi FLORENCE AUBRY GIRARDIN, in Commentaire de la LTF, 2e éd. 2014, n° 24 ad art. 42), l’assuré n’établit pas – ni même n’allègue – l’existence d’un tel préjudice en l’espèce. Il n’en apparaît par ailleurs aucun au regard de la jurisprudence citée.

 

Le TF conclut que le recours est irrecevable.

 

 

Arrêt 9C_612/2019 consultable ici

 

 

8C_226/2019 (f) du 15.11.2019 – Restitution de prestations indûment touchées – Condition de l’importance notable – 25 LPGA – 95 LACI / Notion du salaire pris en considération comme gain assuré – Indemnités de trajet – 23 al. 1 LACI / Frais de déplacement au sens des art. 5 al. 2 LAVS et 9 al. 2 RAVS / Délai d’attente – 18 al. 1bis LACI – 6a al. 3 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_226/2019 (f) du 15.11.2019

 

Consultable ici

 

Restitution de prestations indûment touchées – Condition de l’importance notable / 25 LPGA – 95 LACI

Notion du salaire pris en considération comme gain assuré – Indemnités de trajet / 23 al. 1 LACI

Frais de déplacement au sens des art. 5 al. 2 LAVS et 9 al. 2 RAVS

Délai d’attente / 18 al. 1bis LACI – 6a al. 3 OACI

 

Assurée, née en 1973, mère de deux enfants, a occupé un poste de maître opticien pour B.__ SA à un taux d’activité de 50%, puis de 60%, du 01.09.2014 au 31.12.2017, date à laquelle a pris effet son licenciement. En parallèle, elle travaillait comme opticienne diplômée auprès de C.__ Sàrl à raison de quelques heures par mois. Pour cette activité, elle percevait, en sus de son salaire horaire, une indemnité de 65 fr. « par trajet », sur laquelle étaient également prélevées les cotisations sociales usuelles.

Le 04.12.2017, en raison de la perte de son activité principale, l’assurée s’est inscrite à l’office régional de placement, en indiquant être disposée à travailler à un taux d’activité de 60%. Elle a requis une indemnité de chômage à partir du 01.01.2018.

Selon un décompte de prestations du 14.02.2018, la caisse de chômage a alloué à l’assurée une indemnité nette de 3319 fr. 15 pour le mois de janvier 2018, en tenant compte d’un gain assuré de 4724 fr. et d’un gain intermédiaire brut de 375 fr. Le 05.03.2018, elle a transmis à l’assurée un nouveau décompte, rectifiant le précédent en ce sens que l’indemnité nette était fixée à 2498 fr. 70, compte tenu d’un gain assuré de 4827 fr., d’un gain intermédiaire brut de 505 fr. et d’un délai d’attente de cinq jours.

Par décision du 15.03.2018, confirmée sur opposition, la caisse de chômage a réclamé à l’assurée la restitution de 820 fr. 45, correspondant aux indemnités versées en trop pour le mois de janvier. La caisse de chômage a expliqué qu’elle avait omis dans un premier temps de prendre en compte les indemnités de trajet dans le calcul du gain assuré. Après rectification, le gain assuré mensuel avait été fixé à 5096 fr. par mois. Le gain assuré passant de 4988 fr. à 5096 fr., cela génère un délai d’attente de cinq indemnités journalières. Comme l’assurée avait cotisé sur la base d’un taux d’activité de 63,35% (60% auprès de B.__ SA et 3,35% auprès de C.__ Sàrl) et recherchait une activité à un taux de 60%, le gain assuré devait être réduit proportionnellement conformément à la perte de travail à prendre en considération. Aussi la caisse de chômage parvenait-elle à un résultat (arrondi) de 4827 fr. (5096 / 63,35 x 60).

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 96/18 – 28/2019 – consultable ici)

Pour la cour cantonale, les indemnités de trajet ne devaient pas être prises en compte dans le calcul du gain assuré. En effet, pour autant qu’ils ne soient pas versés durant les vacances, les suppléments pour inconvénients de service ne devaient pas être considérés comme un revenu déterminant pour le calcul du gain assuré. Comme l’indemnité de trajet n’était en l’espèce pas versée pendant les vacances, elle ne devait pas faire partie du gain assuré. Il en allait de même si on la considérait comme une indemnité de frais. En définitive, de l’avis de la cour cantonale, le premier décompte ne prêtait pas le flanc à la critique, de sorte que les prestations allouées sur cette base n’étaient pas indues. Les conditions d’une restitution de prestations n’étaient donc pas réalisées.

Par jugement du 19.02.2019, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 25 al. 1 LPGA, auquel renvoie l’art. 95 al. 1 LACI, les prestations indûment touchées doivent être restituées (première phrase). L’obligation de restituer suppose que soient réunies les conditions d’une révision procédurale (art. 53 al. 1 LPGA) ou d’une reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA; caractère sans nul doute erroné de la décision et importance notable de la rectification) de la décision par laquelle les prestations en cause ont été allouées (ATF 142 V 259 consid. 3.2 p. 260; 138 V 426 consid. 5.2.1 p. 431; 130 V 318 consid. 5.2 p. 320 et les références).

 

Selon l’art. 23 al. 1, 1ère phrase, LACI, est réputé gain assuré le salaire déterminant au sens de la législation sur l’AVS qui est obtenu normalement au cours d’un ou de plusieurs rapports de travail durant une période de référence, y compris les allocations régulièrement versées et convenues contractuellement, dans la mesure où elles ne sont pas des indemnités pour inconvénients liés à l’exécution du travail.

Le salaire pris en considération comme gain assuré se rapproche de la notion de salaire déterminant au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS, mais ne se recouvre pas exactement avec celui-ci, comme cela ressort du terme « normalement » (« normalerweise » ; « normalmente ») utilisé à l’art. 23 al. 1 LACI (arrêt 8C_479/2014 du 3 juillet 2015 consid. 3.2; BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 8 ad art. 23 LACI). Certains montants perçus par le salarié, certes soumis à cotisation, n’entrent pas dans la fixation du gain assuré. Il en va ainsi notamment de la rémunération des heures supplémentaires (ATF 129 V 105), de l’indemnité de vacances (à certaines conditions: ATF 130 V 492 consid. 4.2.4 p. 497), des gains accessoires (art. 23 al. 3 LACI; ATF 126 V 207) ou des indemnités pour inconvénients liés aux travail ou en raison de frais occasionnés par le travail (art. 23 al. 1, première phrase, LACI; arrêts 8C_72/2015 du 14 décembre 2015; C 118/87 du 2 mai 1988).

 

Selon la législation sur l’AVS, à laquelle renvoie l’art. 23 al. 1 LACI, le salaire déterminant comprend toute rémunération pour un travail dépendant, fourni pour un temps déterminé ou indéterminé; il englobe les allocations de renchérissement et autres suppléments de salaire, les commissions, les gratifications, les prestations en nature, les indemnités de vacances ou pour jours fériés et autres prestations analogues, ainsi que les pourboires, s’ils représentent un élément important de la rémunération du travail (art. 5 al. 2 LAVS). L’art. 9 al. 1 RAVS exclut du salaire déterminant le dédommagement pour les frais généraux encourus, à savoir les dépenses résultant pour le salarié de l’exécution de ses travaux. Selon l’art. 9 al. 2 RAVS, ne font pas partie des frais généraux les indemnités accordées régulièrement pour le déplacement du domicile au lieu de travail habituel et pour les repas courants pris au domicile ou au lieu de travail habituel; ces indemnités font en principe partie du salaire déterminant.

Les frais de déplacement au sens de l’art. 9 al. 2 RAVS concernent uniquement le déplacement du domicile au lieu de travail habituel. Une indemnité visant à compenser les déplacements professionnels à partir du siège de l’employeur et à dédommager les collaborateurs pour les inconvénients découlant d’une dépréciation accrue des voitures privées utilisées sur des chantiers ne tombe pas sous le coup de cette disposition et ne fait donc pas partie du salaire déterminant (cf. arrêt 8C_964/2012 du 16 septembre 2013 consid. 4.3.2; voir aussi arrêt 8C_310/2018 du 18 décembre 2018 consid. 7.4 à propos d’une indemnité servant notamment à couvrir les frais supplémentaires subis par le travailleur en raison des déplacements de l’atelier aux chantiers).

 

En l’espèce, l’indemnité de trajet était de 65 fr. par jour travaillé et n’était pas versée pendant les vacances. Le jugement attaqué ne donne pas davantage d’indications sur le trajet visé par l’indemnité. Il est toutefois constant que l’indemnité avait trait au déplacement entre le domicile de l’assurée et son lieu de travail. Partant, sur le plan de l’AVS, l’indemnité de trajet versée par l’employeur de l’assurée pour les jours travaillés fait sans conteste partie du salaire déterminant, en vertu de l’art. 9 al. 2 RAVS.

S’il est vrai que le gain assuré en matière d’assurance-chômage ne se recouvre pas exactement avec le salaire déterminant en matière d’AVS, l’ancien Tribunal fédéral des assurances a toutefois exclu du gain assuré par l’assurance-chômage des indemnités pour des repas qui ne tombaient pas sous le coup de l’art. 9 al. 2 RAVS (arrêt C 220/00 du 3 mai 2001 consid. 3c). Par la suite, le Tribunal fédéral a tenu un raisonnement comparable en ce qui concernait une allocation en remboursement de frais fixes incluant le remboursement de frais de véhicule, laquelle n’entrait pas non plus dans le champ d’application de l’art. 9 al. 2 RAVS (arrêt 8C_290/2014 du 20 mars 2015 consid. 3). A contrario, si les frais de déplacements (ou de repas) tombent sous le coup de l’art. 9 al. 2 RAVS – comme en l’espèce -, leur dédommagement doit en principe être pris en compte dans le calcul du gain assuré par l’assurance-chômage, conformément à la règle générale de l’art. 23 al. 1, 1ère phrase, LACI. A cela s’ajoute que l’indemnité de trajet en cause peut être considérée comme du salaire normalement obtenu dans la mesure où elle est allouée d’emblée pour chaque jour travaillé. En outre, elle n’a pas pour objet de compenser des inconvénients liés à l’exécution du travail, au sens de l’art. 23 al. 1 LACI. En effet, les frais de déplacement du domicile au lieu de travail ne sont pas liés à l’exécution du travail qui incombe à l’assurée. Par conséquent, l’absence de versement de l’indemnité pendant les vacances, sur laquelle s’est fondée la cour cantonale, ne constitue pas un critère pertinent en l’espèce (sur l’utilité de ce critère cf. arrêts 8C_72/2015 du 14 décembre 2015 consid. 4.3; 8C_370/2008 du 29 août 2009 consid. 3.2). La juridiction cantonale ne pouvait donc pas exclure l’indemnité de trajet du gain assuré.

 

En ce qui concerne enfin le délai d’attente, c’est à juste titre que la caisse de chômage l’a fixé en tenant compte du gain assuré « non réduit ». En effet, la réduction proportionnelle de l’indemnité de chômage visait à tenir compte de la perte de travail partielle. En revanche, le point de savoir si un assuré doit ou non être soumis à un délai d’attente s’apprécie indépendamment de la perte de travail à prendre en considération. Le Conseil fédéral a exempté certains groupes d’assurés du délai d’attente – notamment les assurés qui ont une obligation d’entretien envers des enfants de moins de 25 ans et dont le gain assuré se situe en dessous de 60’000 fr. par an – afin d’éviter des cas de rigueur (art. 18 al. 1bis LACI en relation avec l’art. 6a al. 3 OACI). Si, dans ce contexte, l’on pouvait tenir compte d’un gain assuré réduit en fonction de la perte de travail à prendre en considération, les assurés dont la perte de travail n’est que partielle seraient privilégiés par rapport à ceux dont la perte est totale. Par exemple, dans le cas d’espèce, l’assurée serait exemptée du délai d’attente (4827 fr. x 12), alors qu’elle y serait soumise si elle avait perdu ses deux emplois (5096 fr. x 12).

 

En conclusion, la caisse de chômage était fondée à rectifier son décompte de prestations et à demander la restitution des prestations versées en trop en raison de son erreur de calcul du gain assuré. Quant à la condition de l’importance notable, elle est remplie en l’espèce, dès lors que la somme de 820 fr. 45 réclamée représente près d’un tiers de l’indemnité de janvier 2018 (sur laquelle porte l’obligation de restitution) et que la caisse de chômage s’est rapidement rendu compte de son erreur (cf. arrêt C 205/00 du 8 octobre 2002 consid. 5, non publié in ATF 129 V 110 et les arrêts cités; voir aussi MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générales des assurances sociales, 2018, n° 84 ad art. 53 LPGA).

 

Le TF admet le recours du SECO, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition de la caisse de chômage.

 

 

Arrêt 8C_226/2019 consultable ici

 

 

9C_77/2019+9C_85/2019 (f) du 27.09.2019 – Contestation d’une facture d’ambulance – Système du tiers garant / Tribunal arbitral – 89 LAMal / Interprétation de la convention tarifaire – Facturation des frais de « nettoyage du véhicule »

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_77/2019+9C_85/2019 (f) du 27.09.2019

 

Consultable ici

 

Contestation d’une facture d’ambulance – Système du tiers garant

Tribunal arbitral / 89 LAMal

Interprétation de la convention tarifaire – Facturation des frais de « nettoyage du véhicule »

 

Le dimanche 22.05.2016, B.__, née en 1954, s’est plainte de douleurs thoraciques et de dyspnée. Après qu’un membre de la famille a appelé la Centrale d’appel 144 à 05.15 heures, le régulateur des urgences sanitaires a dépêché en priorité 1 deux ambulanciers et un médecin du Service mobile d’urgence et de réanimation (SMUR) au domicile de l’intéressée. Les transporteurs sont partis à 05.22 heures et l’intervention s’est terminée à 06.50 heures.

Le 12.10.2016, l’Hôpital A.__ a facturé à B.__ un montant de 1’322 fr. 60 pour la prestation, soit 300 fr. de taxe de base et d’urgence externe (en priorité 1), 57 fr. 60 de taxe kilométrique (12.80 km x 4 fr. 50/km), 420 fr. de frais par ambulancier et par quart d’heure entamé (35 fr. x 2 x 6), 105 fr. de majoration sur le travail de nuit (420 fr. x 0.25), 140 fr. (forfait d’acheminement du médecin, chauffeur inclus) et 300 fr. (intervention du médecin). Il a adressé un rappel les 13.02.2017 et 13.03.2017, puis requis la notification d’un commandement de payer auquel B.__ a fait opposition totale. L’Hôpital A.__ a ensuite transmis la facture à l’Organisation cantonale vaudoise des secours (OCVS).

Le 20.02.2018, l’OCVS a condamné B.__ à verser à l’Hôpital A.__ la somme de 1’322 fr. 60 avec intérêts à 5% dès le 12.12.2016, plus les frais de rappel de 30 fr. et de poursuite de 73 fr. 30. L’OCVS a maintenu sa position, après que B.__ a formé une réclamation contre cette décision.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a retenu que la désinfection, le nettoyage et le lavage du véhicule sont inclus dans la position 9401 de la convention tarifaire (taxe de base de 300 fr.), si bien que la durée de ces travaux n’avait pas à être facturée au titre des coûts de personnel de la position 9411. A ce défaut, le débiteur payerait à double la même prestation. Dans la mesure où l’Hôpital A.__ avait allégué de façon crédible un trajet aller de 13 minutes de l’ambulance, la juridiction cantonale a considéré que le trajet retour n’avait pas été plus bref. Il convenait encore d’ajouter une dizaine de minutes pour la prise en charge de l’assurée, tant sur le site qu’à l’Hôpital A.__. Les ambulanciers avaient dès lors travaillé pendant trois quarts d’heure entamés, pendant un horaire de nuit. Ce faisant, les premiers juges ont condamné B.__ à payer 1’015 fr. 30, avec intérêts à 5% dès le 12 décembre 2018 (300 fr. de taxe de base, 12 fr. 80 d’indemnité kilométrique, 210 fr. de frais de personnel [3 quarts d’heure x 2 [personnes] x 35 fr./quart d’heure], 52 fr. 50 de majoration pour travail de nuit, 140 fr. de forfait d’acheminement SMUR et 300 fr. d’intervention du médecin du SMUR), auxquels s’ajoutaient les frais de rappel (30 fr.) et de poursuite (73 fr. 30).

Par jugement du 07.12.2018, admission partielle du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 44 al. 1, 1ère phrase, LAMal, les fournisseurs de prestations doivent respecter les tarifs et les prix fixés par convention ou par l’autorité compétente; ils ne peuvent exiger de rémunération plus élevée pour des prestations fournies en application de la présente loi (protection tarifaire). Comme l’indique expressément cette disposition, la protection tarifaire est limitée aux prestations de soins accordées selon la LAMal, pour lesquelles une facturation supplémentaire est exclue (arrêt 9C_627/2010 du 3 octobre 2011 consid. 3.2 et la référence; MATHIAS BOSCHUNG, Der bodengebundene Rettungsdienst, 2010, p. 335 n° 567 et p. 361 n° 618). Cette protection s’adresse à l’assuré en tant que débiteur des coûts des soins, comme à son assureur en sa qualité de tiers garant.

 

Selon l’art. 89 al. 1 LAMal, les litiges entre assureurs et fournisseurs de prestations sont jugés par un tribunal arbitral. La notion de litige susceptible d’être soumis au tribunal arbitral doit être entendue au sens large. Il est cependant nécessaire que soient en cause des rapports juridiques qui résultent de la LAMal ou qui ont été établis en vertu de cette loi. Sont ainsi considérées comme litige dans le cadre de la LAMal les contestations portant sur des questions relatives aux honoraires ou aux tarifs. Il doit par ailleurs s’agir d’un litige entre un assureur-maladie et la personne appelée à fournir des prestations, ce qui se détermine en fonction des parties qui s’opposent en réalité. En d’autres termes, le litige doit concerner la position particulière de l’assureur ou du fournisseur de prestations dans le cadre de la LAMal (ATF 141 V 557 consid. 2.1 p. 560; 132 V 303 consid. 4.1 p. 303 et les références). Si tel n’est pas le cas, ce sont les autorités, civiles ou administratives, désignées par le droit de procédure applicable qui sont compétentes pour examiner le litige (ATF 132 V 352 consid. 2.1 p. 353; 132 V 303 consid. 4.1 p. 303 et les références; s’agissant d’un fournisseur de prestations de droit public, voir ATF 134 V 269 consid. 2.6 p. 275; arrêt 9C_152/2007 du 19 octobre 2007 consid. 2.4).

En vertu de l’art. 89 al. 3 LAMal, le tribunal arbitral est aussi compétent, si le débiteur de la rémunération est l’assuré (système du tiers garant; art. 42 al. 1 LAMal); en pareil cas, l’assureur représente, à ses frais, l’assuré au procès. Cette disposition a pour but d’empêcher que l’assuré dans le système du tiers garant n’ait à supporter les coûts d’une prestation, lorsque le fournisseur établit une facture contraire aux tarifs applicables, en violation de la réglementation tarifaire ou lorsque la prestation ne remplit pas la condition du caractère économique. Lors de l’introduction de la norme originaire dans l’ancienne loi fédérale sur l’assurance en cas de maladie et d’accidents du 13 juin 1911 (LAMA), il s’agissait de donner à la caisse-maladie le droit de représenter l’assuré, à sa demande, devant le tribunal arbitral afin de lui épargner les complications qu’entraînait un procès (dont la poursuite requiert suivant les cas des connaissances spéciales), mais aussi celui d’intenter elle-même action (même si l’assuré avait déjà payé les honoraires), car les assurés souvent n’osaient pas agir contre le fournisseur de prestations, parce qu’ils dépendaient de lui ou se sentaient dépendants de lui. L’art. 89 al. 3 LAMal vise donc les situations où l’assuré, soit pour lui son assureur-maladie, conteste la rémunération des prestations facturées par le fournisseur de prestations en application d’une convention tarifaire (arrêts 9C_479/2013 du 9 septembre 2014 consid. 4; 9C_320/2010 du 2 décembre 2010 consid. 4.5 et les références).

B.__ est débitrice de la rémunération envers le fournisseur de prestations (l’Hôpital A.__) d’une facture de secours; elle a, dans ce cas, le droit d’être remboursée par son assureur (art. 42 al. 1 LAMal), aux conditions énumérées par les art. 25 al. 1 et al. 2 let. g LAMal et 26 s. OPAS. L’assurée avait ainsi la faculté de demander à sa caisse-maladie de saisir le tribunal arbitral désigné par la législation valaisanne pour contester la rémunération de l’Hôpital A.__ (art. 89 al. 3 et 4 LAMal) en application de la convention tarifaire, ce qu’elle ne prétend pas avoir fait.

Selon les règles définies par le législateur cantonal valaisan, le fournisseur de prestations qui entend procéder au recouvrement d’une créance de secours doit requérir en premier lieu la poursuite puis, en cas d’opposition par l’assuré au commandement de payer, agir par la voie de la procédure administrative pour faire reconnaître son droit. L’OCVS doit alors rendre une décision condamnant le débiteur à payer au fournisseur de prestations une somme d’argent. La continuation de la poursuite ne pourra ensuite être requise que sur la base d’une décision passée en force du juge civil qui écarte expressément l’opposition (art. 79, 2ème phrase, LP; à ce sujet, voir ATF 134 III 115 consid. 4.1.2 p. 120).

 

La convention du 16 septembre 2013 (n° 45.500.0560H) entre l’OCVS, représentant les entreprises valaisannes de secours, et tarifsuisse SA, représentant certains assureurs-maladie (ci-après : la convention tarifaire), prévoit que l’entreprise de transport établit à l’attention de l’assuré (système du tiers garant) une facture; les tarifs sont fixés dans l’annexe 1 (art. 5 et 6 de la convention).

En l’espèce, selon la convention tarifaire, l’intervention de l’entreprise de secours commence dès la connaissance de la mission et se termine lorsque le véhicule utilisé est à nouveau prêt à intervenir. Les prestations de transport d’urgence d’une personne vers un lieu où elle pourra bénéficier des soins médicaux nécessaires comprennent dès lors l’intervalle de temps entre l’alarme du service et l’arrivée sur le site (délai de réponse), le temps sur le site, le temps de transport et le délai de rétablissement. Lorsqu’il y a une seconde intervention avant la fin de la première intervention, les frais de remise en état du véhicule sont partagés entre les personnes prises en charge (art. 2 de l’annexe 1 de la convention tarifaire).

Le fait que le délai de rétablissement de l’ambulance est pris en considération dans le temps total de l’intervention et que les frais de remise en état du véhicule sont partagés entre les personnes prises en charge ne dit pas encore si les opérations de désinfection, nettoyage et lavage du véhicule doivent être facturées au moyen d’une rémunération forfaitaire (art. 43 al. 2 let. c LAMal) ou du temps consacré (art. 43 al. 2 let. a LAMal). Contrairement à ce que soutient l’Hôpital A.__, il n’est par ailleurs pas établi, par sa seule affirmation non documentée, que toutes les entreprises de secours de Suisse considèrent que le délai de rétablissement doit être facturé en fonction du temps consacré. Selon l’enquête réalisée par le Surveillant des prix, seuls les services de l’Hôpital cantonal de Uri ont indiqué expressément que les frais de nettoyage du véhicule étaient facturés de cette manière (SIMON ISELIN, Gesamtschweizerischer Tarifvergleich 2014 im Bereich Bodenrettung, 2014, p. 19).

Quoi qu’il en soit, la convention tarifaire en cause a été discutée et élaborée par l’OCVS et tarifsuisse SA. Ce sont ces derniers qui peuvent le mieux apprécier ce qui est équitable et requis dans les circonstances concrètes auxquelles les entreprises de secours ont à faire face; ils disposent à cet égard d’un large pouvoir d’appréciation (cf. ATF 126 V 344 consid. 4a p. 349; 125 V 101 consid. 3c p. 104; arrêt 9C_252/2011 du 14 juillet 2011 consid. 5.2). Or, selon les termes clairs de l’article 3 de l’annexe 1 de la convention tarifaire, la taxe de base englobe l’organisation, les coûts d’infrastructure et le service de permanence (y compris désinfection/nettoyage/lavage du véhicule). On ne voit pas qu’en considérant que les frais de désinfection, nettoyage et lavage du véhicule étaient inclus dans la taxe de base, la juridiction cantonale ait contrevenu à une interprétation littérale stricte de la convention tarifaire. La distinction proposée par l’Hôpital A.__ entre les frais de nettoyage extérieur (pare-brises, rétroviseurs, vitres, feux bleus, sirènes, carrosserie, porte arrière, etc.) et de la cellule intérieure du véhicule ne trouve aucun ancrage concret dans le texte de la convention et de son annexe. Il n’y a dès lors pas lieu de s’écarter de l’interprétation donnée par les juges cantonaux de la convention tarifaire et qui conduit à retenir que les frais de désinfection, nettoyage et lavage du véhicule (y compris de sa cellule intérieure) sont inclus dans la taxe de base de 300 fr.

 

Finalement, le recourant met en évidence à juste titre une inadvertance manifeste des juges cantonaux. En effet, ils ont omis de multiplier le trajet parcouru (12.80 km) par l’indemnité (4 fr. 50 / km). L’indemnité kilométrique s’élève dès lors à 57 fr. 60 (12.80 km x 4 fr. 50 / km) et non pas à 12 fr. 80. Pour le reste, le recourant ne conteste pas le taux d’intérêt fixé à 5% dès le 12.12.2018 par la juridiction cantonale, si bien qu’il n’y a pas lieu d’examiner plus avant ce point.

En conséquence de ce qui précède, le recours doit être partiellement admis, en ce sens que B.__ est condamnée à verser à l’Hôpital A.__ le montant de 1’060 fr. 10, avec intérêts à 5% dès le 12.12.2018 (300 fr. de taxe de base, 57 fr. 60 d’indemnité kilométrique, 210 fr. de frais de personnel, 52 fr. 50 de majoration pour travail de nuit, 140 fr. de forfait d’acheminement SMUR et 300 fr. d’intervention du médecin du SMUR), auquel s’ajoutent les frais de rappel (30 fr.) et de poursuite (73 fr. 30).

 

Le recours de l’Hôpital A.__ (cause 9C_77/2019) est partiellement admis. Le recours de l’OCVS (cause 9C_85/2019) est irrecevable.

 

 

 

Arrêt 9C_77/2019+9C_85/2019 consultable ici