8C_57/2023 (f) du 17.04.2023 – Aptitude au placement d’un assuré suivant une formation universitaire – 8 LACI – 15 LACI / Obligation de diminuer le dommage

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_57/2023 (f) du 17.04.2023

 

Consultable ici

 

Aptitude au placement d’un assuré suivant une formation universitaire / 8 LACI – 15 LACI

Obligation de diminuer le dommage

 

Assuré, né en 1986, a obtenu en juin 2021 un diplôme en enseignement pour le degré secondaire II dans la discipline Philosophie. Le 30.07.2021, il s’est annoncé comme demandeur d’emploi à 100% auprès de l’ORP et a revendiqué les prestations de l’assurance-chômage dès le 01.08.2021. Lors d’un entretien de contrôle du 28.04.2022, il a informé sa conseillère ORP avoir commencé une formation universitaire au mois de mars 2022 dans le but de participer à un programme de rattrapage spécifique à la psychologie afin de pouvoir l’enseigner ensuite dans la cadre de sa profession d’enseignant en philosophie.

Dans le cadre de l’examen de l’aptitude au placement initié par le Service de l’emploi (ci-après: SDE; depuis le 01.07.2022: Direction générale de l’emploi et du marché du travail [ci-après: DGEM]), l’assuré a entre autres expliqué suivre les cours les lundis de 12h 15 à 16h 00, les mardis de 8h 30 à 10h 00, les mercredis de 14h 15 à 16h 00 et les vendredis de 14h 15 à 18h 00. Il a également indiqué qu’il était disponible pour exercer une activité salariée à un taux de 100%, qu’il recherchait des emplois dans le domaine de l’enseignement en philosophie et qu’il renoncerait dans tous les cas à sa formation si un poste d’enseignant de philosophie se présentait ou si une mesure de l’ORP débouchait sur un poste d’enseignant de philosophie ou augmentait son employabilité davantage que la formation effectuée actuellement pour accéder à un poste d’enseignant de philosophie.

Par décision, confirmée sur opposition, le SDE a déclaré l’assuré apte au placement pour une disponibilité de 60% à compter du 21.02.2022, au motif que la formation suivie rendait hypothétique la reprise d’une activité salariée à un taux de 100%.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 135/22 – 188/2022 – consultable ici)

Par jugement du 19.12.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré a droit à l’indemnité de chômage si, entre autres conditions, il est apte au placement (art. 8 al. 1 let. f LACI). Est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire (art. 15 al. 1 LACI). L’aptitude au placement comprend ainsi un élément objectif et un élément subjectif: la capacité de travail d’une part, c’est-à-dire la faculté d’exercer une activité lucrative salariée sans que la personne assurée en soit empêchée pour des causes inhérentes à sa personne, et d’autre part la disposition à accepter un travail convenable au sens de l’art. 16 LACI, ce qui implique non seulement la volonté de prendre un tel travail s’il se présente, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que la personne assurée peut consacrer à un emploi et quant au nombre des employeurs potentiels (ATF 146 V 210 consid. 3.1; 125 V 51 consid. 6a).

L’aptitude au placement est évaluée de manière prospective d’après l’état de fait existant au moment où la décision sur opposition a été rendue (ATF 143 V 168 consid. 2 et les références) et n’est pas sujette à fractionnement. Soit l’aptitude au placement est donnée (en particulier la disposition à accepter un travail au taux d’au moins 20% d’une activité à plein temps, cf. art. 5 OACI), soit elle ne l’est pas (ATF 143 V 168 consid. 2; 136 V 95 consid. 5.1). Lorsqu’un assuré est disposé à n’accepter qu’un travail à temps partiel (d’un taux d’au moins 20%) il convient non pas d’admettre une aptitude au placement partielle pour une perte de travail de 100%, mais, à l’inverse, d’admettre purement et simplement l’aptitude au placement de l’intéressé dans le cadre d’une perte de travail partielle (ATF 145 V 399 consid. 2.2; 136 V 95 consid. 5.1). C’est sous l’angle de la perte de travail à prendre en considération (cf. art. 11 al. 1 LACI) qu’il faut, le cas échéant, tenir compte du fait qu’un assuré au chômage ne peut ou ne veut pas travailler à plein temps (ATF 126 V 124 consid. 2; cf. BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 9 ad art. 11 LACI et n° 5 ad art. 15 LACI).

Consid. 4.2
Lorsqu’un assuré participe à un cours de formation durant la période de chômage (sans que les conditions des art. 59 ss LACI soient réalisées), il doit, pour être reconnu apte au placement, clairement être disposé – et être en mesure de le faire – à y mettre un terme du jour au lendemain afin de pouvoir débuter une nouvelle activité. Cette question doit être examinée selon des critères objectifs. Une simple allégation de l’assuré ne suffit pas à cet effet (ATF 122 V 265 consid. 4; arrêts 8C_742/2019 du 8 mai 2020 consid. 3.4; 8C_56/2019 du 16 mai 2019 consid. 2.2, publié in SVR 2020 ALV n° 5 p. 15). Il faut que la volonté de l’assuré se traduise par des actes, et ce pendant toute la durée du chômage (RUBIN, op. cit., n° 19 ad art. 15 LACI; arrêt 8C_82/2022 du 24 août 2022 consid. 4.1, in SVR 2022 ALV n° 37 p. 127). Pour juger si l’assuré remplit cette condition, il faut examiner toutes les circonstances, notamment le coût de la formation, l’ampleur de celle-ci et le moment de la journée où elle a lieu, la possibilité de remboursement partiel en cas d’interruption de celle-ci, les clauses contractuelles relatives au délai de résiliation (s’il existe un contrat écrit) et le comportement de l’assuré (RUBIN, op. cit., n° 50 ad art. 15 LACI et les références; arrêt 8C_474/2017 du 22 août 2018 consid. 5.2), en particulier s’il poursuit ses recherches d’emploi de manière qualitativement et quantitativement satisfaisante (arrêts 8C_933/2008 du 27 avril 2009 consid. 4.3.2; C 149/00 du 7 février 2001 consid. 2a, in DTA 2001 p. 230).

Consid. 4.3
L’application des dispositions légales et de leur concrétisation jurisprudentielle sur l’aptitude au placement est une question de droit (ATF 146 V 210 consid. 3.3; arrêt 8C_337/2019 du 13 septembre 2019 consid. 3.4). Cette question est examinée sur la base des faits établis par l’autorité précédente, à moins que ces faits aient été établis de façon manifestement inexacte ou en violation du droit au sens de l’art. 95 LTF et que la correction du vice soit susceptible d’influer sur le sort de la cause, ce qu’il appartient à l’assuré de démontrer de manière claire et circonstanciée (cf. consid. 2.1 supra).

Consid. 5.3
Il est notoire qu’en règle générale les taxes d’inscription et taxes semestrielles des universités suisses sont modiques (surtout en comparaison avec celles de certaines universités étrangères), qu’une exmatriculation est en principe possible pour chaque semestre et qu’il n’existe pas d’obligation générale de présence pour tous les cours universitaires. En l’occurrence, la cour cantonale n’a certes pas examiné plus avant s’il en allait ainsi dans le cas d’espèce. Or cette omission n’apparaît pas critiquable au vu des réserves émises par ce dernier concernant les conditions dans lesquelles il serait disposé à renoncer à cette formation, soit qu’un poste d’enseignant de philosophie se présenterait à lui, soit qu’une mesure de l’ORP déboucherait sur un poste d’enseignant de philosophie ou augmenterait son employabilité davantage que la formation actuelle pour accéder à un poste d’enseignant de philosophie. Par ailleurs, l’assuré renforce ces réserves dans son recours: Ainsi, il les qualifie de « parfaitement raisonnables » et indique qu’elles « manifestaient simplement sa volonté de quitter le chômage le plus rapidement possible, de participer aux mesures lui permettant d’augmenter son employabilité de manière au moins aussi bonne que la formation en cours et de respecter son obligation légale de réduire le plus rapidement possible son chômage ».

On rappellera à ce propos que le devoir de diminuer le dommage à l’assurance oblige l’assuré qui fait valoir des prestations d’assurance – entre autres – à chercher du travail, au besoin en dehors de la profession qu’il exerçait précédemment (art. 17 al. 1, 2e phrase LACI), et à accepter en règle générale immédiatement tout travail convenable (art. 16 al. 1 et 2 LACI). Ces obligations ne doivent certes pas être appliquées trop strictement au début de la recherche d’emploi compte tenu de l’art. 16 al. 2 let. b et d LACI (ATF 139 V 524 consid. 2.1.3). Assez rapidement, les recherches d’emploi doivent cependant aussi porter sur d’autres activités que celle exercée précédemment. Cette obligation d’élargir le champ de recherches de travail vaut également pour les personnes actives dans des domaines où le marché du travail est étroit (spécialistes, intermittents du spectacle, sportifs de haut niveau etc.), et ce même si les personnes en question ont investi beaucoup de temps et d’argent dans leur formation (RUBIN, op. cit., n° 27 ad art. 17 LACI).

Consid. 5.4
Vu que l’aptitude au placement doit être évaluée de manière prospective et compte tenu des exigences sévères du devoir de limiter le dommage, on ne voit pas que la cour cantonale soit tombée dans l’arbitraire en déduisant des affirmations de l’assuré, selon lesquelles il était prêt à renoncer à sa formation d’une durée de quatre semestres s’il se présentait un emploi ou une mesure de l’ORP répondant à ses critères spécifiques, qu’il n’aurait pas été prêt à interrompre sa longue formation à bref délai, à l’exception des réserves émises, et qu’il n’était donc disponible qu’à un taux de 60%.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_57/2023 consultable ici

 

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