9C_272/2022 (f) du 20.04.2023 – Surindemnisation – 34a al. 1 LPP – 24 al. 1 OPP 2 / Détermination du revenu exigible comme invalide / Adaptation du gain présumé perdu / Restitution par l’assurée de la prestation de sortie – 3 LFLP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_272/2022 (f) du 20.04.2023

 

Consultable ici

 

Surindemnisation / 34a al. 1 LPP – 24 al. 1 OPP 2

Détermination du revenu exigible comme invalide

Adaptation du gain présumé perdu

Restitution par l’assurée de la prestation de sortie / 3 LFLP

 

Assurée, mariée et mère d’un enfant (né en 2012), a travaillé à plein temps du 01.07.2003 au 31.01.2009. L’assurée a subi plusieurs périodes d’incapacité de travail dès le 04.07.2006, avant d’être en arrêt total de travail dès le 08.03.2007. A la demande de l’employeur, la caisse de prévoyance a indiqué à l’assurée qu’elle n’avait pas droit à une pension d’invalidité de la prévoyance professionnelle (correspondance du 20.06.2008).

En se fondant sur un projet de décision de l’office AI du 15.03.2013, l’assurée a demandé à la caisse de prévoyance un nouvel examen de sa situation le 03.04.2013. Dans une précédente procédure, le tribunal cantonal a accordé à l’assurée – sous réserve d’une éventuelle surindemnisation – une pension d’invalidité statutaire de 100%, une pension d’indexation et une pension supplémentaire d’invalidité pour invalide complet dès le 27.08. 2009, ainsi qu’une pension complémentaire pour enfant d’invalide dès le 01.05.2012. La cour cantonale a par ailleurs invité la caisse de prévoyance à calculer les prestations dues, avec intérêts à 5% l’an dès le 29.08.2014, et dit que le calcul de surindemnisation prendra en compte un éventuel revenu raisonnablement exigible de l’assurée au plus tôt dès le 23.07.2012, dans le sens des considérants.

Le 20.06.2017, la caisse de prévoyance a indiqué à l’assurée qu’elle était en situation de surassurance pour l’année 2009 et les années 2012 à 2017, de sorte qu’après compensation, elle avait droit à un montant de 150’199 fr. 40 (pour la période du 01.09.2009 au 30.06.2017).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/329/2022 – consultable ici)

Par jugement du 12.04.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 34a al. 1 LPP, dans sa version en vigueur du 01.01.2003 au 31.12.2016, le Conseil fédéral édicte des dispositions afin d’empêcher que le cumul de prestations ne procure un avantage injustifié à l’assuré ou à ses survivants. D’après l’art. 24 al. 1 OPP 2, dans sa version en vigueur sur la même période, l’institution de prévoyance peut réduire les prestations d’invalidité et de survivants dans la mesure où, ajoutées à d’autres revenus à prendre en compte, elles dépassent 90% du gain annuel dont on peut présumer que l’intéressé est privé.

Consid. 3.2
L’art. 57 al. 1, 2 et 6 des Statuts de la caisse de prévoyance, dans sa version applicable au moment où se pose pour la première fois la question de la réduction des prestations LPP (août 2009), a la teneur suivante: « 1. En cas d’invalidité ou de décès, dans la mesure où les prestations de la Caisse, ajoutées à d’autres revenus à prendre en compte, dépassent 90% du salaire annuel de base, y compris le 13ème salaire, dont l’intéressé est privé, la Caisse réduit ses prestations. 2. Sont considérées comme des revenus à prendre en compte, les prestations d’un type et d’un but analogues qui sont accordées à l’ayant droit en raison de l’événement dommageable, telles que: a. les rentes ou les prestations en capital prises à leur valeur de rentes selon les bases techniques de la Caisse, provenant d’assurances sociales ou d’institutions de prévoyance suisses et étrangères; b. d’éventuels paiements de salaire de l’employeur ou d’indemnités qui en tiennent lieu; c. le revenu de remplacement ou le revenu de remplacement que l’assuré pourrait encore raisonnablement réaliser.

6. Le montant de la réduction est revu chaque année compte tenu de l’évolution des prestations, de la perte, ou de l’ouverture du droit à une prestation. Le revenu dont on peut supposer que l’assuré est privé et qui a été établi au début du versement des prestations est chaque année adapté à l’indice genevois des prix à la consommation. »

 

Consid. 5.1
Dans un premier grief, l’assurée conteste la manière dont la juridiction cantonale a fixé le revenu qu’elle pourrait encore raisonnablement réaliser. Elle fait valoir que les données statistiques de la table TA1_skill_level de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) sur lesquelles repose le raisonnement des premiers juges ne tiennent pas compte des différences salariales intercantonales et de variables autres que le sexe et le niveau de compétence. Elle affirme que la table TA17 permettrait de mieux tenir compte de son âge ainsi que des salaires « réalisables » dans le canton du Valais, où elle est domiciliée.

Consid. 5.2.1
Il existe entre les premier et deuxième piliers (assurance-invalidité et prévoyance professionnelle) un lien qui permet d’assurer d’une part une coordination matérielle étendue entre ces deux piliers et de libérer d’autre part les caisses de pensions chargées de mettre en application la LPP obligatoire de démarches importantes et coûteuses concernant les conditions, l’étendue et le début du droit aux prestations d’invalidité du deuxième pilier (cf., p. ex., ATF 140 V 399 consid. 5.2.1; 134 V 64 consid. 4.1.3). Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a établi une correspondance ou une équivalence de principe (« Kongruenz » ou « Grundsatz der Kongruenz ») entre d’une part le revenu sans invalidité et le revenu dont on peut présumer que l’intéressé est privé et d’autre part le revenu d’invalide et le revenu que l’assuré pourrait encore raisonnablement réaliser. Les revenus déterminants pour l’assurance-invalidité doivent être pris en considération dans le calcul de la surindemnisation de la prévoyance professionnelle. La correspondance ou l’équivalence entre ces revenus doit cependant être comprise dans le sens d’une présomption (ATF 144 V 166 consid. 3.2.2; 143 V 91 consid. 3.2 et les références) qui, par définition, peut être renversée selon les circonstances (arrêt 9C_853/2018 du 27 mai 2019 consid. 3.3.1 et la référence).

En particulier, dans la procédure de l’assurance-invalidité, les organes d’exécution sont tenus de prendre en considération une mise en valeur réaliste de la capacité de travail résiduelle lors de l’évaluation du revenu avec invalidité. Dans le contexte de la surindemnisation, l’examen de l’institution de prévoyance (ou du juge) n’a plus à porter sur les aspects de l’exigibilité de la capacité résiduelle de travail ou le caractère réaliste de la mise en valeur de celle-ci sur le plan économique. Elle doit se limiter à vérifier, au regard des éléments que fait valoir l’assuré à l’encontre de la présomption d’équivalence, si le marché du travail entrant concrètement en considération pour l’intéressé comprend des postes de travail adaptés à sa situation. Il en découle que l’assuré ne peut pas invoquer, au titre de « circonstances personnelles » dont il y a lieu de tenir compte sous l’angle de l’exigibilité d’un revenu résiduel, des éléments qui ont déjà été pris en considération par les organes de l’assurance-invalidité pour déterminer l’exigibilité de la capacité de travail résiduelle et son étendue (arrêt 9C_346/2021 du 14 mars 2022 consid. 4.3 et les références).

Consid. 5.2.2
Dans le domaine de l’assurance-invalidité, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 de l’ESS, à la ligne « total secteur privé »; on se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la valeur médiane ou centrale (ATF 124 V 321 consid. 3b), étant précisé que, depuis l’ESS 2012, il y a lieu d’appliquer le tableau TA1_skill_ level (ATF 142 V 178). Lorsque les circonstances du cas concret le justifient, on peut s’écarter de la table TA1 pour se référer à la table TA7 (salaire mensuel brut [valeur centrale] selon le domaine d’activité dans les secteurs privé et public ensemble), si cela permet de fixer plus précisément le revenu d’invalide et que le secteur en question est adapté et exigible (arrêt 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.2 et les arrêts cités).

Les tables TA1_tirage_skill_level, T1_tirage_skill_level et T17 des ESS publiées depuis 2012 correspondent respectivement aux tables TA1, T1 et TA7 des ESS publiées jusqu’en 2010 (voir l’Annexe de la lettre circulaire AI n° 328 du 22 octobre 2014).

Consid. 5.3
En l’espèce, comme l’a relevé à juste titre la juridiction cantonale, l’assurée n’expose aucun élément qui justifierait de s’écarter du revenu avec invalidité fixé par l’office AI. Contrairement à ce que soutient l’assurée, le principe constitutionnel de l’égalité de traitement commande tout d’abord de recourir dans le domaine de l’assurance-invalidité aux données statistiques ressortant de l’ESS pour déterminer son revenu avec invalidité, sans tenir compte de données salariales régionales, et à plus forte raison cantonales (arrêts 9C_535/2019 du 31 octobre 2019 consid. 4; 8C_744/2011 du 25 avril 2012 consid. 5.2 et les références, in SVR 2012 UV n° 26 p. 93). Quant au choix de la table applicable, elle ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter de la table TA1_tirage_skill_level (ATF 142 V 178). L’assurée a en effet interrompu les mesures de réadaptation professionnelle mises en place par l’assurance-invalidité et n’a donc pas mené à terme son reclassement. Dans ces circonstances, le salaire de référence était celui auquel pouvaient prétendre les femmes effectuant des tâches physiques ou manuelles simples de la table TA1_tirage_skill_level. Enfin, lorsqu’ils ont déterminé l’activité raisonnablement exigible sur le marché équilibré du travail et le revenu avec invalidité, les organes de l’assurance-invalidité ont déjà tenu compte des circonstances personnelles dont se prévaut l’assurée. En tant que facteur étranger à l’invalidité, il n’y avait pas lieu de tenir compte du fait que l’âge de la personne assurée peut avoir une influence négative sur la recherche d’emploi (arrêt 8C_808/2013 du 14 février 2014 consid. 7.3).

 

Consid. 6.2
Par « gain annuel dont on peut présumer que l’intéressé est privé » (au sens de l’art. 24 al. 1 aOPP 2), il faut entendre le salaire hypothétique que l’assurée réaliserait sans invalidité, au moment où doit s’effectuer le calcul de surindemnisation, soit au moment où se pose la question de la réduction des prestations LPP (ATF 143 V 91 consid. 3.2; 137 V 20 consid. 5.2.3.1). Une fois déterminé, ce revenu n’est réexaminé que s’il existe des raisons suffisantes de penser que la situation s’est modifiée de manière importante au sens de l’art. 24 al. 5 aOPP 2 (ATF 143 V 91 consid. 4.1). Aussi, dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire, l’institution de prévoyance est tenue d’opérer un nouveau calcul, dans la mesure où les bases de calcul de la surindemnisation, dont fait partie le revenu hypothétique réalisable sans invalidité, se modifient de manière importante après la fixation de la rente (ATF 125 V 164 consid. 3b); il y a modification importante s’il en résulte une adaptation des prestations de 10% au moins (ATF 144 V 166 consid. 3.3 et les références).

Pour ce qui est de la prévoyance plus étendue, les institutions de prévoyance sont libres d’adopter un régime de surindemnisation différent de celui de l’OPP 2 (arrêt B 56/98 du 12 novembre 1999 consid. 4a, in SVR 2000 BVG n° 6 p. 31). Elles peuvent édicter des dispositions statutaires ou réglementaires plus restrictives que la loi, en particulier en ce qui concerne la limite de surindemnisation, mais de telles dispositions ne s’appliquent qu’à la prévoyance professionnelle plus étendue (ATF 147 V 146 consid. 5.2.1 et la référence).

Consid. 6.3
En l’espèce, à l’inverse de ce que soutient l’assurée, le droit fédéral ne garantit pas dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire une adaptation automatique du gain annuel dont on peut présumer que l’intéressé est privé à l’évolution des salaires réels (cf. ATF 123 V 193 consid. 5d; MARC HÜRZELER, in Schneider/Geiser/Gächter, LPP et LFLP, 2 e éd. 2020, art. 34a LPP n° 28 et 79; HANS-ULRICH STAUFFER, Berufliche Vorsorge, 3 e éd. 2019, p. 389 n° 1200). Par ailleurs, l’assurée ne prétend pas que le règlement de prévoyance prévoirait une telle adaptation dans le domaine de la prévoyance plus étendue. Au demeurant, comme l’a rappelé à juste titre la juridiction cantonale, l’art. 57 al. 6, 2e phrase, des Statuts prévoit uniquement une adaptation du revenu dont on peut supposer que l’assuré est privé et qui a été établi au début du versement des prestations à l’indice genevois des prix à la consommation. Aussi, en se limitant à renvoyer à la « liste des salaires dont elle aurait bénéficié au fil des ans » et à prétendre que ceux-ci seraient supérieurs au revenu retenu par la juridiction cantonale, l’assurée ne présente aucun montant concret à l’appui de ses allégations. Elle n’établit dès lors pas que son gain annuel se serait modifié de manière importante après la fixation de son droit à une rente de la prévoyance professionnelle pour la période courant à partir d’août 2009 (au sens de l’art. 24 al. 5 aOPP 2), soit qu’il en résulterait une adaptation des prestations de 10% au moins. Mal fondé, le grief doit être rejeté.

 

Consid. 7.2.1
La LFLP réglemente notamment le maintien de la prévoyance professionnelle acquise en cas de libre passage. Selon l’art. 2 al. 1 LFLP, si l’assuré quitte l’institution de prévoyance avant la survenance d’un cas de prévoyance (cas de libre passage), il a droit à une prestation de sortie. Celle-ci est exigible lorsque l’assuré quitte l’institution de prévoyance (art. 2 al. 3 LFLP; ATF 142 V 358 consid. 5.2 et la référence).

Aux termes de l’art. 3 LFLP, si l’assuré entre dans une nouvelle institution de prévoyance, l’ancienne institution de prévoyance doit verser la prestation de sortie à cette nouvelle institution (al. 1). Si l’ancienne institution de prévoyance a l’obligation de verser des prestations pour survivants et des prestations d’invalidité après qu’elle a transféré la prestation de sortie à la nouvelle institution de prévoyance, cette dernière prestation doit lui être restituée dans la mesure où la restitution est nécessaire pour accorder le paiement de prestations d’invalidité ou pour survivants (al. 2). Les prestations pour survivants ou les prestations d’invalidité de l’ancienne institution de prévoyance peuvent être réduites pour autant qu’il n’y ait pas de restitution (al. 3).

Consid. 7.2.2
Selon la jurisprudence, l’art. 3 al. 2 LFLP n’indique pas clairement qui doit restituer la prestation de sortie (ATF 135 V 13 consid. 3.6.3). En principe, la prestation de sortie est restituée par l’institution de prévoyance qui l’a reçue, c’est-à-dire par la nouvelle institution de prévoyance (art. 3 al. 1 LFLP), voire par l’institution supplétive (art. 4 al. 2 LFLP; art. 60 LPP) ou par une institution de libre passage (art. 4 al. 1 LFLP; art. 10 OLP). La restitution peut également être effectuée par d’autres personnes, notamment par l’assuré lui-même (ATF 141 V 197 consid. 5.3 et la référence).

Par ailleurs, l’art. 3 al. 2 LFLP doit être compris en ce sens que l’ancienne institution de prévoyance ne peut ni ne doit imposer la restitution de la prestation de sortie. En revanche, pour autant qu’il n’y ait pas de restitution, l’ancienne institution de prévoyance peut réduire les prestations pour survivants ou les prestations d’invalidité (art. 3 al. 3 LFLP; ATF 141 V 197 consid. 5.3; HERMANN WALSER, LPP et LFLP, op. cit., art. 3 LFLP n° 11; ISABELLE VETTER-SCHREIBER, BVG/FZG Kommentar, Berufliche Vorsorge, 4 e éd. 2021, art. 3 LFLP n° 8).

Consid. 7.3
Conformément au système prévu par l’art. 3 LFLP, la caisse de prévoyance ne pouvait ni ne devait imposer la restitution de la prestation de sortie. Elle était en droit de réduire les prestations d’invalidité au sens de l’art. 3 al. 3 LFLP, pour autant qu’il n’y ait pas de restitution, sans que les délais de prescription, absolu et relatif, de l’art. 35a al. 2 aLPP ne lui soient opposables (BETTINA KAHIL-WOLFF HUMMER, LPP et LFLP, op. cit., art. 35a LPP n° 4). Dans l’ATF 142 V 358 cité par l’assurée, le Tribunal fédéral a précisé que le système prévu par l’art. 3 LFLP constitue une réglementation spéciale (ATF 142 V 358 consid. 5.5). Le grief doit être rejeté, étant précisé qu’en dehors de la question de la prescription, l’assurée ne conteste pas les modalités de la restitution en tant que telles, en particulier le fait que le montant de la prestation de sortie a été déduite des prestations qui lui étaient dues.

 

Consid. 8
En ce qui concerne les prestations à verser pour la période de septembre 2014 à mars 2017, c’est finalement en vain que l’assurée affirme qu’un intérêt moratoire était dû à partir du 01.12.2015 (date moyenne). Selon les constatations cantonales, qui ne sont pas remises en cause, l’assurée n’a pas entrepris les démarches préparatoires en septembre 2017 pour que la caisse de pension lui verse les prestations auxquelles elle avait droit. L’institution de prévoyance a en effet offert à l’assurée de lui verser la somme de 150’199 fr. 40 dès le 20.06.2017, mais l’assurée ne lui a pas communiqué les données nécessaires, notamment ses coordonnées bancaires, afin que le versement puisse être effectué. A défaut d’être en demeure (sur cette notion, ATF 143 II 37 consid. 5.2; 130 V 414 consid. 5.1), la caisse de pension n’avait pas à verser des intérêts moratoires.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_272/2022 consultable ici

 

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