Archives par mot-clé : Revenu d’invalide

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 1e estimation basée sur les données du premier trimestre 2023

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 1e estimation basée sur les données du premier trimestre 2023

 

L’Office fédéral de la statistique (OFS) a publié le 31.05.2023 la 1e estimation basée sur les données du premier trimestre 2023. Le tableau se trouve ici :

  • en français (estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux)
  • en italien (stima trimestrale dell’evoluzione dei salari nominali)
  • en allemand (Quartalschätzungen der Nominallohnentwicklung)

L’estimation de l’évolution des salaires est nécessaire afin d’indexer un revenu (sans invalidité / d’invalide) à 2023 (arrêt du Tribunal fédéral 8C_659/2022+8C_707/2022 du 2 mai 2023 consid. 7.2).

 

9C_272/2022 (f) du 20.04.2023 – Surindemnisation – 34a al. 1 LPP – 24 al. 1 OPP 2 / Détermination du revenu exigible comme invalide / Adaptation du gain présumé perdu / Restitution par l’assurée de la prestation de sortie – 3 LFLP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_272/2022 (f) du 20.04.2023

 

Consultable ici

 

Surindemnisation / 34a al. 1 LPP – 24 al. 1 OPP 2

Détermination du revenu exigible comme invalide

Adaptation du gain présumé perdu

Restitution par l’assurée de la prestation de sortie / 3 LFLP

 

Assurée, mariée et mère d’un enfant (né en 2012), a travaillé à plein temps du 01.07.2003 au 31.01.2009. L’assurée a subi plusieurs périodes d’incapacité de travail dès le 04.07.2006, avant d’être en arrêt total de travail dès le 08.03.2007. A la demande de l’employeur, la caisse de prévoyance a indiqué à l’assurée qu’elle n’avait pas droit à une pension d’invalidité de la prévoyance professionnelle (correspondance du 20.06.2008).

En se fondant sur un projet de décision de l’office AI du 15.03.2013, l’assurée a demandé à la caisse de prévoyance un nouvel examen de sa situation le 03.04.2013. Dans une précédente procédure, le tribunal cantonal a accordé à l’assurée – sous réserve d’une éventuelle surindemnisation – une pension d’invalidité statutaire de 100%, une pension d’indexation et une pension supplémentaire d’invalidité pour invalide complet dès le 27.08. 2009, ainsi qu’une pension complémentaire pour enfant d’invalide dès le 01.05.2012. La cour cantonale a par ailleurs invité la caisse de prévoyance à calculer les prestations dues, avec intérêts à 5% l’an dès le 29.08.2014, et dit que le calcul de surindemnisation prendra en compte un éventuel revenu raisonnablement exigible de l’assurée au plus tôt dès le 23.07.2012, dans le sens des considérants.

Le 20.06.2017, la caisse de prévoyance a indiqué à l’assurée qu’elle était en situation de surassurance pour l’année 2009 et les années 2012 à 2017, de sorte qu’après compensation, elle avait droit à un montant de 150’199 fr. 40 (pour la période du 01.09.2009 au 30.06.2017).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/329/2022 – consultable ici)

Par jugement du 12.04.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 34a al. 1 LPP, dans sa version en vigueur du 01.01.2003 au 31.12.2016, le Conseil fédéral édicte des dispositions afin d’empêcher que le cumul de prestations ne procure un avantage injustifié à l’assuré ou à ses survivants. D’après l’art. 24 al. 1 OPP 2, dans sa version en vigueur sur la même période, l’institution de prévoyance peut réduire les prestations d’invalidité et de survivants dans la mesure où, ajoutées à d’autres revenus à prendre en compte, elles dépassent 90% du gain annuel dont on peut présumer que l’intéressé est privé.

Consid. 3.2
L’art. 57 al. 1, 2 et 6 des Statuts de la caisse de prévoyance, dans sa version applicable au moment où se pose pour la première fois la question de la réduction des prestations LPP (août 2009), a la teneur suivante: « 1. En cas d’invalidité ou de décès, dans la mesure où les prestations de la Caisse, ajoutées à d’autres revenus à prendre en compte, dépassent 90% du salaire annuel de base, y compris le 13ème salaire, dont l’intéressé est privé, la Caisse réduit ses prestations. 2. Sont considérées comme des revenus à prendre en compte, les prestations d’un type et d’un but analogues qui sont accordées à l’ayant droit en raison de l’événement dommageable, telles que: a. les rentes ou les prestations en capital prises à leur valeur de rentes selon les bases techniques de la Caisse, provenant d’assurances sociales ou d’institutions de prévoyance suisses et étrangères; b. d’éventuels paiements de salaire de l’employeur ou d’indemnités qui en tiennent lieu; c. le revenu de remplacement ou le revenu de remplacement que l’assuré pourrait encore raisonnablement réaliser.

6. Le montant de la réduction est revu chaque année compte tenu de l’évolution des prestations, de la perte, ou de l’ouverture du droit à une prestation. Le revenu dont on peut supposer que l’assuré est privé et qui a été établi au début du versement des prestations est chaque année adapté à l’indice genevois des prix à la consommation. »

 

Consid. 5.1
Dans un premier grief, l’assurée conteste la manière dont la juridiction cantonale a fixé le revenu qu’elle pourrait encore raisonnablement réaliser. Elle fait valoir que les données statistiques de la table TA1_skill_level de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) sur lesquelles repose le raisonnement des premiers juges ne tiennent pas compte des différences salariales intercantonales et de variables autres que le sexe et le niveau de compétence. Elle affirme que la table TA17 permettrait de mieux tenir compte de son âge ainsi que des salaires « réalisables » dans le canton du Valais, où elle est domiciliée.

Consid. 5.2.1
Il existe entre les premier et deuxième piliers (assurance-invalidité et prévoyance professionnelle) un lien qui permet d’assurer d’une part une coordination matérielle étendue entre ces deux piliers et de libérer d’autre part les caisses de pensions chargées de mettre en application la LPP obligatoire de démarches importantes et coûteuses concernant les conditions, l’étendue et le début du droit aux prestations d’invalidité du deuxième pilier (cf., p. ex., ATF 140 V 399 consid. 5.2.1; 134 V 64 consid. 4.1.3). Dans ce contexte, le Tribunal fédéral a établi une correspondance ou une équivalence de principe (« Kongruenz » ou « Grundsatz der Kongruenz ») entre d’une part le revenu sans invalidité et le revenu dont on peut présumer que l’intéressé est privé et d’autre part le revenu d’invalide et le revenu que l’assuré pourrait encore raisonnablement réaliser. Les revenus déterminants pour l’assurance-invalidité doivent être pris en considération dans le calcul de la surindemnisation de la prévoyance professionnelle. La correspondance ou l’équivalence entre ces revenus doit cependant être comprise dans le sens d’une présomption (ATF 144 V 166 consid. 3.2.2; 143 V 91 consid. 3.2 et les références) qui, par définition, peut être renversée selon les circonstances (arrêt 9C_853/2018 du 27 mai 2019 consid. 3.3.1 et la référence).

En particulier, dans la procédure de l’assurance-invalidité, les organes d’exécution sont tenus de prendre en considération une mise en valeur réaliste de la capacité de travail résiduelle lors de l’évaluation du revenu avec invalidité. Dans le contexte de la surindemnisation, l’examen de l’institution de prévoyance (ou du juge) n’a plus à porter sur les aspects de l’exigibilité de la capacité résiduelle de travail ou le caractère réaliste de la mise en valeur de celle-ci sur le plan économique. Elle doit se limiter à vérifier, au regard des éléments que fait valoir l’assuré à l’encontre de la présomption d’équivalence, si le marché du travail entrant concrètement en considération pour l’intéressé comprend des postes de travail adaptés à sa situation. Il en découle que l’assuré ne peut pas invoquer, au titre de « circonstances personnelles » dont il y a lieu de tenir compte sous l’angle de l’exigibilité d’un revenu résiduel, des éléments qui ont déjà été pris en considération par les organes de l’assurance-invalidité pour déterminer l’exigibilité de la capacité de travail résiduelle et son étendue (arrêt 9C_346/2021 du 14 mars 2022 consid. 4.3 et les références).

Consid. 5.2.2
Dans le domaine de l’assurance-invalidité, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 de l’ESS, à la ligne « total secteur privé »; on se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la valeur médiane ou centrale (ATF 124 V 321 consid. 3b), étant précisé que, depuis l’ESS 2012, il y a lieu d’appliquer le tableau TA1_skill_ level (ATF 142 V 178). Lorsque les circonstances du cas concret le justifient, on peut s’écarter de la table TA1 pour se référer à la table TA7 (salaire mensuel brut [valeur centrale] selon le domaine d’activité dans les secteurs privé et public ensemble), si cela permet de fixer plus précisément le revenu d’invalide et que le secteur en question est adapté et exigible (arrêt 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.2 et les arrêts cités).

Les tables TA1_tirage_skill_level, T1_tirage_skill_level et T17 des ESS publiées depuis 2012 correspondent respectivement aux tables TA1, T1 et TA7 des ESS publiées jusqu’en 2010 (voir l’Annexe de la lettre circulaire AI n° 328 du 22 octobre 2014).

Consid. 5.3
En l’espèce, comme l’a relevé à juste titre la juridiction cantonale, l’assurée n’expose aucun élément qui justifierait de s’écarter du revenu avec invalidité fixé par l’office AI. Contrairement à ce que soutient l’assurée, le principe constitutionnel de l’égalité de traitement commande tout d’abord de recourir dans le domaine de l’assurance-invalidité aux données statistiques ressortant de l’ESS pour déterminer son revenu avec invalidité, sans tenir compte de données salariales régionales, et à plus forte raison cantonales (arrêts 9C_535/2019 du 31 octobre 2019 consid. 4; 8C_744/2011 du 25 avril 2012 consid. 5.2 et les références, in SVR 2012 UV n° 26 p. 93). Quant au choix de la table applicable, elle ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter de la table TA1_tirage_skill_level (ATF 142 V 178). L’assurée a en effet interrompu les mesures de réadaptation professionnelle mises en place par l’assurance-invalidité et n’a donc pas mené à terme son reclassement. Dans ces circonstances, le salaire de référence était celui auquel pouvaient prétendre les femmes effectuant des tâches physiques ou manuelles simples de la table TA1_tirage_skill_level. Enfin, lorsqu’ils ont déterminé l’activité raisonnablement exigible sur le marché équilibré du travail et le revenu avec invalidité, les organes de l’assurance-invalidité ont déjà tenu compte des circonstances personnelles dont se prévaut l’assurée. En tant que facteur étranger à l’invalidité, il n’y avait pas lieu de tenir compte du fait que l’âge de la personne assurée peut avoir une influence négative sur la recherche d’emploi (arrêt 8C_808/2013 du 14 février 2014 consid. 7.3).

 

Consid. 6.2
Par « gain annuel dont on peut présumer que l’intéressé est privé » (au sens de l’art. 24 al. 1 aOPP 2), il faut entendre le salaire hypothétique que l’assurée réaliserait sans invalidité, au moment où doit s’effectuer le calcul de surindemnisation, soit au moment où se pose la question de la réduction des prestations LPP (ATF 143 V 91 consid. 3.2; 137 V 20 consid. 5.2.3.1). Une fois déterminé, ce revenu n’est réexaminé que s’il existe des raisons suffisantes de penser que la situation s’est modifiée de manière importante au sens de l’art. 24 al. 5 aOPP 2 (ATF 143 V 91 consid. 4.1). Aussi, dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire, l’institution de prévoyance est tenue d’opérer un nouveau calcul, dans la mesure où les bases de calcul de la surindemnisation, dont fait partie le revenu hypothétique réalisable sans invalidité, se modifient de manière importante après la fixation de la rente (ATF 125 V 164 consid. 3b); il y a modification importante s’il en résulte une adaptation des prestations de 10% au moins (ATF 144 V 166 consid. 3.3 et les références).

Pour ce qui est de la prévoyance plus étendue, les institutions de prévoyance sont libres d’adopter un régime de surindemnisation différent de celui de l’OPP 2 (arrêt B 56/98 du 12 novembre 1999 consid. 4a, in SVR 2000 BVG n° 6 p. 31). Elles peuvent édicter des dispositions statutaires ou réglementaires plus restrictives que la loi, en particulier en ce qui concerne la limite de surindemnisation, mais de telles dispositions ne s’appliquent qu’à la prévoyance professionnelle plus étendue (ATF 147 V 146 consid. 5.2.1 et la référence).

Consid. 6.3
En l’espèce, à l’inverse de ce que soutient l’assurée, le droit fédéral ne garantit pas dans le domaine de la prévoyance professionnelle obligatoire une adaptation automatique du gain annuel dont on peut présumer que l’intéressé est privé à l’évolution des salaires réels (cf. ATF 123 V 193 consid. 5d; MARC HÜRZELER, in Schneider/Geiser/Gächter, LPP et LFLP, 2 e éd. 2020, art. 34a LPP n° 28 et 79; HANS-ULRICH STAUFFER, Berufliche Vorsorge, 3 e éd. 2019, p. 389 n° 1200). Par ailleurs, l’assurée ne prétend pas que le règlement de prévoyance prévoirait une telle adaptation dans le domaine de la prévoyance plus étendue. Au demeurant, comme l’a rappelé à juste titre la juridiction cantonale, l’art. 57 al. 6, 2e phrase, des Statuts prévoit uniquement une adaptation du revenu dont on peut supposer que l’assuré est privé et qui a été établi au début du versement des prestations à l’indice genevois des prix à la consommation. Aussi, en se limitant à renvoyer à la « liste des salaires dont elle aurait bénéficié au fil des ans » et à prétendre que ceux-ci seraient supérieurs au revenu retenu par la juridiction cantonale, l’assurée ne présente aucun montant concret à l’appui de ses allégations. Elle n’établit dès lors pas que son gain annuel se serait modifié de manière importante après la fixation de son droit à une rente de la prévoyance professionnelle pour la période courant à partir d’août 2009 (au sens de l’art. 24 al. 5 aOPP 2), soit qu’il en résulterait une adaptation des prestations de 10% au moins. Mal fondé, le grief doit être rejeté.

 

Consid. 7.2.1
La LFLP réglemente notamment le maintien de la prévoyance professionnelle acquise en cas de libre passage. Selon l’art. 2 al. 1 LFLP, si l’assuré quitte l’institution de prévoyance avant la survenance d’un cas de prévoyance (cas de libre passage), il a droit à une prestation de sortie. Celle-ci est exigible lorsque l’assuré quitte l’institution de prévoyance (art. 2 al. 3 LFLP; ATF 142 V 358 consid. 5.2 et la référence).

Aux termes de l’art. 3 LFLP, si l’assuré entre dans une nouvelle institution de prévoyance, l’ancienne institution de prévoyance doit verser la prestation de sortie à cette nouvelle institution (al. 1). Si l’ancienne institution de prévoyance a l’obligation de verser des prestations pour survivants et des prestations d’invalidité après qu’elle a transféré la prestation de sortie à la nouvelle institution de prévoyance, cette dernière prestation doit lui être restituée dans la mesure où la restitution est nécessaire pour accorder le paiement de prestations d’invalidité ou pour survivants (al. 2). Les prestations pour survivants ou les prestations d’invalidité de l’ancienne institution de prévoyance peuvent être réduites pour autant qu’il n’y ait pas de restitution (al. 3).

Consid. 7.2.2
Selon la jurisprudence, l’art. 3 al. 2 LFLP n’indique pas clairement qui doit restituer la prestation de sortie (ATF 135 V 13 consid. 3.6.3). En principe, la prestation de sortie est restituée par l’institution de prévoyance qui l’a reçue, c’est-à-dire par la nouvelle institution de prévoyance (art. 3 al. 1 LFLP), voire par l’institution supplétive (art. 4 al. 2 LFLP; art. 60 LPP) ou par une institution de libre passage (art. 4 al. 1 LFLP; art. 10 OLP). La restitution peut également être effectuée par d’autres personnes, notamment par l’assuré lui-même (ATF 141 V 197 consid. 5.3 et la référence).

Par ailleurs, l’art. 3 al. 2 LFLP doit être compris en ce sens que l’ancienne institution de prévoyance ne peut ni ne doit imposer la restitution de la prestation de sortie. En revanche, pour autant qu’il n’y ait pas de restitution, l’ancienne institution de prévoyance peut réduire les prestations pour survivants ou les prestations d’invalidité (art. 3 al. 3 LFLP; ATF 141 V 197 consid. 5.3; HERMANN WALSER, LPP et LFLP, op. cit., art. 3 LFLP n° 11; ISABELLE VETTER-SCHREIBER, BVG/FZG Kommentar, Berufliche Vorsorge, 4 e éd. 2021, art. 3 LFLP n° 8).

Consid. 7.3
Conformément au système prévu par l’art. 3 LFLP, la caisse de prévoyance ne pouvait ni ne devait imposer la restitution de la prestation de sortie. Elle était en droit de réduire les prestations d’invalidité au sens de l’art. 3 al. 3 LFLP, pour autant qu’il n’y ait pas de restitution, sans que les délais de prescription, absolu et relatif, de l’art. 35a al. 2 aLPP ne lui soient opposables (BETTINA KAHIL-WOLFF HUMMER, LPP et LFLP, op. cit., art. 35a LPP n° 4). Dans l’ATF 142 V 358 cité par l’assurée, le Tribunal fédéral a précisé que le système prévu par l’art. 3 LFLP constitue une réglementation spéciale (ATF 142 V 358 consid. 5.5). Le grief doit être rejeté, étant précisé qu’en dehors de la question de la prescription, l’assurée ne conteste pas les modalités de la restitution en tant que telles, en particulier le fait que le montant de la prestation de sortie a été déduite des prestations qui lui étaient dues.

 

Consid. 8
En ce qui concerne les prestations à verser pour la période de septembre 2014 à mars 2017, c’est finalement en vain que l’assurée affirme qu’un intérêt moratoire était dû à partir du 01.12.2015 (date moyenne). Selon les constatations cantonales, qui ne sont pas remises en cause, l’assurée n’a pas entrepris les démarches préparatoires en septembre 2017 pour que la caisse de pension lui verse les prestations auxquelles elle avait droit. L’institution de prévoyance a en effet offert à l’assurée de lui verser la somme de 150’199 fr. 40 dès le 20.06.2017, mais l’assurée ne lui a pas communiqué les données nécessaires, notamment ses coordonnées bancaires, afin que le versement puisse être effectué. A défaut d’être en demeure (sur cette notion, ATF 143 II 37 consid. 5.2; 130 V 414 consid. 5.1), la caisse de pension n’avait pas à verser des intérêts moratoires.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_272/2022 consultable ici

 

Hausse du nombre d’heures travaillées en 2022 en Suisse – Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique [DNT]

Hausse du nombre d’heures travaillées en 2022 en Suisse – Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique [DNT]

 

Communiqué de presse de l’OFS du 22.05.2023 consultable ici

 

Pour rappel, ces statistiques sont nécessaires pour la détermination des revenus sans et avec invalidité en cas d’utilisation des salaires statistiques (ESS).

 

En 2022, 7,922 milliards d’heures ont été travaillées dans le cadre professionnel en Suisse, soit une augmentation de 1,3% par rapport à l’année précédente. Le niveau d’avant la pandémie a été retrouvé. Entre 2017 et 2022, la durée hebdomadaire effective de travail des salariés à plein temps s’est réduite en moyenne de 59 minutes pour s’établir à 39 heures et 59 minutes, selon les derniers résultats de l’Office fédéral de la statistique (OFS).

Selon la statistique du volume du travail de l’OFS (SVOLTA), le nombre total d’heures travaillées par l’ensemble des personnes actives occupées en Suisse a augmenté de 1,3% entre 2021 et 2022. Le volume d’heures de 2022 a retrouvé son niveau d’avant la pandémie de COVID-19 (+0,2% entre 2019 et 2022).

Entre 2021 et 2022, l’augmentation du volume du travail est due à la hausse du nombre d’emplois (+1,5%), compensée en partie par une baisse de la durée annuelle effective de travail par emploi (-0,2%). Si cette dernière a reculé malgré une forte baisse de la durée des absences due au chômage partiel (2021: 33 heures par emploi; 2022: 2 heures), c’est en raison de la réduction du nombre de jours travaillés (-1,3%; l’année 2022 a vu plus de jours fériés coïncider avec des jours ouvrables et davantage de vacances ont été prises).

 

Recul d’une heure du temps de travail sur cinq ans

Entre 2017 et 2022, la durée hebdomadaire effective de travail des salariés à plein temps (sans les salariés propriétaires de leur entreprise) s’est contractée de 59 minutes à 39 heures et 59 minutes. Ceci s’explique par une diminution de la durée hebdomadaire contractuelle de travail (-10 minutes à 41 heures et 43 minutes), une baisse de la durée hebdomadaire d’heures supplémentaires (-15 minutes à 40 minutes) et une augmentation de la durée hebdomadaire d’absences (+33 minutes à 2 heures et 25 minutes). Sur la même période, le nombre de semaines de vacances est passé de 5,1 à 5,2 semaines par année, soit un gain de 0,2 jour. Les salariés âgés de 20 à 49 ans disposent de 5,0 semaines de vacances, contre 5,4 semaines pour les 15-19 ans et 5,6 semaines pour les 50-64 ans.

 

Secteur primaire: près de 45 heures hebdomadaires

Ce sont les salariés à plein temps du secteur primaire qui ont accompli la charge de travail la plus élevée par semaine (durée effective de 44 heures et 58 minutes). Suivent, dans l’ordre, les branches «activités financières et d’assurances» (41 heures et 23 minutes), «activités spécialisées, scientifiques et techniques» (40 heures et 47 minutes) et «arts, loisirs, ménages privés, autres» (40 heures et 14 minutes). Les durées effectives les moins longues ont été enregistrées dans les branches «immobilier, activités administratives» (39 heures et 19 minutes) et «hébergement et restauration» (39 heures et 23 minutes).

 

Hausse des absences pour raison de santé

Entre 2021 et 2022, la durée moyenne annuelle des absences en raison de santé (maladie/accident) s’est accrue, passant de 53 à 64 heures par emploi. Par contre, la durée annuelle des absences en raison du chômage partiel des salariés a reculé de manière très marquée (de 33 à 2 heures). Les absences en raison d’obligations militaires ou civiles, de congé maternité et pour raisons personnelles ou familiales ont faiblement diminué. Enfin, les absences pour «autre raison» (p.ex. personnes en quarantaine ou restrictions d’activité des indépendants durant la pandémie de COVID-19) ont également baissé, passant de 24 à 17 heures par emploi.

 

Des comparaisons internationales très variées

À des fins de comparaisons internationales, la méthode de calcul de la durée de travail doit être adaptée (cf. annexe méthodologique). Principale adaptation, les personnes absentes toute la semaine sont exclues des calculs, ce qui conduit à une durée de travail bien plus élevée. Ainsi calculée, la durée hebdomadaire effective de travail des salariés à plein temps s’élève en Suisse à 42 heures et 44 minutes, ce qui la positionne en tête des pays de l’UE/AELE devant la Roumanie (40 heures et 3 minutes). La Belgique (36 heures et 27 minutes) et la Finlande (36 heures et 35 minutes) enregistrent la durée la moins élevée. La durée au sein de l’UE s’élevait en moyenne à 38 heures et 20 minutes.

En considérant l’ensemble des actifs occupés, la Suisse (35 heures et 45 minutes) se situe toutefois parmi les pays dont les durées hebdomadaires effectives de travail sont les moins élevées en 2022. Cela s’explique par la forte proportion de personnes occupées à temps partiel. La durée la plus haute et la plus basse ont été enregistrées respectivement en Grèce (39 heures et 41 minutes) et aux Pays-Bas (30 heures et 50 minutes), la moyenne de l’UE s’établissant à 35 heures et 56 minutes.

 

Enfin, en rapportant le volume total d’heures hebdomadaires travaillées à l’ensemble de la population de 15 ans et plus, la Suisse (22 heures et 48 minutes) se situe à nouveau parmi les pays dont les durées hebdomadaires effectives de travail sont les plus élevées. La position de la Suisse s’explique par la part élevée de personnes participant au marché du travail. La durée la plus haute et la plus basse ont été relevées respectivement en Islande (25 heures et 22 minutes) et en Italie (16 heures et 17 minutes). La moyenne de l’UE s’établit à 19 heures et 27 minutes.

 

 

Communiqué de presse de l’OFS du 22.05.2023 consultable ici

Tableau « Durée normale du travail dans les entreprises selon la division économique (NOGA 2008), en heures par semaine » disponible ici

 

8C_580/2022 (f) du 31.03.2023 – Abattement sur le revenu d’invalide ESS – Excès du pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal / IPAI – Rôle du médecin vs tâches de l’administration et du juge – Appréciation médicale n’est pas du ressort des juges

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_580/2022 (f) du 31.03.2023

 

Consultable ici

 

Abattement sur le revenu d’invalide ESS – Excès du pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal / 16 LPGA

IPAI – Rôle du médecin vs tâches de l’administration et du juge – Appréciation médicale n’est pas du ressort des juges / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

 

Assuré, né en 1969, a travaillé à plein temps comme maçon à compter du 06.08.2018. Le 04.10.2018, il a été victime d’une chute alors qu’il transportait des panneaux de coffrage, se blessant au membre inférieur gauche et à l’épaule gauche. Le 18.09.2019, l’assuré s’est blessé à l’épaule droite ensuite d’une chute dans les escaliers de son immeuble. Du 12.02.2020 au 11.03.2020, l’intéressé a séjourné à la Clinique romande de réadaptation (CRR).

Dans son rapport d’examen final du 28.09.2020, le médecin-conseil a estimé que l’assuré disposait d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles (à savoir sans port de charges supérieures à 20 kg, sans port répété de charges supérieures à 10 kg, sans travail avec le membre supérieur gauche au-dessus du plan du thorax avec de façon idéale le coude et l’avant-bras gauche reposant sur un support, sans mouvement de rotation répété du membre supérieur gauche, sans marche en terrain irrégulier, sans déplacement prolongé, sans utilisation d’échelles, sans travail sur les toits ou les échafaudages, sans travail en position accroupie ou à genoux). Ce médecin a évalué l’IPAI à 30% (10% pour l’épaule gauche et 20% pour la cheville gauche).

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité et lui a alloué une IPAI de 30%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 02.09.2022, admission du recours et réformation de la décision sur opposition en ce sens qu’une rente d’invalidité fondée sur un taux de 11% dès le 01.09.2020, ainsi qu’une IPAI de 35%, sont octroyées à l’assuré.

 

TF

Consid. 3.1.4
Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Consid. 3.1.5
Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le tribunal des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 consid. 5.2 et l’arrêt cité).

Consid. 3.2.1
Dans sa décision sur opposition, l’assurance-accidents a fixé le revenu d’invalide sur la base de l’ESS 2018, TA1_tirage_skill_level, niveau de compétence 1, total hommes. Compte tenu d’un abattement de 5% appliqué en raison des limitations fonctionnelles de l’assuré, le revenu d’invalide s’élevait à 65’805 fr. En présence d’un revenu sans invalidité de 69’599 fr., le taux d’invalidité n’était que de 5%.

Consid. 3.2.2
Les juges cantonaux ont retenu que l’assuré présentait des limitations notables des fonctions du membre supérieur gauche, ce qui rendait plus difficile l’exploitation de sa capacité de travail dans des travaux manuels proprement dits, comme ceux prévus au niveau de compétence 1 de l’ESS. Références jurisprudentielles à l’appui, ils ont relevé qu’un abattement de 10 à 15% était en règle générale appliqué lorsque l’assuré était privé de l’usage d’une main, et qu’un abattement de 10% était généralement retenu lorsque celui-ci pouvait exercer certaines activités bimanuelles ponctuelles malgré un usage restreint de la main. Dès lors que les limitations fonctionnelles de l’assuré relatives à son membre supérieur gauche apparaissaient moins graves que celles précitées, un abattement de 10% semblait dans le cas d’espèce quelque peu élevé. Les limitations fonctionnelles touchaient toutefois également le membre inférieur gauche, de sorte qu’un abattement de 10% devait au final être appliqué, ce qui conduisait à un revenu d’invalide de 62’341 fr. 20. Mis en rapport avec le revenu sans invalidité de 69’599 fr., ce revenu d’invalide conduisait à un taux d’invalidité de 10,43%, arrondi par l’instance précédente à 11%.

Consid. 3.2.3
L’assurance-accidents soutient qu’un abattement de 5% prendrait suffisamment en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré. Au demeurant, dans l’hypothèse d’un taux d’invalidité de 10,43%, la cour cantonale aurait dû, selon la jurisprudence (ATF 130 V 121), arrondir ce taux vers le bas et l’arrêter à 10%.

Consid. 3.2.4
Les limitations fonctionnelles de l’assuré ont été prises en considération pour déterminer sa capacité de travail dans une activité adaptée à son état de santé. Par ailleurs, au regard des nombreuses activités que recouvrent les secteurs de la production et des services (ESS 2018, tableau TA1_skill_level, niveau de compétence 1), un nombre suffisant d’entre elles correspondent à des travaux respectant lesdites limitations fonctionnelles, lesquelles n’entravent pas l’usage par l’assuré de ses mains et ne l’empêchent pas de se tenir debout, de se déplacer et d’être en position assise. Or, lorsqu’un nombre suffisant d’activités correspondent à des travaux respectant les limitations fonctionnelles de l’assuré, une déduction supplémentaire sur le salaire statistique ne se justifie en principe pas pour tenir compte des circonstances liées au handicap. En effet, un abattement n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. arrêt 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.1 et l’arrêt cité). Un abattement de 5% prend donc suffisamment en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré.

Consid. 3.2.5
Il s’ensuit que les premiers juges ont opéré à tort un abattement de 10% sur le salaire issu de l’ESS, substituant sans motif pertinent leur propre appréciation à celle de l’assurance-accidents (cf. consid. 3.1.5 supra). S’agissant du revenu d’invalide, le salaire mensuel de référence – part au treizième salaire comprise – pris en compte (ESS 2018, TA1_tirage_skill_level, niveau de compétence 1, total hommes) se monte à 5’417 fr. L’assurance-accidents a correctement adapté ce salaire à la durée normale hebdomadaire du travail en Suisse (41,7 heures) et à l’évolution des salaires nominaux pour les hommes (+ 0,9% en 2019, + 0,8% en 2020 et + 0,5% en 2021). Il en résulte un revenu annuel de 69’268 fr. 17, soit 65’804 fr. 77 avec 5% d’abattement. Comparé au revenu sans invalidité de 69’599 fr., ce revenu d’invalide aboutit à un taux d’invalidité de 5,45%, insuffisant au regard de l’art. 18 al. 1 LAA pour ouvrir le droit à une rente. C’est donc à bon droit que l’assurance-accidents a, par décision sur opposition du 10 août 2021, nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Consid. 4.1.1
Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite d’un accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 25 LAA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est allouée sous forme de prestation en capital (al. 1, première phrase); elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident et elle est échelonnée selon la gravité de l’atteinte à l’intégrité (al. 1, seconde phrase); le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur le calcul de l’indemnité (al. 2).

Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA (art. 36 al. 2 OLAA). Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b, 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_238/2020 du 7 octobre 2020 consid. 3 et l’arrêt cité) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). En cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, dues à un ou plusieurs accidents, l’indemnité est fixée d’après l’ensemble du dommage (art. 36 al. 3, première phrase, OLAA).

Selon l’art. 36 al. 2, première phrase, LAA, les rentes d’invalidité, les indemnités pour atteinte à l’intégrité ainsi que les rentes de survivants sont réduites de manière équitable lorsque l’atteinte à la santé ou le décès ne sont que partiellement imputables à l’accident.

Consid. 4.1.2
Dans le cadre de l’examen du droit à une IPAI, il appartient au médecin – qui dispose des connaissances spécifiques nécessaires – de procéder aux constatations médicales; telle n’est pas la tâche de l’assureur ou du juge, lesquels se limitent à faire une appréciation des indications données par le médecin. Le fait que l’administration et le juge doivent s’en tenir aux constatations médicales du médecin ne change rien au fait que l’évaluation de l’IPAI – en tant que fondement du droit aux prestations légales – est en fin de compte l’affaire de l’administration ou, en cas de litige, du juge, et non celle du médecin. En contrepartie, l’autorité d’application du droit doit à cet égard respecter certaines limites, dans la mesure où des connaissances médicales – dont elle ne dispose pas – revêtent une importance déterminante pour l’évaluation du droit aux prestations. Si, au terme d’une libre appréciation des preuves, elle arrive à la conclusion que les constatations médicales ne sont pas concluantes, il lui appartient en règle générale d’ordonner un complément d’instruction sur le plan médical. Il n’est en revanche pas admissible que le tribunal ne tienne pas compte des éléments pertinents et qu’il fasse prévaloir d’autres considérations sur les constats médicaux (arrêt 8C_68/2021 du 6 mai 2021 consid. 4.3 et les références).

Consid. 4.2.1
En l’espèce, les juges cantonaux ont relevé que le médecin-conseil avait indiqué que le taux de l’IPAI de 20% correspondant aux atteintes de l’épaule gauche devait être réduit de 50% en raison d’importants troubles dégénératifs préexistants. Il ressortait toutefois d’une arthro-IRM pratiquée le 14.01.2019 que l’articulation acromio-claviculaire apparaissait discrètement dégénérative, avec de petites géodes de la partie distale de la clavicule et un discret épanchement intra-articulaire peu significatif. Il en découlait que les troubles dégénératifs préexistants ne pouvaient pas être considérés comme importants, de sorte qu’une réduction du taux de 25% correspondait mieux aux légers troubles dégénératifs préexistants. Le taux de l’IPAI pour l’épaule gauche devait donc être fixé à 15% et non à 10%. En sus du taux de 20% retenu à juste titre par l’assurance-accidents pour la cheville gauche, l’assuré avait ainsi droit à une IPAI de 35%.

 

Consid. 4.2.2
L’assurance-accidents reproche à l’autorité cantonale d’avoir tiré des conclusions qui seraient du ressort des médecins. L’appréciation du médecin-conseil, qui se serait exprimé en connaissance de l’arthro-IRM du 14.01.2019, n’aurait été remise en cause par aucun autre médecin, de sorte qu’il n’y aurait pas lieu de s’écarter des conclusions de son rapport d’estimation de l’IPAI.

Consid. 4.2.3
Dans le rapport précité, le médecin-conseil a fait état d’une limitation des amplitudes articulaires des deux épaules, lesquelles présentaient des troubles dégénératifs préexistants aux accidents de 2018 et 2019. Les troubles de la mobilité de l’épaule droite étaient d’ordre exclusivement dégénératif, alors que l’accident du 04.10.2018 participait partiellement à la diminution des amplitudes articulaires de l’épaule gauche. Côté gauche, l’assuré n’arrivait pas à lever le bras jusqu’à l’horizontale – comme du côté droit -, mais les amplitudes articulaires étaient meilleures qu’avec une épaule rigide en adduction, ce qui correspondait à un taux d’IPAI de 20%. Ce taux devait être réduit de moitié en raison des troubles dégénératifs importants préexistants, compte tenu également du fait que l’assuré présentait des troubles dégénératifs semblables à l’épaule droite sans traumatisme connu, avec des limitations articulaires même plus importantes que celles constatées du côté gauche. Une IPAI de 10% devait ainsi être retenue pour l’épaule gauche.

Consid. 4.2.4
L’appréciation médicale du médecin-conseil, motivée et convaincante, est basée sur un examen complet du dossier. La cour cantonale s’en est (partiellement) écartée en se focalisant sur un extrait du rapport radiologique (arthro-IRM de l’épaule gauche) du 14.01.2019, où il est relevé que « l’articulation acromio-claviculaire apparaît discrètement dégénérative avec de petites géodes de la partie distale de la clavicule et un discret épanchement intra-articulaire, peu significatif ». En estimant eux-mêmes, sur la seule base de ce bref extrait, que le taux de 20% devait être réduit de seulement 25%, les premiers juges se sont livrés à une appréciation médicale qui n’était pas de leur ressort. En cas d’atteinte à la santé causée par un accident ainsi que par un état dégénératif préexistant, il n’appartient en effet pas au juge, mais au médecin, d’évaluer la mesure dans laquelle les troubles dégénératifs influent sur l’atteinte à la santé.

La juridiction cantonale ne pouvait donc pas, comme elle l’a fait, fixer de son propre chef la réduction du taux de l’IPAI à 25%, sans expliquer de surcroît pour quelle raison le constat effectué dans le rapport radiologique du 14.01.2019 devait prévaloir sur les autres éléments au dossier, en particulier les constatations du médecin-conseil. En tout état de cause, un autre avis médical ne se justifiait pas sur la seule base de l’extrait de ce rapport radiologique mis en exergue par la cour cantonale. Le seul fait que l’articulation acromio-claviculaire gauche ait été qualifiée de « discrètement dégénérative » dans ledit rapport – dont le médecin-conseil a tenu compte dans son évaluation du 06.11.2020 – ne suffit pas à faire douter de la pertinence de l’appréciation de ce médecin, dont il n’y a pas lieu de s’écarter. C’est donc en violation du droit que les juges cantonaux ont octroyé à l’assuré une IPAI de 35% en lieu et place d’une IPAI de 30%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_580/2022 consultable ici

 

8C_321/2022 (f) du 10.03.2023 – Revenu d’invalide d’un assuré de 63 ans –Assuré d’âge avancé – 16 LPGA – 28 al. 4 OLAA / Abattement – Excès du pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_321/2022 (f) du 10.03.2023

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide d’un assuré de 63 ans – ESS niv. de compétences 2 – Assuré d’âge avancé / 16 LPGA – 28 al. 4 OLAA

Abattement – Excès du pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal

Long éloignement du marché du travail pas facteur d’abattement

 

Assuré, né en 1957, au bénéfice d’une formation de plâtrier-peintre, a travaillé à son compte au sein de l’entreprise B.__ Sàrl en qualité d’entrepreneur du bâtiment. Le 29.02.2008, il est tombé dans les escaliers et s’est blessé au genou droit. Cet événement a nécessité une arthroscopie du genou droit avec méniscectomie partielle interne ainsi qu’une ablation de kyste arthrosynovial par voie externe. L’assuré a repris le travail dès janvier 2009 à 50%, principalement dans une activité de bureau. Le 12.10.2009, l’assurance-accidents a clos le cas et a octroyé à l’assuré une IPAI de 20%.

Le 25.11.2011, l’assuré a glissé sur un escabeau et a chuté sur son genou droit. L’IRM du 30.11.2011 a mis en évidence une gonarthrose et une contusion des tissus mous sans fracture, qui ont d’abord été traitées conservativement. L’évolution ayant été défavorable, l’assuré a notamment subi par la suite une intervention chirurgicale consistant en la pose d’une prothèse totale du genou droit le 25.05.2016 ainsi qu’un changement de cette prothèse le 25.09.2019.

L’assuré a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité. L’office AI (ci-après : l’OAI) lui a octroyé une mesure de réadaptation sous forme de formation certifiante de gestionnaire de stock, achevée en juin 2015. Par la suite, l’OAI a nié le droit à une rente de l’assurance-invalidité, se fondant sur un taux d’invalidité de 35%.

Le 27.01.2017, l’assuré a chuté dans la rue et est tombé sur son épaule gauche. Cet événement a entrainé une lésion du tendon du sous-scapulaire qui a nécessité une réinsertion chirurgicale le 07.05.2018. Dans son rapport du 27.04.2019, le médecin-conseil a considéré que ce cas était stabilisé et que l’assuré avait une capacité de travail entière, sans baisse de rendement, dans une activité réalisée indifféremment en position assise et debout, avec un port de charges ponctuel limité à 5 kg à gauche, en évitant les mouvements portant en hauteur le membre supérieur gauche ainsi que les mouvements de rotation répétée de l’épaule.

Le 02.06.2020, un second médecin-conseil a procédé à un examen final pour ce qui concerne le genou droit. Il a conclu que le cas serait stabilisé en septembre 2020 et que l’assuré disposait d’une pleine capacité dans une activité adaptée, soit dans un travail totalement sédentaire en position essentiellement assise avec simplement quelques pas de déplacement au sein d’un bureau, sans montée et descente d’escaliers, de piétinement et à fortiori d’échelles. L’atteinte à l’intégrité pour les atteintes au genou et à l’épaule gauche a été estimée à 46%.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a alloué à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 34% à compter du 01.10.2020 ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 46%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/331/2022 – consultable ici)

Par jugement du 12.04.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens que l’assuré avait droit à une rente d’invalidité fondée sur un taux d’invalidité de 45% dès le 01.10.2020.

 

TF

Consid. 4.2
En ce qui concerne l’étendue de l’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 précité consid. 5b/bb; arrêts 8C_175/2020 du 22 septembre 2020 consid. 3.3; 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 8.3.1, in: SVR 2019 UV n° 5 p. 18).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 142 V 178 consid. 2.5.9). En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 135 III 179 consid. 2.1; 130 III 176 consid. 1.2).

Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le tribunal des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 précité consid. 5.2 et l’arrêt cité).

 

Consid. 4.3
On ajoutera par ailleurs que si, en raison de son âge, l’assuré ne reprend pas d’activité lucrative après l’accident ou si la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé, les revenus de l’activité lucrative déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité sont ceux qu’un assuré d’âge moyen dont la santé a subi une atteinte de même gravité pourrait réaliser, selon les termes de l’art. 28 al. 4 OLAA.

Consid. 4.3.1
Cette disposition vise deux situations: Premièrement, elle s’applique si l’assuré, en raison de son âge, ne reprend plus d’activité lucrative après l’accident (variante I). Les conditions de cette variante sont remplis lorsque l’assuré dispose, au terme du traitement médical, d’une capacité de travail résiduelle au moins partielle, mais ne la met plus en valeur à cause de son âge. La deuxième situation est celle où l’atteinte à la capacité de gain a principalement pour origine l’âge avancé de l’assuré (variante II). Cette variante est également applicable lorsque l’âge avancé n’est pas un facteur qui a une incidence sur l’exigibilité, mais qu’il est malgré tout un obstacle à la mise en valeur de la capacité résiduelle de gain, notamment parce qu’aucun employeur n’est disposé à engager un employé présentant des atteintes à la santé pour un laps de temps très court avant l’ouverture de son droit à une rente de l’AVS (ATF 148 V 419 consid. 7.2 et les références).

Consid. 4.3.2
L’assuré qui remplit l’un ou l’autre cas de figure ne touchera alors une rente d’invalidité que dans la mesure où une telle rente serait octroyée dans les mêmes conditions à un assuré d’âge moyen présentant les mêmes capacités professionnelles et les mêmes aptitudes personnelles. Ce système repose sur la considération qu’une même atteinte à la santé peut entraîner chez une personne âgée des répercussions bien plus importantes sur la capacité de gain que chez une personne d’âge moyen pour diverses raisons (difficultés de reclassement ou de reconversion professionnels, diminution des capacités d’adaptation et d’apprentissage), alors que l’âge en tant que tel n’est pas une atteinte à la santé dont l’assureur-accidents doit répondre (ATF 122 V 418 consid. 3a; arrêt 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.1). Il s’agit d’empêcher l’octroi de rentes d’invalidité qui comporteraient, en fait, une composante de prestation de vieillesse, la rente de l’assurance-accidents ayant un caractère viager. L’âge moyen est de 42 ans ou, du moins, se situe entre 40 et 45 ans, tandis que l’âge avancé est d’environ 60 ans; il ne s’agit toutefois que d’un ordre de grandeur et non d’une limite absolue (ATF 122 V 418 consid. 1b; arrêt 8C_205/2016 du 20 juin 2016 consid. 3.4). La comparaison des revenus d’un assuré d’âge moyen comprend aussi bien le revenu sans invalidité que le revenu d’invalide (sur le tout : ATF 148 V 419 consid. 7.2 et les références; arrêt 8C_196/2022 du 20 octobre 2022 consid. 6.2).

Consid. 5.1
Vu l’âge avancé de l’assuré de plus de 63 ans au moment de la naissance du droit à la rente, l’assurance-accidents a appliqué dans sa décision l’art. 28 al. 4 OLAA et a évalué le taux d’invalidité sur la base des revenus que pourrait réaliser un assuré d’âge moyen ayant subi une atteinte à la santé de même gravité. Elle a ainsi retenu un revenu de valide de 98’226 fr. Pour la fixation du revenu d’invalide, elle a pris comme base le niveau de compétence 2 pour un homme de l’ESS 2018 (indexé à 2020 et adapté à l’horaire hebdomadaire normal de travail de la branche économique de 41.7 h), a opéré un abattement de 10% pour tenir compte des limitations fonctionnelles de l’assuré et a ainsi obtenu un gain de 64’752 fr. De la comparaison des deux revenus résultait un taux d’invalidité de 34%. Dans la décision sur opposition, elle a considéré en substance que le taux d’abattement de 10% tenait suffisamment compte des limitations fonctionnelles et de la situation personnelle de l’assuré, un marché du travail équilibré offrant de nombreuses possibilités de mettre en valeur sa capacité de travail résiduelle à un travailleur comme l’assuré, qui disposait d’une expérience et d’une formation qualifiante.

Consid. 5.2.1 à 5.2.3
La cour cantonale a considéré que les limitations fonctionnelles et la situation personnelle de l’assuré auraient des effets pénalisants au niveau salarial aux yeux d’un potentiel employeur. Ce dernier devrait accepter d’engager un homme approchant la retraite, n’ayant plus pu travailler depuis de nombreuses années et n’ayant que peu de formation et d’expérience dans le domaine administratif, étant plâtrier-peintre de formation, ainsi que de nombreuses limitations d’ordre médical. Il se justifiait dès lors de retenir l’abattement maximal de 25%, ce qui menait à un taux d’invalidité de 45%.

 

Consid. 6.1
Par rapport à la question de l’abattement à cause de l’âge, le Tribunal fédéral a retenu dans un arrêt récent qu’un tel abattement ne peut pas être envisagé lorsqu’on est en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA (ATF 148 V 149 consid. 8.5). Comme l’assuré était âgé de plus de 63 ans et se trouvait ainsi à moins de deux ans de l’âge de la retraite AVS au moment déterminant de la naissance du droit à la rente d’invalidité, l’application de l’art. 28 al. 4 OLAA par l’assurance-accidents n’apparaît pas critiquable en l’espèce. Il en résulte, comme on vient de le dire, qu’un abattement à cause de l’âge ne saurait être retenu.

Consid. 6.2
Concernant les éléments d’expérience et de formation professionnelles, l’assurance-accidents reproche implicitement à la cour cantonale d’avoir établi les faits de manière incomplète voire incorrecte. En effet, les juges cantonaux ont retenu que la formation en tant que gestionnaire de stock octroyée par l’OAI n’aurait duré que du 01.05.2015 au 08.08.2015. Toutefois, l’assurance-accidents fait observer à juste titre que cette formation a commencé en 2014 déjà et a fini en juin 2015. Au vu de cette formation, qui se joint à la longue expérience professionnelle acquise par l’activité administrative au sein de sa propre entreprise, un abattement supplémentaire pour manque d’expérience voire de formation professionnelle s’avère injustifié.

Consid. 6.3
Quant au long éloignement du marché du travail qu’évoquent implicitement les juges cantonaux, il ne s’agit pas là d’un facteur d’abattement au sens de la jurisprudence (cf. arrêts 9C_55/2018 du 30 mai 2019 consid. 4.3; 9C_273/2019 du 18 juillet 2019 consid. 6.3; ATF 126 V 75 consid. 5b/aa et bb).

Consid. 6.4
En conclusion, seules les limitations fonctionnelles de l’assuré justifient un abattement. Or, si l’assuré est limité dans les travaux lourds et moyens, il dispose d’une pleine capacité de travail dans les travaux légers ne nécessitant pas beaucoup de déplacements et le port de charges de plus de 5 kg. De telles limitations sont tout à fait compatibles avec une activité dans le domaine administratif, activité dans laquelle l’assuré dispose d’une formation et d’une longue expérience professionnelle. L’abattement de 10% opéré par l’assurance-accidents ne prête ainsi pas le flanc à la critique et c’est à tort que les juges cantonaux, substituant leur propre appréciation à celle de l’assurance-accidents, ont augmenté ce taux à 25%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_321/2022 consultable ici

 

8C_479/2022 (f) du 22.02.2023 – Revenu d’invalide pour un assuré tétraplégique incomplet – 16 LPGA / ESS – Niveau de compétences 4 – Capacité de travail exigible de 60% – Abattement de 5% confirmé par le TF

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_479/2022 (f) du 22.02.2023

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide pour un assuré tétraplégique incomplet / 16 LPGA

ESS – Niveau de compétences 4 – Capacité de travail exigible de 60% – Abattement de 5% confirmé par le TF

 

Assuré, né en 1964, a travaillé à plein temps en tant que directeur régional auprès de B.__ SA (ci-après: B.__) à compter du 01.11.2001. Le 06.04.2011, il a subi une fracture et une luxation cervicales C6-C7. Diagnostics : tétraplégie sensorimotrice incomplète C6, troubles dysautonomiques vésicaux, intestinaux et sexuels, douleurs lombaires chroniques, paralysie récurrentielle droite. L’assuré a repris son travail chez B.__ à 20% le 01.10.2011, augmentant progressivement son taux jusqu’à 60% à partir du 01.10.2014.

Ensuite de la conclusion d’un nouveau contrat de travail avec B.__, l’intéressé a occupé le poste de « Key account manager » à 60% dès le 01.05.2016, jusqu’à son licenciement avec effet au 30.04.2018 pour cause de réorganisation interne. A compter du 07.08.2018, il a travaillé à 60% pour F.__ AG (actuellement G.__ AG), active dans l’immobilier, en qualité de responsable des ventes pour la Suisse romande. Le 01.02.2019, son taux d’activité a été réduit à 20% en raison de difficultés financières de la société. Après la fin de son contrat avec F.__ AG le 31.07.2019, il a été engagé à partir du 01.09.2019 comme secrétaire général par H.__ à un taux de 40%; il était à la recherche d’une activité supplémentaire à 20%.

Par décision du 06.10.2015, confirmée sur opposition le 21.08.2020, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité fondée sur un taux de 40% dès le 01.06.2015 et une IPAI de 60%.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 90/20 – 65/2022 – consultable ici)

Par jugement du 13.06.2022, admission du recours par le tribunal cantonal, réformant la décision sur opposition en ce sens qu’une rente d’invalidité fondée sur des taux de 55% du 01.06.2015 au 30.04.2018 et de 65% dès le 01.05.2018 est allouée à l’assuré. S’agissant de l’lPAI, la décision sur opposition a été annulée et la cause renvoyée à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire et nouvelle décision.

 

TF

Consid. 3.2
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé, soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) (ATF 148 V 174 consid. 6.2; 139 V 592 consid. 2.3; 135 V 297 consid. 5.2). Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, le salaire fixé sur cette base peut à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc).

Consid. 3.3
Aux termes de l’art. 17 al. 1 LPGA (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 et donc applicable ratione temporis au cas d’espèce [cf. ATF 148 V 174 consid. 4.1 et les arrêts cités]), si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée. Dans le domaine de l’assurance-accidents, le caractère notable de la modification est admis lorsque le degré d’invalidité diffère d’au moins de 5% du taux initial (ATF 140 V 85 consid. 4.3; 133 V 545 consid. 6.2).

 

Consid. 4.1
Depuis la dixième édition de l’ESS (ESS 2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession. Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf grands groupes de professions (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.2.3 et les arrêts cités).

Consid. 4.2
Les juges cantonaux ont relevé qu’entre le 01.06.2015 et le 30.04.2016, l’assuré avait conservé son activité de directeur régional auprès de B.__, à un taux de 60%. Le revenu d’invalide pour cette période était donc celui de 86’915 fr. 40 réalisé auprès de cet employeur. Mis en rapport avec le revenu sans invalidité fixé à 191’320 fr., il en résultait un taux d’invalidité de 55%. Constatant que la poursuite par l’assuré de son activité habituelle de direction était incompatible avec son état de santé, les juges cantonaux ont retenu que sa nouvelle fonction de « Key account manager » à 60% auprès de B.__ n’impliquait pas, selon l’employeur, de direction d’équipe, d’effort administratif ou de représentation. Toujours selon l’employeur, l’assuré était en outre moins exposé à la pression et au stress. Le nouveau revenu (d’invalide) réalisé dans la fonction de « Key account manager », par 87’750 fr., aboutissait à un taux d’invalidité de 57%, compte tenu d’un revenu sans invalidité après indexation de 203’889 fr. 56. La différence de 2% ne constituant pas une modification de l’état de fait sensible ou notable au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA, il n’y avait pas lieu de modifier le taux de 55% entre le 01.05.2016 et le 30.04.2018.

La cour cantonale a ensuite constaté que la situation professionnelle de l’assuré avait perdu en stabilité ensuite de son licenciement par B.__ pour le 30.04.2018. Quand bien même sa capacité de travail dans son activité habituelle était toujours de 60%, ses revenus avaient diminué ensuite de son départ de cette société. Il n’était ainsi pas possible de se fonder sur les revenus effectifs – variables et instables – de l’assuré pour calculer le taux d’invalidité. Sa formation et son expérience professionnelle démontraient cependant que la poursuite d’une activité dans son domaine de compétence lui demeurait accessible. Il convenait donc de calculer le revenu d’invalide en se référant aux données de l’ESS. Se basant sur le tableau TA1_skill_level, rubrique 68 (activités immobilières), de l’ESS 2018, les juges cantonaux ont pris en compte le salaire mensuel de référence correspondant au niveau de compétence 4, lequel était en adéquation avec le profil de l’assuré qui exerçait une activité de direction. Il en résultait un revenu d’invalide de 72’871 fr. 72, compte tenu d’un abattement de 5%. Le revenu sans invalidité s’élevant après indexation à 207’775 fr. 70, le taux d’invalidité était de 65%. La rente devait être portée à ce taux à compter du 01.05.2018, la différence de 10% constituant une modification de l’état de fait selon l’art. 17 al. 1 LPGA.

 

Consid. 5.2
Les juges cantonaux ont estimé qu’un abattement de 5% se justifiait à un double titre. Il s’agissait d’une part de tenir compte des empêchements et obstacles liés à la tétraplégie sensorimotrice incomplète, dès lors que le docteur D.__ avait fait état de difficultés dans les déplacements ainsi que de la nécessité d’un accès rapide aux toilettes. D’autre part, le taux d’occupation de 60% pour un poste à responsabilités limitait les possibilités d’emploi, les postes de cadres à des taux inférieurs à 80% étant notoirement inusuels.

Consid. 5.3
L’assuré soutient que la cour cantonale aurait exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit. Un abattement de seulement 5% ne serait pas compatible avec les handicaps résultant de la tétraplégie, les difficultés de déplacement et surtout la nécessité de l’accès aux toilettes n’ayant pas été suffisamment prises en compte. En outre, selon la jurisprudence (cf. arrêt 8C_74/2022 du 22 septembre 2022), une diminution de salaire résultant du seul fait qu’une activité supposée exigible ne peut être exercée qu’à temps partiel justifierait un abattement d’au moins 10%. Un abattement global de 15% serait justifié dans le cas d’espèce.

Consid. 5.4
Les limitations fonctionnelles de l’assuré ont été prises en considération pour déterminer sa capacité de travail dans une activité adaptée à son état de santé. Or, lorsque comme en l’espèce, un nombre suffisant d’activités correspondent à des travaux respectant les limitations fonctionnelles de l’assuré, une déduction supplémentaire sur le salaire statistique ne se justifie en principe pas pour tenir compte des circonstances liées au handicap. En effet, un abattement n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. arrêt 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.1 et l’arrêt cité). Dans l’arrêt 8C_74/2022 invoqué par l’assuré (cf. en particulier les consid. 4.4.1 et 4.4.2), le Tribunal fédéral a retenu que l’activité adaptée exigible de l’assuré (à savoir, en substance, une activité très légère, en position assise, sans nécessité de se pencher en avant, sans rotations fréquentes du rachis et sans maintien forcé de la position des pieds) était caractérisée par d’importantes limitations également dans des emplois non qualifiés incluant des tâches physiques légères; en outre, l’activité adaptée n’était exigible qu’à temps partiel et le poste à temps partiel impliquait statistiquement une baisse de salaire d’en tout cas 4%; en définitive, le cumul de ces facteurs devait conduire à un abattement d’au moins 10%. Dans le cas d’espèce, les limitations fonctionnelles de l’assuré – qui a conservé sa capacité de travail, certes à temps partiel, dans son domaine d’activité habituel – sont sans commune mesure avec celles de l’assuré concerné par l’arrêt précité. Un abattement de 5% prend suffisamment en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré – étant entendu que l’accès à des toilettes ne devrait pas poser problème dans une activité de bureau – ainsi que les désavantages liés à l’exercice d’une activité à 60%.

L’arrêt entrepris échappe ainsi à la critique et le recours, mal fondé, doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_479/2022 consultable ici

 

AI : Amélioration souhaitée de la méthode d’évaluation des revenus à comparer – Proposition d’un abattement forfaitaire de 10%

AI : Amélioration souhaitée de la méthode d’évaluation des revenus à comparer – Proposition d’un abattement forfaitaire de 10%

 

Communiqué de presse du Conseil fédéral du 05.04.2023 consultable ici

 

Pour les assurés dont il est impossible de comparer les revenus effectifs avant et après la survenance de l’invalidité, la méthode d’évaluation du taux d’invalidité doit être améliorée. Lors de sa séance du 05.04.2023, le Conseil fédéral a ouvert la procédure de consultation sur une modification du règlement sur l’assurance-invalidité en ce sens, procédure qui s’achèvera le 05.06.2023. Les revenus hypothétiques employés jusqu’ici, critiqués parce que trop élevés, seraient réduits en appliquant une déduction forfaitaire de 10% pour tenir compte des limitations rencontrées sur le marché du travail par les personnes handicapées. Cette adaptation conduirait à une augmentation des rentes AI. Requise de manière urgente par le Parlement, l’élaboration de nouveaux barèmes salariaux tenant compte de l’invalidité s’avère très longue et compliquée et n’est pour le moment pas réalisable. En revanche, l’adaptation proposée par le Conseil fédéral pourrait entrer en vigueur dès début 2024 avec l’effet escompté.

 

Le taux d’invalidité est déterminant pour le montant d’une rente AI. Il est calculé en comparant le revenu qu’une personne réalisait avant la survenance de l’invalidité avec celui qu’elle réalise une fois invalide. Exprimée en pourcentage, cette différence donne le taux d’invalidité. Si une personne invalide ne réalise pas de revenu, il faut déterminer quel revenu elle serait théoriquement en mesure d’obtenir compte tenu de sa situation. Pour ce faire, on se base sur les données de l’Office fédéral de la statistique (OFS) couvrant de nombreuses professions à différents niveaux de compétence. Ces données reflètent les revenus des personnes sans invalidité, qui ont tendance à être plus élevés que ceux que peuvent obtenir les personnes handicapées.

Or, si la comparaison des revenus est basée sur un revenu hypothétique trop élevé, il en résulte une différence trop faible avec le revenu réalisé avant l’invalidité, et donc un taux d’invalidité trop bas. Ainsi, la rente octroyée est, elle aussi, trop basse ; dans certains cas limites, l’assuré peut même perdre complètement le droit à une rente. La réforme de l’AI entrée en vigueur en 2022 a déjà permis de remédier en partie à ce problème. Afin de le corriger encore mieux, la modification du règlement sur l’assurance-invalidité (RAI) proposée par le Conseil fédéral prévoit que, lors de la comparaison des revenus, une déduction forfaitaire de 10% soit appliquée au revenu hypothétique tiré des données de l’OFS. Ce pourcentage est basé sur une estimation faite dans le cadre d’une étude du bureau BASS en 2021. Ce modèle alternatif permet d’obtenir l’effet souhaité par le Parlement. Il se base sur des méthodes statistiques reconnues, tient compte de l’état actuel de la recherche, est facile à appliquer et pourrait être mis en œuvre dès début 2024 et ne nécessite pas d’adaptations régulières importantes.

 

Les rentes en cours également concernées

Cette méthode s’appliquera à toute nouvelle rente AI octroyée à une personne sans revenu d’invalide. Les rentes en cours, elles, devront être révisées par les offices AI dans un délai de deux ans. Ce changement concerne uniquement les quelque 30’000 bénéficiaires sans revenu qui ne touchent pas actuellement de rente entière (donc, dont le taux d’invalidité est inférieur à 70%).

 

Conséquences financières pour l’AI et les autres assurances sociales

Selon une estimation grossière, le coût supplémentaire attendu pour l’AI s’élève à 85 millions de francs par an. Par ailleurs, un plus grand nombre de personnes dont le taux d’invalidité ne suffit pas pour obtenir une rente auront désormais droit à des mesures de reclassement. Le coût supplémentaire engendré est difficile à estimer de manière fiable.

Pour ce qui est des prestations complémentaires (PC), l’augmentation des rentes AI permettra d’une part de faire des économies. Néanmoins, étant donné qu’un plus grand nombre de personnes auront droit à une rente et donc potentiellement aussi à des PC, ce changement entraînera également des dépenses supplémentaires. Estimé à 23 millions de francs par an, ce coût sera assumé aux 5/8 par la Confédération et aux 3/8 par les cantons. D’après une estimation approximative, le coût supplémentaire pour la prévoyance professionnelle pourrait s’élever à environ 20 millions de francs par an.

 

Modification de l’art. 26bis al. 3 RAI

Une déduction de 10% est opérée sur la valeur statistique visée à l’al. 2. Si, du fait de l’invalidité, l’assuré ne peut travailler qu’avec une capacité fonctionnelle au sens de l’art. 49, al. 1bis, de 50% ou moins, une déduction supplémentaire de 10% est opérée.

 

Rapport explicatif du 5 avril 2023 pour la procédure de consultation

Rapport explicatif du 5 avril 2023 pour la procédure de consultation

Proposition de nouvelle réglementation pour l’évaluation du taux d’invalidité

Afin de déterminer s’il existe un droit à une rente et, si oui, à quel montant elle s’élève, il faut calculer le taux d’invalidité. La notion d’invalidité a un sens économique : elle renvoie au pourcentage de perte de gain subie. Le revenu réalisé avant la survenance de l’invalidité (revenu sans invalidité) est comparé avec celui pouvant encore être perçu avec l’atteinte à la santé (revenu avec invalidité). Lors du calcul du taux d’invalidité, l’AI se base ainsi sur les revenus avec et sans invalidité pour pouvoir déterminer le pourcentage de perte de gain, c’est-à-dire, si possible, sur le revenu effectif réalisé par la personne avant la survenance de l’invalidité et sur celui qu’elle touche dans sa nouvelle activité avec atteinte à la santé. Faute de revenus effectifs, l’AI doit tout de même utiliser des revenus de référence avec et sans invalidité ; elle se fonde alors sur des valeurs statistiques. Elle utilise pour cela l’ESS. Elle en tire le revenu que la personne assurée pourrait toucher dans une activité raisonnablement exigible d’elle sur un marché du travail équilibré, et celui auquel elle aurait pu prétendre compte tenu de sa formation avant d’être atteinte dans sa santé.

Concrètement, cela signifie que les médecins du service médical régional (SMR) compétent pour l’assurance-invalidité doivent procéder à une évaluation complète de la capacité fonctionnelle restante de l’assuré en se basant sur les rapports des médecins traitants, le cas échéant sur leurs propres examens et, au besoin, sur les expertises de médecins spécialistes. Ils prennent pour cela en compte tous les facteurs médicaux limitant la capacité fonctionnelle, mais aussi, depuis le 1er janvier 2022, les limitations dues à l’atteinte à la santé. Autrement dit, toute limitation quantitative ou qualitative due à l’invalidité lors de l’exercice d’une activité lucrative (par ex. le besoin de davantage de pauses, des limites d’effort, un ralentissement en comparaison avec une personne en bonne santé, etc.) est évaluée et consignée. Ainsi, la capacité fonctionnelle est déterminée tant à partir des facteurs médicaux que des limitations qualitatives et quantitatives dues à l’atteinte à la santé ; elle est prise en compte dans le calcul du revenu avec invalidité.

[…]

Il est important de souligner que l’OFS a soumis les données relevées pour les barèmes ESS 2020 à un contrôle de plausibilité amélioré. Ce contrôle a permis d’une part de corriger les valeurs aberrantes telles que celles du secteur des assurances en 2018. D’autre part, il a entraîné la baisse des valeurs médianes du tableau TA1_tirage_skill_level pour le niveau de compétence 1 – qui est aussi le plus utilisé – en 2020 par rapport à 2018. Ainsi, le salaire médian des hommes de niveau de compétence 1 est passé de 5417 francs en 2018 à 5261 francs en 2020. Le salaire médian des femmes, lui, est passé de 4371 francs en 2018 à 4276 francs en 2020. Tous les calculs effectués avec valeurs médianes nouvellement plus basses entraîne d’ores et déjà des taux d’invalidité plus élevés qu’auparavant.

 

Mise en oeuvre

Une modification des dispositions légales se répercute en principe aussi sur les pres-tations en cours, sous réserve de dispositions transitoires contraires (ATF 121 V 157, consid. 4a). Afin de garantir l’égalité de traitement entre tous les assurés, l’adaptation des rentes en cours doit être réglée par une disposition transitoire.

[…]

En principe, il faut s’attendre à ce que la capacité fonctionnelle des assurés soit redéfinie par le SMR dans de nombreux cas et que de nombreux assurés soient soumis à une nouvelle expertise, ce qui augmentera de manière significative le nombre d’expertises et, par conséquent, les délais d’attente. Avec l’augmentation inattendue du nombre de révisions de rentes suite à la motion, un plus grand nombre d’assurés verront leur taux d’invalidité augmenter et passeront donc au système de rentes linéaire plus tôt que ne le prévoyaient les dispositions transitoires du Développement continu de l’AI.

[…]

Les personnes dont la demande de rente a déjà été refusée ne feront pas l’objet d’un examen automatique selon les nouvelles dispositions. Les assurés concernés devront eux-mêmes faire une nouvelle demande qui sera soumise aux dispositions du règlement dans son ensemble.

 

Commentaire de la modification de l’art. 26bis al. 3 RAI

Le revenu avec invalidité (anciennement «revenu d’invalide») est toujours déterminé sur la base des valeurs médianes des barèmes ESS utilisés jusqu’ici ; en revanche, une déduction forfaitaire est opérée sur la valeur statistique ainsi obtenue. Cette déduction vise à compenser le fait qu’il est plus difficile pour une personne atteinte dans sa santé de réaliser un tel revenu. Elle s’élève à 10% pour tous les types d’atteinte à la santé. Cela permet de garantir l’égalité de traitement de tous les assurés, qu’il s’agisse d’hommes ou de femmes et qu’ils soient atteints d’un handicap physique, psychique ou cognitif.

En plus de la déduction forfaitaire en raison de la difficulté de réalisation du revenu découlant les tabelles ESS en raison de l’invalidité, une déduction pour travail à temps partiel continue à être octroyée si l’assuré n’a plus qu’une capacité fonctionnelle de 50% ou moins. Cette déduction est maintenue à 10%, ce qui signifie que dans de tels cas, la déduction totale opérée sur la valeur statistique s’élève à 20%.

 

Conséquence pour la prévoyance professionnelle

Les prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle sont calculées sur la base du taux d’invalidité établi par l’assurance-invalidité. Si les taux d’invalidité calculés par l’AI sont plus élevés, les rentes servies par la prévoyance professionnelle augmenteront en conséquence, ainsi que leur nombre. Il faut cependant rappeler ici que les prestations de la prévoyance professionnelle sont réduites en cas de surindemnisation. En outre, les institutions de prévoyance disposent d’une grande marge de manoeuvre dans la partie surobligatoire et peuvent décider dans quelle mesure elles veulent répercuter dans ce domaine une augmentation du taux d’invalidité qui n’est contraignante que pour le régime obligatoire. Les estimations qui suivent ne donnent donc qu’un ordre de grandeur approximatif du supplément de coût.

Le montant annuel total des rentes d’invalidité versées par la prévoyance professionnelle (régime surobligatoire compris) s’élevait environ à 1,9 million de francs en 2020. Partant de l’hypothèse selon laquelle le taux d’invalidité est basé sur un salaire statistique dans deux tiers des cas, la somme des rentes versées par la prévoyance professionnelle augmenterait d’une valeur estimée à 1.1 % avec une déduction forfaitaire du revenu avec invalidité de 10 %, ce qui correspond à un montant d’environ 20 millions de francs par an.

 

Conséquence pour l’assurance-accidents et l’assurance militaire

Faute d’une norme de délégation suffisante, la nouvelle déduction forfaitaire introduite dans l’assurance-invalidité ne peut pas être déclarée applicable, au niveau d’ordonnance, à l’assurance-accidents et l’assurance militaire. Il reviendra finalement à la jurisprudence de déterminer si, même en l’absence d’une disposition correspondante, la déduction forfaitaire peut également s’appliquer dans l’assurance-accidents et l’assurance militaire.

Lorsqu’il existe une rente de l’assurance-invalidité, l’assurance-accidents ne verse qu’une rente complémentaire. Il en résultera des économies pour l’assurance-accidents si l’assurance-invalidité verse de nouvelles rentes AI ou des rentes plus élevées. Il n’est actuellement pas possible d’estimer le montant des économies qui seront réalisées par l’assurance-accidents.

 

 

Remarques personnelles

Le conseiller fédéral Alain Berset avait déjà évoqué cette possibilité d’un abattement forfaitaire lors de la séance du 14.12.2022 au Conseil national (cf. notre article ici).

Comme le souligne le rapport explicatif du 5 avril 2023 pour la procédure de consultation, la modification est réalisée dans le cadre du RAI, excluant l’assurance-accidents et l’assurance militaire. A la lecture de ce rapport, on peut s’étonner de l’absence de volonté d’une harmonisation de la notion de l’incapacité de gain et de l’invalidité ainsi que de leur calcul. Il aurait été plus judicieux de procéder à une modification dans l’OPGA. Cette situation est inconfortable pour l’ensemble des parties (assurés, avocats, administrations, tribunaux).

 

Communiqué de presse du Conseil fédéral du 05.04.2023 consultable ici  

Migliore confronto dei salari per le persone con invalidità, Comunicato stampa del Consiglio federale, 05.04.2023, disponibile qui

Modifica di ordinanza e rapporto esplicativo per l’indizione della procedura di consultazione

Verbesserter Lohnvergleich für Menschen mit Invalidität, Medienmitteilung des Bundesrats, 05.04.2023, hier verfügbar

Verordnungsänderung und erläuternder Bericht zur Eröffnung des Vernehmlassungsverfahrens

 

 

 

Modifié le 05.04.2023 – 18h20, le rapport explicatif étant désormais disponible

 

9C_641/2021 (f) du 10.11.2022 – Revenu sans invalidité selon T17 au lieu du TA1_skill_level – 16 LPGA / Revenu d’invalide selon le niveau de compétences 2 du TA1_skill_level

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_641/2021 (f) du 10.11.2022

 

Consultable ici

 

Revenu sans invalidité selon T17 au lieu du TA1_skill_level / 16 LPGA

Revenu d’invalide selon le niveau de compétences 2 du TA1_skill_level

 

Assurée, née en 1991, travaillait pour un hôpital à 70% depuis son engagement le 01.03.2015 puis à 50% depuis le 01.01.2017. Elle accomplissait diverses tâches (service à la clientèle, achalandage, nettoyage, réapprovisionnement des stocks, commande, rangement) au sein du restaurant et du kiosque. Invoquant un angiome au bras droit apparu en 2000 et totalement incapacitant dès le 04.01.2017, elle a déposé une demande AI le 05.01.2017.

Expertise pluridisciplinaire (spécialistes en chirurgie orthopédique, neurologie et médecine interne générale) mise en œuvre par l’office AI. Les experts ont diagnostiqué un hémangiome caverneux avec foyer d’hémangio-endothéliome intra-vasculaire végétant de Masson et avec douleurs chroniques localisées à la région trois fois opérée en 2001, 2007 et 2017 de la partie proximale de l’avant-bras droit. D’après eux, l’intéressée pouvait exercer son métier de gestionnaire en intendance à 54% (taux horaire de 60% avec diminution de rendement de 10%) et toute autre activité mieux adaptée à sa situation médicale à 72% (taux horaire de 80% avec diminution de rendement de 10%) sans interruption depuis 2007 hormis durant les périodes d’incapacité totale de travail de trois mois liées aux opérations (rapport d’expertise du 09.12.2019). Le médecin du SMR a déduit des rapports médicaux récoltés qu’à l’exception de la période du 04.01.2017 au 24.11.2017, au cours de laquelle elle avait occasionné une incapacité totale de travail, l’affection en cause avait permis depuis 2007 et permettait encore l’exercice de l’activité habituelle ou d’une activité adaptée aux taux fixés par les experts.

Se fondant sur le rapport de son médecin-conseil, l’office AI a alloué à l’assurée une rente entière d’invalidité du 01.07.2017 au 28.02.2018.

 

Procédure cantonale

Saisie du recours de l’assurée, confirmé après l’annonce d’une possible modification de la décision administrative, la Cour de droit public du Tribunal cantonal de la République et canton de Neuchâtel l’a rejeté. Il a réformé la décision entreprise en ce sens que la demande de prestations présentée par l’intéressée le 5 janvier 2017 était rejetée (arrêt du 29 octobre 2021).

 

Par jugement du 29.10.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal et reformatio in peius (décision réformée en ce sens que la demande de prestations présentée par l’intéressée le 05.01.2017 était rejetée)

 

TF

Consid. 4
Se fondant sur le rapport d’expertise, jugé probant, la juridiction cantonale a constaté que l’assurée avait une capacité de travail de 54% dans l’activité habituelle et de 72% dans une activité adaptée sans interruption depuis 2007 sauf durant les trois mois ayant suivi l’opération du 24.08.2017. Elle a par conséquent considéré que l’office AI avait indûment alloué à l’assurée une rente entière du 01.07.2017 au 28.02.2018. En effet, les conclusions des experts ne permettaient ni de retenir une incapacité totale de travail au moment du dépôt de la demande de prestations le 05.01.2017 ou à l’échéance du délai de carence le 01.07.2017, ni de conclure à une amélioration de la situation à compter du 25.11.2017. Procédant à l’évaluation du taux d’invalidité, elle a comparé un revenu sans invalidité de 54’330 fr. par an (reposant sur l’ESS 2016, Tableau T17, groupe 51, total femmes, tous âges confondus, adapté à l’horaire moyen de la branche et à l’évolution des salaires nominaux pour 2017) à un revenu avec invalidité de 43’697 fr. par an (fondé également sur l’ESS 2016, Tableau TA1_tirage_skill_level, total femmes, niveau de compétence 2, adapté à l’horaire moyen de la branche et à l’évolution des salaires nominaux pour 2017), auquel elle a appliqué un abattement de 15%. Elle a abouti à un degré d’invalidité de 32% insuffisant pour donner droit à une rente. Elle est parvenue à la même conclusion en se référant au niveau de compétence 1 du Tableau TA1_tirage_skill_ level pour déterminer le revenu d’invalide (de 33’537 fr. 25; taux d’invalidité de 38%). Elle a dès lors réformé la décision litigieuse, en ce sens que la demande de l’assurée était rejetée.

 

Consid. 6.2.1
S’agissant d’abord du revenu sans invalidité, l’assurée soutient que le choix du Tableau T17, groupe 51, de l’ESS (« personnel des services directs aux particuliers » en lien avec le chiffre 515 de la Classification internationale des types de professions [CITP-08], qui comprenait les gouvernantes et les concierges en plus des intendants) était arbitraire et réducteur dans la mesure où, avec un CFC, elle aurait pu prétendre un salaire supérieur. Elle considère que la juridiction cantonale n’aurait pas dû s’écarter du choix pertinent de l’office AI qui s’était porté sur la ligne 45-96 (« secteur des services ») ou la ligne 86-88 (« santé humaine et action sociale ») du Tableau TA1_tirage_skill_level.

Consid. 6.2.2
Vu l’apprentissage de gestionnaire en intendance que l’assurée avait entrepris mais n’avait pas pu achever en raison de son handicap, la juridiction cantonale a déterminé le revenu sans invalidité en se référant au Tableau T17 de l’ESS 2016 pour mieux prendre en considération les circonstances du cas particulier conformément à la jurisprudence (cf. arrêt 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.2 et les références). En se limitant à soutenir que le choix du groupe 51 du Tableau T17 par le tribunal cantonal était réducteur, l’assurée ne démontre pas que ce choix était contraire au droit dans la mesure où, selon la CITP-08, le groupe en question contient précisément les professionnels qui exercent le métier qu’elle aurait pu pratiquer sans son invalidité selon la description non contestée qu’en a fait la juridiction cantonale. Le choix de ce groupe était donc plus pertinent que les lignes 45-96 ou 86-88 du Tableau TA1_tirage_skill_level retenu par l’office AI dès lors qu’il permet de déterminer plus exactement le revenu sans invalidité.

 

Consid. 6.3.1
S’agissant ensuite du revenu d’invalide, l’assurée fait valoir qu’il convient de retenir le niveau de compétence 1 du Tableau TA1_tirage_skill_level appliqué par le tribunal cantonal dès lors que le niveau de compétence 2 conduit au constat arbitraire qu’elle serait en mesure de gagner plus en mauvaise santé qu’en bonne santé.

Consid. 6.3.2
Le choix du niveau de compétence applicable est une question de droit que le Tribunal fédéral revoit librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4; 132 V 393 consid. 3.3). Depuis la dixième édition de l’ESS (2012), les emplois sont classés par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. Les critères de base utilisés pour définir le système des différents groupes de profession sont les niveaux et la spécialisation des compétences requis pour effectuer les tâches inhérentes à la profession. Quatre niveaux de compétence ont été définis. Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé. Entre ces deux extrêmes figurent les professions intermédiaires. Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé. Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (cf. arrêt 8C_66/2020 du 14 avril 2020 consid. 4.2.1 et les références). Si l’on peut douter avec l’assurée du choix du niveau de compétence 2 pour déterminer le revenu d’invalide au regard de la jurisprudence à cet égard (cf. arrêts 8C_156/2022 du 29 juin 2022 consid. 7.2; 8C_131/2021 du 2 août 2021 consid. 7.4.1 et les références), la question peut toutefois rester ouverte. En effet, les premiers juges ont également procédé à la comparaison des revenus en se fondant sur le niveau de compétence 1 du Tableau TA1_tirage_skill_level et ont abouti à un taux d’invalidité de 38% n’ouvrant pas le droit à une rente.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_641/2021 consultable ici

 

8C_196/2022 (f) du 20.10.2022 – Prise en compte d’une activité accessoire exigible dans le revenu d’invalide – Total de 50h/sem. – 16 LPGA – LTr / Assuré d’âge avancé – 28 al. 4 OLAA (variante I)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_196/2022 (f) du 20.10.2022

 

Consultable ici

 

Prise en compte d’une activité accessoire exigible dans le revenu d’invalide – Total de 50h/sem. / 16 LPGA – LTr

Assuré d’âge avancé / 28 al. 4 OLAA (variante I)

Pas d’abattement à cause de l’âge avancé en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA

 

Assuré, , né en 1952, a travaillé comme concierge salarié à 100%. En parallèle, il a exercé une activité accessoire de concierge salarié à temps partiel. Le 17.12.2015, il s’est fait renverser par une camionnette en traversant la route sur un passage piéton. L’assuré a subi plusieurs opérations, notamment au genou droit et au niveau de la hanche gauche avec, au final, la mise en place d’une prothèse unicompartimentale du genou droit le 28.09.2017.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une IPAI de 20%; en revanche, elle lui a refusé le droit à une rente d’invalidité au motif que les séquelles accidentelles causales ne réduisaient pas de façon importante sa capacité de gain.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/147/2022 – consultable ici)

Se fondant sur les rapports des médecins-conseil de l’assurance-accidents, la cour cantonale a d’une part retenu une exigibilité de 100% dans toute activité permettant à l’assuré d’alterner les positions debout et assise, respectivement d’éviter le port de charges supérieures à 10 kg, les montées d’escaliers, les déplacements rapides et les positions agenouillées, l’activité antérieure de concierge étant quant à elle exigible à 80%. D’autre part, la cour cantonale a retenu qu’une activité accessoire à « un taux de 21.84% » était exigible en sus de l’activité principale.

Sur ces prémisses, les juges cantonaux ont évalué le taux d’invalidité en prenant en compte, pour l’activité principale, un revenu d’invalide de 67’406 fr. sur la base des données statistiques résultant de l’ESS 2016, en prenant comme salaire de référence celui auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des activités simples et répétitives (niveau de compétence 1) dans le secteur privé (TA1_skill_level, ligne total, adapté à la durée hebdomadaire de 41.7 heures et à l’évolution des salaires jusqu’en 2018). A ce montant de 67’406 fr., ils ont ajouté un montant annuel de 14’722 fr. au titre de gain accessoire, correspondant au taux d’exigibilité de 21.84%. Ils ont ensuite opéré un abattement de 5% pour les limitations fonctionnelles en lien avec la prothèse au genou droit pour aboutir à un revenu avec invalidité de 78’022 fr.

Concernant le revenu sans invalidité, les juges cantonaux ont considéré que c’était en raison de son âge de 66 ans au moment de l’ouverture du droit à la rente que l’assuré n’avait pas repris d’activité lucrative. Ainsi, en application de l’art. 28 al. 4 OLAA, l’assurance-accidents était fondée à fixer le revenu sans invalidité en tenant compte du gain qu’un assuré d’âge moyen aurait pu réaliser, soit 82’355 fr. selon les revenus communiqués par les deux anciens employeurs, ce qui conduisait à un taux d’invalidité de 5% (arrondi). Ils ont toutefois ajouté que même si l’on devait se fonder sur le revenu sans invalidité proposé par l’assuré, soit 84’955 fr., le taux d’invalidité ne s’élèverait qu’à 8% et se révélerait donc également insuffisant pour ouvrir le droit à une rente.

Par jugement du 21.02.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.2
Selon la jurisprudence, le revenu obtenu avant l’atteinte à la santé doit être calculé compte tenu de tous ses éléments constitutifs, y compris de ceux qui proviennent d’une activité accessoire, lorsque l’on peut admettre, au degré de la vraisemblance prépondérante, que l’assuré aurait continué à percevoir de tels revenus sans l’atteinte à la santé. Ceux-ci doivent également être pris en considération dans le revenu d’invalide lorsqu’il est établi que l’assuré est toujours en mesure, sur le plan médical, de réaliser des revenus d’appoint (arrêts 8C_922/2012 du 26 février 2013 consid. 5.2; 8C_671/2010 du 25 février 2011 consid. 4.5 et 5, in: SVR 2011 IV n° 55 p. 163). De même qu’en ce qui concerne l’activité principale, il convient d’examiner sur la base des avis médicaux quelle activité accessoire est exigible au regard de l’état de santé et dans quelle mesure (arrêts 8C_765/2016 du 13 septembre 2017 consid. 4.5, in: SVR 2018 UV n° 12 p. 29; 9C_883/2007 du 18 février 2008 consid. 2.3; U 130/02 du 29 novembre 2002 consid. 3.2.1, in: RAMA 2003 n° U 476 p. 107).

Consid. 5.3
L’assuré soutient que la cour cantonale aurait fait fi des circonstances du cas d’espèce. Ainsi, l’activité de concierge serait très spécifique dès lors qu’en pratique, cette activité consisterait en une mise à disposition du temps de travail plutôt qu’en l’exercice de tâches répétitives durant tout l’horaire de travail. Cela expliquerait qu’il aurait été en mesure, en sus de son horaire habituel de travail à plein temps, de mettre à disposition d’un autre employeur quelques heures supplémentaires; à cela s’ajouterait que le cumul de ces activités n’aurait été possible qu’en raison de la très grande proximité géographique de deux sites. A l’inverse, l’essentiel des activités « simples et répétitives » recensées dans les données statistiques de l’ESS ne présenterait pas les mêmes caractéristiques, requérant un travail effectif durant la totalité de l’horaire de travail, soit plus de 50 heures par semaine, en cumulant par exemple deux activités professionnelles « ordinaires » dans le secteur industriel, ce que l’on ne saurait exiger de lui.

Consid. 5.4
L’assuré ne remet plus en question les appréciations médicales qui lui attestent une capacité de travail sans limitation horaire dans toute activité adaptée et qui constituent le fondement de la constatation de la cour cantonale concernant l’exigibilité médicale d’une activité adaptée à un taux de 121.84%. En tant qu’il fait référence aux particularités de ses activités antérieures, il ne saurait être suivi, vu que les attestations médicales se prononcent sur sa capacité de gain résiduelle après l’accident. Cependant, il fait valoir que ce taux d’activité très élevé de 121.84% correspond à une durée d’activité de plus de 50 heures par semaine. Par conséquent, il se pose la question de savoir (déjà soulevée dans l’arrêt 8C_765/2016 du 13 septembre 2017 consid. 4.6) si une telle activité accessoire était exigible au regard de la législation concernant la durée maximum de travail. L’art. 9 al. 1 LTr dispose que la durée maximale de la semaine de travail est de 45 heures pour les travailleurs occupés dans les entreprises industrielles ainsi que pour le personnel de bureau, le personnel technique et les autres employés, y compris le personnel de vente des grandes entreprises de commerce de détail (let. a) et de 50 heures pour tous les autres travailleurs (let. b). Cette durée maximale inclut d’éventuelles activités accessoires (ROLAND A. MÜLLER/CHRISTIAN MADUZ, ArG Kommentar, Arbeitsgesetz mit weiteren Erlassen im Bereich Arbeitsschutz, 8e éd. 2017, n° 13 ad Vorbemerkungen zu Art. 9-14). La lettre a regroupe le personnel technique et les employés qui sont surtout chargés de tâches dites cérébrales dans les bureaux ou à des postes de travail similaires, tels que guichets, ateliers d’essais, laboratoires, développement de programmes informatiques, services de conseil, pré-print de l’industrie graphique, etc., tandis que tombent sous la notion d’autres travailleurs de la lettre b tous ceux dont la tâche se compose principalement d’activités manuelles telles que l’artisanat, le travail auxiliaire d’ordre manuel ou la vente dans les entreprises comptant moins de 50 travailleurs (Secrétariat d’État à l’économie [SECO], Commentaire de la loi sur le travail et les ordonnances 1 et 2 d’avril 2022, p. 009-2). En admettant un taux maximal pour l’activité accessoire de 20% (menant à un total de 50 heures de travail hebdomadaires), on obtiendrait en l’occurrence un revenu accessoire de 13’481 fr. 70. Toutefois, au vu de ce qui suit, le taux d’invalidité n’atteindrait pas le seuil requis pour ouvrir le droit à une rente d’invalidité de l’assurance-accidents, de sorte que la question soulevée ci-dessus peut être laissée ouverte.

 

Consid. 6.2
Sur la base de la délégation législative de l’art. 18 al. 2 LAA, le Conseil fédéral a édicté l’art. 28 OLAA, qui contient des prescriptions particulières pour l’évaluation de l’invalidité dans des cas spéciaux. L’art. 28 al. 4 OLAA dispose que si, en raison de son âge, l’assuré ne reprend pas d’activité lucrative après l’accident ou si la diminution de la capacité de gain est due essentiellement à son âge avancé, les revenus de l’activité lucrative déterminants pour l’évaluation du degré d’invalidité sont ceux qu’un assuré d’âge moyen dont la santé a subi une atteinte de même gravité pourrait réaliser.

Consid. 6.2.1
Cette disposition vise deux situations: Premièrement, elle s’applique si l’assuré, en raison de son âge, ne reprend plus d’activité lucrative après l’accident (variante I). Les conditions de cette variante sont remplis lorsque l’assuré dispose, au terme du traitement médical, d’une capacité de travail résiduelle au moins partielle, mais ne la met plus en valeur à cause de son âge. C’est notamment le cas si l’assuré atteint l’âge légal de la retraite (arrêts 8C_209/2012 du 12 juillet 2012 consid. 5.3; 8C_452/2011 du 12 mars 2012 consid. 4.1) pendant la période entre l’accident et la fin du traitement médical (THOMAS FLÜCKIGER, in Basler Kommentar, Unfallversicherungsgesetz, 2019, n° 83 ad art. 18 LAA; MARC HÜRZELER/CLAUDIA CADERAS, in: Marc Hürzeler/Ueli Kieser [éd.], Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, UVG, 2018, N. 41 ad art. 18 LAA; les deux avec références). La deuxième situation est celle où l’atteinte à la capacité de gain a principalement pour origine l’âge avancé de l’assuré (variante II). Cette variante est également applicable lorsque l’âge avancé n’est pas un facteur qui a une incidence sur l’exigibilité, mais qu’il est malgré tout un obstacle à la mise en valeur de la capacité résiduelle de gain, notamment parce qu’aucun employeur n’est disposé à engager un employé présentant des atteintes à la santé pour un laps de temps très court avant l’ouverture de son droit à une rente de l’AVS (arrêts 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 7.2; 8C_799/2019 du 17 mars 2020 consid. 3.3.2; 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.2.2; 8C_346/2013 du 10 septembre 2013 consid. 4.2; 8C_806/2012 du 12 février 2013 consid. 5.2.2; HÜRZELER/CADERAS, op. cit., N. 42 ad art. 18 LAA).

Consid. 6.2.2
L’assuré qui remplit l’un ou l’autre cas de figure ne touchera alors une rente d’invalidité que dans la mesure où une telle rente serait octroyée dans les mêmes conditions à un assuré d’âge moyen présentant les mêmes capacités professionnelles et les mêmes aptitudes personnelles. Ce système repose sur la considération qu’une même atteinte à la santé peut entraîner chez une personne âgée des répercussions bien plus importantes sur la capacité de gain que chez une personne d’âge moyen pour diverses raisons (difficultés de reclassement ou de reconversion professionnels, diminution des capacités d’adaptation et d’apprentissage), alors que l’âge en tant que tel n’est pas une atteinte à la santé dont l’assureur-accidents doit répondre (ATF 122 V 418 consid. 3a; arrêt 8C_307/2017 du 26 septembre 2017 consid. 4.1; voir également PETER OMLIN, Die Invalidität in der obligatorischen Unfallversicherung, 1995, p. 235 ss.; ANDRÉ GHÉLEW/OLIVIER RAMELET/JEAN-BABTISTE RITTER, Commentaire de la loi sur l’assurance-accidents [LAA], 1992, p. 103). Il s’agit d’empêcher l’octroi de rentes d’invalidité qui comporteraient, en fait, une composante de prestation de vieillesse (cf. OMLIN, op. cit., p. 249 avec les références). On rappellera que les rentes ont un caractère viager (cf. toutefois le nouvel art. 20 al. 2ter LAA, en vigueur depuis le 1er janvier 2017; cf. consid. 8.4 infra). L’âge moyen est de 42 ans ou, du moins, se situe entre 40 et 45 ans, tandis que l’âge avancé est d’environ 60 ans; il ne s’agit toutefois que d’un ordre de grandeur et non d’une limite absolue (ATF 122 V 418 consid. 1b; arrêts 8C_205/2016 du 20 juin 2016 consid. 3.4; U 106/89 du 13 août 1990 consid. 4d et e, in: RAMA 1990 n° U 115 p. 389). La comparaison des revenus d’un assuré d’âge moyen comprend aussi bien le revenu sans invalidité que le revenu d’invalide (ATF 114 V 310 consid. 2 in fine; arrêt 8C_554/2017 du 4 juillet 2018 consid. 3.3.1; OMLIN, op. cit., p. 256; voir également arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 7.2).

Consid. 6.3
L’assuré soutient pour l’essentiel qu’il n’aurait pas repris le travail à cause de la longue période de convalescence (avec plusieurs interventions chirurgicales) après l’accident, qui n’était pas encore terminée au moment où il avait atteint l’âge de la retraite. Le fait de n’avoir pas repris une activité professionnelle après l’accident serait ainsi dû, de toute évidence, aux suites de l’accident et à ses lésions, et non à son âge. Ce point de vue ne saurait toutefois être suivi. En effet, on est en l’espèce en présence d’un cas d’application de la variante I décrite ci-dessus, vu que la capacité résiduelle de gain de l’assuré dans une activité adaptée est entière, qu’il avait atteint l’âge de la retraite avant le moment de la naissance du droit à la rente et qu’il n’exerce plus d’activité lucrative. L’assuré ne peut rien déduire de l’arrêt 8C_205/2016 du 20 juin 2016 qu’il invoque, car il y avait été examiné uniquement la présence éventuelle d’une faiblesse physiologique due à l’âge limitant la capacité de travail (cf. consid. 3.4 de l’arrêt mentionné; cf. également arrêt 8C_517/2016 du 8 mai 2017 consid. 5), ce qui tombe sous la variante II. C’est donc à juste titre que la cour cantonale a appliqué l’art. 28 al. 4 OLAA et a fixé le revenu sans invalidité sur la base du gain qu’un assuré d’âge moyen aurait pu réaliser, soit 82’355 fr.

 

Consid. 7.2.1
Le revenu d’invalide doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. En l’absence d’un revenu effectivement réalisé – soit lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible -, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’ESS. Aux fins de déterminer le revenu d’invalide, les salaires fixés sur la base des données statistiques de l’ESS peuvent à certaines conditions faire l’objet d’un abattement de 25% au plus (ATF 129 V 472 consid. 4.2.3; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Une telle déduction ne doit pas être opérée automatiquement, mais seulement lorsqu’il existe des indices qu’en raison d’un ou de plusieurs facteurs, l’intéressé ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 146 V 16 consid. 4.1; 126 V 75 consid. 5b/aa).

Consid. 7.2.2
Selon la jurisprudence, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 135 V 297 consid. 5.2; 134 V 322 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 précité consid. 5b/bb; arrêts 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 8.3.1; 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 3.1).

Consid. 7.3
Une réduction au titre du handicap dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées et n’entre en considération que si, sur un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. arrêts 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.1; 8C_659/2021 du 17 février 2022 consid. 4.3.1; 8C_118/2021 du 21 décembre 2021 consid. 6.3.1). Contrairement à ce que soutient l’assuré, la cour cantonale n’a pas uniquement évoqué la possibilité d’alternance des positions sous le titre de limitations fonctionnelles, mais elle a également retenu qu’il ne pouvait mettre au profit sa capacité résiduelle de travail que dans des activités légères, essentiellement sédentaires. Le fait qu’elle n’a pas répété la description détaillée des activités légères exigibles (c’est-à-dire qu’il doit éviter le port des charges supérieures à 10 kg, les montées d’escaliers, les déplacements rapides et les positions agenouillées) n’est pas pertinent et ne permet pas de conclure que le raisonnement des juges cantonaux concernant l’abattement en lien avec les limitations fonctionnelles serait contraire au droit.

Consid. 7.4
Par rapport à la question de l’abattement à cause de l’âge, le Tribunal fédéral a retenu dans un arrêt récent que l’art. 28 al. 4 OLAA commande, pour atteindre son objectif, qu’on calcule le taux d’invalidité sur la base des revenus (sans et avec invalidité) hypothétiques que pourrait obtenir un assuré d’âge moyen, et que – contrairement à l’art. 16 LPGA – l’on fasse ainsi abstraction de l’incapacité de travail due à l’âge avancé de l’assuré (arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 7.2 et 8.5; cf. ATF 114 V 310 consid. 3b; arrêt U 60/87 du 12 avril 1988 consid. 2; OMLIN, op. cit., p. 255 et 257; consid. 6.2 supra). Or, dès lors que l’on doit s’appuyer sur les valeurs salariales d’un assuré d’âge moyen, une influence pénalisante de l’âge avancé sur le salaire ne peut par définition pas entrer en ligne de compte. Il s’ensuit qu’un abattement à cause de l’âge avancé d’un assuré ne peut pas être envisagé lorsqu’on est en présence d’un cas d’application de l’art. 28 al. 4 OLAA (arrêt 8C_716/2021 du 12 octobre 2022 consid. 8.5), comme c’est le cas en l’espèce. Pour cette raison, la cour cantonale était fondée à ne pas prendre en compte le facteur de l’âge avancé de l’assuré dans la fixation de l’étendue de l’abattement.

Consid. 7.5
Finalement, l’assuré invoque son manque de formation et d’expérience professionnelle ainsi que – ayant exercé depuis des années une simple activité de concierge – un manque de polyvalence et d’adaptabilité. A ce propos, on rappellera que, selon la jurisprudence, l’absence de formation et d’expérience ne joue en règle générale pas de rôle lorsque le revenu d’invalide est déterminé en référence au salaire statistique auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des activités simples et répétitives du niveau de compétence 1, comme c’est le cas en l’espèce. En effet, ce niveau de compétence de l’ESS concerne une catégorie d’emplois ne nécessitant ni formation ni expérience professionnelle spécifique (cf. arrêts 8C_118/2021 du 21 décembre 2021 consid. 6.3.2; 8C_175/2020 du 22 septembre 2020 consid. 4.2).

Consid. 7.6
Eu égard à l’ensemble de ces circonstances, la juridiction cantonale n’a pas excédé son pouvoir d’appréciation en confirmant l’abattement de 5% appliqué par l’assurance-accidents.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_196/2022 consultable ici

 

8C_156/2022 (d) du 29.06.2022 – Revenu d’invalide selon ESS – un assuré titulaire d’un CFC ne justifie pas automatique le niveau de compétences 2 de la ligne Total – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_156/2022 (d) du 29.06.2022

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Revenu d’invalide selon ESS – un assuré titulaire d’un CFC ne justifie pas automatique le niveau de compétences 2 de la ligne Total / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1966, installateur sanitaire, s’est blessé au genou gauche les 28.01.1989 et 19.02.1989, subissant une rupture du LCA. Plusieurs interventions chirurgicales ont eu lieu jusqu’en 1991. En novembre 2009, une première rechute a été annoncée à l’assurance-accidents et a donné lieu à un traitement conservateur.

Une nouvelle rechute est annoncée le 14.11.2018. Les 18.12.2018 et 05.05.2020, l’assuré a été opéré du genou gauche. Par décision du 21.10.2020, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité à compter du 01.10.2020 fondée sur un taux d’invalidité de 20% et une IPAI de 25%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 31.01.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal concernant l’IPAI (renvoi à l’assurance-accidents) et a rejeté le recours pour le surplus.

 

TF

Consid. 6.1
Lorsque la personne assurée, après la survenance de l’atteinte à la santé, n’a pas repris d’activité lucrative ou alors aucune activité normalement exigible, le revenu d’invalide peut être évalué sur la base de salaires fondés sur les données statistiques résultant de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ATF 148 V 174 consid. 6.2 ; 143 V 295 consid. 2.2). En règle générale, la ligne Total est appliquée. Dans la pratique, la comparaison des revenus effectuée à l’aide de l’ESS doit se baser sur le groupe de tableaux A (salaires bruts standardisés), en se référant généralement au tableau TA1_tirage_skill_level, secteur privé. Ce principe n’est toutefois pas absolu, mais connaît des exceptions.

Conformément à la jurisprudence, il peut être tout à fait justifié de se baser sur le tableau TA7 ou T17 (à partir de 2012) si cela permet de fixer plus précisément le revenu d’invalide et si le secteur public est également ouvert à la personne assurée. Lors de l’utilisation des salaires bruts standardisés, il convient, selon la jurisprudence, de partir à chaque fois de la valeur dite centrale (médiane) (ATF 148 V 174 consid. 6.2 ; 126 V 75 consid. 3b/bb). Cet arrêt s’applique également au domaine de l’assurance-accidents (arrêt 8C_541/2021 du 18 mai 2022 consid. 5.2.1).

L’application correcte des données statistiques de l’ESS, notamment le choix de la table et du niveau de compétences applicable, est une question de droit que le Tribunal fédéral peut examiner librement, sans limitation de son pouvoir de cognition (ATF 143 V 295 consid. 2.4).

Consid. 6.2
Si le revenu d’invalide est déterminé sur la base de données statistiques, comme notamment l’ESS, la valeur de départ ainsi fixée doit, selon la jurisprudence actuelle, être éventuellement réduite. Il s’agit ainsi de tenir compte du fait que des caractéristiques personnelles et professionnelles telles que les limitations liées au handicap, l’âge, les années de service, la nationalité ou la catégorie d’autorisation de séjour et le taux d’occupation peuvent avoir des répercussions sur le montant du salaire et que, selon les caractéristiques, la personne assurée ne peut mettre en valeur sa capacité résiduelle de travail sur le marché du travail équilibré qu’avec un résultat économique inférieur à la moyenne. Une telle déduction ne doit pas être opérée automatiquement. Elle doit être évaluée globalement, en tenant compte des circonstances du cas d’espèce et selon une appréciation conforme au devoir, et ne doit pas dépasser 25%. La jurisprudence actuelle accorde notamment un abattement sur le revenu d’invalide lorsqu’une personne assurée est limitée dans ses capacités, même dans le cadre d’une activité non qualifiée physiquement légère. D’éventuelles limitations liées à la santé déjà comprises dans l’évaluation médicale de la capacité de travail ne doivent pas être prises en compte une seconde fois dans l’appréciation de l’abattement, conduisant sinon à une double prise en compte du même facteur (ATF 148 V 174 consid. 6.3 ; 146 V 16 consid. 4.1).

Sur le plan procédural, le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral ; en revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif («Ermessensüberschreitung») ou négatif («Ermessensunterschreitung») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé («Ermessensmissbrauch»)

 

Consid. 7.1
L’instance cantonale a considéré que l’assurance-accidents s’était basée sur la valeur centrale (médiane) des salaires mensuels bruts de la main-d’œuvre masculine dans le secteur privé pour des activités de niveau de compétences 2 selon le tableau TA1 de l’ESS 2018, total de toutes les branches économiques, soit CHF 5’649. Elle a converti ce salaire, basé sur une semaine de 40 heures, en un temps de travail hebdomadaire moyen de 41,7 heures et l’a adapté à l’indexation jusqu’en 2020. Elle a en outre procédé à un abattement de 10% en raison des limitations fonctionnelles. Sur l’année (x 12) et en tenant compte du taux d’activité exigible de 100%, le revenu d’invalide a été fixé à CHF 64’688. Le niveau de compétences 1, le plus bas, comprend des « tâches physiques ou manuelles simples », le niveau 2, immédiatement supérieur, des « tâches pratiques telles que la vente/les soins/le traitement de données et les tâches administratives/l’utilisation de machines et d’appareils électroniques/les services de sécurité/la conduite de véhicules ». L’assuré possède un CFC d’installateur sanitaire et d’une longue expérience dans ce métier. Certes, il ne peut plus l’exercer en raison de son état de santé. On ne comprend toutefois pas pourquoi, en tant que professionnel expérimenté, il ne pourrait pas exercer les activités pratiques décrites dans le niveau de compétence 2. Pour ce large éventail d’activités entrant en ligne de compte, il n’est pas nécessaire d’avoir des capacités et des connaissances particulières ou une formation complémentaire, ni d’avoir exercé des activités dans l’administration ou dans des fonctions de direction ou de formation. Ensuite, le fait d’avoir obtenu un CFC justifierait tout à fait la conclusion de ressources intellectuelles supérieures à celles d’une personne qui, faute de formation professionnelle, n’entrerait en ligne de compte que pour des activités simples au sens du niveau de compétences 1. De plus, les limitations dues à l’accident ne sont pas telles que l’assuré ne puisse pas exercer les activités pratiques du niveau de compétences 2.

Consid. 7.2
Si, après la survenance de l’invalidité, la personne assurée ne peut pas exercer son activité professionnelle habituelle, l’utilisation du niveau de compétences 2 de l’ESS ne se justifie, selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, que si elle dispose de compétences et de connaissances particulières (cf. entre autres : arrêts 8C_250/2021 du 31 mars 2022 consid. 4.2.1 et les références ; 8C_276/2021 du 2 novembre 2021 consid. 5.4.1 et les références).

Consid. 7.3
Le 18 juillet 2019, l’assuré a indiqué à l’assurance-accidents qu’il avait achevé avec succès son apprentissage de trois ans d’installateur sanitaire. Après avoir travaillé quelques années dans cette profession pour différentes entreprises, il serait entré en 1993 dans celle de son frère. Hormis la rédaction de ses rapports et de quelques commandes, il n’a effectué aucun travail administratif. Il n’aurait travaillé que manuellement en tant qu’installateur sanitaire. Ces informations ne sont pas remises en cause par les parties.

Les aptitudes et connaissances particulières exigées par la jurisprudence, qui justifieraient l’application du niveau de compétences 2 de l’ESS, ne sont donc pas démontrées. Le fait que l’assuré ait par exemple une expérience de direction ou qu’il ait exercé avec succès une activité indépendante, ce qui plaiderait en faveur de l’application du niveau de compétences 2, n’est pas établi (cf. arrêt 8C_737/2020 du 23 juillet 2021 consid. 5.2 et la référence). On ne sait rien d’éventuelles formations continues supplémentaires ou d’autres qualifications particulières acquises durant l’exercice de la profession. Par conséquent, la longue expérience professionnelle de l’assuré ne saurait justifier à elle seule le classement dans le niveau de compétences 2 (arrêt 8C_728/2016 du 21 décembre 2016 consid. 3.3). Dans l’ensemble, il n’est pas suffisamment démontré qu’il serait en mesure de travailler de manière profitable dans différents domaines d’activité en dehors du métier d’installateur sanitaire qu’il a appris (cf. arrêt 8C_737/2020 du 23 juillet 2021 consid. 5.2).

Dans ces circonstances, il convient d’admettre avec l’assuré que l’instance cantonale a violé le droit fédéral en se basant sur le niveau de compétences 2 de l’ESS au lieu du niveau 1 pour déterminer son revenu d’invalide. Il se justifie au contraire de se fonder sur le niveau de compétence 1 de l’ESS.

 

Consid. 8
Selon le tableau TA1_tirage_skill_level de l’ESS 2018, valeur centrale des salaires mensuels bruts des hommes dans le domaine « Total » du secteur privé, niveau de compétence 1 (activités simples de nature physique ou artisanale), le revenu mensuel brut s’élevait à CHF 5’417 pour un temps de travail hebdomadaire de 40 heures. Avec un temps de travail habituel dans l’entreprise de 41,7 heures par semaine dans le « Total » (Office fédéral de la statistique, tableau T03.02.03.01.04.01, Temps de travail habituel dans l’entreprise par division économique, en heures par semaine) et adapté à l’évolution des salaires nominaux dans le secteur économique « Total » (en 2018, 101.5 points, 2020 103.2 points ; Office fédéral de la statistique, tableau T1.1.15, indice des salaires nominaux, hommes, 2016-2020), il en résulte pour l’année 2020 un revenu d’invalide de CHF 5’742 par mois ou de CHF 68’904 par an.

L’instance cantonale a appliqué sur ce salaire statistique un abattement de 10% en raison des limitations fonctionnelles, ce qui n’est pas contesté. Il en résulte un revenu d’invalide de CHF 62’014. La comparaison avec le revenu sans invalidité – non contesté – de CHF 81’341 en 2020 aboutit à un degré d’invalidité arrondi à 24% (pour l’arrondi, cf. ATF 130 V 121), resp. le droit à une rente d’invalidité correspondante.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_156/2022 consultable ici

 

 

Proposition de citation : 8C_156/2022 (d) du 29.06.2022, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/02/8c_156-2022)