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4A_463/2015 (f) du 17.03.2016 – Responsabilité civile du propriétaire d’ouvrage – 58 CO – Plaque de glace sur un parking

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_463/2015 (f) du 17.03.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/1SDBWiB

 

Responsabilité civile du propriétaire d’ouvrage – 58 CO

Plaque de glace sur un parking

 

Le matin du vendredi 12.12.2008, le lésé, né en 1946, s’est rendu avec sa voiture à Z.________ (VD) où se tient le jour en question un marché. Il a garé son véhicule entre 7 h. et 7 h.15 sur le parking public du centre-ville, dont la Commune de Z.________ est propriétaire. En sortant de sa voiture, il a chuté sur une plaque de glace, ce qui a provoqué une flexion forcée et brutale de son genou droit, entraînant une rupture complète du tendon rotulien.

Il a été retenu que le 12.12.2008, il n’y avait pas de neige sur le parking, ni sur la chaussée, ni sur les accotements. Il y avait de la glace à certains endroits, qui n’était pas visible à l’heure de l’accident en raison de la nuit. La commune dispose d’un service de piquet durant toute l’année, 24 heures sur 24, prêt à réagir rapidement en cas de mauvaises conditions météorologiques. La décision de saler la ville appartient à la personne qui est de piquet.

Le 12.12.2008, l’employé au service de voirie de la commune a, ce jour-là, commencé le salage du parking du centre-ville à 6 h.35 étant donné qu’il s’agissait d’un jour de marché. Il a ainsi salé manuellement environ deux poignées par mètre carré, durant une trentaine de minutes. A 8 h. un salage mécanique a eu lieu. Le jour en question, il n’a pas effectué le salage sur tout le parking, en particulier sur les places de parc déjà occupées par les véhicules. Il avait salé seulement « un peu » entre les voitures, car « c’est trop serré pour saler partout », et il y a un risque de rayer les automobiles parquées avec le bidon contenant le sel.

 

Procédure cantonale (arrêt 188 – HC / 2015 / 473  – consultable ici : http://bit.ly/1r90rd0)

Par arrêt du 22.04.2015, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal vaudois a intégralement rejeté les conclusions de la demande. Elle a retenu que la Commune avait pris des mesures de sécurité pour l’entretien en saison hivernale du parking extérieur sur lequel le demandeur a glissé. Le salage manuel opéré permettait de parer aux conséquences prévisibles de la situation hivernale qui régnait le 12.12.2008. La pose d’un panneau d’avertissement, voire l’interdiction de l’accès au parking, ne se serait imposée que si la Commune avait un intérêt personnel à l’usage du parking par des tiers ou si un état de danger particulier avait existé (rupture d’une conduite, fort gel pendant plusieurs nuits consécutives).

 

TF

Responsabilité civile selon 58 CO

A teneur de l’art. 58 al. 1 CO, le propriétaire d’un bâtiment ou de tout autre ouvrage répond du dommage causé par des vices de construction ou le défaut d’entretien. Selon la jurisprudence, pour déterminer si un ouvrage est affecté d’un vice de construction initial ou d’un défaut subséquent d’entretien, il sied de prendre en compte le but qui lui est assigné. Un ouvrage est défectueux lorsqu’il n’offre pas de sécurité suffisante pour l’usage auquel il est destiné (ATF 130 III 736 consid. 1.3 p. 741 s.).

Une limite à l’obligation de sécurisation qui incombe au propriétaire d’un ouvrage réside dans la responsabilité propre dont doit faire preuve l’usager. Le propriétaire n’est pas tenu de parer à tous les dangers. Il peut laisser de côté les risques dont les utilisateurs de l’ouvrage ou les personnes qui entrent en contact avec celui-ci peuvent se protéger avec un minimum d’attention (ATF 130 III 736 consid. 1.3 p. 742; 123 III 306 consid. 3b/aa p. 311). Si les exigences de sécurité sont accrues pour le propriétaire de bâtiments publics ou de bâtiments privés accessibles au public (ATF 118 II 36 consid. 4a p. 38), un réseau routier, du fait de son étendue, ne peut pas être contrôlé dans la même mesure qu’un seul bâtiment (ATF 98 II 40 consid. 2 p. 43).

Une autre limite au devoir de sécurisation du propriétaire résulte du caractère raisonnablement exigible des mesures à prendre. Il faut examiner si l’élimination d’éventuels défauts ou la prise de mesures de sécurité est techniquement possible et si les dépenses ainsi engendrées demeurent dans un rapport raisonnable avec l’intérêt de protection des usagers et le but de l’ouvrage (ATF 130 III 736 ibidem).

La diligence requise du propriétaire s’apprécie concrètement, le juge devant tenir compte de toutes les circonstances du cas (FRANZ WERRO, La responsabilité civile, 2e éd. 2011, ch. 751 p. 216).

La preuve de l’existence d’un vice de construction ou d’un défaut d’entretien incombe à celui qui se prévaut de l’art. 58 CO (art. 8 CC; ATF 123 III 306 consid. 3b/aa p. 311 et l’arrêt cité).

 

A propos des accidents dus au verglas

Il ne peut pas être déduit de l’obligation d’entretien qui incombe à la collectivité un devoir général de prévenir immédiatement la présence de glace en procédant au salage de toutes les voies et de tous les espaces publics (ATF 129 III 65 consid. 1.2 p. 67; ROLAND BREHM, Berner Kommentar, 4e éd. 2013, n° 211 ad art. 58 CO; WERRO, op. cit., ch. 777 p. 224). On ne peut raisonnablement exiger de la collectivité publique qu’à défaut de disposer de suffisamment d’équipes d’entretien en hiver, elle bloque la circulation sur toutes les routes où du sel n’a pas pu être épandu (BREHM, op. cit., n° 212 in fine ad art. 58 CO).

 

Notion d’ouvrage d’un parking

Un parking constitue un ouvrage au sens de l’art. 58 CO (cf., implicitement, arrêt 4C.150/2003 du 1er octobre 2003 consid. 4; BREHM, op. cit., n° 162 ad art. 58 CO).

 

In casu

La Commune a à sa disposition toute l’année un service de piquet, prêt à intervenir à toute heure lorsqu’il y a de mauvaises conditions météorologiques.

Aux premières heures du 12.12.2008, de la glace est apparue sur le parking du centre-ville. La Commune n’est pas restée inactive devant le danger provoqué par le verglas, dès l’instant où un employé de son service de voirie a procédé au salage manuel du parking à 6 h.35, soit avant l’ouverture officielle du marché à 7 h.30. Cet employé a salé à la main environ deux poignées par mètre carré, durant une trentaine de minutes. Certes, il a reconnu qu’il n’a pas été en mesure d’épandre du sel sur tout le parking, notamment sur les places qui étaient occupées par des véhicules, et qu’il a salé seulement « un peu » sur les espaces entre deux véhicules, de crainte de rayer leur carrosserie avec le bidon contenant le sel.

Le Tribunal fédéral a jugé, dans l’arrêt 4A_114/2014 du 18 août 2014 consid. 7 in fine, qu’un lieu de circulation, pour être ouvert au public, n’a pas besoin de bénéficier d’une absolue sécurité contre le verglas vingt-quatre heures sur vingt-quatre.

Il suit de là qu’aucun défaut d’entretien au sens de l’art. 58 CO ne peut être reproché à la Commune.

 

Le TF rejette le recours du lésé.

 

 

Arrêt 4A_463/2015 consultable ici : http://bit.ly/1SDBWiB

 

 

4A_329/2012 + 4A_333/2012 (f) du 04.12.2012 – Responsabilité de l’établissement hospitalier / Responsabilité médical – Responsabilité de droit public 61 CO – LREC (RS/GE A 2.40) – Examen de l’arbitraire dans le cas de l’erreur médicale – 9 Cst.

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_329/2012 + 4A_333/2012 (f) du 04.12.2012

 

Consultable ici : http://bit.ly/23U0bOd

 

Responsabilité de l’établissement hospitalier / Responsabilité médical

Responsabilité de droit public 61 CO – LREC (RS/GE A 2.40)

Examen de l’arbitraire dans le cas de l’erreur médicale – 9 Cst.

 

Faits

Afin d’exclure ou de confirmer une suspicion d’une tumeur, X., né le 9 septembre 1949, a été adressé en novembre 1998 aux HUG. Il a été décidé de procéder à une biopsie, c’est-à-dire au prélèvement d’un fragment de tissu en vue de son examen.

Première biopsie, de la 9ème côte gauche, réalisée par le chirurgien thoracique A., des HUG. L’analyse du fragment prélevé n’a pas révélé la présence d’un cancer. Trois jours après cette biopsie, soit le 19 novembre 1998, X. s’est plaint de douleurs au bras gauche.

Après divers examens, il s’est révélé que la zone suspecte ne se trouvait, en réalité, non pas sur la 9ème côte gauche, mais sur la 10ème côte. Une nouvelle biopsie a été effectuée, cette fois sur la 10ème côte, le 30 novembre 1998. L’analyse du fragment prélevé a permis d’exclure une pathologie cancéreuse.

Les douleurs ressenties par X. à son bras gauche ont persisté. Selon un certificat établi par son médecin traitant le 19 janvier 2007, ce bras est non fonctionnel. Ce médecin a déclaré que la possibilité d’utiliser ce bras est limitée à environ 5% et que seul le suivi physiothérapeutique permet d’espérer le maintien de cette faculté.

Responsabilité des HUG admise par jugement du 22 septembre 2011 du Tribunal de première instance, puis confirmée par arrêt du 27 avril 2012 de la Cour de justice.

 

Droit applicable – Droit public cantonal – Responsabilité pour faute

Les cantons sont donc libres de soumettre au droit public cantonal la responsabilité du personnel médical travaillant dans un hôpital public pour le dommage ou le tort moral qu’il cause dans l’exercice de sa charge (ATF 133 III 462 consid. 2.1 p. 465).

Le canton de Genève a fait usage de cette possibilité. La loi genevoise du 24 février 1989 sur la responsabilité de l’Etat et des communes (LREC; RS/GE A 2 40), applicable aux HUG en vertu de l’art. 5 al. 2 de la loi genevoise du 19 septembre 1980 sur les établissements publics médicaux (LEPM; RS/GE K 2 05), prévoit que les corporations et établissements de droit public dotés de la personnalité juridique répondent du dommage résultant pour les tiers d’actes illicites commis soit intentionnellement, soit par négligence ou imprudence par leurs fonctionnaires ou agents dans l’exercice de leur travail (art. 2 al. 1 et 9); contrairement à d’autres cantons, tels Fribourg (ATF 133 III 462 consid. 4.1) et Neuchâtel (arrêt 4P.283/2004 du 12 avril 2005 consid. 4.1 publié in RDAF 2005 I p. 375), elle n’institue pas une responsabilité de type objectif ou causal, mais une responsabilité pour faute, ce qui implique la réalisation des quatre conditions cumulatives suivantes: un acte illicite commis par un agent ou un fonctionnaire, une faute de la part de celui-ci, un dommage subi par un tiers et un lien de causalité (naturelle et adéquate entre l’acte illicite et le dommage) (arrêt 4A_315/2011 du 25 octobre 2011 consid. 2.1).

Ces conditions correspondent à celles qui figurent à l’art. 41 CO. Cependant, l’art. 6 LREC précise que le droit civil fédéral est appliqué ici à titre de droit cantonal supplétif. Par conséquent, le Tribunal fédéral ne peut en contrôler l’application que sous l’angle restreint de l’arbitraire ou d’autres droits constitutionnels, en fonction des seuls griefs invoqués et motivés (art. 106 al. 2 LTF; arrêt 4A_315/2011 déjà cité consid. 2.1; arrêt 4A_679/2010 du 11 avril 2011 consid. 3).

 

Pouvoir d’examen du TF

L’art. 8 CC (qui ne concerne que les prétentions fondées sur le droit fédéral: ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 24; 127 III 519 consid. 2a p. 522), les art. 41, 42, 44 et 46 CO, tous invoqués par les parties, ne sont pas applicables en tant que droit fédéral. Ils ne peuvent être invoqués qu’en tant que règle de droit cantonal supplétif. Comme le recours en matière civile n’est pas ouvert pour violation du droit cantonal (art. 95 et 96 LTF), les parties ne peuvent s’en plaindre qu’en invoquant la violation d’un droit constitutionnel; or, le seul droit constitutionnel qui puisse entrer en considération en l’espèce est l’interdiction de l’arbitraire fondée sur l’art. 9 Cst. (arrêt 4P.265/2002 du 28 avril 2003 consid. 2.1 et 2.2).

 

Examen de l’arbitraire – 9 Cst. – dans le cas de l’erreur médicale

Il a été constaté en fait que la première biopsie (après laquelle le patient s’est plaint pour la première fois d’avoir mal au bras gauche) était inutile, parce que la zone suspecte se trouvait sur la dixième côte, et non sur la neuvième.

Le chirurgien a admis qu’il y avait eu une « erreur ». Il n’y a rien d’arbitraire à croire le chirurgien qui a pratiqué l’intervention lorsqu’il admet qu’il y a eu une erreur. Il a été constaté que les foyers hypercaptants au niveau des huitième et dixième côtes étaient déjà visibles sur la scintigraphie alors disponible. Ainsi, soit la scintigraphie disponible n’avait pas été étudiée avec une attention suffisante, soit les examens préalables nécessaires n’avaient pas été pratiqués pour en comprendre avec précision la portée. La cour cantonale, sur ces bases, n’est pas tombée dans l’arbitraire en retenant que l’acte illicite était fautif.

Selon le rapport d’expertise, les complications présentées par le patient sont déclenchées, dans 13% des cas, par une opération chirurgicale. Certes, ce pourcentage ne permet pas à lui seul d’établir un rapport de causalité naturelle. Néanmoins, il a été établi que le patient s’est plaint pour la première fois de douleurs dans le bras gauche trois jours après cette intervention. La coïncidence de dates liée au fait qu’une opération chirurgicale est une cause connue pour de telles complications a permis à la cour cantonale de se convaincre que la biopsie était bien la cause de ces complications. On ne voit pas que ce raisonnement puisse être qualifié d’arbitraire.

Rien ne permet d’affirmer que si la biopsie avait porté immédiatement sur la côte exacte (la dixième), les complications seraient apparues de toute manière. En effet, la seconde biopsie, portant sur la dixième côte, n’a eu aucun effet sur le bras du patient.

Une intervention chirurgicale était propre, d’après l’expérience médicale, à entraîner des complications du genre de celles qui se sont produites.

Ainsi, la cour cantonale n’a pas apprécié les preuves de manière arbitraire en retenant que la causalité naturelle était établie et elle n’a pas violé arbitrairement le droit cantonal en concluant qu’il y avait eu un acte illicite et fautif qui avait causé de manière adéquate la perte d’usage du bras gauche dont se plaint le patient.

Dommages-intérêts, en ce qui concerne la franchise et la quote-part 10% de la caisse-maladie – faits pas allégués pendant la procédure cantonale

Les HUG soutiennent que le patient aurait dû de toute manière assumer la franchise de la caisse-maladie et la quote-part de 10% jusqu’à concurrence d’un plafond en raison d’autres frais médicaux indépendants des faits de la cause. L’hôpital public voudrait tirer profit du fait que le patient était malade par ailleurs, afin d’appliquer la franchise et la quote-part de 10% sur les autres frais médicaux assumés par le patient.

Le TF n’est pas entré en matière au sujet de ce grief (art. 99 al. 1 LTF), ces éléments ne ressortant pas des constatations cantonales qui lient le Tribunal fédéral (art. 105 al. 1 LTF).

 

 

Arrêt 4A_329/2012 + 4A_333/2012 consultable ici : http://bit.ly/23U0bOd

 

 

4A_399/2012 (f) du 03.12.2012 – Acte illicite – 41 CO / Rappel de la notion du dommage et de sa preuve – 8 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_399/2012 (f) du 03.12.2012

 

Consultable ici : http://bit.ly/1T9S1xx

 

Acte illicite – 41 CO

Rappel de la notion du dommage et de sa preuve – 8 CC

 

Faits

H.Z. était directeur de X SA, société anonyme ayant son siège à Genève et pour but social d’effectuer toutes sortes d’opérations financières, en particulier procéder à des transactions, vendre, acheter et gérer des titres, prêter ses services et donner des consultations. Il en était également, par société interposée, l’actionnaire unique, sous réserve d’une action détenue par l’avocat B., qui avait la qualité d’administrateur.

H.Z. est décédé le 7 avril 2007.

Examinant les comptes à la suite de ce décès, C., propriétaire économique de X SA, a considéré que H.Z. avait commis des malversations au préjudice de la société depuis 1997. Il lui reproche d’avoir mis à la charge de la société des dépenses qui n’étaient pas justifiées par l’activité sociale.

Par jugement du 31 octobre 2011, le Tribunal de première instance a débouté X SA de toutes ses conclusions avec suite de dépens.

Saisie d’un appel, la Cour de justice, par arrêt du 25 mai 2012, a confirmé le jugement attaqué avec suite de frais et dépens.

 

Dommage et sa preuve

Au sens juridique, le dommage est une diminution involontaire de la fortune nette (ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p. 471; 132 III 186 consid. 8.1 p. 205, 321 consid. 2.2.1 p. 323, 359 consid. 4 p. 366, 564 consid. 6.2 p. 575). Le dommage correspond à la différence entre le montant actuel du patrimoine du lésé et le montant qu’aurait ce même patrimoine si l’événement dommageable ne s’était pas produit (ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p. 471; 132 III 186 consid. 8.1 p. 205, 321 consid. 2.2.1 p. 324, 359 consid. 4 p. 366, 564 consid. 6.2 p. 575 s.). Il peut se présenter sous la forme d’une diminution de l’actif, d’une augmentation du passif, d’une non-augmentation de l’actif ou d’une non-diminution du passif (ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p. 471; 129 III 18 consid. 2.4 p. 23).

Savoir s’il y a eu un dommage et quel en est la quotité est une question de fait (ATF 132 III 564 consid. 6.2 p. 576; 129 III 8 consid. 2.4 p. 23).

En conséquence, il appartient à la partie demanderesse d’alléguer et de prouver les faits permettant de constater le dommage (art. 8 CC; art. 42 al. 1 CO; ATF 136 III 322 consid. 3.4.2 p. 328).

Lorsqu’une preuve stricte est impossible ou lorsque le montant du dommage ne peut pas être établi de manière précise, le juge statue en équité en se fondant sur l’art. 42 al. 2 CO; pour que cette disposition soit applicable, il faut que la partie qui avait le fardeau de la preuve ait apporté tous les éléments que l’on pouvait attendre d’elle et que le juge puisse se convaincre qu’un dommage est effectivement survenu (cf. ATF 133 III 462 consid. 4.4.2 p. 471; 132 III 379 consid. 3.1 p. 381).

En l’absence d’une disposition spéciale instituant une présomption, l’art. 8 CC répartit le fardeau de la preuve pour toutes les prétentions fondées sur le droit fédéral et détermine, sur cette base, laquelle des parties doit assumer les conséquences de l’échec de la preuve (ATF 129 III 18 consid. 2.6 p. 24; 127 III 519 consid. 2a p. 522). Il en résulte que la partie demanderesse doit prouver les faits qui fondent sa prétention, tandis que sa partie adverse doit prouver les faits qui entraînent l’extinction ou la perte du droit (ATF 130 III 321 consid. 3.1 p. 323). L’art. 8 CC ne prescrit cependant pas comment les preuves doivent être appréciées et sur quelles bases le juge peut forger sa conviction (ATF 128 III 22 consid. 2d; 127 III 248 consid. 3a p. 253).

 

TF

La cour cantonale n’a pas violé l’art. 8 CC en considérant qu’il incombait à la recourante, en sa qualité de partie demanderesse, de prouver la survenance d’un dommage, qui est un élément nécessaire pour que sa créance en dommages-intérêts existe. Ce principe est expressément rappelé à l’art. 42 al. 1 CO, qui est également applicable dans le domaine contractuel (art. 99 al. 3 CO). Contrairement à ce que soutient la recourante, elle n’est au bénéfice d’aucune présomption. Il lui appartenait donc de prouver que ses actifs avaient diminué ou que son passif avait augmenté.

 

 

Arrêt 4A_399/2012 consultable ici : http://bit.ly/1T9S1xx

 

 

4A_696/2012 (f) du 19.02.2013 – Responsabilité civile du médecin chirurgien – 398 CO / Règles de l’art médical et « échappée instrumentale » – Violation des règles de l’art niée

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_696/2012 (f) du 19.02.2013

 

Consultable ici : http://bit.ly/1Xf2RkU

 

Responsabilité civile du médecin chirurgien – 398 CO

Règles de l’art médical et « échappée instrumentale » – Violation des règles de l’art niée

Dommage suite au déplacement incontrôlé et imprévu d’une broche

 

Faits

X., 30 ans, a subi le 1er avril 1998 un accident professionnel. Diagnostic : distorsion du genou droit entraînant des douleurs et une sensation d’instabilité. Le docteur Y., spécialiste en chirurgie orthopédique, lui a proposé une ligamentoplastie comportant le prélèvement d’un greffon et sa fixation dans l’articulation. Il lui a signalé que l’opération devrait être suivie d’une rééducation, que le port d’une attelle serait nécessaire durant quarante-cinq jours et que des douleurs se prolongeraient durant environ un an à l’endroit du prélèvement. En rapport avec l’intervention chirurgicale, il a mentionné les risques habituels d’infection, d’hémorragie et de thrombose.

Assisté d’un autre médecin, le docteur Y. a exécuté l’opération le 18 septembre 1998. Elle comportait notamment le percement d’un tunnel à travers l’os, destiné au passage du greffon. Les instruments comprenaient une tarière et sa broche de guidage. Selon le rapport opératoire du docteur Y., une « échappée instrumentale » s’est produite pendant le percement : la tarière a exercé une poussée sur la broche au lieu de coulisser correctement; la broche a quitté sa position et elle est sortie de la jambe du patient là où le chirurgien la tenait, provoquant une blessure à son doigt. Il a décidé de terminer rapidement l’intervention en fixant le greffon d’une manière différente de celle initialement prévue. Il a ensuite constaté que la jambe paraissait n’être plus irriguée au-dessous du genou. De fait, l’artère fémorale était lésée; le docteur Z., spécialiste en chirurgie cardiaque et vasculaire, a alors effectué en urgence une longue intervention destinée à réparer cette lésion.

L’intervention du spécialiste en chirurgie cardiaque et vasculaire a réussi en ce sens que le patient ne présente pas d’insuffisance artérielle ni veineuse résiduelle. En revanche, la ligamentoplastie du docteur Y. n’a pas apporté l’amélioration attendue car la fixation du greffon n’a pas tenu. Depuis ces opérations, le patient souffre de douleurs importantes dans toute la jambe droite, en particulier autour du genou; elles sont imputées à des séquelles neurologiques de la réparation vasculaire. Le patient est tombé dans un état dépressif chronique avec sentiments de dévalorisation et de révolte. Avec effet dès le 1er septembre 1999, l’office compétent lui a alloué une rente entière de l’assurance-invalidité.

En instance cantonale, une expertise a été réalisée par le Bureau d’expertises extrajudiciaires de la Fédération des médecins suisses (FMH). Sur appel, la Cour de justice a considéré que le rapport était inutilisable et qu’il s’imposait d’ordonner une expertise judiciaire.

Désignée en qualité d’expert, la doctoresse Brigitte Jolles-Haeberli a déposé un rapport le 6 mai 2010 puis un rapport complémentaire le 19 mai 2011. A son avis, les règles de l’art médical ont été respectées au cours de la ligamentoplastie. En particulier, « l’échappée instrumentale » ne constituait pas une violation des règles de l’art parce que toutes les précautions habituelles destinées à empêcher le déplacement de la broche de guidage avaient été appliquées et décrites par le chirurgien. La broche s’est déplacée « à l’insu » du chirurgien et de son assistant, en dépit de ces précautions.

Les instances cantonales ont rejeté l’action du patient.

 

TF

Au consid. 2, le TF rappelle la notion du contrat de mandat et la responsabilité du mandataire (398 al. 2 CO) ainsi que celle, particulière, du médecin.

Le TF ne suit pas le raisonnement du patient quand ce dernier estime que le médecin est responsable du déplacement de la broche de guidage effectivement survenu, incontrôlé et dommageable, parce que ce déplacement n’aurait pas dû se produire. Le TF n’adhère pas à cette approche – extraordinairement sévère – qui diverge de la jurisprudence concernant la responsabilité du médecin ou, plus généralement, du mandataire.

Ainsi, c’est à bon droit que les instances inférieures ont rejeté l’action du patient, fondée sur l’art. 398 al. 2 CO, le médecin n’ayant méconnu aucune des règles de l’art médical.

 

 

Arrêt 4A_696/2012 consultable ici : http://bit.ly/1Xf2RkU

 

 

4A_353/2015 (f) du 04.12.2015 – Responsabilité causale du détenteur de véhicule automobile – 58 ss LCR / Faute grave du lésé – 59 al. 1 LCR – retenue à l’encontre d’un motocycliste

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_353/2015 (f) du 04.12.2015

 

Consultable ici : bit.ly/1OI766u

 

Responsabilité causale du détenteur de véhicule automobile – 58 ss LCR

Faute grave du lésé – 59 al. 1 LCR – retenue à l’encontre d’un motocycliste (alcoolémie, vitesse largement excessive, distance inadéquate, perte de maîtrise, tentative de forcer le passage au niveau du deuxième véhicule dépassé)

 

Le 21 avril 2006, vers 19 h., un motocycliste circulait au guidon de son deux-roues de marque Yamaha FZS 1000 sur la route principale Lausanne/Estavayer-le-lac. Sur le territoire de la commune de Bretigny-sur-Morrens (VD), il a rattrapé une file de véhicules roulant à une vitesse d’environ 75 km/h sur un tronçon rectiligne où la vitesse était limitée à 80 km/h; la file était composée d’un scooter dont C.__ était au guidon, suivi d’une première automobile de marque Subaru conduite par D.__ et d’une seconde automobile conduite par E.__. Le motocycliste a entrepris de dépasser ces véhicules à une vitesse d’environ 119 km/h; à ce moment, arrivait en face une voiture pilotée par F.__. Surpris par le déboîtement du véhicule de D.__, lequel avait entamé de son côté le dépassement du scooter, le motocycliste a effectué un freinage d’urgence entraînant la chute de sa moto. Il a été grièvement blessé dans l’accident. Il a été retenu que les déboîtements de la moto et de la voiture conduite par D.__ n’ont pas été simultanés, mais qu’il y a eu un décalage de très courte durée entre eux. Au moment de l’accident, le motocycliste présentait un taux d’alcoolémie de plus de 0.5 gramme pour mille.

Le motocycliste fut condamné pour ivresse au guidon d’une moto et violation simple des règles de la circulation à une amende de 300 fr., lui donnant acte de ses réserves civiles contre D.__. Ce dernier, condamné par la même autorité pour lésions corporelles graves par négligence à 600 fr. d’amende, a recouru auprès de la Cour de cassation pénale du Tribunal cantonal vaudois, qui l’a libéré de toute condamnation.

Le motocycliste demande réparation, par voie judiciaire, à l’assureur RC de D.__.

 

Procédure cantonale (arrêt HC / 2015 / 333 – consultable ici : bit.ly/1OVJ2z3)

L’autorité cantonale a jugé que, lors de l’accident du 21 avril 2006, le motocycliste a enfreint plusieurs règles essentielles de la circulation, lesquelles lui imposaient de ne pas prendre la route en état d’ébriété, d’adapter sa vitesse aux circonstances, d’être en mesure de garder la maîtrise de son puissant véhicule, de conserver une distance suffisante avec la voiture de D.__ et de ne pas vouloir à tout prix dépasser cet automobiliste alors que celui-ci doublait un scooter tandis qu’un véhicule arrivait en face (consid. 4.3.2).

Par arrêt du 29.05.2015, rejet de l’appel et confirmation du jugement de l’instance inférieur rejetant entièrement la demande du motocycliste (motif pris que D.__ n’est responsable de l’accident du 21.04.2006).

 

TF

Rappel de la responsabilité causale du détenteur de véhicule automobile

Le mode et l’étendue de la réparation ainsi que l’octroi d’une indemnité à titre de réparation morale sont régis par les principes du code des obligations concernant les actes illicites (art. 62 al. 1 LCR). La responsabilité du détenteur est indépendante de toute faute de sa part, le cas fortuit ne le libérant pas, pas plus que la faute propre légère ou moyenne du lésé (cf. ROLAND BREHM, La responsabilité civile automobile, 2e éd. 2010, ch. 8 p. 4). Toutefois, en vertu de l’art. 59 al. 1 LCR, le détenteur est libéré de la responsabilité civile s’il prouve que l’accident a été causé par la force majeure ou par une faute grave du lésé ou d’un tiers sans que lui-même ou les personnes dont il est responsable aient commis de faute et sans qu’une défectuosité du véhicule ait contribué à l’accident. Il appert ainsi que le détenteur ne peut être libéré qu’en cas de faute grave exclusive du lésé (ATF 124 III 182 consid. 4a). Le fardeau de la preuve incombe au détenteur (respectivement son assurance) qui entend s’exonérer de sa responsabilité (ATF 115 II 283 consid. 1a p. 285; arrêt 4A_433/2013 du 15 avril 2014 consid. 4.1).

Autrement dit, si le détenteur ne parvient pas à prouver une des trois preuves positives alternatives suivantes (le préjudice a été causé par la force majeure, par la faute grave du lésé ou encore par la faute grave d’un tiers) ainsi que les deux preuves négatives cumulatives qui suivent (absence de faute de sa part, voire du conducteur ou de l’auxiliaire dont il répond, et absence de défectuosité de son véhicule), il faut en conclure qu’il est responsable du sinistre. Selon l’art. 59 al. 2 LCR, si le détenteur ne peut se libérer en vertu de l’art. 59 al. 1 LCR, mais prouve qu’une faute du lésé a contribué à l’accident, le juge fixe l’indemnité en tenant compte de toutes les circonstances. En pareille hypothèse, le dommage total de 100% doit en principe être réparti entre les différentes causes pertinentes sur le plan de la responsabilité civile (ATF 132 III 249 consid. 3.1 p. 252).

 

Appréciation des fautes commises en matière de circulation routière

Dans le domaine des excès de vitesse, la jurisprudence, afin d’assurer l’égalité de traitement, a été amenée à fixer des règles précises. Ainsi, le cas est objectivement grave, c’est-à-dire sans égard aux circonstances concrètes, en cas de dépassement de la vitesse autorisée de 25 km/h ou plus à l’intérieur des localités, de 30 km/h ou plus hors des localités et sur les semi-autoroutes dont les chaussées, dans les deux directions, ne sont pas séparées et de 35 km/h ou plus sur les autoroutes (ATF 132 II 234 consid. 3.1 p. 237 s.; 124 II 259 consid. 2b p. 261 ss).

En l’espèce, le recourant a dépassé de 39 km/h la vitesse autorisée, qui était de 80 km/h. Ce faisant, il a commis une violation grave d’une règle de la circulation au sens de l’art. 90 ch. 2 aLCR, étant précisé que le nouvel art. 90 al. 2 LCR, en vigueur depuis le 1er janvier 2013, n’est pas plus favorable (cf. Message du Conseil fédéral du 20 octobre 2010 concernant Via sicura, le programme d’action de la Confédération visant à renforcer la sécurité routière in FF 2010 7703 p. 7769).

Il n’a pas été constaté que l’automobiliste D.__ ait commis lui-même un excès de vitesse.

Selon l’art. 1 de l’ordonnance du 21 mars 2003 de l’Assemblée fédérale concernant les taux d’alcoolémie limites admis en matière de circulation routière (RS 741.13), un conducteur est réputé incapable de conduire lorsqu’il présente un taux d’alcoolémie de 0,5 gramme pour mille ou plus ou que son organisme contient une quantité d’alcool entraînant un tel taux d’alcoolémie (état d’ébriété). Dans une telle hypothèse, l’incapacité de conduire est admise indépendamment de toute autre preuve et du degré de tolérance individuelle à l’alcool (cf. art. 55 al. 6 LCR). Il s’agit d’une présomption légale irréfragable (arrêt 6B_397/2011 du 25 avril 2012 consid. 3 et les références doctrinales). Le recourant, qui présentait au moment de l’accident un taux d’alcoolémie d’au moins 0.5 gramme pour mille, était ainsi inapte à conduire.

En dépassant un véhicule (large de plus d’un mètre) qui en dépassait un autre, le motocycliste a en outre transgressé l’art. 11 al. 2 OCR.

Les juges du TF font leur l’opinion des magistrats vaudois, qui ont reconnu que l’effet désinhibant de l’alcool a incontestablement joué un rôle dans la décision du motard d’entreprendre de dépasser une voiture qui était elle-même en train de doubler un scooter, cela alors qu’un véhicule arrivait en face.

Le motocycliste lésé a causé l’accident par faute grave.

Puisque l’automobiliste D.__ doit être libéré de sa responsabilité (art. 59 al. 1 LCR), l’art. 61 LCR, qui répartit le fardeau du dommage entre les détenteurs impliqués dans le sinistre, n’est pas applicable au détenteur libéré, soit à D.__ (arrêts 4A_699/2012 du 27 mai 2013 consid. 3.1 in fine; 4A_270/2011 du 9 août 2011 consid. 3.2).

 

Le TF rejette le recours du motocycliste.

 

 

Arrêt 4A_353/2015 consultable ici : bit.ly/1OI766u

 

 

4A_239/2015 (f) du 06.10.2015 – Faute grave – 14 al. 2 LCA / « Prudence particulière » avant les passages pour piétons – 33 al. 2 LCR / Motocycliste, ébloui par le soleil, heurte une piétonne sur un passage piétons à une vitesse de 40 km/h / Vitesse inférieure à la limitation et vitesse adaptée aux circonstances (32 al. 1 LCR) / Faute grave vs faute moyenne – rappel de la jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_239/2015 (f) du 06.10.2015

 

Consultable ici : http://bit.ly/21MiTGH

 

Faute grave / 14 al. 2 LCA

« Prudence particulière » avant les passages pour piétons – 33 al. 2 LCR

Motocycliste, ébloui par le soleil, heurte une piétonne sur un passage piétons à une vitesse de 40 km/h

Vitesse inférieure à la limitation et vitesse adaptée aux circonstances (32 al. 1 LCR)

Faute grave vs faute moyenne – rappel de la jurisprudence et exemples

 

Le 24.06.2004, peu avant 7 heures, A.__ (ci-après: le conducteur ou le motocycliste) circulait, au guidon d’une moto. Parvenu à la hauteur du passage piéton situé à l’est de la Place du Port, il a heurté C.__ qui traversait l’avenue sur le passage de sécurité du nord au sud (soit de gauche à droite par rapport au sens de marche de la moto). La piétonne a alors été projetée sur la chaussée à environ 17 mètres du point de choc et gravement blessée.

Il a été établi que, 100 mètres avant le passage pour piétons (soit devant le bâtiment de la poste) et jusqu’à 11 mètres avant ce passage, le motocycliste a été gêné par le soleil rasant (qui avait été caché par une succession de bâtiments sur tout le trajet précédant l’avenue du Premier-Mars). Sur cette distance (en ligne droite), il a roulé à une vitesse plus ou moins constante de l’ordre de 40 km/h, voire un peu moins, sans réduire sa vitesse à l’approche du passage de sécurité dont il connaissait pourtant l’existence. Le motocycliste n’a à aucun moment remarqué (il a été incapable de dire si la piétonne traversait de gauche à droite ou de droite à gauche), durant les 7 à 10 secondes qu’il lui a fallu pour atteindre le point de choc à partir de la poste, la victime qui avait déjà traversé pratiquement les trois-quarts du passage.

Par lettre du 04.01.2007, l’assureur responsabilité civile a communiqué à son client qu’elle considérait que les faits reprochés au motocycliste procédaient d’une faute grave et l’informait qu’elle entendait lui réclamer le remboursement partiel de ses prestations, soit à concurrence de 20%.

 

Procédures cantonales

Par demande du 22.12.2008, la compagnie d’assurances a actionné son assuré en paiement des 20% du total définitif des prestations qu’elle avait versées suite à l’accident du 24.06.2004. Par jugement du 01.07.2014, le Tribunal civil du Littoral et du Val-de-Travers a retenu que le conducteur avait négligé de prendre les précautions évidentes aux yeux de toute personne raisonnable et, partant, qu’il avait commis une faute grave; il a admis la demande de la compagnie d’assurances.

Par arrêt du 18.03.2015, la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal neuchâtelois a rejeté l’appel formé par l’assuré, considérant que celui-ci avait commis une faute grave, celle-ci résultant à la fois d’une vitesse inadaptée aux conditions de la circulation et d’un défaut d’attention.

 

TF

Selon l’art. 14 al. 2 LCA, si le preneur d’assurance ou l’ayant droit a causé le sinistre par une faute grave, l’assureur est autorisé à réduire sa prestation dans la mesure répondant au degré de la faute. La notion de faute grave figurant à l’art. 14 al. 2 LCA ne s’oppose pas seulement à la faute légère dont parle l’art. 14 al. 4 LCA, mais aussi à la faute moyenne ou intermédiaire (arrêt 4A_226/2013 du 7 octobre 2013 consid. 3.1 et les arrêts cités).

Commet une faute grave celui qui viole un devoir élémentaire de prudence dont le respect s’impose à toute personne raisonnable placée dans la même situation (ATF 128 III 76 consid. 1b p. 81). Pour dire si la faute est grave, il faut l’apprécier de manière objective en tenant compte des circonstances d’espèce; déterminer dans le cas concret si la faute doit être qualifiée de grave relève du jugement de valeur et repose largement sur l’appréciation du juge cantonal, de sorte que le Tribunal fédéral ne réexamine la question qu’avec retenue (arrêt 4A_226/2013 déjà cité consid. 3.1 et les arrêts cités). Il n’intervient que si le juge a abusé de son pouvoir d’appréciation, en se référant à des critères dénués de pertinence ou en ne tenant pas compte d’éléments essentiels, ou lorsque la décision, dans son résultat, heurte de manière choquante le sentiment de la justice et de l’équité (arrêt 5C.175/2003 du 24 février 2004 consid. 5.1; ATF 128 III 121 consid. 3d/aa p. 124; 126 III 266 consid. 2b p. 273 et les références).

On se montrera plus sévère lorsque l’ayant droit a eu le temps de réfléchir aux conséquences de son acte et n’a pas été placé dans une situation d’urgence (arrêt 4A_226/2013 déjà cité consid. 3.1 et les arrêts cités).

Selon l’art. 32 al. 1 LCR, la vitesse doit toujours être adaptée aux circonstances, notamment aux particularités du véhicule et du chargement, ainsi qu’aux conditions de la route, de la circulation et de la visibilité. Cette règle implique notamment qu’on ne peut circuler à la vitesse maximale autorisée que si les conditions de la route, du trafic et de visibilité sont favorables (ATF 121 IV 286 consid. 4b p. 291; 121 II 127 consid. 4a p. 132),

Selon l’art. 33 LCR, reconnu comme une règle fondamentale de la circulation (arrêt 1C_425/2012 du 17 décembre 2012 consid. 3.1), le conducteur facilitera aux piétons la traversée de la chaussée (al. 1). Avant les passages pour piétons, le conducteur circulera avec une prudence particulière et, au besoin, s’arrêtera pour laisser la priorité aux piétons qui se trouvent déjà sur le passage ou s’y engagent (al. 2).

La « prudence particulière » avant les passages pour piétons que doit adopter le conducteur selon l’art. 33 al. 2 LCR signifie qu’il doit porter une attention accrue à ces passages protégés et à leurs abords par rapport au reste du trafic et être prêt à s’arrêter à temps si un piéton traverse la chaussée ou en manifeste la volonté (arrêt 1C_425/2012 déjà cité consid. 3.2 et les arrêts cités)

D’après la jurisprudence, la faute d’un conducteur qui a heurté une personne engagée sur un passage pour piétons en ne s’arrêtant pas à temps ne peut être qualifiée de légère (arrêt 1C_425/2012 déjà cité consid. 4.1 et les arrêts cités).

Le Tribunal fédéral a notamment confirmé que commettent une faute grave (arrêt précité consid. 4.1 et les références citées) :

– le conducteur qui, circulant à 30 km/h dans une zone à important trafic piétonnier et après avoir contourné un îlot de tram, renverse mortellement une dame âgée à quelques mètres d’un passage pour piétons,

– le motocycliste qui, de nuit et sur une chaussée mouillée, n’ayant remarqué que tardivement un piéton sur un passage sécurisé, effectue un freinage d’urgence entraînant la chute de sa moto qui renverse alors le piéton,

– de même que le conducteur qui, ébloui plusieurs fois par le soleil, continue de circuler à 55 km/h à l’intérieur d’une localité, en particulier sur un passage pour piétons, sans visibilité.

Ont en revanche commis une faute moyenne (arrêt précité consid. 4.1 et les références citées) :

– le conducteur qui a démarré en faisant crisser les pneus lors du passage au vert du signal lumineux, sans prendre garde au feu orange clignotant, et a renversé un piéton qui traversait normalement au feu vert sur un passage sécurisé,

– la conductrice qui n’a pas accordé la priorité à un piéton déjà engagé sur le passage protégé au motif qu’une camionnette lui masquait la vue,

– l’automobiliste qui, ébloui par les phares d’un véhicule venant en sens inverse, n’a pas pu freiner à temps et a renversé un piéton qui avait déjà traversé plus de la moitié du passage protégé,

– la conductrice inattentive qui a heurté une piétonne engagée sur un passage sécurisé peu après avoir bifurqué à gauche,

– ou encore le conducteur qui, à l’approche d’un carrefour, alors qu’il réduisait son allure et concentrait son attention sur les véhicules venant de sa gauche, a remarqué tardivement la piétonne qui avait traversé les trois quarts d’un passage sécurisé, l’a heurtée et fait chuter.

Selon les constatations cantonales, le motocycliste conduisait, à l’approche du passage pour piétons, à une vitesse constante de l’ordre de 40 km/h, voire un peu moins. Il n’a pas freiné ni même réduit sa vitesse (en « lâchant les gaz »), alors même qu’il connaissait l’existence à cet endroit du passage de sécurité et que, sur 90 mètres avant celui-ci, il a été gêné par le soleil.

Le fait qu’il roulait en respectant la limitation de vitesse (fixée à 50 km/h) n’est en soi pas décisif, le conducteur ayant l’obligation de rouler à une vitesse adaptée aux circonstances. In casu, ce qui importe c’est qu’en raison de la visibilité restreinte du conducteur et de la proximité du passage de sécurité, la vitesse du motocycliste n’était manifestement pas adaptée.

Selon le TF, le motocycliste a négligé les précautions élémentaires qui s’imposaient à l’approche d’un passage pour piétons qu’il connaissait, en présence de mauvaises conditions de visibilité. En outre, au vu des circonstances retenues, le motocycliste a également fait preuve d’une absence totale d’attention.

Au vu de la violation de l’art. 33 LCR qui est une règle fondamentale de la circulation, et en dépit d’une vitesse conforme à la limitation prescrite, les autorités précédentes n’ont pas excédé leur important pouvoir d’appréciation en retenant, en se fondant sur la négligence (quant aux précautions élémentaires à prendre) du motocycliste et son absence totale d’attention, une faute grave au sens de l’art. 14 al. 2 LCR.

La situation du motocycliste doit être distinguée d’une situation de brève cécité, due par exemple à un éblouissement soudain et inattendu. Le laps de temps à disposition du conducteur à l’approche du passage pour piétons (7 à 10 secondes) était, selon l’expérience générale de la vie, largement suffisant pour qu’il prenne conscience des risques potentiels, ce d’autant plus qu’il connaissait l’existence du passage qu’il allait devoir traverser.

Même à supposer que la vitesse du motocycliste aurait été de l’ordre de 30 km/h (ce que ce dernier soutient toujours), la conclusion aurait été la même. Dans l’hypothèse d’une vitesse plus réduite, le temps de parcours aurait alors de facto été allongé, lui aurait laissé plus de temps pour apprécier les circonstances et l’absence totale d’attention du motocycliste aurait été encore plus marquée, ce qui justifiait de retenir une faute grave.

 

Le TF rejette le recours du motocycliste.

 

 

Arrêt 4A_239/2015 consultable ici : http://bit.ly/21MiTGH

 

 

Droit de la prescription : La commission prévoit une disposition transitoire spéciale pour les victimes de l’amiante

La Commission des affaires juridiques du Conseil des Etats a approuvé à l’unanimité le projet de modification du droit de la prescription (13.100). Elle s’est prononcée par 8 voix contre 4 et 1 abstention pour un délai de prescription absolu de trente ans en cas de dommages corporels différés; elle suit ainsi la proposition du Conseil fédéral  et s’oppose au Conseil national, qui plaidait pour un délai de vingt ans. Une minorité a proposé de conserver le droit en vigueur (délai de prescription absolu de dix ans). Dans le cas des victimes de l’amiante, la commission a ajouté une disposition transitoire spéciale au projet.

 

La disposition concernant les victimes de l’amiante nouvellement ajoutée prévoit que le nouveau droit de la prescription s’écarte du principe «une action prescrite est prescrite» pour les dommages liés à l’amiante – dans certaines conditions – et s’applique rétroactivement. Ainsi, si une action en justice est déjà prescrite même selon le nouveau droit, ou si elle a définitivement été rejetée en raison de la prescription, il est néanmoins possible de faire valoir des droits pendant un délai de grâce d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la modification. Par 12 voix contre 0 et 1 abstention, la commission a décidé que cette disposition spéciale ne devait s’appliquer que de manière subsidiaire par rapport à un fonds d’indemnisation. Si, au moment où est intentée l’action en dommages-intérêts ou en réparation morale, il existe un régime spécial approprié de règlement financier des dommages corporels causés par l’amiante, ces dispositions ne s’appliquent pas. En outre, la commission a décidé à l’unanimité de restreindre l’application de la disposition transitoire aux prétentions des victimes directes. Par 7 voix contre 6, la commission a proposé à son conseil d’uniformiser le délai de prescription à dix ans pour les créances contractuelles. Une minorité souhaite suivre la proposition du Conseil national et conserver le délai de prescription de cinq ans, conformément aux exceptions énumérées à l’art. 128 CO.

 

 

Communiqué de presse du 03.11.2015 : http://bit.ly/1XXIeu8

 

Articles sur le même sujet :

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4A_282/2015 (f) du 27.07.2015 – Procédure de protection dans les cas clairs – 257 CPC

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_282/2015 (f) du 27.07.2015

 

Consultable ici : http://bit.ly/1G6j1DT

 

Procédure de protection dans les cas clairs – 257 CPC

 

Le 16.11.2011, alors qu’il procédait à des travaux de maintenance sur une autoroute en Suisse, C. a été heurté par le véhicule immatriculé en France et conduit par D.. Il est décédé sur le coup.

Par jugement du 05.09.2013, le Tribunal correctionnel de Lausanne a condamné pénalement D., notamment pour homicide par négligence, et l’a condamné civilement notamment à payer à B.A., mère de la victime, le montant de 60’000 fr. à titre d’indemnité pour tort moral et à A.A., beau-père de la victime, le montant de 30’000 fr. au même titre.

A.A. n’a pas pu récupérer le montant de 30’000 fr. auprès de D., ni auprès de l’assurance responsabilité civile française de celui-ci.

Le 22.05.2014, A.A. a déposé une requête de protection dans les cas clairs selon l’art. 257 CPC contre B., à Zurich. Par prononcé du 08.01.2015, la Présidente du Tribunal civil a déclaré irrecevable la requête de protection dans les cas clairs, les conditions de l’art. 257 CPC n’étant pas remplies, considérant que le jugement pénal, en force et exécutoire, est certes opposable à l’auteur de l’infraction, mais non à des tiers non parties à la procédure pénale, tel que l’assureur en responsabilité civile.

Appel rejeté le 28.04.2015 par la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal du canton de Vaud, selon le mode procédural de l’art. 312 al. 1 CPC. Elle a considéré, avec le premier juge, que le jugement pénal condamnant l’auteur de l’infraction ne lie pas le juge civil et qu’en sa qualité de sujet distinct n’ayant pas participé au procès pénal, l’assureur peut faire valoir des moyens de droit propres.

 

TF

La procédure de protection dans les cas clairs prévue par l’art. 257 CPC permet à la partie demanderesse d’obtenir rapidement une décision ayant l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire, lorsque la situation de fait et de droit n’est pas équivoque (ATF 138 III 620 consid. 5.1.1 p. 622/623). Cette procédure n’est ainsi recevable que lorsque l’état de fait n’est pas litigieux ou est susceptible d’être immédiatement prouvé (art. 257 al. 1 let. a CPC) et que la situation juridique est claire (art. 257 al. 1 let. b CPC).

La situation juridique est claire au sens de la let. b de la disposition précitée lorsque l’application de la norme au cas concret s’impose de façon évidente au regard du texte légal ou sur la base d’une doctrine et d’une jurisprudence éprouvées (ATF 141 III 23 consid. 3.2 p. 26; 138 III 123 consid. 2.1.2, 728 consid. 3.3). En règle générale, la situation juridique n’est pas claire si l’application d’une norme nécessite l’exercice d’un certain pouvoir d’appréciation de la part du juge ou que celui-ci doit rendre une décision en équité, en tenant compte des circonstances concrètes de l’espèce (ATF 141 III 23 consid. 3.2 p. 26; 138 III 123 consid. 2.1.2; arrêt 4A_273/2012 du 30 octobre 2012 consid. 5.1.2, non publié in ATF 138 III 620).

Le TF rappelle qu’en l’espèce le juge pénal a statué sur les conclusions civiles de la partie civile au procès pénal (art. 122 ss CPP) et que l’art. 53 CO est inapplicable dès lors que le juge pénal a rendu un jugement civil (ANNETTE DOLGE, in Basler Kommentar, Schweizerische, Strafprozessordnung, 2e éd. 2014, n °s 33-34 ad art. 122 CPP; JEANDIN/MATZ, in Commentaire romand, Code de procédure pénale suisse, 2011, n° 3 ad art. 122 CPP).

La procédure de l’art. 257 CPC ne peut s’appliquer que si, en particulier, la situation juridique est claire.

L’assureur intimé conteste que le jugement pénal sur les conclusions civiles lui soit opposable. Il expose qu’il est un sujet de droit distinct et qu’il dispose de moyens propres. Il relève que si l’auteur de l’infraction a acquiescé au principe de sa responsabilité, les principes du droit civil applicables n’ont pas été respectés, la thèse du demandeur revenant à « admettre des contrats à la charge de tiers ». L’art. 65 LCR prévoit une solidarité imparfaite, mais n’institue pas une consorité nécessaire; les parties au présent procès civil ne sont pas les mêmes que celles au procès pénal.

Le TF précise qu’on ne peut pas considérer que le principe de la responsabilité a été admis par l’assurance intimée, qui n’a pas été invitée à répondre en procédure d’appel, et qui a toujours contesté devoir une indemnité au beau-père de la victime. Il n’est pas possible non plus de considérer que l’instance précédente aurait reconnu la responsabilité de l’assureur, alors qu’elle a constaté que l’appelant – c’est-à-dire le lésé – ne l’a pas contestée.

 

Le TF rejette le recours.

 

 

Arrêt 4A_282/2015 consultable ici : http://bit.ly/1G6j1DT

 

 

4A_137/2015 (d) du 19.08.2015 – RC médicale – Etendue de l’obligation du médecin d’établir une documentation

Etendue de l’obligation du médecin d’établir une documentation

 

Arrêt du TF du 19.08.2015 (4A_137/2015 ; http://bit.ly/1g54PnA)

Les médecins ne doivent consigner les données relatives au traitement des patients que dans la mesure nécessaire et usuelle du point de vue médical. S’il n’existe pas de raisons médicales leur imposant un tel devoir, l’absence de documentation ne peut pas être considérée, dans un procès en responsabilité civile dirigé contre un médecin, comme la preuve que celui-ci a omis d’appliquer le traitement litigieux.

 

En 1993, lorsqu’elle avait accouché de sa fille, une femme avait été victime d’une déchirure périnéale qui avait entraîné une incontinence fécale. Elle a ouvert action, en 2005, contre son gynécologue de l’époque, pour violation du devoir de diligence. Le Tribunal supérieur du canton de Zurich a confirmé, en 2015, le jugement du Tribunal du district de Zurich en allouant à la demanderesse une indemnité pour tort moral de 60’000 francs. A l’appui de son arrêt, le Tribunal supérieur a estimé, entre autres motifs, que le médecin aurait dû pratiquer un examen rectal de la patiente après l’accouchement. Or, un tel examen n’avait pas été consigné dans un document. Il fallait donc en déduire qu’il n’avait pas effectué l’examen rectal en violation du devoir de diligence incombant aux médecins.

Le Tribunal fédéral admet le recours du médecin. Selon sa jurisprudence, c’est au patient qu’il appartient, en principe, d’établir une erreur de traitement. Des allégements lui sont consentis relativement à cette preuve si le médecin n’a pas consigné le traitement de manière suffisante. Dans le présent arrêt, le Tribunal fédéral concrétise l’étendue de cette obligation du médecin d’établir une documentation. Comme celle-ci sert principalement à l’exécution du mandat de soins, l’enregistrement des données doit porter sur ce qui est nécessaire et usuel du point de vue médical. En revanche, on ne peut pas fonder sur le mandat du médecin un devoir de conserver les preuves qui irait au-delà de l’enregistrement des données nécessaires au traitement. Dans le cas de l’examen rectal litigieux, il s’agit, selon les expertises, d’un examen standard qu’il n’était pas absolument usuel ni requis de consigner dans un document en 1993. Par conséquent, le Tribunal supérieur ne pouvait pas tirer de la seule absence de documentation la conclusion que l’examen rectal n’avait pas été effectué. Pour ce motif, parmi d’autres, le Tribunal fédéral rejette l’action de la demanderesse.

 

 

Communiqué de presse du Tribunal fédéral, 07.09.2015 : http://bit.ly/1QjSb17

 

Arrêt du TF du 19.08.2015 (4A_137/2015 ; http://bit.ly/1g54PnA)

 

 

4A_113/2015 (f) du 12.05.2015 – Indemnité pour tort moral – Dommage esthétique au visage (post-morsure) chez une fille âgée de 4 ans et 2 mois – 47 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_113/2015 (f) du 12.05.2015

 

Consultable ici : http://bit.ly/1BYFSyZ

 

Indemnité pour tort moral / 47 CO

Dommage esthétique au visage (post-morsure) chez une fille âgée de 4 ans et 2 mois – Indemnité de CHF 12’000 confirmée par le TF

 

Le 30.04.2011, des parents se rendent avec leur fille, âgée de quatre ans et deux mois, à une fête d’anciens étudiants où plusieurs invités avaient amené leurs chiens. La fillette a joué avec un des chiens, un labrador âgé de douze ans. Ce chien a mordu au visage la fillette. La blessure a nécessité une opération urgente, suivie d’une hospitalisation qui a pris fin le 03.05.2011; il en subsiste une cicatrice entre la lèvre supérieure et la base du nez.

 

Précédente procédure au TF (arrêt 4A_366/2014 du 20.10.2014).

Le TF a annulé le jugement du 17.03.2014 de la Cour d’appel civile du Tribunal cantonal et a renvoyé la cause à la Cour d’appel pour nouvelle décision. La Cour avait pris en considération les photographies nouvelles, à l’appui de son appréciation, sans avoir examiné leur recevabilité en appel et sans les avoir transmises à la défenderesse pour prise de position.

 

Procédure cantonale (arrêt HC / 2015 / 61 – consultable ici : http://bit.ly/1F89g64)

La Cour d’appel civile a constaté que la fillette demeure affectée d’une cicatrice au visage, située entre la lèvre supérieure, elle aussi atteinte, et la base du nez, sur le côté droit. En l’état de la médecine, il est impossible d’éliminer cette cicatrice. Son emplacement exclut également de la dissimuler. Elle provoque une dissymétrie au niveau de la lèvre. Elle grandira et évoluera avec la croissance de la lésée. Son aspect définitif n’est pas connu mais il est très vraisemblable que des corrections chirurgicales seront nécessaires. Il faut également envisager qu’à l’avenir, une atteinte fonctionnelle vienne s’ajouter à l’atteinte esthétique: la rétraction de la cicatrice pourrait gêner la fermeture complète de la bouche.

Par arrêt du 09.12.2014, la Cour d’appel civile a condamné la propriétaire de l’animal à payer 12’000 fr. avec intérêts au taux de 5% par an dès le 30.04.2011.

 

TF

Le TF mentionne le fait (consid. 4) que la Cour d’appel civile s’est basé sur diverses jurisprudences, à fin de comparaison. En particulier, la Cour d’appel civile a pris en considération un précédent de 1953 où une indemnité de 2’000 fr. a été allouée à une fillette qui avait elle aussi subi une morsure de chien. Agée de deux ans et demi lors de l’événement, la victime demeurait affectée d’une cicatrice importante, définitive et très laide, à la joue droite. Le Tribunal fédéral a rejeté le recours de la partie condamnée en considérant que les juges de l’action eussent pu allouer entre 3’000 et 4’000 fr. sans abuser de leur pouvoir d’appréciation (ATF 81 II 512 consid. 5 p. 518). Actuellement, ces deux montants correspondraient approximativement à 13’400 et 17’800 francs. Le cas est tout à fait comparable à la présente espèce, à ceci près que la fillette souffre d’une cicatrice nettement moins grande.

La Cour a également mentionné plusieurs précédents issus de la jurisprudence cantonale. L’un d’eux concernait un enfant de neuf mois qu’un chien avait mordu à proximité de l’œil; les parties au procès se sont accordées sur une réparation de 16’000 fr., incluant toutefois le remboursement de frais d’avocat. En 2003 puis en 2010, pour de très importantes cicatrices au visage, deux femmes, semble-t-il adultes, ont reçu chacune 15’000 francs.

Par ailleurs, en 2004, 10’000 fr. ont été alloués à un homme de trente ans pour deux longues cicatrices résultant d’une agression avec un couteau, l’une à la joue et l’autre au cou, du côté gauche, qui restaient visibles nonobstant le port de la barbe (arrêt 6S.232/2003 du 17 mai 2004, consid. 2.4). En 2010, une femme d’environ quarante ans a obtenu le même montant – avant réduction pour faute concomitante – pour des taches sur les joues et le cou, des deux côtés, résultant de brûlures; ces séquelles pouvaient être dissimulées efficacement avec du maquillage (arrêt 4A_319/2010 du 4 octobre 2010, consid. 5). Ces cas de personnes adultes sont comparativement moins graves en ce sens que les victimes avaient achevé leur développement physique et psychique lors des atteintes à leur intégrité.

Selon le Tribunal fédéral, le montant de 12’000 fr. retenu par les juges d’appel est au raisonnable. Il importe peu que la victime eût peut-être pu différer son action en justice jusqu’à une époque où les séquelles de la blessure seraient davantage stabilisées et leurs conséquences esthétiques et fonctionnelles mieux connues.

Le TF rejette le recours de la propriétaire de l’animal.

 

 

Arrêt 4A_113/2015 consultable ici : http://bit.ly/1BYFSyZ