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Motion Gysin 21.3733 « Protéger les jeunes pères contre le licenciement » – Avis du Conseil fédéral

Motion Gysin 21.3733 « Protéger les jeunes pères contre le licenciement » – Avis du Conseil fédéral

 

Motion consultable ici

 

Texte déposé

Le Conseil fédéral est chargé d’adapter la législation de manière à ce que les jeunes pères qui ont droit à un congé paternité soient protégés contre le licenciement comme le sont les jeunes mères pendant leur congé maternité.

 

Développement

Depuis le 01.01.2021, les pères actifs ont droit à deux semaines de congé paternité financé par les APG. L’objectif général de ce congé approuvé par une large majorité de la population est de fournir un soutien à la mère durant la période postnatale et de favoriser le développement d’une relation entre le père et l’enfant. Le congé paternité vise encore à promouvoir un meilleur équilibre entre vie professionnelle et familiale. Aujourd’hui, toutefois, le travailleur récemment devenu père ne bénéficie pas, contrairement à la mère, d’une protection temporaire contre le licenciement. Même durant le congé paternité, les pères ne bénéficient d’aucune protection contre le licenciement. Le Conseil fédéral est chargé de modifier les lois et les règlements pertinents de manière à ce que tous les jeunes pères salariés bénéficient d’une protection contre le licenciement semblable à celle dont bénéficient les mères.

Ces modifications sont nécessaires, puisque l’expérience de ces derniers mois nous a appris que certains pères rechignent à prendre leur congé paternité de peur d’en subir les conséquences, parmi lesquelles le licenciement. En outre, nous savons que certains salariés subissent des pressions pour renoncer à leur congé paternité. L’art. 336c CO protège les mères contre le licenciement pendant la grossesse et au cours des seize semaines qui suivent l’accouchement. De manière semblable, cette protection devrait également être accordée aux pères. Une telle protection permettrait d’éviter les situations dans lesquelles l’employeur licencie le travailleur qui prend ou souhaite prendre un congé paternité (résiliation abusive aux termes de l’art. 336, al. 1, let. d, CO). La Suisse ne serait pas le premier Etat à introduire une protection contre le licenciement pour les jeunes pères : en France, par exemple, la loi sur le travail protège ces derniers contre le licenciement.

 

 

Avis du Conseil fédéral du 01.09.2021

Le congé de paternité (art. 329g CO) a été adopté par le Parlement le 27 septembre 2019 puis par le peuple le 27 septembre 2020. Il résulte de l’initiative parlementaire 18.441 CSSS-E  » Contre-projet indirect à l’initiative pour un congé de paternité « .

Le rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats, du 15 avril 2019 indique que  » Contrairement à ce qui prévaut pour la mère pendant la grossesse et la maternité (art. 336c, al. 1, let. c, CO), le contrat de travail du père qui a droit à un congé peut être résilié par l’employeur.  » (FF 2019 3309, p. 3321). Le législateur a donc renoncé en connaissance de cause à prévoir une protection contre le licenciement similaire à celle dont bénéficie la mère après l’accouchement. L’art. 335c, al. 3, CO prévoit uniquement que le délai de congé est prolongé en cas de résiliation par l’employeur, si le père a droit à un congé avant la fin du contrat.

Cette volonté de ne pas prévoir de protection contre le licenciement était déjà exprimée dans l’avant-projet envoyé en consultation et a été maintenue dans le projet malgré certaines critiques lors de la consultation (Avant-projet et rapport explicatif de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des Etats, du 6 novembre 2018, p. 11 et rapport de la Commission du 15 avril 2019, ch. 2.6 Résultats de la consultation, FF 2019 3309, p. 3317). Elle n’a plus été remise en cause jusqu’à l’adoption définitive du contre-projet.

Le Conseil fédéral ne voit pas de raison de remettre en question la volonté claire du législateur alors que le congé de paternité n’est en vigueur que depuis quelques mois. En outre, selon le droit en vigueur, un licenciement motivé par la paternité sera abusif au sens de l’art. 336, al. 1, let. a, CO et discriminatoire selon l’art. 3 de la loi sur l’égalité entre femmes et hommes (LEg ; RS 151). Un tel licenciement sera sanctionné par une indemnité à fixer par le juge de six mois de salaire au maximum (art. 336a, al. 1 et 2, CO et 5, al. 2 et 4, LEg).

 

Proposition du Conseil fédéral du 01.09.2021

Le Conseil fédéral propose de rejeter la motion.

 

 

Motion Gysin 21.3733 « Protéger les jeunes pères contre le licenciement » consultable ici

 

 

4A_5/2021 (f) du 09.03.2021 – Résiliation du contrat de travail avec effet immédiat d’une avocate-stagiaire – 337 CO / Conséquences pécuniaires pour l’employeur du congé injustifié – 337c CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_5/2021 (f) du 09.03.2021

 

Consultable ici

 

Résiliation du contrat de travail avec effet immédiat d’une avocate-stagiaire / 337 CO

Conséquences pécuniaires pour l’employeur du congé injustifié / 337c CO

 

A.__ exerce la profession d’avocat inscrit au Barreau à Genève. Il est associé avec C.__ dans un rapport de société simple au sein de l’Etude d’avocats Z.__ (ci-après: l’Etude).

B.__, titulaire d’un baccalauréat et d’une maîtrise universitaires en droit, a effectué un stage au Tribunal des mineurs de Genève du 01.02.2017 au 31.07.2017. Cette juridiction a salué la qualité du travail de la stagiaire et lui a délivré un certificat de travail élogieux [faits du jugement cantonal]. B.__ a effectué une mission de courte durée entre le 09.08.2017 et le 14.08.2017 au sein de l’Etude. Les associés de l’Etude ont établi un certificat de travail élogieux.

Par contrat de travail du 03.11.2017, B.__ a été engagée par A.__ en qualité d’avocate stagiaire à plein temps, dès le 06.11.2017, pour une rémunération brute de 3’500 fr. versée treize fois l’an. Le contrat prévoyait qu’il prendrait fin « à l’obtention du brevet d’avocat ». Selon l’accord intervenu entre les parties, B.__ présenterait cet examen à la session du 28.11.2018, soit au terme de douze mois de stage en l’Etude. Le contrat précisait qu’en principe, A.__, en tant que maître de stage, corrigerait et signerait toute correspondance ou écriture rédigée par sa stagiaire. Le contrat renvoyait au surplus à la Charte du stage de l’Ordre des avocats genevois, laquelle stipule les obligations du maître de stage en matière de formation (art. 7) et de suivi régulier du stage (art. 8) ainsi que les obligations du stagiaire en matière de travail consciencieux et de respect scrupuleux des règles de la profession (art. 9).

Le 30.05.2018, une altercation a eu lieu entre B.__ et D.__, administrateur de l’Etude. Selon B.__, un nouveau différend l’a opposée à D.__ le 31.05.2018. B.__ a ensuite envoyé un SMS à C.__, l’informant qu’elle se trouvait dans un café à côté de l’Etude car elle ne se sentait pas en sécurité seule avec D.__. Elle lui demandait de l’appeler à son arrivée à l’Etude. Par la suite, elle lui a écrit qu’elle n’était pas en état de revenir travailler. La Dresse E.__ a certifié que le 31.05.2018, B.__ s’était présentée à son cabinet en état de stress psychique intense provoqué par une altercation sur son lieu de travail.

D’après B.__, elle a eu un nouveau différend avec D.__ le 05.06.2018.

Le 06.06.2018, en fin de journée, au cours d’une réunion entre A.__, C.__ et B.__, un avertissement écrit a été remis à cette dernière. Ce document, signé par les deux associés, faisait état, en accord avec plusieurs communications orales antérieures, de leur mécontentement relatif à la qualité du travail de B.__, situation qui ne s’était pas améliorée depuis le début du stage. Le texte se terminait ainsi: « Sans une […] amélioration [sensible et immédiate de la qualité de votre travail] il sera mis fin à votre stage en l’Etude sans autre avertissement. » B.__ a signé ce document en y apposant la mention « Reçu mais contesté ».

Le 07.06.2018, B.__ a travaillé jusqu’à midi. Elle a affirmé s’être assurée par téléphone qu’aucune permanence n’avait été attribuée par le Tribunal administratif de première instance à C.__. Elle a averti F.__, secrétaire, qu’elle rentrait chez elle pour se soigner car elle ne se sentait pas bien. Celui-ci lui a assuré qu’il en informerait A.__.

A 14h52, B.__ a envoyé à A.__ un SMS à la teneur suivante: « Hello A.__, je suis rentrée comme te l’a dit F.__ car je ne suis pas en état de travailler. » Aucun dossier de permanence n’a été confié à un des associés de l’Etude ce jour-là.

Le même jour, dans l’après-midi, le secrétariat de l’Etude a adressé une lettre de licenciement à B.__ par courriel et envoi postal. Elle faisait état de ce qui suit: « […] Suite à l’avertissement qui vous a été remis hier soir, nous avons discuté, avec vous et Me C.__, des éléments qu’il comporte. Aujourd’hui, vous avez quitté l’Etude sans autorisation ni demande de votre part, avant midi, alors que j’étais en entretien avec un client et que Me C.__ était en audience au titre de la permanence de la première heure. Vous saviez que nous avions en plus, cet après-midi, deux audiences concurrentes et une permanence des mesures de contraintes au Tribunal administratif de première instance. Nos instructions étaient que vous restiez disponible pour nous suppléer à l’Etude. Me C.__ vous avait donné pour instruction de vérifier avec le greffe du Tribunal administratif de première instance si des cas pouvaient se présenter. Vous ne lui avez pas fourni de réponse. Or, à 14h15, nous n’avons plus de nouvelles de votre part et ne savons pas où vous vous trouvez. Votre comportement est incompatible avec les obligations fondamentales de l’exercice de notre profession, notamment en ce qui concerne la diligence requise. Votre abandon de poste, dans les circonstances actuelles, constitue une faute particulièrement grave qui touche votre aptitude même à exercer la profession pour laquelle vous vous formez. Pour ce motif, votre contrat de stage à l’Etude prend fin avec effet immédiat. Vous êtes sommée de nous restituer les clés de l’Etude d’ici ce jour, 19h00, à défaut de quoi des mesures devront être prises pour changer les serrures, à votre charge […]. »

Ce même 07.06.2018, B.__ a adressé à A.__, par courrier recommandé, une copie d’un certificat médical du 06.06.2018, attestant une incapacité totale de travailler du 07.06.2018 au 30.06.2018 pour cause de maladie.

A partir du 02.08.2018, B.__ a été engagée dans l’enseignement obligatoire. Du 01.10.2018 au 22.05.2019, elle a poursuivi son stage d’avocate auprès de l’étude de Me G.__, lequel lui a délivré un certificat de travail élogieux.

 

Procédure cantonale

Entendu comme témoin, C.__ a déclaré qu’il avait su le 06.06.2018 déjà qu’il n’aurait pas d’audience l’après-midi du 07.06.2018 auprès du Tribunal administratif de première instance. Il était toutefois possible qu’une procédure écrite lui soit attribuée, ce dont B.__ devait s’enquérir par téléphone le matin même. Elle ne l’avait pas informé des résultats de son appel, pour autant qu’elle l’ait effectué.

Par jugement du 07.04.2020, le Tribunal des prud’hommes a condamné A.__ à verser à B.__ la somme brute de 10’835 fr. 55 avec intérêts moratoires au taux de 5% l’an dès le 08.06.2018, en invitant la partie qui en avait la charge à opérer les déductions sociales et légales usuelles, et la somme nette de 10’000 fr. avec intérêts moratoires au taux de 5% l’an dès le 08.06.2018. Le premier montant était dû à titre de différence de salaire et le second à titre d’indemnité pour licenciement immédiat injustifié.

Statuant le 19.11.2020 sur appel de A.__, la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice a confirmé le jugement attaqué (arrêt CAPH/204/2020).

La cour cantonale a constaté que B.__ avait quitté l’Etude le 07.06.2018 en milieu de journée pour des raisons médicales, en ayant averti le secrétaire. Quelques heures plus tard, elle avait envoyé un message à son maître de stage. Cela reflétait sa volonté de reprendre le travail ultérieurement et de permettre à l’Etude de pallier son absence. Il apparaissait ainsi que c’était sans se donner le temps de la réflexion et sans même contacter sa stagiaire, que A.__ avait impulsivement résilié avec effet immédiat le contrat de travail d’une personne dont il devait assurer la formation et ce pour un motif futile. A.__ ne pouvait raisonnablement considérer que celle-ci avait abandonné son emploi. Enfin, selon la cour cantonale, l’avertissement écrit portait essentiellement sur de prétendues déficiences rédactionnelles et juridiques, mais n’avait aucun rapport avec les faits invoqués à l’appui du licenciement. L’avertissement ne jouait dès lors pas de rôle dans l’examen des motifs du licenciement immédiat. La cour cantonale a jugé que A.__ ne disposait pas de justes motifs pour licencier B.__ avec effet immédiat.

 

TF

L’art. 337 CO autorise l’employeur à résilier immédiatement le contrat en tout temps pour de justes motifs (al. 1). Sont notamment considérées comme de justes motifs toutes les circonstances qui, selon les règles de la bonne foi, ne permettent pas d’exiger de celui qui a donné le congé la continuation des rapports de travail (al. 2).

Selon la jurisprudence, la résiliation immédiate pour « justes motifs » est une mesure exceptionnelle qui doit être admise de manière restrictive (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1). Seul un manquement particulièrement grave peut justifier une telle mesure (ATF 142 III 579 consid. 4.2). Par manquement du travailleur, on entend généralement la violation d’une obligation découlant du contrat de travail, mais d’autres incidents peuvent aussi justifier une telle mesure (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1; 130 III 28 consid. 4.1; 129 III 380 consid. 2.2; arrêt 4A_393/2020 du 27 janvier 2021 consid. 4.1.1).

Ce manquement doit être objectivement propre à détruire le rapport de confiance essentiel au contrat de travail ou, du moins, à l’atteindre si profondément que la continuation des rapports de travail ne peut raisonnablement pas être exigée; de surcroît, il doit avoir effectivement abouti à un tel résultat. Lorsqu’il est moins grave, le manquement ne peut entraîner une résiliation immédiate que s’il a été répété malgré un avertissement (ATF 142 III 579 consid. 4.2; 130 III 213 consid. 3.1).

Déterminer les motifs du congé est une question de fait. En revanche, ressortit au droit le point de savoir si le congé est fondé sur de justes motifs (arrêts 4A_246/2020 du 23 juin 2020 consid. 3.2; 4A_35/2017 du 31 mai 2017 consid. 4.1 et les références citées).

Le juge apprécie librement s’il existe de justes motifs (art. 337 al. 3 CO); il applique les règles du droit et de l’équité (art. 4 CC). Savoir si le comportement incriminé atteint la gravité nécessaire dépend des circonstances du cas concret (ATF 142 III 579 consid. 4.2 et les arrêts cités). Dans son appréciation, le juge doit notamment tenir compte de la position et de la responsabilité du travailleur, du type et de la durée des rapports contractuels, de la nature et de l’importance des manquements (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1; 130 III 28 consid. 4.1; 127 III 351 consid. 4a), ou encore du temps restant jusqu’à l’échéance ordinaire du contrat (ATF 142 III 579 consid. 4.2). La position du travailleur, sa fonction et les responsabilités qui lui sont confiées peuvent entraîner un accroissement des exigences quant à sa rigueur et à sa loyauté (ATF 127 III 86 consid. 2c; arrêt 4A_393/2020 précité consid. 4.1.1).

Le Tribunal fédéral ne revoit qu’avec réserve la décision d’appréciation prise en dernière instance cantonale. Il n’intervient que lorsque l’autorité précédente s’est écartée sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, lorsqu’elle s’est appuyée sur des faits qui ne devaient jouer aucun rôle ou, à l’inverse, a méconnu des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; il sanctionnera en outre les décisions rendues en vertu d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (ATF 137 III 303 consid. 2.1.1; 130 III 213 consid. 3.1; 130 III 28 consid. 4.1; 129 III 380 consid. 2 et les arrêts cités).

 

Selon les constatations de la cour cantonale, B.__ a quitté son travail pour des raisons médicales, en ayant pris soin d’avertir le secrétaire de l’Etude puis, quelques heures plus tard, son maître de stage. La cour cantonale a considéré que cela reflétait notamment la volonté de B.__ de permettre à l’Etude de pallier son absence. Si B.__ n’avait pas réussi à démontrer qu’elle avait pris contact avec l’autorité susceptible de confier une affaire à C.__, il était établi qu’il n’y avait effectivement pas eu de cas de permanence ce jour-là. Dans ces circonstances, les juges cantonaux étaient fondés à juger que B.__ n’avait pas violé ses obligations professionnelles, notamment s’agissant de la diligence requise. Il ne peut leur être reproché de ne pas avoir suffisamment tenu compte de la réglementation spécifique de l’activité d’avocat, respectivement d’avocat stagiaire.

La cour cantonale a considéré que B.__ avait la volonté de reprendre son travail ultérieurement et qu’il ne s’agissait pas d’un abandon d’emploi pouvant fonder un juste motif de licenciement immédiat. Certes, B.__ n’a pas pu assurer la permanence durant l’après-midi du 07.06.2018. Ce seul élément n’est toutefois pas suffisant pour justifier une résiliation immédiate des rapports de travail, ce d’autant plus que B.__ a pris des mesures en vue de pallier son absence.

Enfin, A.__ fait grief à l’autorité cantonale d’avoir retenu que l’avertissement du 06.06.2018 était sans rapport avec le motif invoqué à l’appui du licenciement et, partant, de ne pas en avoir tenu compte dans son appréciation. A.__ soutient que le comportement reproché à B.__ dans cet avertissement mettait en évidence des violations des règles professionnelles et avait ainsi un lien direct avec le motif du licenciement immédiat. Déterminer le contenu d’un avertissement est une question de fait. La cour cantonale a considéré que l’avertissement portait essentiellement sur de prétendues déficiences rédactionnelles et juridiques. Sur ce point, A.__ se limite à substituer son appréciation à celle de la cour cantonale, sans démontrer qu’elle aurait sombré dans l’arbitraire en ne retenant pas que cet avertissement concernait des violations des règles professionnelles. A.__ n’amène aucun autre élément pouvant fonder un lien entre le motif du licenciement immédiat et le contenu de l’avertissement précité. La cour cantonale n’a donc pas mésusé de son pouvoir d’appréciation en ne prenant pas en compte cet avertissement dans son raisonnement.

 

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 4A_5/2021 consultable ici

 

 

4A_245/2019 (f) du 09.01.2020 – Licenciement – Caractère abusif de la résiliation du contrat de travail nié – 336 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_245/2019 (f) du 09.01.2020

 

Consultable ici

 

Licenciement – Caractère abusif de la résiliation du contrat de travail nié – 336 CO

 

Employée engagée le 23.05.2014 par le Service pénitentiaire en qualité d’agente de détention en formation à 100%. Le contrat de travail prévoyait une durée maximale de cinq ans.

Le 21.08.2015, un téléphone portable a été découvert dans l’une des cellules de l’établissement carcéral. Une enquête pénale a été ouverte. L’extraction des données de l’appareil saisi a révélé deux identifiants « Skype » présents dans la mémoire du téléphone, lesquels correspondaient à l’employée respectivement à une dénommée D.________ [correspondant au prénom de l’employée.].

Le 17.08.2016, le directeur de l’établissement s’est approché de l’employée de manière informelle afin de lui demander si les identifiants « Skype » décelés lui appartenaient. Les soupçons pesants contre elle ont également été évoqués à cette occasion.

Le 24.08.2016, lors d’un entretien organisé entre le directeur de l’établissement pénitentiaire, le surveillant-chef et l’employée, cette dernière a reconnu avoir eu des contacts téléphoniques (mode téléphonie et messages) avec une personne détenue. Le procès-verbal de cet entretien a été signé à l’occasion d’une nouvelle rencontre tenue le lendemain.

Par courrier du 26.08.2016, le service des ressources humaines a informé l’employée de son intention de mettre fin à son contrat de travail pour les motifs suivants : l’employée avait entretenu, avec un ou des détenus, un lien qui était totalement incompatible avec ses devoirs de service ; elle l’avait caché à ses supérieurs pendant près de deux ans, au même titre que la présence d’objets prohibés dans l’enceinte de la prison ; elle avait ainsi contrevenu de manière manifeste à son cahier des charges et au code de déontologie et sapé le rapport de confiance qui devait exister entre l’autorité et ses collaborateurs. L’employée était invitée à s’exprimer.

Par lettre du 30.09.2016, l’employée a contesté le contenu du courrier précédent et les reproches formulés à son encontre. Elle a souligné le contexte et l’ancienneté des faits qui s’étaient déroulés entre septembre et novembre 2014. Par ailleurs, elle a indiqué qu’elle n’avait alors pas conscience d’être en contact « Skype » avec un détenu et que, lorsqu’elle avait pu l’imaginer, elle y avait immédiatement mis fin. Elle a expliqué qu’à l’instar de ses collègues, elle savait qu’un ancien surveillant avait introduit des téléphones portables au sein de l’établissement, qu’elle n’en avait jamais vus, mais qu’elle avait imaginé qu’il était possible qu’un détenu l’ait contactée par ce biais. Il ne pouvait enfin lui être reproché d’avoir contrevenu à son cahier des charges et au code de déontologie dès lors qu’elle n’y avait adhéré qu’après les faits qui lui étaient reprochés.

L’employée s’est trouvée en incapacité de travailler depuis le 25.08.2016.

Par courrier du 25.11.2016, alors que l’employée était toujours en arrêt maladie, le service précité a résilié le contrat de travail avec effet au 31.01.2017.

Le 23.12.2016, l’employée a formé opposition au congé, qu’elle tenait pour abusif.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 13.11.2018, le tribunal civil a rejeté la demande.

Par arrêt du 16.04.2019, la Cour d’appel civile a rejeté pour l’essentiel l’appel de l’employée.

 

TF

Lorsque le contrat de travail est de durée indéterminée, chaque partie est en principe libre de le résilier (art. 335 al. 1 CO), moyennant le respect du délai et du terme de congé convenus ou légaux. Le droit suisse du contrat de travail repose en effet sur la liberté contractuelle. La résiliation ordinaire du contrat de travail ne suppose pas l’existence d’un motif de congé particulier (ATF 132 III 115 consid. 2.1; 131 III 535 consid. 4.1; 127 III 86 consid. 2a p. 88). La limite à la liberté contractuelle découle des règles de l’abus de droit (art. 336 CO). La résiliation ordinaire du contrat de travail est abusive lorsqu’elle intervient dans l’une des situations énumérées à l’art. 336 al. 1 CO, lesquelles se rapportent aux motifs indiqués par la partie qui résilie (ATF 136 III 513 consid. 2.3 p. 514/515; 132 III 115 consid. 2.4 p. 118; 131 III 535 consid. 4.2 p. 539). L’énumération de l’art. 336 al. 1 CO n’est pas exhaustive et un abus du droit de résiliation peut se révéler aussi dans d’autres situations qui apparaissent comparables, par leur gravité, aux hypothèses expressément visées par cette disposition (ATF 136 III 513 consid. 2.3 p. 514/515; 132 III 115 consid. 2 p. 116; 131 III 535 consid. 4 p. 537). Ainsi, la résiliation ordinaire est abusive lorsque l’employeur la motive en accusant le travailleur d’un comportement contraire à l’honneur, s’il apparaît que l’accusation est infondée et que, de plus, l’employeur l’a élevée sans s’appuyer sur un indice sérieux ni avoir entrepris de vérification (arrêts 4A_485/2016-4A_491/2016 du 28 avril 2017 consid. 2.2.2; 4A_694/2015 du 4 mai 2016 consid. 2.2; 4A_99/2012 du 30 avril 2012 consid. 2.2.1). La manière dont le congé est donné peut aussi le faire apparaître comme abusif. Même lorsque le motif de la résiliation est en soi légitime, celui qui exerce son droit de mettre fin au contrat doit agir avec des égards. Si l’employeur porte une grave atteinte à la personnalité du travailleur dans le contexte d’une résiliation, celle-ci doit être considérée comme abusive ; un comportement simplement inconvenant ne suffit pas (ATF 132 III 115 consid. 2.2 p. 117 et consid. 2.3 p. 118; 131 III 535 consid. 4.2 p. 538 s.).

Pour pouvoir examiner si la résiliation ordinaire est abusive ou non (art. 336 CO), il faut déterminer quel est le motif de congé invoqué par la partie qui a résilié (ATF 132 III 115 consid. 2 p. 116; 131 III 535 consid. 4 p. 537; 125 III 70 consid. 2 p. 72). Le motif de la résiliation relève du fait (ATF 130 III 699 consid. 4.1 p. 702 s.) et les constatations de l’arrêt attaqué à ce sujet ne peuvent être attaquées que dans la mesure restreinte permise par l’art. 97 al. 1 LTF, à savoir pour arbitraire (art. 9 Cst.) dans l’établissement des faits et l’appréciation des preuves. En revanche, savoir si le motif ainsi établi donne lieu à un congé abusif ou non relève de l’application du droit, que le Tribunal fédéral revoit librement.

Il incombe en principe au destinataire de la résiliation de démontrer que celle-ci est abusive. Le juge peut toutefois présumer en fait l’existence d’un congé abusif lorsque l’employé parvient à présenter des indices suffisants pour faire apparaître comme non réel le motif avancé par l’employeur. Ce dernier ne peut alors rester inactif, n’ayant d’autre issue que de fournir des preuves à l’appui de ses propres allégations quant au motif de congé (ATF 130 III 699 consid. 4.1 p. 703; 123 III 246 consid. 4b).

 

Il est constant que les parties se sont liées par un contrat de travail de durée indéterminée, librement résiliable par chacune d’elles conformément à l’art. 335 al. 1 CO, moyennant le respect du délai et du terme de congé convenus ou légaux.

Le principal motif invoqué par l’employeur à l’appui du congé ordinaire réside dans les contacts téléphoniques entretenus par l’employée avec un ou des détenus. En droit, l’absence de caractère abusif d’un tel motif n’est guère contestable. L’employée reproche à tort à l’employeur de ne pas avoir apporté la preuve de la réalité de ce motif. Il ne lui appartenait pas de le faire : c’était à elle, bien au contraire, de démontrer que les faits reprochés ne s’étaient pas produits.

La cour cantonale a jugé que cette preuve n’avait pas été apportée. Bien plus, fondés sur les propres déclarations de l’employée transcrites dans le procès-verbal du 24.08.2016, les juges cantonaux ont retenu que les contacts téléphoniques prohibés avaient bel et bien eu lieu. Il s’agit là d’une problématique de constatation de faits et d’appréciation des preuves que le Tribunal fédéral ne pourrait revoir que s’il était saisi du grief d’arbitraire. Ce n’est toutefois pas sous cet angle que l’employée déploie son argumentation. Elle se borne à prétendre que ses déclarations lors de l’entrevue du 24.08.2016 telles que protocolées ne suffiraient pas à attester qu’elle savait qu’elle conversait avec un détenu lors des contacts en cause, tirant argument de « l’exploitation du lien de subordination » et la « situation de faiblesse et d’infériorité » dans laquelle elle aurait été placée. L’employée n’évoque toutefois aucun élément de fait qui accréditerait cette assertion. Selon elle, le procès-verbal de l’entretien n’en refléterait pas fidèlement la teneur. Il n’a pourtant pas été signé sur le vif, mais le lendemain de la rencontre. L’employée se plaint encore de « l’attitude de sa hiérarchie » à cette occasion, mais – derechef – n’évoque pas le moindre élément susceptible de décrire dans quelle mesure cette attitude aurait été inappropriée. C’est finalement à tort que l’employée se prévaut d’une situation analogue à celle qui a fait l’objet de l’arrêt 4A_694/2015 précité. Le 17.08.2016 déjà, le directeur de l’établissement s’est approché de l’employée de manière informelle afin de lui demander si les identifiants «Skype» décelés lui appartenaient; les soupçons pesant contre elle ont également été évoqués à cette occasion. Les thèmes abordés lors de l’entrevue du 24.08.2016 ne représentaient dès lors pas une surprise pour l’employée et, si elle l’avait estimé nécessaire, elle aurait pu s’adjoindre un mandataire professionnel. Il n’appartenait en revanche pas à l’employeur – fût-il représenté par deux personnes lors de cet entretien – de lui conseiller de le faire, comme elle le soutient à mots couverts.

S’agissant de la manière dont le licenciement lui a été signifié, l’employée y voit également un abus du droit de l’employeur. Cela étant, si l’on peut fort bien concevoir que le congé ait bouleversé l’employée, que celle-ci ait dû consulter un médecin à la suite de ces événements et que le licenciement la plaçait dans la situation de devoir retrouver un emploi – avec le lot de soucis qui l’accompagnait -, l’employeur n’en porte pas la responsabilité. Il n’a selon toute évidence pas licencié l’employée pour la blesser, comme celle-ci le suggère plus qu’elle ne l’affirme.

C’est dès lors à bon droit que la cour cantonale a considéré que le congé n’était pas abusif.

 

Le TF rejette le recours de l’employée.

 

 

Arrêt 4A_245/2019 consultable ici

 

 

4A_59/2019 (f) du 12.05.2020 – Licenciement au retour du congé maternité – Résiliation abusive du contrat de travail – Caractère discriminatoire du licenciement / 336b CO – 3 al. 2 LEg – 5 LEg

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_59/2019 (f) du 12.05.2020

 

Consultable ici

 

Résiliation abusive du contrat de travail – Caractère discriminatoire du licenciement / 336b CO – 3 al. 2 LEg – 5 LEg

Licenciement au retour du congé maternité

 

B.__ travaillait au service de A.__ SA depuis avril 2006. Engagée en qualité d’assistante du service technique, elle a occupé diverses fonctions au sein de l’entreprise, notamment celle d’assistante de direction ; elle a été nommée responsable du groupe communication et événementiel dès le 18.09.2015.

En octobre 2015, B.__ a informé son supérieur qu’elle était enceinte depuis août 2015. Elle s’est trouvée dans l’incapacité de travailler à 50% dès le 22.02.2016, puis en incapacité totale dès le 29.03.2016. Elle a accouché le 29.04.2016.

Au printemps 2016, A.__ SA a lancé le processus de recrutement d’un nouveau responsable communication. Une annonce a été publiée et les premières candidatures sont parvenues en avril 2016.

A l’issue de son congé maternité prolongé de quatre semaines de vacances, B.__ a repris le travail le 19.09.2016. Le jour même, elle s’est vu notifier son licenciement avec effet au 31.01.2017, terme qui sera finalement reporté au 28.02.2017. A.__ SA a motivé le congé par le fait que l’employée n’avait pas été assez performante comme responsable du groupe communication par rapport à ce qui était attendu d’elle, ajoutant qu’elle n’avait pas « les épaules assez larges » pour occuper ce poste.

Le 21.09.2016, A.__ SA a remis à B.__ un certificat de travail intermédiaire faisant état de l’excellente qualité du travail fourni dans ses différentes activités, notamment celle de responsable de la communication, et du fait que son licenciement était justifié par une restructuration interne ; il précisait que la capacité de l’employée de mener à bien les projets qui lui avaient été confiés, avec professionnalisme et à la pleine et entière satisfaction de son employeur, lui avait permis d’endosser la responsabilité des divers postes occupés au sein de la société.

A.__ SA a engagé C.__ comme responsable de la communication à partir du 01.10.2016.

Par courrier du 27.01.2017, B.__ s’est formellement opposée à son licenciement, qu’elle considérait comme abusif. Dans sa réponse du 08.02.2017, A.__ SA, par le biais de son conseil, a précisé que le congé était motivé uniquement par une restructuration interne.

 

Procédures cantonales

A la suite de l’échec de la conciliation, B.__ a introduit une demande tendant au paiement par A.__ SA d’une indemnité pour licenciement abusif et discriminatoire correspondant à trois mois de salaire (21’303 fr.75). Le Tribunal des prud’hommes a débouté B.__ de ses conclusions en paiement.

Sur appel de l’employée, la Chambre des prud’hommes de la Cour de justice du canton de Genève a condamné A.__ SA à verser à B.__ la somme nette de 21’303 fr.75 avec intérêts à 5% dès le 01.04.2017. Contrairement aux premiers juges, la cour cantonale a jugé que l’employeuse n’était pas parvenue à prouver que l’employée aurait été licenciée même en l’absence de grossesse, de sorte que le congé était discriminatoire et devait ainsi donner lieu à une indemnité, fixée à trois mois de salaire compte tenu des circonstances de l’espèce.

Pour la période où l’employée a effectivement occupé la fonction litigieuse, aucune pièce ni aucun autre élément probant n’établissent que l’intéressée n’a pas été assez performante. L’absence de cahier des charges pour le poste tel qu’il se présentait au moment de son attribution à l’employée empêche de connaître les objectifs fixés à cette dernière et de constater dès lors une insuffisance de ses prestations pendant les quelques mois où elle a occupé le poste. Par ailleurs, le certificat de travail établi quelques jours après le licenciement est élogieux et indique que l’intéressée a donné pleine et entière satisfaction dans les divers postes occupés, y compris celui de responsable de la communication.

La cour cantonale se place ensuite dans l’hypothèse où l’employeuse a décidé de modifier les objectifs du poste litigieux dans le cadre d’une nouvelle stratégie de communication. Elle constate, d’une part, que ni l’ampleur ni la teneur de cette nouvelle stratégie ne sont connues et, d’autre part, que l’employeuse n’a produit aucun document probant faisant état du cahier des charges nouvellement fixé. Elle en déduit qu’aucun élément du dossier ne permet de conclure que l’employée aurait été inapte à mener à bien la nouvelle stratégie de communication mise en place, la question de savoir s’il existait une personne plus compétente n’étant pas pertinente. Par ailleurs, les juges genevois n’ont pas retenu que l’employée avait été licenciée en raison d’une restructuration interne du secteur de la communication, dès lors que le poste existe toujours, même si les objectifs ont pu être modifiés.

 

TF

Aux termes de l’art. 3 al. 1 de la loi fédérale sur l’égalité entre femmes et hommes du 24 mars 1995 (LEg ; RS 151.1), il est interdit de discriminer les travailleurs à raison du sexe, soit directement, soit indirectement, notamment en se fondant sur leur état civil ou leur situation familiale ou, s’agissant de femmes, leur grossesse. L’interdiction de toute discrimination s’applique notamment à la résiliation des rapports de travail (art. 3 al. 2 LEg). En cas de congé discriminatoire, l’employeur versera à la personne lésée une indemnité; celle-ci sera fixée compte tenu de toutes les circonstances et calculée sur la base du salaire; elle ne peut excéder le montant correspondant à six mois de salaire (art. 5 al. 2 et 4 LEg). Par renvoi de l’art. 9 LEg, la procédure à suivre par la personne qui se prétend victime d’un congé discriminatoire est régie par l’art. 336b CO applicable en cas de résiliation abusive du contrat de travail.

Une discrimination est dite directe lorsqu’elle se fonde explicitement sur le critère du sexe ou sur un critère ne pouvant s’appliquer qu’à l’un des deux sexes et qu’elle n’est pas justifiée objectivement (ATF 145 II 153 consid. 4.3.5 p. 161 et les arrêts cités). Constitue ainsi une discrimination directe le licenciement notifié à une travailleuse parce qu’elle est enceinte, parce qu’elle souhaite le devenir ou parce qu’elle est devenue mère (arrêt 4A_395/2010 du 25 octobre 2010 consid. 5.1; STÉPHANIE PERRENOUD, La protection contre les discriminations fondées sur la maternité selon la LEg, in L’égalité entre femmes et hommes dans les relations de travail 1996-2016: 20 ans d’application de la LEg, Dunand/Lempen/Mahon [éd.], p. 89; WYLER/HEINZER, Droit du travail, 3e éd. 2014, p. 869; ELISABETH FREIVOGEL, in Kommentar zum Gleichstellungsgesetz, Claudia Kaufmann/Sabine Steiger-Sackmann [éd.], 2e éd. 2009, p. 76 n° 65).

Selon l’art. 6 LEg, l’existence d’une discrimination à raison du sexe est présumée pour autant que la personne qui s’en prévaut la rende vraisemblable. Cette disposition introduit un assouplissement du fardeau de la preuve par rapport au principe général de l’art. 8 CC, dans la mesure où il suffit à la partie demanderesse de rendre vraisemblable la discrimination par l’apport d’indices objectifs. Lorsqu’une discrimination liée au sexe a été rendue vraisemblable, il appartient alors à l’employeur d’apporter la preuve stricte qu’elle n’existe pas (ATF 131 II 393 consid. 7.1 p. 405 s.; 130 III 145 consid. 4.2 p. 161 s. et consid. 5.2 p. 164 s.; 127 III 207 consid. 3b p. 212 s.). Comme il est difficile d’apporter la preuve de faits négatifs, la preuve de la non-discrimination peut être apportée positivement si l’employeur démontre l’existence de motifs objectifs ne produisant pas une discrimination à raison du sexe (SABINE STEIGER-SACKMANN, in Commentaire de la loi sur l’égalité, Margrith Bigler-Eggenberger/Claudia Kaufmann [éd.], 2000, n° 61 ad art. 6 LEg p. 179).

L’art. 6 LEg précise que l’allègement du fardeau de la preuve s’applique notamment à la résiliation des rapports de travail. En particulier, si l’employée parvient à rendre vraisemblable que le motif du congé réside dans sa grossesse ou sa maternité, il appartiendra à l’employeur de prouver que cet élément n’a pas été un facteur déterminant dans sa décision de mettre un terme au contrat (arrêt 4C.121/2001 du 16 octobre 2001 consid. 3d/dd), en d’autres termes, que l’employée aurait été licenciée même si elle n’avait pas été enceinte. Pour ce faire, l’employeur pourra chercher à établir que le licenciement a été donné pour un motif objectif, sans lien avec la grossesse ou la maternité (PERRENOUD, op. cit., p. 90), comme par exemple une réorganisation de l’entreprise (cf. arrêt 4A_395/2010 précité consid. 5.2) ou l’insuffisance des prestations de l’intéressée (arrêt 4A_507/2013 du 27 janvier 2014 consid. 4).

 

En ce qui concerne les compétences professionnelles de la nouvelle responsable de la communication, la cour cantonale a jugé que la question de savoir s’il existait une personne plus compétente que l’employée pour atteindre les mêmes objectifs n’était pas pertinente. A juste titre. Le curriculum vitae de la nouvelle responsable, même plus qualifiée en matière de communication que l’employée, n’est en effet pas un élément propre à modifier le sort du litige dans les circonstances de l’espèce.

S’agissant des prestations de l’employée, les juges genevois ont tenu pour non établi le fait qu’elle n’aurait pas été assez performante, par rapport à ce qui était attendu d’elle, durant les quelques mois où elle a exercé ses fonctions de responsable de la communication. Le certificat de travail signé par l’employeuse indique clairement que l’employée a donné pleine et entière satisfaction dans les divers postes occupés au sein de la société, y compris celui de responsable de la communication. Quoi que l’employeuse en dise, il n’y a pas lieu de relativiser cette appréciation, dès lors qu’elle-même n’invoque aucun moyen de preuve dont il ressortirait que des griefs ont été adressés à l’employée pendant la période susmentionnée. L’employeuse ne conteste pas non plus l’absence de cahier des charges pour le poste tel qu’il se présentait au moment de son attribution à l’employée. Or, faute de connaître les objectifs fixés à l’employée, il n’est pas possible de constater une insuffisance de ses prestations.

 

S’agissant de la preuve stricte à rapporter par l’employeuse lorsque l’employée licenciée a rendu vraisemblable que le motif du congé résidait dans sa grossesse ou sa maternité, il lui incombait de démontrer que la grossesse ou la maternité n’avait pas été un facteur déterminant dans sa décision de mettre un terme au contrat. L’employeuse pouvait ainsi chercher à établir que le congé avait une justification objective indépendante de la grossesse ou de la maternité. Pour que le licenciement soit finalement jugé non-discriminatoire, il ne suffisait pas à l’employeuse de démontrer que la nouvelle titulaire du poste était objectivement plus compétente que l’employée licenciée. Elle pouvait en revanche chercher à prouver qu’elle disposait d’un motif objectif pour résilier le contrat, à savoir les qualités insuffisantes de l’employée pour le poste de responsable de la communication. Or, à ce propos, la cour cantonale a jugé qu’il n’était pas établi, d’une part, que l’employée n’avait pas été assez performante pendant les quelques mois où elle avait occupé le poste ni, d’autre part, qu’elle aurait été inapte à mener à bien la nouvelle stratégie de communication invoquée par l’employeuse. Les griefs tirés de l’art. 9 Cst. que l’employeuse a soulevés dans ce contexte étant écartés, elle n’a ainsi pas prouvé qu’elle disposait d’un motif objectif qui justifiait le congé et, partant, que la grossesse de l’employée n’avait pas été un facteur déterminant dans sa décision de mettre un terme au contrat.

Au demeurant, indépendamment des compétences de l’employée en matière de communication, l’enchaînement des faits dans les circonstances de l’espèce permet de douter, avec la cour cantonale, que l’employée aurait été licenciée même si elle n’avait pas été enceinte.

Le congé a été signifié au retour du congé maternité de l’employée au motif qu’elle n’avait pas le niveau pour réintégrer un poste dont les objectifs avaient été modifiés entre-temps à la suite d’un changement dans la stratégie de communication. L’intéressée n’avait occupé le poste en question que quelques mois mais, au moment du licenciement, elle travaillait dans l’entreprise depuis plus de 10 ans, au cours desquels elle avait exercé différentes activités. Lors de l’attribution du poste, l’employeuse ne savait pas que l’employée était enceinte, celle-ci l’ayant annoncé peu de temps après avoir débuté ses nouvelles fonctions. En revanche, elle connaissait l’expérience limitée de l’employée en matière de communication et ne lui avait pas remis de cahier des charges. Or, selon ses propres dires, l’employeuse a décidé de changer sa stratégie de communication et de lancer le processus de recrutement d’un nouveau responsable de la communication au printemps 2016, soit précisément au moment où l’employée partait en congé maternité. Sur les raisons justifiant un tel changement à ce moment-là, l’employeuse mentionne dans son mémoire l’achèvement d’une fusion avec D.__. L’employeuse a ainsi mis au concours un poste qui exigeait tout à coup des compétences spécifiques, alors que seulement quelques mois auparavant elle l’avait attribué à l’employée en connaissant son expérience limitée dans ce domaine, sans que la raison imposant un changement de stratégie aussi proche dans le temps ne soit établie.

En outre, il est à relever qu’après avoir lancé le processus de recrutement au printemps 2016, l’employeuse n’a proposé aucun autre emploi à l’employée avant son retour au travail, laquelle avait pourtant manifesté une certaine polyvalence au cours des dix ans passés dans l’entreprise, ce qui est de nature à conforter les doutes sur le fait que la grossesse de l’employée, à l’annonce de laquelle l’employeuse avait d’ailleurs marqué sa surprise, n’a pas joué un rôle déterminant dans la décision de l’employeuse de mettre un terme au contrat.

En conclusion, c’est à bon droit que la cour cantonale a jugé discriminatoire le licenciement de l’employée.

 

Le TF rejette le recours de l’employeuse.

 

 

Arrêt 4A_59/2019 consultable ici