Archives par mot-clé : Jurisprudence

9C_553/2023 (f) du 14.11.2024 – Valeur probante d’un rapport d’examen SMR / Expertises médicales privées – Divergences médicales – Mise en œuvre d’une nouvelle expertise / Frais d’expertises privées à la charge de l’office AI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_553/2023 (f) du 14.11.2024

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’un rapport d’examen SMR / 43 LPGA

Expertises médicales privées – Divergences médicales – Mise en œuvre d’une nouvelle expertise

Frais d’expertises privées à la charge de l’office AI / 45 LPGA

 

Assuré, né en 1969, a travaillé en qualité de magasinier à partir de l’année 1996, puis de cuisinier dès 2003.

Le 18.03.2019, il a déposé une demande AI, en raison de lombalgies sur troubles dégénératifs et d’une dépression réactionnelle. L’office AI a recueilli plusieurs avis médicaux. L’office AI a soumis l’assuré à un examen auprès du Service médical régional de l’assurance-invalidité, Suisse romande (SMR), dont les docteurs G.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation, et H.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, ont rendu leur rapport le 22 février 2021. Se fondant sur les conclusions des médecins du SMR, l’office AI a rejeté la demande, par décision du 12.07.2021, au motif que le taux d’invalidité (de 2%) était insuffisant pour ouvrir le droit à des prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 321/21 – 196/2023 – consultable ici)

L’assuré a déféré cette décision au tribunal cantonal. En cours de procédure, il a produit deux expertises, l’une rhumatologique établie par le docteur I.__, spécialiste en rhumatologie, l’autre psychiatrique réalisée par le docteur J.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, ainsi qu’un consilium signé par les médecins prénommés. Le docteur K.__, médecin au SMR, s’est exprimé sur les rapports de ses deux confrères ; ceux-ci se sont à leur tour déterminés sur la prise de position du médecin du SMR.

Par arrêt du 20.07.2023, la juridiction cantonale a admis le recours; elle a réformé la décision de l’office AI en ce sens qu’elle a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité pour la période du 01.09.2019 au 31.05.2021. Pour le surplus, elle a renvoyé la cause à l’office AI afin qu’il procède conformément aux considérants de l’arrêt pour la période courant dès le mois de juin 2021. Elle a par ailleurs mis les frais des expertises des docteurs I.__ et J.__ à la charge de l’office AI à hauteur de 10’320 fr., en plus des frais et dépens de la cause.

 

TF

Consid. 5.1
Compte tenu des différences dans les diagnostics et l’appréciation de la capacité de travail de l’assuré, ainsi que de la présence possible d’éléments psychiatriques en l’absence de suivi, le médecin au SMR a demandé la réalisation d’un « examen/expertise » bidisciplinaire rhumatologique et psychiatrique avec conclusions consensuelles. Cette mesure d’instruction a été mise en œuvre auprès du SMR par les docteurs G.__ et H.__. Dans leur rapport du 22 février 2021, ces médecins ont posé le diagnostic incapacitant de « lombalgies chroniques non déficitaires dans le cadre de discopathies et d’arthrose des articulations postérieures, prédominant de L3 à S1 »; ils ont en revanche écarté le diagnostic de dépression réactionnelle évoqué par les médecins traitants (la première fois en 2018), retenant que l’assuré n’avait jamais présenté d’incapacité de travail sur le plan psychiatrique. Pour les médecins du SMR, si la capacité de travail était nulle dans l’activité de cuisinier, elle était en revanche totale dans une activité adaptée depuis le 8 juillet 2019.

Contrairement à ce qu’ont retenu à tort les juges cantonaux, on ne saurait admettre que l’office recourant a violé son obligation d’instruire d’office la demande (cf. art. 43 LPGA) en se fondant sur l’avis des médecins du SMR, sans avoir préalablement mis en œuvre une expertise médicale conformément à la procédure prévue à l’art. 44 LPGA. En effet, il ressort du rapport du SMR que ses auteurs se sont exprimés sur les avis des médecins traitants et qu’ils ont clairement justifié les diagnostics ainsi que leur évaluation de la capacité de travail. Plus particulièrement, en ce qui concerne le diagnostic de dépression réactionnelle évoqué par les médecins traitants, les docteurs G.__ et H.__ ont indiqué les motifs qui les ont conduits à nier la présence d’une quelconque pathologie psychiatrique caractérisée. De plus, ils n’ont laissé indécise aucune question pertinente d’ordre médical. À cet égard, la juridiction cantonale s’est limitée à indiquer que les constatations du médecin traitant faisaient apparaître des doutes suffisants quant au bien-fondé des conclusions du SMR, sans toutefois mentionner en quoi consisteraient ces doutes, ni pour quelle raison l’appréciation des docteurs G.__ et H.__ ne suffisait pas pour évaluer la situation de l’assuré.

Consid. 5.2
Cela étant, les conclusions des experts privés mandatés par l’assuré en procédure cantonale ne concordent pas avec celles des médecins du SMR. Les docteurs I.__ et J.__ ont diagnostiqué un trouble dépressif (épisode actuel moyen), une gonarthrose fémoro-patellaire, un lombodiscarthrose et une arthrose du tarse au pied droit; ces atteintes entraînaient une incapacité de travail totale dans la profession de cuisinier depuis octobre 2018 et dans une activité adaptée du 25.10.2018 au 15.02.2021; à partir du 16.02.2021, l’assuré présentait une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles somatiques et psychiques (cf. consilium). Quoi qu’en dise l’office AI recourant, qui soutient que ces conclusions seraient insoutenables en se référant aux avis médicaux du SMR, les expertises privées mettent en doute l’évaluation du SMR du 22 février 2021 sous plusieurs points: ainsi, le docteur I.__ nie que la situation était stabilisée sur le plan rhumatologique avant l’examen auprès du SMR en raison d’une évolution « en dents de scie » jusque-là, tandis que le docteur J.__ fait remonter les effets incapacitants de l’atteinte psychiatrique diagnostiquée à novembre 2018 (cf. consilium du 3 février 2022; rapport du 31 janvier 2022.

Dans ces circonstances, le Tribunal fédéral, comme déjà la juridiction cantonale qui a écarté le rapport du SMR de manière insoutenable (consid. 5.1 supra), est confrontée à des divergences médicales qui ne peuvent être départagées sans la mise en oeuvre d’une nouvelle expertise bi-disciplinaire (en rhumatologie et psychiatrie) confiée à des médecins indépendants. En particulier, si la juridiction cantonale a constaté que l’examen effectué par le docteur J.__ avait mis en évidence des symptômes dépressifs « actuels » de manière convaincante, elle semble admettre qu’une telle atteinte existait déjà antérieurement au motif que l’expert psychiatre privé estimait qu’un diagnostic ne pouvait être écarté « uniquement sur la base du constat ponctuel d’un manque de symptôme au moment de l’examen » comme l’aurait fait le docteur H.__. Or un tel motif apparaît arbitraire, dès lors que le psychiatre du SMR a nié un trouble psychiatrique non seulement sur la base de son examen de l’assuré mais également sur d’autres éléments au dossier (dont la mention d’une « dépression réactionnelle » qui n’a guère été objectivée par les médecins traitants). À défaut de motif convaincant pour départager les avis des experts privés de celui du SMR, les juges cantonaux étaient tenus d’ordonner une expertise judiciaire. La conclusion subsidiaire du recours est dès lors bien fondée et il convient de renvoyer la cause au Tribunal cantonal pour qu’il complète l’instruction, puis rende une nouvelle décision.

 

Consid. 6.2
Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures. À défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Selon la jurisprudence, les frais d’expertise font partie des frais de procédure. Les frais d’expertise privée peuvent être inclus dans les dépens mis à la charge de l’assureur social lorsque cette expertise était nécessaire à la résolution du litige (ATF 115 V 62 consid. 5c; arrêts 9C_519/2020 du 6 mai 2021 consid. 2.2 et les arrêts cités; 8C_971/2012 du 11 juin 2013 consid. 4.2; I 1008/06 du 24 avril 2007 consid. 3).

Consid. 6.3
En l’occurrence, devant la juridiction cantonale, l’assuré est parvenu à susciter un doute sur les conclusions du SMR par le dépôt des expertises privées, de sorte que les juges précédents devront compléter l’instruction de la cause. À cet égard, l’admissibilité de l’imputation des frais d’un rapport médical à l’administration ne suppose pas nécessairement qu’il serve de base à une décision définitive. Il peut suffire qu’il donne lieu à des investigations supplémentaires qui n’auraient pas été ordonnées en son absence (cf. arrêt 9C_395/2023 du 11 décembre 2023 consid. 6.3 et les arrêts cités), ce qui est le cas ici. Par conséquent, les frais relatifs aux rapports des docteurs I.__ et J.__ doivent être imputés à l’office recourant. Sur ce point, l’arrêt attaqué doit être confirmé par substitution de motifs.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_553/2023 consultable ici

 

8C_225/2024+8C_243/2024 (f) du 02.12.2024 – Procédure – Compétence de l’office AI et du tribunal cantonal / 55 al. 1 LAI – 40 al. 2quater RAI – 69 al. 1 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_225/2024+8C_243/2024 (f) du 02.12.2024

 

Arrêt à 5 juges, non publié, consultable ici

 

Procédure – Compétence de l’office AI et du tribunal cantonal / 55 al. 1 LAI – 40 al. 2quater RAI – 69 al. 1 LAI

 

Par décision du 28.11.2023, l’Office cantonal AI du Valais a octroyé à l’assuré, domicilié alors à U.__, une rente entière d’invalidité dès le 01.12.2022. L’assuré a définitivement quitté la Suisse au 31.12.2023 pour s’établir au Portugal.

 

Procédure cantonale

Le 12.01.2024, l’assuré a déféré la décision précitée à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du Valais (ci-après: le Tribunal cantonal). Par décision du 11.03.2024, la cour cantonale, s’estimant incompétente, a déclaré le recours irrecevable et transmis d’office la cause au Tribunal administratif fédéral (TAF). Par arrêt du 18.03.2024, la Cour III du TAF a également déclaré le recours irrecevable, faute de compétence.

 

TF

Consid. 3.1
Aux termes de l’art. 55 al. 1 LAI, l’office AI compétent est, en règle générale, celui du canton dans lequel l’assuré est domicilié au moment où il exerce son droit aux prestations (première phrase); le Conseil fédéral règle la compétence dans des cas spéciaux (seconde phrase). Selon l’art. 40 al. 1 RAI, est compétent pour enregistrer et examiner les demandes: l’office AI dans le secteur d’activité duquel les assurés sont domiciliés (let. a); l’office AI pour les assurés résidant à l’étranger, sous réserve des al. 2 et 2 bis, si les assurés sont domiciliés à l’étranger (let. b). L’art. 40 al. 2 quater RAI prévoit que si un assuré domicilié en Suisse prend en cours de procédure domicile à l’étranger, la compétence passe à l’office AI pour les assurés résidant à l’étranger.

Consid. 3.2
Dans sa teneur en vigueur depuis le 1 er janvier 2007, l’art. 69 al. 1 LAI dispose qu’en dérogation aux art. 52 et 58 LPGA, les décisions des offices AI cantonaux peuvent directement faire l’objet d’un recours devant le tribunal des assurances du domicile de l’office concerné (let. a); les décisions de l’office AI pour les assurés résidant à l’étranger peuvent directement faire l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif fédéral (let. b). Entre le 01.07.2006 et le 31.12.2006, cette disposition avait déjà la même teneur, en dehors des termes « Commission fédérale de recours en matière d’assurance-vieillesse, survivants et invalidité » qui figuraient à la place de ceux de « Tribunal administratif fédéral ». Selon l’art. 69 LAI dans sa teneur en vigueur du 01.01.2003 au 30.06.2006, les décisions et les décisions sur opposition des offices AI peuvent, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, faire l’objet d’un recours auprès du Tribunal des assurances du canton de l’office qui a rendu la décision (al. 1); la commission de recours AVS/AI connaît des recours interjetés par les personnes résidant à l’étranger, en dérogation à l’art. 58 al. 2 LPGA (al. 2, première phrase).

Consid. 4.1
En l’espèce, le Tribunal cantonal a considéré qu’au moment du dépôt de son recours cantonal le 12.01.2024, l’assuré avait quitté définitivement la Suisse au 31.12.2023 pour s’établir au Portugal. La compétence pour traiter le dossier était ainsi passée à l’Office AI pour les assurés résidant à l’étranger (OAIE), de sorte que la compétence de la cour cantonale n’était pas donnée. De son côté, le TAF a retenu que la décision du 28.11.2023 avait été rendue par l’office cantonal AI du Valais, lequel était compétent pour statuer dès lors que le recourant avait quitté la Suisse pour s’installer au Portugal le 31.12.2023, soit après le prononcé de cette décision. Dans ces circonstances, le TAF n’était pas compétent pour connaître du recours du 12.01.2024.

Consid. 4.2
Se plaignant d’une violation du droit fédéral, l’assuré soutient que le Tribunal cantonal serait compétent pour traiter son recours du 12.01.2024, puisqu’il était encore domicilié en Valais au début de la procédure de préavis au sens de l’art. 57a LAI. À défaut, le TAF serait compétent. Le fait que les deux instances ont déclaré le recours irrecevable constituerait également une violation du droit fédéral. 

Consid. 4.3.1
Dans sa décision du 11 mars 2024, le Tribunal cantonal s’est référé à la jurisprudence fédérale (ATF 100 V 53; arrêts 9C_313/2008 du 6 mars 2009 et I 232/03 du 22 janvier 2004) selon laquelle le point de rattachement pour définir la compétence de l’autorité de recours est le domicile civil du recourant au moment du dépôt de son recours, indépendamment de savoir quelle est l’autorité administrative qui a rendu la décision attaquée. Comme l’a fait remarquer la juridiction cantonale, cette jurisprudence se rapporte toutefois à des cas d’application du droit dans son état antérieur à l’entrée en vigueur – le 01.07.2006 – de l’art. 69 al. 1 LAI dans sa teneur actuelle (en dehors du remplacement, dès le 01.01.2007, des termes « Commission fédérale de recours en matière d’assurance-vieillesse, survivants et invalidité » par ceux de « Tribunal administratif fédéral » [cf. consid. 3.2 supra]). Même dans l’arrêt 9C_313/2008, postérieur à l’entrée en vigueur du nouveau droit, le Tribunal fédéral a tranché le litige au regard de l’art. 69 LAI dans sa teneur en vigueur entre le 01.01.2006 et le 30.06.2006 (cf. consid. 4.1 de cet arrêt).

Consid. 4.3.2
Comme relevé par le TAF dans son arrêt du 18 mars 2024, le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de se prononcer sur des conflits négatifs de compétence entre tribunaux cantonaux sous l’empire du nouveau droit. Il a considéré qu’en vertu de l’art. 69 al. 1 let. a LAI, les recours contre les décisions des offices AI cantonaux devaient être traités par le tribunal des assurances du canton concerné indépendamment du domicile de la personne assurée (arrêt 9C_892/2014 du 6 mars 2015 consid. 2; cf. aussi arrêt 9C_167/2015 du 9 septembre 2015 consid. 1.5). En d’autres termes, la décision d’un office AI cantonal doit être déférée au tribunal des assurances du canton où se situe l’office AI, même si l’assuré installe son domicile en dehors du canton entre le moment où la décision est rendue et le dépôt de son recours. La compétence de l’autorité de recours découle ainsi d’un critère formel, relatif à l’auteur de la décision administrative, et non d’un critère territorial, relatif au domicile de l’assuré, comme tel était le cas sous l’ancien droit pour désigner l’ancienne commission fédérale de recours comme autorité de recours. Ces deux arrêts du Tribunal fédéral concernaient des changements de domicile d’un canton à un autre. Il n’y a toutefois pas de raison qu’il en aille différemment lorsque, comme en l’espèce, la personne assurée quitte définitivement la Suisse après le prononcé de la décision d’un office AI cantonal et est domiciliée à l’étranger au moment du dépôt de son recours. Conformément à l’art. 69 al. 1 let. a LAI, dans un tel cas de figure, l’autorité judiciaire compétente pour traiter le recours est le tribunal des assurances du canton où se situe l’office AI cantonal. En application de l’art. 69 al. 1 let. b LAI, les décisions de l’OAIE doivent en revanche faire l’objet d’un recours auprès du TAF, indépendamment du domicile de l’assuré au moment où il recourt (cf. en ce sens MEYER/REICHMUTH, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Bundesgesetz über die Invalidenversicherung IVG, 4 e éd. 2022, n° 2 ad art. 69 LAI).

Le Tribunal cantonal s’est également appuyé sur l’art. 40 al. 2quater RAI pour nier sa compétence. Cette disposition réglementaire, qui porte sur les cas de transfert de compétence en cours de procédure entre un office AI cantonal et l’OAIE, ne règle toutefois pas la compétence des autorités judiciaires, régie par l’art. 69 al. 1 LAI comme on vient de le voir. Elle n’a donc aucune portée au-delà de la procédure administrative, qui se termine par la décision d’un office AI cantonal ou de l’OAIE.

Consid. 4.4
Au vu de ce qui précède, le Tribunal cantonal est l’autorité judiciaire compétente pour traiter le recours du 12.01.2024 dirigé contre la décision de l’office intimé du 28.11.2023. Le recours en matière de droit public contre la décision du Tribunal cantonal du 11.03.2024 doit donc être admis, avec pour conséquence l’annulation de cette décision. La cour cantonale devra ainsi entrer en matière sur le recours du 12.01.2024. Le recours en matière de droit public contre l’arrêt du TAF du 18.03.2024 doit en revanche être rejeté dans la mesure de sa recevabilité.

Consid. 5
Le recourant, qui a été contraint de recourir à la fois contre la décision du 11.03.2024 et l’arrêt du 18.03.2024 pour sauvegarder ses droits, obtient gain de cause et ne peut donc pas se voir imputer des frais judiciaires. Il en va de même de l’office intimé, qui ne s’est pas prononcé sur les recours et ne voit pas sa décision du 28.11.2023 annulée ou réformée. Conformément à l’art. 66 al. 4 LTF, des frais judiciaires ne peuvent pas non plus être mis à la charge du Tribunal cantonal, et encore moins à la charge du TAF. Par conséquent, on renoncera à percevoir des frais judiciaires. Le recourant a droit à des dépens à la charge de l’État du Valais (cf. arrêt 8C_750/2018 du 6 mai 2019 consid. 6, non publié in ATF 145 V 247, et les arrêts cités).

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_225/2024+8C_243/2024 consultable ici

 

8C_32/2024 (f) du 04.11.2024 – Début du droit à l’allocation pour impotent – Dépôt de la demande par le père de l’assuré avant de devenir curateur de représentation et de gestion, avec pouvoir de représentation envers les tiers

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_32/2024 (f) du 04.11.2024

 

Consultable ici

 

Début du droit à l’allocation pour impotent – Dépôt de la demande par le père de l’assuré avant de devenir curateur de représentation et de gestion, avec pouvoir de représentation envers les tiers / 48 LAI – 66 RAI – 394 CC – 395 CC

Domicile et résidence habituelle en Suisse / 42 al. 1 LAI – 13 LPGA

 

Assuré né le 01.09.1996, atteint d’un autisme sévère avec retard mental dû (délétion du bras long du cinquième chromosome). À la suite d’une demande de prestations AI déposée le 12.07.2021 par son père, l l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité à compter du 01.01.2022.

Le 25.03.2022, une demande d’allocation pour impotent a été déposée par le père de l’assuré.

Par décision du 25.08.2022, la Justice de paix a institué une curatelle de représentation et de gestion au sens des art. 394 al. 1 et 395 al. 1 CC en faveur de l’assuré et nommé ses parents co-curateurs, avec pouvoir de représentation envers les tiers.

Se fondant sur un rapport d’évaluation de l’impotence du 22.12.2022, l’office AI a reconnu, par projet de décision du 23.12.2022, le droit à une allocation pour impotent de degré moyen à domicile dès octobre 2014 (1er mois suivant le 18e anniversaire de l’assuré). En raison du dépôt tardif de la demande, les prestations ne pouvaient être accordées que pour les douze mois précédant le dépôt de la demande, soit dès le 01.03.2021.

Une première décision du 21.02.2023 octroyait à l’assuré une allocation pour impotent de degré moyen à partir du 01.09.2014 avec un montant rétroactif de 120’650 fr. Cependant, cette décision a été annulée par la Caisse de compensation AVS. Une nouvelle décision, également datée du 21.02.2023, a finalement accordé l’allocation pour impotent de degré moyen à partir du 01.03.2021, avec un montant rétroactif réduit à 28’740 fr.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 95/23 – 341/2023 – consultable ici)

Par jugement du 06.12.2023, admission partielle par le tribunal cantonal du recours déposé par le père de l’assuré, réformant la décision litigieuse en fixant le début du droit à l’allocation pour impotent au 01.03.2017.

 

TF

Consid. 4.1 [résumé]

Les juges cantonaux ont reconnu que l’assuré, en raison de son handicap, était incapable de comprendre sa situation et d’agir pour faire valoir son droit aux prestations au sens de l’art. 48 al. 2 let. a LAI.  Ils ont ensuite examiné si la connaissance de ces faits par ses parents pouvait affecter son droit aux prestations arriérées.

L’instance cantonale a constaté que les parents n’étaient devenus représentants légaux de l’assuré que le 25.08.2022, date à laquelle ils ont été nommés co-curateurs de représentation et de gestion, avec pouvoir de représentation envers les tiers. Avant cette date, ils étaient considérés comme des tiers au sens de l’art. 66 RAI, auxquels la jurisprudence refuse précisément un devoir d’agir, du moins tant et aussi longtemps qu’ils ne sont pas chargés d’une représentation légale de l’ayant droit. Par conséquent, le tribunal cantonal a estimé qu’on ne pouvait imputer ni à l’assuré ni à ses parents le devoir de déposer une demande de prestations en temps utile.

Le tribunal cantonal a conclu que le point de départ du délai de douze mois pour faire valoir le droit aux prestations avait débuté le 25.08.2022. Dès lors que la demande formelle du 25.03.2022 avait été déposée avant le point de départ de ce délai de douze mois, par des parents qui en avaient le droit en tant que tiers énumérés à l’art. 66 RAI, elle satisfaisait à la condition de l’art. 48 al. 2 LAI, de sorte que les prestations arriérées pouvaient être allouées pour une période plus longue que la règle des douze mois.

Consid. 5.1
Aux termes de l’art. 48 al. 1 LAI, si un assuré ayant droit à une allocation pour impotent, à des mesures médicales ou à des moyens auxiliaires présente sa demande plus de douze mois après la naissance de ce droit, la prestation, en dérogation à l’art. 24, al. 1, LPGA, n’est allouée que pour les douze mois précédant le dépôt de la demande.

Selon l’art. 48 al. 2 LAI, les prestations arriérées sont allouées à l’assuré pour des périodes plus longues s’il ne pouvait pas connaître les faits ayant établi son droit aux prestations (let. a) et s’il a fait valoir son droit dans un délai de douze mois à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de ces faits (let. b). Selon l’art. 24 al. 1 LPGA, le droit à des prestations arriérées s’éteint cinq ans après la fin du mois pour lequel elles étaient dues.

Consid. 5.2
Par faits établissant le droit aux prestations au sens de l’art. 48 al. 2 let. a LAI, on entend, par analogie avec les art. 4 et 5 LAI et 8 et 9 LPGA, l’atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui entraîne un besoin présumé permanent ou de longue durée d’aide ou de surveillance pour accomplir les actes ordinaires de la vie (ATF 139 V 289 consid. 4.2). Selon la jurisprudence, l’art. 48 al. 2 let. a LAI s’applique lorsque la personne assurée ne connaissait pas ou ne pouvait pas connaître les faits ayant établi son droit aux prestations ou que, bien qu’elle en ait eu connaissance, elle ait été empêchée pour cause de maladie de déposer une demande ou de charger quelqu’un du dépôt de la demande. Un tel état de fait n’est admis que de manière très restrictive par la jurisprudence, notamment en cas de schizophrénie (arrêts du Tribunal fédéral des assurances I 824/05 du 20 février 2006 consid. 4.3; I 705/02 du 17 novembre 2003 consid. 4.3; I 141/89 du 1er mars 1990 consid. 2b), en cas de trouble grave de la personnalité narcissique et dépressive au sens d’un état borderline à la limite de la psychose schizophrénique (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 418/96 du 12 novembre 1997 consid. 3b), en cas de trouble grave de la personnalité (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 205/96 du 21 octobre 1996 consid. 3c), en cas d’incapacité de discernement due à une maladie psychique grave (non précisée) (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 71/00 du 29 mars 2001 consid. 3a); éventuellement aussi en cas de dépression grave (ATF 102 V 112 consid. 3) ou de troubles de la personnalité avec alcoolisme chronique secondaire (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 149/99 du 16 mars 2000 consid. 3b).

Par ailleurs, seule compte la connaissance des faits fondant le droit, c’est-à-dire la connaissance de l’état de santé correspondant, et non pas la question de savoir si l’on peut en déduire un droit à une allocation pour impotent. L’art. 48 al. 2 LAI ne s’applique en revanche pas lorsque l’assuré, respectivement son représentant légal, connaissait ces faits mais ignorait qu’ils donnent droit à des prestations de l’assurance-invalidité (ATF 102 V 112 consid. 1a).

Consid. 6.1
Aux termes de l’art. 66 al. 1 RAI, l’exercice du droit aux prestations appartient à l’assuré ou à son représentant légal ainsi qu’aux autorités ou tiers qui l’assistent régulièrement ou prennent soin de lui de manière permanente. Si l’assuré n’exerce pas lui-même le droit aux prestations, il doit autoriser les personnes et les instances mentionnées à l’art. 6a LAI à fournir aux organes de l’assurance-invalidité tous les renseignements et les documents nécessaires pour établir ce droit et le bien-fondé de prétentions récursoires (al. 1bis). Si l’assuré est incapable de discernement, son représentant légal accorde l’autorisation visée à l’art. 6a LAI en signant la demande (al. 2).

Consid. 6.2
Dans l’arrêt déjà cité du 6 mai 2013 publié aux ATF 139 V 289, le Tribunal fédéral a confirmé la jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances (ATF 108 V 226 consid. 3 et 102 V 112 consid. 2c), dans lequel ce dernier avait retenu, s’agissant du champ d’application de l’art. 48 al. 2 deuxième phrase LAI (dès le 1er janvier 2012: art. 48 al. 2 let. a et b LAI), que pour le paiement rétroactif concernant une période qui remonte au-delà des douze mois précédant le dépôt de la demande, est déterminante la connaissance de l’état de fait ouvrant droit à prestations de la part de la personne assurée ou de son représentant légal. Le fait que les tiers désignés à l’art. 66 RAI, autorisés à faire valoir le droit aux prestations, aient au besoin déjà eu connaissance de l’état de fait ouvrant droit à prestations à un moment antérieur ne s’oppose pas à un tel droit au paiement rétroactif.

Consid. 6.3.1
Dans l’ATF 139 V 289, c’est le fils de l’assurée qui avait déposé en avril 2009 une demande d’allocation pour impotence grave en faveur de sa mère atteinte de multiples pathologies. Le droit aux prestations existait depuis le 1er janvier 2005 mais l’allocation n’avait été octroyée qu’à partir du 1er avril 2008, soit douze mois avant le dépôt de la demande. Le Tribunal fédéral a considéré que même si le fils de l’assurée connaissait l’état de santé qui avait entraîné une impotence grave et qu’il aurait pu annoncer sa mère plus tôt – seule son ignorance du droit l’en avait empêché – l’assurée pouvait bénéficier d’un droit au paiement rétroactif de l’allocation pour impotent à partir du 1er janvier 2005 déjà. Dans l’arrêt H 22/02 du 8 juillet 2002, l’assurée, qui souffrait de démence sénile, se trouvait dans un établissement de soins depuis 1995. Le Tribunal fédéral a jugé que la demande d’allocation pour impotent déposée par le mari de l’assurée le 22 février 2000 était tardive et que c’était à juste titre que le paiement rétroactif de l’allocation n’entrait en ligne de compte que pour la période à partir du 1er février 1999, soit pour les douze mois précédant le dépôt de la demande. Les conditions pour un paiement rétroactif plus étendu n’étaient pas remplies, étant donné que le mari de l’assuré était son curateur et qu’il connaissait les faits établissant son droit aux prestations. Dans un arrêt I 141/89 du 1er mars 1990, l’assurée, privée de la capacité de discernement en raison de sa maladie mentale, ne pouvait pas connaître les faits établissant son droit aux prestations. Le Tribunal fédéral des assurances avait jugé que le fait d’être pourvue d’un représentant légal provisoire, lequel avait été empêché de se rendre compte de la gravité de la situation de l’assurée, n’empêchait pas que l’assurée soit mise au bénéfice de l’art. 48 al. 2 LAI. Par ailleurs, le fait que la soeur de l’assurée – à l’origine des démarches visant à obtenir des prestations de l’AI – avait selon toute vraisemblance pu se rendre compte depuis plusieurs années de la maladie, ne suffisait pas non plus à exclure l’application dans le cas d’espèce de l’art. 48 al. 2 LAI, de sorte que l’assurée avait eu droit au versement rétroactif de sa rente d’invalidité.

Consid. 6.3.2
Il résulte de la jurisprudence précitée (consid. 6.3.1 supra), laquelle n’est au demeurant pas remise en cause en tant que telle par les parties, que lorsque la personne assurée n’est pas en mesure de connaître les faits ouvrant son droit aux prestations, il ne s’impose de lui imputer ce que savait et devait savoir un tiers qui l’assiste régulièrement ou prend soin d’elle de manière permanente que si cette personne est officiellement son représentant légal et qu’elle pouvait à son tour connaître les faits établissant le droit aux prestations.

Consid. 7.1
L’autorité de protection de l’adulte prend les mesures appropriées pour garantir l’assistance et la protection de la personne qui a besoin d’aide (art. 388 CC) dans le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité (art. 389 CC). Selon l’art. 390 al. 1 ch. 1 CC, l’autorité de protection de l’adulte institue une curatelle lorsqu’une personne majeure est partiellement ou totalement empêchée d’assurer elle-même la sauvegarde de ses intérêts en raison d’une déficience mentale, de troubles psychiques ou d’un autre état de faiblesse qui affecte sa condition personnelle. Aux termes de l’art. 394 al. 1 CC, une curatelle de représentation est instituée lorsque la personne qui a besoin d’aide ne peut accomplir certains actes et doit de ce fait être représentée. L’art. 395 al. 1 CC permet par ailleurs à l’autorité de protection de l’adulte d’instituer une curatelle ayant pour objet la gestion du patrimoine, en déterminant les biens sur lesquels portent les pouvoirs du curateur; celle-ci est donc une forme spéciale de la curatelle de représentation, destinée à protéger les intérêts d’une personne dans l’incapacité de gérer son patrimoine quel qu’il soit, l’étendue de la mesure étant déterminée par le besoin de protection concret au regard des circonstances (arrêts 5A_103/2024 du 26 septembre 2024 consid. 3.2; 5A_567/2023 du 25 janvier 2024 consid. 3.1.3; 5A_319/2022 du 17 juin 2022 consid. 5.1; 5A_192/2018 du 30 avril 2018 consid. 3.1). Il n’est pas nécessaire que l’intéressé soit incapable de discernement, le besoin de protection et d’aide suffit (HAUSHEER/GEISER/AEBI-MÜLLER, Das neue Erwachsenenschutzrecht, 2 e éd. 2014, n° 2.102 p. 64).

Consid. 7.2
L’art. 389 CC soumet toutes les mesures de protection aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. L’application du principe de subsidiarité implique que l’autorité de protection de l’adulte ne peut ordonner une telle mesure que si l’aide dont a besoin la personne concernée ne peut pas être procurée par sa famille, ses proches ou par les services publics ou privés compétents (art. 389 al. 1 ch. 1 CC). Si l’autorité de protection de l’adulte constate que l’aide apportée par ce cercle de personnes ne suffit pas ou estime d’emblée qu’elle sera insuffisante, elle doit ordonner une mesure qui respecte le principe de la proportionnalité, à savoir une mesure nécessaire et appropriée (art. 389 al. 2 CC; ATF 140 III 49 consid. 4.3.1 et les références; parmi d’autres: arrêts 5A_567/2023 précité consid. 3.1.2; 5A_682/2022 du 8 juin 2023 consid. 3.1; 5A_221/2021 du 7 décembre 2021 consid. 5.1).

Consid. 7.3
Le curateur institué devient le représentant légal de la personne concernée dans le cadre des tâches qui lui sont confiées; il l’engage valablement par ses actes ou omissions (YVO BIDERBOST, in Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch, Band I: Art. 1-456 ZGB, 7 e éd. 2022, n° 18 ad art. 394 CC). L’institution d’une curatelle de représentation n’entraîne pas automatiquement une limitation de l’exercice des droits civils de la personne concernée, à moins que l’autorité de protection de l’adulte n’en décide autrement (art. 394 al. 2 CC; AUDREY LEUBA, in Commentaire romand, Code civil I: Art. 1-456 CC, 2 e éd. 2024, n° 17 ss ad art. 394 CC). Par ailleurs, contrairement à ce qui est le cas lors de l’institution d’une mesure de curatelle de portée générale, la curatelle de représentation, même doublée d’une restriction de la capacité civile, n’a aucun impact sur le domicile volontaire (art. 23 et 26 CC) de la personne concernée (AUDREY LEUBA, op. cit., n° 32 ad art. 394 CC).

Consid. 7.4
Selon l’art. 16 CC, est capable de discernement toute personne qui n’est pas privée de la faculté d’agir raisonnablement en raison de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d’ivresse ou d’autres causes semblables. La notion de capacité de discernement contient deux éléments: un élément intellectuel, la capacité d’apprécier le sens, l’opportunité et les effets d’un acte déterminé, et un élément volontaire ou caractériel, la faculté d’agir en fonction de cette compréhension raisonnable, selon sa libre volonté. La capacité de discernement ne doit pas être appréciée abstraitement mais en rapport avec un acte déterminé, selon la difficulté et la portée de cet acte (ATF 144 III 264 consid. 6.1.1; 134 II 235 consid. 4.3.2). On peut donc imaginer qu’une personne dont la capacité de discernement est généralement réduite puisse tout de même exercer certaines tâches quotidiennes et soit capable de discernement pour les actes qui s’y rapportent; pour des affaires plus complexes, en revanche, on pourra dénier sa capacité de discernement. Alors que l’expérience de la vie plaide généralement en faveur de la présomption de capacité de discernement, cette présomption trouve ses limites et s’inverse là où, en raison de l’état de santé général de la personne concernée, l’expérience de la vie plaide en faveur du fait que la personne doit généralement être considérée comme incapable de discernement (ATF 124 III 5 consid. 4b).

Consid. 7.5
En l’occurrence, l’assuré a atteint sa majorité le 01.09.2014. À partir de cette date, il n’était plus sous autorité parentale. Ses parents n’ont été nommés curateurs de leur fils qu’à partir du 25.08.2022. Pendant la période comprise entre le 01.09.2014 et le 25.08.2022, l’assuré ne disposait donc pas de représentant légal. Rien n’indique, contrairement à ce qu’allègue l’office AI recourant, que ce sont les parents de l’assuré qui ont tardé à requérir une curatelle officielle pour leur fils. Ces derniers ont expliqué dans leur réponse au recours que lorsqu’ils avaient voulu annoncer leur fils au contrôle des habitants lors de leur arrivée en Suisse, ils avaient été orientés dans un premier temps vers l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte qui n’avait pas jugé nécessaire de faire instaurer une curatelle pour établir le domicile de leur fils à Zurich. Lorsque le père de l’assuré a déposé, le 12.07.2021, une première demande de prestations d’assurance-invalidité en faveur de son fils, il n’était pas encore son curateur. Implicitement tout au moins, l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte a admis que les parents de l’assuré aider ce dernier dans ses démarches pour demander des prestations de l’assurance-invalidité en qualité de tiers qui l’assistent régulièrement ou prennent soin de lui de manière permanente, sans qu’il soit nécessaire de lui nommer un représentant légal. Au moment du dépôt de la demande d’allocation pour impotent le 25.03.2022, le père de l’assuré est donc intervenu en qualité de tiers au sens de l’art. 66 RAI, et non en qualité de représentant légal de son fils (art. 304 al. 1 CC a contrario). La situation a changé lorsque les parents de l’assuré ont été nommés ses co-curateurs avec pouvoirs de représentation, notamment dans les affaires sociales et les affaires juridiques. C’est seulement à partir de l’institution de cette mesure de curatelle de représentation que les parents de l’assuré sont devenus ses représentants légaux en l’engageant valablement par leurs actes ou omissions. Dans ces circonstances, c’est sans arbitraire que la juridiction cantonale a considéré que l’assuré ne pouvait pas se voir imputer l’ignorance du droit par ses parents avant la décision du 25.08.2022 et que par conséquent, il pouvait – sous réserve que les autres conditions du droit à la prestation fussent remplies – bénéficier de prestations arriérées pour une période de cinq ans au plus (cf. art. 24 al. 1 LPGA) à compter du dépôt de la demande de prestations, soit dès le 01.03.2017.

Consid. 8.1
Dans un grief très subsidiaire, l’office AI fait encore valoir que si l’on devait considérer que les parents de l’assuré n’avaient pas été ses représentants légaux avant la décision de la Justice de paix du 25.08.2022, l’assuré n’aurait pas pu, en l’absence de discernement, se constituer un domicile en Suisse, lequel est une condition du droit à l’allocation pour impotent.

Consid. 8.2
En vertu de l’art. 42 al. 1 LAI, les assurés impotents (art. 9 LPGA) qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 LPGA) en Suisse ont droit à une allocation pour impotent. Cette disposition pose explicitement l’exigence, entres autres conditions, du domicile et de la résidence habituelle en Suisse (ATF 135 V 249 consid. 4.4).

Consid. 8.3
En vertu de l’art. 13 LPGA, le domicile correspond au domicile civil selon les art. 23 à 26 CC (al. 1), tandis que la résidence habituelle correspond au lieu où la personne concernée séjourne un certain temps même si la durée de ce séjour est d’emblée limitée (al. 2; cf. ATF 141 V 530 consid. 5.1).

Consid. 8.3.1
Au sens des art. 13 al. 1 LPGA et 23 al. 1, 1re phrase, CC, le domicile civil de toute personne est au lieu où elle réside avec l’intention de s’y établir. La notion de domicile contient deux éléments: d’une part, la résidence, soit un séjour d’une certaine durée dans un endroit donné et la création en ce lieu de rapports assez étroits et, d’autre part, l’intention de se fixer pour une certaine durée au lieu de sa résidence qui doit être reconnaissable pour les tiers et donc ressortir de circonstances extérieures et objectives (ATF 143 II 233 c. 2.5.2; 141 V 530 c. 5.2; 137 II 122; 127 V 237). Cette intention implique la volonté manifestée de faire d’un lieu le centre de ses relations personnelles et professionnelles. L’intention de se constituer un domicile volontaire suppose que l’intéressé soit capable de discernement au sens de l’art. 16 CC. Cette exigence ne doit toutefois pas être appréciée de manière trop sévère (ATF 134 V 236 consid. 2.1; 127 V 237 consid. 2c) et peut être remplie par des personnes présentant une maladie mentale (ATF 143 II 233 c. 2.5.2; 141 V 530 c. 5.2).

L’intention d’une personne de se fixer au lieu de sa résidence ne doit pas être examinée de façon subjective, au regard de sa volonté interne, mais à la lumière de circonstances objectives, reconnaissables pour les tiers, permettant de conclure à l’existence d’une telle intention. Pour savoir quel est le domicile d’une personne, il faut tenir compte de l’ensemble de ses conditions de vie, le centre de son existence se trouvant à l’endroit, lieu ou pays, où se focalisent un maximum d’éléments concernant sa vie personnelle, sociale et professionnelle, de sorte que l’intensité des liens avec ce centre l’emporte sur les liens existant avec d’autres endroits ou pays (ATF 125 III 100 consid. 3). Déterminer les conditions de vie d’une personne, son comportement et les liens concrets qu’elle entretient avec un lieu donné relève de l’établissement des faits. En revanche, la conclusion qu’il faut en tirer quant à l’intention de s’établir durablement est une question de droit (cf. ATF 136 II 405 consid. 4.3; 97 II 1 consid. 3; arrêt 4A_588/2017 du 6 avril 2018 consid. 3.2.1).

Consid. 8.3.2
Par résidence habituelle au sens de l’art. 13 al. 2 LPGA, il convient de comprendre la résidence effective en Suisse (« der tatsächliche Aufenthalt ») et la volonté de conserver cette résidence; le centre de toutes les relations de l’intéressé doit en outre se situer en Suisse (ATF 119 V 111 consid. 7b et la référence). La notion de résidence doit être comprise dans un sens objectif, de sorte que la condition de la résidence effective en Suisse n’est en principe plus remplie à la suite d’un départ à l’étranger.

Consid. 8.4
En l’espèce, s’il ne fait pas de doutes que la première des deux conditions cumulatives de l’art. 23 al. 1 CC, soit le séjour d’une certaine durée en Suisse, est réalisée dans le cas de l’assuré, la seconde condition mérite un examen plus approfondi.

Consid. 8.4.1
On relèvera tout d’abord qu’il n’est pas établi, contrairement à ce qu’affirme l’office AI recourant, que l’assuré était privé de sa capacité de discernement, que ce soit au moment de son arrivée en Suisse ou par après. Les juges cantonaux ont certes retenu que l’assuré ne disposait pas d’une capacité de jugement adéquat quant à son état de santé. Ils n’ont cependant pas constaté que ce dernier était incapable de discernement au sens de l’art. 16 CC a contrario. Quoi qu’il en soit, on a vu que la capacité de discernement est une notion relative devant être appréciée concrètement par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance (cf. consid. 7.4 supra; voir aussi ATF 150 III 147 consid. 7.6.1). Elle ne doit en outre pas être appréciée de manière trop sévère lorsqu’elle l’est en lien avec l’intention de se fixer pour une certaine durée au lieu de sa résidence (cf. consid. 8.3.1 supra).

Consid. 8.4.2
Il ressort des faits constatés dans l’arrêt attaqué que l’assuré est arrivé en Suisse avec ses parents en mai 2015 et qu’il y réside depuis lors. En raison de son handicap, il dépend de l’assistance de ses parents. Il ne travaille pas, ne séjourne pas dans une institution, même temporairement, mais vit depuis toujours avec ses parents. D’un point de vue objectif, le centre des relations de l’assuré se trouve donc au lieu de résidence de ses parents, lieu où il dort, passe son temps libre et laisse ses effets personnels (DANIEL STAEHELIN, in Basler Kommentar, n° 6 ad art. 23 CC). Au regard des circonstances du cas d’espèce, il y a lieu d’en déduire que l’assuré avait son domicile civil et sa résidence habituelle en Suisse depuis 2015 jusqu’à ce jour. L’office AI n’a du reste pas remis en cause le domicile en Suisse de l’assuré lorsqu’il lui a reconnu le droit à une rente d’invalidité à compter du 01.01.2022.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

Arrêt 8C_32/2024 consultable ici

 

8C_331/2024 (f) du 29.11.2024 – Lien de causalité naturelle – Syndrome douloureux régional complexe (SDRC) / 6 LAA – 36 al. 1 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_331/2024 (f) du 29.11.2024

 

Consultable ici

 

Lien de causalité naturelle – Syndrome douloureux régional complexe (SDRC) / 6 LAA – 36 al. 1 LAA

 

Assuré, né en 1993, employé en dernier lieu comme maçon, qui a fait annoncer par déclaration de sinistre du 29.08.2022 un accident de travail survenu le 27.07.2022. Il a chuté d’environ 3 mètres sur un chantier, atterrissant brutalement sur ses pieds. Les examens initiaux n’ont révélé aucune lésion visible, mais des diagnostics d’entorse sévère de la cheville droite et de contusion lombaire ont été posés.

Des examens ultérieurs (IRM le 08.12.2022 et scanner le 13.01.2023) ont mis en évidence une coalition calcanéo-naviculaire à type de synfibrose ou synchondrose. L’assuré a été hospitalisé du 24.05.2023 au 28.05.2023 pour une opération de résection de cette coalition.

Par décision du 26.05.2023, l’assurance-accidents a mis fin au versement de ses prestations au 24.05.2023. Elle s’est fondée sur l’appréciation de son médecin-conseil du 16.05.2023, qui a estimé que l’état de santé antérieur à l’accident était rétabli depuis le 13.01.2023 au plus tard.

L’assuré a fait opposition en fournissant un rapport médical du 19.07.2023 diagnostiquant un status post-résection d’une coalition calcanéo-naviculaire traumatisée lors de l’accident, et évoquant une forte suspicion de syndrome douloureux régional complexe (SDRC). Se fondant sur une nouvelle appréciation médicale de son médecin-conseil, l’assurance-accidents a confirmé sa décision.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 30.04.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.2
On rappellera cependant qu’en vertu de l’art. 36 al. 1 LAA, les prestations pour soins, les remboursements de frais ainsi que les indemnités journalières et les allocations pour impotent ne sont pas réduits lorsque l’atteinte à la santé n’est que partiellement imputable à l’accident. Lorsqu’un état maladif préexistant est aggravé ou, de manière générale, apparaît consécutivement à un accident, le devoir de l’assurance-accidents d’allouer des prestations cesse si l’accident ne constitue pas la cause naturelle (et adéquate) du dommage, soit lorsque ce dernier résulte exclusivement de causes étrangères à l’accident. Tel est le cas lorsque l’état de santé de l’intéressé est similaire à celui qui existait immédiatement avant l’accident (statu quo ante) ou à celui qui existerait même sans l’accident par suite d’un développement ordinaire (statu quo sine). A contrario, aussi longtemps que le statu quo sine vel ante n’est pas rétabli, l’assureur-accidents doit prendre à sa charge le traitement de l’état maladif préexistant, dans la mesure où il s’est manifesté à l’occasion de l’accident ou a été aggravé par ce dernier (ATF 146 V 51 consid. 5.1 et les arrêts cités). En principe, on examinera si l’atteinte à la santé est encore imputable à l’accident ou ne l’est plus (statu quo ante ou statu quo sine) sur le critère de la vraisemblance prépondérante, usuel en matière de preuve dans le domaine des assurances sociales (ATF 129 V 177 consid. 3.1), étant précisé que le fardeau de la preuve de la disparition du lien de causalité appartient à la partie qui invoque la suppression du droit (ATF 146 V 51 consid. 5.1 in fine; arrêt 8C_675/2023 du 22 mai 2024 consid. 3).

Consid. 4.3.1
En ce qui concerne le SDRC (ou complex regional pain syndrome [CRPS]), anciennement nommé algodystrophie ou maladie de Sudeck, dont se plaint l’assuré, on rappellera qu’il a été décrit en 1994 par un groupe de travail de l’International Association for the Study of Pain (IASP). Il constitue une entité associant la douleur à un ensemble de symptômes et de signes non spécifiques qui, une fois assemblés, fondent un diagnostic précis (FRANÇOIS LUTHI/PIERRE-ALAIN BUCHARD/ANTONIO CARDENAS/CHRISTINE FAVRE/MICHEL FÉDOU/MARLÈNE FOLI/JEANSAVOY/JEAN-LUC TURLAN/MICHEL KONZELMANN, Syndrome douloureux régional complexe, in Revue médicale suisse 2019 [cité: LUTHI/BUCHARD et al.], p. 495). L’IASP a réalisé un consensus diagnostique aussi complet que possible avec la validation, en 2010, des critères dits de Budapest. Le diagnostic de SDRC requiert ainsi, selon les critères de Budapest, que les éléments caractéristiques suivants soient satisfaits (arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.1; cf. également DAVID IONTA, Le syndrome douloureux régional complexe [SDRC] et causalité en LAA, in Jusletter 18 octobre 2021, ch. 19 et les références) :

1) Une douleur persistante disproportionnée par rapport à l’événement déclencheur;

2) Le patient doit rapporter au moins un symptôme dans trois des quatre catégories suivantes:
a) Sensorielle: hyperesthésie et/ou une allodynie
b) Vasomotrice: asymétrie au niveau de la température et/ou changement/asymétrie au niveau de la coloration de la peau
c) Sudomotrice/oedème: oedème et/ou changement/asymétrie au niveau de la sudation
d) Motrice/trophique: diminution de la mobilité et/ou dysfonction motrice (faiblesse, tremblements, dystonie) et/ou changements trophiques (poils, ongles, peau);

3) Le patient doit démontrer au moment de l’examen au moins un signe clinique dans deux des quatre catégories suivantes:
a) Sensorielle: hyperalgésie (piqûre) et/ou allodynie (au toucher léger et/ou à la pression et/ou à la mobilisation)
b) Vasomotrice: différence de température et/ou changement /asymétrie de coloration de la peau
c) Sudomotrice/oedème: oedème et/ou changement/asymétrie au niveau de la sudation
d) Motrice/trophique: diminution de la mobilité et/ou dysfonction motrice (faiblesse, tremblement, dystonie) et/ou changements trophiques (poils, ongles, peau);

4) Il n’existe aucun autre diagnostic permettant de mieux expliquer les symptômes et les signes cliniques.

Ces critères sont exclusivement cliniques et ne laissent que peu de place aux examens radiologiques (radiographie, scintigraphie, IRM). L’utilisation de l’imagerie fait l’objet d’une controverse dans le milieu médical, mais garde un rôle notamment dans la recherche de diagnostics différentiels, ou lorsque les signes cliniques sont discrets ou incomplets ainsi que dans certaines formes atypiques (KARIN DISERENS/PHILIPPE VUADENS/JOSEPH GHIKA, Syndrome douloureux régional complexe: rôle du système nerveux central et implications pour la prise en charge, in Revue médicale suisse 2020, p. 886; FRANÇOIS LUTHI/MICHEL KONZELMANN, Le syndrome douloureux régional complexe [algodystrophie] sous toutes ses formes, in Revue médicale suisse 2014, p. 271). En pratique, si les critères 1 à 3 sont remplis et le critère 4 est respecté, on doit considérer que le patient souffre d’un SDRC; toutefois la valeur prédictive positive n’est que de 76 %. Si les critères sont partiellement remplis, il faut poursuivre le diagnostic différentiel et réévaluer le patient. Si les critères ne sont pas remplis, le patient a une probabilité quasi nulle d’avoir un SDRC (arrêt 8C_71/2024 du 30 août 2024 consid. 6.2; LUTHI/BUCHARD et al., p. 498).

Consid. 4.3.2
S’agissant de l’admission d’un lien de causalité entre un accident et une algodystrophie, le Tribunal fédéral a considéré, dans un arrêt 8C_384/2009 du 5 janvier 2010, que trois conditions cumulatives devaient être remplies:

  • la preuve d’une lésion physique après un accident (p. ex. un hématome ou une enflure) ou l’apparition d’une algodystrophie à la suite d’une opération nécessitée par l’accident;
  • l’absence d’un autre facteur causal de nature non traumatique (p. ex. état après un infarctus du myocarde, après une apoplexie, etc.);
  • une courte période de latence entre l’accident et l’apparition de l’algodystrophie (au maximum six à huit semaines).

Dans un article paru en 2013, RITA SCHAUMANN, WALTER VOGT et FLORIAN BRUNNER expliquent que la question de la causalité entre un accident et un SDRC doit être résolue en étudiant en particulier l’évolution en fonction du temps et en prenant en compte les critères de Budapest ainsi que d’autres facteurs ayant marqué significativement le décours. Ce n’est qu’une fois que l’expert a posé un diagnostic de SDRC qu’il faut, s’agissant de la causalité accidentelle, démontrer qu’une lésion corporelle de l’extrémité concernée s’est bien produite; si tel est le cas, se pose alors la question de savoir si le SDRC est apparu durant la période de latence correspondante de six à huit semaines (RITA SCHAUMANN/WALTER VOGT/FLORIAN BRUNNER, Expertise, in Wilfrid Jänig/Rita Schaumann/Walter Vogt [éditeurs], SDRC – Syndrome douloureux régional complexe, 2013, p. 130 s.). Cette période de latence de six à huit semaines ne constitue qu’une valeur empirique et ne fait nullement l’objet d’un consensus médical. Au demeurant, elle a été proposée en 1998, soit avant que les critères diagnostiques du SDRC aient été établis. On ne saurait dès lors établir, sur le plan juridique, une règle absolue sur le délai dans lequel les symptômes du SDRC devraient se manifester (cf. arrêt 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.2.1 et 5.2.2 et les références, in SVR 2021 UV n° 9 p. 48). Dans un arrêt 8C_177/2016 du 22 juin 2016, le Tribunal fédéral a du reste précisé, s’agissant du temps de latence entre l’événement accidentel et l’apparition du SDRC, qu’il n’est pas nécessaire qu’un SDRC ait été diagnostiqué dans les six à huit semaines après l’accident pour admettre son caractère causal avec l’événement accidentel; il est en revanche déterminant qu’on puisse conclure, en se fondant sur les constats médicaux effectués en temps réel, que la personne concernée a présenté, au moins partiellement, des symptômes typiques du SDRC durant la période de latence de six à huit semaines après l’accident (arrêt 8C_71/2024 du 30 août 2024 consid. 6.2; 8C_416/2019 du 15 juillet 2020 consid. 5.2.3 et les arrêts cités).

Consid. 5.1 [résumé]
Le médecin-conseil de l’assurance-accidents a conclu dans ses avis des 16.05.2023 et 11.08.2023 que l’accident n’avait probablement pas causé de lésion structurelle objectivable. Les examens radiologiques n’avaient révélé aucune atteinte osseuse le jour de l’accident ni de séquelles lors des examens ultérieurs. Cependant, ces examens avaient mis en évidence une coalition calcanéo-naviculaire dystrophique étendue, une malformation embryonnaire considérée comme une atteinte maladive constitutionnelle. Selon le médecin-conseil, l’accident aurait tout au plus aggravé temporairement cette condition préexistante. Les médecins de l’Hôpital avaient diagnostiqué une coalition calcanéo-naviculaire traumatisée lors de l’accident, mais aucun de leurs rapports, y compris le rapport opératoire, ne mentionnait de lésion structurelle imputable à l’accident. Le médecin-conseil a donc conclu que la pathologie nécessitant l’intervention du 24.05.2023 n’était probablement pas liée à l’accident et que les effets de celui-ci avaient cessé au 13.01.2023, date à laquelle aucune séquelle structurelle d’une atteinte traumatique n’était documentée au niveau de la cheville et du pied droits.

Consid. 5.2
Les juges cantonaux ont reconnu une pleine valeur probante à l’avis du médecin-conseil. En s’appuyant sur ses conclusions, ils ont retenu que les douleurs qu’éprouvait l’assuré à partir du 13.01.2023 n’étaient plus causées par les suites de l’accident, mais étaient dues à la coalition calcanéo-naviculaire qui avait été constatée par l’imagerie entreprise à la suite de l’accident. Par conséquent, c’était à juste titre que l’assurance-accidents avait mis fin aux indemnités journalières et à la prise en charge des traitements médicaux au 24.05.2024.

Consid. 5.3 [résumé]
La cour cantonale a examiné la question du syndrome douloureux régional complexe (SDRC) mentionné dans les rapports postopératoires de l’Hôpital en juin et juillet 2023. Elle a noté que la première suspicion de ce trouble était apparue plus de dix mois après l’accident, et que les symptômes semblaient être survenus après l’opération du 24.05.2023, et non dans les six à huit semaines suivant l’accident. Le Dr E.__, neurologue, a suggéré dans son rapport du 30.10.2023 que les symptômes étaient typiques d’un syndrome de Sudeck, mais il les a liés à l’opération de mai 2023 plutôt qu’à l’accident de juillet 2022. Un diagnostic formel de SDRC de type I du pied droit a été posé par le service de rhumatologie le 21.03.2024. Cependant, compte tenu de la chronologie des événements, la cour a estimé qu’il n’était pas possible d’établir, avec le degré de vraisemblance prépondérante requis, un lien de causalité naturelle entre le SDRC diagnostiqué en mars 2024 et l’accident du 27.07.2022.

Consid. 6.2.1 [résumé]
L’assuré invoque la jurisprudence selon laquelle la causalité d’un SDRC peut être admise si des symptômes typiques apparaissent dans les six à huit semaines suivant l’accident. Il argue que, bien que le SDRC n’ait été formellement diagnostiqué qu’en mars 2024, il présentait des symptômes caractéristiques peu après l’accident. Il souligne avoir souffert de douleurs invalidantes et d’une incapacité de travail continue depuis l’accident. Son médecin traitant, le Dr G.__, aurait signalé une complication avec douleur chronique en janvier 2023 et une gêne persistante de la cheville droite en novembre 2023. Le rapport de l’Hôpital de mars 2024 mentionne également une douleur persistante et disproportionnée par rapport à l’événement initial, sans lien avec un autre traumatisme que l’accident, l’opération n’étant mentionnée qu’à titre accessoire. Selon l’assuré, pour nier le lien de causalité, on ne saurait se fonder sur le rapport du médecin d’arrondissement, qui reposait uniquement sur l’examen de l’imagerie médicale, parce que cette méthode de diagnostic est impropre à établir une atteinte de santé de type SDRC.

Consid. 6.2.2
L’assuré ne saurait être suivi. Le médecin traitant a certes constaté des douleurs chroniques et une impotence fonctionnelle, toutefois le rapport auquel se réfère l’assuré date du 18.01.2023 et a ainsi été établi environ six mois après l’accident. En outre, ce praticien a également signalé l’existence de la coalition calcanéo-naviculaire. Hormis les douleurs, il n’a mentionné aucun autre symptôme pouvant faire suspecter un SDRC. De même, les médecins de la clinique orthopédique et de traumatologie de l’Hôpital n’ont pas retenu de tels symptômes (outre les douleurs) lors de leur examen clinique du 22.02.2023. Par ailleurs, le dossier ne contient aucun document faisant état de constatations médicales effectuées en temps réel – c’est-à-dire dans la période de six à huit semaines après l’accident -, qui témoigneraient de la présence (au moins partielle) de symptômes typiques du SDRC. Rien d’autre ne ressort du rapport de l’Hôpital du 21.03.2024. Les médecins y mentionnent certes des douleurs persistantes, mais situent leur exacerbation, tout comme l’apparition d’autres symptômes typiques d’un SDRC (comme une asymétrie de température, un changement de couleur au niveau du pied droit, une tuméfaction du pied ainsi qu’une raideur au niveau de celui-ci et une diminution de la force) dans le temps après l’opération. Ceci concorde avec les rapports médicaux postopératoires de l’Hôpital de juin et juillet 2023, qui expriment une très haute suspicion de SDRC.

Consid. 6.3
En résumé, la cour cantonale n’a pas violé le droit fédéral en niant un lien de causalité entre l’accident du 27.07.2022 d’une part et l’opération du 24.05.2024 ainsi que le SDRC subséquent d’autre part.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_331/2024 consultable ici

 

8C_349/2024 (f) du 19.12.2024 – Dies a quo du délai d’opposition de l’employeur qui a été informé par courriel de l’envoi d’une décision pour son employée / Décision formelle vs informelle

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_349/2024 (f) du 19.12.2024

 

Consultable ici

 

Dies a quo du délai d’opposition de l’employeur qui a été informé par courriel de l’envoi d’une décision pour son employée / 49 LPGA – 52 LPGA

Décision formelle vs informelle / 49 LPGA – 51 LPGA

 

B.B.__ est l’unique associé gérant, avec signature individuelle, de la société A.__ Sàrl (ci-après aussi: la société). C.B.__ (ci-après: l’assurée), née en 1991, fille de B.B.__, a été engagée par la société comme assistante de direction. Le 13.06.2021, l’assurée a été victime d’un accident et s’est plainte depuis lors de douleurs lombaires. L’assurance-accidents a pris en charge le cas. Le 22.03.2022, celle-ci a informé par téléphone B.B.__ que les frais du cas de sa fille seraient pris en charge jusqu’au 16.09.2021 et qu’ensuite, le cas relèverait de la maladie; l’attention du prénommé était en outre attirée sur la possibilité de déposer une opposition motivée contre la décision à venir.

Par décision du 23.03.2022, l’assurance-accidents a mis un terme à ses prestations avec effet au 16.09.2021, motif pris qu’après cette date, le lien de causalité entre l’accident et les troubles de l’assurée ne pouvait plus être admis au degré de la vraisemblance prépondérante. Cette décision a été notifiée à l’assurée par courrier postal le 25.03.2022.

Le 24.03.2022, l’assurance-accidents a envoyé un courriel à la société, à l’adresse électronique de B.B.__, dont la teneur était la suivante:
« […] En notre qualité d’assureur-accidents obligatoire, nous avons examiné notre obligation de verser des prestations pour l’événement du 13 juin 2021. À titre d’information, nous vous communiquons un extrait de notre décision du 23.03.2022.

Dispositif

  1. L’assurance-accidents met un terme au versement de ses prestations au 16 septembre 2021.
  2. En application de l’art. 11 al. 1, let. b de l’ordonnance sur la partie générale du droit des assurances sociales (OPGA), l’effet suspensif est retiré pour tout recours éventuel.

Si vous avez des questions, n’hésitez pas à nous contacter. Nous vous fournirons volontiers de plus amples informations. […] »

Par courriel du 24.05.2022, B.B.__ a, au nom de la société, manifesté son opposition à la décision du 23.03.2022. Par décision sur opposition du 13.07.2022, l’assurance-accidents a déclaré l’opposition irrecevable pour tardiveté; le délai d’opposition avait commencé à courir le 25.03.2022, soit le lendemain de la notification régulière par voie électronique, et était arrivé à échéance – compte tenu des féries judiciaires – le dimanche 08.05.2022, le terme devant être reporté au 09.05.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 93/22 – 40/2024 – consultable ici)

Par jugement du 02.05.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 49 al. 1 LPGA, l’assureur doit rendre par écrit les décisions qui portent sur des prestations, créances ou injonctions importantes ou avec lesquelles l’intéressé n’est pas d’accord. L’art. 49 al. 3 LPGA dispose que les décisions indiquent les voies de droit (première phrase); elles doivent être motivées si elles ne font pas entièrement droit aux demandes des parties (deuxième phrase); la notification irrégulière d’une décision ne doit entraîner aucun préjudice pour l’intéressé (troisième phrase). Aux termes de l’art. 51 LPGA, les prestations, créances et injonctions qui ne sont pas visées à l’art. 49 al. 1 peuvent être traitées selon une procédure simplifiée (al. 1); l’intéressé peut exiger qu’une décision soit rendue (al. 2). L’art. 52 al. 1 LPGA prévoit que les décisions peuvent être attaquées dans les trente jours par voie d’opposition auprès de l’assureur qui les a rendues, à l’exception des décisions d’ordonnancement de la procédure.

Consid. 3.2.1
S’agissant du délai pour contester un acte de l’administration, la jurisprudence distingue selon qu’il s’agit de la clôture du cas signifiée de manière informelle ou d’un décompte d’indemnités journalières. Dans la première éventualité, le délai pour faire part de son désaccord est d’un an car, sur cette question, l’administration aurait dû obligatoirement statuer par le biais d’une décision écrite (art. 49 al. 1 LPGA; voir aussi l’art. 124 OLAA; cf. ATF 134 V 145 consid. 5.3.2; 132 V 412 consid. 4). La situation est en revanche différente dans la seconde éventualité, à savoir lorsque l’intéressé veut contester une communication pouvant faire l’objet d’une procédure simplifiée en vertu de l’art. 51 al. 1 LPGA. Contre une communication effectuée conformément au droit sous la forme simplifiée, il est possible d’exiger une décision écrite dans un délai de réflexion, qui, selon les circonstances, peut être supérieur au délai légal de 30 jours mais qui ne saurait cependant dépasser plusieurs mois (ATF 134 V 145 consid. 5.3.1). Aussi, ce délai doit-il être fixé à 3 mois ou 90 jours à compter de la communication d’un décompte d’indemnité journalière (arrêt 8C_789/2012 du 16 septembre 2013 consid. 4.1 et les arrêts cités).

Consid. 3.2.2
L’art. 49 al. 3 LPGA, à teneur duquel la notification irrégulière d’une décision ne doit entraîner aucun préjudice pour l’intéressé, consacre un principe général du droit qui concrétise la protection constitutionnelle de la bonne foi et les garanties conférées par l’art. 29 al. 1 et 2 Cst. (arrêt 9C_239/2022 du 14 septembre 2022 consid. 5.1; cf. ATF 145 IV 259 consid. 1.4.4; 144 II 401 consid. 3.1). Cependant, la jurisprudence n’attache pas nécessairement la nullité à l’existence de vices dans la notification: la protection des parties est suffisamment garantie lorsque la notification irrégulière atteint son but malgré cette irrégularité. Il y a lieu d’examiner, d’après les circonstances du cas concret, si la partie intéressée a réellement été induite en erreur par l’irrégularité de la notification et a, de ce fait, subi un préjudice. Il convient à cet égard de s’en tenir aux règles de la bonne foi qui imposent une limite à l’invocation du vice de forme (ATF 150 II 26 consid. 3.5.4; 139 IV 228 consid. 1.3; 122 I 97 consid. 3a/aa). En vertu de ce principe, l’intéressé est tenu de se renseigner sur l’existence et le contenu de la décision dès qu’il peut en soupçonner l’existence, sous peine de se voir opposer l’irrecevabilité d’un éventuel moyen pour cause de tardiveté (ATF 139 IV 228 consid. 1.3).

Consid. 5.2.1
Il n’est pas contesté que la décision du 23.03.2022, qui contient notamment une motivation et l’indication de la voie de droit, a été valablement notifiée à l’assurée le 25.03.2022. Ce faisant, l’assurance-accidents a rendu à juste titre une décision au sens de l’art. 49 LPGA puisqu’elle a mis un terme à ses prestations. Par courriel du 24.03.2022, elle a communiqué à l’employeuse recourante un extrait de cette décision, à savoir son dispositif. Dès lors qu’au moment de l’envoi de ce courriel, une décision formelle avait d’ores et déjà été émise, ce à quoi l’employeuse recourante a d’ailleurs été rendue attentive, on ne saurait considérer que celle-ci disposait, en application de la jurisprudence (cf. consid. 3.2.1 supra), d’un délai d’une année pour exiger qu’une décision écrite au sens de l’art. 49 al. 1 LPGA soit rendue. Il s’agit donc bien, comme retenu par le tribunal cantonal, d’un cas de notification irrégulière d’une décision, l’assurance-accidents ayant transmis à l’employeuse recourante le seul dispositif de sa décision, sans motivation ni indication de la voie de droit, de surcroît par courrier électronique.

Consid. 5.2.2
En ce qui concerne l’absence de préjudice causé par la notification irrégulière, le raisonnement des juges cantonaux peut également être confirmé. Le courriel adressé à l’employeuse recourante le 24.03.2022 renvoyait expressément à la décision du 23.03.2022, régulièrement notifiée à l’assurée le 25.03.2022. Il ressortait clairement de ce courriel que seul un extrait de cette décision était transmis à l’employeuse recourante. B.B.__, seul représentant de l’employeuse recourante, avait par ailleurs été averti deux jours plus tôt qu’une décision mettant fin aux prestations allait être rendue et qu’il serait possible de s’y opposer. À réception du courriel du 24.03.2022, le prénommé savait donc qu’une décision avait été rendue le jour précédent, que l’assurance-accidents mettait un terme aux prestations au 16.09.2021 et qu’il était possible de s’opposer à cette décision. Conformément aux règles de la bonne foi, il était tenu de se renseigner sans délai sur le contenu de la décision en question, en vue notamment de prendre connaissance de la motivation et de la voie de droit. Pour ce faire, il pouvait s’adresser à l’assurée – à savoir sa fille -, qui était en possession de la décision dans son intégralité dès le 25.03.2022, ou à l’assurance-accidents, qui aurait été en mesure de lui faire parvenir la décision complète. Dans ces conditions, la cour cantonale a confirmé à juste titre qu’en ne s’opposant à la décision du 23.03.2022 que le 25.05.2022, l’employeuse recourante pouvait se voir opposer l’irrecevabilité de son opposition pour cause de tardiveté. Le point – débattu dans le cadre de l’échange d’écritures – de savoir quand B.B.__ a effectivement eu connaissance de la décision notifiée à sa fille peut demeurer indécis, dès lors que l’intéressé était quoi qu’il en soit tenu de se renseigner dès le 24.03.2022. Il s’ensuit que l’arrêt cantonal ne prête pas le flanc à la critique, que ce soit sous l’angle de l’établissement des faits – que le Tribunal fédéral n’examine que sous l’angle de l’arbitraire – ou de l’application du droit.

Le TF rejette le recours de l’employeuse.

 

Arrêt 8C_349/2024 consultable ici

 

9C_46/2024 (f) du 31.10.2024 – Changement de caisse-maladie d’assureur en cas de non-paiement des primes et des participations aux coûts ou de retard de paiement / Réparation du dommage résultant de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_46/2024 (f) du 31.10.2024

 

Consultable ici

 

Changement de caisse-maladie d’assureur en cas de non-paiement des primes et des participations aux coûts ou de retard de paiement / 7 LAMal – 64a LAMal – 105l OAMal

Réparation du dommage résultant de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur / 7 al. 6 LAMal

Indemnité pour tort moral / 49 CO – 78 LPGA

Frais de défense engagés par les assurés comme un élément du dommage

 

Affiliés à Helsana pour l’assurance obligatoire des soins depuis le 01.01.2012, les conjoints A.__ et B.__ ont résilié leurs contrats pour le 31.12.2014 par courriers du 25.11.2014.

Le 09.01.2015, Helsana a d’abord refusé ces résiliations (au motif que toutes les factures qu’elle avait émises en 2014 n’avaient pas été payées), puis les a acceptées par courrier du 02.06.2015, sous réserve du paiement des primes échues et du dépôt d’une attestation d’affiliation à un autre assureur-maladie depuis le 01.01.2015. Faute pour les assurés d’avoir présenté l’attestation requise, le changement d’assureur-maladie n’a pas eu lieu.

Helsana a poursuivi les assurés pour des primes impayées entre novembre 2016 et janvier 2019, et a prononcé des mainlevées d’opposition. L’assureur a également refusé de résilier rétroactivement les contrats au 31.12.2014. Le tribunal cantonal, saisi de recours contre ces décisions, a annulé celles-ci et renvoyé l’affaire à Helsana pour qu’elle évalue le dommage causé aux assurés par le refus injustifié de résiliation. Le Tribunal fédéral, sur recours d’Helsana, a partiellement admis ce dernier, par arrêt 9C_203/2021 du 02.02.2022; il a annulé l’arrêt du 13.02.2021, en tant qu’il portait sur l’annulation des décisions sur opposition du 13.11.2019, et a rejeté le recours pour le surplus.

Helsana a ensuite évalué le dommage causé aux assurés à 1’983 fr. 60 pour A.__ et 1’618 fr. 80 pour B.__, correspondant à la différence entre les primes qu’ils auraient payées au nouvel assureur-maladie (soit Assura en l’occurrence) et celles d’Helsana en 2015. Après compensation avec les arriérés de primes dus par les assurés (29’172 fr. 50), Helsana a conclu n’avoir rien à leur verser.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/940/2023 – consultable ici)

Par jugement du 05.12.2023, admission partielle des recours par le tribunal cantonal, reformant les décisions sur opposition en ce sens que Helsana devait payer, à titre de dommage résultant de l’empêchement de changer d’assureur-maladie au 01.01.2015, les sommes de 10’071 fr. 40 à l’assuré et de 9’161 fr. 80 à l’assurée, avec intérêts à 5% l’an dès le 01.01.2019.

 

TF

Consid. 4
L’arrêt attaqué expose les normes et la jurisprudence nécessaires à la résolution du cas, plus particulièrement celles relatives au changement d’assureur (art. 7 LAMal) en cas de non-paiement des primes et des participations aux coûts (art. 64a LAMal) ou de retard de paiement (art. 105l OAMal) et à la réparation du dommage résultant de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur (art. 7 al. 6 LAMal; cf. arrêt 9C_203/2021 du 2 février 2022 consid. 7.2). Il cite en outre la jurisprudence portant sur le niveau de vraisemblance qu’un fait doit atteindre pour être considéré comme établi (ATF 144 V 427 consid. 3.2) et l’appréciation anticipée des preuves (ATF 145 I 167 consid. 4.1). Il expose encore les dispositions légales et la jurisprudence concernant le principe de la bonne foi en relation avec la transmission de renseignements erronés (ATF 131 II 627 consid. 6), le droit à une réparation morale en relation avec une atteinte à la personnalité (art. 49 CO et 78 LPGA) et les frais de défense en tant que poste du dommage en matière de responsabilité civile (ATF 131 II 121 consid. 2.1; arrêt 4A_346/2023 du 13 juin 2024 consid. 5.1.3). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 5.1.1 [résumé]
La cour cantonale a estimé que l’assureur avait violé son devoir d’information en ne communiquant pas le montant des arriérés dus avant le 02.06.2015. Cette violation engendrait une obligation de réparation du dommage pour l’année 2015, mais pas pour les années suivantes, car les assurés restaient tenus de payer leurs primes malgré l’empêchement fautif de changer d’assureur. Cependant, la responsabilité de l’assureur concernant l’impossibilité de changer de caisse-maladie et le dommage en résultant s’étendait jusqu’au 31.12.2017. Cette extension de responsabilité était due à des courriers équivoques de l’assureur qui, jusqu’en 2017, avaient laissé croire aux assurés qu’une résiliation rétroactive de leurs contrats au 31.12.2014 était encore possible.

Consid. 5.1.2 [résumé]
Les recourants contestent la limitation de la période d’indemnisation au 31.12.2017, affirmant que le lien de causalité entre le comportement de leur caisse d’assurance-maladie et l’impossibilité de changer d’assureur s’étendait au-delà de cette date. Les recourants retracent la chronologie des événements, du refus d’Assura d’accepter leur affiliation rétroactive en avril 2017 jusqu’à l’arrêt du Tribunal fédéral en février 2022. Ils soutiennent que l’assureur n’a pas modifié son comportement, qualifié de fautif et manquant de transparence, jusqu’à la confirmation par le Tribunal fédéral en 2022. Par conséquent, ils estiment que la période d’indemnisation devrait être étendue jusqu’au 31.12.2022. Les recourants affirment également n’avoir jamais reçu le courrier d’Assura du 18.04.2017, remettant ainsi en question un élément clé de la chronologie établie par l’autorité cantonale.

Consid. 5.1.3
L’argumentation des assurés est infondée. Comme l’ont dûment indiqué les juges cantonaux, la conséquence légale de l’impossibilité de changer d’assureur du fait de l’ancien assureur ne consiste pas en une reconnaissance du changement d’assureur avec effet rétroactif, mais en l’obligation de l’ancien assureur de verser des dommages-intérêts conformément aux principes généraux du droit de la responsabilité civile. Elle suppose ainsi un acte ou une omission illicite, un dommage, un lien de causalité entre l’acte ou l’omission d’une part et le dommage d’autre part, ainsi qu’une faute (cf. art. 41 CO en lien avec l’art. 7 al. 6 LAMal; ATF 130 V 448 consid. 5.2). Or, en l’occurrence, la juridiction cantonale a considéré que le fait pour la caisse-maladie intimée de ne pas avoir chiffré le montant des arriérés de primes avant le 02.06.2015 constituait une violation de son obligation d’informer qui avait empêché les recourants de changer d’assureur et leur avait causé un dommage dû notamment à la différence entre les primes qu’ils auraient payées à Assura et celles qu’ils ont payées à l’assureur intimé en 2015. Elle a relevé que ce dernier avait du reste admis ce poste du dommage. Elle a en outre retenu que le fait pour la caisse-maladie intimée d’avoir laissé entendre aux assurés dans ses courriers des 02.06.2015 et 15.03.2017 que leurs contrats pourraient sous conditions particulières être résiliés de manière rétroactive au 31.12.2014 constituait une violation du principe de la bonne foi en lien avec la communication d’informations erronées, qui avait empêché les recourants de changer d’assureur et prolongé la période au cours de laquelle ils avaient subi un dommage jusqu’au mois de mai 2017.

On relèvera toutefois que, contrairement à ce que les recourants soutiennent, ils ne pouvaient plus dès le mois de mai 2017 se prévaloir d’un comportement fautif de la part de la caisse-maladie intimée ni de la communication de la part de celle-ci de renseignements erronés justifiant l’impossibilité de changer d’assureur et la persistance d’un dommage au-delà du 31 décembre 2017. En effet, par courrier du 18.04.2017, Assura avait clairement indiqué qu’elle avait annulé les contrats initialement conclus avec les assurés conformément à la loi (compte tenu de l’annonce de l’assureur intimé du 09.01.2015 relative au maintien de l’affiliation) et qu’elle n’entendait pas accéder à une demande d’affiliation rétroactive mais restait à disposition des assurés pour leur adresser une offre d’affiliation valable dès le 01.01.2018. Ce courrier avait été adressé au recourant qui gérait aussi les affaires de son épouse. Ces différents éléments avaient également été communiqués directement au mandataire (à l’époque) des assurés par courrier de l’assureur intimé du 15.05.2017, qui évoquait expressément le maintien de l’affiliation. Dans ces circonstances, les juges cantonaux n’ont pas fait preuve d’arbitraire ni violé le droit fédéral en excluant l’existence d’un dommage causé par un comportement fautif de la caisse-maladie intimée au-delà du 31.12.2017 et, partant, une obligation de le réparer.

Consid. 5.2.1 [résumé]
La juridiction cantonale a examiné les différents éléments du dommage subi par les recourants, en se concentrant particulièrement sur la différence de primes entre leur assureur actuel et Assura, l’assureur qu’ils auraient choisi.

Pour 2015, le tribunal a calculé un dommage de 1’983 fr. 60 pour le recourant et 1’618 fr. 80 pour la recourante, basé sur la différence entre les primes mensuelles payées à l’assureur actuel et celles qui auraient été payées à Assura.

Le calcul a été étendu aux années 2016 et 2017, en utilisant les mêmes modèles d’assurance choisis par les recourants auprès d’Assura et conclus avec l’assureur intimé. Le dommage total a été fixé à 4’108 fr. 80 pour le recourant et 3’564 fr. pour la recourante.

La cour a exclu du calcul la redistribution de la taxe environnementale et les subsides, considérant qu’ils ne variaient pas selon l’assureur. Elle a également rejeté l’hypothèse d’un modèle d’assurance plus avantageux à partir de 2016, estimant que cette possibilité n’était pas suffisamment établie. Cependant, elle a pris en compte l’absence de couverture du risque accident pour l’assurée en 2017.

Consid. 5.2.2
Les recourants contestent uniquement les montants retenus par le tribunal cantonal au titre des primes qu’ils auraient payées s’ils avaient pu changer d’assureur. Ils soutiennent en substance que, vu leur situation financière, rien ne démontre que les montants à prendre en compte seraient ceux figurant dans le contrat d’assurance conclu avec Assura, ni qu’ils n’auraient pas cherché à minimiser leurs coûts en renonçant à couvrir le risque accident dès 2015, comme l’art. 9 LAMal en lien avec l’art. 8 al. 1 LAMal le leur permettait, et en optant pour le modèle « médecin de famille » dès 2016.

Consid. 5.2.3
Cette argumentation n’est pas fondée. On rappellera que les juges cantonaux ont fixé le montant des primes 2015 en fonction de la police d’assurance conclue avec Assura. Or une police d’assurance est un certificat qui atteste le contrat passé entre l’assuré et sa caisse-maladie. Contrairement à ce qu’allèguent les assurés, il ne s’agit pas seulement d’un document démontrant la continuité de la couverture d’assurance obligatoire mais d’un véritable contrat décrivant précisément les conditions auxquelles la couverture d’assurance est accordée ou reprise. Il n’était dès lors pas arbitraire de la part de la juridiction cantonale de reprendre le montant des primes indiqué dans les polices d’assurance signées par les recourants.

On précisera que si l’art. 8 al. 1 LAMal permet à l’assuré de demander la suspension de la couverture du risque accident, cette suspension n’est qu’une possibilité et ne découle pas automatiquement de l’existence d’une couverture d’assurance au sens de la LAA. Elle est conditionnée notamment par une demande dont le dépôt éventuel en 2015 ou plus tard n’a en l’occurrence pas été rendu vraisemblable.

Une situation financière précaire ne suffit pas davantage à établir qu’une telle demande aurait été immanquablement déposée par les recourants. Le fait que la juridiction cantonale a admis que l’assurée aurait présenté une telle demande en 2017 en raison de la circonstance particulière d’une reprise d’une activité professionnelle cette année-là et qu’elle n’a pas pris en considération une telle éventualité pour le recourant dès 2015 n’apparaît pas arbitraire. Celui-ci était en effet déjà actif en 2015 et avait alors opté pour le modèle d’assurance pris en compte dans le calcul du dommage. On ajoutera par ailleurs que les considérations développées par les assurés à propos du choix du modèle « médecin de famille » dès 2016 ne sont que des éventualités qui, comme le tribunal cantonal l’a retenu à bon droit, n’ont pas été rendues suffisamment vraisemblables et qui, au demeurant, peuvent dépendre d’autres circonstances qu’une situation financière précaire.

Consid. 5.3.1
Les juges cantonaux ont encore examiné si les recourants avaient droit à une indemnité pour tort moral au sens de l’art. 49 CO que ceux-ci réclamaient en raison du stress, de la honte, du dépit et du désespoir ressentis face à la multiplication des poursuites et aux difficultés à éclaircir leur situation suscités par le comportement contraire au droit de l’assureur intimé. Ils ont laissé ouverte la question de savoir si le droit à une indemnité pour tort moral, constitutive du dommage dans le cadre général de l’art. 78 LPGA, existait également dans le cadre plus spécifique de l’art. 7 al. 6 LAMal. En effet, d’après eux, le comportement illicite et fautif de la caisse intimée n’était pas de nature à léser les assurés dans leurs droits de la personnalité mais seulement dans leurs intérêts pécuniaires, quand bien même ce comportement avait entraîné des difficultés et des souffrances réelles pour ceux-ci.

Consid. 5.3.2
Les recourants font grief au tribunal cantonal d’avoir fait montre d’arbitraire en reconnaissant que le comportement fautif de l’assureur intimé avait entraîné chez eux des difficultés et des souffrances réelles mais en rejetant leur droit à une réparation morale au motif qu’ils n’auraient été atteints que dans leurs intérêts patrimoniaux et pas dans leurs droits de la personnalité. Ils soutiennent que ce raisonnement est contradictoire, d’autant plus que les juges cantonaux n’ont pas donné suite à leur offre de preuve sur ce point.

Consid. 5.3.3
Cette argumentation n’est pas fondée. En effet, l’allocation d’une indemnité pour tort moral fondée sur l’art. 49 al. 1 CO suppose que l’atteinte présente une certaine gravité objective et qu’elle ait été ressentie par la victime comme une souffrance morale suffisamment forte pour qu’il apparaisse légitime qu’une personne dans ces circonstances s’adresse au juge pour obtenir réparation (cf. p. ex. arrêt 6B_1196/2022 du 26 janvier 2023 consid. 2.2 et les références). Pour admettre le droit à une indemnité pour tort moral, il faut donc que l’atteinte subie soit exceptionnelle aux yeux de tiers et pas seulement ressentie comme tel par la personne concernée (cf. p. ex. arrêt 8C_539/2015 du 13 novembre 2015 consid. 2.2). Or le fait d’être poursuivi en raison du non paiement de primes de l’assurance-maladie obligatoire ne saurait objectivement constituer une grave atteinte à la personnalité des recourants. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu d’examiner plus avant l’intensité de la douleur ressentie par ceux-ci. On ne saurait dès lors valablement reprocher aux juges cantonaux d’avoir violé le droit fédéral ou fait preuve d’arbitraire en niant le droit des recourants à une indemnité pour tort moral.

Consid. 5.4.1 [résumé]
La juridiction cantonale a examiné les frais de défense engagés par les assurés comme un élément du dommage. Elle a précisé que seuls les frais liés à l’obtention du changement d’assureur au 01.01.2015 et à la réparation du dommage causé par l’empêchement de ce changement pouvaient être pris en compte. Les frais relatifs au refus de payer les primes et aux poursuites en découlant ont été exclus.

Les assurés ont allégué des « frais juridiques nécessaires » non couverts par les indemnités de dépens, s’élevant à 14’036 fr. 10 pour le mandataire actuel et 940 fr. pour les anciens mandataires. Après examen, la cour cantonale a estimé que seule la moitié du montant facturé par le nouveau mandataire et la totalité du montant facturé par les anciens mandataires étaient en lien avec la question du changement d’assureur. Cette répartition correspondait à celle adoptée par le Tribunal fédéral dans l’arrêt 9C_203/2021 cité.

En conséquence, la juridiction cantonale a fixé le montant de ce poste du dommage à 3’979 fr. pour chacun des recourants.

Consid. 5.4.2
Les recourants semblent faire grief à la juridiction cantonale d’avoir divisé par deux le montant des honoraires que pouvait encore prétendre leur nouveau mandataire dans la mesure où elle avait limité la période d’indemnisation au 31.12.2017. Ils soutiennent en substance que, comme leur recours démontre la persistance du lien de causalité entre le comportement de l’assureur intimé et le dommage jusqu’au 31.12.2022, il n’y avait pas de raison de diviser par deux le montant des honoraires. Ils prétendent en outre que l’examen des notes de frais produites en première instance établit que seul un montant anecdotique correspond aux frais relatifs aux démarches entreprises dans le cadre de poursuites.

Consid. 5.4.3
Cette argumentation est mal fondée. Contrairement à ce que les assurés allèguent, les frais et honoraires pris en compte par le tribunal cantonal au titre du dommage couvrent les activités déployées par leur conseil actuel en lien avec le changement d’assureur et le dommage causé par l’empêchement de changer d’assureur jusqu’au 12.12.2022. Ils ont été divisés en deux par rapport au montant total réclamé (et répartis par moitié sur chacun des recourants) au motif que seule la moitié de ce montant devait être considérée comme « pertinent[e], justifié[e], nécessaires et adéquat[e] ». La prise en compte seulement de la moitié du montant réclamé n’a donc rien à voir avec la durée de la période d’indemnisation.

On ajoutera que, comme l’a relevé la juridiction cantonale, on ne peut pas aisément distinguer dans les notes de frais et d’honoraires produites pour quel type d’activité déployée des honoraires ont été réclamés. Ainsi, les intitulés « entretien (téléphonique) avec le client », « étude du dossier », « lettre à…/reçue et lue », « e-mail à…/reçu et lu », etc. ne permettent pas de déterminer si les démarches facturées sont plutôt liées à l’impossibilité de changer d’assureur qu’aux poursuites résultant du non paiement des primes de l’assurance obligatoire des soins. Dans ces circonstances, il n’apparaît pas arbitraire pour le tribunal cantonal de n’avoir pris en compte que la moitié des honoraires facturés au titre de réparation du dommage. On précisera que, quoi qu’en disent les assurés, il leur appartenait de produire d’emblée des notes d’honoraires suffisamment détaillées pour en déduire la légitimité des montants qu’ils réclamaient, une audition a posteriori de leur conseil n’étant plus susceptible d’objectiver les motifs des activités déployées.

 

Le TF rejette le recours des assurés.

 

Arrêt 9C_46/2024 consultable ici

 

9C_61/2024 (f) du 07.11.2024 – Prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle – Lien de connexité temporelle / 10 LPP – 23 LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_61/2024 (f) du 07.11.2024

 

Consultable ici

 

Prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle – Lien de connexité temporelle / 10 LPP – 23 LPP

 

Assurée, née en 1967, a travaillé à 80% comme aide-familiale du 01.09.2004 au 27.09.2008, étant alors affiliée à la CPEG.

En arrêt de travail à 100% du 01.12.2006 au 15.04.2007, puis à 50% dès le 16.04.2007, l’assurée a déposé une première demande de prestations de l’assurance-invalidité le 13.11.2007. Par décision du 24.04.2008, l’office AI a rejeté la demande. En application de la méthode mixte d’évaluation de l’invalidité, il a retenu un degré d’invalidité arrondi de 38% (30% pour la part professionnelle, et 7,50% pour la part ménagère).

L’assurée a suivi une formation de janvier à mai 2009, puis a bénéficié d’un délai-cadre d’indemnisation de l’assurance-chômage. Durant l’année 2010, elle a travaillé comme assistante administrative, puis comme secrétaire à un taux d’activité de 80% du 01.02.2011 au 30.06.2017. À ce titre, elle était assurée pour la prévoyance professionnelle auprès de la fondation LPP Personalvorsorgestiftung Elenka (ci-après: la fondation Elenka).

Une deuxième demande AI en mars 2013 a été rejetée.

À la suite d’un nouvel arrêt de travail dès mars 2016, l’assurée a déposé une troisième demande AI en juillet 2016. Une expertise psychiatrique en juillet 2019 a diagnostiqué un trouble dépressif récurrent sévère et un trouble de la personnalité, concluant à une incapacité de travail complète depuis le 07.03.2016. Par décision du 11.03.2020, l’office AI a octroyé à l’assurée une rente entière de l’assurance-invalidité dès le 01.03.2017, soit une année après le début de l’incapacité de travail.

Le 23.11.2020, la fondation Elenka a versé des prestations préalables de la prévoyance professionnelle à l’assurée à compter du 01.10.2018. La CPEG a, pour sa part, refusé de prendre en charge des prestations de la prévoyance professionnelle.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/943/2023 – consultable ici)

La fondation Elenka a ouvert action contre la CPEG le 03.02.2023, demandant le remboursement des prestations d’invalidité préalables qu’elle avait versées.

Par jugement du 05.12.2023, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1 [résumé]
Le litige concerne la décision de la juridiction cantonale de rejeter la demande de la fondation Elenka visant à obtenir le remboursement des prestations préalables de prévoyance professionnelle par la CPEG. En particulier, il s’agit d’examiner si les juges cantonaux ont constaté de manière arbitraire que le lien de connexité temporelle avait été interrompu entre l’incapacité de travail survenue à l’époque où l’assurée était affiliée à la CPEG, soit entre septembre 2004 et octobre 2008 (art. 10 al. 3 LPP).

Le point central est de savoir si les juges cantonaux ont correctement évalué l’interruption du lien de connexité temporelle entre l’incapacité de travail de l’assurée lorsqu’elle était affiliée à la CPEG (2004-2008) et son invalidité survenue en mars 2017. À cet égard, l’arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels relatifs notamment au droit à des prestations d’invalidité de la prévoyance professionnelle (art. 23 LPP) et à la notion de survenance de l’incapacité de travail, en relation avec la double condition de la connexité matérielle et temporelle nécessaire pour fonder l’obligation de prester d’une institution de prévoyance (ATF 135 V 13 consid. 2.6; 134 V 20 consid. 3.2.1 et 5.3 et les références). Il suffit d’y renvoyer.

Consid. 3.2
On rappellera que la preuve suffisante d’une limitation de la capacité fonctionnelle de travail déterminante sous l’angle du droit de la prévoyance professionnelle (ATF 134 V 20 consid. 3.2.2) ne suppose pas forcément l’attestation médicale d’une incapacité de travail « en temps réel » (« echtzeitlich »). Toutefois, des considérations subséquentes et des suppositions spéculatives, comme une incapacité médico-théorique établie rétroactivement après bien des années, ne suffisent pas. L’atteinte à la santé doit avoir eu des effets significatifs sur les rapports de travail; en d’autres termes, la diminution de la capacité fonctionnelle de travail doit s’être manifestée sous l’angle du droit du travail, notamment par une baisse des prestations dûment constatée, un avertissement de l’employeur ou une accumulation d’absences du travail liées à l’état de santé (arrêt 9C_556/2019 du 4 novembre 2019 consid. 4.3 et la référence).

Consid. 4.1 [résumé]
La juridiction cantonale a conclu que le lien de connexité temporelle entre l’incapacité de travail de l’assurée pendant son affiliation à la CPEG et son invalidité survenue en mars 2017 avait été interrompu. Les juges cantonaux ont constaté que l’assurée avait retrouvé une pleine capacité de travail dès février 2011. Elle avait travaillé à 80% de février 2011 à octobre 2012, puis de 2013 à mars 2016, sans preuve médicale d’un arrêt de travail d’au moins 20% durant ces périodes. L’expert psychiatre n’avait conclu à une incapacité de travail de 80% qu’à partir de mars 2016, date à laquelle l’office AI avait également reconnu une incapacité de travail significative. Sur cette base, les juges cantonaux ont estimé que la CPEG n’était pas tenue de verser des prestations.

Consid. 5
En l’espèce, la fondation Elenka reconnaît tout d’abord que l’assurée a repris une activité professionnelle à un taux d’activité de 80% dès le 01.02.2011, soit à un taux d’activité supérieur à celui de 50% pris en compte par l’office AI dans sa décision du 24.04.2009. Dès lors, la juridiction cantonale pouvait conclure sans arbitraire à une amélioration de l’état de santé de l’assurée survenue postérieurement à sa période d’affiliation à la CPEG (de septembre 2004 à fin octobre 2008).

Ensuite, bien que l’assurée ait indiqué à l’office AI qu’elle aurait travaillé à 100% en l’absence d’atteinte à la santé, cette simple déclaration, en tant que telle, ne suffit pas à établir au degré de la vraisemblance prépondérante requis en assurances sociales qu’une atteinte à la santé l’aurait empêchée de travailler à plus de 80% dès le 01.02.2011. L’office AI s’est d’ailleurs écarté de l’affirmation de l’assurée, considérant plutôt qu’elle se serait toujours consacrée à 80% à son activité professionnelle, et à 20% à l’accomplissement de ses travaux habituels dans le ménage (décision de l’office AI du 11.03.2020).

Enfin, la fondation Elenka ne prétend pas qu’un médecin aurait confirmé que l’assurée aurait été empêchée, dans une activité adaptée, de travailler à 100% (ou à plus de 80% [cf. ATF 144 V 58 consid. 4.4]) pour des raisons médicales dès le 01.02.2011, et pour une période de plus de trois mois. Au contraire, dans l’expertise psychiatrique, l’expert psychiatre a constaté que l’assurée avait présenté un « nouvel épisode dépressif » dès mars 2016, en raison notamment de conflits et de l’ambiance à son travail.

Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations des juges cantonaux, ni de leur appréciation.

 

Le TF rejette le recours de l’institution de prévoyance.

 

Arrêt 9C_61/2024 consultable ici

 

8C_36/2024 (i) du 25.11.2024, destiné à la publication – Pension d’invalidité décidée par l’État italien contraignante pour les organes suisses compétents / Indemnité journalière AI – L’exigence d’une obligation de cotiser à l’AVS constitue une discrimination indirecte / Calcul de l’indemnité journalière AI en présence d’une pension d’invalidité italienne

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_36/2024 (i) du 25.11.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Principe d’assimilation et équivalence – Pension d’invalidité décidée par l’État italien contraignante pour les organes suisses compétents / 5 let. a Règl. n° 883/2004 – 46 al. 3 Règl. n° 883/2004

Indemnité journalière AI – L’exigence d’une obligation de cotiser à l’AVS constitue une discrimination indirecte / 23 LAI – 4 Règl. n° 883/2004

Calcul de l’indemnité journalière AI en présence d’une pension d’invalidité italienne / 68 LPGA – 24 al. 5 LAI – 21septies al. 5 RAI –10 Règl. n° 987/2009

 

Assuré, né en 1986, est un citoyen italien ayant résidé en Italie jusqu’en 2019. Après avoir obtenu un diplôme de comptable en 2000, il a exercé la profession de cuisinier dans diverses villes italiennes jusqu’en juin 2016, date à laquelle il a été licencié. Le 19 août 2015, l’assuré a été victime d’un grave accident de la circulation alors qu’il conduisait son cyclomoteur, subissant des blessures importantes (notamment hémothorax et/ou pneumothorax traumatique, contusion pulmonaire, hémorragie sous-arachnoïdienne, sous-durale, traumatique) nécessitant une hospitalisation et des soins intensifs. À la suite de cet accident, il a bénéficié d’une rente d’invalidité italienne à partir de novembre 2015.

En mars 2019, l’assuré est entré en Suisse pour vivre avec sa compagne qui assurait son soutien, obtenant un permis de séjour UE/AELE B (« but du séjour sans activité lucrative »). Le 02.07.2019, il a déposé une première demande auprès de l’assurance-invalidité suisse, dans laquelle il était indiqué que la réadaptation due à l’accident était toujours en cours. La demande a été rejetée le 25.11.2019 au motif qu’aucune période de cotisation n’avait été enregistrée depuis son arrivée en Suisse et que l’atteinte à la santé était présente depuis avant son arrivée sur le sol helvétique.

Le 30.01.2021, l’assuré a déposé une nouvelle demande. Après une expertise médicale, il a été établi que son métier de cuisinier n’était plus exigible du point de vue orthopédique, mais qu’il disposait d’une pleine capacité de travail avec une baisse de rendement dans une activité adaptée depuis le 31.07.2019. L’office AI a reconnu des mesures professionnelles à partir du 29.07.2022, mais a refusé l’octroi d’une rente par décision du 13.09.2022.

A la suite des observations de l’assuré quant au projet de décision du 05.05.2023, l’office AI a, par décision du 22.06.2023, rejeté la demande d’indemnités journalières formulée par l’assuré le 13.10.2022, dans la mesure où il était domicilié en Italie au début de l’atteinte à la santé et qu’il percevait un revenu étranger non soumis à l’AVS suisse.

 

Procédure cantonale (arrêt 32.2023.82 – consultable ici)

Par jugement du 04.12.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’assuré est ressortissant d’un Etat partie à l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne (aujourd’hui : Union européenne) et ses Etats membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ci-après : ALCP). Résidant en Suisse depuis 2019 et au bénéfice d’un permis B sans activité lucrative, il a sollicité des prestations d’invalidité, notamment des indemnités journalières pour des mesures de réadaptation. Le litige porte donc sur la coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale (annexe II de l’ALCP), ce qui n’est pas contesté par les parties.

Consid. 4.2
Jusqu’au 31 mars 2012, les parties à l’ALCP appliquaient mutuellement le règlement (CEE) n° 1408/71 du Conseil du 14 juin 1971 relatif à l’application des régimes de sécurité sociale aux travailleurs salariés, aux travailleurs non salariés et aux membres de leur famille qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (RO 2004 121 ; ci-après : règlement n° 1408/71). La décision n° 1/2012 du Comité mixte du 31 mars 2012 (RO 2012 2345) a mis à jour le contenu de l’annexe II de l’ALCP avec effet au 1er avril 2012. En particulier, il a été stipulé que les parties à l’ALCP appliquent dorénavant le règlement (CE) no 883/2004 du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 portant sur la coordination des systèmes de sécurité sociale, tel que modifié par le règlement (CE) no 988/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 (RS 0.831.109.268.1 ; ci-après : règlement no 883/2004).

Compte tenu des faits de la cause, la nouvelle version du Règlement n° 883/2004 est donc applicable ratione temporis, ratione personae (art. 2 ch. 1 Règlement n° 883/2004) et ratione materiae (art. 3 ch. 1 lett. c Règlement n° 883/2004), comme l’a également relevé la cour cantonale. Aucune critique n’ayant été formulée à cet égard, il n’y a pas lieu de s’attarder sur ces aspects.

Consid. 6.1
Le tribunal cantonal a nié le droit de l’assuré aux indemnités journalières tant en vertu du droit suisse que de l’ALCP.

Consid. 6.2
Se référant aux art. 23 al. 1 et 3 LAI et 20sexies al. 1 RAI, ainsi qu’au n° 0312 CIJ [Circulaire concernant les indemnités journalières de l’assurance-invalidité], les juges cantonaux ont considéré comme déterminant le fait que l’assuré, au moment du début de son incapacité de travail à la suite de l’accident d’août 2015, n’exerçait pas une activité avec revenu soumise à l’obligation de cotiser à l’AVS puisqu’il travaillait à X.__ et qu’il était domicilié en Italie jusqu’en mars 2019. Rien n’a changé dans l’arrêt I 365/00 du 28 novembre 2001 du Tribunal fédéral des assurances cité par l’assuré, défendant la thèse selon laquelle l’élément déterminant serait le revenu effectivement réalisé avant l’atteinte à la santé sans qu’il soit nécessaire que des cotisations soient prélevées sur celui-ci. Selon la cour cantonale, cette appréciation concernait en premier lieu les indépendants, pour lesquels il est indifférent que les cotisations pour l’année en question aient été fixées ou non par une décision définitive. Le libellé de l’art. 21 al. 3 RAI ne permettait pas non plus de tirer une conclusion différente, la question de l’évolution des salaires n’étant pas pertinente puisque le droit aux indemnités journalières devait être exclu a priori.

Consid. 6.3
A ce stade, après avoir rappelé le principe de non-discrimination et d’égalité de traitement ancré respectivement à l’art. 2 ALCP et à l’art. 4 Règlement n° 883/2004, le tribunal cantonal a nié une discrimination directe fondée sur la nationalité, puisque le droit aux indemnités journalières de la LAI est garanti à toute personne ayant exercé en dernier lieu une activité soumise aux cotisations de l’AVS. La cour cantonale n’a pas non plus constaté de discrimination indirecte, dans la mesure où le recourant « n’est pas placé dans une situation plus défavorable, à situation égale, que les ressortissants suisses qui vivent depuis un certain temps à l’étranger – dans un pays de l’UE ou de l’AELE – et qui, après y avoir été victimes d’un accident, décident de retourner dans leur patrie ».

Selon les juges cantonaux, de tels citoyens suisses ne peuvent en effet pas prétendre à des indemnités journalières de l’AI en l’absence d’un revenu soumis aux cotisations de l’AVS immédiatement avant l’incapacité de travail. Même si l’on devait considérer qu’il s’agit d’une discrimination indirecte, l’exigence en question ne s’avère pas disproportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, à savoir que l’indemnité journalière soit en principe versée aux personnes qui exerçaient une activité lucrative immédiatement avant la survenance de l’incapacité de travail, et donc aux personnes qui ont été assujetties à l’AVS pendant une durée minimale. Les assurés considérés comme n’exerçant pas d’activité lucrative peuvent tout au plus, sous certaines conditions, avoir droit à une allocation pour frais de garde et d’assistance (n° 0311, 0312, 0315 CIJ).

Consid. 7.1.1
S’appuyant sur l’arrêt I 365/00 précité, l’assuré soutient que le revenu déterminant serait celui effectivement réalisé avant la survenance de l’incapacité de travail, sans toutefois que des cotisations aient nécessairement été prélevées. L’objectif de l’art. 23 LAI, en relation avec l’art. 20sexies RAI, serait d’octroyer des indemnités journalières qu’aux personnes exerçant une activité lucrative qui, en raison d’une atteinte à la santé, subissent une perte de gain, excluant ainsi les personnes se trouvant dans la situation opposée.

En l’espèce, l’art. 23 al. 3 LAI ne permettrait pas de déterminer le revenu provenant d’une activité lucrative car celui-ci a été réalisé en Italie et y a été soumis à cotisation, malgré la perte économique concrète subie par la personne professionnellement active. Étant donné qu’il a été dûment rémunéré pour l’activité lucrative exercée au moment de la survenance de l’incapacité de travail, le requérant aurait donc droit à des indemnités journalières.

De l’avis de l’assuré, si le droit aux indemnités journalières était soumis à une condition de rattachement au territoire suisse comme l’a indiqué l’autorité inférieure (en plus de l’assujettissement à l’assurance selon l’art. 9 al. 1bis LAI pour le droit aux mesures de réadaptation), le législateur l’aurait précisé à l’art. 22 LAI, comme il l’a fait par exemple pour le droit à la rente d’invalidité à l’art. 36 al. 1 LAI.

Consid. 7.1.2
Subsidiairement, l’assuré invoque une discrimination indirecte contraire à l’art. 2 ALCP. Si par personnes professionnellement actives on entendait uniquement celles ayant un revenu soumis à l’AVS, la condition de l’art. 23 LAI en lien avec l’art. 20sexies RAI serait plus facilement réalisée par un ressortissant suisse que par un ressortissant étranger, ce dernier se trouvant ainsi désavantagé. Le caractère discriminatoire indirect serait injustifié par rapport à l’objectif poursuivi, à savoir la couverture de la perte du revenu réalisé par la personne assurée durant la dernière période d’activité lucrative, exercée sans limitations dues à des raisons de santé. Contrairement à ce que suggère le tribunal cantonal, pour apprécier si la condition de «revenu soumis à l’AVS suisse» est indirectement discriminatoire, il faudrait comparer le rapport entre les ressortissants étrangers et les ressortissants suisses au sein du groupe des personnes désavantagées ou non bénéficiaires, d’une part, avec celui rapport entre les ressortissants étrangers et les ressortissants suisses au sein du groupe des personnes non désavantagées ou bénéficiaires, d’autre part.

Consid. 7.2.1
L’OFAS convient avec l’assuré que la règle de l’art. 23 al. 3 LAI serait indirectement discriminatoire et donc illicite selon le Règlement n° 883/2004. Les revenus soumis aux cotisations sociales d’un État membre de l’UE devraient ainsi être considérés comme revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI au même titre que ceux soumis aux cotisations prévues par la LAVS. De plus, l’art. 21 al. 3 RAI serait applicable même si la dernière activité lucrative en question avait été exercée dans un État membre de l’UE.

De l’avis de l’OFAS, pour se prononcer sur les prétentions de l’assuré, il faudrait encore examiner, d’une part, l’éventuelle équivalence, au sens de l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004, entre la rente italienne et une rente AI selon le droit suisse, et, d’autre part, établir le degré d’invalidité selon le droit suisse en vue d’une éventuelle rente selon le droit suisse, ce que l’assuré a omis de faire. Dans ce cas, en vertu de ce que dispose l’art. 22bis al. 5 LAI, les indemnités journalières lui seraient en effet refusées.

Consid. 7.2.2
L’assuré soutient que l’instruction médicale déjà effectuée aurait conduit le SMR à retenir une incapacité de travail totale dans l’activité précédente de cuisinier, exercée en Italie jusqu’à la survenance de l’atteinte à la santé, et une incapacité de travail de 80% dans des activités adaptées depuis le 31.07.2019. Le taux d’invalidité qui en résulterait serait donc certainement supérieur à 40%, si l’on procède à une comparaison des revenus sur la base des données statistiques, avec une capacité de travail de seulement 20% dans des activités adaptées comparée à une activité de cuisinier exercée à plein temps, sans qu’il soit nécessaire de procéder à des investigations complémentaires à cet égard comme le suggère l’OFAS. Sur le fond, on arriverait donc au même résultat, à savoir un refus du droit aux indemnités journalières, mais en application de l’art. 22bis al. 5 LAI au lieu de l’art. 23 al. 3 LAI.

Consid. 7.2.3
Répliquant spontanément à l’administration, l’assuré rappelle que, selon l’évaluation du Dr D.__ du 8 mai 2017, il aurait récupéré une capacité partielle de 10% en tant que cuisinier déjà 60 jours après l’accident. Il en résulte qu’il est probable qu’à la fin du délai d’attente d’une année, en août 2016, il aurait pu disposer d’un potentiel de réinsertion dans une activité adaptée, et donc bien avant le 31.07.2019 tel que retenu par le SMR. L’assuré fait ensuite valoir que la rente italienne « cat. IO » dont il bénéficie est déterminée sur la base d’une capacité de travail réduite qui ne tient pas compte d’une réadaptation potentielle, par des mesures appropriées, dans une autre activité lucrative afin d’établir une perte de gain comme le prévoit le droit suisse à l’art. 16 LPGA. L’évaluation du degré d’invalidité selon le droit suisse, qui pourrait lui conférer le droit à une rente d’invalidité – qui ne serait de toute façon pas versée faute de remplir la condition de cotisation –, ne devrait donc être évaluée qu’une fois les mesures achevées.

Consid. 8.1
L’art. 22bis al. 5 LAI prévoit que lorsqu’un assuré reçoit une rente de l’AI, celle-ci continue de lui être versée en lieu et place d’indemnités journalières durant la mise en œuvre des mesures de réinsertion au sens de l’art. 14a LAI et des mesures de nouvelle réadaptation au sens de l’art. 8a LAI.

La question de l’assimilation des prestations selon l’art. 5 let. a du Règlement 883/2004, également soulevée par l’OFAS, a donc une influence sur la résolution du litige et nécessite d’être approfondie. En effet, si la « pensione cat. IO (INVALIDITA’ DEI LAVORATORI DIPENDENTI) » [rente cat. IO (invalidité des travailleurs dépendants)] versée par l’État italien, dont l’assuré est bénéficiaire, pouvait être assimilée à une rente d’invalidité selon le droit suisse, il ne pourrait– en vertu de l’art. 22bis al. 5 LAI précité – percevoir des indemnités journalières pour les mesures de nouvelle réadaptation.

Consid. 8.1.1
L’art. 5 du Règlement 883/2004, qui fait partie des dispositions générales et qui est intitulé «Assimilation de prestations, de revenus, de faits ou d’événements», est ainsi libellé : « A moins que le présent règlement n’en dispose autrement et compte tenu des dispositions particulières de mise en œuvre prévues, les dispositions suivantes s’appliquent:

  1. si, en vertu de la législation de l’Etat membre compétent, le bénéfice de prestations de sécurité sociale ou d’autres revenus produit certains effets juridiques, les dispositions en cause de cette législation sont également applicables en cas de bénéfice de prestations équivalentes acquises en vertu de la législation d’un autre Etat membre ou de revenus acquis dans un autre Etat membre;
  2. si, en vertu de la législation de l’Etat membre compétent, des effets juridiques sont attribués à la survenance de certains faits ou événements, cet Etat membre tient compte des faits ou événements semblables survenus dans tout autre Etat membre comme si ceux-ci étaient survenus sur son propre territoire. »

Consid. 8.1.2
Conformément à l’art. 16 al. 2 ALCP, dans la mesure où l’application de l’ALCP implique des notions de droit communautaire, il sera tenu compte de la jurisprudence pertinente de la Cour de justice des Communautés européennes (maintenant : Cour de justice de l’Union européenne, ci-après également « CJUE ») antérieure à la date de sa signature (21 juin 1999). La jurisprudence postérieure à la date de la signature de l’ALCP sera communiquée à la Suisse. En vue d’assurer le bon fonctionnement de l’ALCP, à la demande d’une partie contractante, le Comité mixte déterminera les implications de cette jurisprudence.

Afin d’assurer une situation juridique analogue entre les États de la Communauté européenne (maintenant : l’Union européenne), d’une part, et la Suisse, d’autre part, selon une jurisprudence constante, le Tribunal fédéral ne s’écarte de l’interprétation des dispositions de droit communautaire pertinentes à l’accord, telle qu’établie par la CJUE – même postérieurement à la date de sa signature -, qu’en présence de motifs sérieux («triftige Gründe»; ATF 149 V 136 consid. 7.2 et les références; 145 V 39 consid. 2.3.2 et les références).

Consid. 8.1.3
Selon une jurisprudence constante de la CJUE développée sous l’égide du Règlement n° 1408/71, les prestations de sécurité sociale doivent être considérées comme étant de même nature lorsque leur objet, leur finalité, ainsi que leur base de calcul et leurs conditions d’attribution sont identiques. En revanche, des caractéristiques purement formelles ne doivent pas être considérées comme des éléments décisifs pour la qualification des prestations (cf. arrêt du 15 mars 2018 C-431/16 Blanco Marqués [publié au Recueil numérique], point 50, et les références ; en particulier arrêt du 18 juillet 2006 C-406/04 De Cuyper [Rec. 2006 I-06947], point 25). La notion de prestations de « même nature » est désormais réglée à l’art. 53 par. 1 du Règlement n° 883/2004 (cf. Rolf Schuler, in Europäisches Sozialrecht, 8e éd. 2022, n° 9 ad art. 5 du Règlement n° 883/2004).

Cela étant, dans l’arrêt du 21 janvier 2016 C-453/14 Knauer (publié au Recueil numérique) concernant le prélèvement des cotisations d’assurance maladie en Autriche sur les pensions de vieillesse versées par une caisse de pension du Liechtenstein, la CJUE a également eu l’occasion de se pencher spécifiquement sur la notion de « prestations équivalentes » contenue dans l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004. Elle a d’abord relevé que cette notion n’a pas nécessairement la même signification que la notion de « prestations de même nature » contenue dans l’art. 53 de ce règlement (Knauer, n° 28), mais dispose d’une définition propre. L’équivalence n’est pas donnée du seul fait que le règlement n° 883/2004 s’applique aux deux prestations ; celles-ci doivent également être comparables, ce qui doit être apprécié sur la base de l’objectif qu’elles poursuivent et des réglementations qui les ont instituées (Knauer, n° 31-34 ; cf. aussi Basile Cardinaux, Das EuGH-Urteil «Knauer u. Mathis», RSAS 2019 p. 134, qui fait référence à une «funktionelle Äquivalenz»).

Consid. 8.1.4
Or, comme nous venons de le voir, la présence de dispositions contraires du Règlement n° 883/2004 empêche l’assimilation de prestations, de revenus, de faits ou d’événements comme prévu par son art. 5.

À cet égard, dans l’ATF 141 V 396 (au consid. 7), le Tribunal fédéral s’est prononcé sur le droit aux prestations complémentaires à l’assurance-vieillesse, survivants et invalidité selon la LPC (RS 831.30) d’une ressortissante suisse, d’origine roumaine, bénéficiaire d’une rente d’invalidité roumaine. L’objet du litige était de savoir si la pension d’invalidité roumaine pouvait être assimilée à une pension d’invalidité de droit suisse, dont le bénéfice était l’une des conditions préalables aux prestations complémentaires demandées. Après avoir discuté la notion du principe d’assimilation des prestations prévu par l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004, le Tribunal fédéral a relevé que l’art. 46 par. 3 du Règlement n° 883/2004 (applicable aux personnes soumises exclusivement à des législations de type B ou de type A et B, comme la Suisse et la Roumanie ; cf. art. 44 du Règlement n° 883/2004), pour que la décision concernant le degré d’invalidité de l’institution d’un État membre soit contraignante pour l’institution de l’autre État membre, imposait la reconnaissance dans l’annexe VII de la concordance des conditions respectives entre les législations des deux États membres en question. Tel n’était pas le cas pour la Suisse et la Roumanie, de sorte que la décision prise par l’organisme roumain compétent concernant le degré d’invalidité de la recourante et la prestation de pension qui en résulte n’était pas contraignante pour l’institution suisse concernée. Le principe d’assimilation des prestations de l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004 n’était donc pas applicable en l’espèce et la recourante ne pouvait pas se prévaloir de sa propre rente d’invalidité roumaine pour prétendre à des prestations complémentaires suisses (ATF 141 V 396 consid. 7.2.2 et 7.2.3 ; cf. aussi arrêt 8C_611/2021 du 10 mars 2022 consid. 3.1).

Consid. 8.1.5
Le raisonnement adopté dans l’ATF 141 V 396 est pertinent pour trancher également le présent litige. L’application de l’art. 46 al. 3 du Règlement n° 883/2004 dans un cas comme celui en l’espèce est d’ailleurs conforme au considérant n° 26 du Règlement n° 883/2004, qui promeut, en matière de prestations d’invalidité, l’élaboration d’un « système de coordination qui respecte les spécificités des législations nationales, notamment en ce qui concerne la reconnaissance de l’invalidité et son aggravation ». En effet, seule une reconnaissance concrète de la concordance des législations respectives par les États membres concernés serait contraignante pour le degré d’invalidité et, donc, du moins selon le droit suisse, pour la présence ou non d’une invalidité (cf. en particulier art. 28 al. 1 let. c LAI).

Par conséquent, en l’absence d’une telle reconnaissance en l’espèce, la pension d’invalidité décidée par l’État italien n’est pas contraignante pour les organes suisses compétents, ce qui fait obstacle à l’application du principe d’assimilation selon l’art. 5 let. a du Règlement n° 883/2004 entre les rentes d’invalidité en question (ATF 141 V 396 consid. 7.2.3).

Il convient d’ajouter que l’interdiction du cumul de la rente et des indemnités journalières accordées en application de la LAI (art. 22bis al. 5 et art. 29 al. 2 LAI) est une forme de coordination intrasystémique qui prend en considération le mode de calcul de la rente, d’une part, et des indemnités journalières, d’autre part. Il n’est pas possible, dans le contexte d’une telle interdiction de cumul, de considérer une rente italienne comme équivalente à une rente suisse compte tenu de la différence marquée de leurs méthodes de calcul respectives.

Consid. 8.1.6
Il est incontesté que l’assuré n’a droit ni à une rente d’invalidité ordinaire, ni à une rente extraordinaire (art. 36 et 39 LAI ; sur ce sujet, cf. ATF 131 V 390 consid. 6 et 7 ; cf. aussi arrêt 9C_259/2016 du 19 juillet 2017 consid. 5).

La proposition de l’OFAS, à savoir évaluer le degré d’invalidité de l’assuré selon le droit suisse, afin d’établir l’existence hypothétique d’un droit à une rente d’invalidité, n’est pas convaincante. En particulier, on ne voit pas sur quelle base légale et sur quels motifs une telle démarche pourrait être justifiée. Par ailleurs, contrairement à ce qui peut être le cas dans le domaine des prestations complémentaires (cf. art. 4 al. 1 let. d LPC), la législation en matière d’assurance-invalidité ne prévoit pas l’accès à des prestations d’assurance sur la base d’un droit seulement hypothétique à une rente d’invalidité (dans ce sens, cf. Michel Valterio, in Commentaire de la Loi fédérale sur l’assurance-invalidité [LAI], 2018, n. 1 ad art. 36).

Déterminer le degré d’invalidité d’un assuré mis au bénéfice de mesures professionnelles pour lesquelles il a déjà demandé des indemnités journalières, sachant déjà qu’il ne pourra de toute façon pas bénéficier d’une rente, s’avère être un exercice difficile et peu opportun. Ce n’est en effet qu’à la fin de ces mesures, conformément à l’art. 16 LPGA, qu’il serait possible de déterminer le degré d’invalidité, comme l’a rappelé à juste titre l’assuré dans sa réplique spontanée.

D’autre part, l’art. 22bis al. 5 LAI ne devrait être examiné que dans le cas d’un assuré qui est déjà au bénéfice d’une rente d’invalidité et qui effectue des mesures de réadaptation visées à l’art. 8a LAI.

L’assuré recourant, comme on l’a vu, ne peut en revanche être considéré ni comme bénéficiaire d’une rente d’invalidité italienne équivalente à une rente d’invalidité suisse selon le Règlement n° 883/2004, ni comme ayant droit à une rente d’invalidité selon le droit suisse. Il bénéficie donc de mesures de réadaptation au sens de l’art. 8 LAI, de sorte que l’art. 22bis al. 5 LAI ne constitue pas un obstacle à son droit potentiel à des indemnités journalières.

Consid. 8.2
Il reste litigieux, à ce stade, l’application de l’art. 23 LAI. Afin de procéder à son évaluation, il convient de rappeler le cadre législatif pertinent.

Consid. 8.2.1
L’art. 23 LAI prévoit que l’indemnité de base s’élève à 80% du revenu que l’assuré percevait pour la dernière activité lucrative exercée sans restriction due à des raisons de santé; toutefois, elle s’élève à 80 % au plus du montant maximum de l’indemnité journalière fixée à l’art. 24 al. 1 LAI (al. 1). Le calcul du revenu de l’activité lucrative au sens des al. 1 et 1bis se fonde sur le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées (revenu déterminant) (al. 3).

Selon l’art. 20sexies al. 1 RAI, sont considérés comme exerçant une activité lucrative les assurés qui exerçaient une activité lucrative immédiatement avant la survenance de l’incapacité de travail (art. 6 LPGA).

Enfin, l’art. 21 al. 3 RAI prescrit que lorsque la dernière activité lucrative exercée par l’assuré sans restriction due à des raisons de sa santé remonte à plus de deux ans, il y a lieu de se fonder sur le revenu que l’assuré aurait tiré de la même activité, immédiatement avant la réadaptation, s’il n’était pas devenu invalide

Consid. 8.2.2.1
Dans l’arrêt 9C_141/2023 du 5 juin 2024 (dont les consid. 2 et 4 sont prévus pour la publication [publié entre-temps aux ATF 150 V 316]), le Tribunal fédéral a examiné si, dans le contexte d’un indépendant, le revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI était celui sur lequel les cotisations ont été effectivement perçues, ou celui soumis au prélèvement de cotisations et qui sert de base pour leur détermination. Dans la mesure où elle présente un intérêt en l’espèce, l’interprétation historique de la disposition a été confirmée par l’arrêt I 365/00 du 28 novembre 2001, dans lequel le TFA avait à son tour traité le sujet du revenu déterminant d’un indépendant au sens de l’art. 24 al. 2 aLAI. Après avoir constaté que les conditions légales étaient restées inchangées au fil des révisions de l’AI, le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’y avait pas lieu de s’écarter du principe selon lequel le revenu déterminant pour le calcul des indemnités journalières est celui effectivement réalisé avant la survenance de l’atteinte à la santé, indépendamment du fait que des cotisations aient été prélevées sur ce montant (arrêt 9C_141/2023 précité consid. 4.3 [publié entre-temps aux ATF 150 V 316 consid. 4.3]).

Consid. 8.2.3
Il convient donc de se pencher sur le grief selon lequel l’art. 23 al. 3 LAI constituerait une discrimination indirecte.

Consid. 8.2.3.1.1
En vertu de l’art. 4 du Règlement n° 883/2004, à moins que le présent règlement n’en dispose autrement, les personnes auxquelles le présent règlement s’applique bénéficient des mêmes prestations et sont soumises aux mêmes obligations, en vertu de la législation de tout Etat membre, que les ressortissants de celui-ci. Selon la jurisprudence, l’art. 4 du Règlement n° 883/2004 interdit non seulement les discriminations manifestes fondées sur la nationalité (discrimination directe), mais aussi toutes les formes dissimulées de discrimination qui, par l’application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (discrimination indirecte).

Une disposition de droit national doit être considérée comme indirectement discriminatoire – à moins qu’elle ne soit objectivement justifiée et proportionnée à l’objectif poursuivi – si elle est susceptible, par sa nature même, d’affecter davantage les ressortissants d’autres États membres que ses propres ressortissants et si elle risque, par conséquent, de désavantager plus particulièrement les premiers. Tel est le cas d’une condition qui peut être plus facilement remplie par les travailleurs nationaux que par les travailleurs migrants (ATF 145 V 266 consid. 6.1.3; 143 V 1 consid. 5.2.4; 142 V 538 consid. 6.1; 136 V 182 consid. 7.1; 133 V 367 consid. 9.3; 131 V 390 consid. 5.1).

Consid. 8.2.3.1.2
Pour déterminer si l’utilisation d’un critère de distinction particulier au sens précité conduit indirectement à une inégalité de traitement fondée sur la nationalité, il convient de comparer la proportion de ressortissants et de non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes désavantagées, respectivement non favorisées, d’une part, et la proportion de ressortissants et de non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes non désavantagées, respectivement favorisées, d’autre part.

Il convient en outre de préciser que non seulement les travailleurs migrants étrangers peuvent invoquer l’interdiction de discrimination consacrée par le droit conventionnel, respectivement communautaire, à l’égard de l’État d’accueil, mais également les travailleurs nationaux à l’égard de leur propre pays dans la mesure où le lien euro-international nécessaire est établi. Cela vaut également si la règle en question, sans pénaliser davantage les étrangers de l’UE que les nationaux, affecte néanmoins davantage les travailleurs migrants, quelle que soit leur nationalité, que les travailleurs non migrants (ATF 133 V 367 consid. 9.3 et les références).

Consid. 8.2.3.1.3
En présence d’une discrimination, le recourant aurait donc droit à la prestation comme s’il remplissait les conditions pour son octroi. En effet, lorsque le droit national prévoit un traitement différencié entre divers groupes de personnes en violation de l’interdiction de discrimination, les membres du groupe désavantagé doivent être traités de la même manière et se voir appliquer le même régime que les autres intéressés. Tant que la réglementation nationale n’est pas structurée de manière non discriminatoire, ce régime reste le seul système de référence valable (ATF 145 V 231 consid. 6.4; 134 V 236 consid. 6.1; 131 V 390 consid. 5.2).

Il est utile de rappeler à cet égard qu’au sens de l’art. 190 Cst., le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international. Ni l’art. 190 Cst. ni l’art. 5 al. 4 Cst. n’établissent une hiérarchie entre les normes de droit international et celles de droit interne. Néanmoins, selon la jurisprudence, en cas de conflit, les normes de droit international qui lient la Suisse primes celles de droit interne qui leur sont contraires (cf. ATF 146 V 87 consid. 8.2.2; 144 II 293 consid. 6.3; 142 II 35 consid. 3.2; 139 I 16 consid. 5.1; 138 II 524 consid. 5.1; 125 II 417 consid. 4d; cf. art. 27 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [RS 0.111]). Il faut en effet présumer que le législateur fédéral a entendu respecter les dispositions des traités internationaux régulièrement conclus, à moins qu’il n’ait décidé – en toute connaissance de cause – d’édicter une norme interne contraire au droit international. En cas de doute, le droit interne doit être interprété conformément au droit international (ATF 149 I 41 consid. 4.2; 146 V 87 consid. 8.2.2, qui renvoie à l’ATF 99 Ib 39 consid. 3, également dénommée jurisprudence « Schubert » [cf. à ce sujet le consid. 11.1.1 de l’ATF 133 V 367 déjà citée]).

Consid. 8.2.3.2
Au vu de ce qui précède, il convient de partager l’avis du recourant (et de l’OFAS) selon lequel l’exigence d’une obligation de cotiser à l’AVS, telle que jugée par l’instance cantonale, constitue en l’espèce une discrimination indirecte.

Consid. 8.2.3.2.1
En effet, une telle exigence est sans doute plus facilement remplie par les personnes exerçant une activité lucrative en Suisse plutôt qu’en Italie. L’art. 23 al. 3 LAI entrave manifestement l’accès aux indemnités journalières des personnes travaillant à l’étranger, ces dernières n’étant, en principe, pas soumises à l’obligation de cotiser à l’AVS. En ce sens, le raisonnement de la cour cantonale pour comparer les personnes désavantagées par cette règle – concrètement, les citoyens italiens et suisses professionnellement actifs à l’étranger – est fondamentalement erroné et ne peut être partagé.

Comme expliqué précédemment, et il convient de le répéter, il faut au contraire comparer les ressortissants et non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes désavantagées ou non favorisées (en l’occurrence, les personnes non actives en Suisse et donc non soumises à l’obligation de cotiser à l’AVS, comme le recourant), d’une part, et les ressortissants et non-ressortissants au sein de la catégorie des personnes non désavantagées ou favorisées (c’est-à-dire les personnes actives en Suisse et soumises à l’obligation de cotiser à l’AVS), d’autre part.

Consid. 8.2.3.2.2
Par ailleurs, le caractère indirectement discriminatoire de l’art. 23 al. 3 LAI ne semble pas objectivement justifié et proportionné par rapport à l’objectif poursuivi, comme l’ont au contraire proposé les juges cantonaux selon une logique qui ne peut convaincre. Dans l’arrêt I 365/00 précité, le TFA avait en effet établi que les indemnités journalières de la LAI ont pour but de garantir à l’assuré et à ses proches la base matérielle nécessaire à leur existence pendant la période de réadaptation. Les moyens nécessaires à cette fin ne pouvaient être définis de manière générale, mais dépendaient de divers facteurs, variables dans le temps (arrêt I 365/00 précité consid. 4a/cc; cf. aussi l’arrêt 9C_141/2023 précité consid. 4.3.1). Au vu de ces constatations, il est clair que l’exigence de l’obligation de cotiser à l’AVS même à des personnes qui en sont empêchées ne peut être tolérée.

 

Consid. 8.3
En résumé, l’art. 23 al. 3 LAI constitue une discrimination indirecte, contraire à l’art. 4 du Règlement n° 883/2004 et à la jurisprudence respective, à l’égard des personnes qui perçoivent une pension d’invalidité de l’État italien (non reconnue comme telle en Suisse) et qui, bénéficiant de mesures de réadaptation, demandent des indemnités journalières. Une telle discrimination n’est pas objectivement justifiée et proportionnée par rapport à l’objectif poursuivi, et on ne peut pas non plus conclure à la volonté expresse du législateur, en toute connaissance de cause, d’édicter une norme contraire au droit international contraignant pour la Suisse. L’art. 23 LAI doit donc être interprété conformément à ce dernier, dans le sens que, pour le calcul de l’indemnité de base d’une personne ayant obtenu un revenu à l’étranger et qui bénéficie de mesures de réadaptation selon l’art. 8 LAI, le revenu moyen doit être pris en compte même si aucune cotisation n’a été perçue selon la LAVS. Ce résultat est d’ailleurs compatible avec ce qui est prévu à l’art. 5 let. b du Règlement n° 883/2004, concernant l’assimilation de « faits ou événements » (cf. sur ce sujet ATF 140 V 98 consid. 9) à l’activité lucrative exercée à l’étranger et au revenu qui y est réalisé, lesquels peuvent servir de base au calcul du montant de l’indemnité journalière selon la LAI.

Ce faisant, il faudra naturellement respecter les autres prescriptions prévues par la législation en matière d’assurance-invalidité, notamment les art. 20sexies et 21 al. 3 RAI. En outre, bien que la rente versée en application de la législation italienne ne puisse être qualifiée d’équivalente à une rente fondée sur la LAI – dans le cadre des règles de coordination intrasystémique qui interdisent le cumul d’une rente de l’assurance invalidité et d’indemnités journalières de la même assurance (art. 22bis al. 5 et art. 29 al. 2 LAI) –, il n’en demeure pas moins que tant la rente en cause que les indemnités journalières allouées conformément à la LAI sont des prestations d’assurances sociales allouées à une même personne pour compenser une perte de revenu due à une atteinte à sa santé. Dans le cas de rentes et d’indemnités journalières provenant de différentes assurances sociales suisses (coordination intersystémique), le législateur fédéral a admis le cumul d’une rente octroyée par un assureur social et d’indemnités journalières octroyées par un autre assureur social, mais uniquement sous réserve de surindemnisation (art. 68 LPGA). Dans le même sens, l’art. 21septies al. 5 RAI, en relation avec l’art. 24 al. 5 LAI, prévoit une limitation du montant des indemnités journalières de l’assurance invalidité si leur cumul avec une rente de l’assurance accidents entraîne une surindemnisation. Les méthodes d’évaluation de l’invalidité et de calcul du droit à une rente d’invalidité selon les législations suisse et italienne sont trop différentes pour assimiler purement et simplement la rente italienne à une rente basée sur la LAI dans le cadre de l’interdiction du cumul des prestations. En revanche, la rente italienne doit être considérée comme équivalente à une prestation d’un autre assureur social suisse dans le cadre d’un calcul de surindemnisation tel que prévu par les règles de coordination intersystémique. En effet, le montant effectif de la pension et des indemnités journalières est pris en compte dans un tel calcul.

Il incombera donc à l’office AI d’effectuer un calcul de surindemnisation conformément à l’art. 21septies al. 5 RAI, la rente versée en application de la législation italienne pouvant être considérée comme équivalente, dans ce contexte, à une rente de l’assurance accidents. Il faudra toutefois tenir compte de l’art. 10 du Règlement (CE) n° 987/2009 du Parlement européen et du Conseil du 16 septembre 2009 qui établit les modalités d’application du Règlement n° 883/2004. Cette disposition a pour objet de coordonner les réductions de prestations pour cause de surindemnisation auxquelles pourraient procéder les différents États concernés en application de leurs législations respectives. Elle prévoit ainsi que lorsque des prestations dues au titre de la législation de deux Etats membres ou plus sont réduites, suspendues ou supprimées mutuellement, les montants qui ne seraient pas payés en cas d’application stricte des clauses de réduction, de suspension ou de suppression prévues par la législation des Etats membres concernés sont divisés par le nombre de prestations sujettes à réduction, suspension ou suppression.

Consid. 9
Il s’ensuit que le recours doit être admis. Il n’appartient pas au Tribunal fédéral de procéder au calcul des indemnités journalières demandées, ni de recueillir d’éventuelles preuves nécessaires à cet effet. Le jugement attaqué doit donc être annulé et l’affaire renvoyée à l’office AI pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

Arrêt 8C_36/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_36/2024 (d) du 25.11.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/01/8c_36-2024)

 

 

8C_267/2024 (f) du 31.10.2024 – Droit à la rente de veuf – 29 LAA / Pas d’application de l’arrêt CrEDH Beeler contre Suisse

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_267/2024 (f) du 31.10.2024

 

Arrêt à cinq juges, non publié, consultable ici

 

Droit à la rente de veuf / 29 LAA

Pas d’application de l’arrêt CrEDH Beeler contre Suisse

 

Le 19.11.2014, l’assurée, née en 1977, a été percutée par une voiture alors qu’elle traversait un passage piéton, avec pour conséquences un TCC sévère, une fracture du condyle occipital gauche et une dissection de la carotide gauche. L’assurance-accidents a reconnu le droit de la prénommée à une rente fondée sur un taux d’invalidité de 100%, à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) de 100%, à une allocation pour impotent de degré grave ainsi qu’à une participation aux frais d’aide et de soins à domicile.

L’assurée est décédée le 19.12.2021 des suites d’un syndrome de détresse respiratoire aiguë sévère sur pneumonie à SARS-CoV-2. Le 20.10.2022, son mari (né en 1965) et son fils (né le 10.06.2003) ont fait valoir auprès de l’assurance-accidents leur droit à des rentes de survivants.

Par décision du 27.03.2023, confirmée sur opposition, l’assurance a octroyé au fils une rente d’orphelin de 15% à partir du 01.09.2022, date à laquelle il a commencé une formation. Cependant, elle a refusé d’accorder une rente de veuf au mari. L’assurance-accidents a justifié ce refus en expliquant qu’au moment du décès de l’assurée, le fils avait plus de 18 ans et ne suivait pas de formation, ne remplissant donc pas les conditions pour une rente d’orphelin. L’assurance-accidents a souligné qu’en vertu de l’art. 190 Cst., elle était tenue d’appliquer l’art. 29 al. 3 LAA, quand bien même cette disposition opérait une distinction claire entre les conditions d’octroi d’une rente à un veuf et celles d’octroi d’une rente à une veuve.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 68/23 – 22/2024 – consultable ici)

Par jugement du 07.03.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1.1 [résumé]
Le droit au respect de la vie privée et familiale est garanti par l’art. 8 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), ainsi que le principe de non-discrimination énoncé à l’article 14 CEDH.

Consid. 3.1.2
La Confédération et les cantons respectent le droit international (art. 5 al. 4 Cst.). Le Tribunal fédéral et les autres autorités sont tenus d’appliquer les lois fédérales et le droit international (art. 190 Cst.). Aucune de ces deux dispositions n’instaure de rang hiérarchique entre les normes de droit international et celles de droit interne. Selon la jurisprudence, en cas de conflit, les normes du droit international qui lient la Suisse priment celles du droit interne qui lui sont contraires. Il faut présumer que le législateur fédéral a entendu respecter les dispositions des traités internationaux régulièrement conclus, à moins qu’il ait en pleine connaissance de cause décidé d’édicter une règle interne contraire au droit international. En cas de doute, le droit interne doit s’interpréter conformément au droit international (ATF 147 IV 182 consid. 2.1; 146 V 87 consid. 8.2.2 et les arrêts cités; cf. aussi art. 27, première phrase, de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités [RS 0.111]).

Consid. 3.1.3 [résumé]
En droit suisse de l’assurance-accidents, lorsque l’assuré décède des suites de l’accident, le conjoint survivant et les enfants ont droit à des rentes de survivant (art. 28 LAA). Le conjoint survivant a droit à une rente lorsque, au décès de son conjoint, il a des enfants ayant droit à une rente ou vit en ménage commun avec d’autres enfants auxquels ce décès donne droit à une rente ou lorsqu’il est invalide aux deux tiers au moins ou le devient dans les deux ans qui suivent le décès du conjoint (art. 29 al. 3, première phrase, LAA). La veuve a en outre droit à une rente lorsque, au décès du mari, elle a des enfants qui n’ont plus droit à une rente ou si elle a accompli sa 45e année; elle a droit à une indemnité en capital lorsqu’elle ne remplit pas les conditions d’octroi d’une rente (art. 29 al. 3, seconde phrase, LAA).

Concernant les rentes d’orphelin, elles sont accordées aux enfants de l’assuré décédé jusqu’à leurs 18 ans, ou jusqu’à 25 ans s’ils poursuivent une formation. Le droit à la rente débute le mois suivant le décès de l’assuré ou du parent survivant.

Consid. 3.1.4
Selon la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme (CourEDH), toute prestation pécuniaire a généralement certaines incidences sur la gestion de la vie familiale de celui ou celle qui la perçoit, sans que cela suffise à la faire tomber sous l’empire de l’art. 8 CEDH. Dans le cas contraire, en effet, l’ensemble des allocations sociales tomberaient sous l’empire de cette disposition, ce qui serait excessif (arrêt Beeler contre Suisse du 11 octobre 2022, § 67). Pour que l’art. 14 CEDH entre en jeu en matière de prestations sociales, la matière sur laquelle porte le désavantage allégué doit compter parmi les modalités d’exercice du droit au respect de la vie familiale tel que garanti par l’art. 8 CEDH, en ce sens que les mesures visent à favoriser la vie familiale et qu’elles ont nécessairement une incidence sur l’organisation de celle-ci. Un éventail d’éléments sont pertinents pour déterminer la nature de l’allocation en question et il convient de les examiner dans leur ensemble. Figurent parmi ces éléments, notamment: le but de l’allocation tel que déterminé à la lumière de la législation concernée; les conditions de l’octroi, du calcul et de l’extinction de l’allocation prévues par les dispositions légales; les effets sur l’organisation de la vie familiale tels qu’envisagés par la législation; les incidences réelles de l’allocation, compte tenu du cas individuel du requérant et de sa vie familiale pendant toute la période de versement de l’allocation (ibidem, § 72).

Dans son arrêt Beeler contre Suisse précité, la CourEDH a constaté une violation de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 8 CEDH, du fait d’une inégalité de traitement entre les hommes et les femmes en matière de rentes de survivants de l’assurance-vieillesse et survivants suisse (ibidem, § 98 à 116).

Consid. 3.2 [résumé]
En l’espèce, les juges cantonaux ont retenu qu’il n’était pas contesté que le régime des prestations de survivants de l’assurance-accidents contenait une inégalité entre les hommes et les femmes contraire à la Constitution, dans la mesure où il ne prévoyait pas les mêmes prestations pour les uns et pour les autres. Les juges ont reconnu que cette inégalité était contraire à la Constitution, mais ont examiné le cas spécifique à la lumière de la jurisprudence de la CourEDH.

Dans l’affaire Beeler contre Suisse, la rente de veuf avait été octroyée alors que les enfants étaient mineurs et cette prestation avait eu pour but d’alléger la situation du conjoint survivant et l’impact sur l’organisation de la vie familiale, en offrant au veuf une marge de manoeuvre plus étendue pour l’organisation de la vie familiale. Dans le cas d’espèce, le veuf était âgé de 56 ans et ses fils étaient majeurs au moment du décès de son épouse. Les juges cantonaux ont estimé que l’octroi d’une rente de veuf n’aurait pas d’influence sur l’organisation de la vie familiale, mais servirait uniquement à compenser la perte de soutien engendrée par le décès de sa conjointe. Les juges ont conclu que cet aspect n’étant pas couvert par l’art. 8 CEDH, l’assuré ne pouvait pas invoquer une violation de l’art. 14 CEDH combiné avec l’art. 8 CEDH. En conséquence, le tribunal cantonal, lié par l’art. 190 Cst., ne pouvait pas déroger à l’art. 29 LAA.

Consid. 3.4.1
En assurance-accidents, la rente de veuf vise à compenser la perte de soutien résultant du décès du conjoint (FF 1976 III 143, p. 197). Selon l’art. 29 al. 3 LAA, le conjoint survivant peut notamment prétendre à une rente lorsqu’au moment du décès de son conjoint, il a des enfants ayant droit à une rente d’orphelin ou vit en ménage commun avec d’autres enfants ayant droit à une rente d’orphelin. Comme la rente de veuf en LAVS (cf. arrêt Beeler, § 73 à 77), la rente de veuf en assurance-accidents vise donc à tout le moins en partie à favoriser la vie familiale du conjoint survivant, en lui permettant de s’occuper des enfants sans avoir à affronter des difficultés financières qui le contraindraient à exercer une activité professionnelle.

Consid. 3.4.2
Reste à déterminer, conformément à la jurisprudence Beeler, si en l’espèce, l’octroi d’une rente de veuf à l’assuré aurait nécessairement une incidence sur l’organisation de la vie familiale. À cet égard, il convient d’examiner la situation au moment où l’assuré pourrait prétendre à une rente, à savoir au décès de son épouse en décembre 2021, et non pas au moment de l’accident en 2014.

À la différence de l’affaire Beeler, au moment du décès de l’épouse de l’assuré, les deux enfants du couple étaient majeurs. Dès lors, comme retenu à juste titre par la cour cantonale, la perception d’une rente de veuf ne pourrait en aucun cas permettre à l’assuré de se consacrer à ses enfants, qui sont réputés autonomes quand bien même le cadet vit encore avec son père. L’assuré ne se trouve pas dans une situation dans laquelle il devrait renoncer à une activité professionnelle, ou plus généralement orienter ses choix professionnels, en raison d’enfants dont il a la garde. En d’autres termes, la rente de veuf ne peut pas viser à compenser une perte de gain due à la nécessité de s’occuper de ses enfants en raison de la disparition de son épouse. Les conditions de vie, la situation financière et l’organisation de la famille avant et après l’accident ne sont pas déterminantes.

Même dans l’hypothèse où l’assuré aurait dû renoncer à travailler en 2014 après l’accident pour s’occuper des enfants, force est de constater qu’au moment du décès de son épouse en décembre 2021, l’octroi d’une rente de veuf ne peut pas avoir pour but de lui permettre de s’occuper de ses enfants devenus majeurs. La reprise ou non d’une activité lucrative par l’assuré ensuite de ce décès n’a aucune incidence sur la prise en charge des enfants, quelle que soit la situation financière de la famille. En outre, le seul fait que l’assuré ait des difficultés à réintégrer le marché du travail n’est pas pertinent, cette problématique n’étant pas couverte par le droit au respect de la vie familiale garanti par l’art. 8 CEDH. Une éventuelle perte de gain en raison de son invalidité – au demeurant étrangère au décès de son épouse – n’est pas non plus déterminante eu égard au champ de protection de cette disposition.

L’assuré soutient encore qu’en l’absence d’une rente de veuf, son fils cadet devrait renoncer à sa formation, ce qui relèverait de l’organisation de la vie familiale. Or le fils en question a entamé sa formation en août 2022, avant le dépôt de la demande de rentes de survivants le 22.10.2022, et rien n’indique qu’il y a mis un terme. On ne voit donc pas que l’accomplissement de cette formation puisse dépendre nécessairement de l’octroi d’une rente de veuf à l’assuré. Au demeurant, la possibilité d’effectuer une formation plutôt qu’assumer un emploi rémunéré n’est pas couverte par l’art. 8 CEDH. En droit suisse, le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de préciser que la formation suivant l’enseignement de base n’était pas protégée par un droit constitutionnel, un tel droit existant uniquement en ce qui concerne l’enseignement de base (cf. art. 19 Cst.) (ATF 146 II 56 consid. 7.1 et les arrêts cités).

Consid. 3.4.3
Au vu de ce qui précède, les juges cantonaux ont considéré à bon droit que la situation de l’assuré ne tombait pas sous l’empire de l’art. 8 CEDH et qu’il ne pouvait pas être dérogé à l’art. 29 al. 3 LAA compte tenu de l’art. 190 Cst.

 

Le TF rejette le recours du veuf.

 

Arrêt 8C_267/2024 consultable ici

 

4A_417/2023 (f) du 01.10.2024 – IJ maladie LCA – Personne assurée licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé) – Preuve du dommage / 8 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_417/2023 (f) du 01.10.2024

 

Consultable ici

 

IJ maladie LCA – Personne assurée licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé) – Preuve du dommage / 8 CC

Indemnités journalières calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage et non sur l’ancien salaire

Le fait que l’employé ait été libéré de l’obligation de travailler n’exerce aucune influence sur le droit au salaire, respectivement aux indemnités journalières pendant la durée de sa maladie

Indemnité de départ, prévue contractuellement, couvre la perte de revenu résultant de la résiliation desdits rapports – Indemnité de départ prise en considération par la caisse de chômage et non par l’assurance perte de gain maladie

 

Assuré engagé le 01.06.2008 par la société C.__ SA. Son contrat de travail prévoyait qu’en cas de licenciement, l’employeuse verserait une indemnité unique correspondant à six mois de salaire de base.

L’employeuse a souscrit une assurance perte de gain collective auprès d’une compagnie d’assurances, effective dès le 01.01.2020. Cette assurance couvrait 90% du salaire assuré pendant 730 jours, après un délai d’attente de 60 jours, en cas d’incapacité de travail due à une maladie. Les CGA prévoient notamment qu’est réputée incapacité de travail toute perte de l’aptitude de l’assuré à accomplir dans sa profession ou son domaine d’activité le travail qui peut raisonnablement être exigé de lui, si cette perte résulte d’une maladie.

Par courrier du 22.01.2021, l’employeuse a licencié l’assuré pour le 31.07.2021 et l’a libéré de son obligation de travailler.

En août 2021, l’employeuse a transmis à l’assureur une déclaration de maladie indiquant que l’assuré se trouvait en incapacité totale de travail depuis le 21.06.2021.

Le 07.09.2021, l’assureur a informé l’assuré qu’il le considérait apte à reprendre son activité chez un autre employeur et a clos le dossier. L’assuré a contesté cette décision. Il s’est inscrit au chômage le 07.11.2021.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/494/2023 – consultable ici)

Par arrêt du 26.06.2023, la cour cantonale a partiellement admis la demande, condamnant l’assureur à verser CHF 191’576.25 plus intérêts à l’assuré pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022. Se basant sur une expertise judiciaire, la cour a établi que l’assuré était en incapacité de travail totale jusqu’au 30.11.2021, puis à 50% du 01.12.2021 au 31.01.2022. La cour a retenu que l’assuré avait perçu son salaire jusqu’au 31.07.2021 et qu’il était toujours sous contrat de travail pendant la période litigieuse, durant laquelle il a subi une perte de gain due à son incapacité de travail. Les indemnités journalières ont été calculées sur la base de 90% de l’ancien salaire de l’assuré, soit CHF 565’287.85.

 

TF

Consid. 3
En l’espèce, il est établi et non contesté que l’employé a été licencié le 22.01.2021 pour le 31.07.2021 et libéré de l’obligation de travailler jusqu’à cette échéance; il a perçu une indemnité de départ équivalant à six mois de salaire.

Il s’est trouvé en incapacité totale de travailler dès le 21.06.2021. Selon l’expertise, cette incapacité s’est prolongée jusqu’au 31.01.2022, d’abord à 100% puis à 50%. Compte tenu du délai d’attente de 60 jours prévu par la police d’assurance, le droit aux prestations de l’assurance perte de gain ne pouvait débuter que le 20.08.2021, point de départ qui n’est pas contesté.

La cour cantonale a admis l’incapacité de travailler sur la base de l’expertise et, partant, la perte de gain de l’employé. Elle l’a calculée en se fondant sur un salaire annuel de CHF 565’287.85 (90% de ce montant, conformément aux CGA).

Consid. 6.1
S’agissant d’une assurance de dommages, conformément à l’art. 8 CC, la personne assurée doit établir au degré de la vraisemblance prépondérante que son incapacité de travailler pour cause de maladie lui a causé une perte de gain, c’est-à-dire un dommage. Autrement dit, elle doit établir avec vraisemblance prépondérante que si elle n’était pas malade, elle exercerait une activité lucrative. Cela implique donc de se poser, dans chaque cas d’espèce, la question suivante: le travailleur exercerait-il ou non une activité lucrative s’il n’était pas malade? Ce n’est en effet que dans l’affirmative que tant l’assurance d’indemnités journalières pour cause de maladie que l’assurance-chômage allouent des prestations.

Il ressort de la jurisprudence qu’il faut distinguer deux cas de figure, en fonction du moment auquel intervient la résiliation du contrat de travail (signification du congé) :

  • Si la personne assurée était déjà malade au moment où son contrat de travail a été résilié, après la période de protection contre les congés, il est présumé (présomption de fait) que, sans la maladie qui l’affecte, elle exercerait non seulement une activité lucrative, mais elle aurait continué à travailler pour son employeur, et donc à percevoir le même salaire pendant toute la durée de son incapacité de travail. Dans ce cas de figure, la perte de gain correspond à sa perte de salaire (ATF 147 III 73 consid. 3.2 et 3.3).
  • Si la personne assurée a été licenciée avant de tomber malade (pendant le délai de congé), elle doit établir avec une vraisemblance prépondérante qu’elle exercerait une activité lucrative si elle n’était pas malade, et qu’elle aurait eu droit aux indemnités de l’assurance-chômage. Dans ce cas de figure, il ne peut pas être présumé qu’elle percevrait le même salaire que précédemment et les indemnités journalières doivent être calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage (ATF 147 III 73 consid. 3.3; cf. toutefois consid. 4 non publié de cet ATF s’agissant d’un nouvel emploi concret [ » konkret bezeichnete Stelle « ], avec des indications sur le nouveau salaire possible).

Lorsqu’elle est en incapacité de travail, la personne qui exercerait une activité lucrative si elle n’était pas malade n’est pas apte au travail et ne peut donc pas percevoir de prestations de l’assurance-chômage. En revanche, puisqu’elle est malade, elle a droit aux prestations de l’assurance-maladie collective, calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage.

Consid. 6.2
Selon la cour cantonale, pour déterminer si l’assuré avait subi une perte de gain du 20.08.2021 au 31.01.2022, il convenait de définir s’il était encore lié par son contrat de travail avec son ancienne employeuse. Il avait été licencié le 22.01.2021 pour le 31.07.2021 et s’était retrouvé en incapacité de travail dès le 21.06.2021. Se fondant sur les dispositions légales applicables au contrat de travail, la cour cantonale a retenu que le terme des rapports de travail était reporté au 31.01.2022 au vu de la période de protection contre les congés dont bénéficiait l’assuré (art. 336c al. 1 let. b CO; art. 336c al. 2 et 3). Ce dernier avait subi une perte de gain du 20.08.2021 au 31.01.2022, puisqu’il n’avait reçu aucun revenu alors qu’il était encore sous contrat de travail et se trouvait en incapacité de travailler. La cour cantonale a ensuite calculé le montant des indemnités journalières sur la base de l’ancien salaire de l’assuré.

Consid. 6.3
En l’espèce, il est établi que la résiliation des rapports de travail a été communiquée par courrier du 22.01.2021, et que l’employé est tombé en incapacité de travailler le 21.06.2021, soit pendant le délai de congé. Au vu du délai d’attente de l’assurance de 60 jours, le droit aux prestations de l’assurance n’a commencé que le 20.08.2021. L’assureur ne conteste pas le report du terme des rapports de travail au 31.01.2022.

Ces faits réalisent les conditions du second cas de figure sus-exposé. Les prestations de l’assureur perte de gain doivent donc être calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage. C’est ainsi à tort que la cour cantonale a tablé sur la fin des rapports de travail au 31.01.2022 pour admettre que l’employé a droit à des prestations de l’assureur perte de gain fondées sur son ancien salaire de CHF 565’287.85 pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022. En effet, puisque le contrat de travail a été résilié avant que l’employé ne tombe malade, il est évident que les rapports de travail n’auraient pas été poursuivis, même sans la maladie.

Dans sa réponse, l’assuré soutient que l’arrêt 4A_424/2020 – soit l’ATF 147 III 73 – dans lequel les indemnités perte de gain litigieuses ont été calculées sur la base des indemnités de l’assurance-chômage, concernait des prestations qui devaient être versées une fois que le travailleur ne pouvait plus prétendre à recevoir son salaire et émargeait à l’assurance-chômage. Selon l’assuré, il en allait différemment dans son cas, puisqu’il disposait d’un droit à recevoir son salaire jusqu’au 31.01.2022. L’assuré se méprend. L’ATF 147 III 73 concerne le même cas de figure que la présente affaire: les rapports de travail, débutés en 2008, ont été résiliés le 12.02.2018 pour le 31.08.2018; la personne assurée est devenue incapable de travailler dès le 27.07.2018. Les indemnités litigieuses ont été versées après le délai d’attente de 90 jours de l’assurance perte de gain dès l’incapacité de travail. Contrairement à ce qu’allègue l’assuré, elles n’ont pas été payées après que le contrat de travail ait pris fin; il omet le report du terme des rapports de travail dû à la période de protection contre les congés. Cet ATF ne lui est donc d’aucun secours.

Ainsi, il appartiendra à la cour cantonale de calculer le montant des indemnités journalières de l’assurance perte de gain pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022 en se fondant sur les indemnités de chômage auxquelles l’assuré aurait pu prétendre s’il n’avait pas été malade. Il incombera également à l’autorité précédente de statuer à nouveau sur les dépens de la procédure cantonale; elle n’a à juste titre pas perçu de frais judiciaires (cf. art. 114 let. e CPC).

 

Consid. 7.1.1
Sous le grief lié à l’incapacité de travail de l’assuré, l’assureur soutient que celle-ci ne devrait pas être appréciée par rapport à l’activité qu’il exerçait précédemment pour son employeur. Selon l’assureur, l’expertise est théorique puisqu’elle apprécie l’incapacité par rapport à une situation hypothétique, soit celle d’une activité de cadre supérieur d’une entreprise multinationale, alors que l’assuré n’exerce plus cette activité depuis qu’il a été libéré de son obligation de travailler. Elle se fonde sur le ch. D2 CGA, qu’elle rapproche de l’art. 6 LPGA (poste de travail habituel), et en déduit que depuis son licenciement, avec libération de l’obligation de travailler, l’assuré a eu une activité de recherche d’emploi, qu’il s’agit de son activité habituelle et que c’est sur cette base que devait s’apprécier sa capacité de travail. Il se plaint d’arbitraire et de violation des dispositions légales et contractuelles applicables.

Cette critique est infondée. La jurisprudence n’a jamais déduit du fait que l’employé a été libéré de l’obligation de travailler que désormais, sa capacité de travail devait être appréciée en fonction de sa recherche d’un emploi.

 

Consid. 7.2
L’assureur avance encore que, puisque l’assuré a été libéré de son obligation de travailler, il n’y avait pas de lien de causalité entre son incapacité de travail et l’éventuelle perte de gain, de sorte que l’assuré n’avait pas droit aux indemnités litigieuses.

Toutefois, le fait que l’employé ait été libéré de l’obligation de travailler n’exerce aucune influence sur le droit au salaire, respectivement aux indemnités journalières pendant la durée de sa maladie.

 

Consid. 7.4.1
A titre complémentaire, l’assureur soutient que l’assuré n’a de toute façon pas subi de perte de gain pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, puisqu’il avait perçu une indemnité de départ équivalant à six mois de salaire. La volonté de l’assuré et de son ancienne employeuse était de considérer cette indemnité comme du salaire pour cette période, ce qu’avait également retenu la caisse de chômage. Dans ces conditions, les juges cantonaux ont constaté de manière arbitraire que l’assuré avait subi une perte économique du 20.08.2021 au 31.01.2022. Ils ne pouvaient pas reporter cette indemnité sur la période postérieure au 31.01.2022.

Consid. 7.4.2
La cour cantonale a relevé que l’indemnité de départ, prévue contractuellement, couvrait à la fin des rapports de travail la perte de revenu résultant de la résiliation desdits rapports, et non de l’incapacité de travail. Puisque le terme du délai de congé avait été reporté au 31.01.2022 en raison de l’incapacité de travail de l’assuré, l’indemnité de départ serait prise en considération par la caisse de chômage dès le 01.02.2022. Certes, il ressortait de la décision de la caisse de chômage qu’elle avait tenu compte de cette indemnité dès le mois d’août 2021; cependant, elle avait précisé que sa décision revêtait un caractère provisoire et pourrait être revue en cas de décision judiciaire tranchant différemment la question de la fin des rapports de travail. Partant, durant la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, l’assuré, qui était alors sous contrat de travail, se trouvait en incapacité de travail et n’avait pas perçu de revenu, de sorte qu’il avait subi une perte de gain.

Consid. 7.4.3
L’assureur fait valoir que dans le cadre d’un litige aux prud’hommes, la volonté de l’assuré et de son ancienne employeuse était de considérer l’indemnité versée comme du salaire pour la période litigieuse, de sorte qu’il n’y avait aucune perte de gain. Ce faisant, l’assureur se fonde sur des éléments non constatés, sans requérir valablement un complètement de l’état de fait à cet égard. Cela n’est pas suffisant. Par ailleurs, contrairement à ce qu’il soutient, les juges cantonaux ont basé leur appréciation sur un élément concret. En effet, le contrat de travail prévoyait lui-même le versement d’une indemnité en cas de licenciement. Ainsi, cette indemnité aurait de toute évidence été payée même sans l’incapacité de travail de l’assuré et n’était donc pas en lien avec cette dernière. Pour le surplus, lorsque l’assureur allègue que la caisse de chômage avait elle-même retenu que l’assuré n’avait subi aucun dommage pour la période du 20.08.2021 au 31.01.2022, il ne discute pas valablement l’argumentation de la cour cantonale relative à la décision de la caisse de chômage.

En définitive, l’assureur ne parvient pas à démontrer que les juges cantonaux auraient retenu de manière arbitraire que l’indemnité de départ était destinée à couvrir une éventuelle perte de gain dès le 31.01.2022, et que l’assuré avait subi une perte économique du 20.08.2021 au 31.01.2022. Le grief doit donc être rejeté.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assureur, annule l’arrêt cantonal et renvoie la cause à la cour cantonale pour nouvelle décision.

 

Arrêt 4A_417/2023 consultable ici