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9C_537/2019 (f) du 25.02.2020 – Revenu d’invalide selon ESS – 16 LPGA / Abattement de 15% pour une atteinte au membre supérieur droit et une capacité de travail de 60% (baisse de rendement de 40% sur un 100%)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_537/2019 (f) du 25.02.2020

 

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Revenu d’invalide selon ESS / 16 LPGA

Abattement de 15% pour une atteinte au membre supérieur droit et une capacité de travail de 60% (baisse de rendement de 40% sur un 100%)

 

Assurée, née en 1960, a travaillé en dernier lieu en qualité de tenancière d’une épicerie tea-room.

Dans le contexte d’une demande de prestations de l’assurance-invalidité (déposée le 28.02.2012), l’office AI a été enjoint de se prononcer à nouveau sur le droit à la rente en fonction d’une capacité résiduelle de travail de 60% dans une activité adaptée, fondée sur les conclusions du professeur B.__ et de la doctoresse C.__ (arrêt du Tribunal fédéral du 23 janvier 2017 [9C_422/2016]). Les deux spécialistes en neurologie avaient posé le diagnostic de tremblement psychogène et de trouble moteur dissociatif, concluant à une limitation du rendement en raison de l’impotence fonctionnelle du membre supérieur droit. Par décision, l’office AI a alloué à l’assurée un quart de rente d’invalidité à partir du 01.01.2013, fondé sur un taux d’invalidité de 47%. En bref, il a notamment pris en considération dans la comparaison des revenus déterminants un abattement de 10% sur le revenu d’invalide en raison de l’âge de l’assurée et du fait que seules des activités légères restaient possibles.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/556/2019 – consultable ici)

En ce qui concerne l’abattement sur le salaire statistique, les juges cantonaux se sont référés à la casuistique du Tribunal fédéral relative aux déductions pratiquées pour des assurés qui ont une main partiellement ou complètement non fonctionnelle. Ils ont admis que la déduction de 10% retenue par l’office AI était inférieure à la quotité généralement admise pour ce motif, de sorte qu’elle s’avérait problématique pour des questions d’égalité de traitement entre assurés. A cela, il fallait tenir compte de l’âge de l’assurée, également susceptible de réduire son revenu d’invalide. Compte tenu de l’ensemble des circonstances, la déduction de 10% apparaissait insuffisante, tandis qu’un abattement de 15% était plus approprié.

Par jugement du 06.06.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assurée à une demi-rente d’invalidité dès le 01.01.2013. La cour cantonale a considéré que l’abattement sur le salaire statistique devait être fixé à 15%, ce qui entraînait un taux d’invalidité de 50%.

 

TF

En ce qui concerne la fixation du revenu d’invalide (cf. art. 16 LPGA) sur la base des statistiques salariales, il est notoire, selon la jurisprudence, que les personnes atteintes dans leur santé, qui présentent des limitations même pour accomplir des activités légères, sont désavantagées sur le plan de la rémunération par rapport aux travailleurs jouissant d’une pleine capacité de travail et pouvant être engagés comme tels; ces personnes doivent généralement compter sur des salaires inférieurs à la moyenne (ATF 124 V 321 consid. 3b/bb p. 323). La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent par conséquent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité, autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc p. 79).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si celle-ci a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci, notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72; 132 V 393 consid. 3.3 p. 399; 130 III 176 consid. 1.2 p. 180).

 

L’assurée présente une capacité de travail de 60% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles du membre supérieur droit. Le professeur B.__ a indiqué que la main droite, malgré le tremblement, était encore utilisable en appui à la gauche, que les travaux de précision et les gestes fins étaient impossibles, que le port d’objets de plus de 5 kg était à proscrire, et que l’écriture restait possible, bien que difficile. Or ce sont précisément ces limitations qui ont justifié aux yeux des experts la diminution de la capacité de travail à 60%, la baisse de rendement de 40% étant due aux stratégies que l’assurée devait mettre en place pour fonctionner en utilisant « ce qu’il reste de son bras et sa main droite » dans un milieu professionnel.

Il n’y a pas lieu dans le cadre de l’abattement sur le revenu d’invalide de tenir compte une seconde fois de limitations qui ont été prises en considération lors de l’évaluation de la capacité de l’assurée sous l’angle médical (voir par ex. arrêts 9C_273/2019 du 18 juillet 2019 consid. 6.1 et 9C_847/2018 du 2 avril 2019 consid. 6.2.3).

Ce nonobstant, la juridiction cantonale n’a pas violé le droit ni abusé ou excédé de son pouvoir d’appréciation en fixant à 15% l’abattement sur le revenu d’invalide. En effet, au regard des activités citées par les experts neurologues puis l’office AI, il apparaît que le spectre des activités légères adaptées pouvant entrer en considération dans le cas d’espèce est fortement réduit. On ne voit ainsi pas que les activités de « patrouilleuse » scolaire ou surveillante scolaire soient exigibles d’une assurée dont le bras droit est atteint de tremblements pratiquement constants, au regard de la responsabilité inhérente aux postes cités. A l’inverse par ailleurs de ce que prétend l’office AI, l’égalité de traitement fait partie des principes de droit constitutionnel qui régissent l’activité de l’administration et des autorités judiciaires, de sorte qu’on ne saurait reprocher aux juges cantonaux d’avoir pris en considération la pratique du Tribunal fédéral concernant la déduction sur le salaire statistique dans le cas de personnes assurées privées partiellement ou complètement de l’usage d’un membre supérieur (cf. arrêt 8C_58/2018 du 7 août 2018 consid. 5.3 et les arrêts cités).

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_537/2019 consultable ici

 

 

8C_122/2019 (f) du 10.09.2019 – Revenu d’invalide / Pas d’abattement pour des travaux légers ne nécessitant pas le port régulier de charges excédant les 3 à 4,5 kg ou de mouvement répétitif de flexion-extension du coude droit / Critère de l’âge en LAA / Evaluation de l’IPAI / Frais d’expertise privée à la charge de l’assurance-accidents

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_122/2019 (f) du 10.09.2019

 

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Revenu d’invalide / 16 LPGA

Pas d’abattement sur le salaire statistique pour des travaux légers ne nécessitant pas le port régulier de charges excédant les 3 à 4,5 kg ou de mouvement répétitif de flexion-extension du coude droit

Critère de l’âge en assurance-accidents – Question encore laissée indécise

Evaluation de l’IPAI / 24 LAA – 25 LAA – Annexe 3 OLAA

Frais d’expertise privée à la charge de l’assurance-accidents

 

Assuré, né en 1966, travaillait comme maçon, lorsque le 08.07.2015, alors qu’il était occupé à des travaux d’aménagement d’une villa, la toiture d’une véranda, sous laquelle il se trouvait, s’est effondrée. Admis en urgence à l’hôpital, il a subi deux interventions chirurgicales les 08.07.2015 et 10.07.2015 en raison de multiples plaies et coupures au niveau des membres supérieurs, principalement du membre droit (avant-bras droit: sections 100% du long extenseur radial et 70% du court extenseur radial du carpe, section 10% du nerf musculo-cutané; bras droit: section du muscle brachio radialis biceps et brachial, section d’un fascicule du nerf radial, section 100% du nerf musculo-cutané; main gauche: section 100% extenseur D3 zone 4 avec arthrotomie, section moins de 50% en zone 4 au niveau de D2 et de D4).

L’assuré, en incapacité totale de travail depuis l’accident, a repris son activité à titre thérapeutique à 50% à compter du 01.02.2016.

Par décision, l’assurance-accidents a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité fondée sur une incapacité de gain de 20% à partir du 01.10.2016 et lui a alloué une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 5%. A l’appui de son opposition, l’assuré a produit un rapport d’expertise privée d’un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur. L’assurance-accidents a soumis cet avis médical à sa spécialiste en chirurgie générale et traumatologie. Sur la base du rapport de cette dernière, l’assurance-accidents a admis partiellement l’opposition et a porté le taux d’invalidité à 21% et celui de l’atteinte à l’intégrité à 7,5%.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/13/2019 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré que la question de la pertinence des DPT choisies par l’assurance-accidents pouvait rester ouverte. En effet, en se référant au calcul du revenu d’invalide opéré par l’assuré dans son recours au moyen de l’Enquête suisse sur la structure des salaires (ESS), elle obtenait un taux d’invalidité inférieur à celui fixé par l’assurance-accidents dans sa décision sur opposition. Au sujet de l’abattement, de l’avis de la cour cantonale, les limitations fonctionnelles étaient en effet déjà prises en compte dans le salaire d’invalide et les autres facteurs de réduction que l’assuré proposait de retenir (âge, nationalité et manque de formation) n’entraient pas en ligne de compte.

Par jugement du 14.01.2019, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Revenu d’invalide – Abattement

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 142 V 178 consid. 2.5.9 p. 191; 137 V 71 consid. 5.1 p. 72).

Dans le rapport d’expertise privée, le spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur indique que l’assuré ne peut plus fléchir complètement son coude droit ; cela provoque des douleurs, des décharges électriques et un manque de force au niveau du biceps brachial. Il considère que l’assuré peut exercer une activité où son membre supérieur droit ne porte pas de charges plus lourdes que 3 kg « dans moins de 10% du temps », sans travail répétitif de ce membre et sans exercice de motricité relativement fine avec la main droite. Il précise ensuite que la force du biceps est mesurée à environ 6-7 kg au test de force maximale et que cette charge ne peut donc pas être répétée plusieurs fois par jour. Pour un travail répétitif, la charge devrait être plutôt aux alentours de 4,5 kg. Quant à la médecin-conseil, elle indique rejoindre partiellement l’avis de l’expert privé quant à l’exigibilité. Elle soutient que, dans l’ancienne activité de l’assuré, il conviendrait de tenir compte d’une perte de rendement de 25%, puisque le port de charges supérieures à 7 kg et les mouvements répétitifs de flexion-extension du coude doivent être évités. Dans ce cas de figure, il serait judicieux, selon elle, que l’assuré alterne les tâches administratives en sa qualité de chef d’entreprise avec les tâches sur le terrain, afin de soulager son membre supérieur droit. Par contre, dans une activité respectant les limitations fonctionnelles précitées, la capacité de travail est totale.

Aussi, les appréciations des deux médecins ne divergent-elles que légèrement sur l’étendue des limitations et ne sont en tout cas pas contradictoires. L’on peut retenir sur la base de ces avis médicaux que les limitations fonctionnelles portent sur les mouvements répétitifs au niveau du coude droit et sur le port de charges de plus de 7 kg et qu’il s’agit là d’une valeur maximale en ce sens que le port de charges, même inférieures à ce seuil, doit être alterné avec des périodes de repos du membre supérieur droit. Cela dit, au regard des activités physiques ou manuelles simples que recouvrent les secteurs de la production et des services (tableau TA1_skill_level ESS), un nombre suffisant d’entre elles correspondent à des travaux légers ne nécessitant pas le port régulier de charges excédant les 3 à 4,5 kg (admis par l’expert privé) ou de mouvement répétitif de flexion-extension du coude droit, comme en particulier les activités de contrôle et de surveillance. Une déduction supplémentaire sur le salaire statistique ne se justifie donc pas pour tenir compte des circonstances liées au handicap de l’assuré. En effet, un abattement n’entre en considération que si, dans un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. en dernier lieu arrêt 8C_174/2019 du 9 juillet 2019 consid. 5.2.2 et et les arrêts cités).

En ce qui concerne le critère de l’âge, le Tribunal fédéral n’a pas encore tranché le point de savoir si, dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire, il constitue un critère d’abattement ou si l’influence de l’âge sur la capacité de gain doit être prise en compte uniquement dans le cadre de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA (voir les arrêts 8C_878/2018 du 21 août 2019 consid. 5.3.1; 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 5, in SVR 2018 UV n° 40 p. 145; 8C_439/2017 du 6 octobre 2017 consid. 5.6.4, in SVR 2018 UV n° 15 p. 50). Cette question peut encore demeurer indécise en l’espèce dans la mesure où l’assuré n’expose pas en quoi ses perspectives salariales seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré à raison de son âge. En outre, il était âgé de 50 ans au moment de la naissance du droit à la rente, soit un âge relativement éloigné de celui de la retraite. Quant à l’absence d’expérience et de formation, elle ne joue pas de rôle lorsque le revenu d’invalide est déterminé en référence au salaire statistique auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des activités simples et répétitives de niveau de compétence 1. En effet, ce niveau de compétence de l’ESS concerne une catégorie d’emplois ne nécessitant ni formation ni expérience professionnelle spécifique (arrêt 8C_103/2018 du 25 juillet 2018 consid. 5.2). Au demeurant, si l’assuré allègue être de langue maternelle espagnole et n’avoir suivi aucune autre formation que celle de maçon, il n’en demeure pas moins qu’il admet bien parler le français, étant arrivé en Suisse à l’âge de 17 ans, et qu’après un apprentissage de maçon et une expérience auprès d’un second employeur, il est parvenu à fonder sa propre entreprise au service de laquelle il a travaillé pendant presque vingt ans (cf. à ce sujet le rappel anamnestique du rapport d’expertise).

Compte tenu de ce qui précède, les juges cantonaux étaient fondés à refuser de procéder à un abattement sur le revenu d’invalide.

 

IPAI

La fixation de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité dépend uniquement de facteurs médicaux objectifs valables pour tous les assurés, sans égard à des considérations d’ordre subjectif ou personnel ; elle n’est d’aucune manière liée à l’importance de l’incapacité de gain qu’elle est susceptible ou non d’entraîner (ATF 143 V 231 consid. 4.4.5 p. 238; 113 V 218 consid. 4b p. 221 s.). La médecin-conseil explique de manière circonstanciée pour quels motifs elle s’écarte de de l’évaluation de l’expert privé. Elle indique en particulier que la perte de force et le déficit en supination de 20° du coude droit ne peuvent pas être comparés à la perte même partielle d’un membre supérieur. En outre, le coude de l’assuré ne présente pas de blocage ou de déficit en flexion ou extension mais uniquement un déficit de supination, pour lequel pourrait être retenu un taux de 2,5%. Considérant que l’état du coude est plutôt similaire à une arthrose moyenne, laquelle implique une diminution de la force due aux douleurs avec ou sans diminution des amplitudes articulaires, la médecin-conseil s’est référée à la table 5 relative aux atteintes à l’intégrité résultant d’arthroses, laquelle prévoit un taux situé entre 5% et 10% en cas d’arthrose moyenne, et a retenu un taux global de 7,5%. Ces considérations n’apparaissent pas critiquables et ne sont pas d’ailleurs pas critiquées par l’assuré. Il y a lieu de s’y rallier.

 

Frais d’expertise privée à la charge de l’assurance-accidents

Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures; à défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Selon la jurisprudence, les frais d’expertise font partie des frais de procédure (arrêt 8C_61/2016 du 19 décembre 2016 consid. 6.1 et les arrêts cités, in SVR 2017 n° 19 p. 63). Les frais d’expertise privée peuvent être inclus dans les dépens mis à la charge de l’assureur social lorsque cette expertise était nécessaire à la résolution du litige (ATF 115 V 62 consid. 5c p. 63; arrêts 8C_61/2016 précité consid. 6.1 in fine; 8C_354/2015 du 13 octobre 2015 consid. 6.1 et les arrêt cités, in SVR UV n° 24 p. 75).

En l’espèce, même si la cour cantonale a préféré les conclusions de la médecin-conseil à celles de l’expert privé, il n’en reste pas moins que le rapport d’expertise privée a joué un rôle déterminant dans la résolution du litige. En effet, le rapport de la médecin-conseil consiste essentiellement en une prise de position sur le rapport d’expertise privée et ne peut pas être lu indépendamment de celui-ci. En outre, la médecin-conseil s’est partiellement ralliée aux conclusions de ce médecin, ce qui a conduit l’assurance-accidents à admettre l’opposition de l’assuré. Il y a donc lieu de retenir que l’expertise a été utile à la prise de décision et qu’elle a constitué une mesure indispensable à l’appréciation du cas au sens de l’art. 45 al. 1 LPGA. Dans ces conditions, on ne peut pas partager le point de vue des juges cantonaux en tant qu’ils considèrent la question de la prise en charge des frais d’expertise comme étant exorbitante de l’objet du litige. Compte tenu de la jurisprudence, on ne saurait d’ailleurs reprocher à l’assuré d’avoir attendu l’issue de la procédure d’opposition pour réclamer le remboursement de ces frais (sur le sujet voir ANNE-SYLVIE DUPONT, in Commentaire Romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 14 ad art. 45 LPGA; UELI KIESER, ATSG-Kommentar, 3 e éd. 2015, n os 19-21 LPGA). Partant, en refusant à l’assuré le remboursement par l’assurance-accidents des frais d’expertise privée, la juridiction cantonale a violé le droit fédéral. Sur ce point, le recours se révèle bien fondé.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré, reformant le jugement cantonal en ce sens que l’assuré a droit au remboursement par l’assurance-accidents des frais d’expertise privée.

 

 

Arrêt 8C_122/2019 consultable ici

 

 

9C_459/2019 (f) du 05.11.2019 – Valeur probante d’une expertise – Evaluation d’une expertise pluridisciplinaire / Revenu d’invalide – ESS – Taux d’abattement modifié par le TF (passant de 5% à 15%) / Assuré de 52 ans – Atteinte au membre supérieur droit et aux cervicales – Capacité de travail exigible de 50%

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_459/2019 (f) du 05.11.2019

 

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Valeur probante d’une expertise – Evaluation d’une expertise pluridisciplinaire

Revenu d’invalide – ESS – Taux d’abattement modifié par le TF (passant de 5% à 15%)

Assuré de 52 ans – Atteinte au membre supérieur droit et aux cervicales – Capacité de travail exigible de 50%

 

Assuré, né en 1962, a travaillé en dernier lieu comme chauffeur-livreur. Après s’être blessé notamment à l’épaule droite le 07.07.2013, il a subi une première intervention chirurgicale le 28.08.2013 (épaule droite), puis une seconde intervention le 22.05.2014 (laminectomie cervicale pour canal cervical très étroit avec myélopathie clinique et radiologique). Le cas a été pris en charge par son assureur-accidents. L’assuré a déposé une demande AI le 18.12.2013.

L’office AI a procédé aux investigations usuelles et a soumis l’assuré à une expertise pluridisciplinaire. Les médecins ont diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – des omalgies droites chroniques (avec rupture complète de la coiffe des rotateurs, notamment du tendon du muscle sus- et sous-épineux, avec suture du tendon du muscle sous-scapulaire, acromioplastie et bursectomie sous-acromiale en août 2013), des cervicalgies chroniques myélopathie cervicale avec syndrome tétrapyramidal et hémisyndrome sensitif gauche (avec status post laminectomie C3-C4 pour canal cervical étroit C3-C4 dans le cadre d’une malformation avec fusion C2-C3 et C5-C6 en mai 2014) et des douleurs chroniques du coude gauche, avec chondromatose radiologique. Selon les médecins, l’assuré était en mesure de travailler à mi-temps (50%) dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites depuis la fin de l’année 2014, soit six mois après l’intervention du 22.05.2014.

Du 20.03.2017 au 04.06.2017, l’assuré a participé à un stage d’orientation professionnelle.

Par décisions des 11.09.2017 et 27.09.2017, l’office AI a octroyé à l’assuré une rente entière d’invalidité du 01.07.2014 au 28.02.2015, puis un quart de rente dès le 01.03.2015.

 

Procédure cantonale

En se fondant sur les conclusions de l’expertise mandatée par l’office AI, la juridiction cantonale a retenu que l’assuré pouvait exercer à 50% une activité professionnelle adaptée aux limitations fonctionnelles décrites par les experts dès la fin de l’année 2014. L’assuré avait d’ailleurs été en mesure de suivre à mi-temps un stage d’orientation professionnelle durant deux mois et demi (du 20.03.2017 au 04.06.2017). Les premiers cantonaux ont ajouté que l’assuré avait indiqué au terme du stage que la reprise d’une activité régulière l’avait aidé à mieux vivre ses problèmes de santé.

Par jugement du 03.06.2019, rejet des recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Valeur probante d’une expertise – Evaluation pluridisciplinaire

En l’espèce, les juges cantonaux ont constaté sans arbitraire que, dans leurs avis fournis par l’assuré lors du recours, les médecins posaient les mêmes diagnostics que ceux retenus par les experts et que seules leurs conclusions concernant la répercussion des atteintes à la santé de l’assuré sur sa capacité de travail étaient différentes.

Au vu de la divergence consacrée par la jurisprudence entre un mandat thérapeutique et un mandat d’expertise (ATF 124 I 170 consid. 4 p. 175), on ne saurait cependant mettre en cause les conclusions d’une expertise médicale du seul fait qu’un ou plusieurs médecins traitants ont une opinion contraire. Il n’en va différemment que si les médecins traitants font état d’éléments objectivement vérifiables ayant été ignorés dans le cadre de l’expertise et qui sont suffisamment pertinents pour mettre en cause les conclusions de l’expertise. Or l’incapacité de travail mise en avant par les médecins traitants s’explique essentiellement par le fait qu’ils se fondent sur la manière dont l’assuré ressent et assume ses facultés de travail, notamment en ce qui concerne le port de charges (cinq kilos), alors que les experts ont établi ce qui était raisonnablement exigible le plus objectivement possible (dix kilos) dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites. Dans ces conditions, l’assuré n’expose pas que l’appréciation anticipée des preuves qui a conduit la juridiction cantonale à renoncer à mettre en œuvre une expertise judiciaire violerait l’interdiction de l’arbitraire, respectivement son droit d’être entendu, ni que ses offres de preuves seraient pertinentes ou de nature à influer sur la décision à rendre au sens de la jurisprudence. Il n’y a pas lieu de s’écarter des conclusions médicales suivies par les premiers juges.

En cas d’évaluation pluridisciplinaire, on ajoutera encore qu’il y a lieu de se fonder, en principe, sur l’appréciation globale de synthèse fondée sur un consilium entre les experts, au cours duquel les résultats obtenus dans chacune des disciplines sont discutés, et non sur celles, forcément sectorielles, des différentes consultations spécialisées. Contrairement à ce que prétend l’assuré, le fait que le spécialiste en neurologie a indiqué que l’assuré pouvait travailler à 100% dans une activité adaptée d’un point de vue neurologique n’est en rien contradictoire avec les conclusions finales de l’expertise. Singulièrement, les experts ont exposé de manière convaincante les raisons pour lesquelles l’assuré présentait une capacité de travail médico-théorique de 50% dans une activité adaptée d’un point de vue rhumatologique.

 

Abattement sur le salaire statistique

L’étendue de l’abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou a abusé de celui-ci, notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72).

Les juges cantonaux ont constaté que l’assuré disposait d’un permis d’établissement et qu’il était âgé de 53 ans au moment où les médecins-experts se sont prononcés sur sa capacité de travail dans une activité médicalement adaptée. En se fondant sur le large éventail d’activités simples et répétitives n’impliquant pas de formation autre qu’une mise au courant initiale et offert par les secteurs de la production et des services, ils ont considéré qu’il n’était par ailleurs pas illusoire ou irréaliste d’admettre qu’il existait un nombre significatif de métiers qui pouvaient être exercés par l’assuré en dépit de ses limitations fonctionnelles. Dans ces conditions, les juges cantonaux ont retenu que le taux d’abattement de 5% déterminé par l’office AI échappait à toute critique et devait être confirmé.

En l’espèce, les juges cantonaux ont omis de tenir compte de l’interdépendance des facteurs personnels et professionnels entrant en ligne de compte qui contribuent à désavantager l’assuré sur le marché du travail après une absence prolongée. Il est en effet notoire que les personnes atteintes dans leur santé, qui présentent des limitations même pour accomplir des activités légères, sont désavantagées sur le plan de la rémunération par rapport aux travailleurs jouissant d’une pleine capacité de travail et pouvant être engagés comme tels ; ces personnes doivent généralement compter sur des salaires inférieurs à la moyenne (ATF 124 V 321 consid. 3b/bb p. 323). Aussi, en présence d’un assuré de plus de 50 ans, la jurisprudence insiste sur l’effet de l’âge combiné avec un handicap, qui doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret (arrêt 8C_766/2017 du 30 juillet 2018 consid. 8.6 et la référence).

Or l’assuré, âgé de plus de 52 ans au moment déterminant de la comparaison des revenus, présente des limitations fonctionnelles objectives dans les activités professionnelles adaptées décrites par la juridiction cantonale (pouvoir alterner les positions aux heures au moins, éviter les travaux de force avec le membre supérieur droit, éviter les mouvements répétitifs de plus de 50% du temps de travail, éviter les mouvements d’élévation antérieure et d’abduction au-dessus de 70 degrés avec le membre supérieur droit) et qui ne sont nullement compensées par d’autres éléments personnels ou professionnels tels que la formation ou l’expérience professionnelle. En retenant un taux d’abattement de 5%, l’office AI, puis la juridiction cantonale, ont par conséquent sous-estimé les circonstances pouvant influer sur le revenu d’une activité lucrative dans une mesure qui excède le pouvoir d’appréciation qu’il convient de leur reconnaître. Une déduction globale de 15% tient en l’occurrence mieux compte des circonstances pertinentes du cas d’espèce.

Sur le vu de ce qui précède, il convient de corriger la comparaison des revenus à laquelle a procédé la juridiction cantonale. Aussi, compte tenu d’une déduction de 15%, le revenu d’invalide de l’assuré se monte annuellement à 28’242 fr. 60. Comparé avec un revenu sans invalidité de 62’140 fr., le degré d’invalidité de l’assuré s’élève à 55% (54.55%). Selon l’art. 28 al. 2 LAI, un tel taux d’invalidité donne droit à une demi-rente d’invalidité.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_459/2019 consultable ici

 

 

8C_661/2018 (f) du 28.10.2019 – Revenu sans invalidité d’un salarié et unique associé gérant de sa Sàrl (café-restaurant) / Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement – Pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal – Critère de l’âge en assurance-accidents (question laissée encore ouverte)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_661/2018 (f) du 28.10.2019

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité / 16 LPGA

Revenu sans invalidité d’un salarié et unique associé gérant de sa Sàrl (café-restaurant)

Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement – Pouvoir d’appréciation du tribunal cantonal – Critère de l’âge en assurance-accidents (question laissée encore ouverte)

Abattement 5% en raison des limitations fonctionnelles (pas de gros efforts, port occasionnel de charges de maximum 8 kg, pas de montée/ descente d’escaliers, pas de travaux s’effectuant au-dessus du plan des épaules)

 

Assuré, né en 1959, a suivi une école hôtelière à l’étranger. Arrivé en Suisse dans les années 1980, il a travaillé dans différents restaurants avant de fonder le 30.08.2013 sa propre société, B.__ Sàrl, dont il était salarié et unique associé gérant, en vue d’exploiter le café-restaurant C.__.

Le 12.08.2014, l’assuré a fait une chute à scooter. Il a subi une intervention pour une fracture multifragmentaire de l’humérus proximal gauche et une rupture complète du tendon patellaire gauche. Une IRM de l’épaule droite a révélé une rupture quasi complète des tendons des sus- et sous-épineux, une bursite sous-acromiale-deltoïdienne modérée ainsi que des atteintes dégénératives de l’articulation acromio-claviculaire. En incapacité de travail totale depuis l’accident, l’assuré a repris son activité à 30% le 02.03.2015. Il n’a jamais pu augmenter ce taux, ce qui l’a conduit par la suite à remettre l’exploitation du restaurant à un tiers.

Dans le cadre de la demande AI déposée le 03.02.2015, l’office AI a procédé à une enquête économique. Selon le rapport y relatif, le restaurant, situé au centre du village, fonctionnait assez bien et offrait une ouverture hebdomadaire de 80 heures ; avant l’accident, la Sàrl employait en sus de l’assuré quatre autres personnes dont une serveuse à 70% ; depuis lors, il y avait eu une baisse de fréquentation et le chiffre d’affaires avait diminué, ce qui avait obligé l’assuré à diminuer également son personnel. L’assuré se versait un salaire mensuel brut de 4’500 fr. treize fois l’an (58’500 fr.). Un bénéfice de 48’640 fr. ressortait des comptes d’exploitation de la société pour la période allant de septembre 2013 à décembre 2014. D’après la comparaison des champs d’activité, l’assuré présentait une incapacité de travail de 46,88%. L’office AI a alloué à l’assuré un quart de rente depuis le 01.08.2015. Cette décision a été confirmée le 27.08.2018 par le tribunal cantonal.

L’assurance-accidents a mis en œuvre une expertise confiée à un spécialiste FMH en chirurgie orthopédique. S’agissant de la capacité de travail, l’assuré était limité pour assumer les gros efforts, porter des charges, monter et descendre des escaliers et des échelles ainsi que pour les travaux s’effectuant au-dessus du plan des épaules. Dans une profession de gérant d’un hôtel et d’un restaurant consistant essentiellement en un travail administratif, de gestion des stocks, à l’ordinateur, de surveillance et de contrôle, l’assuré pourrait travailler à 100%. Il pouvait occasionnellement effectuer des efforts et soulever des charges de moins de 8 kg.

L’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, motif pris que le taux d’invalidité (1%) était insuffisant pour ouvrir le droit à une telle prestation.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a déterminé le revenu sans invalidité en se fondant sur les attestations de salaires transmises par la caisse de compensation (ci-après : la caisse). Elle a retenu que le salaire annuel de l’assuré pour son activité de gérant du café-restaurant C.__ s’élevait à 58’500 fr. (4’500 fr. par mois versé 13 fois l’an) et a admis qu’il aurait été maintenu tel quel en 2016, moment de la naissance du droit à la rente, dès lors que le restaurant était en début d’exploitation. A ce salaire de base, la cour cantonale a estimé qu’il fallait ajouter le bénéfice du restaurant qui, selon elle, était entièrement attribuable à l’assuré. Elle a constaté que l’extrait du compte individuel AVS de l’intéressé indiquait un montant de 33’434 fr. en 2014 et a considéré que ce montant représentait le bénéfice que celui-ci s’était versé. Cependant, les comptes d’exploitation de la Sàrl recueillis dans le cadre de la procédure AI mentionnaient un résultat de 48’640 fr. pour la période allant de septembre 2013 à décembre 2014 (16 mois), soit un bénéfice moyen de 36’480 fr. rapporté à une année (48’640 fr. x 12/16). Toujours selon la cour cantonale, c’était ce dernier montant qui devait être pris en compte dans la mesure où « un tel bénéfice pouvait raisonnablement être envisagé pour 2016 ». Le revenu sans invalidité de l’assuré se montait donc à 94’980 fr. (58’500 fr. + 36’480 fr.).

Pour ce qui est du revenu d’invalide, la cour cantonale s’est référée aux ESS 2012, en prenant pour base le salaire que peuvent prétendre des hommes dans des tâches physiques ou manuelles simples (niveau de compétence 1) dans le secteur privé. Après adaptation à l’évolution des salaires et à la durée normale du travail dans les entreprises en 2016, il en résultait un montant annuel de 66’954 fr. 40 en 2016. En outre, la cour cantonale n’a pas confirmé le taux d’abattement de 5% retenu par l’assurance-accidents pour tenir compte du handicap de l’assuré mais l’a fixé à 15% « en raison des limitations physiques et de la situation personnelle » de ce dernier. Le revenu d’invalide s’établissait ainsi à 56’911 fr. 20.

Par jugement du 27.08.2018, admission du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision sur opposition octroi d’une rente d’invalidité fondée sur un taux de 40% ainsi que d’une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 35%

 

TF

Revenu sans invalidité

Pour déterminer le revenu sans invalidité, il faut établir ce que l’assuré aurait, au degré de la vraisemblance prépondérante, réellement pu obtenir au moment déterminant s’il n’était pas devenu invalide. Le revenu sans invalidité doit être évalué de la manière la plus concrète possible. C’est pourquoi il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par l’assuré avant l’atteinte à la santé en posant la présomption qu’il aurait continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Tant pour les personnes salariées que pour celles de condition indépendante, on peut se référer aux revenus figurant dans l’extrait du compte individuel de l’assurance-vieillesse et survivants (AVS) (arrêt 8C_9/2009 du 10 novembre 2009, in SVR 2010 IV n° 26 p. 79; arrêt 9C_771/2017 du 29 mai 2018 consid. 3.6). En effet, l’art. 25 al. 1 RAI établit un parallèle entre le revenu soumis à cotisation à l’AVS et le revenu à prendre en considération pour l’évaluation de l’invalidité ; le parallèle n’a toutefois pas valeur absolue (arrêt 8C_748/2008 du 10 juin 2009 consid. 5.2.1). Cette réglementation est applicable par analogie dans le domaine de l’assurance-accidents, dès lors que la notion d’invalidité y est la même que dans l’assurance-invalidité (cf. ATF 133 V 549 consid. 6.1 p. 553).

Il est établi que l’assuré était à la fois salarié et associé-gérant de la société B.__ Sàrl dont il détenait toutes les parts sociales. En considération de cette situation, l’assurance-accidents ne remet pas en cause la prise en compte, dans le revenu sans invalidité, à la fois d’un salaire versé par la société à l’assuré et d’un montant à titre de part aux bénéfices auquel ce dernier peut prétendre en tant qu’associé-gérant de la Sàrl comme le prévoit l’art. 798 al. 1 CO (voir aussi ch. 2010 des Directives sur le salaire déterminant dans l’AVS, AI et APG [DSD] dans leur teneur en vigueur au 1er janvier 2014).

L’extrait des comptes individuels AVS rassemblés fait état d’un revenu de 19’500 fr. pour les mois de septembre à décembre 2013, respectivement de 33’434 fr. pour toute l’année 2014 ; une somme de 54’000 fr. a également été comptabilisée puis extournée par cette caisse pour l’année 2014. La somme portée en compte sur cette période se monte donc à 52’934 fr. (19’500 fr. + 33’434 fr.). Le montant de 19’500 fr. pour 2013 correspond à un salaire de 4’500 fr. versé sur quatre mois, y compris le treizième salaire au prorata. On ne voit pas que le montant de 33’434 fr. comptabilisé pour 2014 corresponde à un versement de bénéfice de la Sàrl à l’assuré. Il n’y a aucun indice dans ce sens au dossier et il est regrettable que la seule pièce à disposition pour l’année 2014 soit une attestation du total des salaires de l’ensemble du personnel de la Sàrl ne comportant aucun détail. En l’absence de toute autre comptabilisation au compte individuel pour 2014 – le montant de 54’000 fr. ayant été extourné -, il ne peut toutefois s’agir que d’un montant obtenu par l’assuré à titre de salaire de janvier 2014 jusqu’à la survenance de l’accident en cause (12.08.2014), étant précisé qu’aucune cotisation AVS n’est perçue sur les indemnités journalières que l’assurance-accidents a versées par la suite. Le fait que le montant de 33’434 fr. ne corresponde pas exactement au versement d’un salaire mensuel de 4’500 fr. plus la part du 13e salaire pour la période du 01.01.2014 au 12.08.2014 n’empêchait pas l’autorité cantonale, dès lors qu’il est constant que l’assuré s’octroyait un salaire annuel de 58’500 fr. (4’500 fr. versé treize fois l’an), de retenir que l’assuré se serait attribué un salaire annuel d’au moins 58’500 fr. au moment déterminant. Quant à la part aux bénéfices, il ressort des documents comptables produits que le résultat d’exploitation de la société B.__ Sàrl pour la période allant du 01.09.2013 au 31.12.2014 était de 48’639 fr. 71. Compte tenu de ce chiffre, on peut raisonnablement admettre que l’assuré se serait versé en sus de son salaire un montant annuel de 36’480 fr. (48’640 fr. x 12/16) à titre de part de bénéfice en rapport avec son travail si l’accident ne l’avait pas empêché de continuer à gérer le restaurant. Le montant du revenu sans invalidité de 94’980 fr. retenu par la cour cantonale échappe ainsi à la critique.

 

Revenu d’invalide

Dans la mesure où les données de l’ESS pour l’année 2014 étaient déjà disponibles au moment de la saisine de la cour cantonale, celle-ci aurait dû se référer à cette version plus récente. En effet, le moment de la naissance du droit à la rente est le 01.05.2016 et il y a lieu de se rapprocher le plus exactement possible du montant que la personne assurée est susceptible d’obtenir sur le marche équilibré du travail (cf. arrêt 9C_673/2010 du 31 mars 2011 consid. 3.4). Il faut donc se fonder sur le salaire statistique mensuel brut total de 5’312 fr. (TA1_skill_level ESS 2014). Compte tenu d’un horaire de travail moyen usuel dans les entreprises de 41,7 heures en 2016 et de l’évolution des salaires nominaux chez les hommes de 2014 à 2016 (0,3% en 2015; 0,6% en 2016; voir le tableau T39 « Evolution des salaires nominaux, des prix à la consommation et des salaires réels », 1976-2009 et 2010-2017), on obtient un revenu annuel de 67’052 fr.

 

Taux d’abattement

Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est en revanche pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans l’exercice de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit, n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le juge des assurances sociales ne peut pas, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration ; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 137 V 71 précité consid. 5.2 p. 73 et l’arrêt cité).

S’agissant du taux d’abattement sur le salaire statistique, la cour cantonale n’a pas précisé plus avant quel était le motif relevant de la situation personnelle de l’assuré qui l’a conduite à s’écarter du taux initialement retenu par l’assurance-accidents. On peut penser qu’elle entendait prendre en considération l’âge de celui-ci (57 ans en 2016), les autres facteurs tels que la nationalité, la catégorie d’autorisation de séjour, les années de service ou le taux d’occupation n’entrant manifestement pas en ligne de compte. Toutefois, l’âge d’un assuré ne constitue pas en lui-même un facteur de réduction du salaire statistique. Autrement dit, il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant de la naissance du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement. Encore récemment (arrêt 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 5), le Tribunal fédéral a insisté sur ce point et a affirmé que l’effet de l’âge combiné avec un handicap doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels.

En l’espèce, la cour cantonale n’a pas examiné en quoi les perspectives salariales de l’assuré seraient concrètement réduites sur le marché du travail équilibré à raison de son âge, compte tenu des circonstances du cas particulier. Cela étant, au vu du parcours de l’assuré et compte tenu du fait que les activités simples envisagées (du niveau de compétence 1) ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique, les effets pénalisants au niveau salarial induits par l’âge ne peuvent pas être considérés comme suffisamment établis. Il n’est donc pas nécessaire de décider aujourd’hui si l’âge d’un assuré constitue même un critère susceptible de justifier un abattement sur le salaire statistique dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire compte tenu de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA, question laissée ouverte par le Tribunal fédéral dans plusieurs arrêts récents (voir, en dernier lieu, l’arrêt 8C_878/2018 du 21 août 2019 consid. 5.3.1 et les références citées).

Pour la même raison (la catégorie d’activités concernée), le taux d’abattement lié au handicap déjà opéré par l’assurance-accidents ne pouvait pas être revu à la hausse par la cour cantonale. La question de savoir s’il se justifie de procéder à un abattement sur le salaire statistique à ce titre dépend de la nature des limitations fonctionnelles présentées. Une réduction pour ce motif n’entre en considération que si, dans un marché du travail équilibré, il n’y a plus un éventail suffisamment large d’activités accessibles à l’assuré (cf. en dernier lieu arrêt 8C_122/2019 du 10 septembre 2019 consid. 4.3.1.4 et les arrêts cités). En l’espèce, il ressort de l’expertise médicale que l’assuré est en mesure d’exercer une activité à plein temps sans diminution de rendement si l’activité respecte pleinement ses limitations fonctionnelles ; celles-ci concernent les gros efforts, le port de charges (s’il n’est pas occasionnel et s’il est supérieur à 8 kg), la montée et la descente d’escaliers ainsi que les travaux s’effectuant au-dessus du plan des épaules. Si de telles limitations excluent les travaux lourds, on ne voit pas qu’elles restreindraient de manière significative les activités légères, en tout cas pas dans une mesure qui justifierait un abattement supérieur à 5%.

Partant, la cour cantonale n’avait pas de motif pertinent pour substituer son appréciation à celle de l’assurance-accidents. Avec un abattement de 5%, le revenu d’invalide se monte à 63’699 fr.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents, réformant le jugement cantonal en ce sens que le taux d’invalidité est fixé à 33%.

 

 

Arrêt 8C_661/2018 consultable ici

 

 

9C_273/2019 (f) du 18.07.2019 – Rente d’invalidité – Revenu d’invalide selon ESS – 16 LPGA / Aucun abattement retenu – Limitations fonctionnelles prises en compte lors de l’évaluation de la capacité de travail du point de vue médical / Pas de prise en compte du « long éloignement du marché du travail »

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_273/2019 (f) du 18.07.2019

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité – Revenu d’invalide selon ESS / 16 LPGA

Aucun abattement retenu – Limitations fonctionnelles prises en compte lors de l’évaluation de la capacité de travail du point de vue médical

Critère des limitations fonctionnelles – Critère de la capacité de travail réduite – Pas de prise en compte du « long éloignement du marché du travail »

 

Assurée déposant au mois de mai 2010 une demande AI, en relation notamment avec un accident subi en 2002. La requête a été rejetée par l’office AI, considérant que l’assurée présentait une pleine capacité de travail dans sa profession d’employée de bureau.

A la suite de deux nouveaux accidents survenus en mai et août 2012, dont les suites ont été prises en charge par l’assurance-accidents, l’assurée a présenté une nouvelle demande AI en février 2013. L’office AI a notamment soumis l’assurée à deux expertises. Le spécialiste en psychiatrie et psychothérapie a posé le diagnostic de trouble dépressif récurrent, épisode actuel moyen avec syndrome somatique (F33.10) au moment de l’entretien, mais ayant été sévère sans symptômes psychotiques (F33.2) du point de vue anamnestique, et ceci vraisemblablement depuis 2014, chez une personnalité émotionnellement labile de type borderline avec tendances abandonniques importantes (F60.31). Il a conclu à une incapacité de travail de 50% dès le 07.03.2014. Pour sa part, le spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur a fait état d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles dès novembre 2012, hormis du 15.06.2015 au 15.09.2016, où la capacité de travail avait été nulle. Par décision, l’office AI a reconnu le droit de l’assurée à une demi-rente d’invalidité du 01.03.2015 au 30.09.2015, à une rente entière du 01.10.2015 au 31.12.2016, puis à une demi-rente dès le 01.01.2017.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2017 302 – consultable ici)

Par jugement du 19.03.2019, admission partielle du recours par le tribunal cantonal. La décision querellée est modifiée dans le sens que l’assurée est mise au bénéfice d’une rente entière d’invalidité du 01.08.2013 au 31.12.2013, d’une demi-rente du 01.01.2014 au 30.09.2015, d’une rente entière du 01.10.2015 au 31.12.2016, puis d’une demi-rente dès le 01.01.2017.

La juridiction cantonale a justifié son refus d’opérer un abattement sur le salaire d’invalide par le fait que tous les médecins qui s’étaient prononcés au sujet de la situation de l’assurée s’accordaient à reconnaître qu’elle disposait d’une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles à partir du 18.09.2016.

 

TF

Abattement sur le revenu d’invalide selon ESS

En ce qui concerne le taux d’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (cf. ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc p. 79 s.).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72; 132 V 393 consid. 3.3 p. 399; 130 III 176 consid. 1.2 p. 180).

 

Critère des limitations fonctionnelles

Les limitations fonctionnelles dont fait état l’assurée ont été prises en compte lors de l’évaluation de la capacité de travail du point de vue médical ; elles ne peuvent dès lors pas être retenues une seconde fois lors de la fixation du revenu d’invalide. Le spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur a en effet expliqué que l’exercice d’une activité d’employée de commerce est adapté aux limitations fonctionnelles qu’elle présente du point de vue somatique. Partant, les considérations de la juridiction cantonale selon lesquelles lesdites limitations fonctionnelles ne permettaient pas de procéder à un abattement, doivent être confirmées.

 

Critère de la capacité de travail réduite

S’agissant ensuite du critère du taux d’occupation réduit, il peut être pris en compte pour déterminer l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique d’invalide lorsque le travail à temps partiel se révèle proportionnellement moins rémunéré que le travail à plein temps. Cela étant, le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de constater que le travail à plein temps n’est pas nécessairement proportionnellement mieux rémunéré que le travail à temps partiel ; dans certains domaines d’activités, les emplois à temps partiel sont en effet répandus et répondent à un besoin de la part des employeurs, qui sont prêts à les rémunérer en conséquence (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc p. 79; cf. aussi arrêts 9C_10/2019 du 29 avril 2019 consid. 5.2.1; 8C_49/2018 du 8 novembre 2018 consid. 6.2.2.2). En particulier, selon les statistiques, les femmes exerçant une activité à temps partiel ne perçoivent souvent pas un revenu moins élevé proportionnellement à celles qui sont occupées à plein temps (cf., p. ex., arrêt 9C_751/2011 du 30 avril 2012 consid. 4.2.2). L’argumentation de l’assurée ne permet pas de retenir qu’il en irait différemment dans le cas d’espèce.

 

« Long éloignement du marché du travail »

Quant au « long éloignement du marché du travail » dont se prévaut finalement la recourante, il ne s’agit pas là d’un facteur d’abattement au sens de la jurisprudence (ATF 126 V 75, c. 5b/aa et bb p. 79 s.; cf. aussi arrêt 9C_55/2018 du 30 mai 2018 consid. 4.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_273/2019 consultable ici

 

 

9C_10/2019 (f) du 29.04.2019 – Revenu d’invalide selon ESS – Taux d’abattement – 16 LPGA / Abattement et baisse de rendement / Abattement et critère du taux d’occupation réduit pour un homme

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_10/2019 (f) du 29.04.2019

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide selon ESS – Taux d’abattement / 16 LPGA

Abattement et baisse de rendement

Abattement et critère du taux d’occupation réduit pour un homme

 

Assuré, né en 1968, monteur-électricien, a été en incapacité de travail à des taux divers depuis le 15.11.2012. Dépôt de la demande de prestations de l’assurance-invalidité en juin 2014. L’assuré a été licencié pour la fin du mois de novembre 2014.

Entre autres mesures d’instruction, l’office AI a fait bénéficier l’assuré d’un stage d’évaluation professionnelle du 19.05.2015 au 16.08.2015. Il a également soumis l’assuré à une expertise rhumatologique, qui a conclu à une capacité de travail nulle dans l’activité habituelle à compter de juin 2014, mais de 70% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles, sans diminution de rendement supplémentaire, depuis novembre 2012. Par décision, l’office AI a rejeté la demande de prestations (taux d’invalidité de 37%).

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2017 237 – 608 2017 238 – consultable ici)

La cour cantonale a considéré qu’il convenait de procéder à un abattement de 10% sur le revenu d’invalide « au regard notamment d[u] taux d’activité réduit à 70% [de l’assuré] et de son besoin de changer de position toutes les 15 à 20 minutes ». En se fondant sur les revenus de valide et d’invalide retenus par l’office AI, abstraction faite de l’indexation de ceux-ci de 2014 à 2015, et en tenant compte dudit abattement, les juges cantonaux ont fixé le taux d’invalidité de l’assuré à 43% ([78’520 fr. – 44’608 fr. 15] / 78’520 fr. x 100 = 43,18%).

Au sujet du revenu d’invalide, les juges cantonaux ont retenu le salaire statistique de catégorie 2. En effet, l’assuré est au bénéfice d’un apprentissage de monteur-électricien qui a duré 4 ans, donc d’une formation solide, et d’une expérience professionnelle conséquente. Nonobstant ses atteintes à la santé, l’assuré recourant pourra prétendre à des postes de travail entrant dans la catégorie 2 exigeant des compétences professionnelles et un savoir-faire professionnel. Par ailleurs, une activité simple et répétitive, correspondant à la catégorie 1, ne lui siérait d’ailleurs guère au vu de ses capacités (consid. 4.3.1 du jugement cantonal).

Par jugement du 14.11.2018, admission du recours par le tribunal cantonal et réformation de la décision en ce sens qu’un droit à un quart de rente d’invalidité est reconnu à l’assuré à compter du 01.12.2014.

 

TF

Taux d’abattement

En ce qui concerne le taux d’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (cf. ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc p. 79 s.).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si celle-ci a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci, notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72; 132 V 393 consid. 3.3 p. 399; 130 III 176 consid. 1.2 p. 180).

 

Abattement et baisse de rendement

La limitation fonctionnelle dont ont fait état les juges cantonaux pour admettre un abattement sur le revenu statistique d’invalide a été prise en compte lors de l’évaluation de la capacité de travail du point de vue médical. Il ressort en effet du rapport d’expertise que la diminution de la capacité de travail de 30% prend en considération les limitations fonctionnelles de l’assuré, notamment la « [n]écessité de pouvoir alterner les positions assises et debout toutes les 15 à 20 min. ». L’expert a par ailleurs précisé avoir également intégré la baisse de rendement de l’intéressé dans son appréciation de la capacité résiduelle de travail. Aussi, en retenant que ladite limitation fonctionnelle devait être prise en compte dans le cadre de l’abattement, la juridiction cantonale a-t-elle usé d’un critère inapproprié et excédé son pouvoir d’appréciation. Celle-ci n’a au demeurant pas mis en évidence d’empêchements supplémentaires qui restreindraient l’assuré dans l’exercice d’une activité adaptée et devraient, de ce fait, être pris en considération pour la déduction sur le revenu d’invalide.

 

Critère du taux d’occupation réduit

S’agissant du critère du taux d’occupation réduit, il peut être pris en compte pour déterminer l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique d’invalide lorsque le travail à temps partiel se révèle proportionnellement moins rémunéré que le travail à plein temps.

Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de constater que le travail à plein temps n’est pas nécessairement mieux rémunéré que le travail à temps partiel ; dans certains domaines d’activités, les emplois à temps partiel sont en effet répandus et répondent à un besoin de la part des employeurs, qui sont prêts à les rémunérer en conséquence (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc p. 79; cf. aussi arrêt 8C_49/2018 du 8 novembre 2018 consid. 6.2.2.2). Cela étant, si selon les statistiques, les femmes exerçant une activité à temps partiel ne perçoivent souvent pas un revenu moins élevé proportionnellement à celles qui sont occupées à plein temps (cf., p. ex., arrêt 9C_751/2011 du 30 avril 2012 consid. 4.2.2), la situation se présente différemment pour les hommes ; le travail à temps partiel peut en effet être synonyme d’une perte de salaire pour les travailleurs à temps partiel de sexe masculin (arrêt 8C_805/2016 du 22 mars 2017 consid. 3.2).

En l’espèce, l’assuré se prévaut du fait qu’il résulte de l’Enquête suisse sur la structure des salaires 2014 que le montant du salaire mensuel brut standardisé sans fonction de cadre des travailleurs de sexe masculin est inférieur en cas d’emploi à temps partiel. Selon le tableau T 18 « Salaire mensuel brut (valeur centrale) selon le taux d’occupation, la position professionnelle et le sexe » de l’ESS 2014, on constate en effet que les travailleurs occupés entre 50% et 74% perçoivent un salaire mensuel de 5’714 fr. (calculé sur la base d’un taux d’occupation de 100%), soit un salaire moins élevé que celui versé en cas d’emploi à temps plein (taux d’occupation de 90% ou plus), lequel se monte à 6’069 fr. Dans la mesure où les statistiques démontrent que les travailleurs occupés entre 50% et 74% reçoivent un salaire mensuel inférieur de 5,84% à celui versé aux hommes travaillant à temps plein (taux d’occupation de 90% ou plus), il se justifie de procéder à un abattement supplémentaire pour ce motif (cf. arrêts 8C_49/2018 du 8 novembre 2018 consid. 6.2.2.2; 8C_805/2016 du 22 mars 2017 consid. 3.2 dans lesquels la question de l’abattement supplémentaire de 5% pour cause de travail à temps partiel a été laissée ouverte parce qu’elle ne jouait aucun rôle sur l’issue du litige).

En l’occurrence, les premiers juges ont procédé à un abattement de 10% compte tenu d’une limitation fonctionnelle de l’assuré, ainsi que du désavantage salarial induit par son taux d’activité réduit à 70%. Si en prenant en considération la limitation fonctionnelle dans le cadre de l’abattement, la juridiction cantonale a fait usage d’un critère inapproprié et excédé son pouvoir d’appréciation, on ne saurait en revanche lui reprocher d’avoir violé son pouvoir d’appréciation en tenant en compte de la perte de salaire subie par l’assuré, dès lors qu’il ressort des statistiques que celui-ci subit un désavantage salarial de 5,84% en raison de son taux d’occupation réduit (capacité résiduelle de travail de 70%). Partant, il se justifie d’opérer un abattement de 5% (et non de 10%) sur le revenu statistique d’invalide.

 

En conséquence, il convient, pour déterminer le taux d’invalidité de l’assuré, de se fonder sur les revenus sans invalidité et d’invalide (avec un abattement de 5%) retenus par la juridiction cantonale. Selon le jugement entrepris, le revenu de valide s’élève à 78’520 fr., respectivement le revenu d’invalide (avant l’abattement) à 49’564 fr. 60. Après comparaison des revenus, en opérant un abattement de 5% sur le revenu d’invalide, le taux d’invalidité de l’assuré doit être fixé à 40% ([78’520 fr. – 47’086 fr. 30] / 78’520 fr. x 100 = 40,03%). Partant, en tant qu’il a reconnu le droit de l’assuré à un quart de rente d’invalidité dès le 01.12.2014, le jugement cantonal est conforme au droit dans son résultat.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_10/2019 consultable ici

 

 

9C_847/2018 (f) du 02.04.2019 – Fixation du revenu sans invalidité – Indexation selon tableau T39 / Revenu d’invalide selon ESS – Obligation de réduire le dommage / Indexation du revenu d’invalide selon ESS / Taux d’abattement

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_847/2018 (f) du 02.04.2019

 

Consultable ici

 

Comparaison des revenus / 16 LPGA

Fixation du revenu sans invalidité – Indexation selon tableau T39

Revenu d’invalide selon ESS – Toutes branches économiques confondues et non pas un secteur particulier de la production et des services – Obligation de réduire le dommage

Indexation du revenu d’invalide selon ESS

Taux d’abattement – Baisse de rendement, absence d’expérience et de formation à ne pas prendre en compte

 

Procédure cantonale (arrêt AI 244/17 – 303/2018consultable ici)

Par jugement du 25.10.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Revenu sans invalidité

Selon la jurisprudence, le revenu sans invalidité doit en effet être évalué de la manière la plus concrète possible, avec pour conséquence qu’il se déduit en principe du salaire réalisé en dernier lieu par la personne assurée avant l’atteinte à la santé, en tenant compte de l’évolution des salaires jusqu’au moment de la naissance du droit à la rente (cf. ATF 139 V 592 consid. 2.3 p. 593; 129 V 222 consid. 4.3.1 p. 224 et les références).

En l’espèce, dans la mesure où l’assuré a cessé en 2008 son activité de chauffeur-livreur pour des raisons de santé et qu’il n’a jamais pu exercer l’activité de gestionnaire en logistique (pour laquelle il avait bénéficié d’un reclassement professionnel), c’est à juste titre qu’il allègue que cette dernière activité ne peut pas être considérée comme son activité habituelle.

En conséquence, le revenu sans invalidité doit être déterminé en fonction du salaire qu’il a réalisé en dernier lieu comme chauffeur-livreur, soit 67’811 fr. en 2008 conformément à ce qui est indiqué dans le questionnaire pour l’employeur rempli le 07.08.2008. Après adaptation de ce montant à l’évolution des salaires selon l’indice des salaires nominaux à l’année 2015 (+ 2,1% en 2009, + 0,8% en 2010, + 1% en 2011, + 0,8% en 2012, + 0,7% en 2013, + 0,8% en 2014, et + 0,4% en 2015; voir le tableau T 39 « Evolution des salaires nominaux, des prix à la consommation et des salaires réels », 1976-2009 et 2010-2017), le revenu sans invalidité du recourant doit être arrêté à 72’408 fr. 90 par an.

 

Revenu d’invalide

L’assuré reproche aux juges cantonaux de s’être fondés sur le salaire de référence auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des activités simples et répétitives dans le secteur privé toutes branches économiques confondues de la production et des services pour déterminer son revenu d’invalide. Il soutient que la juridiction cantonale aurait dû se référer au salaire auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des activités simples et répétitives dans le secteur uniquement du commerce de détail (selon le TA1, chiffre 47 commerce de détail, niveau de compétence 1 Hommes de l’ESS 2014), étant donné qu’« il a plus de chances de trouver un emploi adéquat à ses capacités au vu des limitations importantes pour le port des charges ».

Dans la mesure où il semble mettre en discussion l’exigibilité d’une activité de substitution, il convient de préciser qu’il s’agit d’une contestation en relation avec la capacité de travail résiduelle. Or les limitations fonctionnelles retenues ne permettent pas de retenir que seules des activités simples et répétitives issues d’un secteur particulier de la production et des services, en l’occurrence, le commerce de détail, seraient adaptées. La référence à toutes les branches des services et de la production opérée par le Tribunal cantonal permet au contraire à l’assuré d’élargir ses possibilités de réinsertion sur l’ensemble du marché du travail suisse, comme il y est tenu en vertu de son obligation de diminuer le dommage (arrêt 9C_297/2011 du 31 janvier 2012 consid. 4.2.3).

S’agissant de l’indexation : en cas de recours à des salaires statistiques, ceux-ci doivent être adaptés à l’évolution des salaires nominaux correspondant à l’année déterminante pour l’ouverture du droit à la rente, conformément aux indices établis par l’Office fédéral de la statistique (OFS; cf. ATF 139 V 592 consid. 2.3 p. 593; 129 V 222 consid. 4.3.1 p. 224 et les références).

En ce qui concerne le taux d’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (cf. ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc p. 79 s.). Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement du salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si celle-ci a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci, notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72; 132 V 393 consid. 3.3 p. 399; 130 III 176 consid. 1.2 p. 180).

En l’espèce, la juridiction cantonale a admis un abattement de 5% afin de tenir compte de l’âge de l’assuré (62 ans au moment de la décision litigieuse). En retenant une diminution de rendement de 25% en raison de la lenteur d’exécution du recourant, le Tribunal cantonal a déjà pris en considération les limitations fonctionnelles et les auto-limitations que l’assuré s’impose lors de l’évaluation de la capacité de travail du point de vue médical. Aussi ces auto-limitations ne doivent-elles pas être prises en compte une seconde fois, comme facteur d’abattement. Quant à l’absence d’expérience et de formation, elle ne joue pas de rôle en l’occurrence dès lors que le revenu d’invalide a été déterminé en référence au salaire statistique auquel peuvent prétendre les hommes effectuant des activités simples et répétitives (arrêt 9C_297/2011 du 31 janvier 2012 consid. 4.1.5). Partant, seul un abattement de 5% apparaît justifié.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_847/2018 consultable ici

 

 

9C_842/2018 (f) du 07.03.2019 – Exigences de motivation du recours – 42 LTF / Revenu d’invalide – Calcul selon l’ESS – Manière d’appliquer le facteur d’abattement – 16 LPGA / Taux d’invalidité se confondant avec le taux d’incapacité de travail

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_842/2018 (f) du 07.03.2019

 

Consultable ici

 

Exigences de motivation du recours / 42 LTF

Revenu d’invalide – Calcul selon l’ESS – Manière d’appliquer le facteur d’abattement / 16 LPGA

Taux d’invalidité se confondant avec le taux d’incapacité de travail

 

Assuré, né en 1973, informaticien, a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 29.10.2012. En se fondant sur les conclusions de l’expertise psychiatrique, l’office AI a nié le droit de l’assuré à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1003/2018 – consultable ici)

La cour cantonale a ordonné la réalisation d’une expertise judiciaire. En substance, le spécialiste en psychiatrie et psychothérapie a retenu que l’assuré avait été dans l’incapacité de travailler de novembre 2011 à avril 2017, puis avait recouvré une capacité de travail de 50% dans son activité habituelle dès le 01.05.2017.

La juridiction cantonale a considéré que les revenus avec et sans invalidité reposaient sur les mêmes données statistiques en 2017, de sorte qu’il était superflu de les chiffrer avec exactitude. Dans la mesure où l’assuré ne pouvait travailler qu’à temps partiel et qu’il avait été éloigné du marché du travail pendant plusieurs années, elle a procédé à un abattement de 15% sur le revenu d’invalide. Il en résultait un taux d’invalidité de 65%, ce qui ouvrait le droit à l’assuré à trois quarts de rente d’invalidité dès le 01.08.2017.

Par jugement du 31.10.2018, admission du recours par le tribunal cantonal, annulation de la décision, reconnaissance du droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité dès le 01.04.2013 et à trois quarts de rente d’invalidité dès le 01.08.2017. La cause a été renvoyée à l’office AI pour nouvelle décision sur mesures de réadaptation.

 

TF

Exigences de motivation du recours – 42 LTF

L’assuré soutient que le recours ne répond pas aux exigences de motivation définies à l’art. 42 al. 2 LTF. Certes succincte, la motivation du recours expose clairement sur quels points la décision entreprise est attaquée. Contrairement à ce que l’assuré semble croire, il n’est par ailleurs pas indispensable que le recourant indique expressément les dispositions légales (le numéro des articles de loi) qui auraient été, selon lui, transgressées (ATF 140 III 86 consid. 2 p. 88 et les références). On ne voit pour le reste pas en quoi une requête en interprétation ou en rectification aurait dû être déposée devant la juridiction cantonale dans le cas présent. L’office AI ne se plaint en effet pas d’une formulation peu claire, incomplète, équivoque ou en elle-même contradictoire du dispositif du jugement attaqué, respectivement d’une erreur de calcul, mais d’une violation du droit matériel en relation avec l’évaluation du taux d’invalidité (au sens de l’art. 16 LPGA).

Le Tribunal fédéral entre donc en matière sur le recours.

 

Revenu d’invalide – Calcul selon l’ESS

Dans son recours, l’office AI reproche à la juridiction cantonale d’avoir cumulé le facteur d’abattement (15%) au taux d’incapacité de travail (50%). Il soutient que le facteur d’abattement devait être déduit de la part du salaire statistique que l’assuré était toujours en mesure de réaliser. Le taux d’invalidé s’élèverait dès lors à 57,5% et donnerait droit à une demi-rente d’invalidité dès le 01.08.2017.

Il n’est pas contesté entre les parties qu’en l’absence d’activité exercée par l’assuré, il convient de se référer aux données statistiques pour déterminer le taux d’invalidité et qu’en raison d’une capacité résiduelle de travail dans toute activité (50%), il faut se fonder sur les mêmes données statistiques pour déterminer les revenus avec et sans invalidité. Or, dans ces circonstances, il n’est pas nécessaire de chiffrer précisément les revenus avec et sans invalidité dans la mesure où le taux d’invalidité se confond avec le taux d’incapacité de travail. Même s’il n’est pas indispensable de déterminer avec précision les salaires de références, il n’en demeure pas moins que, dans cette situation, l’évaluation de l’invalidité repose sur des données statistiques. Par conséquent, une réduction supplémentaire du revenu d’invalide (abattement) est possible en fonction des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (arrêt 9C_692/2017 du 12 mars 2018 consid. 5 et les références).

En l’occurrence, la juridiction cantonale a fixé le facteur d’abattement à 15% et l’a cumulé avec le taux d’incapacité de travail de 50% pour arrêter le taux d’invalidité à 65%. Cette façon de procéder est contraire à la jurisprudence constante dès lors que l’abattement doit être appliqué au revenu d’invalide (ATF 126 V 75). Concrètement, il convient d’appliquer l’abattement de 15% à la part du salaire statistique que l’assuré est toujours susceptible de réaliser (15% de 50%, soit 7,5%), puis de déduire le résultat obtenu de ladite part salariale (50% – 7,5% = 42,5%). La différence obtenue correspond à la perte de gain effective, soit 57,5% (100% – 42,5%). Ce taux d’invalidité ouvre le droit à une demi-rente d’invalidité (art. 28 al. 2 LAI).

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_842/2018 consultable ici

 

 

8C_84/2018 (f) du 01.02.2019 – Revenu d’invalide selon ESS – 16 LPGA – 28a LAI / Pas d’abattement sur le salaire statistique en raison de la diminution de rendement

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_84/2018 (f) du 01.02.2019

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide selon ESS / 16 LPGA – 28a LAI

Pas d’abattement sur le salaire statistique en raison de la diminution de rendement

 

 

TF

Pour évaluer le degré d’invalidité, partant procéder à une comparaison des revenus, sont déterminantes les circonstances qui prévalaient au moment de la naissance éventuelle du droit à la prestation d’assurance, ainsi que les modifications éventuelles survenues jusqu’au moment de la décision litigieuse qui ont des conséquences sur le droit à cette prestation (voir ATF 129 V 222; 128 V 174). Il convient par conséquent de procéder à une nouvelle comparaison des revenus chaque fois qu’il est admis qu’un changement important des circonstances propre à influencer le degré d’invalidité est survenu.

Dans le cas d’espèce, la comparaison des revenus déterminants est effectuée en prenant pour référence l’année 2008.

Après mise en œuvre d’une expertise judiciaire, les médecins-experts ont conclu que l’assuré bénéficiait d’une pleine capacité de travail dans une activité professionnelle assise comportant de très courts déplacements en terrain régulier avec des chaussures orthopédiques adaptées, sans prise de charges, avec une baisse de rendement de l’ordre de 20% pour pouvoir, occasionnellement, surélever les jambes en fonction de l’apparition d’œdèmes, ce qui n’était pas le cas le jour de l’expertise, mais semblait être le cas dans différents documents médicaux (jugement cantonal, Faits, lit. d).

En 2008, l’assuré avait 48 ans, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’effectuer un abattement à raison de l’âge. Quant à la nécessité de faire des pauses fréquentes, il s’agit d’une circonstance dont les experts judiciaires ont déjà tenu compte dans leur évaluation de la capacité de travail résiduelle de l’assuré, ce qui les a conduit à reconnaître une diminution de rendement de 20%. Elle ne saurait par conséquent non plus justifier un abattement, ce qui reviendrait à prendre en considération le même facteur deux fois (voir les arrêts 8C_878/2014 du 27 janvier 2015 consid. 5.2.5 et 8C_498/2012 du 6 septembre 2012 consid. 3.1).

Les difficultés en lien avec les questions de limitations fonctionnelles et le handicap ont été prises en considération dans la diminution du rendement de 20% admise dans une activité simple et répétitive qui tient déjà compte d’un vaste panel d’activités légères à moyenne (jugement cantonal, consid. 6c).

Ainsi, le Tribunal fédéral confirme le jugement cantonal en ce qui concerne l’absence de réduction sur le revenu statistique.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_84/2018 consultable ici

 

 

8C_46/2018 (f) du 11.01.2019 – Revenu d’invalide selon l’ESS – tableau TA1_skill_levels et non pas TA1_b – 16 LPGA / Niveau de compétences 2 vs 3 et niveau 1 vs 2 – Aptitude concrète de la personne assurée / Abattement lié aux années de service – Différence de raisonnement entre niveau de compétences 1 et niveau de compétences 2

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_46/2018 (f) du 11.01.2019

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide selon l’ESS – tableau TA1_skill_levels et non pas TA1_b / 16 LPGA

Niveau de compétences 2 vs 3 et niveau 1 vs 2 – Aptitude concrète de la personne assurée

Abattement lié aux années de service – Différence de raisonnement entre niveau de compétences 1 et niveau de compétences 2

 

Assuré, né en 1958, au bénéfice d’un CFC de vendeur, travaille depuis 1975 au service d’une société et a été promu gérant du magasin en 2005.

Le 25.08.2009, l’assuré a fait une chute d’une centaine de mètres lors d’une randonnée en montagne. Il en est résulté un polytraumatisme. L’assuré a subi diverses interventions chirurgicales. L’évolution, lentement favorable, a été marquée par un retard de consolidation de la fracture. Le 15.02.2010, l’assuré a repris à 50% son travail de gérant de magasin, mais en raison d’un rendement insuffisant, la direction de la société l’a muté peu après dans un autre établissement à un poste de vendeur avec moins de responsabilités, sans modification de salaire.

L’assurance-accidents a mis sur pied une expertise rhumatologique et psychiatrique. Selon les experts, il existait des limitations fonctionnelles pour toute activité mettant en charge le membre inférieur gauche. Le poste actuel de vendeur en rayon était moins adapté que celui de gérant de magasin. Un travail respectant toutes les limitations décrites était exigible en plein. A la suite de la discussion entre l’assurance-accidents, l’assuré, l’employeur et un conseiller en réadaptation professionnelle de l’AI, l’assuré a été licencié de son poste de gérant au 31.03.2013 et réengagé en qualité de chef de rayon à 100% avec une incapacité de travail de 25% prise en charge par l’assurance-accidents. Après une nouvelle intervention chirurgicale, l’assuré n’a pas pu reprendre son travail de chef de rayon au-delà de 75%. L’employeur lui a alors proposé une modification de son contrat de travail à un taux d’activité réduit de 50% dès le 01.05.2014, ce que le prénommé a accepté.

Entre-temps, à la demande de l’assurance-accidents, l’expert rhumatologue a réexaminé l’assuré. Elle a indiqué que la situation était stabilisée et que, dans le poste actuel de vendeur, non adapté, la capacité de travail de l’assuré ne dépassait pas 50%. Comme gérant de succursale, elle se montait à 80%. Dans un poste de travail en position alternée, ne nécessitant pas de s’agenouiller et de travailler en terrain instable, elle atteignait 90%.

Par décision confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin aux indemnités journalières au 30.04.2014. L’assurance-accidents a retenu à titre de revenu d’invalide un montant annuel de 79’667.20. Elle s’est fondée sur le salaire mensuel brut que peuvent réaliser les hommes au niveau 3 dans la branche du commerce de détail (ligne 47) d’après le tableau TA1_b de l’ESS 2012. Après adaptation de ce salaire à la durée hebdomadaire de travail dans les entreprises suisses pour l’année 2014 ainsi qu’à l’évolution des salaires nominaux, elle est parvenue à un montant annualisé de 88’519 fr. 15. Ce montant, rapporté au taux d’activité exigible de 90%, donnait 79’667 fr. 20. L’assurance-accidents n’a effectué aucun abattement sur ce salaire statistique. L’assurance-accidents a refusé d’allouer une rente provisoire compte tenu d’un degré d’invalidité de 9,35%. Elle a retenu en outre qu’en absence de droit à une rente, le traitement médical de soutien dont l’assuré avait besoin au-delà du 30.11.2015 était à charge de l’assureur-maladie.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a considéré que l’on ne pouvait prendre comme référence le salaire statistique correspondant à une position de responsable dans le commerce du détail dès lors que l’assuré n’avait plus été capable de reprendre son poste de gérant du magasin après son accident. L’éventualité d’assumer la gérance d’un magasin plus grand avait également été abandonnée en raison du niveau de compétence insuffisant de l’assuré pour se former à une telle responsabilité. Quant à l’activité actuelle de vendeur en rayon, il était unanimement admis qu’elle était incompatible avec les séquelles de l’accident et ne mettait pas pleinement en valeur la capacité résiduelle de travail raisonnablement exigible. Il convenait bien plutôt de se fonder sur le total de la catégorie des tâches physiques ou manuelles simples, à savoir le niveau de compétence 1, du tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012 qui comprenait un large panel d’activités assez variées et accessibles à l’assuré sans formation particulière. La cour cantonale a en outre opéré un abattement de 5% sur le salaire statistique retenu afin de tenir compte du fait que l’assuré avait travaillé depuis 1975 auprès du même employeur. Elle a abouti, après tous les ajustements nécessaires, à un revenu d’invalide de 56’621 fr. 40.

Par jugement du 28.11.2017, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision et reconnaissant le droit de l’assuré à une rente d’invalidité de 36% dès le 01.05.2014 ainsi qu’à la prise en charge du traitement médical après cette date.

 

TF

Tableau ESS

Le Tribunal fédéral relève et rappelle qu’en cas de référence aux statistiques de l’ESS dans leur version révisée à partir de 2012, il y a lieu d’appliquer le tableau TA1_skill_levels et non pas TA1_b (ATF 142 V 178; arrêt 8C_228/2017 du consid. 4.2.2). C’est donc à juste titre que la cour cantonale ne s’est pas référée au tableau TA1_b à l’instar de l’assurance-accidents. Le fait qu’elle ne s’est pas fondée sur le salaire statistique d’une branche économique particulière n’est pas non plus critiquable.

 

Niveau de compétences

La version 2012 de l’ESS a introduit quatre niveaux de compétences définis en fonction du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n. 35 ad art. 16 LPGA). Le niveau 1 est désormais le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (voir les pages 11 et 12 de l’ESS 2012). L’accent est donc mis sur le type de tâches que l’assuré est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications mais pas sur les qualifications en elles-mêmes (voir arrêt 9C_901/2017 du 28 mai 2018 consid. 3.3).

En l’occurrence, le type de travail encore à la portée de l’assuré en fonction de son niveau de formation justifie qu’il soit placé au niveau de compétence 2. En effet, on ne saurait exiger de lui qu’il effectue des tâches pratiques complexes du niveau 3 qu’il n’a jamais fait et pour lesquelles il ne possède au demeurant pas les qualifications. Par ailleurs, la seule circonstance que l’assuré n’a pas été en mesure de poursuivre son activité de gérant de magasin après son accident ne signifie pas que le champ des activités exigibles de sa part serait désormais restreint à des tâches manuelles simples relevant du niveau de compétence 1, soit à des emplois non qualifiées. Au vu de sa formation et de son parcours professionnel dans le domaine de la vente, ainsi que du résultat de l’expertise psychiatrique – d’après laquelle il n’y a pas de perturbation des fonctions cognitives liée à l’accident -, on ne voit pas ce qui imposerait de retenir une telle limitation dans le type de travail qui lui reste accessible. Il s’ensuit que le salaire de référence est celui que peuvent prétendre des hommes au niveau de compétence 2, soit 5’633 fr. par mois (TA1_skill_level, ligne Total, ESS 2012, p. 35). Après les adaptations usuelles, on aboutit à un revenu d’invalide annuel de 64’441 fr. 40 en 2014 pour un taux d’activité de 90%.

 

Abattement

En ce qui concerne la prise en compte d’un abattement de 5% lié aux années de service, il est vrai qu’elle ne se justifierait pas dans le cadre du choix du niveau de compétence 1 de l’ESS 2012, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (voir 8C_103/2018 du 25 juillet 2018 consid. 5.2). Il en va toutefois différemment à partir du niveau de compétence 2 s’agissant d’emplois qualifiés dans lesquels l’expérience professionnelle accumulée auprès d’un même employeur est davantage valorisée. Il y a donc lieu d’admettre que l’assuré subit un désavantage salarial à ce titre par rapport aux autres employés qualifiés du niveau de compétence 2 dans la mesure où il se trouve en situation de réintégration professionnelle après plus de 35 ans de service auprès du même employeur. Un abattement de 5% à ce titre apparaît approprié. Cela donne un revenu d’invalide annuel de 61’219 fr. 30.

L’assuré a donc droit, à compter du 01.05.2014, à une rente d’invalidité LAA fondée sur un taux d’incapacité de gain de 31%.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_46/2018 consultable ici