Le Conseil fédéral adopte le rapport comparatif des modèles de congé parental

Le Conseil fédéral adopte le rapport comparatif des modèles de congé parental

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 19.02.2025 consultable ici

Cf. également article de Xenia Hediger, « Un congé parental en Suisse ? », in Sécurité sociale CHSS du 19 février 2025

 

Lors de sa séance du 19 février 2025, le Conseil fédéral a adopté un rapport sur le coût et l’utilité des modèles de congé parental. Il s’appuie sur un rapport de recherche réalisé sous forme de revue de la littérature. Ce dernier montre les avantages et inconvénients que pourraient présenter différents modèles de congé parental pour la Suisse. Le rapport sert de base aux discussions sur la conception d’un éventuel congé parental en Suisse.

Aujourd’hui, les mères exerçant une activité lucrative en Suisse bénéficient d’un congé de maternité de 14 semaines, tandis que l’autre parent qui exerce une activité lucrative a droit à 2 semaines de congé payé après la naissance d’un enfant. Les congés en lien avec une naissance ont un impact direct sur les parents, les enfants, les entreprises et les services publics. Néanmoins, ils ont également un impact indirect, notamment sur les dépenses sociales, le coût de la santé et les recettes fiscales de la Confédération et des cantons.

Un postulat de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (21.3961) demandait au Conseil fédéral une analyse économique globale coûts-bénéfices des différents modèles de congé parental allant au-delà de la solution actuelle. Il s’agissait d’étudier si un congé parental (de la même durée pour chacun des parents [modèle paritaire] ou pouvant être réparti de manière flexible entre les parents avec des limitations [modèle modulable]) présenterait des avantages économiques en comparaison du statu quo.

 

Impacts positifs et négatifs suivant le modèle choisi

La revue de la littérature réalisée dans le cadre de l’étude offre un aperçu détaillé des coûts et bénéfices directs et indirects des modèles de congé parental, parfois difficilement quantifiables. Le Conseil fédéral conclut dans le rapport que les modèles de congé parental peuvent avoir différentes conséquences positives et négatives : ils peuvent améliorer la conciliation entre la vie familiale et la vie professionnelle et être bénéfiques pour la santé des mères ou le développement des enfants. En revanche, le congé parental entraîne notamment un besoin de financement plus élevé et peut donc, selon la forme de financement, occasionner une hausse des charges salariales.

La revue de la littérature montre clairement que la forme concrète que prendrait le congé joue un rôle primordial. En témoigne la comparaison entre un modèle de congé parental modulable et paritaire. Alors que dans le modèle modulable une partie du congé parental peut être répartie librement entre les parents, et qu’ainsi les mères peuvent cesser de travailler pendant plus de six mois, dans le modèle paritaire, chaque parent a droit au même nombre de semaines. Selon la revue de la littérature, le modèle modulable a des effets négatifs moins importants sur le revenu de l’autre parent et implique une augmentation moindre des charges salariales que le modèle paritaire. À l’inverse, le modèle de congé parental paritaire a un impact positif plus prononcé sur la participation des mères au marché du travail : elles restent plus longtemps au sein de la même entreprise ou même en emploi, ce qui est bénéfique du point de vue de la situation du marché du travail, de la pénurie de main-d’œuvre qualifiée et des coûts de rotation du personnel.

Grâce au congé parental, les parents peuvent se répartir de manière plus équilibrée l’activité lucrative, les tâches ménagères et le travail de care. La discrimination des femmes en matière de salaire et de promotion peut également diminuer.

 

Base solide pour la suite des discussions

Dans son rapport, le Conseil fédéral conclut que le rapport de recherche a répondu aux principaux points du postulat en fournissant une base solide pour la discussion sur un éventuel modèle suisse de congé parental.

Actuellement, cette discussion est menée, d’une part, par l’initiative pour un congé familial (annoncée le 28 novembre 2024 par une alliance interpartis : alliance F, les Vert-e-s, PVL, Le Centre Femmes, Travail Suisse, PEV) et, d’autre part, par les initiatives cantonales pour un congé parental des cantons de GE, VS, JU et TI. Les initiatives cantonales de Genève et du Jura, selon lesquelles la Confédération devrait introduire un congé parental, ont été soutenues par la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil des États en janvier.

 

Rapport du Conseil fédéral du 19.02.2025 [disponible ici]

Bilan de l’étude / Thèses relatives aux conséquences des deux modèles de congé parental étudiés

Pour les deux modèles de congé parental étudiés, le rapport de recherche met notamment en évidence les effets potentiels suivants, tant positifs que négatifs. Dans le rapport, ces effets sont résumés dans un modèle d’impact représenté par un graphique.

Tout d’abord, un congé parental aurait un impact positif sur la santé des mères, notamment en réduisant la charge qu’elles assument. Par ailleurs, la possibilité pour les parents de passer plus de temps avec leurs enfants influencerait positivement le développement de ces derniers, en particulier si le congé dure moins d’un an. La prise d’un congé par l’autre parent favoriserait en outre une répartition plus égalitaire de la garde des enfants et des tâches ménagères, même à long terme. Ainsi, la relation entre l’enfant et l’autre parent serait renforcée, du moins pendant la durée du congé. Le congé parental pourrait également influencer la stabilité du couple et le désir d’enfant, même si les résultats ne sont pas catégoriques à ce sujet. Un congé plus long, allant jusqu’à six mois pour les mères, favoriserait le maintien de ces dernières sur le marché du travail et les encouragerait ainsi à conserver une activité lucrative. Cet impact serait renforcé si l’autre parent prenait également un congé, ce qui pourrait se répercuter positivement sur le revenu de la mère. En favorisant le maintien des mères sur le marché du travail, on réduirait aussi le taux de rotation du personnel dans les entreprises ainsi que les différences, en termes d’avantages et d’inconvénients pour l’employeur, entre les entreprises qui proposent volontairement un congé parental et celles qui ne le font pas. Toutefois, il deviendrait plus difficile, en particulier pour les petites entreprises, de devoir compenser d’une manière ou d’une autre l’absence prolongée d’une employée ou d’un employé. Selon l’état actuel des connaissances, le congé parental n’aurait pas d’influence sur l’activité lucrative de l’autre parent, mais pourrait temporairement faire baisser son revenu à court et à moyen termes. Par ailleurs, le besoin de financement supplémentaire entraînerait une augmentation des charges salariales. Ces divers effets étant en partie opposés et interdépendants, une analyse plus approfondie serait nécessaire pour estimer l’effet global du congé parental sur la valeur ajoutée, l’emploi, l’évolution démographique et les recettes fiscales. En ce qui concerne les bénéfices dus aux coûts évités, on peut citer en particulier la réduction des dépenses liées à la santé, aux prestations sociales et à l’éducation ; toutefois, les connaissances actuelles ne permettent pas de s’avancer sur ce sujet. Le fait que l’autre parent bénéficie d’un congé plus long permettrait aussi à la mère de s’investir davantage dans son travail ou dans d’autres domaines extérieurs à la famille, tels que la politique ou le bénévolat, ce qui contribuerait à promouvoir l’égalité des sexes. Cependant, il n’est actuellement pas possible d’évaluer les potentiels effets positifs du congé parental en matière d’égalité sur le marché de l’emploi. L’ampleur de ces effets dépendrait non seulement de la forme concrète que prendrait le congé, mais aussi de nombreux autres facteurs, tels que les conditions de l’accueil institutionnel des enfants.

D’autres analyses approfondies seront nécessaires pour évaluer les nombreux effets cités ; toutefois, cette évaluation ne pourra pas exclusivement reposer sur des critères scientifiques. Pour pouvoir comparer les effets positifs et négatifs notamment intangibles, à savoir ceux qui ne peuvent pas facilement être chiffrés ou exprimés en termes monétaires, et faire ainsi le bilan de tous les coûts et bénéfices, il est nécessaire de procéder au préalable à la pondération des différents effets dans le cadre du processus politique. En effet, seule une définition claire de cette pondération permettra de représenter de façon adéquate dans une analyse les nombreux coûts et bénéfices du congé parental.

 

Conclusions du Conseil fédéral

Le congé parental fait partie des mesures susceptibles d’aider les familles à mieux concilier vie familiale et activité professionnelle. Il peut lever certains obstacles au maintien de l’activité professionnelle et ainsi réduire l’écart entre la répartition souhaitée et la répartition effective du travail rémunéré et non rémunéré entre les parents. Comme la répartition à long terme entre travail rémunéré et non rémunéré au sein du couple se joue au moment de la naissance, les congés liés à la naissance peuvent jouer un rôle important dans l’équilibre entre vie familiale et activité professionnelle. Au vu de la situation sur le marché du travail, il apparaît essentiel d’exploiter davantage le potentiel de la main-d’œuvre féminine. Parallèlement, il faut noter que les coûts liés à la parentalité sont d’ores et déjà bien réels. La plupart d’entre eux sont supportés directement par les familles, en particulier par les mères, et par les entreprises ou se répercutent indirectement sur les coûts de la santé et les dépenses sociales.

En vertu de la Constitution, la Confédération est tenue, dans l’accomplissement de ses tâches, de prendre en considération les besoins des familles. Au cours des dernières décennies, elle s’est beaucoup impliquée dans ce domaine. On peut notamment citer le programme d’impulsion pour l’encouragement de l’accueil extrafamilial, le congé pour la prise en charge d’un enfant gravement atteint dans sa santé, le congé de l’autre parent, le congé d’adoption, l’augmentation de la déduction fiscale pour les frais de garde des enfants par des tiers, les allocations familiales pour les mères au chômage (3e révision de la loi sur les allocations familiales), la réforme des prestations complémentaires, la nouvelle législation en matière d’entretien de l’enfant, les indemnités journalières pour le parent survivant, l’augmentation du supplément pour soins intenses ou encore l’extension des bonifications pour tâches d’assistance.

Dans le domaine de la politique familiale, la Confédération s’engage pour faciliter la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle (voir Rapport sur les familles 2017 et stratégie Égalité 2030). Par ailleurs, la question de savoir si et comment le programme d’impulsion pour l’encouragement de l’accueil extrafamilial doit être pérennisé et adapté à des formes d’encouragement plus actuelles (iv. pa. 21.403) est débattue au Parlement. La proposition en cours d’examen prévoit de réduire les coûts incombant aux parents en introduisant une allocation de garde dans la loi sur les allocations familiales (LAFam).

Outre les coûts et les bénéfices décrits dans l’étude, on peut également s’attendre à diverses autres conséquences. Pour les entreprises qui proposent aujourd’hui déjà un congé parental (plus long), l’inscription d’un tel congé dans la loi entraînerait des effets d’aubaine. Par ailleurs, les absences prolongées des collaborateurs engendreraient pour les entreprises des coûts indirects potentiellement importants, pouvant atteindre le double, voire le quadruple de ceux des APG. Cependant, il faut tenir compte du fait qu’aujourd’hui déjà, selon les chiffres de l’OFS, les mères qui conservent une activité lucrative ne reprennent le travail que six mois après la naissance en moyenne. Ces absences plus longues que le congé de maternité doivent être organisées au cas par cas, ce qui accroît le travail de planification et le taux de fluctuation. L’augmentation des charges salariales nécessaire au financement aurait en outre un impact négatif sur le marché du travail (effehts dissuasifs sur l’emploi et frais plus élevés pour les salariés et les employeurs). Toutefois, un modèle concret de congé parental favorisant le maintien à long terme des mères sur le marché du travail contribuerait grandement à lutter contre la pénurie de main-d’œuvre qualifiée. De plus, la hausse des cotisations aux APG (qui s’élèvent actuellement à 0,5% du revenu brut et, dans le cas des salariés, sont payées à 50% par l’employeur) aurait pour effet une redistribution de fonds des salariés et des entreprises au profit des familles. Au cours des dernières décennies, le marché du travail a évolué ; ce changement s’est accompagné d’une réduction des inégalités entre les sexes, tant en ce qui concerne l’exercice d’une activité lucrative que le revenu réalisé. Selon des recherches récentes, une grande partie des inégalités restantes sont dues au fait que, en raison des schémas sociaux, la parentalité n’a pas le même impact sur les hommes et les femmes. On surestime donc parfois l’effet des mesures de politique familiale prises pour réduire ces différences.

Pour parvenir à une évaluation adéquate des coûts et des bénéfices du congé parental, il faudrait non seulement comparer des modèles concrets, mais aussi définir précisément les objectifs attendus de ce congé. Seule une pondération claire de ces objectifs permet de mettre en relation et d’évaluer les coûts et les bénéfices d’un modèle de congé parental donné, d’autant que ceux-ci ne peuvent pas être entièrement chiffrés ou exprimés en termes monétaires. Ce faisant, il faut tenir compte du fait que le congé parental n’est pas nécessairement la mesure la plus efficace ni dès lors la plus appropriée pour répondre à tous les objectifs mentionnés dans le rapport de recherche, notamment en matière de conciliation entre vie familiale et vie professionnelle. Le soutien financier à l’accueil extrafamilial, par exemple, est plus efficace et économique que les modèles de congé parental étudiés.

La diversité des effets des différents modèles décrits dans le rapport souligne l’importance de la conception concrète du congé parental. Ainsi, un congé permettant à la mère de s’absenter du marché du travail pendant plus de six mois a un effet moins positif sur la poursuite d’une activité lucrative, sur la discrimination en matière de salaire et de promotion et sur le taux de rotation du personnel dans les entreprises qu’un congé de moins de six mois et de même durée pour les deux parents. L’aménagement du congé parental pourrait donc être adapté en définissant clairement au préalable les objectifs à atteindre.

Le rapport de recherche reprend et répond à des demandes essentielles du postulat. Il existe désormais une base solide pour réaliser une analyse coûts-bénéfices d’un modèle de congé parental concret et de ses effets escomptés.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 19.02.2025 consultable ici

« Bases empiriques et faisabilité d’une analyse macroéconomique coûts-bénéfices de différents modèles de congé parental », Rapport du Conseil fédéral du 19.02.2025, disponible ici

Cf. également article de Xenia Hediger, « Un congé parental en Suisse ? », in Sécurité sociale CHSS du 19 février 2025

 

9C_664/2020 (f) du 27.01.2021 – Allocation pour impotent pour mineur / Acte « aller aux toilettes » – Acte de « se vêtir/se dévêtir » – Aide indirecte d’un tiers

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_664/2020 (f) du 27.01.2021

 

Consultable ici

 

Allocation pour impotent pour mineur / 9 LPGA – 42 s. LAI – 37 RAI

Acte « aller aux toilettes »

Acte de « se vêtir/se dévêtir » – Aide indirecte d’un tiers

 

En mars 2015, assuré (né en 2008) a présenté une demande d’allocation pour impotent, en indiquant, par l’intermédiaire de ses parents, qu’il avait besoin de leur aide directe ou indirecte pour les actes ordinaires de la vie, ainsi que d’une surveillance pendant la nuit et le jour. Déscolarisé depuis février 2015, il a commencé un traitement auprès d’une spécialiste en psychiatrie et psychothérapie d’enfants et d’adolescents, selon laquelle il souffrait notamment d’une infirmité congénitale (psychoses primaires du jeune enfant; ch. 406 OIC).

Après que l’assuré a réintégré l’école primaire à environ 50% à la rentrée scolaire 2015, l’office AI a pris des renseignements auprès de l’enseignante de l’enfant et d’une spécialiste du Service de l’enseignement spécialisé et des mesures d’aide (SESAM) qui l’accompagnait. Il a également diligenté une enquête sur l’impotence. A la suite d’un projet de décision du 03.07.2017, selon lequel il comptait nier le droit de l’assuré à une allocation pour impotent et qui a été contesté par les parents le 23.08.2017, l’office AI a requis des informations complémentaires auprès notamment de l’enseignante et du SESAM. Pour l’année scolaire 2018/2019, une autorisation d’enseignement à domicile a été délivrée pour l’assuré. Par décision du 16.01.2019, l’office AI a rejeté la demande d’allocation pour impotence.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2019 42 – consultable ici)

Par jugement du 22.09.2020, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à une allocation pour impotence de degré moyen dès le 01.11.2014.

 

TF

Consid. 4.1
Pour l’acte « aller aux toilettes », la juridiction cantonale a constaté que l’assuré était en mesure d’accomplir cet acte (enfant propre) sans l’aide de ses parents et qu’on pouvait attendre de ceux-ci qu’ils vérifient son hygiène corporelle, en considération de son jeune âge. Cette constatation ne correspond toutefois pas entièrement aux indications de l’enquêtrice de l’office AI selon lesquelles l’enfant avait besoin d’aide pour s’essuyer après avoir été à selles. La nécessité d’une telle assistance a été confirmée notamment par le pédiatre traitant, selon lequel l’enfant n’était pas autonome pour s’essuyer. Or conformément à la jurisprudence (ATF 121 V 88 consid. 6 p. 93 ss; arrêt 9C_560/2017 du 17 octobre 2017 consid. 4.2 et les références), le nettoyage corporel après le passage aux toilettes constitue une fonction partielle de l’acte en cause, pour laquelle l’assuré requiert concrètement une aide régulière et importante, puisqu’il n’est pas autonome pour l’accomplir (sur la notion de l’importance de l’aide, cf. arrêt 9C_560/2017 précité consid. 4.3); un rituel apparaît de plus nécessaire dans ce domaine également, selon le pédiatre traitant. La référence au jeune âge de l’assuré n’y change rien, dès lors que selon les recommandations concernant l’évaluation de l’impotence déterminante chez les mineurs, un enfant est considéré capable, à six ans, de s’essuyer lui-même et de se rhabiller tout seul (Annexe III à la Circulaire de l’OFAS sur l’invalidité et l’impotence dans l’assurance-invalidité [CIIAI; version valable à partir du 1er janvier 2018], ch. 5 p. 212). Le grief tiré de l’établissement manifestement inexact des faits est dès lors fondé, la nécessité d’assistance devant être reconnue aussi pour l’acte « aller aux toilettes ».

Consid. 4.2
En ce qui concerne l’acte ordinaire « se vêtir/se dévêtir », la juridiction cantonale a suivi l’indication de l’enseignante de l’assuré qui avait mentionné qu’il était autonome pour se vêtir ou se dévêtir lors des cours de gymnastique. Tout en indiquant que cet avis ne concordait pas avec la position des médecins traitants de l’assuré, elle n’a pas discuté plus avant cette divergence et constaté la capacité de l’enfant de s’habiller sans l’aide de ses parents. On ignore dès lors la raison pour laquelle les juges cantonaux ont été apparemment convaincus davantage par les renseignements donnés par l’enseignante que par ceux des médecins traitants.

Quoi qu’il en soit, la constatation cantonale apparaît manifestement inexacte, parce que les juges cantonaux n’ont pas pris en considération toutes les pièces pertinentes au dossier. En complément de leur constatation, il ressort d’abord de l’enquête sur l’impotence que l’assuré nécessite une aide directe pour tout ce qui demande une dextérité fine, comme enfiler les chaussettes, ouvrir ou fermer une fermeture éclair, boutonner ses vêtements. Selon les indications des pédiatres traitants, leur patient a besoin d’une assistance verbale pour s’habiller, alors qu’il présente une hypersensibilité tactile et une maladresse au niveau de la motricité; l’enfant n’arrive à s’habiller qu’en présence d’un adulte et avec un coaching verbal. La nécessité d’une telle assistance n’est pas contredite par les observations faites à l’école, dans la mesure où l’assuré y a bénéficié d’un cadre structuré. Dans ce contexte, la pédiatre traitant mentionne la nécessité d’un « grand besoin de contenant extérieur » en ces termes: « dès que bien contenu [l’assuré] arrive à fonctionner d’une façon adapté[e] à la circonstance ». L’enseignante de l’assuré a indiqué qu’il était autonome pour se déshabiller et se rhabiller au vestiaire ou aux leçons de gymnastique, mais a précisé qu’il avait un peu moins d’assurance tout en assumant les gestes seul. On peut en déduire que le cadre ou l’impulsion nécessaires ont été fournis par la présence de l’enseignante, voire des camarades de classe. A cet égard, le procès-verbal de la séance de réseau du SESAM du 20.04.2016 met en évidence qu’en rapport avec l’acte de s’habiller en relation avec les cours de gymnastiques, l’enfant a senti « la pression des copains » et qu’il est dès lors plus facile pour les parents de l’entraîner à la maison pour ce faire. On constate donc que l’assuré est en mesure, du point de vue fonctionnel, d’accomplir avec une certaine difficulté l’acte de « se vêtir/se dévêtir » mais a besoin d’une aide indirecte d’un tiers, sans laquelle il ne ferait l’acte qu’imparfaitement ou à contretemps; en d’autres termes, livré à lui-même, cet acte ne serait accompli qu’avec difficulté ou avec une lenteur certaine (cf. ATF 133 V 450 consid. 7.2 p. 462 s. et les références), le contrôle nécessaire dépassant le cadre usuel pour les enfants de six à dix ans (cf. Annexe III à la CIIAI, ch. 1 p. 209). Il y a donc lieu d’admettre également la nécessité d’assistance pour l’acte en cause.

Consid. 4.3
Il résulte de ce qui précède que l’impotence de l’assuré doit être qualifiée de grave, conformément à l’art. 37 al. 1 RAI, de sorte qu’il a droit à une allocation pour impotent de degré grave à partir du 1er novembre 2014.

L’argumentation de l’office AI n’y change rien. En se référant de façon générale aux indications données par les parents de l’assuré (objections du 23.08.2017) au moment de contester le projet de décision du 03.07.2017, l’office AI nie la nécessité d’un besoin d’aide pour l’acte « se lever, s’assoir, se coucher », sans se prononcer sur les deux autres actes invoqués par l’assuré. Ce faisant, il ne met pas en évidence que les constatations des juges cantonaux sur l’aide nécessaire des parents pour coucher l’enfant seraient manifestement inexactes ou insoutenables. Son argumentation ne saurait dès lors être suivie.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_664/2020 consultable ici

 

Rechutes et lacunes dans la LAA : un remède pire que le mal ?

Vous trouverez dans l’édition de Jusletter du 17 février 2025 ma contribution «Rechutes et lacunes dans la LAA : un remède pire que le mal ?».

 

Résumé :

Si la récente réforme de la LAA, visant à couvrir les rechutes et séquelles tardives d’accidents non assurés comble une lacune importante, elle soulève des questions complexes. Limitation aux accidents survenus avant 25 ans, coordination entre assureurs sociaux et privés, ambiguïtés dans l’application des nouvelles dispositions sont autant de défis qui pourraient générer inégalités et litiges. Cet article analyse les implications juridiques et pratiques de cette réforme, en proposant des alternatives pour une meilleure intégration dans le système d’assurances sociales.

 

Publication (au format pdf) : David Ionta, Rechutes et lacunes dans la LAA : un remède pire que le mal?, in : Jusletter 17 février 2025

 

9C_244/2020 (f) du 05.01.2021 – Octroi initial de la rente d’invalidité limitée dans le temps / Mesures de nouvelle réadaptation / Réadaptation par soi-même – Obligation de réduire le dommage

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_244/2020 (f) du 05.01.2021

 

Consultable ici

 

Octroi initial de la rente d’invalidité limitée dans le temps / 17 LPGA – 88a al. 1 RAI

Mesures de nouvelle réadaptation (MNR) des bénéficiaires de rente / 8a LAI

Réadaptation par soi-même – Obligation de réduire le dommage

 

Assuré, né en 1983, marié et père de deux enfants, a travaillé en dernier lieu comme marqueur routier. En février 2017, il a présenté une demande de prestations de l’assurance-invalidité; il y indiquait être en incapacité de travail depuis le 15.08.2016, en raison d’une ostéonécrose avasculaire de la tête fémorale droite. L’office AI a mis en place une mesure d’intervention précoce. L’assuré s’est ensuite inscrit à l’assurance-chômage dès le 01.01.2018 et l’office AI lui a accordé une aide au placement.

A la suite d’une nouvelle incapacité de travail survenue le 29.01.2018 (récidive de hernie discale L5-S1), la caisse cantonale de chômage a mis un terme à l’indemnisation du chômage avec effet au 28.02.2018. Le 30.04.2018, l’assuré a informé l’office AI que son état de santé était à nouveau satisfaisant et a sollicité une aide au placement. L’administration lui a indiqué qu’il remplissait les conditions pour bénéficier d’une mesure de placement, et qu’elle l’informerait des démarches ultérieures et en particulier de la date d’un premier entretien. L’assuré a ensuite requis une mesure de reclassement professionnel le 30.08.2018, demande qu’il a renouvelée les 18.09.2018 et 07.11.2018. Dans l’intervalle, l’administration a recueilli des renseignements médicaux, qu’elle a soumis au médecin au Service médical régional de l’AI (SMR), qui a conclu à l’exigibilité d’une activité adaptée à 100% à partir du 24.06.2018. Après lui avoir octroyé une mesure d’orientation professionnelle dès le 14.01.2019 et un placement à l’essai dès le 14.04.2019, l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité du 01.08.2017 au 30.09. 2018, assortie de deux rentes pour enfant.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 193/19 – 55/2020 – consultable ici)

Par jugement du 20.02.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.2
En l’espèce, il ressort des constatations cantonales que l’assuré avait recouvré une capacité totale de travail dans une activité adaptée (travail simple et répétitif dans le domaine industriel léger ou dans la vente simple, par exemple) depuis le 24.06.2018, et qu’à partir de cette date, il n’était pas dans l’attente du début d’une formation professionnelle ou d’un reclassement. L’assuré ne remet pas en cause ces constatations. Les juges cantonaux ont également constaté que la mesure d’orientation professionnelle qui a débuté le 14.01.2019 n’avait pas pour but de déterminer si l’assuré était en mesure de mettre à profit sa capacité de travail dans une activité adaptée, mais bien de lui accorder un soutien dans ses démarches de recherche d’un emploi adapté (à ce sujet, voir arrêt 9C_707/2018 du 26 mars 2019 consid. 4.2), comme l’avait expressément indiqué l’office AI dans sa correspondance du 11.03.2019. En conséquence, c’est à bon droit que les juges cantonaux ont confirmé la suppression du droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité au 30.09.2018 (art. 17 al. 1 LPGA, art. 88a al. 1 RAI).

Consid. 4.3
L’assuré ne peut pas être suivi lorsqu’il soutient qu’il avait droit à la poursuite du versement de la rente d’invalidité au-delà du 30.09.2018, que ce soit par une application analogique de l’art. 8a LAI ou de la jurisprudence selon laquelle, dans certaines situations, des mesures d’ordre professionnel se révèlent nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique, avant de procéder à la réduction ou à la suppression du droit à une rente de l’assurance-invalidité.

Consid. 4.3.1
S’agissant d’abord de l’application des règles en matière de mesures de nouvelle réadaptation des bénéficiaires de rente (art. 8a LAI), si l’assuré admet que sa situation diffère des cas visés par celles-ci, il soutient cependant qu’il serait possible, dans son cas, de s’inspirer de ces règles pour prolonger son droit à la rente jusqu’au 14.01.2019. Quoi qu’en dise l’assuré, comme l’ont dûment rappelé les juges cantonaux, en présence d’une modification notable de l’état de santé ou de la situation professionnelle, l’office AI révise la rente, c’est-à-dire qu’il l’augmente, la réduit ou la supprime, étant rappelé que l’art. 17 LPGA sur la révision d’une rente en cours s’applique également à la décision par laquelle une rente échelonnée dans le temps est accordée avec effet rétroactif. Ce n’est que lorsqu’il n’y a pas de modification notable de l’état de santé ou de la situation professionnelle d’un bénéficiaire d’une rente d’invalidité, que l’office AI examine s’il serait possible d’améliorer la capacité de gain par des mesures appropriées (cf. Message relatif à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [6e révision, premier volet] du 24 février 2010, FF 2010 1647 [1672 s.]). Au vu de la pleine capacité de travail recouvrée par l’assuré dans une activité adaptée dès le 24.06.2018, c’est dès lors en vain qu’il se prévaut d’une application analogique de l’art. 8a LAI.

Consid. 4.3.2
Contrairement à ce que soutient ensuite l’assuré, le seul fait qu’un assuré soit empêché de trouver un emploi adapté à son handicap ou ses limitations fonctionnelles ne suffit pas pour reconnaître le droit à des mesures de réadaptation. La réadaptation par soi-même est en effet un aspect de l’obligation de diminuer le dommage et prime aussi bien le droit à une rente que celui à des mesures de réadaptation (arrêts 9C_304/2020 du 8 juillet 2020 consid. 3; 9C_163/2009 du 10 septembre 2010 consid. 4.2.2 et les arrêts cités). En tant que l’assuré se réfère aux exceptions dans lesquelles la jurisprudence admet que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique, préalablement à la réduction ou à la suppression du droit à une rente de l’assurance-invalidité (cf. arrêts 9C_308/2018 du 17 août 2018 consid. 5.2; 9C_517/2016 du 7 mars 2017 consid. 5.2 et les arrêts cités), son argumentation n’est pas non plus pertinente. Bien que cette jurisprudence soit également applicable lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente (ATF 145 V 209 consid. 5 p. 211 ss), elle ne concerne toutefois que les assurés qui sont âgés de 55 ans révolus ou qui ont bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins, ce qui n’est pas le cas de l’assuré.

Consid. 4.3.3
Certes, comme le fait également valoir l’assuré, la suppression de son droit à la rente est intervenue le 30.09.2018, soit avant la reconnaissance de son droit à une mesure d’orientation professionnelle dès le 14.01.2019. Cela étant, contrairement à ce qu’il soutient, l’office AI n’a pas tardé à se prononcer sur son droit à des mesures d’ordre professionnel, ni interrompu le « processus global de réadaptation » de manière inopportune. Il ressort à cet égard des constatations cantonales que l’assuré a, par le biais de son mandataire, sollicité des mesures de réadaptation dès le mois d’août 2018 (correspondances des 30.08.2018, 18.09.2018 et 07.11.2018), soit après le recouvrement d’une pleine capacité de travail dans une activité adaptée dès le 24.06.2018. Auparavant, l’assuré s’était limité à demander une aide au placement (courrier du 30.04.2018), ce qu’il ne conteste du reste pas. Partant, l’office AI, et à sa suite, les juges cantonaux, n’ont pas méconnu les principes relatifs à la réadaptation.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_244/2020 consultable ici

 

9C_278/2024 (f) du 10.12.2024 – Rente de concubin survivant – Concubinage et notions de «ménage commun» et de «domicile commun» / 20a LPP – 23 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_278/2024 (f) du 10.12.2024

 

Consultable ici

 

Rente de concubin survivant – Concubinage et notions de «ménage commun» et de «domicile commun» / 20a LPP – 23 CC

 

B.__ et A.__ ont formé une communauté de vie, dont sont issus deux enfants nés en 1997 et 1999. Le 17.10.2021, B.__ et A.__ ont adressé à l’institution de prévoyance de B.__ un formulaire d’annonce de concubinage, en indiquant former un ménage commun depuis le 05.08.1995. L’adresse du prénommé était à U.__. Quant à celle de B.__, elle était à V.__.

À la suite du décès de B.__ survenu en novembre 2021, A.__ s’est adressé à la caisse de pensions pour lui demander s’il avait droit à des prestations. Au terme d’un échange de correspondances, l’institution de prévoyance a nié le droit du prénommé à des prestations de survivants, pour le motif qu’il ne vivait pas officiellement à la même adresse que feue sa concubine.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 21/23 – 15/2024 – consultable ici)

Par jugement du 25.03.2024, admission de l’action par le tribunal cantonal, condamnant l’institution de prévoyance à verser au prénommé une rente mensuelle de concubin survivant de CHF 1’388.20 dès le 01.12.2021, avec intérêt moratoire à 5% sur chaque échéance.

 

TF

Consid. 2.1
Le litige porte sur le droit du concubin survivant à des prestations de survivants de la prévoyance professionnelle plus étendue, singulièrement à une prestation (réglementaire) de concubin survivant. Est seul litigieux le point de savoir si la juridiction cantonale a interprété à bon droit la notion de « ménage commun » entre l’assurée défunte et son concubin survivant au sens de l’art. 71 al. 1 let. a du règlement des prestations de la caisse de pension (RPC).

Consid. 2.3
On ajoutera, à la suite de l’instance cantonale, que les prestations au conjoint survivant ou au concubin sont régies aux art. 65 à 71 RPC. Dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31.12.2023, applicable en l’espèce (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et les références), l’art. 71 al. 1 let. a RPC, avec le titre marginal « Concubin », prévoit que le concubin d’un assuré ou d’un pensionné qui décède a droit à une prestation au sens des art. 65 ou 69 RPC, jusqu’à son décès, jusqu’à son mariage ou à la naissance d’une autre relation de concubinage, s’il prouve que l’assuré ou le pensionné défunt vivait en ménage commun avec le survivant au jour du décès depuis cinq ans, de manière ininterrompue; ce délai est ramené à une année si les concubins ont un enfant au sens de l’art. 75 RPC.

Consid. 3.1 [résumé]
La juridiction cantonale a constaté que, durant l’année précédant le décès de B.__, le concubin était domicilié à U.__ tandis que la défunte l’était à V.__. Malgré cette différence d’adresse, la cour a estimé que les preuves fournies établissaient, au degré de la vraisemblance prépondérante, que le couple avait effectivement vécu en ménage commun durant la période en cause, malgré l’absence d’une adresse commune de domicile. Sur la base d’une projection fournie par l’institution de prévoyance, les juges ont fixé le montant de la prestation de concubin survivant à CHF 1’388.20. Ils ont ordonné à la caisse de pensions de verser cette prestation au concubin survivant à partir de décembre 2021, avec des intérêts de 5% pour chaque échéance.

Consid. 4.1
À la suite des juges cantonaux, on rappellera que le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion d’interpréter la notion de « ménage commun » au sens de l’art. 65a let. a aLCP, dont la teneur a depuis lors été reprise à l’art. 71 al. 1 let. a RPC. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 12 juin 2012, la II e Cour de droit social (depuis le 1er janvier 2023: III e Cour de droit public) a considéré que le législateur vaudois n’entendait pas s’éloigner de la notion de vie en ménage commun au sens courant ou usuel, mais retenait celle de communauté domestique ou de communauté de toit impliquant un domicile commun des deux concubins (arrêt 9C_403/2011 précité consid. 4.2.4). Les conditions pour procéder à un revirement de jurisprudence ne sont pas réalisées en l’espèce (sur ce point, cf. ATF 142 V 112 consid. 4.4 et les arrêts cités), si bien qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de cette jurisprudence. Ni la recourante ni le concubin survivant ne prétendent le contraire. La notion de « ménage commun » au sens de l’art. 71 al. 1 let. a RPC doit dès lors être comprise comme impliquant un domicile commun des concubins.

Consid. 4.2
Il reste à examiner ce qu’exige la notion de domicile commun.

Consid. 4.2.1
La notion de domicile est définie à l’art. 23 CC. Aux termes de l’art. 23 al. 1, 1re phrase, CC, le domicile de toute personne est au lieu où elle réside avec l’intention de s’y établir. Nul ne peut avoir en même temps plusieurs domiciles (art. 23 al. 2 CC). La notion de domicile contient deux éléments: d’une part, la résidence, soit un séjour d’une certaine durée dans un endroit donné et la création en ce lieu de rapports assez étroits et, d’autre part, l’intention de se fixer pour une certaine durée au lieu de sa résidence qui doit être reconnaissable pour les tiers et donc ressortir de circonstances extérieures et objectives. Cette intention implique la volonté manifestée de faire d’un lieu le centre de ses relations personnelles et professionnelles. L’intention d’une personne de se fixer au lieu de sa résidence ne doit pas être examinée de façon subjective, au regard de sa volonté interne, mais à la lumière de circonstances objectives, reconnaissables pour les tiers, permettant de conclure à l’existence d’une telle intention. Le domicile d’une personne se trouve ainsi au lieu avec lequel elle a les relations les plus étroites, compte tenu de l’ensemble des circonstances. Le lieu où les papiers d’identité ont été déposés ou celui figurant dans des documents administratifs, comme des attestations de la police des étrangers, des autorités fiscales ou des assurances sociales constituent des indices qui ne sauraient toutefois l’emporter sur le lieu où se focalise un maximum d’éléments concernant la vie personnelle, sociale et professionnelle de l’intéressé (ATF 141 V 530 consid. 5.2 et les arrêts cités).

Le lieu où la personne réside (élément objectif) et son intention de s’établir (élément subjectif) relèvent de l’établissement des faits, que le Tribunal fédéral ne corrige qu’en cas d’arbitraire (art. 97 al. 1 LTF, en relation avec l’art. 9 Cst.). En revanche, les conclusions à en déduire sous l’angle de l’art. 23 al. 1 CC quant à l’intention de s’établir ressortissent au droit, dont le Tribunal fédéral revoit librement l’application (ATF 136 II 405 consid. 4.3; arrêts 8C_32/2024 du 4 novembre 2024 consid. 8.3.1; 6B_1022/2023 du 27 mars 2024 consid. 2.1.2).

Consid. 4.2.2
En l’occurrence, si la juridiction cantonale a retenu que le concubin survivant a été domicilié officiellement à U.__ (conformément à l’attestation établie par le Service du contrôle des habitants, elle n’a toutefois pas examiné si ce lieu correspondait effectivement à l’endroit avec lequel le concubin survivant avait les relations les plus étroites. Or en admettant que l’intéressé avait vécu en ménage commun avec B.__ au sens de l’art. 71 al. 1 let. a RPC au moins depuis novembre 2020, les juges cantonaux ont en fin de compte reconnu un domicile commun. En effet, il ressort de leurs constatations que, d’un point de vue objectif, le centre des relations de A.__ se trouvait à V.__ durant la période déterminante. Selon les faits constatés dans le jugement attaqué, le concubin survivant et B.__ étaient copropriétaires, chacun pour une demie, du logement sis à cette adresse depuis 2003 et différentes correspondances y avaient été envoyées au prénommé (s’agissant de cotisations qu’il avait acquittées dans le cadre de son activité professionnelle et des primes de l’assurance-maladie et de l’assurance-ménage, notamment). Selon les témoignages de trois habitants de l’immeuble sis à V.__, A.__ avait été présent à cette adresse sans discontinuité et le prénommé avait par ailleurs expliqué, dans ses premières déclarations, que le logement qu’il louait depuis plus de 44 ans à U.__ était destiné uniquement à des fins professionnelles. On constate effectivement, à la lecture du courrier que le concubin survivant a adressé à l’institution de prévoyance le 20.02.2023, qu’il indiquait s’être inscrit au Service du contrôle des habitants à l’adresse de U.__ afin de pouvoir conserver la jouissance de cet appartement pour son travail, tandis que l’appartement sis à V.__ constituait le « siège de l’activité familiale » où étaient domiciliés feue sa concubine et leurs deux enfants.

Les constatations de la juridiction cantonale quant au ménage commun formé par le concubin survivant et feue l’assurée mettent en évidence que le centre des intérêts du concubin survivant au sens de l’art. 23 al. 1 CC se trouvait au lieu où il vivait avec ses enfants et leur mère, à V.__. L’institution de prévoyance ne s’en prend pas à ces constatations. Elle se limite à affirmer que l’exigence d’un domicile commun qu’elle a posée dans son règlement de prévoyance est « parfaitement conforme au droit fédéral pertinent », sans se référer aux éléments constitutifs de la notion de domicile au sens de l’art. 23 CC. Ce faisant, elle méconnaît que le domicile d’une personne ne se trouve pas nécessairement à l’adresse indiquée auprès du Service du contrôle des habitants (consid. 4.2.1 supra).

Consid. 4.2.3
En définitive, compte tenu des circonstances, la conclusion de la juridiction de première instance, selon laquelle le concubin survivant et B.__ ont vécu en ménage commun durant l’année précédant le décès de cette dernière, malgré l’absence d’une adresse commune, doit être confirmée. Le jugement entrepris est conforme au droit dans son résultat.

 

Le TF rejette le recours de l’institution de prévoyance.

 

Arrêt 9C_278/2024 consultable ici

 

Réglementation de l’IA: le Conseil fédéral veut ratifier la Convention du Conseil de l’Europe

Réglementation de l’IA: le Conseil fédéral veut ratifier la Convention du Conseil de l’Europe

 

Communiqué de presse de l’Office fédéral de la communication du 12.02.2025 consultable ici

 

La Suisse doit ratifier la Convention du Conseil de l’Europe sur l’intelligence artificielle (IA) et apporter les modifications nécessaires dans le droit national. Il faut en outre poursuivre les activités de réglementation de l’IA dans différents secteurs, tels que la santé ou les transports. Le Conseil fédéral s’est prononcé en faveur de cette approche lors de sa séance du 12 février 2025.

Le Conseil fédéral veut réglementer l’IA de façon à exploiter son potentiel au profit de la Suisse en tant que place économique et d’innovation. Dans le même temps, les risques pour la société doivent rester aussi faibles que possible. Le Conseil fédéral a décidé de se baser sur les éléments suivants :

  • La Convention sur l’IA du Conseil de l’Europe est reprise dans le droit suisse. Son champ d’application concerne en premier lieu des acteurs étatiques.
  • Lorsque des modifications légales sont nécessaires, elles doivent être aussi sectorielles que possible. Une réglementation générale, intersectorielle, se limite aux domaines juridiques centraux pertinents, comme la protection des données.
  • Outre la législation, des mesures juridiques non contraignantes sont élaborées pour mettre en œuvre la Convention. Celles-ci peuvent inclure des accords d’autodéclaration ou des solutions sectorielles.

La réglementation dans le domaine de l’IA vise trois objectifs : le renforcement de la Suisse comme lieu d’innovation, la protection des droits fondamentaux, y compris de la liberté économique, et l’amélioration de la confiance de la population en l’IA.

Le Conseil fédéral a également fixé la suite de la procédure. Le DFJP, en collaboration avec le DETEC et le DFAE, élaborera d’ici fin 2026 un projet de consultation qui met en œuvre la Convention sur l’IA du Conseil de l’Europe, en déterminant les mesures juridiques nécessaires dans les domaines de la transparence, de la protection des données, de la non-discrimination et de la surveillance. De plus, le DETEC, le DFJP, le DFAE et le DEFR élaboreront d’ici fin 2026 également un plan pour définir des mesures supplémentaires de nature non contraignante juridiquement, en tenant compte notamment de la compatibilité de l’approche suisse avec celles de ses principaux partenaires commerciaux. Les milieux intéressés internes et externes à l’administration fédérale seront impliqués dans les travaux.

L’interaction entre les mesures juridiquement contraignantes et non contraignantes doit non seulement garantir un cadre légal sûr, mais aussi prendre en considération l’évolution rapide et le potentiel de l’IA.

 

Rapport à l’attention du Conseil fédéral: état des lieux sur la réglementation de l’intelligence artificielle

En novembre 2023, le Conseil fédéral a chargé le DETEC et le DFAE d’examiner les approches réglementaires possibles dans le cadre d’un état des lieux. Le DFJP était également étroitement impliqué dans les travaux. Plusieurs analyses de base ont été établies pour constituer les fondements de cet état des lieux: une analyse juridique de base, une analyse des activités de réglementation sectorielles et une analyse des réglementations de l’IA dans d’autres pays. Des estimations économiques et de politique européenne ont été intégrées dans chaque analyse.

L’analyse juridique de base examine les effets et les objectifs de la Convention sur l’IA du Conseil de l’Europe, de l’AI Act de l’UE et des développements actuels dans certains domaines juridiques suisses.

L’analyse sectorielle offre un aperçu des modifications existantes et prévues au niveau du droit fédéral dans différents secteurs.

L’analyse par pays présente les évolutions réglementaires dans 20 pays choisis.

 

Communiqué de presse de l’Office fédéral de la communication du 12.02.2025 consultable ici

Rapport du DETEC du 12.02.2025 « Etat des lieux sur la règlementation de l’intelligence artificielle – Rapport à l’attention du Conseil fédéral » disponible ici

Rapport du DETEC du 16.12.2024 « Aperçu des activités de réglementation sectorielles actuelles en lien avec l’intelligence artificielle » disponible ici

Rapport du DETEC du 16.12.2024 « Analyse des réglementations en matière d’intelligence artificielle dans différents pays et régions du monde – Analyse de base pour l’état des lieux sur la régulation suisse en matière d’intelligence artificielle » disponible ici

Rapport du DFJP du 31.08.2024 « Analyse juridique de base dans le cadre de l’état des lieux sur les approches de régulation en matière d’intelligence artificielle » disponible ici

 

Notifications par envoi postal le week-end : le délai ne commencera à courir que le lundi

Notifications par envoi postal le week-end : le délai ne commencera à courir que le lundi

 

Communiqué de presse de l’OFJ du 12.02.2025 consultable ici

 

Lorsqu’une communication déclenchant un délai est remise le week-end par envoi postal, le délai ne commencera à courir que le premier jour ouvrable suivant la notification. Les destinataires de documents tels que des résiliations ou des jugements disposeront en conséquence de plus de temps pour réagir. Ce principe qui s’applique déjà en droit de la procédure civile s’étendra à l’ensemble du droit fédéral. Le Conseil fédéral a pris acte des résultats de la procédure de consultation et a adopté le projet et le message à l’intention du Parlement le 12 février 2025.

Le Conseil fédéral veut éviter que les destinataires de communications déclenchant un délai remises un samedi par envoi postal – par exemple une résiliation de contrat ou un jugement –, soient lésés. Après avoir pris acte des avis majoritairement positifs des participants à la consultation sur la révision de divers actes fédéraux, le Conseil fédéral a adopté lors de sa séance du 12 février 2025 le message relatif à un projet mettant en œuvre la motion 22.3381 « De l’harmonisation de la computation des délais » de la Commission des affaires juridiques du Conseil national.

À l’avenir, les communications déclenchant un délai déposées le week-end dans la boîte aux lettres du destinataire seront réputées notifiées le premier jour ouvrable qui suit. Ce principe figure déjà dans le code de procédure civile et, conformément à la proposition du Conseil fédéral, s’étendra à l’ensemble du droit fédéral. Les destinataires auront en conséquence plus de temps pour exercer leurs droits, notamment si, ne travaillant que les jours ouvrables, ils ne relèvent leur courrier que pendant la semaine. Les nouvelles règles accroîtront par ailleurs la sécurité juridique, puisque dans tous les cas, le délai ne commencera à courir que le premier jour ouvrable qui suit.

Dans le but d’étendre cette fiction de notification à l’ensemble du droit fédéral, le projet prévoit la modification de plusieurs lois : la loi fédérale sur la procédure administrative, la loi sur le Tribunal fédéral, le code pénal militaire, la procédure pénale militaire, la loi fédérale sur l’impôt fédéral direct et la loi fédérale sur la partie générale du droit des assurances sociales.

Pour éviter les lacunes juridiques, le Conseil fédéral propose en outre d’inscrire ces nouvelles règles dans la loi fédérale sur la supputation des délais comprenant un samedi, afin de couvrir notamment les délais du droit privé matériel, par exemple en cas de résiliation du bail d’un logement, et ceux du droit pénal matériel, par exemple en cas de plainte pénale.

 

La fiction de notification s’appliquera au droit fiscal

Suite aux retours de la procédure de consultation, le Conseil fédéral a ajouté la loi fédérale sur l’harmonisation des impôts directs des cantons et des communes au projet. Les règles de notification des objets fiscaux le week-end et les jours fériés seront à l’avenir les mêmes en droit fédéral et en droit cantonal.

 

Modification des art. 38 et 38a LPGA et explications (cf. Message du Conseil fédéral [point 5.9, p. 27 s.])

Art. 38 LPGA – Calcul des délais

2bis Abrogé

3 Les communications ci-après, remises par envoi postal, sont réputées notifiées comme suit:
a. communications qui ne sont remises que contre la signature du destinataire ou d’un tiers habilité: au plus tard sept jours après la première tentative infructueuse de distribution;
b. communications qui sont remises un samedi, un dimanche ou un jour férié selon le droit fédéral ou cantonal sans qu’une signature soit requise: le premier jour ouvrable qui suit.

4 Lorsque le délai échoit un samedi, un dimanche ou un jour férié selon le droit fédéral ou cantonal, son terme est reporté au premier jour ouvrable qui suit.

5 Le droit cantonal déterminant pour les jours fériés est celui du canton où la partie ou son mandataire a son domicile ou son siège.

L’art. 38 LPGA régit le calcul et la suspension des délais pour les procédures relevant du droit des assurances sociales. Il n’y a pas en la matière d’obligation d’envoyer les communications par courrier recommandé. La situation est donc comparable à celle qui prévaut pour la procédure relevant du champ d’application de la PA. Une modification de l’art. 38 LPGA s’impose pour couvrir les cas où une communication des autorités est envoyée par courrier ordinaire et remise un samedi, un dimanche ou un jour férié sans qu’une signature du destinataire soit requise.

Afin d’améliorer la structure de la loi, le calcul et la suspension des délais sont réglés dans deux articles distincts. L’art. 38 ne réglera plus que le calcul des délais et aura de ce fait un nouveau titre correspondant, tandis que l’actuel al. 4 sur la suspension des délais figurera dans un nouvel art. 38a avec un titre adéquat.

La phraséologie de l’art. 38 LPGA est comparable à celle de l’art. 20 PA et la réunion de la notification contre signature et sans signature dans un nouvel al. 3, let. a (précédemment al. 2bis) et b (nouvelle) s’inspire de la solution intégrée dans la PA ; les explications fournies peuvent être reprises par analogie (voir le ch. 5.1).

L’al. 3 de la disposition en vigueur règle le cas dans lequel le délai échoit un samedi, un dimanche ou un jour férié. La première phrase reste inchangée, mais figurera au nouvel al. 4, tandis que le contenu de la deuxième est déplacé à l’al. 5.

L’al. 5 disposera donc, comme la deuxième phrase de l’al. 3 actuellement, que le droit cantonal déterminant pour les jours fériés est celui du canton où la partie ou son mandataire a son domicile ou son siège. Il n’y a pas de changement matériel

 

Art. 38a LPGA – Suspension des délais

Les délais en jours ou en mois fixés par la loi ou par l’autorité ne courent pas:
a. du 7e jour avant Pâques au 7e jour après Pâques inclusivement;
b. du 15 juillet au 15 août inclusivement;
c. du 18 décembre au 2 janvier inclusivement.

Le nouvel art. 38a LPGA reprend sans changement l’al. 4 de l’art. 38 LPGA en vigueur. Cela n’implique pas de changement matériel.

 

Communiqué de presse de l’OFJ du 12.02.2025 consultable ici

Message du Conseil fédéral concernant la loi fédérale sur les notifications d’actes le week-end et les jours fériés du 12 février 2025 paru in FF 2025 565 

Projet de modifications paru in FF 2025 566

 

Notificazione postale nei fine settimana: secondo il diritto federale il termine inizia a decorrere soltanto il lunedì, Comunicato stampa dell’Ufficio federale di giustizia del 12.02.2025 disponibile qui

Postzustellung am Wochenende: Fristenlauf soll im Bundesrecht erst am Montag beginnen, Medienmitteilung des Bundesamtes für Justiz vom 12.02.2025 hier abrufbar

 

9C_553/2023 (f) du 14.11.2024 – Valeur probante d’un rapport d’examen SMR / Expertises médicales privées – Divergences médicales – Mise en œuvre d’une nouvelle expertise / Frais d’expertises privées à la charge de l’office AI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_553/2023 (f) du 14.11.2024

 

Consultable ici

 

Valeur probante d’un rapport d’examen SMR / 43 LPGA

Expertises médicales privées – Divergences médicales – Mise en œuvre d’une nouvelle expertise

Frais d’expertises privées à la charge de l’office AI / 45 LPGA

 

Assuré, né en 1969, a travaillé en qualité de magasinier à partir de l’année 1996, puis de cuisinier dès 2003.

Le 18.03.2019, il a déposé une demande AI, en raison de lombalgies sur troubles dégénératifs et d’une dépression réactionnelle. L’office AI a recueilli plusieurs avis médicaux. L’office AI a soumis l’assuré à un examen auprès du Service médical régional de l’assurance-invalidité, Suisse romande (SMR), dont les docteurs G.__, spécialiste en médecine physique et réadaptation, et H.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, ont rendu leur rapport le 22 février 2021. Se fondant sur les conclusions des médecins du SMR, l’office AI a rejeté la demande, par décision du 12.07.2021, au motif que le taux d’invalidité (de 2%) était insuffisant pour ouvrir le droit à des prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 321/21 – 196/2023 – consultable ici)

L’assuré a déféré cette décision au tribunal cantonal. En cours de procédure, il a produit deux expertises, l’une rhumatologique établie par le docteur I.__, spécialiste en rhumatologie, l’autre psychiatrique réalisée par le docteur J.__, spécialiste en psychiatrie et psychothérapie, ainsi qu’un consilium signé par les médecins prénommés. Le docteur K.__, médecin au SMR, s’est exprimé sur les rapports de ses deux confrères ; ceux-ci se sont à leur tour déterminés sur la prise de position du médecin du SMR.

Par arrêt du 20.07.2023, la juridiction cantonale a admis le recours; elle a réformé la décision de l’office AI en ce sens qu’elle a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité pour la période du 01.09.2019 au 31.05.2021. Pour le surplus, elle a renvoyé la cause à l’office AI afin qu’il procède conformément aux considérants de l’arrêt pour la période courant dès le mois de juin 2021. Elle a par ailleurs mis les frais des expertises des docteurs I.__ et J.__ à la charge de l’office AI à hauteur de 10’320 fr., en plus des frais et dépens de la cause.

 

TF

Consid. 5.1
Compte tenu des différences dans les diagnostics et l’appréciation de la capacité de travail de l’assuré, ainsi que de la présence possible d’éléments psychiatriques en l’absence de suivi, le médecin au SMR a demandé la réalisation d’un « examen/expertise » bidisciplinaire rhumatologique et psychiatrique avec conclusions consensuelles. Cette mesure d’instruction a été mise en œuvre auprès du SMR par les docteurs G.__ et H.__. Dans leur rapport du 22 février 2021, ces médecins ont posé le diagnostic incapacitant de « lombalgies chroniques non déficitaires dans le cadre de discopathies et d’arthrose des articulations postérieures, prédominant de L3 à S1 »; ils ont en revanche écarté le diagnostic de dépression réactionnelle évoqué par les médecins traitants (la première fois en 2018), retenant que l’assuré n’avait jamais présenté d’incapacité de travail sur le plan psychiatrique. Pour les médecins du SMR, si la capacité de travail était nulle dans l’activité de cuisinier, elle était en revanche totale dans une activité adaptée depuis le 8 juillet 2019.

Contrairement à ce qu’ont retenu à tort les juges cantonaux, on ne saurait admettre que l’office recourant a violé son obligation d’instruire d’office la demande (cf. art. 43 LPGA) en se fondant sur l’avis des médecins du SMR, sans avoir préalablement mis en œuvre une expertise médicale conformément à la procédure prévue à l’art. 44 LPGA. En effet, il ressort du rapport du SMR que ses auteurs se sont exprimés sur les avis des médecins traitants et qu’ils ont clairement justifié les diagnostics ainsi que leur évaluation de la capacité de travail. Plus particulièrement, en ce qui concerne le diagnostic de dépression réactionnelle évoqué par les médecins traitants, les docteurs G.__ et H.__ ont indiqué les motifs qui les ont conduits à nier la présence d’une quelconque pathologie psychiatrique caractérisée. De plus, ils n’ont laissé indécise aucune question pertinente d’ordre médical. À cet égard, la juridiction cantonale s’est limitée à indiquer que les constatations du médecin traitant faisaient apparaître des doutes suffisants quant au bien-fondé des conclusions du SMR, sans toutefois mentionner en quoi consisteraient ces doutes, ni pour quelle raison l’appréciation des docteurs G.__ et H.__ ne suffisait pas pour évaluer la situation de l’assuré.

Consid. 5.2
Cela étant, les conclusions des experts privés mandatés par l’assuré en procédure cantonale ne concordent pas avec celles des médecins du SMR. Les docteurs I.__ et J.__ ont diagnostiqué un trouble dépressif (épisode actuel moyen), une gonarthrose fémoro-patellaire, un lombodiscarthrose et une arthrose du tarse au pied droit; ces atteintes entraînaient une incapacité de travail totale dans la profession de cuisinier depuis octobre 2018 et dans une activité adaptée du 25.10.2018 au 15.02.2021; à partir du 16.02.2021, l’assuré présentait une capacité de travail de 50% dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles somatiques et psychiques (cf. consilium). Quoi qu’en dise l’office AI recourant, qui soutient que ces conclusions seraient insoutenables en se référant aux avis médicaux du SMR, les expertises privées mettent en doute l’évaluation du SMR du 22 février 2021 sous plusieurs points: ainsi, le docteur I.__ nie que la situation était stabilisée sur le plan rhumatologique avant l’examen auprès du SMR en raison d’une évolution « en dents de scie » jusque-là, tandis que le docteur J.__ fait remonter les effets incapacitants de l’atteinte psychiatrique diagnostiquée à novembre 2018 (cf. consilium du 3 février 2022; rapport du 31 janvier 2022.

Dans ces circonstances, le Tribunal fédéral, comme déjà la juridiction cantonale qui a écarté le rapport du SMR de manière insoutenable (consid. 5.1 supra), est confrontée à des divergences médicales qui ne peuvent être départagées sans la mise en oeuvre d’une nouvelle expertise bi-disciplinaire (en rhumatologie et psychiatrie) confiée à des médecins indépendants. En particulier, si la juridiction cantonale a constaté que l’examen effectué par le docteur J.__ avait mis en évidence des symptômes dépressifs « actuels » de manière convaincante, elle semble admettre qu’une telle atteinte existait déjà antérieurement au motif que l’expert psychiatre privé estimait qu’un diagnostic ne pouvait être écarté « uniquement sur la base du constat ponctuel d’un manque de symptôme au moment de l’examen » comme l’aurait fait le docteur H.__. Or un tel motif apparaît arbitraire, dès lors que le psychiatre du SMR a nié un trouble psychiatrique non seulement sur la base de son examen de l’assuré mais également sur d’autres éléments au dossier (dont la mention d’une « dépression réactionnelle » qui n’a guère été objectivée par les médecins traitants). À défaut de motif convaincant pour départager les avis des experts privés de celui du SMR, les juges cantonaux étaient tenus d’ordonner une expertise judiciaire. La conclusion subsidiaire du recours est dès lors bien fondée et il convient de renvoyer la cause au Tribunal cantonal pour qu’il complète l’instruction, puis rende une nouvelle décision.

 

Consid. 6.2
Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures. À défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Selon la jurisprudence, les frais d’expertise font partie des frais de procédure. Les frais d’expertise privée peuvent être inclus dans les dépens mis à la charge de l’assureur social lorsque cette expertise était nécessaire à la résolution du litige (ATF 115 V 62 consid. 5c; arrêts 9C_519/2020 du 6 mai 2021 consid. 2.2 et les arrêts cités; 8C_971/2012 du 11 juin 2013 consid. 4.2; I 1008/06 du 24 avril 2007 consid. 3).

Consid. 6.3
En l’occurrence, devant la juridiction cantonale, l’assuré est parvenu à susciter un doute sur les conclusions du SMR par le dépôt des expertises privées, de sorte que les juges précédents devront compléter l’instruction de la cause. À cet égard, l’admissibilité de l’imputation des frais d’un rapport médical à l’administration ne suppose pas nécessairement qu’il serve de base à une décision définitive. Il peut suffire qu’il donne lieu à des investigations supplémentaires qui n’auraient pas été ordonnées en son absence (cf. arrêt 9C_395/2023 du 11 décembre 2023 consid. 6.3 et les arrêts cités), ce qui est le cas ici. Par conséquent, les frais relatifs aux rapports des docteurs I.__ et J.__ doivent être imputés à l’office recourant. Sur ce point, l’arrêt attaqué doit être confirmé par substitution de motifs.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_553/2023 consultable ici

 

8C_225/2024+8C_243/2024 (f) du 02.12.2024 – Procédure – Compétence de l’office AI et du tribunal cantonal / 55 al. 1 LAI – 40 al. 2quater RAI – 69 al. 1 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_225/2024+8C_243/2024 (f) du 02.12.2024

 

Arrêt à 5 juges, non publié, consultable ici

 

Procédure – Compétence de l’office AI et du tribunal cantonal / 55 al. 1 LAI – 40 al. 2quater RAI – 69 al. 1 LAI

 

Par décision du 28.11.2023, l’Office cantonal AI du Valais a octroyé à l’assuré, domicilié alors à U.__, une rente entière d’invalidité dès le 01.12.2022. L’assuré a définitivement quitté la Suisse au 31.12.2023 pour s’établir au Portugal.

 

Procédure cantonale

Le 12.01.2024, l’assuré a déféré la décision précitée à la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du Valais (ci-après: le Tribunal cantonal). Par décision du 11.03.2024, la cour cantonale, s’estimant incompétente, a déclaré le recours irrecevable et transmis d’office la cause au Tribunal administratif fédéral (TAF). Par arrêt du 18.03.2024, la Cour III du TAF a également déclaré le recours irrecevable, faute de compétence.

 

TF

Consid. 3.1
Aux termes de l’art. 55 al. 1 LAI, l’office AI compétent est, en règle générale, celui du canton dans lequel l’assuré est domicilié au moment où il exerce son droit aux prestations (première phrase); le Conseil fédéral règle la compétence dans des cas spéciaux (seconde phrase). Selon l’art. 40 al. 1 RAI, est compétent pour enregistrer et examiner les demandes: l’office AI dans le secteur d’activité duquel les assurés sont domiciliés (let. a); l’office AI pour les assurés résidant à l’étranger, sous réserve des al. 2 et 2 bis, si les assurés sont domiciliés à l’étranger (let. b). L’art. 40 al. 2 quater RAI prévoit que si un assuré domicilié en Suisse prend en cours de procédure domicile à l’étranger, la compétence passe à l’office AI pour les assurés résidant à l’étranger.

Consid. 3.2
Dans sa teneur en vigueur depuis le 1 er janvier 2007, l’art. 69 al. 1 LAI dispose qu’en dérogation aux art. 52 et 58 LPGA, les décisions des offices AI cantonaux peuvent directement faire l’objet d’un recours devant le tribunal des assurances du domicile de l’office concerné (let. a); les décisions de l’office AI pour les assurés résidant à l’étranger peuvent directement faire l’objet d’un recours devant le Tribunal administratif fédéral (let. b). Entre le 01.07.2006 et le 31.12.2006, cette disposition avait déjà la même teneur, en dehors des termes « Commission fédérale de recours en matière d’assurance-vieillesse, survivants et invalidité » qui figuraient à la place de ceux de « Tribunal administratif fédéral ». Selon l’art. 69 LAI dans sa teneur en vigueur du 01.01.2003 au 30.06.2006, les décisions et les décisions sur opposition des offices AI peuvent, en dérogation à l’art. 58 al. 1 LPGA, faire l’objet d’un recours auprès du Tribunal des assurances du canton de l’office qui a rendu la décision (al. 1); la commission de recours AVS/AI connaît des recours interjetés par les personnes résidant à l’étranger, en dérogation à l’art. 58 al. 2 LPGA (al. 2, première phrase).

Consid. 4.1
En l’espèce, le Tribunal cantonal a considéré qu’au moment du dépôt de son recours cantonal le 12.01.2024, l’assuré avait quitté définitivement la Suisse au 31.12.2023 pour s’établir au Portugal. La compétence pour traiter le dossier était ainsi passée à l’Office AI pour les assurés résidant à l’étranger (OAIE), de sorte que la compétence de la cour cantonale n’était pas donnée. De son côté, le TAF a retenu que la décision du 28.11.2023 avait été rendue par l’office cantonal AI du Valais, lequel était compétent pour statuer dès lors que le recourant avait quitté la Suisse pour s’installer au Portugal le 31.12.2023, soit après le prononcé de cette décision. Dans ces circonstances, le TAF n’était pas compétent pour connaître du recours du 12.01.2024.

Consid. 4.2
Se plaignant d’une violation du droit fédéral, l’assuré soutient que le Tribunal cantonal serait compétent pour traiter son recours du 12.01.2024, puisqu’il était encore domicilié en Valais au début de la procédure de préavis au sens de l’art. 57a LAI. À défaut, le TAF serait compétent. Le fait que les deux instances ont déclaré le recours irrecevable constituerait également une violation du droit fédéral. 

Consid. 4.3.1
Dans sa décision du 11 mars 2024, le Tribunal cantonal s’est référé à la jurisprudence fédérale (ATF 100 V 53; arrêts 9C_313/2008 du 6 mars 2009 et I 232/03 du 22 janvier 2004) selon laquelle le point de rattachement pour définir la compétence de l’autorité de recours est le domicile civil du recourant au moment du dépôt de son recours, indépendamment de savoir quelle est l’autorité administrative qui a rendu la décision attaquée. Comme l’a fait remarquer la juridiction cantonale, cette jurisprudence se rapporte toutefois à des cas d’application du droit dans son état antérieur à l’entrée en vigueur – le 01.07.2006 – de l’art. 69 al. 1 LAI dans sa teneur actuelle (en dehors du remplacement, dès le 01.01.2007, des termes « Commission fédérale de recours en matière d’assurance-vieillesse, survivants et invalidité » par ceux de « Tribunal administratif fédéral » [cf. consid. 3.2 supra]). Même dans l’arrêt 9C_313/2008, postérieur à l’entrée en vigueur du nouveau droit, le Tribunal fédéral a tranché le litige au regard de l’art. 69 LAI dans sa teneur en vigueur entre le 01.01.2006 et le 30.06.2006 (cf. consid. 4.1 de cet arrêt).

Consid. 4.3.2
Comme relevé par le TAF dans son arrêt du 18 mars 2024, le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion de se prononcer sur des conflits négatifs de compétence entre tribunaux cantonaux sous l’empire du nouveau droit. Il a considéré qu’en vertu de l’art. 69 al. 1 let. a LAI, les recours contre les décisions des offices AI cantonaux devaient être traités par le tribunal des assurances du canton concerné indépendamment du domicile de la personne assurée (arrêt 9C_892/2014 du 6 mars 2015 consid. 2; cf. aussi arrêt 9C_167/2015 du 9 septembre 2015 consid. 1.5). En d’autres termes, la décision d’un office AI cantonal doit être déférée au tribunal des assurances du canton où se situe l’office AI, même si l’assuré installe son domicile en dehors du canton entre le moment où la décision est rendue et le dépôt de son recours. La compétence de l’autorité de recours découle ainsi d’un critère formel, relatif à l’auteur de la décision administrative, et non d’un critère territorial, relatif au domicile de l’assuré, comme tel était le cas sous l’ancien droit pour désigner l’ancienne commission fédérale de recours comme autorité de recours. Ces deux arrêts du Tribunal fédéral concernaient des changements de domicile d’un canton à un autre. Il n’y a toutefois pas de raison qu’il en aille différemment lorsque, comme en l’espèce, la personne assurée quitte définitivement la Suisse après le prononcé de la décision d’un office AI cantonal et est domiciliée à l’étranger au moment du dépôt de son recours. Conformément à l’art. 69 al. 1 let. a LAI, dans un tel cas de figure, l’autorité judiciaire compétente pour traiter le recours est le tribunal des assurances du canton où se situe l’office AI cantonal. En application de l’art. 69 al. 1 let. b LAI, les décisions de l’OAIE doivent en revanche faire l’objet d’un recours auprès du TAF, indépendamment du domicile de l’assuré au moment où il recourt (cf. en ce sens MEYER/REICHMUTH, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Bundesgesetz über die Invalidenversicherung IVG, 4 e éd. 2022, n° 2 ad art. 69 LAI).

Le Tribunal cantonal s’est également appuyé sur l’art. 40 al. 2quater RAI pour nier sa compétence. Cette disposition réglementaire, qui porte sur les cas de transfert de compétence en cours de procédure entre un office AI cantonal et l’OAIE, ne règle toutefois pas la compétence des autorités judiciaires, régie par l’art. 69 al. 1 LAI comme on vient de le voir. Elle n’a donc aucune portée au-delà de la procédure administrative, qui se termine par la décision d’un office AI cantonal ou de l’OAIE.

Consid. 4.4
Au vu de ce qui précède, le Tribunal cantonal est l’autorité judiciaire compétente pour traiter le recours du 12.01.2024 dirigé contre la décision de l’office intimé du 28.11.2023. Le recours en matière de droit public contre la décision du Tribunal cantonal du 11.03.2024 doit donc être admis, avec pour conséquence l’annulation de cette décision. La cour cantonale devra ainsi entrer en matière sur le recours du 12.01.2024. Le recours en matière de droit public contre l’arrêt du TAF du 18.03.2024 doit en revanche être rejeté dans la mesure de sa recevabilité.

Consid. 5
Le recourant, qui a été contraint de recourir à la fois contre la décision du 11.03.2024 et l’arrêt du 18.03.2024 pour sauvegarder ses droits, obtient gain de cause et ne peut donc pas se voir imputer des frais judiciaires. Il en va de même de l’office intimé, qui ne s’est pas prononcé sur les recours et ne voit pas sa décision du 28.11.2023 annulée ou réformée. Conformément à l’art. 66 al. 4 LTF, des frais judiciaires ne peuvent pas non plus être mis à la charge du Tribunal cantonal, et encore moins à la charge du TAF. Par conséquent, on renoncera à percevoir des frais judiciaires. Le recourant a droit à des dépens à la charge de l’État du Valais (cf. arrêt 8C_750/2018 du 6 mai 2019 consid. 6, non publié in ATF 145 V 247, et les arrêts cités).

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_225/2024+8C_243/2024 consultable ici

 

8C_32/2024 (f) du 04.11.2024 – Début du droit à l’allocation pour impotent – Dépôt de la demande par le père de l’assuré avant de devenir curateur de représentation et de gestion, avec pouvoir de représentation envers les tiers

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_32/2024 (f) du 04.11.2024

 

Consultable ici

 

Début du droit à l’allocation pour impotent – Dépôt de la demande par le père de l’assuré avant de devenir curateur de représentation et de gestion, avec pouvoir de représentation envers les tiers / 48 LAI – 66 RAI – 394 CC – 395 CC

Domicile et résidence habituelle en Suisse / 42 al. 1 LAI – 13 LPGA

 

Assuré né le 01.09.1996, atteint d’un autisme sévère avec retard mental dû (délétion du bras long du cinquième chromosome). À la suite d’une demande de prestations AI déposée le 12.07.2021 par son père, l l’office AI a reconnu le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité à compter du 01.01.2022.

Le 25.03.2022, une demande d’allocation pour impotent a été déposée par le père de l’assuré.

Par décision du 25.08.2022, la Justice de paix a institué une curatelle de représentation et de gestion au sens des art. 394 al. 1 et 395 al. 1 CC en faveur de l’assuré et nommé ses parents co-curateurs, avec pouvoir de représentation envers les tiers.

Se fondant sur un rapport d’évaluation de l’impotence du 22.12.2022, l’office AI a reconnu, par projet de décision du 23.12.2022, le droit à une allocation pour impotent de degré moyen à domicile dès octobre 2014 (1er mois suivant le 18e anniversaire de l’assuré). En raison du dépôt tardif de la demande, les prestations ne pouvaient être accordées que pour les douze mois précédant le dépôt de la demande, soit dès le 01.03.2021.

Une première décision du 21.02.2023 octroyait à l’assuré une allocation pour impotent de degré moyen à partir du 01.09.2014 avec un montant rétroactif de 120’650 fr. Cependant, cette décision a été annulée par la Caisse de compensation AVS. Une nouvelle décision, également datée du 21.02.2023, a finalement accordé l’allocation pour impotent de degré moyen à partir du 01.03.2021, avec un montant rétroactif réduit à 28’740 fr.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 95/23 – 341/2023 – consultable ici)

Par jugement du 06.12.2023, admission partielle par le tribunal cantonal du recours déposé par le père de l’assuré, réformant la décision litigieuse en fixant le début du droit à l’allocation pour impotent au 01.03.2017.

 

TF

Consid. 4.1 [résumé]

Les juges cantonaux ont reconnu que l’assuré, en raison de son handicap, était incapable de comprendre sa situation et d’agir pour faire valoir son droit aux prestations au sens de l’art. 48 al. 2 let. a LAI.  Ils ont ensuite examiné si la connaissance de ces faits par ses parents pouvait affecter son droit aux prestations arriérées.

L’instance cantonale a constaté que les parents n’étaient devenus représentants légaux de l’assuré que le 25.08.2022, date à laquelle ils ont été nommés co-curateurs de représentation et de gestion, avec pouvoir de représentation envers les tiers. Avant cette date, ils étaient considérés comme des tiers au sens de l’art. 66 RAI, auxquels la jurisprudence refuse précisément un devoir d’agir, du moins tant et aussi longtemps qu’ils ne sont pas chargés d’une représentation légale de l’ayant droit. Par conséquent, le tribunal cantonal a estimé qu’on ne pouvait imputer ni à l’assuré ni à ses parents le devoir de déposer une demande de prestations en temps utile.

Le tribunal cantonal a conclu que le point de départ du délai de douze mois pour faire valoir le droit aux prestations avait débuté le 25.08.2022. Dès lors que la demande formelle du 25.03.2022 avait été déposée avant le point de départ de ce délai de douze mois, par des parents qui en avaient le droit en tant que tiers énumérés à l’art. 66 RAI, elle satisfaisait à la condition de l’art. 48 al. 2 LAI, de sorte que les prestations arriérées pouvaient être allouées pour une période plus longue que la règle des douze mois.

Consid. 5.1
Aux termes de l’art. 48 al. 1 LAI, si un assuré ayant droit à une allocation pour impotent, à des mesures médicales ou à des moyens auxiliaires présente sa demande plus de douze mois après la naissance de ce droit, la prestation, en dérogation à l’art. 24, al. 1, LPGA, n’est allouée que pour les douze mois précédant le dépôt de la demande.

Selon l’art. 48 al. 2 LAI, les prestations arriérées sont allouées à l’assuré pour des périodes plus longues s’il ne pouvait pas connaître les faits ayant établi son droit aux prestations (let. a) et s’il a fait valoir son droit dans un délai de douze mois à compter de la date à laquelle il a eu connaissance de ces faits (let. b). Selon l’art. 24 al. 1 LPGA, le droit à des prestations arriérées s’éteint cinq ans après la fin du mois pour lequel elles étaient dues.

Consid. 5.2
Par faits établissant le droit aux prestations au sens de l’art. 48 al. 2 let. a LAI, on entend, par analogie avec les art. 4 et 5 LAI et 8 et 9 LPGA, l’atteinte à la santé physique, mentale ou psychique qui entraîne un besoin présumé permanent ou de longue durée d’aide ou de surveillance pour accomplir les actes ordinaires de la vie (ATF 139 V 289 consid. 4.2). Selon la jurisprudence, l’art. 48 al. 2 let. a LAI s’applique lorsque la personne assurée ne connaissait pas ou ne pouvait pas connaître les faits ayant établi son droit aux prestations ou que, bien qu’elle en ait eu connaissance, elle ait été empêchée pour cause de maladie de déposer une demande ou de charger quelqu’un du dépôt de la demande. Un tel état de fait n’est admis que de manière très restrictive par la jurisprudence, notamment en cas de schizophrénie (arrêts du Tribunal fédéral des assurances I 824/05 du 20 février 2006 consid. 4.3; I 705/02 du 17 novembre 2003 consid. 4.3; I 141/89 du 1er mars 1990 consid. 2b), en cas de trouble grave de la personnalité narcissique et dépressive au sens d’un état borderline à la limite de la psychose schizophrénique (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 418/96 du 12 novembre 1997 consid. 3b), en cas de trouble grave de la personnalité (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 205/96 du 21 octobre 1996 consid. 3c), en cas d’incapacité de discernement due à une maladie psychique grave (non précisée) (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 71/00 du 29 mars 2001 consid. 3a); éventuellement aussi en cas de dépression grave (ATF 102 V 112 consid. 3) ou de troubles de la personnalité avec alcoolisme chronique secondaire (arrêt du Tribunal fédéral des assurances I 149/99 du 16 mars 2000 consid. 3b).

Par ailleurs, seule compte la connaissance des faits fondant le droit, c’est-à-dire la connaissance de l’état de santé correspondant, et non pas la question de savoir si l’on peut en déduire un droit à une allocation pour impotent. L’art. 48 al. 2 LAI ne s’applique en revanche pas lorsque l’assuré, respectivement son représentant légal, connaissait ces faits mais ignorait qu’ils donnent droit à des prestations de l’assurance-invalidité (ATF 102 V 112 consid. 1a).

Consid. 6.1
Aux termes de l’art. 66 al. 1 RAI, l’exercice du droit aux prestations appartient à l’assuré ou à son représentant légal ainsi qu’aux autorités ou tiers qui l’assistent régulièrement ou prennent soin de lui de manière permanente. Si l’assuré n’exerce pas lui-même le droit aux prestations, il doit autoriser les personnes et les instances mentionnées à l’art. 6a LAI à fournir aux organes de l’assurance-invalidité tous les renseignements et les documents nécessaires pour établir ce droit et le bien-fondé de prétentions récursoires (al. 1bis). Si l’assuré est incapable de discernement, son représentant légal accorde l’autorisation visée à l’art. 6a LAI en signant la demande (al. 2).

Consid. 6.2
Dans l’arrêt déjà cité du 6 mai 2013 publié aux ATF 139 V 289, le Tribunal fédéral a confirmé la jurisprudence du Tribunal fédéral des assurances (ATF 108 V 226 consid. 3 et 102 V 112 consid. 2c), dans lequel ce dernier avait retenu, s’agissant du champ d’application de l’art. 48 al. 2 deuxième phrase LAI (dès le 1er janvier 2012: art. 48 al. 2 let. a et b LAI), que pour le paiement rétroactif concernant une période qui remonte au-delà des douze mois précédant le dépôt de la demande, est déterminante la connaissance de l’état de fait ouvrant droit à prestations de la part de la personne assurée ou de son représentant légal. Le fait que les tiers désignés à l’art. 66 RAI, autorisés à faire valoir le droit aux prestations, aient au besoin déjà eu connaissance de l’état de fait ouvrant droit à prestations à un moment antérieur ne s’oppose pas à un tel droit au paiement rétroactif.

Consid. 6.3.1
Dans l’ATF 139 V 289, c’est le fils de l’assurée qui avait déposé en avril 2009 une demande d’allocation pour impotence grave en faveur de sa mère atteinte de multiples pathologies. Le droit aux prestations existait depuis le 1er janvier 2005 mais l’allocation n’avait été octroyée qu’à partir du 1er avril 2008, soit douze mois avant le dépôt de la demande. Le Tribunal fédéral a considéré que même si le fils de l’assurée connaissait l’état de santé qui avait entraîné une impotence grave et qu’il aurait pu annoncer sa mère plus tôt – seule son ignorance du droit l’en avait empêché – l’assurée pouvait bénéficier d’un droit au paiement rétroactif de l’allocation pour impotent à partir du 1er janvier 2005 déjà. Dans l’arrêt H 22/02 du 8 juillet 2002, l’assurée, qui souffrait de démence sénile, se trouvait dans un établissement de soins depuis 1995. Le Tribunal fédéral a jugé que la demande d’allocation pour impotent déposée par le mari de l’assurée le 22 février 2000 était tardive et que c’était à juste titre que le paiement rétroactif de l’allocation n’entrait en ligne de compte que pour la période à partir du 1er février 1999, soit pour les douze mois précédant le dépôt de la demande. Les conditions pour un paiement rétroactif plus étendu n’étaient pas remplies, étant donné que le mari de l’assuré était son curateur et qu’il connaissait les faits établissant son droit aux prestations. Dans un arrêt I 141/89 du 1er mars 1990, l’assurée, privée de la capacité de discernement en raison de sa maladie mentale, ne pouvait pas connaître les faits établissant son droit aux prestations. Le Tribunal fédéral des assurances avait jugé que le fait d’être pourvue d’un représentant légal provisoire, lequel avait été empêché de se rendre compte de la gravité de la situation de l’assurée, n’empêchait pas que l’assurée soit mise au bénéfice de l’art. 48 al. 2 LAI. Par ailleurs, le fait que la soeur de l’assurée – à l’origine des démarches visant à obtenir des prestations de l’AI – avait selon toute vraisemblance pu se rendre compte depuis plusieurs années de la maladie, ne suffisait pas non plus à exclure l’application dans le cas d’espèce de l’art. 48 al. 2 LAI, de sorte que l’assurée avait eu droit au versement rétroactif de sa rente d’invalidité.

Consid. 6.3.2
Il résulte de la jurisprudence précitée (consid. 6.3.1 supra), laquelle n’est au demeurant pas remise en cause en tant que telle par les parties, que lorsque la personne assurée n’est pas en mesure de connaître les faits ouvrant son droit aux prestations, il ne s’impose de lui imputer ce que savait et devait savoir un tiers qui l’assiste régulièrement ou prend soin d’elle de manière permanente que si cette personne est officiellement son représentant légal et qu’elle pouvait à son tour connaître les faits établissant le droit aux prestations.

Consid. 7.1
L’autorité de protection de l’adulte prend les mesures appropriées pour garantir l’assistance et la protection de la personne qui a besoin d’aide (art. 388 CC) dans le respect des principes de subsidiarité et de proportionnalité (art. 389 CC). Selon l’art. 390 al. 1 ch. 1 CC, l’autorité de protection de l’adulte institue une curatelle lorsqu’une personne majeure est partiellement ou totalement empêchée d’assurer elle-même la sauvegarde de ses intérêts en raison d’une déficience mentale, de troubles psychiques ou d’un autre état de faiblesse qui affecte sa condition personnelle. Aux termes de l’art. 394 al. 1 CC, une curatelle de représentation est instituée lorsque la personne qui a besoin d’aide ne peut accomplir certains actes et doit de ce fait être représentée. L’art. 395 al. 1 CC permet par ailleurs à l’autorité de protection de l’adulte d’instituer une curatelle ayant pour objet la gestion du patrimoine, en déterminant les biens sur lesquels portent les pouvoirs du curateur; celle-ci est donc une forme spéciale de la curatelle de représentation, destinée à protéger les intérêts d’une personne dans l’incapacité de gérer son patrimoine quel qu’il soit, l’étendue de la mesure étant déterminée par le besoin de protection concret au regard des circonstances (arrêts 5A_103/2024 du 26 septembre 2024 consid. 3.2; 5A_567/2023 du 25 janvier 2024 consid. 3.1.3; 5A_319/2022 du 17 juin 2022 consid. 5.1; 5A_192/2018 du 30 avril 2018 consid. 3.1). Il n’est pas nécessaire que l’intéressé soit incapable de discernement, le besoin de protection et d’aide suffit (HAUSHEER/GEISER/AEBI-MÜLLER, Das neue Erwachsenenschutzrecht, 2 e éd. 2014, n° 2.102 p. 64).

Consid. 7.2
L’art. 389 CC soumet toutes les mesures de protection aux principes de subsidiarité et de proportionnalité. L’application du principe de subsidiarité implique que l’autorité de protection de l’adulte ne peut ordonner une telle mesure que si l’aide dont a besoin la personne concernée ne peut pas être procurée par sa famille, ses proches ou par les services publics ou privés compétents (art. 389 al. 1 ch. 1 CC). Si l’autorité de protection de l’adulte constate que l’aide apportée par ce cercle de personnes ne suffit pas ou estime d’emblée qu’elle sera insuffisante, elle doit ordonner une mesure qui respecte le principe de la proportionnalité, à savoir une mesure nécessaire et appropriée (art. 389 al. 2 CC; ATF 140 III 49 consid. 4.3.1 et les références; parmi d’autres: arrêts 5A_567/2023 précité consid. 3.1.2; 5A_682/2022 du 8 juin 2023 consid. 3.1; 5A_221/2021 du 7 décembre 2021 consid. 5.1).

Consid. 7.3
Le curateur institué devient le représentant légal de la personne concernée dans le cadre des tâches qui lui sont confiées; il l’engage valablement par ses actes ou omissions (YVO BIDERBOST, in Basler Kommentar, Zivilgesetzbuch, Band I: Art. 1-456 ZGB, 7 e éd. 2022, n° 18 ad art. 394 CC). L’institution d’une curatelle de représentation n’entraîne pas automatiquement une limitation de l’exercice des droits civils de la personne concernée, à moins que l’autorité de protection de l’adulte n’en décide autrement (art. 394 al. 2 CC; AUDREY LEUBA, in Commentaire romand, Code civil I: Art. 1-456 CC, 2 e éd. 2024, n° 17 ss ad art. 394 CC). Par ailleurs, contrairement à ce qui est le cas lors de l’institution d’une mesure de curatelle de portée générale, la curatelle de représentation, même doublée d’une restriction de la capacité civile, n’a aucun impact sur le domicile volontaire (art. 23 et 26 CC) de la personne concernée (AUDREY LEUBA, op. cit., n° 32 ad art. 394 CC).

Consid. 7.4
Selon l’art. 16 CC, est capable de discernement toute personne qui n’est pas privée de la faculté d’agir raisonnablement en raison de son jeune âge, de déficience mentale, de troubles psychiques, d’ivresse ou d’autres causes semblables. La notion de capacité de discernement contient deux éléments: un élément intellectuel, la capacité d’apprécier le sens, l’opportunité et les effets d’un acte déterminé, et un élément volontaire ou caractériel, la faculté d’agir en fonction de cette compréhension raisonnable, selon sa libre volonté. La capacité de discernement ne doit pas être appréciée abstraitement mais en rapport avec un acte déterminé, selon la difficulté et la portée de cet acte (ATF 144 III 264 consid. 6.1.1; 134 II 235 consid. 4.3.2). On peut donc imaginer qu’une personne dont la capacité de discernement est généralement réduite puisse tout de même exercer certaines tâches quotidiennes et soit capable de discernement pour les actes qui s’y rapportent; pour des affaires plus complexes, en revanche, on pourra dénier sa capacité de discernement. Alors que l’expérience de la vie plaide généralement en faveur de la présomption de capacité de discernement, cette présomption trouve ses limites et s’inverse là où, en raison de l’état de santé général de la personne concernée, l’expérience de la vie plaide en faveur du fait que la personne doit généralement être considérée comme incapable de discernement (ATF 124 III 5 consid. 4b).

Consid. 7.5
En l’occurrence, l’assuré a atteint sa majorité le 01.09.2014. À partir de cette date, il n’était plus sous autorité parentale. Ses parents n’ont été nommés curateurs de leur fils qu’à partir du 25.08.2022. Pendant la période comprise entre le 01.09.2014 et le 25.08.2022, l’assuré ne disposait donc pas de représentant légal. Rien n’indique, contrairement à ce qu’allègue l’office AI recourant, que ce sont les parents de l’assuré qui ont tardé à requérir une curatelle officielle pour leur fils. Ces derniers ont expliqué dans leur réponse au recours que lorsqu’ils avaient voulu annoncer leur fils au contrôle des habitants lors de leur arrivée en Suisse, ils avaient été orientés dans un premier temps vers l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte qui n’avait pas jugé nécessaire de faire instaurer une curatelle pour établir le domicile de leur fils à Zurich. Lorsque le père de l’assuré a déposé, le 12.07.2021, une première demande de prestations d’assurance-invalidité en faveur de son fils, il n’était pas encore son curateur. Implicitement tout au moins, l’autorité de protection de l’enfant et de l’adulte a admis que les parents de l’assuré aider ce dernier dans ses démarches pour demander des prestations de l’assurance-invalidité en qualité de tiers qui l’assistent régulièrement ou prennent soin de lui de manière permanente, sans qu’il soit nécessaire de lui nommer un représentant légal. Au moment du dépôt de la demande d’allocation pour impotent le 25.03.2022, le père de l’assuré est donc intervenu en qualité de tiers au sens de l’art. 66 RAI, et non en qualité de représentant légal de son fils (art. 304 al. 1 CC a contrario). La situation a changé lorsque les parents de l’assuré ont été nommés ses co-curateurs avec pouvoirs de représentation, notamment dans les affaires sociales et les affaires juridiques. C’est seulement à partir de l’institution de cette mesure de curatelle de représentation que les parents de l’assuré sont devenus ses représentants légaux en l’engageant valablement par leurs actes ou omissions. Dans ces circonstances, c’est sans arbitraire que la juridiction cantonale a considéré que l’assuré ne pouvait pas se voir imputer l’ignorance du droit par ses parents avant la décision du 25.08.2022 et que par conséquent, il pouvait – sous réserve que les autres conditions du droit à la prestation fussent remplies – bénéficier de prestations arriérées pour une période de cinq ans au plus (cf. art. 24 al. 1 LPGA) à compter du dépôt de la demande de prestations, soit dès le 01.03.2017.

Consid. 8.1
Dans un grief très subsidiaire, l’office AI fait encore valoir que si l’on devait considérer que les parents de l’assuré n’avaient pas été ses représentants légaux avant la décision de la Justice de paix du 25.08.2022, l’assuré n’aurait pas pu, en l’absence de discernement, se constituer un domicile en Suisse, lequel est une condition du droit à l’allocation pour impotent.

Consid. 8.2
En vertu de l’art. 42 al. 1 LAI, les assurés impotents (art. 9 LPGA) qui ont leur domicile et leur résidence habituelle (art. 13 LPGA) en Suisse ont droit à une allocation pour impotent. Cette disposition pose explicitement l’exigence, entres autres conditions, du domicile et de la résidence habituelle en Suisse (ATF 135 V 249 consid. 4.4).

Consid. 8.3
En vertu de l’art. 13 LPGA, le domicile correspond au domicile civil selon les art. 23 à 26 CC (al. 1), tandis que la résidence habituelle correspond au lieu où la personne concernée séjourne un certain temps même si la durée de ce séjour est d’emblée limitée (al. 2; cf. ATF 141 V 530 consid. 5.1).

Consid. 8.3.1
Au sens des art. 13 al. 1 LPGA et 23 al. 1, 1re phrase, CC, le domicile civil de toute personne est au lieu où elle réside avec l’intention de s’y établir. La notion de domicile contient deux éléments: d’une part, la résidence, soit un séjour d’une certaine durée dans un endroit donné et la création en ce lieu de rapports assez étroits et, d’autre part, l’intention de se fixer pour une certaine durée au lieu de sa résidence qui doit être reconnaissable pour les tiers et donc ressortir de circonstances extérieures et objectives (ATF 143 II 233 c. 2.5.2; 141 V 530 c. 5.2; 137 II 122; 127 V 237). Cette intention implique la volonté manifestée de faire d’un lieu le centre de ses relations personnelles et professionnelles. L’intention de se constituer un domicile volontaire suppose que l’intéressé soit capable de discernement au sens de l’art. 16 CC. Cette exigence ne doit toutefois pas être appréciée de manière trop sévère (ATF 134 V 236 consid. 2.1; 127 V 237 consid. 2c) et peut être remplie par des personnes présentant une maladie mentale (ATF 143 II 233 c. 2.5.2; 141 V 530 c. 5.2).

L’intention d’une personne de se fixer au lieu de sa résidence ne doit pas être examinée de façon subjective, au regard de sa volonté interne, mais à la lumière de circonstances objectives, reconnaissables pour les tiers, permettant de conclure à l’existence d’une telle intention. Pour savoir quel est le domicile d’une personne, il faut tenir compte de l’ensemble de ses conditions de vie, le centre de son existence se trouvant à l’endroit, lieu ou pays, où se focalisent un maximum d’éléments concernant sa vie personnelle, sociale et professionnelle, de sorte que l’intensité des liens avec ce centre l’emporte sur les liens existant avec d’autres endroits ou pays (ATF 125 III 100 consid. 3). Déterminer les conditions de vie d’une personne, son comportement et les liens concrets qu’elle entretient avec un lieu donné relève de l’établissement des faits. En revanche, la conclusion qu’il faut en tirer quant à l’intention de s’établir durablement est une question de droit (cf. ATF 136 II 405 consid. 4.3; 97 II 1 consid. 3; arrêt 4A_588/2017 du 6 avril 2018 consid. 3.2.1).

Consid. 8.3.2
Par résidence habituelle au sens de l’art. 13 al. 2 LPGA, il convient de comprendre la résidence effective en Suisse (« der tatsächliche Aufenthalt ») et la volonté de conserver cette résidence; le centre de toutes les relations de l’intéressé doit en outre se situer en Suisse (ATF 119 V 111 consid. 7b et la référence). La notion de résidence doit être comprise dans un sens objectif, de sorte que la condition de la résidence effective en Suisse n’est en principe plus remplie à la suite d’un départ à l’étranger.

Consid. 8.4
En l’espèce, s’il ne fait pas de doutes que la première des deux conditions cumulatives de l’art. 23 al. 1 CC, soit le séjour d’une certaine durée en Suisse, est réalisée dans le cas de l’assuré, la seconde condition mérite un examen plus approfondi.

Consid. 8.4.1
On relèvera tout d’abord qu’il n’est pas établi, contrairement à ce qu’affirme l’office AI recourant, que l’assuré était privé de sa capacité de discernement, que ce soit au moment de son arrivée en Suisse ou par après. Les juges cantonaux ont certes retenu que l’assuré ne disposait pas d’une capacité de jugement adéquat quant à son état de santé. Ils n’ont cependant pas constaté que ce dernier était incapable de discernement au sens de l’art. 16 CC a contrario. Quoi qu’il en soit, on a vu que la capacité de discernement est une notion relative devant être appréciée concrètement par rapport à un acte déterminé, en fonction de sa nature et de son importance (cf. consid. 7.4 supra; voir aussi ATF 150 III 147 consid. 7.6.1). Elle ne doit en outre pas être appréciée de manière trop sévère lorsqu’elle l’est en lien avec l’intention de se fixer pour une certaine durée au lieu de sa résidence (cf. consid. 8.3.1 supra).

Consid. 8.4.2
Il ressort des faits constatés dans l’arrêt attaqué que l’assuré est arrivé en Suisse avec ses parents en mai 2015 et qu’il y réside depuis lors. En raison de son handicap, il dépend de l’assistance de ses parents. Il ne travaille pas, ne séjourne pas dans une institution, même temporairement, mais vit depuis toujours avec ses parents. D’un point de vue objectif, le centre des relations de l’assuré se trouve donc au lieu de résidence de ses parents, lieu où il dort, passe son temps libre et laisse ses effets personnels (DANIEL STAEHELIN, in Basler Kommentar, n° 6 ad art. 23 CC). Au regard des circonstances du cas d’espèce, il y a lieu d’en déduire que l’assuré avait son domicile civil et sa résidence habituelle en Suisse depuis 2015 jusqu’à ce jour. L’office AI n’a du reste pas remis en cause le domicile en Suisse de l’assuré lorsqu’il lui a reconnu le droit à une rente d’invalidité à compter du 01.01.2022.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

Arrêt 8C_32/2024 consultable ici