9C_304/2020 (f) du 08.07.2020 – Obligation de diminuer le dommage – Réadaptation par soi-même / Revenu d’invalide effectif après mesures de réadaptation – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_304/2020 (f) du 08.07.2020

 

Consultable ici

 

Obligation de diminuer le dommage – Réadaptation par soi-même

Revenu d’invalide effectif après mesures de réadaptation / 16 LPGA

Le fait d’effectuer pour un même taux d’activité (100%) un nombre d’heures de travail hebdomadaire plus important depuis la survenance de son atteinte à la santé sans pertinence

 

Assuré, né en 1967, a travaillé comme ouvrier de forage et conducteur d’engin de forage à plein temps du 27.04.2009 au 31.07.2012. Victime d’un arrêt de travail survenu le 01.12.2009, il a été mis en arrêt de travail complet. Après avoir tenté une reprise de son activité professionnelle, il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 11.10.2012.

Selon le SMR, l’assuré pouvait depuis le 16.04.2012 exercer à plein temps une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites. L’office AI a pris en charge le coût d’un reclassement professionnel dès le 13.06.2014, notamment de logisticien, avec permis de conduire de camion et de cariste. Au terme de la formation, l’assuré a été engagé comme chauffeur à 100% dès le 01.06.2017. L’office AI a rejeté la demande de prestations; il a nié en particulier le droit de l’assuré à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 31.03.2020, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Dans le domaine de l’assurance-invalidité, on applique de manière générale le principe selon lequel un invalide doit, avant de requérir des prestations, entreprendre de son propre chef tout ce qu’on peut raisonnablement attendre de lui, pour atténuer le mieux possible les conséquences de son invalidité; c’est pourquoi un assuré n’a pas droit à une rente lorsqu’il serait en mesure, au besoin en changeant de profession, d’obtenir un revenu excluant une invalidité ouvrant droit à une rente. La réadaptation par soi-même est un aspect de l’obligation de diminuer le dommage et prime aussi bien le droit à une rente que celui à des mesures de réadaptation. Le point de savoir si une mesure peut être exigée d’un assuré doit être examiné au regard de l’ensemble des circonstances objectives et subjectives du cas concret (ATF 138 I 205 consid. 3.2 p. 209 et les références).

 

Consid. 5.2
En ce qui concerne le revenu d’invalide, il doit être évalué avant tout en fonction de la situation professionnelle concrète de l’assuré. Si l’activité exercée après la survenance de l’atteinte à la santé repose sur des rapports de travail particulièrement stables, qu’elle met pleinement en valeur la capacité de travail résiduelle exigible et que le gain obtenu, qui correspond au travail effectivement fourni, ne contient pas d’élément de salaire social, c’est le revenu effectivement réalisé qui doit être pris en compte pour fixer le revenu d’invalide (ATF 143 V 295 consid. 2.2 p. 296; 139 V 592 consid. 2.3 p. 593; 126 V 75 consid. 3b/aa p. 76; 117 V 8 consid. 2c/aa p. 17 et les références).

En se limitant à mentionner qu’il doit effectuer pour un même taux d’activité (100%) un nombre d’heures de travail hebdomadaire plus important depuis la survenance de son atteinte à la santé, l’assuré ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter de la jurisprudence constante (sur les conditions d’un changement de jurisprudence, ATF 144 V 72 consid. 5.3.2 p. 77). Du fait déjà que les activités exercées avant et après l’invalidité ne sont pas les mêmes, le nombre d’heures effectuées dans l’une et l’autre branche professionnelle n’ont pas à être « comparées de manière proportionnelle » comme le voudrait l’assuré. On ne saurait y voir une inégalité de traitement. Il ne prétend par ailleurs pas que l’on ne pourrait pas raisonnablement attendre de lui, pour atténuer le mieux possible les conséquences de son atteinte à la santé, de travailler à plein temps dans sa nouvelle activité professionnelle. Les premiers juges ont dès lors fixé à bon droit le revenu d’invalide de l’assuré à 62’400 fr., soit au revenu effectivement réalisé par celui-ci après son reclassement professionnel.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_304/2020 consultable ici

 

4A_563/2019 (f) du 14.07.2020 – ATF 146 III 339 – Assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie LCA – Distinction entre une assurance de sommes et une assurance de dommages

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_563/2019 (f) du 14.07.2020, ATF 146 III 339

 

Arrêt 4A_563/2019 consultable ici – ATF 146 III 339

 

Assurance collective d’indemnités journalières en cas de maladie LCA – Distinction entre une assurance de sommes et une assurance de dommages

Droit à l’indemnité journalière après résiliation des rapports de travail – Vraisemblance de l’exercice d’une activité lucrative sans l’atteinte à la santé

 

L’entreprise C.__ AG a engagé l’assuré en qualité de chef de projet, par contrat de travail prenant effet le 01.02.2016 avec un temps d’essai de trois mois. A ce titre, le prénommé bénéficiait de l’assurance collective perte de gain maladie conclue par l’employeuse auprès de la compagnie B.__ SA (ci-après : la société d’assurance).

Le 10.03.2016, l’assuré a été licencié pour le 20.03.2016, « conformément au délai légal de 7 jours durant la période d’essai ». Ce même jour, il a consulté son psychiatre traitant, qui a diagnostiqué un épisode dépressif sévère. Le médecin a délivré un certificat d’incapacité de travail à 100 % renouvelé chaque mois depuis lors. A l’expiration d’un délai d’attente de 60 jours, la société d’assurance a versé à l’assuré de pleines indemnités journalières du 09.05.2016 au 14.06.2016, puis des demi-indemnités du 15.06.2016 au 14.07.2016.

Atteint d’une maladie polykystique rénale, l’assuré souffre d’une insuffisance rénale qui s’est aggravée au point d’annihiler sa capacité de travail depuis le 30.05.2016. Ultérieurement, il est apparu que l’assuré avait besoin d’une dialyse, voire d’une transplantation.

Le 21.08.2016, l’assuré a déposé une demande de prestations auprès de l’assurance-invalidité en raison d’un état anxio-dépressif dû à un conflit au travail (depuis le 10.03.2016) et un début d’insuffisance rénale (dès le 30.05.2016). Le service médical régional de l’assurance-invalidité a considéré que la capacité de travail de l’assuré était nulle dans toute activité dès le 10.03.2016. L’office AI a mis l’assuré au bénéfice d’une rente entière d’invalidité, à compter du 01.03.2017.

L’assuré a vainement demandé à la société d’assurance qu’elle poursuive le versement des indemnités journalières. La société d’assurance a confirmé son refus de prester en arguant du fait que l’assuré n’éprouvait aucun dommage. Même sans l’affection qui s’était déclarée le jour du licenciement, il n’aurait pas pu toucher des indemnités de chômage – le délai-cadre d’indemnisation ayant été épuisé -, et il n’y avait pas lieu de penser qu’il aurait retrouvé, rapidement ou non, un nouvel emploi. C’était donc à tort que des indemnités journalières lui avaient été servies du 09.05.2016 au 14.07.2016. Eu égard au délai écoulé et afin de ne pas placer l’assuré dans la gêne, la société d’assurance renonçait à demander la restitution du montant corrélatif; en revanche, elle excluait de verser de plus amples prestations.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/890/2019 – consultable ici)

Par jugement du 01.10.2019, rejet intégral de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 5.1
La Cour de justice genevoise a jugé en substance que pour avoir droit à des indemnités journalières, l’assuré devait subir une perte effective sur le plan économique du fait de l’état dépressif affectant sa capacité de travail. L’assurance en cause était une assurance collective qui, de par sa nature, était généralement conclue sous la forme d’une assurance de dommages. Cet axiome était en l’occurrence confirmé par les conditions générales : le montant de l’indemnité dépendait de l’importance de l’incapacité de travail; elle était calculée sur la base du salaire effectif et pouvait être diminuée en cas de surindemnisation.

L’assuré était tombé malade consécutivement à la résiliation de son contrat de travail. Il avait épuisé son droit aux prestations de l’assurance-chômage antérieurement à son engagement du 01.02.2016 et n’avait pas cotisé suffisamment pour entraîner l’ouverture d’un nouveau délai-cadre d’indemnisation. Il devait ainsi établir, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu’il aurait exercé une activité lucrative s’il n’avait pas souffert de troubles psychiques. Or, il avait échoué à rapporter une telle preuve. En effet, il n’avait pas établi avoir été l’objet d’une offre d’emploi sérieuse, les deux attestations produites étant inopérantes. Au demeurant, l’atteinte rénale dont il souffrait ne permettait pas de considérer qu’il aurait été apte à reprendre une quelconque activité, même en l’absence de troubles psychiques.

Consid. 5.2.3
La distinction entre assurance de sommes et assurance de dommages a occupé de longue date la doctrine et la jurisprudence. L’assurance de sommes garantit une prestation prédéfinie lors de la conclusion du contrat, qui doit être versée si l’événement assuré survient, sans égard à ses conséquences pécuniaires et à l’existence d’un possible dommage. En revanche, dans une assurance contre les dommages, les cocontractants font de la perte patrimoniale effective une condition autonome du droit aux prestations; une telle assurance vise à compenser totalement ou partiellement un dommage effectif. Toute assurance vise à parer à d’éventuels revers de fortune. Le critère de distinction ne réside donc pas dans le but, mais bien dans les conditions de la prestation d’assurance (cf. entre autres ATF 119 II 361 consid. 4 p. 364 s.; ATF 104 II 44 consid. 4c; arrêts 4A_367/2016 du 20 mars 2017 consid. 3.2; 4A_53/2007 du 26 septembre 2007 consid. 4.4.2; GERHARD STOESSEL, Schadens- und Summenversicherung: Diskussion seit hundert Jahren, in Mélanges du Bureau National Suisse d’Assurance […], 2000, p. 504; VINCENT BRULHART, Droit des assurances privées [ci-après: Assurances privées], 2e éd. 2017, p. 521 s.).

L’assurance de sommes permet à l’assuré de cumuler les prétentions en versement des indemnités journalières prévues par le contrat d’assurance avec d’autres prétentions découlant du même événement dommageable. La surindemnisation est possible; conformément à l’art. 96 LCA (RS 221.229.1), les droits que l’ayant droit aurait contre des tiers en raison du sinistre ne passent pas à l’assureur (ATF 133 III 527 consid. 3.2.5). L’assurance de dommages, en revanche, est gouvernée par le principe indemnitaire; pour éviter le cumul, l’art. 72 LCA a institué un droit de recours de l’assureur à l’encontre du tiers responsable (arrêt précité 4A_53/2007 consid. 4.4.2; BRULHART, Assurances privées, op. cit., p. 521).

Savoir si l’on est en présence d’une assurance de sommes ou de dommages dépend en définitive du contrat d’assurance et des conditions générales. L’expression « incapacité de gain » n’est pas déterminante dans la mesure où elle est parfois utilisée comme un synonyme de l’incapacité de travail (cf. arrêt 4A_332/2010 du 22 février 2011 consid. 5.2.4). Les règles usuelles d’interprétation des contrats sont applicables (arrêt précité 4A_53/2007 consid. 4.4.2). Lorsque l’interprétation ainsi dégagée laisse subsister un doute sur leur sens, les conditions générales doivent être interprétées en défaveur de leur auteur, conformément à la règle dite des clauses ambiguës (Unklarheitsregel, in dubio contra stipulatorem; ATF 124 III 155 consid. 1b p. 158; ATF 122 III 118 consid. 2a; arrêt 4A_177/2015 du 16 juin 2015 consid. 3.2).

D’aucuns font observer que les conditions générales d’assurance ne formulent pas toujours explicitement l’exigence d’un dommage, laquelle peut aussi découler de l’interprétation qui doit s’étendre le cas échéant aux autres documents contractuels. S’il en résulte que la prestation d’assurance est conditionnée à une perte patrimoniale déclenchée par l’événement assuré, il s’agit d’une assurance de dommages, quand bien même l’étendue de la prestation est jusqu’à un certain point forfaitisée – ce qui arrive fréquemment pour des raisons pratiques (STOESSEL, op. cit., p. 510 § 1 et p. 511 § 2; sur la forfaitisation, cf. aussi HÄBERLI/HUSMANN, Krankentaggeld, versicherungs- und arbeitsrechtliche Aspekte, 2015, p. 9 s. n. 36).

Divers auteurs constatent en outre que les assurances collectives conclues par une entreprise pour le personnel sont typiquement des assurances de dommages (MATTER/FREY, ius.focus 2016 p. 16; IVANO RANZANICI, Les effets de l’incapacité de travailler pour cause d’une maladie successive à la résolution du contrat de travail, in Regards croisés sur le droit du travail: Liber Amicorum pour Gabriel Aubert, 2015, p. 276; STEPHAN FUHRER, Kollektive Krankentaggeldversicherung – aktuelle Fragen, in Annales SDRCA 2014 [ci-après: Annales 2014], p. 86). L’employeur a en effet l’obligation de verser, pour un temps limité, le salaire du travailleur empêché de travailler pour cause de maladie (art. 324a CO). Pour autant qu’elle offre des prestations équivalentes, une assurance collective couvrant tout le personnel de l’entreprise peut libérer cette dernière d’une telle obligation, le risque lié à l’incapacité de travail étant alors assumé par l’assureur (cf. art. 324a al. 4 CO; cf. entre autres RANZANICI, op. cit., p. 272-274; VINCENT BRULHART, L’assurance collective contre la perte de gain en cas de maladie [ci-après: Assurance collective], in Le droit social dans la pratique de l’entreprise, 2006, p. 99 s.; cf. ATF 141 III 112 consid. 4.1-4.3). Le fait que l’assurance couvre des personnes non nommément désignées comme le fait qu’elle se réfère au dernier salaire AVS touché dans l’entreprise plaident en faveur d’une assurance de dommages (HANS-RUDOLF MÜLLER, Grundlagen der Krankentaggeldversicherung nach VVG, in Krankentaggeldversicherung: Arbeits- und versicherungsrechtliche Aspekte, 2007, p. 29-31; HÄBERLI/ HUSMANN, op. cit., p. 11 n. 42; MATTER/FREY, ius.focus 2016 p. 16).

L’assurance collective peut voir co-exister une assurance de dommages pour le personnel salarié et une assurance de sommes pour le chef d’entreprise/employeur (MÜLLER, op. cit., p. 30; HÄBERLI/HUSMANN, op. cit., p. 10 n. 40; RUDOLF LUGINBÜHL, Krankentaggeldversicherungen, Allgemeiner Überblick und aktuelle Probleme, in Arbeitsunfähigkeit und Taggeld, 2010, p. 20); l’assurance de sommes est en effet fréquente s’agissant des indépendants (HÄBERLI/ HUSMANN, op. cit., p. 9 n. 33; cf. BRULHART, Assurance collective, op. cit., p. 110 s.).

Les tribunaux ont (trop) souvent été occupés par des litiges sur la nature de l’assurance contractée, qui eussent pu aisément être évités si les assureurs avaient indiqué clairement dans leurs conditions générales quel type d’assurance était offert (cf. FUHRER, Annales 2014, op. cit., p. 86 s.).

Le législateur a toutefois fait en sorte de remédier à cette situation. Dans un premier temps, il avait été envisagé d’instituer un jeu de présomptions inférant que les assurances de personnes sont des assurances de sommes et les autres assurances, des assurances de dommages (cf. art. 28 de l’Avant-projet de la Commission d’experts du 31 juillet 2006; FUHRER, Annales 2014, op. cit., p. 86 s. et la sous-note 66). Une autre solution a finalement été trouvée. Le Parlement vient d’adopter le 19 juin 2020 une modification de la LCA comprenant un nouvel art. 3 al. 1 let. b, en vertu duquel l’assureur doit « renseigner le preneur d’assurance, de manière compréhensible et par un moyen permettant d’en établir la preuve par un texte », en particulier « sur l’étendue de la couverture d’assurance et sa nature, c’est-à-dire la question de savoir s’il s’agit d’une assurance de sommes ou d’une assurance dommages » (cf. FF 2020 5496, avec délai référendaire au 8 octobre 2020; cf. aussi le Message du 28 juin 2017 concernant la révision de la LCA, FF 2017 4787 s. et 4818).

Consid. 5.2.4
En l’occurrence, l’assurance convenue tend expressément à parer aux « conséquences économiques de l’incapacité de travail due à une maladie » (art. B 1 al. 1 CGA). Cet élément n’est pas décisif, puisque le but d’une telle assurance – qu’elle soit de sommes ou de dommages – vise à obvier à la perte financière découlant d’une maladie (cf. ATF 119 II 361 consid. 4 p. 365).

Importent au premier chef les conditions entourant l’obligation de prester (cf. consid. 5.2.3 supra). En l’occurrence, il appert que l’assureur doit payer des indemnités journalières « lorsque […] l’assuré est dans l’incapacité de travailler », ces indemnités étant « calculées sur la base du dernier salaire AVS perçu dans l’entreprise assurée » avant la maladie (art. B 8 al. 1 et B 6 al. 1 CGA). Pris à la lettre, l’art. B 8 al. 1 CGA implique que l’incapacité de travail suffit à entraîner le versement de l’indemnité, ce qui pourrait en soi plaider en faveur d’une assurance de sommes. On ne discerne en effet nul réquisit quant à un éventuel dommage ou autre perte de gain. Il n’est pas précisé que l’indemnité journalière est versée en cas d’incapacité de travail « jusqu’à concurrence de la perte de gain établie » (cf. par exemple art. 14 al. 1 CGA de l’assurance collective proposée par X., éd. 2012 et 2015, accessibles sur Internet […]); il n’est pas non plus énoncé que l’assureur renonce à exiger la preuve d’une perte de gain concrète, tout en se réservant le droit d’exiger une telle preuve dans des cas individuels (cf. art. 5.4 let. d CGA de l’assurance perte de gain maladie offerte par Y., éd. juillet 2019, également sur Internet […]). Cela étant, il faut se garder de conclusions trop hâtives fondées sur la seule lettre de l’art. B 8 al. 1 CGA et privilégier une approche globale. L’on gardera ainsi à l’esprit que l’assuré bénéficie de cette assurance collective en tant que salarié de l’entreprise qui est la preneuse d’assurance. Il n’apparaît pas que le personnel assuré, et l’assuré en particulier, ait été nommément désigné. Est déterminant le salaire effectif de l’ayant droit, soit le dernier salaire AVS perçu dans l’entreprise assurée avant le début de la maladie; comme le souligne la doctrine, ces éléments plaident pour une assurance de dommages. Qui plus est, l’arrêt attaqué précise, en évoquant l’art. B 10 CGA, que l’indemnité peut être réduite en cas de surindemnisation, les prestations de tiers étant prises en compte sauf si le contraire a été expressément convenu (assurance de sommes). Cet élément, typique d’une assurance de dommages fondée sur le principe de l’indemnisation, n’est certes pas un critère absolu. Doctrine et jurisprudence ont relevé qu’il peut se retrouver exceptionnellement dans une assurance de sommes si les conditions générales le prévoient (ATF 133 III 527 consid. 3.2.5 in fine et la réf. à ROLAND BREHM, L’assurance privée contre les accidents, 2001, p. 191-192 n. 376). Le présent régime contractuel fait toutefois prévaloir la règle générale: les prestations de tiers sont imputées, sauf si le contraire est exprimé, auquel cas il s’agit d’une assurance de sommes. Autrement dit, les assurances dans lesquelles les prestations de tiers sont imputées constituent des assurances de dommages.

Sur la base des éléments limités dont on dispose – à savoir certains articles des conditions générales cités ou mentionnés (art. B 10) dans l’arrêt attaqué, à l’exclusion de la police d’assurance topique -, il faut bien admettre que l’autorité précédente n’a pas enfreint le droit fédéral en considérant que l’assurance en question était une assurance de dommages. L’assuré se réfère à d’autres clauses CGA qui ne figurent pas dans l’arrêt attaqué, sans satisfaire aux exigences nécessaires pour obtenir un complètement de l’état de fait (cf. ATF 140 III 86 consid. 2 p. 90). Au demeurant, l’art. B 11 al. 7 CGA n’a pas l’importance que lui prête l’assuré. Cette clause, relative au droit de passage dans l’assurance individuelle, précise que le montant maximum assurable est celui qui résulte ou résulterait des indemnités de chômage; cela n’exclut pas, dans le contexte précité, d’apposer à l’assurance collective l’étiquette d’une assurance de dommages.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_563/2019 consultable ici – ATF 146 III 339

 

L’ATF 146 III 339 a été confirmé par l’ATF 147 III 73 : La présomption de fait selon laquelle, sans la maladie qui l’affecte, une personne sans emploi exercerait une activité lucrative ne s’applique que si l’incapacité de travail est survenue avant la signification du congé (confirmation de la jurisprudence; consid. 3.2 et 3.3).

 

8C_654/2019 (f) du 14.04.2020 – Aptitude au placement – Autorisation de séjour et de travail / 8 LACI – 15 LACI – 21 al. 3 LEI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_654/2019 (f) du 14.04.2020

 

Consultable ici

 

Aptitude au placement – Autorisation de séjour et de travail / 8 LACI – 15 LACI – 21 al. 3 LEI

 

Assuré, né en 1982, ressortissant du pays B.__, est titulaire d’un Bachelor en science pharmaceutique et d’un Master of Science en biotechnologie délivrés par deux universités dans le pays B.__. Du 01.10.2012 au 31.07.2017, il a occupé un poste d’assistant-doctorant, sur la base d’un contrat de durée déterminée renouvelable d’année en année. Il était alors au bénéfice d’une autorisation de séjour (permis B) pour « formation avec activité ». L’assuré a obtenu son doctorat ès sciences avec une thèse en neurosciences en novembre 2017. Son engagement auprès de l’école a été prolongé du 01.08.2017 au 30.09.2018 en qualité de post-doctorant. Son permis de séjour a été renouvelé. Le 27.09.2018, l’intéressé a fait une demande de prolongation de son titre de séjour, lequel arrivait à échéance le 05.10.2018.

Le 12.09.2018, l’assuré s’est inscrit auprès de l’ORP comme demandeur d’emploi, avec une disponibilité à l’emploi de 100%, et a sollicité l’indemnité de chômage à partir du 01.10.2018.

Le Service de l’emploi (ci-après: SDE) a interpellé le Contrôle du marché du travail et protection des travailleurs du SDE (ci-après: CMTPT) pour qu’il lui indique si l’assuré était au bénéfice d’une autorisation de séjour et de travail en Suisse, étant précisé que l’assuré aurait déposé une demande pour un permis L. Le 05.11.2018, le CMTPT a répondu que le dossier était à l’examen « sans droit de travailler dès le 05.10.2018 ».

Par décision, la division juridique des ORP a déclaré l’assuré inapte au placement dès le 05.10.2018, au motif qu’il n’était plus au bénéfice d’un permis de séjour l’autorisant à travailler à partir de cette date. L’intéressé s’est opposé à cette décision, rappelant qu’une demande de renouvellement de son permis de séjour était pendante et produisant une attestation du Service de la population du canton de Vaud (ci-après: SPOP) du 01.10.2018, laquelle certifiait que son dossier était en cours de traitement et que son séjour était admis jusqu’à droit connu sur une décision en matière de police des étrangers. Par décision du 16.01.2019, le SDE a rejeté l’opposition.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 23.08.2019, admission du recours par le tribunal cantonal réformant la décision en ce sens que l’assuré est reconnu apte au placement à compter du 05.10.2018.

 

TF

Consid. 2.1
L’assuré n’a droit à l’indemnité de chômage que s’il est apte au placement (art. 8 al. 1 let. f LACI). Selon l’art. 15 al. 1 LACI, est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire. L’aptitude au placement suppose, logiquement, que l’intéressé soit au bénéfice d’une autorisation de travail qui lui permette, le cas échéant, d’accepter l’offre d’un employeur potentiel. A défaut d’une telle autorisation, il s’agit de déterminer – de manière prospective, sur la base des faits tels qu’ils se sont déroulés jusqu’au moment de la décision sur opposition (ATF 143 V 168 consid. 2 p. 170; 120 V 385 consid. 2 p. 387) – si l’assuré, ressortissant étranger, pouvait ou non compter sur l’obtention d’une autorisation de travail (arrêt 8C_581/2018 du 25 janvier 2019 consid. 2.2 THOMAS NUSSBAUMER, Arbeitslosenversicherung, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3e éd. 2016, p. 2347 n. 269; BORIS RUBIN, Assurance-chômage et service public de l’emploi, 2019, p. 51 n. 234).

 

Consid. 3.1
Selon l’art. 21 al. 3 LEI (dans sa teneur en vigueur au 1er janvier 2019, laquelle est identique à celle de l’art. 21 al. 3 LEtr en vigueur jusqu’au 31 décembre 2018), en dérogation à l’ordre de priorité prévu par l’al. 1, un étranger titulaire d’un diplôme d’une haute école suisse peut être admis en vue de l’exercice d’une activité lucrative, si son activité lucrative revêt un intérêt scientifique ou économique prépondérant; il est admis provisoirement pendant six mois à compter de la fin de sa formation ou de sa formation continue en Suisse pour trouver une telle activité.

Consid. 3.2
Les juges cantonaux ont considéré en l’occurrence que l’admission provisoire prévue par cette disposition suffisait à reconnaître l’aptitude au placement de l’assuré, spécialiste en neurosciences, à partir du 05.10.2018. Un tel raisonnement ne saurait toutefois être suivi. A supposer que l’assuré remplît les conditions pour être admis provisoirement dès la fin de son activité post-doctorale en vue de rechercher un emploi au sens de l’art. 21 al. 3 LEI, cela ne permet pas en soi de considérer qu’il pouvait compter sur la délivrance d’une autorisation de travailler pendant la période litigieuse. En effet, l’admission, respectivement la prise d’emploi, d’un ressortissant étranger autorisé provisoirement à séjourner en Suisse pour trouver un emploi qualifié en vertu l’art. 21 al. 3 LEI est soumise pour approbation au Secrétariat d’Etat aux migrations (SEM) et à la délivrance d’une autorisation de séjour et de travail (cf. les Directives du SEM « Domaines des étrangers » [Directives LEI] ch. 5.1.2 et « Séjour avec activité lucrative » [Chapitre 4 des Directives LEI] ch. 4.4.6). Il faut donc se demander, sur la base des faits tels qu’ils se sont déroulés jusqu’au moment de la décision sur opposition, si l’assuré pouvait compter ou non sur l’obtention d’une telle autorisation (cf. arrêts 8C_581/2018 précité 4.2.2; 8C_479/2011 du 10 février 2012 consid. 3.2.2 in fine). Or il ne ressort pas des constatations de la juridiction cantonale que la question de la prise d’un emploi hautement qualifié se soit posée au moment de l’inscription de l’assuré au chômage jusqu’à la décision sur opposition du 16.01.2019. Les juges cantonaux évoquent certes une proposition d’engagement de la société D.__, mais sans précision sur la nature de l’emploi, ni sur la date de la proposition et de l’engagement éventuel. Un renvoi pour compléter les faits sur ce point ne se justifie toutefois pas, dès lors que les conditions pour compléter d’office l’état de fait du jugement attaqué sont remplies (cf. arrêt 8C_645/2014 du 3 juillet 2015 consid. 3.4). Il ressort en effet clairement du dossier de la procédure cantonale que la proposition d’engagement, figurant dans le dossier du SPOP, est postérieure à la décision sur opposition (cf. courriel de la société D.__ du 6 février 2019). Dans ces conditions, rien ne permettait de retenir que, pendant la période litigieuse, l’assuré pouvait compter sur l’obtention d’une autorisation de travail pour un emploi hautement qualifié. On notera par ailleurs que si l’exercice d’une activité accessoire en marge des recherches d’emploi au sens de l’art. 21 al. 3 LEI peut être autorisée à raison de 15 heures par semaine au maximum (cf. Directives LEI ch. 5.1.2), il n’en reste pas moins qu’en l’espèce, l’assuré n’avait plus le droit de travailler à compter du 05.10.2018, selon les indications du CMTPT.

Consid. 3.3
Il résulte de ce qui précède que les premiers juges ont reconnu à tort l’aptitude au placement de l’assuré, en l’absence de circonstances permettant de compter sur la délivrance d’une autorisation de travailler, ce qui conduit à l’admission du recours.

 

Le TF admet le recours du Service de l’emploi.

 

Arrêt 8C_654/2019 consultable ici

 

8C_717/2022 (i) du 07.06.2023, destiné à la publication – Refus de se soumettre à une expertise ordonnée par l’AI : aide sociale refusée à tort

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_717/2022 (i) du 07.06.2023, destiné à la publication

 

Arrêt consultable ici

Communiqué de presse du TF du 18.07.2023 disponible ici

 

Refus de se soumettre à une expertise ordonnée par l’AI : aide sociale refusée à tort

 

Le refus de collaborer à l’établissement du droit à la rente de l’assurance-invalidité ne justifie pas le refus de toute aide sociale. En rendant une décision dans ce sens, le Tribunal des assurances du canton du Tessin a violé le droit fondamental à l’aide d’urgence de la personne intéressée.

En 2021, l’Office d’aide sociale et d’insertion du canton du Tessin a refusé de faire bénéficier ultérieurement un homme de l’aide sociale. Il a motivé sa décision par le fait que l’intéressé avait refusé, à plusieurs reprises, de se soumettre à une expertise psychiatrique visant à établir son éventuel droit à une rente de l’assurance-invalidité (AI). Selon le droit cantonal, aucune aide sociale ne doit être versée tant qu’il existe un droit à des prestations d’assurances sociales (principe de la subsidiarité). Le Tribunal cantonal des assurances a rejeté le recours de l’intéressé en 2022.

Le Tribunal fédéral admet partiellement son recours et renvoie la cause à l’Office d’aide sociale et d’insertion pour nouvelle décision. Selon l’article 12 de la Constitution fédérale (Cst.), quiconque est dans une situation de détresse et n’est pas en mesure de subvenir à son entretien a le droit de recevoir les moyens indispensables pour mener une existence conforme à la dignité humaine. Le droit à l’aide d’urgence présuppose que la personne ne peut pas subvenir à ses besoins elle-même et que toute autre source d’aide disponible ne puisse être obtenue à temps (principe de la subsidiarité). Ainsi, celui qui serait objectivement en mesure de se procurer les ressources indispensables à sa survie par ses propres moyens ne remplit pas les conditions du droit. Selon la jurisprudence, il en est ainsi lorsqu’une personne refuse d’accepter un travail rémunéré convenablement.

Dans le cas d’espèce, de par le refus de toute aide sociale – et donc également de toute aide d’urgence pour la nourriture, le logement, l’habillement et les soins médicaux de base – le principe de la subsidiarité n’a pas été appliqué correctement et l’article 12 Cst. a été violé. Le recourant ne pouvait disposer d’une autre source de revenu à temps et dans une mesure suffisante. Il est vrai qu’en refusant de se soumettre à une expertise, il a certes contribué à l’impossibilité d’établir son droit à des prestations de l’AI. Toutefois, tant qu’une décision formelle n’a pas été rendue par les autorités de l’AI, ce droit n’est qu’hypothétique ; de surcroît, le montant de l’éventuelle rente reste incertain. Dès lors, l’intéressé n’aurait disposé d’aucun moyen de subsistance jusqu’à ladite décision. La question de savoir si l’aide d’urgence peut être réduite ou refusée en cas d’abus de droit de la personne requérante a été laissée ouverte jusqu’ici par le Tribunal fédéral. Elle peut demeurer indécise dès lors que les critères pour retenir un comportement abusif du recourant ne sont pas donnés. Les autorités disposaient d’autres possibilités en vertu du droit cantonal pour sanctionner son comportement. L’Office d’aide sociale et d’insertion devra rendre une nouvelle décision en ce sens.

 

Arrêt 8C_717/2022 consultable ici

Communiqué de presse du TF du 18.07.2023 disponible ici

 

Mancata partecipazione ad una perizia ordinata dall’AI: assistenza sociale negata ingiustamente, comunicato stampa del Tribunale federale, 18.07.2023

Verweigerte Mitwirkung für IV-Begutachtung: Sozialhilfe zu Unrecht gestrichen, Medienmitteilung des Schweizerischen Bundesgerichts, 18.07.2023

 

9C_325/2022 (f) du 25.05.2023 – Valeur probante du rapport d’expertise pluridisciplinaire – 44 LPGA / Revenu d’invalide selon ESS – Âge de la personne assurée – Facteur étranger à l’invalidité

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_325/2022 (f) du 25.05.2023

 

Consultable ici

 

Valeur probante du rapport d’expertise pluridisciplinaire / 44 LPGA

Revenu d’invalide selon ESS – âge de la personne assurée – Facteur étranger à l’invalidité

Revenu sans invalidité selon ESS – Niv. de compétences 1 in casu

 

Assurée, née en 1971, ayant travaillé en dernier lieu à temps partiel comme livreuse de repas à domicile (du 01.10.2005 au 30.04.2012), puis comme auxiliaire de santé polyvalente (du 01.05.2012 au 30.11.2014). Par décisions des 16.03.2011 et 03.05.2016, l’office AI a rejeté les deux premières demandes de prestations de l’assurance-invalidité déposée par la prénommée.

Le 10.04.2018, l’assurée a déposé une troisième demande de prestations. L’office AI a entre autres mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire. Dans un rapport établi le 09.02.2021, les médecins-experts (spécialiste en médecine interne générale, en psychiatrie et psychothérapie et en rhumatologie) ont diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – une douleur de l’épaule gauche sur arthropathie acromio-claviculaire, une cervicalgie sans irradiation sur trouble dégénératif, une lombalgie sans irradiation sur trouble dégénératif, une douleur en extension du poignet droit (post ablation d’un kyste, fracture et greffe osseuse) et une douleur des deux gros orteils (post chirurgie pour hallux valgus à l’âge de 18 ans); l’assurée ne pouvait plus exercer son activité habituelle depuis le 30.09.2017. Dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles décrites, les médecins ont indiqué que l’assurée disposait d’une capacité de travail de 100%. Par décision du 09.03.2021, l’office AI a nié le droit de l’assurée à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 149/21 – 160/2022 – consultable ici)

Par jugement du 23.05.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

2.1. Lorsque l’administration entre en matière sur une nouvelle demande (art. 87 al. 3 RAI), elle doit procéder de la même manière que dans les cas de révision au sens de l’art. 17 LPGA et comparer les circonstances prévalant lors de la nouvelle décision avec celles existant lors de la dernière décision entrée en force et reposant sur un examen matériel du droit à la rente (ATF 130 V 71) pour déterminer si une modification notable du taux d’invalidité justifiant la révision du droit en question est intervenue.

 

Rapport de l’expertise pluridisciplinaire

Consid. 5.2
En l’espèce, mise à part la référence à la divergence d’opinions entre le médecin traitant, d’une part, et les médecins du centre d’expertise, d’autre part, l’assurée ne fait état d’aucun élément concret susceptible de remettre en cause les conclusions médicales suivies par les juges cantonaux, ni de motifs susceptibles d’établir le caractère arbitraire de leur appréciation. En particulier, les médecins experts ont pris connaissance du résultat des IRM lombaires; ils ont indiqué que ces examens avaient montré des sacro-iliaques « parfaitement normales », avec des signes uniquement dégénératifs, sans aucun élément en faveur d’une spondylarthrite ankylosante. Quoi qu’en dise l’assurée, la tomographie par émission monophotonique (Spect) du corps entier réalisées en date du 12 juillet 2021 n’infirme par ailleurs nullement les conclusions des experts. Dans le rapport y relatif, le médecin responsable ne fait pas de lien entre les atteintes constatées (atteinte inflammatoire de l’articulation sacro-iliaque et, notamment, enthésite du tendon d’Achille) et la suspicion d’une spondyloarthrite. De plus, l’assurée ne conteste pas le fait qu’elle ne répond pas au traitement médical d’une spondylarthropathie et qu’elle est HLA B27 négative. Quant aux autres critères de classification d’une spondylarthropathie que l’assurée met en avant, ils reposent essentiellement sur son ressenti personnel. Le fait que l’assurée annonce des problèmes de fatigue, de douleurs, d’imprévisibilité, de stress et de concentration n’établissent par conséquent pas en quoi les juges cantonaux auraient suivi de manière arbitraire les conclusions des médecins experts. Pour le surplus, les experts se sont fondés non pas sur la manière dont l’assurée ressent et perçoit ses facultés de travail, mais ont établi la mesure de ce qui est raisonnablement exigible de sa part le plus objectivement possible. Dans ces circonstances, et compte tenu également du fait, tiré de l’expérience de la vie, qu’en raison du lien de confiance (inhérent au mandat thérapeutique) qui l’unit à son patient, le médecin traitant est généralement enclin à prendre parti pour celui-ci (ATF 135 V 465 consid. 4.5; 125 V 351 consid. 3a/cc et les références), il n’y a pas lieu de s’écarter de l’appréciation des juges cantonaux.

 

Revenu d’invalide

Consid. 6.2
Dans le domaine de l’assurance-invalidité, il convient de se fonder, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans la table TA1 de l’ESS, à la ligne « total secteur privé »; on se réfère alors à la statistique des salaires bruts standardisés, en se fondant toujours sur la valeur médiane ou centrale (ATF 124 V 321 consid. 3b), étant précisé que, depuis l’ESS 2012, il y a lieu d’appliquer le tableau TA1_tirage_skill_ level (ATF 142 V 178).

La mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 135 V 297 consid. 5.2; 134 V 322 consid. 5.2; 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération; il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 148 V 174 consid. 6.3; 126 V 75 précité consid. 5b/bb).

Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral. En revanche, l’étendue de l’abattement sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit a commis un excès positif ou négatif de son pouvoir d’appréciation ou a abusé de celui-ci (ATF 146 V 16 consid. 4.2; 137 V 71 consid. 5.1).

Consid. 6.3
En l’espèce, l’assurée n’expose aucun élément qui justifierait de s’écarter du revenu avec invalidité fixé par la juridiction cantonale. En particulier, elle ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter du salaire de référence auquel peuvent prétendre les femmes effectuant des tâches physiques ou manuelles simples de la table TA1_tirage_skill_level. Cette valeur statistique s’applique en effet à tous les assurés qui ne peuvent plus accomplir leur ancienne activité parce qu’elle est trop astreignante pour leur état de santé, mais qui conservent néanmoins une capacité de travail importante dans des travaux légers (arrêts 9C_603/2015 du 25 avril 2016 consid. 8.1 et 9C_692/2015 du 23 février 2016 consid. 3.1 et la référence). Le marché équilibré du travail pris en considération dans le domaine de l’assurance-invalidité (à ce sujet, voir arrêt 9C_659/2014 du 13 mars 2015 consid. 5.3 et les références) offre par ailleurs un éventail suffisamment large d’activités légères, dont on doit admettre qu’un nombre significatif d’entre elles sont accessibles à l’assurée sans aucune formation préalable particulière et compatibles avec les limitations fonctionnelles décrites par les experts. En tant que facteur étranger à l’invalidité, il n’y a en outre pas lieu de tenir compte du fait que l’âge de la personne assurée peut avoir une influence négative sur la recherche d’emploi (arrêt 8C_808/2013 du 14 février 2014 consid. 7.3). Pour le surplus, par la simple énumération des circonstances personnelles et professionnelles susceptibles d’être prises en considération au titre de l’abattement, l’assurée n’établit pas que la juridiction cantonale aurait excédé ou abusé de son pouvoir d’appréciation en prenant en considération un abattement de 10%. Mal fondé, les griefs doivent être rejetés.

 

Consid. 7
C’est finalement en vain que l’assurée conteste son revenu sans invalidité en faisant valoir qu’il aurait dû être déterminé en fonction d’un niveau de compétence 2 de l’ESS. En tant qu’auxiliaire de santé polyvalente, chargée de la livraison de repas, l’assurée exerçait avant la survenance de son atteinte de la santé une tâche physique ou manuelle simple (niveau de compétence 1 de l’ESS), comme l’a constaté sans arbitraire la juridiction cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_325/2022 consultable ici

 

9C_601/2022 (f) du 06.06.2023 – Absence de mise en œuvre des débats publics sollicités – 6 par. 1 CEDH / Interpellation du recourant en cas de doute

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_601/2022 (f) du 06.06.2023

 

Consultable ici

 

Absence de mise en œuvre des débats publics sollicités / 6 par. 1 CEDH

Interpellation du recourant en cas de doute

 

Par décision du 08.04.2021, l’office AI a alloué à l’assurée une rente entière d’invalidité pour les périodes du 01.07.2017 au 31.03.2018, puis du 01.06.2018 au 31.05.2019.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 181/21 – 355/2022 – consultable ici)

Dans son recours, l’assurée a conclu principalement au versement d’une rente entière d’invalidité postérieurement au 31.03.2018, subsidiairement au renvoi de la cause à l’office AI pour instruction complémentaire au sens des considérants. Elle a sollicité la mise en œuvre de débats publics. Le recours a été rejeté par arrêt du 24.11.2022.

 

TF

Consid. 2.1
Dans un grief d’ordre formel, l’assurée se plaint d’une violation de l’art. 6 par. 1 CEDH, en tant que son droit à la tenue de débats publics aurait été violé. L’assurée fait à cet égard grief à la juridiction cantonale de n’avoir pas mis en œuvre des débats publics qu’elle avait clairement sollicités dans son recours du 11 mai 2021. Elle se réfère à l’arrêt 9C_349/2022 du 22 novembre 2022.

Consid. 2.2
Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral a rappelé que l’art. 6 par. 1 CEDH donne à toute personne le droit à ce que sa cause soit entendue équitablement, publiquement et dans un délai raisonnable, par un tribunal indépendant et impartial établi par la loi, qui décidera soit des contestations sur ses droits et obligations de caractère civil – comme c’est le cas en l’espèce (ATF 122 V 47 consid. 2a) -, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle. La tenue de débats publics doit, sauf circonstances exceptionnelles, avoir lieu devant les instances judiciaires précédant le Tribunal fédéral. Il appartient à ce titre au recourant, sous peine de forclusion, de présenter une demande formulée de manière claire et indiscutable. Saisi d’une telle demande, le juge doit en principe y donner suite. Il peut cependant s’en abstenir dans les cas prévus par l’art. 6 par. 1, deuxième phrase, CEDH, lorsque la demande est abusive, chicanière, ou dilatoire, lorsqu’il apparaît clairement que le recours est infondé, irrecevable ou, au contraire, manifestement bien fondé ou encore lorsque l’objet du litige porte sur des questions hautement techniques (ATF 141 I 97 consid. 5.1; 136 I 279 consid. 1; 134 I 331 consid. 2.3; 122 V 47 précité consid. 3b). Enfin, la publicité des débats implique le droit pour le justiciable de plaider sa cause lui-même ou par l’intermédiaire de son mandataire (arrêt 8C_136/2018 du 20 novembre 2018 consid. 4.2 et les arrêts cités). En cas de doute sur la nature de la demande, il appartient au tribunal saisi d’interpeller la partie requérante (ATF 127 I 44 consid. 2e/bb; arrêt 8C_221/2020 du 2 juillet 2020 consid. 3.2 et la référence).

Consid. 2.3
En l’espèce,
la demande de tenue d’une audience publique au sens de la CEDH a été formulée en temps utile par l’assurée dans son recours cantonal. Bien que la dernière phrase de la motivation y relative figurant en p. 4 du recours cantonal « III. Moyens de preuve et audience publique » paraisse tronquée, la demande ne pouvait pas être rejetée au motif que l’assurée avait demandé la tenue d’une audience publique sans en préciser le but et sans invoquer l’art. 6 par. 1 CEDH et la jurisprudence y relative (cf. consid. 15 de l’arrêt attaqué, p. 22). En effet, la demande tendait non seulement à l’administration de preuves (la production complète du dossier de l’office AI intimé ainsi que la mise en œuvre d’expertises médicale et ergothérapeutique), mais aussi à « la mise en œuvre de débats publics, afin que les juges puissent se rendre compte de l’importance de ». Ainsi que la juridiction cantonale le relève à juste titre dans sa détermination du 28.04.2023, en se référant à l’arrêt 9C_349/2022 précité, il lui appartenait en pareilles circonstances d’interpeller l’assurée pour connaître la nature exacte de sa demande, ce qu’elle a omis de faire. Il est évident par ailleurs qu’aucune des exceptions au principe de la publicité mentionnée à l’art. 6 par. 1 CEDH n’est réalisée.

Consid. 2.4
En définitive, en l’absence d’un motif qui s’opposait d’emblée à la tenue d’une audience publique en instance cantonale et compte tenu de la demande de l’assurée, que celle-ci invoque avoir formulé pour plaider sa cause par l’intermédiaire de son conseil, il y a lieu d’admettre que la procédure cantonale est entachée d’un vice de procédure qui entraîne d’emblée l’annulation de l’arrêt entrepris, indépendamment des chances de succès du recours sur le fond (ATF 134 I 331 consid. 3.1).

Consid. 3
Compte tenu de ce qui précède, la cause doit être renvoyée à la juridiction cantonale afin qu’elle donne suite à la requête de débats publics conformément à ce qui précède et statue à nouveau.

 

Le TF admet le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_601/2022 consultable ici

 

8C_699/2022 (f) du 15.06.2023 – Remboursement d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) en lien avec la pandémie de Covid-19 – 31 LACI – 25 al. 1 LPGA / Perte de travail suffisamment contrôlable – 46b OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_699/2022 (f) du 15.06.2023

 

Consultable ici

 

Restitution d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) en lien avec la pandémie de Covid-19 / 31 LACI – 25 al. 1 LPGA

Perte de travail suffisamment contrôlable / 46b OACI

Principe de la proportionnalité / 5 al. 2 Cst.

 

Les 15.12.2020 et 16.12.2020, le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) a effectué auprès de A.__ SA un contrôle portant sur les indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) – en lien avec la pandémie de Covid-19 – perçues par cette entreprise en faveur de ses employés entre mars 2020 et septembre 2020.

Par décision, confirmée sur opposition, le SECO a demandé à A.__ SA de rembourser à la Caisse cantonale de chômage du canton de Vaud (ci-après: la caisse de chômage) un montant de 388’202 fr. 25, correspondant à des indemnités en cas de RHT versées à tort pour la période de mars 2020 à août 2020.

 

Procédure cantonale (arrêt B-4559/2021 – consultable ici)

Les juges du Tribunal administratif fédéral ont retenu que le plan de la société A.__ SA relatif à la réduction du temps de travail (ci-après: le plan) prévoyait, de manière globale pour chaque semaine, le pourcentage du temps de travail habituel (20% dès le 18.03.2020 puis 10% dès le 01.04.2020) que chacun des collaborateurs était appelé à respecter. La société A.__ SA n’avait toutefois instauré aucun contrôle des heures effectivement effectuées par les employés. Une telle manière de faire ne respectait pas la jurisprudence relative à l’art. 46b al. 1 OACI, qui exigeait en particulier que les heures travaillées soient relevées au moins quotidiennement par l’employé lui-même ou par son supérieur. Un rapport établi pour la société A.__ SA par une fiduciaire indiquait d’ailleurs qu’il était « certain que [la société A.__ SA] ne dispos[ait] pas d’un pointage d’heures et que par conséquent, il [était] difficile de définir avec exactitude le nombre d’heures faites par les employés chaque jour ». En outre, il ressortait du rapport du SECO consécutif au contrôle des 15.12.2020 et 16.12.2020 qu’il n’y avait pas de contrôle du temps de travail fiable et précis au sein de l’entreprise. La brochure « Info-Service » du SECO, qui satisfaisait à l’obligation de renseigner prévue à l’art. 27 al. 1 LPGA, prévoyait le devoir d’instaurer un système de contrôle du temps de travail expressément destiné à « rendre compte quotidiennement des heures de travail fournies ». Par ailleurs, quand bien même la société A.__ SA soutenait que certains collaborateurs auraient travaillé moins que ce qui était prévu par le plan et que cela n’aurait pas porté préjudice à l’État, il n’était pas possible d’être certain que le temps de travail planifié n’avait jamais été dépassé. Le fait que la société A.__ SA avait indiqué que ses employés n’effectuaient pas d’heures supplémentaires n’y changeait rien.

En définitive, la société A.__ SA n’apportait aucun élément propre à établir qu’elle avait effectué un contrôle des heures de travail conformément à ce qu’exigeait la jurisprudence. Ce n’était que dans le cadre d’une éventuelle demande de remise de l’obligation de restituer que la société A.__ SA – qui ne pouvait pas tirer avantage de sa méconnaissance du droit – pouvait se prévaloir de la protection de sa bonne foi. Même s’il était notoire que la pandémie de Covid-19 avait conduit à une baisse importante du nombre d’heures de travail des salariés actifs dans le secteur du voyage, rien ne permettait en l’espèce de déterminer avec précision l’ampleur de cette baisse. Seules des estimations ou des approximations auraient été envisageables, c’est-à-dire des procédés guère compatibles avec les exigences strictes posées par la réglementation en vigueur. La société A.__ SA ne pouvait rien tirer non plus du fait que son chiffre d’affaires avait subi une baisse considérable durant la période litigieuse, dès lors que le chiffre d’affaires n’était pas directement lié au nombre d’heures de travail et qu’il ne permettait pas de déterminer l’ampleur, à l’heure près, de la réduction de l’horaire de travail.

Par jugement du 20.10.2022, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 5.1.1
Les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail lorsqu’ils remplissent les conditions décrites à l’art. 31 al. 1 let. a à d LACI. Selon l’art. 31 al. 3 let. a LACI, n’ont notamment pas droit à l’indemnité les travailleurs dont la réduction de l’horaire de travail ne peut pas être déterminée ou dont l’horaire de travail n’est pas suffisamment contrôlable. Aux termes de l’art. 46b OACI, la perte de travail n’est suffisamment contrôlable que si le temps de travail est contrôlé par l’entreprise (al. 1); l’employeur conserve les documents relatifs au contrôle du temps de travail pendant cinq ans (al. 2).

Consid. 5.1.2
Selon la jurisprudence, l’obligation de contrôle par l’employeur de la perte de travail résulte de la nature même de l’indemnité en cas de RHT: du moment que le facteur déterminant est la réduction de l’horaire de travail (cf. art. 31 al. 1 LACI) et que celle-ci se mesure nécessairement en proportion des heures normalement effectuées par les travailleurs (cf. art. 32 al. 1 let. b LACI), l’entreprise doit être en mesure d’établir, de manière précise et si possible indiscutable, à l’heure près, l’ampleur de la réduction donnant lieu à l’indemnisation pour chaque assuré bénéficiaire de l’indemnité. La perte de travail pour laquelle l’assuré fait valoir ses droits est ainsi réputée suffisamment contrôlable uniquement si les heures effectives de travail peuvent être contrôlées pour chaque jour: c’est la seule façon de garantir que les heures supplémentaires qui doivent être compensées pendant la période de décompte soient prises en considération dans le calcul de la perte de travail mensuelle. A cet égard, les heures de travail ne doivent pas nécessairement être enregistrées mécaniquement ou électroniquement. Une présentation suffisamment détaillée et un relevé quotidien en temps réel des heures de travail au moment où elles sont effectivement accomplies sont toutefois exigés. De telles données ne peuvent pas être remplacées par des documents élaborés par après. En effet, l’établissement a posteriori d’horaires de travail ou la présentation de documents signés après coup par les salariés contenant les heures de travail effectuées n’ont pas la même valeur qu’un enregistrement simultané du temps de travail et ne satisfont pas au critère d’un horaire suffisamment contrôlable au sens de l’art. 31 al. 3 let. a LACI. Cette disposition vise à garantir que les pertes d’emploi soient effectivement vérifiables à tout moment pour les organes de contrôle de l’assurance chômage. Il s’agit d’une situation similaire à l’obligation de tenir une comptabilité commerciale (cf. art. 957 CO) (arrêts 8C_681/2021 du 23 février 2022 consid. 3.3 et 3.4; 8C_26/2015 du 5 janvier 2016 consid. 2.3 et les références citées).

Consid. 5.1.3
Selon l’art. 25 al. 1, première phrase, LPGA, auquel renvoie l’art. 95 al. 1 LACI, les prestations indûment touchées doivent être restituées. L’obligation de restituer suppose que soient réunies les conditions d’une reconsidération (caractère sans nul doute erroné de la décision et importance notable de la rectification) ou d’une révision procédurale de la décision par laquelle les prestations en cause ont été allouées (ATF 142 V 259 consid. 3.2; 138 V 426 consid. 5.2.1; 130 V 318 consid. 5.2).

 

Consid. 5.2.1
En l’espèce,
la société A.__ SA a exposé devant le Tribunal administratif fédéral que ses employés avaient en temps normal un horaire de travail fixe de 9h00 à 12h00 et de 13h00 à 18h00. Elle tenait à jour un planning des vacances et des absences de chaque collaborateur. A compter du 18.03.2020, elle avait établi un plan précis prévoyant le nombre d’heures à effectuer chaque jour par les employés.

Consid. 5.2.4
Selon les faits constatés par le TAF, la société A.__ SA s’est limitée, à partir du 18.03.2020, à adopter un plan de travail prévoyant le pourcentage de temps de travail (20% puis 10%), de manière globale et pour chaque semaine, attendu de chaque employé. Elle n’a toutefois procédé à aucun contrôle des heures de travail effectivement accomplies. Elle reconnaît du reste ne pas avoir introduit de système de contrôle du temps de travail. Or, quoi qu’elle en dise, un relevé quotidien et en temps réel des heures de travail effectivement effectuées est exigé aux fins de percevoir des indemnités en cas de RHT, pour permettre d’établir à l’heure près l’ampleur de la réduction du temps de travail. La simple estimation du temps de travail à accomplir, de surcroît de manière globale, sans aucun contrôle ni aucune correction a posteriori, s’avère insuffisante au regard de la jurisprudence. S’agissant de la baisse du chiffre d’affaires, c’est à juste titre que le Tribunal administratif fédéral a souligné qu’elle ne permettait pas de déterminer l’ampleur, à l’heure près, de la réduction de l’horaire de travail. Les « nombreux remboursements de voyages » ainsi que les problèmes en lien avec les « prestations payées par avance » évoqués par la société A.__ SA ont d’ailleurs occasionné une certaine charge de travail. On ajoutera, dans le même sens que les juges du TAF, que les indemnités en cas de RHT n’ont pas pour vocation d’assurer la pérennité de l’entreprise ou de couvrir des baisses du chiffre d’affaires ou des pertes d’exploitation (ATF 147 V 359 consid. 4.6.3).

 

 

Consid. 6.1
Consacré à l’art. 5 al. 2 Cst., le principe de la proportionnalité, dont la violation peut être invoquée de manière indépendante dans un recours en matière de droit public (cf. art. 95 al. 1 let. a LTF; ATF 148 II 475 consid. 5; 141 I 1 consid. 5.3.2; 140 I 257 consid. 6.3.1) commande que la mesure étatique soit nécessaire et apte à atteindre le but prévu et qu’elle soit raisonnable pour la personne concernée (ATF 141 I 1 consid. 5.3.2; 140 I 257 consid. 6.3.1; 140 II 194 consid. 5.8.2).

Consid. 6.2
Amené à se prononcer sur le grief tiré d’une violation du principe de la proportionnalité, le Tribunal administratif fédéral a retenu que la jurisprudence n’exigeait pas la mise en place d’un système de contrôle complexe des heures de travail; des relevés manuscrits par les employés eux-mêmes étaient suffisants, pour autant qu’ils soient quotidiens et qu’ils ne puissent pas être modifiés par la suite. Une telle contrainte n’était pas disproportionnée. En outre, dès lors que seules les heures de travail dont la perte était suffisamment contrôlable donnaient droit à des indemnités en cas de RHT, l’absence de tout contrôle avait pour conséquence qu’aucune des heures de travail perdues ne pouvait donner droit à des indemnités. Ainsi, le principe de la proportionnalité ne permettait pas à la société A.__ SA de se fonder uniquement sur des estimations du temps de travail effectif pour justifier un remboursement seulement partiel des prestations perçues. Le principe de la proportionnalité ne permettait pas non plus de tenir compte de circonstances dont la prise en considération n’était pas prévue par la réglementation, telles que l’absence d’avertissement préalable adressé à la société A.__ SA, la reconnaissance par celle-ci d’une partie de son obligation de restituer ou sa bonne foi. Par ailleurs, la société A.__ SA n’avait fourni aucun élément justifiant l’absence d’un système de contrôle adéquat ou établissant qu’un tel système aurait été superflu. Rien n’indiquait que la pandémie de Covid-19 était à l’origine de problèmes particuliers en lien avec le contrôle du temps de travail. C’était ainsi à tort que la société A.__ SA soutenait que la décision attaquée était une mesure excessive, inutile, injuste et donc disproportionnée.

Consid. 6.4
Comme souligné par les juges du TAF, les art. 31 al. 3 let. a LACI et 46b al. 1 OACI ainsi que la jurisprudence y relative ne laissent guère de place au pouvoir d’appréciation de l’autorité d’application du droit, de sorte que la portée du principe de la proportionnalité dans la mise en oeuvre de ces dispositions apparaît d’emblée restreinte. Dès le moment où l’horaire de travail n’est – comme en l’espèce – pas considéré comme suffisamment contrôlable sur une période donnée, l’octroi d’indemnités même partielles n’entre en principe pas en ligne de compte. Les juges du TAF ont par ailleurs relevé à juste titre que rien n’aurait empêché la société A.__ SA de mettre en place un système de contrôle des heures de travail effectivement effectuées. On ne voit pas en quoi la pandémie de Covid-19 aurait constitué un obstacle à l’instauration d’un tel système, qui pouvait se limiter à un simple relevé quotidien des heures de travail par les employés eux-mêmes. La société A.__ SA ne conteste d’ailleurs pas qu’un tel système était possible, puisqu’elle indique qu’un relevé d’heures plus détaillé (que le plan hebdomadaire relatif à la réduction de l’horaire de travail) n’aurait fait que confirmer les horaires effectivement effectués par les employés. L’arrêt entrepris échappe ainsi à la critique et le recours doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de la société A.__ SA.

 

Arrêt 8C_699/2022 consultable ici

 

Liste des experts mandatés : première vue d’ensemble des expertises

Liste des experts mandatés : première vue d’ensemble des expertises

 

Liste publique des experts et centres d’expertises mandatés dans l’assurance-invalidité – 2022 (publication du 01.07.2023) consultable ici

Michela Messi/Daniel Salamanca, Expertises AI : la pénurie de médecins entraîne des temps d’attente, in Sécurité sociale CHSS, 03.07.2023, consultable ici

Ralf Kocher, Les listes d’attribution des expertises améliorent la transparence dans l’AI, in Sécurité sociale CHSS, 03.07.2023, consultable ici

 

En juillet 2023, l’AI a publié pour la première fois une liste des experts mandatés au cours de l’année précédente dans tout le pays, liste basée sur les données que chaque office AI a publiée en mars 2023. Il en découle une plus grande transparence pour les assurés. Ces données constituent également une source d’information intéressante pour la Commission fédérale d’assurance qualité des expertises médicales. . La publication des données est une prescription légale introduite par la réforme de l’AI entrée en vigueur en janvier 2022.

En 2022, les offices AI ont mandaté au total 11’293 expertises médicales. Dans près de 44% des cas, il s’agissait d’une expertise pluridisciplinaire et dans 39% des cas d’une expertise monodisciplinaire. Les expertises bidisciplinaires représentent moins de 18% du total.

La répartition par type de mandat (mono-, bi- ou pluridisciplinaire) diffère entre les régions linguistiques. En Suisse alémanique, la part des expertises pluridisciplinaires dans le total est plus élevée qu’en Suisse romande et qu’au Tessin. Dans ces deux régions, les offices AI attribuent principalement des expertises médicales monodisciplinaires. Les expertises les moins souvent mandatées, toutes régions confondues, sont les expertises médicales bidisciplinaires.

En 2022, plus de la moitié des experts ayant reçu des mandats d’expertise médicale monodisciplinaire sont des spécialistes en psychiatrie et psychothérapie et 86% des mandats d’expertise monodisciplinaire attribués avait pour discipline la psychiatrie et psychothérapie. Cette discipline est la plus demandée dans toutes les régions linguistiques.

En 2022, sur un total de 2’003 mandats d’expertise bidisciplinaire, 1’354 ont été attribués aux centres d’expertises et 649 aux binômes d’experts. Dans 97% des mandats attribués aux binômes d’experts, la psychiatrie et psychothérapie fait partie de l’une des deux disciplines demandées. Le plus souvent, la deuxième discipline demandée est la rhumatologie, la chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, la médecine interne générale ou la neurologie.

En ce qui concerne les expertises pluridisciplinaires, les disciplines les plus demandées sont la psychiatrie et psychothérapie, présente dans 94% des mandats déposés, la neurologie (57%) et la rhumatologie (44%). Suivent la chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur (36%) et la neuropsychologie (26%). La médecine interne générale, en revanche, est et doit, conformément à la convention tarifaire concernant la réalisation d’expertises médicales pluridisciplinaires, être toujours représentée.

La moitié des mandats d’expertise pluridisciplinaire attribués présente 4 disciplines, 28% des mandats 3 disciplines, 19% 5 disciplines et 3% 6 disciplines. Les mandats impliquant 7 disciplines ou plus sont très rares.

 

Majorité des mandats à une minorité d’experts

Sur les 386 experts monodisciplinaires, 76% ont reçu entre 1 et 9 mandats en 2022. Ils cumulent entre eux un total de 812 mandats, ce qui représente un peu moins de 20% de tous les mandats monodisciplinaires attribués cette année-là. La grande majorité des mandats est répartie parmi une minorité d’experts.

En 2022, 54% des binômes d’experts ont reçu entre 1 et 4 mandats ; 18% entre 5 et 9. 28% des binômes d’experts ont reçu entre 10 et 55. Les 4933 mandats d’expertises pluridisciplinaires ont été répartis entre 31 centres d’expertises médicales liés à l’OFAS par une convention.

On constate des différences importantes entre les centres d’expertises quant au nombre de mandats reçus. Cela s’explique par le fait que les capacités offertes sur la plateforme d’attribution varient d’un centre à l’autre. Comme déjà mentionné, la répartition des mandats bidisciplinaires et pluridisciplinaires se fait de manière aléatoire, en fonction des disciplines et de la langue du mandat.

Avec plus de 350 mandats chacun, 5 centres ont obtenu à eux seuls 43% des mandats d’expertises pluridisciplinaires. 15 centres ont obtenu entre 100 et 300 mandats et 11 centres moins de 100.

1’354 mandats d’expertise bidisciplinaire ont été attribués aux 22 centres d’expertises ayant conclu une convention avec l’OFAS. Deux d’entre eux ont obtenu plus de 250 mandats (BEM Riviera, Montreux et Swiss Expertises Médicales, Aigle). Les autres centres en ont obtenu une centaine ou moins. Ici aussi, les capacités offertes sur la plateforme d’attribution aléatoire ont une influence sur le nombre de mandats obtenus.

 

Les tribunaux suivent la plupart du temps les expertises

Trois-quarts des expertises médicales bidisciplinaires ayant fait l’objet d’une décision d’un tribunal ont été jugées probantes par celui-ci. La proportion est un peu plus faible pour les expertises mono- et pluridisciplinaires, mais il y a de grandes disparités cantonales.

En 2022, la rémunération globale des experts, des binômes et des centres d’expertises s’est élevée à plus de 87 millions de francs. Les expertises médicales pluridisciplinaires représentent près de 62% de ces coûts. Les centres d’expertises bi- et pluridisciplinaires récoltent trois quarts des revenus du marché des expertises médicales.

 

Une première étape est franchie

Pour cette première publication, les offices AI ont saisi manuellement les données durant l’année 2022 pour établir leur liste des experts. En parallèle, une solution informatique permettant une saisie centralisée des données a été développée. Cette solution doit permettre de faciliter la saisie des données, de diminuer le risque d’erreurs, d’automatiser les contrôles et d’améliorer ainsi la qualité des informations pour les listes publiques futures, notamment en ce qui concerne les jugements des tribunaux.

Cette amélioration des données permettra à l’avenir des analyses statistiques plus précises et des comparaisons annuelles.

 

Plusieurs défis

Les listes des expertises peuvent également être utilisées comme outil de travail : elles donnent par exemple une vue d’ensemble des experts et des centres d’expertise disponibles ainsi que de leur orientation spécifique et de leur charge de travail. Ces données montrent l’offre dont disposent les offices AI pour attribuer le plus rapidement possible les mandats d’expertise.

Différents défis se posent pour les expertises. Les offices AI doivent ainsi attribuer aussi vite que possible les nombreuses expertises aux experts et centres d’expertises disponibles afin d’éviter des retards dans la procédure, tout en sachant que le cercle d’experts entrant en ligne de compte en Suisse est très restreint et que l’on a déjà enregistré quelques défections en raison des nouveautés lourdes sur le plan administratif (enregistrements sonores et répartition selon le principe aléatoire). La pression des médias et de la politique sur les centres d’expertises et les experts, pression qui n’est pas toujours fondée sur des faits, joue probablement un rôle, comme les plaintes pénales déposées dans certains cas.

Pour terminer, on observe que les hôpitaux publics ne s’engagent guère dans le domaine des expertises médicales et que l’on accorde trop peu d’attention à la formation de nouveaux experts.

 

 

Liste publique des experts et centres d’expertises mandatés dans l’assurance-invalidité – 2022 (publication du 01.07.2023) consultable ici

Michela Messi/Daniel Salamanca, Expertises AI : la pénurie de médecins entraîne des temps d’attente, in Sécurité sociale CHSS, 03.07.2023, consultable ici

Ralf Kocher, Les listes d’attribution des expertises améliorent la transparence dans l’AI, in Sécurité sociale CHSS, 03.07.2023, consultable ici

 

8C_643/2022 (f) du 07.06.2023 – Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) pour polytraumatisme – Calcul du taux global – 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA / Expertise médicale judiciaire – Questionnaire de la cour cantonale conduisant à influencer les experts dans leurs réponses

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_643/2022 (f) du 07.06.2023

 

Consultable ici

 

Indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) pour polytraumatisme – Calcul du taux global / 24 LAA – 25 LAA – 36 OLAA

Expertise médicale judiciaire – Questionnaire de la cour cantonale conduisant à influencer les experts dans leurs réponses

 

Assuré, né en 1964, directeur d’une société anonyme, a été victime d’un accident le 23.11.2011 : alors qu’il roulait au volant de sa voiture, il est entré en collision avec un camion militaire venant en sens inverse. Polytraumatisé, il a notamment subi de nombreuses fractures du visage et des membres inférieurs.

Dans le cadre de l’instruction médicale, l’assurance-accidents a confié une expertise pluridisciplinaire à un centre d’expertise médicale, qui a rendu son rapport le 05.02.2015. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a – entre autres – a reconnu le droit de l’assuré à une indemnité pour atteinte à l’intégrité (IPAI) fondée sur un taux de 40%. Admission du recours par le tribunal cantonal (arrêt du 27.06.2019). Par arrêt du 06.07.2020 (8C_554/2019), le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours formé par l’assurance-accidents contre l’arrêt du 27.06.2019 et a renvoyé l’affaire à la juridiction cantonale pour qu’elle ordonne une expertise judiciaire. Ce renvoi était motivé par le fait qu’il existait des doutes concernant le bien-fondé du rapport d’expertise du centre d’expertise, notamment par rapport à l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 74/20 ap. TF – 122/2022 – consultable ici)

Expertise judiciaire qui a été confiée à Hôpital C.___.

Par jugement du 29.09.2022, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, portant le taux d’IPAI globale à 60%.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite d’un accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 25 LAA, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est allouée sous forme de prestation en capital (al. 1, première phrase); elle ne doit pas excéder le montant maximum du gain annuel assuré à l’époque de l’accident et elle est échelonnée selon la gravité de l’atteinte à l’intégrité (al. 1, seconde phrase); le Conseil fédéral édicte des prescriptions détaillées sur le calcul de l’indemnité (al. 2).

Consid. 3.2
Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave. L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 de l’OLAA (art. 36 al. 2 OLAA). Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b, 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_580/2022 du 31 mars 2023 consid. 4.1.1 et l’arrêt cité) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). En cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, dues à un ou plusieurs accidents, l’indemnité est fixée d’après l’ensemble du dommage (art. 36 al. 3, première phrase, OLAA). L’indemnité totale ne peut dépasser le montant maximum du gain annuel assuré (art. 36 al. 3, deuxième phrase, OLAA). Il sera équitablement tenu compte des aggravations prévisibles de l’atteinte à l’intégrité; une révision n’est possible qu’en cas exceptionnel, si l’aggravation est importante et n’était pas prévisible (art. 36 al. 4 OLAA).

Consid. 4.1
En l’espèce, la cour cantonale a d’abord constaté que le rapport du 11 juillet 2022 de l’expertise judiciaire qu’elle avait confiée à l’Hôpital C.___ ensuite de l’arrêt 8C_554/2019 pouvait se voir conférer pleine valeur probante. Sur ces éléments, elle a constaté que l’indemnité pour atteinte à l’intégrité globale s’élevait, « comme déjà estimée par le centre d’expertise médicale », à un taux de 60%, mais pour des motifs différents, à savoir: sur le plan orthopédique, un taux de 10% pour chaque genou et de 15% pour le coude gauche, soit un taux arithmétique total de 35% (10% + 10% + 15%) pour l’ensemble des atteintes à la santé sur cet axe; sur le plan ophtalmique, un taux de 10% lié à la diplopie binoculaire au regard vers le haut, dès 15°, sur limitation de l’œil gauche et de 5% liée à la sécheresse oculaire, soit un taux arithmétique total de 15% (10% + 5%) pour les deux affections oculaires; sur le plan esthétique, un taux de 10% pour l’hypoglobie, l’affaissement de la pommette gauche ainsi que l’asymétrie de la fente palpébrale, « en l’absence de débat y relatif »; sur le plan ORL, un taux de 0% en raison de l’absence de séquelles de cet ordre.

 

Consid. 4.3
On rappellera d’abord que dans son arrêt du 06.07.2020, le Tribunal fédéral a considéré qu’il existait des indices concrets qui permettaient de douter du bien-fondé de l’expertise du centre d’expertise, notamment en ce qui concernait l’évaluation de l’atteinte à l’intégrité. Les experts avaient évalué chaque atteinte séparément (affections oculaires 5%; dommages esthétiques 10%; arthrose modérée genou droit 10%; arthrose modérée genou gauche 10%; arthrose avancée huméro-cubitale coude gauche mais pronosupination pas touchée 15%; syndrome d’apnée obstructive du sommeil 5%), sans tenir compte des aggravations prévisibles qui avaient été estimées par les experts à 25% pour le coude et à 30% pour chacun des genoux. En se fondant sur ces chiffres, le Tribunal fédéral a retenu que le taux total qui en résulterait serait de 115% et dépasserait donc le seuil légal de 100%, raison pour laquelle la cour cantonale ne pouvait pas se fonder sur les conclusions émanant des experts du centre d’expertise (arrêt 8C_554/2019 du 6 juillet 2020 consid. 3.6 et 4).

Malgré cette injonction, la cour cantonale a adressé aux experts judiciaires un questionnaire dans lequel elle indiquait les taux et les atteintes précédemment évalués par les experts du centre d’expertise médicale et leur demandait s’ils pouvaient confirmer ces taux. Cette manière de poser les questions conduit cependant à influencer les experts dans leurs réponses. Par ailleurs, les juges cantonaux semblent avoir déterminé le taux de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité en mélangeant les réponses données dans le rapport d’expertise du centre d’expertise médicale avec celles ressortant de l’expertise judiciaire, alors même que le rapport du centre d’expertise médicale avait été qualifié de non probant. Quoi qu’il en soit, l’assurance-accidents a également adressé ses questions aux experts judiciaires, en formulant les questions de manière neutre et ouverte. Aussi, c’est sur cette base qu’il convient de déterminer l’indemnité pour atteinte à l’intégrité.

 

Consid. 4.4
L’indemnité pour atteinte à l’intégrité doit être évaluée sur la base des éléments suivants:

Sur le plan orthopédique, le spécialiste en orthopédie a indiqué que les atteintes des deux genoux et du coude gauche étaient graves et définitives; il a évalué le taux à 10% pour chaque genou et à 15% pour le coude gauche selon le tableau 5 de la CNA (atteinte à l’intégrité résultant d’arthroses), en précisant que le taux arithmétique était de 35%, respectivement de 30% après pondération.

Sur le plan ophtalmologique, le spécialiste en neurologie, chef de clinique en neuro-ophtalmologie, et le spécialiste FMH en ophtalmologie ont retenu une indemnité pour atteinte à l’intégrité globale de 15%, se composant d’un taux de 10% pour la diplopie binoculaire sur limitation de l’élévation de l’oeil gauche et d’un taux de 5% pour la sécheresse oculaire, en précisant que cette dernière était probablement liée à une atteinte antérieure, qui avait très probablement été aggravée par l’accident.

Sur le plan otorhinolaryngologique, le spécialiste en ORL n’a pas retenu d’atteinte à l’intégrité.

 

Consid. 4.5
Au vu de ces appréciations médicales, il y a lieu de constater avec l’assurance-accidents que sur le plan esthétique, aucune atteinte à l’intégrité n’a été retenue par les experts judiciaires et que sur le plan orthopédique, ceux-ci ont retenu un taux pondéré de 30%. En additionnant ainsi les taux de 30% (sur le plan orthopédique) et de 15% (sur le plan ophtalmologique), le taux global de l’indemnité pour atteinte à l’intégrité s’élève à 45% (cf. arrêt U 23/87 du 6 avril 1989 consid. 3f, publié in RAMA 1989 U 78 p. 357). On rappellera aussi que selon l’art. 36 al. 3 OLAA, en cas de concours de plusieurs atteintes à l’intégrité, l’indemnité pour atteinte à l’intégrité est fixée d’après l’ensemble du dommage. En pratique, il est recommandé d’évaluer d’abord chaque dommage séparément et ensuite de procéder à une évaluation globale des atteintes (cf. THOMAS FREI, Die Integritätsentschädigung nach Art. 24 und 25 des Bundesgesetzes über die Unfallversicherung, thèse Fribourg 1998, p. 45). Même si en l’occurrence, une appréciation globale des atteintes à l’intégrité n’a pas été effectuée dans le cadre de l’évaluation consensuelle de l’expertise, le taux de 45% qu’on obtient en additionnant les taux individuels apparaît néanmoins équitable, dès lors que les atteintes concernent différentes parties du corps, qui n’ont pas d’influence les unes sur les autres (cf. FREI, loc. cit.).

Consid. 4.6
Au vu de ce qui précède, l’intimé a droit à une indemnité pour atteinte à l’intégrité fondée sur un taux de 45%.

 

Le TF admet le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_643/2022 consultable ici

 

8C_438/2022 (f) du 26.05.2023 – Stabilisation de l’état de santé – 19 al. 1 LAA / Revenu d’invalide – Abattement (âge [54 ans], années de service, limitations fonctionnelles [membre inférieur]) – 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_438/2022 (f) du 26.05.2023

 

Consultable ici

 

Stabilisation de l’état de santé / 19 al. 1 LAA

Revenu d’invalide – Abattement (âge [54 ans], années de service, limitations fonctionnelles [membre inférieur]) / 16 LPGA

 

Assuré, né en 1965, employé depuis le 13.01.1986 en qualité d’ouvrier auprès de l’entreprise B.__. Le 18.05.1986, l’assuré a subi un grave accident de la circulation routière, sa voiture ayant embouti un arbre jouxtant la chaussée alors qu’il cherchait à éviter une collision frontale en raison d’un dépassement téméraire d’un véhicule circulant en sens inverse, ce qui a entraîné le décès de son ami passager; il a lui-même subi plusieurs atteintes, notamment des fractures du fémur droit, du pilon tibial et du tibia droits. Il a subi deux interventions chirurgicales. Après une incapacité totale de travail, l’assuré a repris son activité professionnelle le 24.11.1986. Il a annoncé plusieurs cas de rechutes, notamment en raison des ablations du matériel d’ostéosynthèse (AMO).

Rechute survenue le 2 octobre 2017 (gonalgies droites). L’assurance-accidents a pris en charge ce cas de rechute. L’assuré, qui travaillait entre-temps pour l’entreprise D.__ Sàrl, a été licencié pour la fin du mois d’août 2017.

Examen par le médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, en février 2019 : du point de vue somatique, la situation semblait plutôt favorable. Compte tenu des seules suites de l’accident de 1986, une pleine capacité de travail pouvait être reconnue à l’assuré dans une activité parfaitement adaptée, à savoir idéalement réalisée à la guise de l’assuré en position assise ou debout, sans déplacement rapide ou prolongé (max. 15 minutes), ne nécessitant pas l’utilisation répétée d’escaliers, le déplacement prolongé en terrain instable, le port de charges lourdes ni les positions agenouillées ou accroupies. IPAI globale estimée à 25%.

Par décision du 28.05.2019, confirmée sur opposition le 27.09.2019, l’assurance-accidents a octroyé à l’assuré une rente d’invalidité de 13% ainsi qu’une IPAI fondée sur un taux de 25%.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 01.06.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
Dans un premier grief, l’assuré fait valoir que son état de santé n’était pas stabilisé le 27.09.2019, au moment de la décision sur opposition litigieuse. Il se fonde sur des rapports médicaux évoquant un traitement chirurgical, voire une arthrodèse. Dès lors qu’un traitement – autre que seulement physiothérapeutique et antalgique – était encore envisageable pour améliorer l’état de sa cheville droite et qu’une prothèse avait été posée ultérieurement, l’assuré estime que son état de santé n’était pas stabilisé en date du 27.09.2019.

Dans le premier rapport, le médecin à la Clinique de la douleur a mentionné que l’arthrose de la cheville droite serait imputable à l’accident, son évolution progressive et son pronostic ne pouvant être appréciés qu’avec des contrôles réguliers; l’aggravation de l’arthrose post-traumatique du pied droit nécessitait un traitement intensif de physiothérapie et la poursuite du traitement antalgique. L’hypothèse de la pose d’une prothèse ou d’une arthrodèse a été évoquée mais pas de manière concrète à ce stade. Quant au deuxième rapport, il ne mentionne pas la nécessité d’une intervention chirurgicale mais souligne que si l’assuré devait souffrir de douleurs malgré le traitement conservateur, une intervention pourrait être envisagée, à savoir une arthrodèse (fixation de l’articulation), laquelle apporterait un soulagement comparable à celui escompté après une infiltration. En tout état de cause, il ne ressort pas des rapports médicaux qui précèdent qu’une arthrodèse au niveau de la cheville droite de l’assuré apporterait une sensible amélioration de son état de santé, l’assuré souffrant par ailleurs de problèmes dégénératifs au niveau de plusieurs de ses articulations. Vu ce qui précède, les rapports médicaux dont se prévaut l’assuré ne permettent pas de remettre en cause la date de stabilisation de son état de santé fixée au 27.09.2019.

 

Consid. 4.3.1
L’assuré demande qu’un abattement d’au moins 10% soit effectué sur son revenu d’invalide dès lors qu’il subirait un désavantage salarial dans la recherche d’un nouvel emploi en raison de ses limitations fonctionnelles, de son âge (54 ans) et du fait qu’avant de perdre son dernier emploi, il avait été six ans au service du même employeur et aurait donc perdu la progression salariale y afférente.

Consid. 4.3.2
La cour cantonale a constaté que l’assurance-accidents avait fixé à 74’150 fr. le revenu sans invalidité à prendre en considération pour le calcul de la rente d’invalidité, montant qui n’était pas contesté par l’assuré. Pour ce qui est du revenu d’invalide, la cour cantonale s’est référée aux données de l’ESS 2016, en prenant pour base le salaire auquel peuvent prétendre les hommes dans des tâches physiques ou manuelles simples (niveau de compétence 1) dans le secteur privé, soit 5’340 fr. par mois pour 40 heures de travail par semaine (tableau TA1_tirage_skill_level). Après adaptation à l’évolution des salaires et à la durée normale dans les entreprises en 2019 (41,7 heures), il en résultait un montant annuel de 67’743 fr. En outre, la cour cantonale a confirmé l’abattement de 5% retenu par l’assurance-accidents pour prendre en compte les limitations fonctionnelles de l’assuré, ce qui portait le revenu d’invalide à 64’355 fr. 85.

Consid. 4.3.3
En ce qui concerne l’étendue de l’abattement, on rappellera que la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc). Le point de savoir s’il y a lieu de procéder à un abattement sur le salaire statistique en raison de circonstances particulières (liées au handicap de la personne ou à d’autres facteurs) est une question de droit qui peut être examinée librement par le Tribunal fédéral; en revanche, l’étendue de l’abattement à opérer sur le salaire statistique dans un cas concret constitue une question relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou en a abusé (« Ermessensmissbrauch »), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (ATF 137 V 71 consid. 5.1; 132 V 393 consid. 3.3).

Consid. 4.3.4
L’assuré n’expose pas – et on ne voit pas – en quoi ses perspectives salariales seraient concrètement réduites sur un marché du travail équilibré en raison de son âge. En outre, étant âgé de 53 ans au moment de la naissance du droit à la rente, respectivement de 54 ans au moment de la décision sur opposition, l’assuré n’avait pas encore atteint l’âge à partir duquel le Tribunal fédéral reconnaît généralement que ce facteur peut être déterminant et nécessite une approche particulière (arrêts 8C_608/2021 du 26 avril 2022 consid. 4.3.2; 8C_175/2020 du 22 septembre 2020 consid. 4.2). Comme les activités adaptées envisagées du niveau de compétence 1 ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique, les effets pénalisants au niveau salarial induits par l’âge ne peuvent pas être considérés comme suffisamment établis. En outre, il faut rappeler que ces emplois non qualifiés sont, en règle générale, disponibles indépendamment de l’âge de l’intéressé sur un marché du travail équilibré (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1; arrêts 8C_661/2018 du 28 octobre 2019 consid. 3.3.4.2; 8C_103/2018 du 25 juillet 2018 consid. 5.2).

Consid. 4.3.5
En ce qui concerne la prise en compte d’un abattement lié aux années de service, elle n’est pas justifiée dans le cadre du choix du niveau de compétence 1 de l’ESS, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (voir 8C_103/2018 précité consid. 5.2). Il en irait différemment à partir du niveau de compétence 2, s’agissant d’emplois qualifiés dans lesquels l’expérience professionnelle accumulée auprès d’un même employeur est davantage valorisée.

Consid. 4.3.6
En conclusion, seules les limitations fonctionnelles de l’assuré – prohibant les déplacements rapides ou prolongés au-delà de 15 minutes, l’utilisation répétée d’escaliers, le déplacement prolongé en terrain instable, le port de lourdes charges ainsi que les positions agenouillées ou accroupies – ont une incidence sur les activités simples et légères qui restent exigibles de sa part. Dès lors que l’assurance-accidents avait tenu compte desdites limitations pour réduire le salaire statistique de 5%, il n’appartient pas au Tribunal fédéral de s’en écarter.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_438/2022 consultable ici