8C_638/2015 (f) du 09.05.2016 – Pas d’entreprise téméraire absolue pour la pratique de « streetluge » – 39 LAA – 50 OLAA / Entreprise téméraire relative confirmée

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_638/2015 (f) du 09.05.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/20Qg1WP

 

Pas d’entreprise téméraire absolue pour la pratique de « streetluge » – 39 LAA – 50 OLAA

Entreprise téméraire relative confirmée au regard des circonstances du cas d’espèce

 

Selon le TF, la pratique de « streetluge » ne constitue pas, en tant que telle, une entreprise téméraire absolue.

Toutefois, au vu des circonstances du cas d’espèce, le Tribunal fédéral a jugé que c’est à juste titre que l’assurance-accidents a opéré une réduction de 50% sur les prestations en espèces (entreprise téméraire relative ; art. 50 OLAA).

 

TF

Entreprise téméraire

L’art. 39 LAA habilite le Conseil fédéral à désigner les dangers extraordinaires et les entreprises téméraires qui motivent dans l’assurance des accidents non professionnels le refus de toutes les prestations ou la réduction des prestations en espèces. La réglementation des cas de refus ou de réduction peut déroger à l’art. 21 al. 1 à 3 LPGA. Fondé sur cette norme de délégation de compétence, l’art. 50 OLAA prévoit qu’en cas d’accidents non professionnels dus à une entreprise téméraire, les prestations en espèces sont réduites de moitié; elles sont refusées dans les cas particulièrement graves (al. 1); les entreprises téméraires sont celles par lesquelles l’assuré s’expose à un danger particulièrement grave sans prendre de mesures destinées à ramener celui-ci à des proportions raisonnables ou sans pouvoir prendre de telles mesures; toutefois, le sauvetage d’une personne est couvert par l’assurance même s’il peut être considéré comme une entreprise téméraire (al. 2).

La jurisprudence qualifie d’entreprises téméraires absolues celles qui, indépendamment de l’instruction, de la préparation, de l’équipement et des aptitudes de l’assuré, comportent des risques particulièrement importants, même si elles sont pratiquées dans les conditions les moins défavorables. Il en va de même des activités risquées dont la pratique ne répond à aucun intérêt digne de protection (ATF 141 V 216 consid. 2.2 p. 218; 138 V 522 consid. 3.1 p. 524; SVR 2007 UV n o 4 p. 10 [U 122/06] consid. 2.1). Ont par exemple été considérées comme des entreprises téméraires absolues la participation à une course automobile de côte ou en circuit (ATF 113 V 222; 112 V 44), à une compétition de motocross (RAMA 1991 n o U 127 p. 221 [U 5/90]), à un combat de boxe ou de boxe thaï (ATFA 1962 p. 280; RAMA 2005 n o U 552 p. 306 [U 336/04]), la pratique, même à titre de hobby, du « Dirt Biking » (ATF 141 V 37), un plongeon dans une rivière d’une hauteur de quatre mètres sans connaître la profondeur de l’eau (ATF 138 V 522), ou encore, faute de tout intérêt digne de protection, l’action de briser un verre en le serrant dans sa main (SVR 2007 UV n° 4 p. 10 [U 122/06] consid. 2.1)

D’autres activités non dénuées d’intérêt comportent des risques élevés, qui peuvent être limités, toutefois, à un niveau admissible si l’assuré remplit certaines exigences sur le plan des aptitudes personnelles, du caractère et de la préparation. A défaut, l’activité est qualifiée de téméraire et l’assurance-accidents est en droit de réduire ses prestations conformément aux art. 39 LAA et 50 OLAA. On parle dans ce cas d’une entreprise téméraire relative, en ce sens que le refus ou la réduction des prestations dépend du point de savoir si l’assuré était apte à l’exercer et a pris les précautions nécessaires pour limiter les risques à un niveau admissible (ATF 141 V 216 consid. 2.2 p. 218; 138 V 522 consid. 3.1 p. 524). Peuvent constituer des entreprises téméraires relatives, le canyoning (ATF 125 V 312), la plongée, y compris la plongée spéléologique dans une source (ATF 134 V 340; 96 V 100), l’alpinisme et la varappe (ATF 97 V 72, 86), le vol delta (ATF 104 V 19), à certaines conditions la pratique de la moto sur circuit en dehors d’une compétition (arrêt 8C_472/2011 du 27 janvier 2012). Selon le degré de difficulté et le niveau de risque dans un cas particulier, il n’est pas exclu de qualifier l’une ou l’autre de ces activités d’entreprise téméraire absolue (ATF 134 V 340 consid. 3.2.3 p. 345).

 

Pratique de la streetluge

La « streetluge » (ou « luge de rue ») est un engin composé d’un châssis reposant sur des roulettes de type planche à roulettes. D’une longueur de 1,5 m et plus, elle est souvent construite d’acier, de fer, d’aluminium, de bois ou de fibre. Elle possède des poignées et pour certaines un appui-tête, un carénage et des cale-pieds. Le « streetluger » est équipé de protections de type moto (combinaison de cuir, casque, gants de cuir, protection dorsale). Il porte également une paire de chaussures sous laquelle sont collés des freins, souvent fabriqués avec de la gomme de pneumatique dépourvue de structure métallique. La position d’évolution se fait allongé sur le dos, pieds en avant, les bras le long du corps, la tête légèrement relevée. La « streetluge » avance grâce à une poussée des mains sur le sol pour lancer l’engin, puis la pente prend le relais. Le freinage se fait en position assise en exerçant une pression sur les pieds (L’encyclopédie libre Wikipédia, https://fr.wikipedia.org/wiki/Streetluge).

L’ancien Tribunal fédéral des assurances a jugé qu’une descente d’un col en planche à roulettes, en dehors de toute compétition et sans que la recherche de vitesse soit un but, ne représentait pas une entreprise téméraire absolue. Il a nié, dans les circonstances concrètes du cas, qu’il se fût agi d’une entreprise téméraire relative. En effet, le tronçon de route avait été fermé à la circulation routière. La chaussée était sèche. L’assuré était équipé de toutes les protections nécessaires. Il était expérimenté dans la pratique de ce sport (RAMA 2001 n o U 424 p. 205, arrêt U 187/99).

On peut tirer de cet arrêt une analogie certaine avec la présente cause, ce qui permet de retenir que la pratique de la « streetluge » ne constitue pas, dès l’abord, une entreprise téméraire absolue. Il faut donc examiner si l’existence d’une entreprise téméraire relative doit être reconnue au regard des circonstances du cas concret.

Comme l’ont relevé les premiers juges (arrêt AA 117/13 – 75/2015), le site internet du « Bukolik » indique un parcours d’une longueur de 2200 m, la présence d’épingles (quatre) et de chicanes (deux). On peut y lire sous la rubrique « Bitume »: les mots suivants: « bosselé, gluant, joueur… que du bonheur! » S’agissant de la difficulté, il est précisé que le tracé est rendu difficile par son étroitesse et par la fatigue due à l’enchaînement des descentes. Les participants sont avertis, sur ce même site, toujours, que le « Bukolik  » n’est pas un « Freeride » pour débutants, mais « un terrain de jeu parfait pour les riders expérimentés ».

On doit donc conclure que le risque d’accident était élevé pour l’assuré qui était non seulement un novice de la discipline, mais qui n’avait jusqu’alors jamais essayé une « streetluge » (la luge lui avait été prêtée par un ami). Le fait que l’accident ne s’est pas produit à un endroit particulièrement dangereux ne saurait être décisif. Comme indiqué, l’enchaînement des descentes fait partie des difficultés de l’épreuve. Au demeurant, le fait que l’accident serait survenu sur une portion du tronçon réputée sans danger tend à accréditer la thèse selon laquelle l’assuré n’avait pas une maîtrise suffisante de son engin ou que sa vitesse n’était pas adaptée. Quant à la déclivité des lieux, elle devait être assez forte, du moins dans certaines portions du tracé, si l’on considère que, de l’aveu même de l’assuré, certains participants atteignent une vitesse de 100 km/h.

S’agissant d’une manifestation réservée à des adeptes chevronnés et avides de fortes sensations, l’intérêt réside précisément dans la possibilité d’atteindre des vitesses élevées tout en cherchant à surmonter les difficultés du parcours. Au demeurant, une vitesse de 40 km/h n’est pas sans danger, du moins pour un débutant, qui se trouve en position couchée, la tête à l’arrière de l’engin – ce qui favorise l’aérodynamisme mais restreint la visibilité – et qui ne dispose d’aucun moyen mécanique de freinage. Une telle vitesse était en tout cas suffisamment importante pour créer un risque de blessures graves. Le présent cas en est une illustration.

En conclusion, le Tribunal fédéral juge que c’est à juste titre que la juridiction cantonale a confirmé la réduction opérée par l’assurance-accidents, au motif que l’assuré avait provoqué l’accident par une entreprise téméraire.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_638/2015 consultable ici : http://bit.ly/20Qg1WP

 

 

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