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9C_278/2024 (f) du 10.12.2024 – Rente de concubin survivant – Concubinage et notions de «ménage commun» et de «domicile commun» / 20a LPP – 23 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_278/2024 (f) du 10.12.2024

 

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Rente de concubin survivant – Concubinage et notions de «ménage commun» et de «domicile commun» / 20a LPP – 23 CC

 

B.__ et A.__ ont formé une communauté de vie, dont sont issus deux enfants nés en 1997 et 1999. Le 17.10.2021, B.__ et A.__ ont adressé à l’institution de prévoyance de B.__ un formulaire d’annonce de concubinage, en indiquant former un ménage commun depuis le 05.08.1995. L’adresse du prénommé était à U.__. Quant à celle de B.__, elle était à V.__.

À la suite du décès de B.__ survenu en novembre 2021, A.__ s’est adressé à la caisse de pensions pour lui demander s’il avait droit à des prestations. Au terme d’un échange de correspondances, l’institution de prévoyance a nié le droit du prénommé à des prestations de survivants, pour le motif qu’il ne vivait pas officiellement à la même adresse que feue sa concubine.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 21/23 – 15/2024 – consultable ici)

Par jugement du 25.03.2024, admission de l’action par le tribunal cantonal, condamnant l’institution de prévoyance à verser au prénommé une rente mensuelle de concubin survivant de CHF 1’388.20 dès le 01.12.2021, avec intérêt moratoire à 5% sur chaque échéance.

 

TF

Consid. 2.1
Le litige porte sur le droit du concubin survivant à des prestations de survivants de la prévoyance professionnelle plus étendue, singulièrement à une prestation (réglementaire) de concubin survivant. Est seul litigieux le point de savoir si la juridiction cantonale a interprété à bon droit la notion de « ménage commun » entre l’assurée défunte et son concubin survivant au sens de l’art. 71 al. 1 let. a du règlement des prestations de la caisse de pension (RPC).

Consid. 2.3
On ajoutera, à la suite de l’instance cantonale, que les prestations au conjoint survivant ou au concubin sont régies aux art. 65 à 71 RPC. Dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31.12.2023, applicable en l’espèce (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et les références), l’art. 71 al. 1 let. a RPC, avec le titre marginal « Concubin », prévoit que le concubin d’un assuré ou d’un pensionné qui décède a droit à une prestation au sens des art. 65 ou 69 RPC, jusqu’à son décès, jusqu’à son mariage ou à la naissance d’une autre relation de concubinage, s’il prouve que l’assuré ou le pensionné défunt vivait en ménage commun avec le survivant au jour du décès depuis cinq ans, de manière ininterrompue; ce délai est ramené à une année si les concubins ont un enfant au sens de l’art. 75 RPC.

Consid. 3.1 [résumé]
La juridiction cantonale a constaté que, durant l’année précédant le décès de B.__, le concubin était domicilié à U.__ tandis que la défunte l’était à V.__. Malgré cette différence d’adresse, la cour a estimé que les preuves fournies établissaient, au degré de la vraisemblance prépondérante, que le couple avait effectivement vécu en ménage commun durant la période en cause, malgré l’absence d’une adresse commune de domicile. Sur la base d’une projection fournie par l’institution de prévoyance, les juges ont fixé le montant de la prestation de concubin survivant à CHF 1’388.20. Ils ont ordonné à la caisse de pensions de verser cette prestation au concubin survivant à partir de décembre 2021, avec des intérêts de 5% pour chaque échéance.

Consid. 4.1
À la suite des juges cantonaux, on rappellera que le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion d’interpréter la notion de « ménage commun » au sens de l’art. 65a let. a aLCP, dont la teneur a depuis lors été reprise à l’art. 71 al. 1 let. a RPC. Dans l’arrêt qu’elle a rendu le 12 juin 2012, la II e Cour de droit social (depuis le 1er janvier 2023: III e Cour de droit public) a considéré que le législateur vaudois n’entendait pas s’éloigner de la notion de vie en ménage commun au sens courant ou usuel, mais retenait celle de communauté domestique ou de communauté de toit impliquant un domicile commun des deux concubins (arrêt 9C_403/2011 précité consid. 4.2.4). Les conditions pour procéder à un revirement de jurisprudence ne sont pas réalisées en l’espèce (sur ce point, cf. ATF 142 V 112 consid. 4.4 et les arrêts cités), si bien qu’il n’y a pas lieu de s’écarter de cette jurisprudence. Ni la recourante ni le concubin survivant ne prétendent le contraire. La notion de « ménage commun » au sens de l’art. 71 al. 1 let. a RPC doit dès lors être comprise comme impliquant un domicile commun des concubins.

Consid. 4.2
Il reste à examiner ce qu’exige la notion de domicile commun.

Consid. 4.2.1
La notion de domicile est définie à l’art. 23 CC. Aux termes de l’art. 23 al. 1, 1re phrase, CC, le domicile de toute personne est au lieu où elle réside avec l’intention de s’y établir. Nul ne peut avoir en même temps plusieurs domiciles (art. 23 al. 2 CC). La notion de domicile contient deux éléments: d’une part, la résidence, soit un séjour d’une certaine durée dans un endroit donné et la création en ce lieu de rapports assez étroits et, d’autre part, l’intention de se fixer pour une certaine durée au lieu de sa résidence qui doit être reconnaissable pour les tiers et donc ressortir de circonstances extérieures et objectives. Cette intention implique la volonté manifestée de faire d’un lieu le centre de ses relations personnelles et professionnelles. L’intention d’une personne de se fixer au lieu de sa résidence ne doit pas être examinée de façon subjective, au regard de sa volonté interne, mais à la lumière de circonstances objectives, reconnaissables pour les tiers, permettant de conclure à l’existence d’une telle intention. Le domicile d’une personne se trouve ainsi au lieu avec lequel elle a les relations les plus étroites, compte tenu de l’ensemble des circonstances. Le lieu où les papiers d’identité ont été déposés ou celui figurant dans des documents administratifs, comme des attestations de la police des étrangers, des autorités fiscales ou des assurances sociales constituent des indices qui ne sauraient toutefois l’emporter sur le lieu où se focalise un maximum d’éléments concernant la vie personnelle, sociale et professionnelle de l’intéressé (ATF 141 V 530 consid. 5.2 et les arrêts cités).

Le lieu où la personne réside (élément objectif) et son intention de s’établir (élément subjectif) relèvent de l’établissement des faits, que le Tribunal fédéral ne corrige qu’en cas d’arbitraire (art. 97 al. 1 LTF, en relation avec l’art. 9 Cst.). En revanche, les conclusions à en déduire sous l’angle de l’art. 23 al. 1 CC quant à l’intention de s’établir ressortissent au droit, dont le Tribunal fédéral revoit librement l’application (ATF 136 II 405 consid. 4.3; arrêts 8C_32/2024 du 4 novembre 2024 consid. 8.3.1; 6B_1022/2023 du 27 mars 2024 consid. 2.1.2).

Consid. 4.2.2
En l’occurrence, si la juridiction cantonale a retenu que le concubin survivant a été domicilié officiellement à U.__ (conformément à l’attestation établie par le Service du contrôle des habitants, elle n’a toutefois pas examiné si ce lieu correspondait effectivement à l’endroit avec lequel le concubin survivant avait les relations les plus étroites. Or en admettant que l’intéressé avait vécu en ménage commun avec B.__ au sens de l’art. 71 al. 1 let. a RPC au moins depuis novembre 2020, les juges cantonaux ont en fin de compte reconnu un domicile commun. En effet, il ressort de leurs constatations que, d’un point de vue objectif, le centre des relations de A.__ se trouvait à V.__ durant la période déterminante. Selon les faits constatés dans le jugement attaqué, le concubin survivant et B.__ étaient copropriétaires, chacun pour une demie, du logement sis à cette adresse depuis 2003 et différentes correspondances y avaient été envoyées au prénommé (s’agissant de cotisations qu’il avait acquittées dans le cadre de son activité professionnelle et des primes de l’assurance-maladie et de l’assurance-ménage, notamment). Selon les témoignages de trois habitants de l’immeuble sis à V.__, A.__ avait été présent à cette adresse sans discontinuité et le prénommé avait par ailleurs expliqué, dans ses premières déclarations, que le logement qu’il louait depuis plus de 44 ans à U.__ était destiné uniquement à des fins professionnelles. On constate effectivement, à la lecture du courrier que le concubin survivant a adressé à l’institution de prévoyance le 20.02.2023, qu’il indiquait s’être inscrit au Service du contrôle des habitants à l’adresse de U.__ afin de pouvoir conserver la jouissance de cet appartement pour son travail, tandis que l’appartement sis à V.__ constituait le « siège de l’activité familiale » où étaient domiciliés feue sa concubine et leurs deux enfants.

Les constatations de la juridiction cantonale quant au ménage commun formé par le concubin survivant et feue l’assurée mettent en évidence que le centre des intérêts du concubin survivant au sens de l’art. 23 al. 1 CC se trouvait au lieu où il vivait avec ses enfants et leur mère, à V.__. L’institution de prévoyance ne s’en prend pas à ces constatations. Elle se limite à affirmer que l’exigence d’un domicile commun qu’elle a posée dans son règlement de prévoyance est « parfaitement conforme au droit fédéral pertinent », sans se référer aux éléments constitutifs de la notion de domicile au sens de l’art. 23 CC. Ce faisant, elle méconnaît que le domicile d’une personne ne se trouve pas nécessairement à l’adresse indiquée auprès du Service du contrôle des habitants (consid. 4.2.1 supra).

Consid. 4.2.3
En définitive, compte tenu des circonstances, la conclusion de la juridiction de première instance, selon laquelle le concubin survivant et B.__ ont vécu en ménage commun durant l’année précédant le décès de cette dernière, malgré l’absence d’une adresse commune, doit être confirmée. Le jugement entrepris est conforme au droit dans son résultat.

 

Le TF rejette le recours de l’institution de prévoyance.

 

Arrêt 9C_278/2024 consultable ici

 

9C_297/2022 (f) du 30.10.2023 – Prestation pour survivants – Communauté de vie au cours des cinq années qui précèdent immédiatement le décès – 20a al. 1 let. a LPP / Relation atypique – Absence de communauté d’habitation

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_297/2022 (f) du 30.10.2023

 

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Prestation pour survivants – Communauté de vie au cours des cinq années qui précèdent immédiatement le décès / 20a al. 1 let. a LPP

Relation atypique – Absence de communauté d’habitation

 

D.__ (l’assuré) est décédé le 08.05.2019.

La Fondation de prévoyance de cette société (ci-après: la fondation) – qui avait entamé des démarches auprès de la mère du défunt, A.__, pour lui verser les prestations prévues en cas de décès – a suspendu le traitement du dossier (courriel du 31 juillet 2019) à cause de l’annonce de C.__ de la communauté de vie formée avec le défunt depuis longtemps. Au terme d’un échange de correspondances tendant à déterminer la bénéficiaire des prestations prévues en cas de décès, elle a informé A.__ et C.__ qu’elle ne verserait pas de prestations en l’absence d’accord entre elles ou d’une décision de justice définitive et exécutoire.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/411/2022 – consultable ici)

Le 17.11. 2020, A.__ a ouvert action contre la fondation. Pendant la procédure, elle a conclu à ce que la fondation soit condamnée à lui verser, d’une part, la prestation de libre passage du défunt de 838’122 fr. 25 et, d’autre part, le capital-décès complémentaire de 629’000 fr., avec intérêts à 5% dès le 05.08.2019. La fondation s’en est remise à justice. C.__ a été appelée en cause le 15.12.2020. Elle a conclu à la condamnation de la fondation à lui verser, d’une part, une rente de survivant d’un montant annuel de 50’320 fr. sous la forme d’un capital unique et, d’autre part, le capital-décès complémentaire de 629’000 fr., avec intérêts à 5% dès le 05.02.2021.

A l’issue de la procédure, la juridiction cantonale a reconnu à C.__ la qualité d’ayant droit aux prestations prévues en cas de décès de D.__, condamné la fondation à lui verser ce qui était dû selon son règlement et renvoyé la cause à cette institution pour qu’elle chiffre les prétentions en découlant (arrêt du 02.05.2022).

 

TF

Consid. 4.1
Comme mentionné par le tribunal cantonal, l’art. 20a al. 1 LPP (depuis son entrée en vigueur le 1er janvier 2005) permet aux institutions de prévoyance d’inscrire dans leurs règlements comme bénéficiaires des prestations pour survivants – en plus des ayants droit selon les art. 19 à 20 LPP (le conjoint ou le partenaire enregistré et les orphelins) – notamment les personnes qui avaient formé avec le défunt une communauté de vie d’au moins cinq ans immédiatement avant son décès (let. a) ou les parents de celui-ci (let. b).

Consid. 4.2
Comme l’a également relevé la juridiction cantonale, la fondation intimée a fait usage de cette possibilité en édictant les art. 36 et 39 de son règlement (dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2019). Ainsi, le concubin de sexe opposé a droit à la rente de survivant, dès lors qu’il est assimilé au conjoint survivant s’il a formé avec le défunt une communauté de vie ininterrompue d’au moins cinq ans tout de suite avant le décès (art. 36 al. 2 let. a). Il a aussi droit au capital-décès en l’absence d’un conjoint ou d’orphelins. Les parents peuvent également prétendre un capital-décès si d’autres bénéficiaires prioritaires font défaut (art. 39 al. 1).

Consid. 4.3
Selon la jurisprudence, la communauté de vie au sens de l’art. 20a al. 1 let. a LPP (ou de l’art. 36 al. 2 let. a du règlement en l’occurrence) est la relation en principe exclusive tant sur le plan intellectuel et moral que physique et économique qu’établissent deux personnes, de même sexe ou de sexes différents. Ces diverses caractéristiques ne sont pas forcément cumulatives. Il n’est notamment pas nécessaire qu’il y ait eu une communauté d’habitation, permanente et indivise, ni que l’une des parties ait été entretenue de façon déterminante par l’autre. Est seul décisif le point de savoir si l’appréciation des circonstances prouve que les deux partenaires sont disposés à se prêter mutuellement fidélité et assistance, comme l’exige l’art. 159 al. 3 CC des époux (ATF 138 V 86 consid. 4.1 et les références). Compte tenu de la difficulté à établir que les concubins sont fidèles l’un à l’autre et se prêtent assistance comme le feraient des époux, le Tribunal fédéral présume que le concubinage, d’une durée de cinq ans, est une communauté de destin semblable à un mariage. Cela implique que la partie au procès, qui entend déduire des droits d’un concubinage, doit uniquement prouver que celui-ci existe et qu’il a duré au moins cinq ans. Si elle y parvient, il appartient alors à la partie adverse de démontrer que le concubinage en question n’est pas si étroit ou si stable que les concubins puissent s’attendre à un soutien mutuel semblable à celui existant dans un mariage (arrêt 9C_680/2009 du 23 octobre 2009 consid. 1.3 et les références).

 

Consid. 5.1
A propos de la prémisse de la présomption, la juridiction cantonale a déduit principalement des déclarations faites en audiences d’enquête par E.__, le fils de l’appelée en cause, F.__, la psychologue de cette dernière, G.__, une amie de C.__, et H.__, une amie de la mère de l’appelée en cause, que C.__ et D.__ avaient entretenu une relation de couple, même si leur relation était atypique, dès lors qu’ils n’avaient jamais vécu sous le même toit. Elle a ensuite considéré que cette relation revêtait toutes les qualités d’une communauté de vie telle que visée par la jurisprudence, en particulier sur les plans économique et affectif, depuis l’année 2004. Elle a relevé que l’assuré avait cosigné le bail de l’appelée en cause, qu’il lui avait transféré le montant total de 92’060 fr. entre 2007 et le mois ayant précédé son décès et qu’il l’avait invitée pour des vacances à Paris et au Kenya. Elle a en outre déduit des témoignages évoqués que le couple était amoureux, qu’il avait une vie affective et que leur relation était exclusive. Elle a par ailleurs exclu l’éventualité de la rupture, évoquée par la recourante, I.__ (sa fille), ainsi que J.__ (sa petite-fille), en raison d’incohérences dans leurs propos et de plusieurs éléments plaidant en faveur de la poursuite de la relation, y compris pendant les cinq années précédant le décès. De même, elle a écarté leurs déclarations, en tant qu’elles paraissaient expliquer l’assistance apportée à C.__ plus par un sentiment de pitié que d’amour ou mettre en doute la stabilité et le caractère exclusif de la relation, au motif que les éléments du dossier (particulièrement les déclarations de K.__ et de L.__, collègues et amis du défunt) démontraient le contraire et empêchaient ainsi le renversement de la présomption.

 

Consid. 5.2
La recourante
[…] soutient plus particulièrement que le tribunal cantonal a omis de prendre en considération le fait (pourtant dûment allégué plusieurs fois au cours de la procédure cantonale) que C.__ avait été incapable de produire la moindre information précise et vérifiable ou le moindre élément matériel (correspondances, copies de sms, messages WhatsApp ou e-mails, relevés de téléphone, photographies, factures/relevés de carte bancaire en relation avec des dépenses communes, mention du nom d’un établissement public [dans lequel le couple aurait eu ses habitudes] ou d’amis communs, cadeaux faits lors d’événements particuliers) prouvant sa relation avec le défunt ou permettant d’apprécier la nature des sentiments que les partenaires se portaient. Elle considère que ce manquement est d’autant plus grave que les quelques témoignages sur lesquels reposent l’acte attaqué sont des témoignages indirects qui émanent de personnes n’ayant presque jamais vu l’appelée en cause en compagnie de l’assuré durant les cinq années précédant le décès ou faisant avant tout état d’événements qui s’étaient déroulés avant la période déterminante. Elle rappelle en outre que si l’assuré a bien cosigné le bail de l’appartement de C.__, cet événement remonte à l’année 2005, que s’il lui a versé près de 90’000 fr. depuis 2007, la somme totale transférée pendant les cinq dernières années est bien inférieure et que si le couple a partagé certains loisirs, ceux connus consistent en un voyage au Kenya en 2011 et – au cours de la période déterminante – en un week-end à Paris et deux journées d’excursion. Elle relève également que la juridiction cantonale a admis que les souvenirs rapportés par E.__ (né en 1995) remontaient essentiellement à son enfance et à son adolescence.

Consid. 5.3
L’appelée en cause
soutient que les éléments retenus par la cour cantonale démontrent qu’elle entretenait une relation de couple avec le défunt non seulement depuis 2004 mais aussi pendant les cinq années précédant le décès. Elle évoque à ce sujet le soutien financier – décrit comme étant conséquent et régulier – apporté par l’assuré entre 2004 et 2019, ainsi que l’influence que ce dernier a exercée sur ses enfants. Elle relève aussi les témoignages concordants. Elle souligne encore les contradictions entachant les propos de la mère de l’assuré et les vaines tentatives de discréditer les témoins entreprises par celle-ci. Elle constate par ailleurs que la recourante a échoué à renverser la présomption de concubinage. Elle rappelle à cet égard les raisons pour lesquelles le couple avait choisi de vivre séparément, de façon « atypique ». Elle souligne que, dans ces circonstances, l’absence d’éléments matériels (courriels, photographies, etc.) n’est pas déterminante. Elle relève en outre que les déclarations des témoins cités par la mère du défunt se contredisent mutuellement et intrinsèquement.

 

Consid. 5.4.1
L’argumentation de la mère de l’assuré est infondée. En effet, le tribunal cantonal pouvait inférer des témoignages réunis (déclarations des proches du défunt ou de C.__) et des circonstances (voyages, excursions, signature du contrat de bail, transferts d’argent, etc.), sans commettre d’arbitraire dans la constatation des faits et dans l’appréciation des preuves que l’appelée en cause avait établi au degré de vraisemblance requis en matière d’assurances sociales (ATF 139 V 176 consid. 5.3), l’existence d’un concubinage qualifié au sens de la loi et du règlement, à savoir d’une communauté de vie ininterrompue d’au moins cinq ans immédiatement avant le décès.

Consid. 5.4.2.1
D’après les constatations cantonales, l’existence d’une relation de couple se fonde non seulement sur les témoignages des personnes liées à C.__ (son fils, sa psychologue, deux amies proches), mais aussi sur les déclarations des personnes liées au défunt (K.__, un ex-collègue et ami) et/ou à sa mère (sa sœur, sa nièce). Le couple y est décrit comme étant « atypique » et n’ayant jamais vécu sous le même toit pour des raisons inhérentes aux personnalités des deux protagonistes ainsi qu’à leurs vécus (besoin de protéger ses enfants en lien avec la perte de ses propres parents avant d’avoir atteint l’âge adulte pour l’appelée en cause; caractère secret et solitaire, tendance à compartimenter les différents aspects de sa vie pour l’assuré). L’existence de ladite relation ressort toutefois de tous les témoignages mentionnés. Dans ces circonstances, il n’était a priori pas arbitraire de la part des juges cantonaux d’en reconnaître l’existence. La recourante conteste l’existence même de cette relation. Elle invoque d’abord à cet égard l’absence d’élément matériel (correspondances, sms ou e-mails, relevés de téléphone, photographies, relevés de cartes bancaires liés à des dépenses communes, mention d’un établissement dans lequel le couple aurait eu ses habitudes ou d’amis communs, cadeaux faits lors d’événements particuliers) pouvant attester la relation entre l’assuré et C.__. Dès lors que la jurisprudence sur la définition de la communauté de vie (cf. consid. 4.3 supra) reconnaît la difficulté à établir que des concubins se prêtent fidélité et assistance comme le feraient des époux (d’autant plus qu’il n’est pas nécessaire qu’ils partagent le même logement ou que l’un entretienne l’autre de manière déterminante), des éléments tels que ceux évoqués font partie des circonstances qu’il convient d’apprécier pour démontrer l’existence d’une relation de couple. Leur absence ne signifie toutefois pas que la conclusion du tribunal cantonal serait arbitraire. Un couple peut effectivement choisir de vivre discrètement voire même de façon cachée sans que cela n’altère la nature de la relation. Peu importe dès lors l’absence de photographies, de messages, de cadeaux ou de tout autre élément du moment que comme en l’espèce, divers témoignages concordants attestent la relation de concubinage.

Consid. 5.4.2.2
On relèvera encore que les témoignages recueillis en première instance ne sont pas les seuls éléments de preuve qui ont conduit la juridiction cantonale à reconnaître une véritable communauté de vie depuis 2004. Dans son examen de la nature de la relation de l’appelée en cause et du défunt, elle a notamment retenu, sur le plan matériel, le soutien financier important et régulier (cosignature du bail, versements d’argent) ainsi que le financement de vacances (au Kenya, à Paris) et, sur le plan affectif, la participation de l’assuré à la vie familiale de C.__ ainsi que l’influence exercée par le premier sur le fils de la seconde. Elle a également déduit de certains témoignages, plus particulièrement de ceux du fils et de la psychothérapeute de l’appelée en cause, que le couple était amoureux, qu’il avait une vie affective et que leur relation était exclusive. La mère de l’assuré ne conteste pas ces éléments en tant que tels, mais cherche seulement à en atténuer la portée pour les cinq années précédant le décès.

Consid. 5.4.2.3
Vu ce qui précède, on ne peut pas valablement reprocher aux juges cantonaux d’avoir fait preuve d’arbitraire en retenant que le défunt et l’assurée avaient entretenu une relation de couple depuis 2004 au moins.

 

Consid. 5.4.3
La cour cantonale a déduit de ces mêmes moyens de preuve (cf. consid. 5.4.2 supra) que l’assuré et C.__ avaient formé une communauté de vie ininterrompue de 2004 jusqu’au moment du décès. Elle a en outre exclu que la rupture évoquée par les proches du défunt se soit produite, relevant que les déclarations de ces derniers contenaient des incohérences et que d’autres éléments établissaient le maintien de la relation. Parmi ces éléments, elle a retenu les déclarations (constantes et cohérentes) de l’appelée en cause, la certitude exprimée par sa psychothérapeute (qui la suivait régulièrement depuis près de quinze ans) et les propos (concordants et convaincants) de H.__, G.__ et E.__. Son appréciation n’est pas arbitraire dès lors qu’elle repose sur les éléments récoltés en cours de procédure.

La recourante reproche néanmoins au tribunal cantonal d’avoir extrapolé le maintien de la relation jusqu’à la date du décès de déclarations discutables et de circonstances qui avaient pu prévaloir avant la période déterminante. Elle soutient substantiellement que les trois témoins mentionnés n’ont jamais rencontré le couple et que leurs témoignages se fondaient uniquement sur ce que C.__ avait pu leur raconter de sa relation ou que les propos de E.__ se rapportaient avant tout à des événements survenus pendant son enfance et son adolescence. Elle semble en outre prétendre que les versements effectués durant les cinq dernières années n’étaient ni importants ni réguliers et que les seules activités communes partagées durant la période déterminante (le voyage à Paris et deux excursions) n’étaient pas significatives. Cette argumentation ne remet toutefois pas en cause l’arrêt cantonal. En effet, les déclarations de H.__ et G.__, de même que celles de la psychothérapeute, ne sauraient être mises en doute au seul motif que ces personnes n’ont jamais rencontré l’assuré. Outre le fait que G.__ a déclaré avoir rencontré le couple trois ans avant le décès, on relèvera que toutes trois ont entretenu une relation (personnelle ou médicale) de longue durée avec l’appelée en cause et que ces relations, régulières, existaient déjà ou ont débuté au moment de la formation du couple. Sauf à dire que C.__ a sciemment menti à son entourage pendant près de quinze ans, ce que la psychothérapeute a expressément exclu et dont on ne retrouve pas d’indices dans le dossier, il n’y a dès lors pas de raison d’écarter les témoignages en question. Au contraire, ceux-ci sont encore renforcés par les déclarations de E.__ qui, même si ses rencontres avec le défunt étaient moins fréquentes depuis son passage à l’âge adulte, a attesté une relation poursuivie jusqu’à la date du décès. On ajoutera que, quelle que soit la façon dont on qualifie les versements effectués durant la période déterminante, leur existence même (quatre virements pour un montant de 3’200 fr. en 2016, deux virements pour un montant de 10’000 fr. en 2017, trois virements pour un montant de 2’500 fr. en 2018 et deux virements pour un montant de 4’500 fr. selon la mère de l’assuré) démontre le maintien de la relation. On rappellera enfin que le nombre de voyages ou d’excursions n’est pas un critère déterminant dans le contexte d’un couple ayant fait un choix de vie atypique.

Compte tenu de ce qui précède, on ne saurait reprocher aux juges cantonaux d’avoir fait preuve d’arbitraire en retenant que la communauté de vie entre l’appelée en cause et l’assuré avait duré jusqu’au moment du décès de ce dernier en 2019.

Consid. 5.4.4
Le tribunal cantonal a finalement examiné si l’argumentaire de la recourante permettait de renverser la présomption de communauté de vie ininterrompue au cours des cinq années précédant immédiatement le décès. Il a abouti à la conclusion que tel n’était pas le cas. Il a plus particulièrement considéré que l’allégation – selon laquelle l’assistance matérielle et émotionnelle prodiguée par l’assuré à l’appelée en cause n’entrait pas dans le cadre d’un devoir d’assistance assimilable à celui d’époux mais résultait de la grande générosité de l’assuré et de la pitié que suscitait C.__ – ne trouvait aucun fondement dans le dossier. Au contraire, il a relevé que K.__ avait expressément déclaré que le soutien financier et moral était apporté par amour. Il a aussi retenu que la tentative de remettre en question la stabilité et le caractère exclusif de la relation de couple en raison d’une éventuelle liaison de l’assuré avec L.__ était vaine puisque l’intéressée avait clairement réfuté cette hypothèse. Cette appréciation n’est pas arbitraire dès lors qu’elle repose sur les témoignages récoltés en première instance. Il n’y a pas de raison de s’en écarter dans la mesure où la mère de l’assuré ne la critique pas.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

Arrêt 9C_297/2022 consultable ici

 

9C_358/2021 (f) du 04.03.2022 – Concubinage et prestation de survivant – 20a LPP

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_358/2021 (f) du 04.03.2022

 

Consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

Concubinage et prestation de survivant / 20a LPP

 

En l’absence d’annonce écrite du concubinage et signée par les deux partenaires du vivant de l’assuré, il n’y a pas de droit à une prestation de survivant.

X et Y ont formé une communauté de vie, dont sont issus deux enfants nés en 2017 et 2020. X. était assuré à la Caisse de pensions C. X. est décédé d’une crise cardiaque en 2020. La Caisse C. a alloué des rentes d’orphelins ainsi que des capitaux-décès aux enfants du couple. Par contre, elle n’a pas accordé de prestations à la concubine Y. au motif qu’il n’y avait pas eu d’annonce écrite du concubinage du vivant de X.

Selon le TF, s’il ne fait aucun doute que le décès de l’assuré X, partenaire de Y. et père de ses enfants, est intervenu de manière particulièrement inattendue, il n’est pas de ce seul fait choquant qu’on oppose à Y. l’omission du couple d’annoncer leur communauté de vie à la caisse de pensions du défunt. Cela vaut d’autant plus qu’ils vivaient ensemble depuis 2012 et que leur premier enfant est né en 2017, de sorte qu’ils ont disposé de plusieurs années pour procéder à l’annonce requise. La recourante Y. ne fait d’ailleurs plus valoir que l’exigence d’annonce n’aurait pas été portée à la connaissance de l’assuré, étant précisé qu’au moins à partir de 2017, la Caisse C. avait attiré l’attention de X. sur cette exigence par une note figurant dans les certificats de prévoyance.

Le TF considère que le règlement de la Caisse C. conditionne clairement le droit à la rente du concubin survivant à une annonce écrite et signée des deux partenaires du vivant de l’assuré. Une telle condition est conforme à l’art. 20a LPP et ne viole pas le principe de l’égalité de traitement (art. 8 al. 2 Cst.). Par ailleurs, cette exigence ne constitue pas une simple règle d’ordre, mais bel et bien une condition formelle du droit à la rente, licite selon la jurisprudence constante (cf. p. ex. ATF 142 V 233 consid. 2.1). Le fait d’avoir déclaré devant témoins vouloir procéder à une telle annonce ne suffit par conséquent pas à fonder le droit à la rente de survivant.

 

 

Arrêt 9C_358/2021 consultable ici

Résumé tiré du Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 159 disponible ici

 

 

Motion Gysin 21.4282 « 2e pilier. Régler le concubinage dans la loi » – Avis du Conseil fédéral du 17.11.2021

Motion Gysin 21.4282 « 2e pilier. Régler le concubinage dans la loi » – Avis du Conseil fédéral du 17.11.2021

 

Consultable ici

 

Texte déposé

Le Conseil fédéral est chargé de préparer les modifications législatives nécessaires afin que les caisses de pension garantissent, aux mêmes conditions, les prestations prévues pour les conjoints survivants aux concubins survivants.

 

Développement

La loi prévoit que le conjoint survivant à droit à une rente s’il a au moins un enfant à charge, qu’il a atteint l’âge de 45 ans et que le mariage a duré au moins 5 ans. Les personnes divorcées ont également droit à la rente, si certaines conditions sont remplies. Par contre, la loi ignore les concubins. Certaines caisses de pension prévoient dans leur règlement des prestations pour les concubins survivants.

L’affiliation à telle ou telle caisse de pension relève de l’employeur. L’employé n’a pas la possibilité de choisir l’institution qui répond le mieux à ses besoins. Sachant que plus de 20 % des couples suisses vivent en concubinage et que ce chiffre tend à augmenter, il est grand temps de moderniser la réglementation du 2e pilier.

Les prestations pour les partenaires survivants ne doivent pas dépendre du règlement des caisses de pension. Elles doivent être prévues par loi afin de garantir l’égalité de traitement et d’éviter des lacunes de prévoyance.

 

Avis du Conseil fédéral du 17.11.2021

Les prestations pour survivants du régime obligatoire du 2e pilier (art. 19 ss LPP, RS 831.40 ; art. 20 OPP 2, RS 831.441.1 ; art. 15 OLP, RS 831.425) tiennent compte du fait que, dans notre système juridique, les personnes ayant conclu un mariage ou un partenariat enregistré forment une communauté économique. De nombreuses institutions de prévoyance prennent également en considération dans leur règlement la réalité sociale des personnes qui mènent de fait une vie de couple en leur donnant la possibilité de percevoir une rente à la place ou parfois en complément d’un capital-décès. Elles permettent ainsi aux assurés qui optent consciemment pour un partenariat informel plutôt que pour un mariage ou un partenariat enregistré, avec les conséquences juridiques qui y sont attachées, de choisir les bénéficiaires de leurs prestations. Nombre d’assurés qui vivent en concubinage souhaitent en effet que les éventuelles prestations de décès soient, par exemple, versées à leurs propres enfants adultes plutôt qu’à leur partenaire, surtout si ce dernier dispose déjà d’une prévoyance vieillesse suffisante ou si la relation avec lui est encore relativement récente. Placer le concubinage et le mariage sur un pied d’égalité pour ce qui est des prestations pour survivants du régime obligatoire reviendrait à limiter ces possibilités de choix et priverait le concubinage de certaines caractéristiques qui conduisent précisément des personnes à privilégier cette forme de relation par rapport au mariage. En outre, les représentants des salariés ont la possibilité, au sein des conseils de fondation paritaires, d’influencer l’ordre des bénéficiaires prévu dans le règlement et d’apporter les changements qui leur paraissent adéquats. Enfin, les coûts supplémentaires qui découleraient d’une telle mise sur un pied d’égalité du concubinage et du mariage devraient être supportés de manière solidaire par l’ensemble des assurés d’une institution de prévoyance (ainsi que par l’employeur dans le cadre de l’obligation paritaire de cotiser).

Les droits à des prestations de survivants ne doivent pas être considérés indépendamment du contexte global. Dans la réglementation actuelle de la prévoyance professionnelle, le mariage et le concubinage ont des conséquences juridiques fondamentalement différentes. Une personne qui perçoit une rente de survivant d’une relation antérieure perd immédiatement le droit à cette prestation si elle se remarie, alors qu’elle le conserve si elle vit en concubinage. Les conséquences de la rupture d’une relation pour d’autres raisons que le décès sont également très différentes : en cas de divorce ou de dissolution d’un partenariat enregistré, les prétentions de prévoyance acquises durant le mariage ou le partenariat enregistré sont généralement partagées à parts égales. A l’inverse, une personne qui vivait en concubinage peut conserver pour elle-même toutes les prétentions de prévoyance acquises pendant la durée de la relation. Un éventuel alignement des droits des concubins sur les droits des conjoints en ce qui concerne les prestations de survivants ne devrait donc pas être opéré sans tenir compte du contexte de la réglementation du 2e pilier dans son ensemble.

La question des conséquences juridiques de la vie en concubinage se pose actuellement dans d’autres domaines du droit. Les décisions sur d’éventuelles modifications législatives ne devraient donc pas être prises de manière isolée, mais devraient tenir compte, dans la mesure du possible, de l’introduction possible d’un  » pacte civil de solidarité  » (Pacs). L’élaboration du rapport en réponse au postulat Caroni 18.3234 « Etat des lieux sur le concubinage en droit actuel » et aux postulats 15.3431 Caroni et 15.4082 CSEC-N  » Un pacs spécifique à la Suisse  » est en cours. Le Conseil fédéral devrait adopter le rapport au premier trimestre 2022.

 

Proposition du Conseil fédéral du 17.11.2021

Le Conseil fédéral propose de rejeter la motion.

 

 

 

Motion Gysin 21.4282 « 2e pilier. Régler le concubinage dans la loi » – Avis du Conseil fédéral du 17.11.2021 consultable ici