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8C_221/2025 (f) du 10.11.2025 – Causalité naturelle d’une méniscopathie et d’une gonarthrose / Valeur probante du rapport d’expertise judiciaire vs du rapport d’une expertise privée / Frais de l’instruction à charge de l’assureur social

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_221/2025 (f) du 10.11.2025

 

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Indemnité pour atteinte à l’intégrité – Causalité naturelle d’une méniscopathie et d’une gonarthrose / 24 LAA – 25 LAA – 6 LAA

Valeur probante du rapport d’expertise judiciaire vs du rapport d’une expertise privée

Frais de l’instruction à charge de l’assureur social / 45 LPGA

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé l’appréciation de la cour cantonale selon laquelle l’arthrose du genou gauche présentée par l’assuré était d’origine dégénérative et non la conséquence d’un accident. Il a jugé l’expertise judiciaire complète et convaincante, estimant que ce dernier avait procédé à une analyse rigoureuse des données cliniques et radiologiques, en démontrant notamment l’absence de lésion traumatique durable. Les conclusions contraires de l’expert privé ont été écartées, car elles reposaient sur une interprétation personnelle et non étayée du mécanisme de l’accident et des imageries médicales.

En revanche, le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours de l’assuré concernant les frais d’instruction. Si l’expertise privée n’a pas été jugée nécessaire à la résolution du litige, le rapport médical du chirurgien orthopédique traitant a, lui, contribué au renvoi de la cause et à la mise en œuvre de l’expertise judiciaire. Le droit au remboursement de ses frais, d’un montant de 250 francs, a dès lors été reconnu.

 

Faits
Assuré, né en 1966, a été victime d’un accident le 21.03.2005, entraînant une fracture-tassement de la vertèbre L1.

Le 06.10.2015, il est tombé d’un escabeau et s’est heurté le genou gauche contre un meuble. Une IRM du 10 février 2016 a révélé une méniscopathie interne de grade II et externe de grade I, sans déchirure. Le 13.06.2016, il a subi une méniscectomie sélective antéro-externe et une chondroplastie du genou gauche, prises en charge par l’assurance-accidents à titre de frais d’éclaircissement.

L’assurance-accidents a soumis le dossier de l’assuré à ses médecins-conseils. Par décision du 14.05.2020, elle a reconnu une indemnité pour atteinte à l’intégrité de 15% (10% pour l’atteinte lombaire de 2005 et 5% pour le genou de 2015). L’assuré a formé opposition, produisant un rapport du Dr B.__, chirurgien orthopédique, concluant à 15% pour le seul genou. La médecin-conseil a estimé que la contusion du genou, sur fond dégénératif, ne justifiait aucune atteinte à l’intégrité. L’assurance-accidents a alors annoncé son intention de reconsidérer sa décision en défaveur de l’assuré, lequel a maintenu son opposition. Par décision sur opposition du 12.02.2021, elle a ramené l’indemnité pour atteinte à l’intégrité à 10%, en lien uniquement avec l’accident de 2005.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 27.02.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal (cause AA 37/21 – 27/2023).

Par arrêt du 19 mars 2024 (8C_208/2023), le Tribunal fédéral a partiellement admis le recours de l’assuré, annulé le jugement cantonal et renvoyé la cause pour une expertise médicale et une nouvelle décision, invitant aussi la cour cantonale à statuer sur le remboursement du rapport du Dr B.__.

Une expertise judiciaire a été confiée au Dr E.__. L’assuré a versé au dossier une expertise privée du Prof F.__, dont il a demandé le remboursement pour 400 francs.

Par arrêt du 13 mars 2025 (arrêt AA 38/24 ap. TF – 38/2025), la cour cantonale a confirmé la décision sur opposition du 12 février 2021 et rejeté tant le recours que les demandes de remboursement des rapports médicaux du Dr B.__ et du Prof F.__.

 

TF

Consid. 6.1 [résumé]
Dans son rapport, l’expert judiciaire a retenu que la chute du 6 octobre 2015 avait entraîné un choc direct au genou gauche, responsable d’une simple contusion ayant provoqué une décompensation transitoire d’un état dégénératif préexistant. Il a expliqué qu’une lésion chondrale post-traumatique se traduirait habituellement par un important épanchement articulaire et la présence de fragments cartilagineux ou ostéo-cartilagineux, absents tant lors de l’arthroscopie du 13.06.2016 que sur les examens d’imagerie des 07.10.2015, 01.05.2017 et 25.10.2017.

Concernant la lésion méniscale antéro-externe, l’expert a relevé, sur la base de l’arthroscopie pratiquée par le Dr B.__, que l’intervention s’était limitée à une résection périphérique minime assimilable à une régularisation du bord libre du ménisque, sans trace de déchirure radiaire post-traumatique. Compte tenu du caractère limité de l’opération et de l’arthrose externe confirmée par la suite, il a mis en évidence une discrépance entre la localisation de la lésion méniscale (antérieure) et celle de l’arthrose (postérieure). Selon lui, si l’arthrose avait été consécutive à la résection méniscale, elle se serait développée sur la partie antérieure du compartiment externe. Ces critères permettaient de retenir que l’arthrose du genou gauche était probablement d’origine dégénérative, plutôt que la conséquence de la résection réalisée le 13.06.2016. Enfin, lors de l’arthroscopie, le Dr B.__ avait identifié un ligament croisé antérieur intact.

Selon l’expert, il était surprenant que le Dr B.__ termine son rapport en mentionnant une atteinte à l’intégrité au taux de 15%, ce qui signifiait implicitement que ce dernier considérait l’arthrose du genou gauche comme post-traumatique, ce qui était en contradiction avec ses propres propos. Cela étant, au-delà des trois mois de récupération du geste chirurgical réalisé le 13.06.2016, l’expert a, au degré de la vraisemblance prépondérante, imputé les douleurs persistantes au genou gauche à l’état dégénératif de ce genou, aux douleurs liées aux radiculalgies gauches causées par les discopathies lombaires et à celles référées de la coxarthrose gauche, attestées tant par la clinique que par la radiologie. Il en a conclu que l’accident du 6 octobre 2015 n’avait pas provoqué d’atteinte durable et importante à l’intégrité physique de l’assuré.

Consid. 6.2.1
L’appréciation de l’expert judiciaire n’apparaît pas critiquable. On doit admettre que l’expert judiciaire a traité et analysé les unes après les autres l’ensemble des problématiques mises en évidence à l’imagerie. Ses conclusions reposent sur une analyse convaincante de l’ensemble des pièces médicales figurant au dossier et des investigations complémentaires réalisées lors de l’expertise. Elles sont en outre corroborées par l’analyse de cas effectuée par la médecin-conseil.

Consid. 6.2.2 [résumé]
Contrairement à ce que soutient l’assuré, l’expertise de l’expert judiciaire ne saurait être écartée sous prétexte d’une description imprécise du mécanisme de l’accident. L’expert a indiqué que l’assuré s’était tapé le genou gauche en descendant d’un escabeau, contre un meuble ou une table, ce qui concorde avec le rapport du Service des urgences de l’Hôpital G.__ du 06.10.2015 et le rapport médical initial LAA du 16.11.2015, qui mentionnent une contusion du genou gauche après avoir glissé d’un escabeau.

L’assuré, en référence à la description faite par le Prof F.__, invoque une chute plus violente, majorée par sa corpulence, le genou heurtant fortement un bord métallique, ce qui, selon lui, aurait causé une lésion cartilagineuse au condyle externe du fémur et à la rotule. Cependant, en insistant sur la violence supposée du choc pour contester l’évaluation de l’expert judiciaire, le Prof F.__ procède en réalité à sa propre interprétation de l’accident. En tout état de cause, l’expert judiciaire a retenu que l’assuré a subi un choc direct contre un meuble le 06.10.2015 sous la forme d’une contusion du genou gauche, ce qui est établi et non contesté, avant de se prononcer sur les effets de ce choc au regard de l’ensemble des pièces médicales figurant au dossier. Les constatations de l’expert judiciaire sur ce point sont convaincantes.

Le Prof F.__ accorde une importance déterminante à son appréciation de la gravité du choc subi par l’assuré et néglige largement l’analyse précise, par l’expert judiciaire, des constatations radiologiques ainsi que du geste opératoire pratiqué par le Dr B.__. À la lecture des deux expertises, on constate que l’expert judiciaire s’est prononcé après un examen des images radiologiques alors que le Prof F.__ n’a fait que rapporter ce que le radiologue décrivait à l’IRM du 13 juin 2016, sans mention d’un examen personnel des clichés radiologiques ni des autres imageries. Quant au fait que le ligament croisé antérieur était « susceptible d’avoir été lésé » lors de la chute, de l’avis du Prof F.__, on rappellera qu’il était décrit comme intact lors de l’arthroscopie du 13 juin 2016.

Consid. 6.3
En définitive, on ne peut que confirmer le point de vue de la cour cantonale dans la mesure où l’avis du Prof F.__ procède essentiellement d’une appréciation divergente d’un état de fait clairement posé sur le plan médical. L’assuré échoue à mettre en doute les constatations des juges cantonaux reposant sur l’expertise du Dr E.__, sans qu’il y ait lieu d’ordonner une instruction complémentaire à ce sujet comme le voudrait l’assuré.

Consid. 7.1 [résumé]
L’assuré invoque une violation de l’art. 45 LPGA, reprochant à la cour cantonale d’avoir refusé de mettre à la charge de l’assurance-accidents les frais liés à l’expertise privée du Prof F.__ ainsi qu’au rapport médical du Dr B.__ du 19.08.2020.

Consid. 7.2
Aux termes de l’art. 45 al. 1 LPGA, les frais de l’instruction sont pris en charge par l’assureur qui a ordonné les mesures; à défaut, l’assureur rembourse les frais occasionnés par les mesures indispensables à l’appréciation du cas ou comprises dans les prestations accordées ultérieurement. Ainsi, le droit à la prise en charge des frais au sens de l’art. 45 LPGA est reconnu lorsque ces frais sont rendus nécessaires par un défaut de mesures d’instruction de la part de l’assureur social (ANNE-SYLVIE DUPONT, in Commentaire romand de la LPGA, 2e éd. 2025, n° 12 ss ad art. 45).

Consid. 7.3
En l’occurrence, la décision prise par la cour cantonale de ne pas mettre les frais de l’expertise du Prof F.__ à la charge de l’assurance-accidents n’est pas critiquable, dès lors que ce document n’était pas nécessaire à la résolution du litige. Comme on l’a vu, il ne remet pas en cause la valeur probante de l’expertise de l’expert judiciaire.

Quant au rapport du Dr B.__ du 19 août 2020, on doit reconnaître à l’aune de l’arrêt du 19 mars 2024 qu’il a donné lieu à des investigations supplémentaires qui n’auraient pas été ordonnées en son absence (cf. arrêt 9C_395/2023 du 11 décembre 2023 consid. 6.3). Son avis a contribué au renvoi de la cause aux juges cantonaux et à la mise en œuvre de l’expertise judiciaire, de sorte que le droit au remboursement des frais d’établissement dudit rapport (pour un montant de 250 fr.) doit être admis. En conséquence, l’arrêt entrepris doit être réformé en ce sens, ce qui conduit à l’admission très partielle du recours.

 

Le TF admet très partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_221/2025 consultable ici

 

 

4A_328/2018 (f) du 27.08.2019 – IJ maladie LCA et notion de « maladie » / Rappel des notions de causalité naturelle, symptômes de pont et rechute, propres à l’assurance sociale / Caractère post-traumatique d’une arthrose de la cheville 45 ans après un accident et références de la littérature scientifique idoine

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_328/2018 (f) du 27.08.2019

 

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IJ maladie LCA et notion de « maladie »

Rappel des notions de causalité naturelle, symptômes de pont et rechute, propres à l’assurance sociale

Caractère post-traumatique d’une arthrose de la cheville 45 ans après un accident et références de la littérature scientifique idoine

 

En 2006, l’assuré a conclu auprès d’une société d’assurances une assurance contre le risque de perte de gain en cas de maladie, prévoyant le versement d’indemnités journalières correspondant à la totalité du salaire assuré, fixé à 60’000 fr. par an, durant 730 jours, après un délai d’attente de 30 jours. L’article 3 CGA définissait la maladie comme « toute atteinte involontaire à la santé qui requiert un traitement médical et qui n’est pas la conséquence d’un accident ou des suites d’un accident ».

En février 2010, la société d’assurances a sommé l’assuré de payer sa prime 2010. Celui-ci s’est finalement exécuté le 01.09.2010.

Le 06.11.2010, l’assuré a annoncé à la société d’assurances qu’il avait subi, le 29.10.2010, une arthrodèse tibio-astragalienne suite à une arthrose de la cheville droite. Il a joint à son envoi une déclaration de maladie faisant état d’une cessation d’activité au 13.09.2010 et deux certificats médicaux établis par le Dr M1.__, spécialiste FMH en médecine interne et rhumatologie, attestant d’une incapacité de travail totale à compter du 13.09.2010.

Le 30.08.2010, le Dr M2.__, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique et en traumatologie de l’appareil locomoteur, rapporte que le 26.08.2010, il a examiné pour la première fois l’assuré qui lui était adressé par son médecin traitant, soit le Dr M1.__. Le patient présentait depuis plusieurs années des douleurs de la cheville droite de type mécanique ; il avait été victime d’une fracture de cette cheville à la suite d’un accident de sport (football), fracture qui avait été traitée conservativement. Le patient marchait avec une canne depuis 2 ans. Depuis quelques mois, les douleurs étaient devenues invalidantes, en particulier en station debout et lors de marches en terrain irrégulier ou à la montée. Le médecin a posé le diagnostic de troubles dégénératifs de la cheville droite d’origine post-traumatique après légère antéposition et varisation du talus et fracture de la cheville à l’âge de 19 ans.

Le 14.12.2010, le Dr M1.__ a adressé un nouveau rapport à la société d’assurances indiquant que la cause des troubles était « maladive et accidentelle», les douleurs à caractère mécanique étant localisées à la cheville droite, depuis plusieurs années, à la suite d’un accident de sport.

Le Dr M2.__ a établi deux certificats de travail attestant d’une incapacité de travail jusqu’au 01.03.2011 ; le premier faisait remonter le départ de l’incapacité au 26.08.2010, le second au 09.09.2010.

Dans le cadre du suivi post-opératoire, le Dr M2.__ a réexaminé le patient le 26.10.2011. Dans son rapport, le chirurgien orthopédiste a indiqué comme diagnostic «S/p arthrodèse redressante tibio-astragalienne D dans le cadre d’une arthrose post-traumatique».

Par courrier du 10.02.2011, la société d’assurances a refusé ses prestations en raison d’une problématique de prime impayée. Des échanges de correspondances s’en sont suivis. Le 13.07.2012, la société d’assurances a annoncé à l’assuré que son dossier allait être transmis au service de sinistres afin que son « cas de maladie» puisse être traité normalement. La société d’assurances a versé à l’assuré la somme de 27’452 fr. représentant 167 indemnités journalières à 164 fr. 38 le jour, pour la période du 13.10.2010 au 28.03.2011.

Par courrier du 10.06.2013, l’assuré a vainement réclamé le paiement du solde des indemnités journalières par 92’548 fr. (soit 120’000 fr. – 27’452 fr.).

 

Procédure cantonale

A la suite d’un arrêt du Tribunal fédéral (ATF 141 III 479 consid. 2), le dossier a été transmis au Tribunal cantonal valaisan, en sa qualité d’instance cantonale unique en matière d’assurance complémentaire à l’assurance-maladie sociale.

Par jugement du 26.04.2018, le Tribunal cantonal a rejeté la demande. En substance, il a retenu que la couverture d’assurance, suspendue en février 2010 par la sommation de payer la prime 2010, était à nouveau en vigueur depuis quelques jours lorsque l’incapacité de travail de l’assuré avait débuté le 13.09.2010. Cela étant, la police d’assurance ne couvrait que les cas de maladie. Or, le Tribunal cantonal s’était convaincu que les troubles ayant occasionné l’incapacité de travail dès septembre 2010 étaient d’origine post-traumatique. Le Dr M2.__ avait «toujours affirmé de manière constante et cohérente que les troubles de la cheville droite étaient dus à une arthrose post-traumatique, au contraire du Dr M1.__ dont les appréciations sur ce point [avaie]nt constamment varié». L’avis selon lequel les douleurs de l’assuré étaient la conséquence de l’accident subi au football à l’âge de 19 ans était corroboré par le fait que l’intéressé souffrait de la cheville droite depuis plusieurs années, comme l’attestaient les deux médecins dans leurs rapports. En bref, l’atteinte à la santé était accidentelle et n’était pas couverte par la police en question. Les renseignements fournis par les Drs M1.__ et M2.__ étaient suffisants pour se forger une opinion, qu’un nouvel avis médical ne pourrait pas modifier; aussi convenait-il de rejeter la requête d’expertise médicale.

 

TF

En matière d’assurances sociales, la jurisprudence a développé les principes suivants :

  • La définition légale de la maladie englobe toutes les atteintes à la santé qui ne sont pas dues à un accident (cf. art. 3 al. 1 LPGA). Il s’ensuit qu’une atteinte à la santé est en principe imputable soit à une maladie, soit à un accident (arrêts 9C_537/2007 du 29 août 2008 consid. 3.3; 4C.230/2000 du 10 novembre 2000 consid. 3). Pour répondre à la notion juridique d’ «accident » (art. 4 LPGA), l’atteinte à la santé doit notamment trouver son origine dans un facteur extérieur, c’est-à-dire résulter d’une cause exogène au corps humain (arrêt 8C_235/2018 du 16 avril 2019 consid. 6.2). L’assurance-maladie sociale est tenue de provisoirement prendre en charge certaines prestations qui pourraient relever de l’assurance-accident, notamment lorsqu’est litigieuse la causalité de l’atteinte à la santé (art. 70 al. 2 let. a LPGA; cf. aussi art. 112 al. 1 OAMal; ATF 131 V 78 consid. 3; arrêt 8C_236/2008 du 14 octobre 2008 consid. 3.1). Dans ce contexte, l’assureur-maladie qui ne veut pas fournir de prestations doit ainsi prouver que la cause de l’atteinte est accidentelle (arrêt précité 4C.230/2000 consid. 3, cité par UELI KIESER, ATSG-Kommentar, 3e éd. 2015, n° 38 ad art. 3 LPGA).
  • La responsabilité de l’assureur-accident s’étend, en principe, à toutes les conséquences dommageables – y compris les rechutes et séquelles tardives – qui se trouvent dans un rapport de causalité naturelle et adéquate avec l’événement assuré. Les rechutes et les séquelles tardives ont ceci en commun qu’elles sont attribuables à une atteinte à la santé qui, en apparence seulement, mais non dans les faits, était considérée comme guérie. Il y a rechute lorsque c’est la même affection qui se manifeste à nouveau. On parle de séquelles tardives lorsqu’une atteinte apparemment guérie produit, au cours d’un laps de temps prolongé, des modifications organiques ou psychiques qui conduisent souvent à un état pathologique différent (ATF 118 V 293 consid. 2c p. 296; arrêt 8C_249/2018 du 12 mars 2019 consid. 4.1). Comme le souligne un auteur, sur le plan dogmatique les rechutes et séquelles tardives ne sont rien d’autre que les suites directes d’un accident. Elles se distinguent toutefois par le facteur temporel qui complique la preuve (THOMAS ACKERMANN, Kausalität, in Unfall und Unfallversicherung, 2009, p. 41). A cet égard, la jurisprudence en matière d’assurances sociales considère que plus le temps écoulé entre l’accident et la manifestation de l’affection est long, plus les exigences quant à la preuve du rapport de causalité naturelle, selon le degré de vraisemblance prépondérante, doivent être sévères (arrêts 8C_589/2017 du 21 février 2018 consid. 3.2.2; 8C_61/2016 du 19 décembre 2016 consid. 3.2).
  • La preuve de la causalité peut nécessiter d’établir des « symptômes de pont » (Brückensymptome), soit des signes (symptômes ou plaintes) du patient permettant d’opérer un lien (« pont ») entre l’événement dommageable et l’atteinte à la santé qui survient longtemps après (cf. arrêt 4A_432/2011 du 18 octobre 2011 consid. 3.1; GEORG GAHN, Neurologische Begutachtung: Schwierige Rechtsbegriffe, in Der medizinische Sachverständige 2017 p. 212 [accessible sur le site Internet www.medsach.de]). Pour illustrer le rôle des symptômes de pont, un neurologue cite l’exemple suivant : une épilepsie structurelle peut se manifester des années après une lésion neurologique substantielle causée par un accident, mais elle peut aussi apparaître chez des patients âgés comme cause primaire, non liée à un épisode traumatique. Il incombe à un expert de se prononcer sur le lien de causalité (GAHN, ibidem).
  • Dans ses considérants relatifs aux rechutes et séquelles tardives, la Ire Cour de droit social relève que lorsqu’un assuré émet des plaintes en les motivant par un accident, l’assureur-accident prend en charge les dommages causés par l’événement accidentel, mais couvre les atteintes à la santé ultérieures uniquement en présence de clairs symptômes de pont (eindeutige Brückensymptome, cf. par ex. arrêt précité 8C_589/2017 consid. 3.2.2; arrêts 8C_331/2015 du 21 août 2015 consid. 2.2.2; 8C_113/2010 du 7 juillet 2010 consid. 2.3).
  • Ladite Cour s’appuie également sur des règles d’expérience et des formes de présomption. On admet par exemple que la hernie discale est normalement due à un processus dégénératif des disques et ne découle qu’exceptionnellement d’un accident (arrêt 8C_614/2007 du 10 juillet 2008 consid. 4.1.1). Si l’assureur-accident doit prendre en charge la complication temporaire due à un accident, il ne couvre en principe pas les rechutes tardives, sauf s’il existe de clairs symptômes de pont entre l’accident et la rechute (arrêt 8C_755/2018 du 11 février 2019 consid. 4.4).
  • Cela étant, il faut garder à l’esprit que la preuve de la causalité naturelle dépend avant tout des renseignements donnés par les médecins (arrêt précité 8C_589/2017 consid. 3.2.4; arrêt 8C_571/2016 du 24 mars 2017 consid. 3 in fine; arrêt précité 8C_331/2015 consid. 2.2.3.1). Selon les circonstances d’espèce, l’absence de symptômes de pont n’exclut pas nécessairement la causalité naturelle (arrêt 8C_175/2009 du 26 juin 2009 consid. 3.2).

Il paraît pertinent de s’inspirer des principes précités développés en matière d’assurances sociales, tout en gardant à l’esprit qu’il est ici question d’une assurance privée. Il appartient à l’assuré d’établir son droit à la prestation, ce qui suppose notamment d’établir un cas de maladie. Cela étant, il est « aidé » par la définition y relative, en ce sens qu’une atteinte établie à la santé est une maladie du moment qu’elle ne résulte pas d’un accident.

En l’occurrence, dans tous ses rapports, au contraire des deux laconiques attestations d’incapacité, le spécialiste en orthopédie a attribué l’arthrose de la cheville droite à l’évolution post-traumatique, en évoquant la fracture subie à ce membre inférieur à l’âge de 19 ans.

L’assuré insiste sur l’écoulement du temps, en soulignant que près de 45 ans se sont écoulés entre la fracture et la survenance de l’incapacité de travail. Il précise avoir pu travailler et pratiquer de nombreux sports pendant ce laps de temps.

Le facteur temps n’a pas échappé aux deux médecins. Cela étant, sous réserve du cas marginal des deux attestations de février 2011, le spécialiste en orthopédie a toujours imputé l’arthrose à la fracture de la cheville droite.

Cette analyse va clairement dans le sens de la littérature scientifique, qui peut aisément être trouvée sur Internet (PubMed, US National Library of Medicine, à l’adresse https://www.ncbi.nlm.nih.gov/pubmed. Cf. notamment DELCO, KENNEDY ET ALII, Post-Traumatic Osteoarthritis of the Ankle: A Distinct Clinical Entity Requiring New Research Approaches,  in Journal of Orthopaedic Research 2017 440 ss; THOMAS, HUBBARD-TURNER ET ALII, Epidemiology of Posttraumatic Osteoarthritis,  in Journal of Athletic Training 2017 491 ss; BARG, PAGENSTERT ET ALII, Ankle Osteoarthritis, Etiology, Diagnostics, and Classification,  in Foot and Ankle Clinics 2013 411 ss; LÜBBEKE, SALVO ET ALII, Risk factors for post-traumatic osteoarthritis of the ankle: an eighteen year follow-up study,  in International Orthopaedics 2012 1403 ss; VALDERRABANO, HORISBERGER ET ALII, Etiology of Ankle Osteoarthritis,  in Clinical Orthopaedics and Related Research 2009 1800 ss; HORISBERGER ET ALII, Posttraumatic Ankle Osteoarthritis After Ankle-Related Fractures – Abstract,  in Journal of Orthopaedic Trauma 2009 60 ss; PATRICK VIENNE, Arthrose de la cheville: Possibilités de traitement chirurgical visant à conserver l’articulation,  in Schweizerische Zeitschrift für Sportmedizin und Sporttraumatologie 2008 13 ss; SALTZMAN, SALAMON ET ALII, Epidemiology of Ankle Arthritis: Report of A Consecutive Series of 639 Patients From a Tertiary Orthopaedic Center,  in The Iowa Orthopaedic Journal 2005 44 ss).

Il en ressort de façon consensuelle que l’arthrose de la cheville, au contraire de celle de la hanche ou du genou, est le plus fréquemment d’origine post-traumatique ; des taux de l’ordre de 70% à 80%, voire 90% sont avancés (cf. notamment DELCO, KENNEDY ET ALII, op. cit., p. 2 et 3; VIENNE, op. cit., p. 13; SALTZMAN, SALAMON ET ALII, op. cit., p. 44 et 46). Les fractures sont mentionnées au premier chef, ainsi que les entorses et déchirures ligamentaires. Le temps de latence entre la blessure et l’ultime degré de l’arthrose est généralement long; il est de plusieurs années, et même de décennies. Une étude retient un temps de latence moyen de 20,9 ans, dans une fourchette comprise entre 1 et 52 ans (HORISBERGER ET ALII, op. cit. [Abstract], cités par BARG, PAGENSTERT ET ALII, op. cit., p. 412). Cet élément dépend de facteurs tels que le type de fracture, les complications pendant la phase de guérison, l’âge au moment de la blessure, un mauvais alignement du varus ainsi qu’un indice de masse corporelle élevé (BARG, PAGENSTERT ET ALII, op. cit., p. 412 s. et les réf. citées); l’impact sur le cartilage lors du traumatisme initial semble être un facteur important (DELCO, KENNEDY ET ALII, op. cit., p. 3; cf. aussi BARG, PAGENSTERT ET ALII, op. cit., p. 413 et 415). Pour expliquer les singularités de l’arthrose de la cheville par rapport à celle de la hanche ou du genou (laquelle est généralement idiopathique), les chercheurs mettent en avant les caractéristiques anatomiques, biomécaniques et cartilagineuses de la cheville.

Dans le cas concret, les deux médecins soulignent que le patient souffrait depuis des années de douleurs localisées à la cheville droite, lesquelles se sont exacerbées et sont devenues invalidantes en 2010. L’assuré marchait déjà avec une canne depuis deux ans.

De l’arrêt attaqué, des rapports médicaux, certificats et autres renseignements écrits auxquels il se réfère, respectivement des explications de l’assuré, il ne ressort pas que celui-ci aurait eu les mêmes douleurs, symptômes et anomalies à la cheville gauche. Il n’apparaît pas non plus qu’une arthrose aiguë aurait également frappé d’autres régions de son corps, ni qu’il aurait souffert de polyarthrite rhumatoïde ou d’autres affections associées à une arthrose secondaire de la cheville (cf. BARG, PAGENSTERT ET ALII, op. cit., p. 412; VALDERRABANO, HORISBERGER ET ALII, op. cit., p. 1802).

Eu égard aux circonstances d’espèce et aux particularités de l’arthrose de la cheville, il n’était pas nécessaire d’exiger des symptômes de pont plus étayés et reculés. On ne discerne par ailleurs aucun arbitraire dans l’appréciation ayant conduit la cour cantonale à être convaincue par les conclusions du Dr M2.__, fondées sur les mêmes observations cliniques que le Dr M1.__ et qui s’inscrivent dans la droite ligne de la littérature scientifique.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 4A_328/2018 consultable ici