Principes de la désignation des médicaments

Principes de la désignation des médicaments

 

Article de Andrea Rizzi et Jörg Indermitte paru in Sécurité sociale CHSS 2018/3 (consultable ici)

 

L’Office fédéral de la santé publique (OFSP) désigne les médicaments qui sont inscrits dans la liste dite des spécialités et qui sont remboursés par l’assurance obligatoire des soins (AOS).
 Ces médicaments doivent être efficaces, appropriés et économiques. L’OFSP est conseillé dans cette tâche par la Commission fédérale des médicaments (CFM).

L’OFSP établit la liste des spécialités pharmaceutiques et des médicaments confectionnés (ci-après liste des spécialités ou LS) en vertu de l’art. 52, al. 1, let. b, de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal). La LS comprend les préparations originales remboursées par l’AOS ainsi que les génériques les plus avantageux, et en indique les prix. Il s’agit là de prix maximaux, qui ne peuvent être dépassés et qui se composent du prix de fabrique, d’une part relative à la distribution et de la TVA. Pour qu’un médicament soit admis dans la LS, il doit remplir les critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité (critères EAE) énoncés à l’art. 32, al. 1, LAMal.

 

Processus de demande d’admission dans la liste des spécialités

Après un préavis favorable de Swissmedic, les entreprises pharmaceutiques peuvent déposer auprès de l’OFSP, 90 jours environ avant l’autorisation de mise sur le marché d’un médicament, une demande d’admission dans la LS (art. 69 de l’ordonnance sur l’assurance-maladie, OAMal). Après réception de la demande, l’OFSP procède à un contrôle formel et vérifie que la demande est complète. Si elle ne l’est pas, il la retourne au requérant pour qu’il y remédie. La CFM conseille l’OFSP pour la détermination des médicaments qui seront obligatoirement pris en charge. À son intention, l’OFSP rédige pour chaque préparation une fiche d’information indiquant les valeurs repères sur l’efficacité, l’adéquation et l’économicité de celle-ci ainsi que celles sur l’autorisation de mise sur le marché en Suisse et à l’étranger. Cette fiche comprend également des questions concrètes à l’adresse de la CFM. L’OFSP transmet en outre à cette dernière les documents remis par les entreprises pharmaceutiques.

La CFM tient six séances par année. Les délais de dépôt des demandes et la date d’admission la plus proche possible sont déterminés par le calendrier des séances. Après avoir évalué le médicament à la lumière des critères EAE et pris en considération les autres éléments à apprécier, la commission recommande à l’OFSP l’acceptation ou le rejet de la demande. Pour ce faire, elle tient aussi compte du contexte sociétal et du cadre général de la politique de la santé dans notre pays. Dès que l’entreprise pharmaceutique a reçu l’autorisation définitive de Swissmedic et à condition que les critères EAE soient remplis, l’OFSP admet le médicament dans la LS par décision au sens de l’art. 5 de la loi sur la procédure administrative (PA). En règle générale, il rend cette décision dans les 60 jours suivant l’autorisation de Swissmedic (art. 31 b de l’ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins, OPAS). Seuls comptent pour ce délai les jours durant lesquels le dossier est en traitement à l’OFSP. La période pendant laquelle l’office attend la réponse de l’entreprise à ses demandes de précisions n’est pas prise en compte (stop the clock). Si les critères EAE ne sont pas remplis, l’OFSP rend en principe une décision de rejet. Cependant, l’entreprise pharmaceutique peut aussi lui demander qu’il s’abstienne de rendre une telle décision même si le délai est écoulé, en particulier lorsqu’une admission prochaine est probable parce que l’entreprise a déposé une nouvelle demande susceptible de répondre aux critères EAE. Dans ces cas, l’admission dans la LS est retardée, c.-à-d. qu’elle n’intervient pas dans le délai usuel de 60 jours à compter de l’autorisation de Swissmedic. Les entreprises pharmaceutiques concernées peuvent intenter un recours contre la décision de l’OFSP devant le Tribunal administratif fédéral.

 

Efficacité, adéquation et économicité des médicaments

Pour évaluer l’efficacité et l’adéquation d’un médicament, l’OFSP s’appuie sur les documents qui étaient déterminants pour l’enregistrement de celui-ci par Swissmedic, à savoir, des études cliniques contrôlées (art. 65a OAMal). Il est préférable que l’entreprise remette des études de phase III avec un médicament (comparateur) qui a déjà été évalué et considéré efficace, approprié et économique. Afin de disposer de suffisamment de bases de décision, l’OFSP peut exiger encore d’autres documents. Dans son évaluation, l’OFSP juge qu’un médicament est efficace si, comparé à d’autres médicaments déjà pris en charge pour le traitement de la même maladie, le rapport risques/bénéfices est favorable.

L’adéquation d’un médicament découle de son effet et de sa composition. Elle est examinée du point de vue clinico-pharmacologique et galénique ; l’examen porte également sur les effets secondaires et le danger d’un usage abusif (art. 33, al. 1, OPAS). Un médicament est jugé approprié s’il est efficace par rapport à d’autres médicaments qui peuvent aussi être employés et que cette efficacité est pertinente sur le plan clinique. Il faut en outre que sa distribution en Suisse réponde à un besoin médical et que les tailles d’emballage et les dosages garantissent une utilisation appropriée dans la pratique.

Le prix d’un médicament est fixé sur la base d’une comparaison avec les prix pratiqués à l’étranger (CPE), et plus précisément dans neuf pays de référence (AT, BE, DE, DK, FR, FI, GB, NL, SE), et d’une comparaison avec des préparations équivalentes sur le plan thérapeutique (CPET), c.-à-d. utilisées pour traiter la même maladie. La CPET se fonde sur le coût thérapeutique journalier moyen ou le coût d’une cure. S’il en ressort que le médicament représente un progrès thérapeutique significatif, l’OFSP peut accorder un supplément pour innovation de 20 % au maximum. Un prix correspondant à la moyenne entre la CPE et la CPET (supplément pour innovation éventuel inclus) est jugé économique.

Si d’autres éléments ou adaptations sont encore attendus pour l’évaluation des critères EAE, l’OFSP peut admettre le médicament dans la LS à titre provisoire en vertu de l’art. 33, al. 3, LAMal. Une admission provisoire est nécessaire en particulier lorsque l’utilité d’un médicament est prometteuse sur la base des premiers résultats, mais que l’on attend encore les résultats d’autres études. Au besoin, l’OFSP peut aussi fixer des charges et des conditions, notamment en matière de contrôle ou de maîtrise des coûts, surtout si le nouveau médicament risque de grever fortement le budget de l’AOS. L’OFSP peut en outre, en vertu de l’art. 73 OAMal, assortir la prise en charge d’un médicament d’une limitation se rapportant à une indication, à un groupe de patients, à une quantité ou à une durée de traitement donnés, ou précisant que le médicament doit être prescrit par un médecin spécialiste ou un centre spécialisé.

Après l’admission d’un médicament dans la LS ainsi qu’en cas d’extension des indications ou de modification des limitations, l’OFSP publie les bases de son évaluation de l’efficacité, de l’adéquation et de l’économicité du médicament. Il publie en particulier des informations concernant la CPET effectuée ainsi que le supplément pour innovation accordé le cas échéant. Il communique également le prix moyen pris en considération sur la base de la CPE. Lorsqu’il admet le médicament pour une durée limitée, il publie la durée de l’admission (art. 71 OAMal).

 

Examen des demandes

Les demandes d’admission dans la LS sont traitées selon trois types de procédure.

Demandes soumises à la CFM:

  • Suivent une procédure d’admission ordinaire les demandes d’admission dans la LS de préparations originales (art. 31, al. 1, OPAS), les demandes d’augmentation de prix (art. 67, al. 2, OAMal) et les demandes de modification ou de suppression d’une limitation (art. 65f OAMal). Les communications des entreprises pharmaceutiques concernant les extensions des indications de médicaments figurant déjà sur la LS et non soumis à des limitations suivent aussi cette procédure. La procédure d’admission des préparations originales dure au minimum 18 mois. Il y a six échéances par année pour le dépôt des demandes d’admission, qui doivent être munies du préavis de Swissmedic, et être présentées deux mois environ avant la séance au cours de laquelle la CFM devrait les traiter.
  • Suivent une procédure rapide d’admission les préparations originales pour lesquelles Swissmedic accepte une procédure rapide d’autorisation (art. 31a OPAS). Dans la procédure rapide, le titulaire de l’autorisation peut présenter une demande jusqu’à 30 jours avant la séance au cours de laquelle la CFM devrait la traiter.

Demandes non soumises à la CFM:

  • Suivent une procédure d’admission simplifiée (art. 31, al. 2, OPAS) les demandes concernant les génériques, les médicaments en comarketing, les préparations avec des principes actifs connus, les nouvelles formes galéniques ainsi que les nouvelles tailles d’emballage et les nouveaux dosages. L’OFSP traite une fois par mois les demandes de ce type, à condition qu’elles soient accompagnées d’une autorisation de Swissmedic. La procédure simplifiée dure environ sept semaines.

 

Réexamen de médicaments de la liste des spécialités 

Même après l’admission d’un médicament dans la LS, il est nécessaire de vérifier périodiquement si celui-ci remplit toujours les critères EAE (art. 32, al. 2, LAMal) : cela se fait, d’une part, en cas de demande d’augmentation de prix ou après l’admission d’une autre indication et, d’autre part, après échéance du brevet et dans le cadre du réexamen périodique (triennal) des conditions d’admission. Pour ce dernier, les médicaments sont répartis selon leur appartenance à un groupe thérapeutique de la LS en trois blocs (art. 34d OPAS), qui font à tour de rôle l’objet de ce réexamen (art. 65d, al. 1, OAMal).

 

Instructions concernant la liste des spécialités

Les « Instructions concernant la liste des spécialités » décrivent les exigences que doivent remplir les demandes, les processus de demande et d’examen ainsi que la procédure de réexamen. Il s’agit d’une ordonnance administrative, qui garantit une pratique administrative uniforme et proportionnée, ainsi que l’égalité des droits et l’absence d’arbitraire dans le traitement des demandes. Elle constitue ainsi un instrument de travail utile à l’OFSP, aux entreprises pharmaceutiques ainsi qu’à d’autres autorités et organisations.

 

 

Article de Andrea Rizzi et Jörg Indermitte paru in Sécurité sociale CHSS 2018/3, édité par l’OFAS (consultable ici)

 

 

Désignation des prestations dans l’AOS : bases légales

Désignation des prestations dans l’AOS : bases légales

 

Article de Karin Schatzmann paru in Sécurité sociale CHSS 2018/3 (consultable ici)

 

Conseillés par trois commissions extraparlementaires, le Département fédéral de l’intérieur (DFI) et l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) définissent les prestations qui sont prises en charge par l’assurance obligatoire des soins. Celles-ci sont évaluées à la lumière des critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité inscrits dans la loi.

L’assurance obligatoire des soins (AOS) prend en charge les coûts des prestations médicales qui sont efficaces, appropriées et économiques (critères EAE ; art. 32, al. 1, de la loi fédérale sur l’assurance-maladie , LAMal; RS 832.10). Le Conseil fédéral peut désigner les prestations fournies par un médecin ou par un chiropraticien ne sont pas pris en charge par l’AOS ou ne le sont qu’à certaines conditions (art. 33, al. 1, LAMal). De plus i détermine dans quelle mesure l’AOS prend en charge les coûts d’une prestation, nouvelle ou controversée, dont l’efficacité, l’adéquation ou le caractère économique sont en cours d’évaluation (art. 33, al. 3, LAMal). Le Conseil fédéral détermine aussi quelles sont les prestations des autres prestataires (art. 33, al. 2, LAMal), les mesures médicales de prévention (art. 26 LAMal), les prestations en cas de maternité (art. 29, al. 2, LAMal), ainsi que les soins dentaires (art. 31, al. 1, LAMal) qui sont pris en charge. Il a délégué ces tâches au DFI respectivement l’OFSP (art. 33, al. 5, LAMal en relation avec l’art. 33 de l’ordonnance sur l’assurance-maladie , OAMal; RS 832.102). Le DFI a également la compétence de désigner les analyses de laboratoire, les produits et les substances actives et auxiliaires employés pour la prescription magistrale, ainsi que les moyens et appareils diagnostiques ou thérapeutiques (art. 52, al. 1, let. a, ch. 1 à 3, LAMal) qui sont pris en charge ; l’OFSP a la même compétence pour les préparations pharmaceutiques et les médicaments confectionnés (liste des spécialités, LS ; art. 52, al. 1, let. b, LAMal).

 

Principe de la confiance appliqué aux prestations des médecins et des chiropraticiens

L’obligation de prise en charge au sens de l’art. 33, al. 1, LAMal est ainsi définie qu’elle signifie que, sauf disposition contraire, toutes les prestations des médecins et des chiropraticiens sont prises en charge par l’AOS. Il est donc présumé implicitement que ces prestations sont obligatoirement prises en charge (principe de la confiance). Les chiropraticiens sont placés sur un pied d’égalité avec les médecins dans leur domaine d’activité et peuvent pratiquer à la charge de l’assurance-maladie sociale sans prescription ni mandat. La présomption de prise en charge à titre obligatoire vaut pour eux au même titre que pour les médecins (cf. ATF 129 V 167, consid. 3.2). Les prestations médicales sont inscrites dans une liste ouverte en annexe 1 de l’ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins (OPAS, RS 832.112.31), qui énonce les règles de prise en charge des coûts pour des prestations spécifiques : elle précise si celles-ci sont obligatoirement prises en charge ou non, et indique également les limitations définies pour certaines indications, les prescriptions faites aux fournisseurs de prestations ou – pour les prestations visées à l’art. 33, al. 3, LAMal – si celles-ci sont prises en charge pour une durée déterminée à condition de faire l’objet d’une évaluation.

Le principe de la confiance ne s’applique pas aux autres prestations, qui sont toutes inscrites dans des listes exhaustives (dites positives, art. 33, al. 2, LAMal).

 

Commissions consultatives extraparlementaires

Au total trois commissions extraparlementaires conseillent le Conseil fédéral, respectivement le DFI et l’OFSP pour la désignation des prestations (art. 33, al. 4, LAMal ; art. 37a  ss OAMal) : la Commission fédérale des prestations générales et des principes (CFPP, compétente pour les prestations médicales générales et les questions de principe ; art. 37d OAMal), la Commission fédérale des médicaments (CFM, compétente pour les produits et les substances actives et auxiliaires employés pour la prescription magistrale ainsi que pour les préparations pharmaceutiques et les médicaments confectionnés, inscrits par l’OFSP dans la liste des spécialités ; art. 37e OAMal) et la Commission fédérale des analyses, moyens et appareils (CFAMA, compétente pour les analyses de laboratoire ainsi que pour les moyens et appareils diagnostiques ou thérapeutiques ; art. 37f OAMal).

Les commissions extraparlementaires sont des commissions consultatives qui donnent des avis et préparent des projets. Elles n’ont aucun pouvoir de décision (art. 8a , al. 2, de l’ordonnance sur l’organisation du gouvernement et de l’administration , OLOGA ; RS 172.010.1). Elles examinent si les prestations remplissent les critères EAE, condition requise pour la prise en charge des coûts par l’AOS. Leurs recommandations ne sont pas contraignantes. Toutes les commissions ont leur propre règlement d’organisation, qui définit notamment leur mode de travail et la composition des sous-commissions éventuelles, mais qui contient aussi les directives et procédures relatives à la désignation des prestations, et qui règle la participation d’experts (art. 37b OAMal). Le secrétariat des commissions et des sous-commissions est assuré par l’OFSP (art. 37 b , al. 6, OAMal).

 

Publication

La désignation des prestations (à l’exception des médicaments) débouche en règle générale, deux fois par année, sur des adaptations de l’OPAS et de ses annexes. L’OPAS et ses annexes 1 (prestations médicales) et 1 a (restriction de prise en charge des coûts pour certaines interventions électives) sont publiées dans le recueil officiel (RO) et le recueil systématique (RS) du droit fédéral. En revanche, les annexes 2 (liste des moyens et appareils), 3 (liste des analyses) et 4 (liste des médicaments avec tarif) ne sont publiées que sur le site Internet de l’OFSP (art. 20a , 28, al. 2, et 29, al. 2, OPAS). La LS est publiée par l’OFSP (art. 71, al. 1, OAMal).

 

 

Article de Karin Schatzmann paru in Sécurité sociale CHSS 2018/3, édité par l’OFAS (consultable ici)

 

 

Obligation de prise en charge des prestations : évaluation à l’aide des critères EAE

Obligation de prise en charge des prestations : évaluation à l’aide des critères EAE

 

Article de Stefan Otto paru in Sécurité sociale CHSS 2018/3 (consultable ici)

 

Les prestations de santé qui sont remboursées par l’assurance obligatoire des soins doivent être efficaces, appropriées et économiques. L’opérationnalisation de ces critères sert d’instrument de travail aux commissions consultatives extraparlementaires.

L’art. 32 de la loi fédérale sur l’assurance-maladie (LAMal) prévoit que les prestations qui sont prises en charge par l’assurance obligatoire des soins (AOS) doivent être efficaces, appropriées et économiques (critères EAE). Leur efficacité doit être démontrée selon des méthodes scientifiques. Les commissions fédérales extraparlementaires compétentes (cf. Schatzmann) pour conseiller le Département fédéral de l’intérieur (DFI) ou l’Office fédéral de la santé publique (OFSP) ont précisé et opérationnalisé ces critères et leur application. Au niveau international, le terme d’évaluation des technologies de la santé (ETS, en anglais Health Technology Assessment, HTA) est utilisé pour désigner l’évaluation systématique de ces technologies. L’opérationnalisation des critères EAE s’inspire des méthodes ETS appliquées à l’international.

 

Remaniement de l’opérationnalisation des critères EAE

Un manuel de standardisation de l’évaluation médicale et économique des prestations médicales avait déjà été rédigé dans les années 1990 ; il servait de base pour la présentation des demandes et pour les travaux des commissions. Il a été développé sous la forme d’un document de travail, publié en 2011 et intitulé « Opérationnalisation des critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité », qui décrit et commente les critères EAE pour l’évaluation de toutes les prestations AOS. Le remaniement de ce document, qui a commencé en 2015 et devrait être achevé à l’automne 2018, s’appuie sur les expériences faites par les commissions fédérales avec les procédures de demande, ainsi que sur l’évolution observée en Suisse et à l’étranger dans le domaine de l’ETS.

Le document remanié servira de ligne directrice aux requérants, aux commissions extraparlementaires ainsi qu’aux instances de décision. Des documents complémentaires plus détaillés préciseront l’application des critères EAE à des types de prestations spécifiques. Une partie de ces documents sont déjà disponibles (p. ex. processus et critères relatifs aux médecines complémentaires, instructions concernant la liste des spécialités [LS], listes de contrôle CED), d’autres sont en cours de remaniement ou d’élaboration. Le recours à de nouvelles prestations coûteuses ou rares, en particulier, confronte le système de santé à ses limites et exige, en Suisse aussi, une opérationnalisation plus poussée.

 

Efficacité, adéquation et économicité : définitions

Les trois critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité portent sur les caractéristiques spécifiques d’une prestation, mais ils sont aussi hautement interdépendants, ce qui se reflète dans leur définition.

  • Efficacité : Une prestation est efficace lorsqu’elle est propre à atteindre les objectifs diagnostiques et thérapeutiques visés, que son utilité est prouvée par des études cliniques, que le rapport entre bénéfices et dommages est favorable comparativement aux autres procédures diagnostiques ou thérapeutiques et que l’on peut admettre que les résultats de l’étude peuvent être transposés au cadre d’application suisse.
  • Adéquation : Une prestation est appropriée lorsqu’elle est pertinente par rapport aux autres prestations possibles et propre à soigner les patients, lorsqu’elle est compatible avec les conditions légales et les aspects ou les valeurs sociaux et éthiques, et que la qualité et une application appropriée sont garanties dans la pratique.
  • Économicité : Une prestation est économique lorsqu’elle présente un meilleur profil coût/bénéfice que les autres prestations possibles ou que son surcoût correspond à un bénéfice supplémentaire.

 

Bases d’évaluation pour la détermination des critères EAE

La préparation des informations et des bases scientifiques concernant une prestation (évaluation) doit tenir compte des éléments suivants :

Contexte médical de la prestation

  • Population cible
  • Domaine d’indication
  • Aspects épidémiologiques
  • Description de la prestation
  • Résultats pertinents (indicateurs relatifs au succès de la thérapie, p. ex. prolongement de la survie, disparition des douleurs)
  • Position de la prestation dans le processus de traitement 
(à l’intérieur d’une suite de mesures diagnostiques et théra­peutiques)
  • Diffusion de la prestation en Suisse
  • Professionnels/fournisseurs de prestations impliqués
  • Autorisation de mise sur le marché
  • Situation en matière de prise en charge dans d’autres pays

Aspects touchant l’efficacité

  • Efficacité démontrée par les études (efficacy) et efficacité ­selon l’usage courant (effectiveness)
  • Sécurité
  • Études en cours, carences dans les données factuelles

Aspects touchant l’adéquation

  • Exigences de qualité/garantie de la qualité
  • Position dans la pratique
  • Évolution attendue (sous l’angle des technologies médicales, de l’importance relative dans le processus de traitement) par rapport à la prestation
  • Aspects touchant l’adéquation du recours à la prestation (p. ex. risque d’offre excessive)
  • Aspects éthiques
  • Aspects sociaux
  • Aspects juridiques

Aspects touchant l’économicité

  • Coût de la prestation (par rapport aux autres prestations possibles et aux coûts à l’étranger)
  • Conséquences financières : prise en compte de ces conséquences pour les agents financeurs de l’AOS (assureurs, cantons), bilan des coûts supplémentaires et des coûts ­évités.
  • Rapport coût/bénéfice

Les répercussions sur les coûts hors de l’AOS (coûts indirects, p. ex. arrêts de travail) peuvent être prises en compte au titre des aspects sociaux dans le critère d’adéquation. Elles ne sont pas utilisées dans l’évaluation de l’économicité. On ne peut pas non plus, en général, les déterminer avec suffisamment de fiabilité ; elles admettent une grande marge d’appréciation, leur volume varie beaucoup et elles concernent d’autres budgets.

 

Appréciation EAE et recommandation relative à l’obligation de prise en charge

Se fondant sur les informations préparées dans l’évaluation, les commissions fédérales évaluent si les critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité sont remplis et émettent une recommandation concernant l’obligation de prise en charge (appraisal). Cette appréciation ne consiste pas simplement en un « oui » ou un « non » ; il existe plusieurs degrés de satisfaction des critères (p. ex. le bénéfice clinique est moindre, équivalent ou plus grand que celui des autres options thérapeutiques ; les résultats de l’étude ne peuvent pas être transposés à la Suisse, peuvent l’être en partie ou en totalité ; la prestation est globalement inefficace, partiellement ou tout à fait efficace). Ces différents degrés de satisfaction ont un impact sur l’appréciation globale de la satisfaction des exigences EAE. Si par exemple une prestation présente un faible bénéfice supplémentaire, une qualité moyenne des données factuelles, une faible pertinence par rapport aux options existantes et des conséquences financières importantes, l’appréciation générale peut être négative. En revanche, pour une prestation dont le bénéfice thérapeutique attendu est moindre par rapport à certaines options, mais qui est pertinente en raison de sa plus grande simplicité d’application et d’un coût moins élevé, l’appréciation peut être positive. Si les critères EAE ne peuvent être évalués qu’incomplètement ou qu’il reste très incertain qu’ils soient vraiment remplis, la recommandation peut être une prise en charge provisoire de la prestation à condition que le fournisseur de prestations la soumette à une évaluation scientifique, qu’il peut effectuer lui-même ou confier à un tiers.

 

 

Article de Stefan Otto paru in Sécurité sociale CHSS 2018/3, édité par l’OFAS (consultable ici)

 

 

Désignation des moyens et appareils dans l’AOS

Désignation des moyens et appareils dans l’AOS

 

Article de Daniel Pulfer paru in Sécurité sociale CHSS 2018/3 (consultable ici)

 

Le Département fédéral de l’intérieur (DFI) désigne les moyens et appareils qui sont remboursés dans le cadre de l’assurance obligatoire des soins (AOS). Ceux-ci sont en règle générale inscrits sur demande dans la liste des moyens et appareils, qui est en cours de révision totale.

La liste des moyens et appareils (LiMA) constitue l’annexe 2 de l’ordonnance sur les prestations de l’assurance des soins (OPAS ; cf. Schatzmann). Elle est subdivisée en positions pour chacune desquelles les propriétés du moyen ou de l’appareil en question sont décrites en termes généraux. Tous les produits de marque ayant les caractéristiques mentionnées peuvent être remboursés. Ceux qui ne correspondent pas à la description d’une position de la LiMA ne peuvent pas être facturés à la charge de l’AOS.

Un montant maximal de remboursement (MMR) est défini pour chaque position de la LiMA. Il correspond au montant maximal qu’un assureur rembourse dans le cadre de l’AOS pour le produit inscrit sous une position donnée (art. 24, al. 1, OPAS). En règle générale, celui-ci équivaut au prix moyen des produits appropriés disponibles sur le marché, les prix pratiqués à l’étranger étant également pris en considération. L’assuré est libre de choisir un produit spécifique dans les limites du MMR. Lorsqu’un produit est facturé pour un montant supérieur, la différence est à la charge de l’assuré (art. 24, al. 2, OPAS). Les moyens et appareils ne sont pas soumis à la protection tarifaire (art. 44, al. 1, LAMal).

Les MMR sont fixés principalement en fonction de la médiane des prix publics suisses. La comparaison avec les prix pratiqués à l’étranger influe directement sur les positions de la LiMA qui se rapportent à des biens commercialisés exclusivement sur le plan international. Le MMR ne doit pas être plus élevé que le prix résultant de cette comparaison. Celui-ci correspond à la médiane des prix pratiqués à l’étranger, corrigés de la TVA, avec prise en compte d’une correction de coût pour la distribution et la remise en Suisse.

En revanche, pour les produits fabriqués sur mesure en Suisse ou qui consistent pour une part essentielle en prestations de service fournies en Suisse, le prix pratiqué à l’étranger n’est pas directement déterminant. Tout au plus, le coût à l’étranger de produits comparables peut être pris en compte lors de la détermination du MMR.

 

Produits remboursés dans le cadre de la LiMA (art. 20 OPAS)

  • Moyens et appareils thérapeutiques ou diagnostiques visant à surveiller le traitement d’une maladie et ses conséquences. En font notamment partie les bas de contention, le matériel de pansement et les tests d’autocontrôle de la glycémie.
  • Moyens et appareils remis sur prescription médicale par un centre de remise reconnu.
  • Moyens et appareils utilisés par l’assuré lui-même ou avec l’aide d’un intervenant non professionnel impliqué dans l’examen ou le traitement (p. ex. un membre de la famille).

Produits remboursés hors LiMA (art. 20a, al. 2, OPAS)

  • Moyens et appareils qui sont implantés dans le corps.
  • Moyens et appareils qui sont utilisés par les fournisseurs de prestations dans le cadre du traitement médical conformément à l’art. 35 LAMal (p. ex. par les médecins, les hôpitaux et les physiothérapeutes). Ceux-ci sont remboursés selon la convention tarifaire applicable (SwissDRG, Tarmed, tarif pour la physio­thérapie, etc.).
  • Moyens et appareils utilisés dans le contexte des soins donnés en EMS ou par les services de soins à domicile. Ceux-ci sont remboursés dans le cadre du régime de financement des soins.

 

Procédure de demande

Les positions de la LiMA n’étant définies qu’en fonction des caractéristiques essentielles qu’un produit doit présenter pour être admis dans la liste, les produits de marque nouveaux ou modifiés qui correspondent à une position donnée de la LiMA peuvent être directement facturés à la charge de l’AOS.

Une demande doit être déposée, en revanche, pour l’admission de nouvelles positions dans la LiMA. Les acteurs intéressés peuvent aussi demander la modification ou la suppression de positions existantes. La section compétente de l’OFSP examine si ces requètes sont complètes. Au besoin, elle réclame les informations manquantes, complète la demande au moyen de recherches et rédige un résumé standardisé incluant une estimation des conséquences financières. Elle soumet le dossier complet à la Commission fédérale des analyses, moyens et appareils (CFAMA), qui émet une recommandation à l’intention du DFI. Celui-ci décide à titre définitif de l’admission de la position, ainsi que du MMR.

 

Révision

Comme la LiMA n’a fait l’objet que d’adaptations partielles depuis 1996, une révision totale a été entamée en décembre 2015 et devrait s’achever fin 2019.

L’objectif principal du réexamen est d’adapter la structure de la LiMA et les MMR en fonction des progrès de la médecine et de l’évolution du marché. Cet examen se fait suivant les critères d’efficacité, d’adéquation et d’économicité. Pour ce qui est de l’adéquation, on examine aussi si tous les produits se prêtent à être utilisés par l’assuré lui-même et si des suppressions ou limitations concernant notamment la quantité, la durée d’utilisation, l’indication médicale ou l’âge de l’assuré sont indiquées (art. 22 OPAS). Enfin, il s’agit aussi d’optimiser l’applicabilité de la LiMA (attribution des produits sans équivoque aux positions respectives, possibilité de vérification de la part des assureurs).

Des groupes de travail, organisés par catégories de produits (fabricants/importateurs, centres de remise, médecins prescripteurs, assureurs) réexaminent les chapitres de la liste. Leurs propositions sont discutées par la sous-commission LiMA de la CFAMA, puis soumises au DFI pour décision. Fin 2017, les produits pour diabétiques et le matériel de pansement et de stomie, qui représentent deux tiers environ des coûts au titre de la LiMA avaient été réexaminés. Les modifications relatives aux produits pour diabétiques et au matériel de pansement sont entrées en vigueur les 1er mars, 1er avril et 1er juillet 2018.

 

Réexamen périodique

Pour le réexamen périodique prévu à l’art. 32, al. 2, LAMal, un système de réexamen de la LiMA à intervalles réguliers est mis en place dans le cadre de la révision en cours. Il sera mis en application probablement en 2020, dès que les structures, les processus, les méthodes et le rythme de réexamen auront été définis.

 

 

Article de Daniel Pulfer paru in Sécurité sociale CHSS 2018/3, édité par l’OFAS (consultable ici)

 

 

Les mesures de réadaptation de l’AI vues par les bénéficiaires

Les mesures de réadaptation de l’AI vues par les bénéficiaires

 

Article de Neisa Cuonz, Christine Besse, Michael Matt, Niklas Baer et Ulrich Frick paru in Sécurité sociale CHSS 2018/3 (consultable ici)

 

Pour la première fois, des assurés atteints de troubles musculo-squelettiques ou de
maladies psychiques ont fait l’objet d’une enquête approfondie sur leur situation et sur les effets des mesures de réadaptation de l’AI. L’étude montre les liens étroits entre
handicap, réussite de la réadaptation et qualité de vie, et l’importance de la spécificité
des mesures et de l’aspect relationnel.

Les mesures d’ordre professionnel ont fait l’objet, dans le cadre du programme de recherche sur l’assurance-invalidité (PR-AI), de plusieurs études menées à partir de données de registres, de dossiers d’assurés ou de données administratives, mais jamais sur la base des renseignements fournis par les personnes assurées elles-mêmes. L’étude présentée ci-dessous vient combler ce manque : elle analyse non seulement leur état de santé, leur parcours professionnel et leur situation sociale, mais aussi la façon dont elles ont vécu les mesures de réadaptation de l’AI.

 

Questions et démarche de l’étude

L’étude s’intéresse, d’une part, à des caractères extérieurs tels que le statut professionnel, le revenu et le type de mesure de réadaptation, et, d’autre part, à des caractéristiques « intérieurs » ou subjectifs comme la qualité de vie, les espoirs et les peurs qui se manifestent au cours de la réadaptation. De plus, elle compare les bénéficiaires de mesures AI à la population suisse et fait le parallèle entre la situation des assurés atteints de troubles psychiques et celle des assurés qui présentent des troubles musculo-squelettiques.

L’étude comprend deux volets. Dans le premier, les auteurs analysent les facteurs qui prédisent au mieux la réussite de la réadaptation (étude partielle TS 1, Facteurs de réussite) ; dans le second, ils décrivent l’évolution de la situation et de la satisfaction au cours du processus (étude partielle TS 2, Évolution). La réadaptation est considérée comme réussie lorsque les assurés qui ont suivi leur dernière mesure d’ordre professionnel en 2014, gagnaient au moins 1000 francs par mois et ne touchaient ni prestations de l’assurance-chômage ni rente AI en 2015. Au total, 3600 assurés ont été invités à participer à l’enquête écrite, soit 1800 par étude partielle (900 intégrés et 900 non intégrés, et 900 qui commençaient une mesure et 900 qui en terminaient une). Le taux de retour a été de 25 % pour les deux échantillons (au total N = 916 personnes). En outre, les chercheurs ont mené des entretiens ouverts complémentaires avec 20 participants à l’enquête, sélectionnés dans tous les échantillons. Les résultats de l’enquête écrite que nous présentons ci-dessous tiennent compte des données obtenues lors de ces entretiens.

 

Description des bénéficiaires des mesures

Dans les deux études partielles, le sex-ratio est équilibré, un tiers des sondés ont moins de 35 ans et 80 % sont d’origine suisse ; le pourcentage d’étrangers est deux fois plus élevé dans les offices AI de Suisse latine (30 %) que dans ceux de Suisse alémanique (13 %). Parmi les personnes interrogées, 30 % se sont arrêtées à la fin de la scolarité obligatoire, 55 % ont une formation de degré secondaire et 15 % une formation de degré tertiaire. Le niveau général est ainsi nettement plus bas que dans la population générale. La moitié environ des sondés sont en couple, un tiers à un quart (selon l’étude partielle) vivent seuls et près de 10 % habitent chez leurs parents.

Bien que les étrangers soient beaucoup plus nombreux en Suisse romande et au Tessin et que seuls 60 % d’entre eux au maximum aient terminé la scolarité obligatoire, ces assurés ne sont pas moins souvent réinsérés que les assurés de Suisse alémanique. Ce phénomène s’explique probablement par le fait que les étrangers interrogés présentent beaucoup plus fréquemment un trouble musculo-squelettique que les sondés de nationalité suisse : les assurés présentant un trouble musculo-squelettique sont plus souvent réinsérés que ceux atteints d’une maladie psychique (45 contre 25 %), ce qui compense le taux de réussite inférieur des personnes sans formation professionnelle et de nationalité étrangère.

 

Importance du parcours professionnel

De manière générale, de nombreux assurés AI disent avoir eu des problèmes liés à leur santé dès l’école ou la formation professionnelle, ou durant leur parcours professionnel. C’est le cas principalement des personnes atteintes d’une maladie psychique. La moitié des sondés mentionnent des conflits avec leurs collègues de travail ou leur supérieur hiérarchique dans les postes occupés antérieurement, du harcèlement à l’école, pendant l’apprentissage ou au travail, des licenciements, des exigences trop élevées en matière de performance ou des absences prolongées justifiées par une incapacité de travail. Parmi les assurés atteints d’une maladie psychique, 30 % ont interrompu prématurément leur formation professionnelle. Dans les deux études partielles, 65 % des participants ont en outre connu des périodes où ils se sont retrouvés au chômage ou à l’aide sociale. Autrement dit, la majorité des personnes qui venaient de déposer une demande AI avaient depuis longtemps des problèmes au travail.

 

Santé psychique et physique

Un résultat important de cette enquête est la nette différence constatée entre les bénéficiaires de mesures de l’AI, en termes de santé psychique et physique, et la population générale suisse (PGS). Cette différence s’explique par la mission même de l’AI, mais elle indique aussi que l’on ne pourra jamais surestimer l’importance de l’état de santé pour la réadaptation.

Les participants à l’enquête ont indiqué deux à trois fois plus rarement disposer d’une bonne santé et d’une bonne vitalité que la moyenne de la population ; ensuite, ils présentent quatre fois plus souvent des troubles physiques ou psychiques importants ; enfin – et c’est là un point important à retenir pour la façon de concevoir la réadaptation – ils ont rarement un sentiment de contrôle, c’est-à-dire l’impression de pouvoir influer sur leur vie. Si l’on veut que les assurés puissent se ressentir comme sujets plutôt que comme « objets » des mesures, déterminés de l’extérieur, il est nécessaire de les impliquer le plus possible dans la planification de leur réadaptation.

La gravité de l’atteinte à la santé se reflète dans la quantité et la diversité des médicaments pris par les sondés : 60 % en prennent tous les jours (psychotropes, antalgiques, etc.), 20 % en prennent trois ou davantage par jour. Plus grand est le nombre de médicaments nécessaires, plus les sondés souffrent de leurs effets secondaires, ce qui est susceptible de diminuer leur capacité de travail.

Plus l’état de santé est bon et moins les troubles psychiques et physiques sont importants, plus grande est la réussite de la réadaptation professionnelle. Au cours du processus, la santé psychique des assurés s’améliore, alors que les troubles physiques restent inchangés. On remarquera que les troubles psychiques ou physiques isolés constituent l’exception : 80 % des assurés atteints de troubles psychiques ont des troubles physiques et 60 % des assurés présentant des troubles musculo-squelettiques ont des troubles psychiques. Ces chiffres, qui font ressortir le lien étroit existant entre difficultés psychiques et difficultés physiques, montrent que l’accompagnement psychologique est important aussi pour soutenir la réadaptation professionnelle des assurés présentant des troubles musculo-squelettiques.

 

Limitations fonctionnelles

Les assurés interrogés sont confrontés à d’importantes limitations dans leur vie quotidienne non seulement au travail, mais aussi dans la vie de couple, les contacts avec les amis, la tenue du ménage, la gestion des tâches administratives ou les loisirs hors domicile. En moyenne, ils sont notablement limités dans sept des seize domaines fonctionnels physiques et psychiques analysés. Si la réussite de la réadaptation dépend surtout, pour les déficits fonctionnels somatiques, du besoin de faire davantage de pauses en raison des douleurs, presque toutes les limitations psychiques sont corrélées avec la probabilité de réadaptation ; les principales sont le manque d’énergie, les limitations cognitives, l’instabilité, l’impulsivité, le perfectionnisme, le manque de flexibilité et les conduites d’évitement liées à l’angoisse.

L’analyse statistique des déficits fonctionnels relevés permet de distinguer cinq types de bénéficiaires de mesures. Il est ainsi évident que les assurés qui sont limités tant physiquement que psychiquement présentent des perspectives de réadaptation nettement plus mauvaises que ceux qui sont peu atteints :

  • relativement peu de limitations spécifiques (30 %), en général bonne formation, sexe masculin, pas de limitations importantes au quotidien, souvent bonne réinsertion (39 %) ;
  • déficits purement psychiques (20 %), souvent importantes limitations dans le quotidien, apparition précoce des problèmes à l’école, dans la formation ou au travail, et taux de réinsertion moyen (34 %) ;
  • limitations uniquement physiques (18 %), peu de limitations au quotidien, apparition tardive des problèmes, souvent formation de degré secondaire II, réinsertion dans la majorité des cas (61 %) ;
  • déficits principalement physiques, parfois associés à des déficits psychiques (19 %), limitations majeures au quotidien relativement fréquentes, souvent faible niveau de formation (scolarité obligatoire), forte proportion d’étrangers et rares réussites de la réadaptation (21 %) ;
  • troubles majeurs tant psychiques que physiques (13 %), généralement importantes limitations dans le quotidien, apparition des premiers problèmes le plus souvent après l’âge de 25 ans, plus grand pourcentage de formation limitée à la scolarité obligatoire et très rare réussite de la réadaptation (13 %).

 

Soutien social

Plus d’un tiers des assurés qui ont obtenu des mesures de l’AI n’ont pas de personne de confiance pour parler de problèmes personnels, pourcentage près de deux fois plus élevé que dans la population générale. L’appréciation subjective qu’ils portent sur leur qualité de vie est par ailleurs nettement moins bonne. Plus les limitations fonctionnelles sont importantes, moins les assurés ont une personne de confiance. Le type de limitations joue aussi un rôle : ceux qui présentent des problèmes d’énergie, un déficit cognitif, des peurs, des sautes d’humeur et de l’impulsivité ont rarement une personne de référence proche. Il en va de même pour les assurés qui vivent seuls, les personnes élevant seules leurs enfants et les jeunes qui habitent chez leurs parents.

La gravité des troubles influe sur l’importance du soutien que les sondés reçoivent de leur environnement social. Les assurés peu limités dans leur vie quotidienne bénéficient assez souvent du soutien de leur entourage : en particulier, dans 20 à 30 % des cas, les amis proches, mais aussi des connaissances, ainsi que d’anciens collègues et supérieurs hiérarchiques, les ont beaucoup aidés au moins une fois à rechercher un emploi, alors que ceux qui sont très limités et ont spécialement besoin de soutien ont rarement cette possibilité. On voit donc là que les handicaps les plus importants ne peuvent pas être compensés par l’environnement social, mais qu’ils sont (nécessairement) associés à un besoin élevé de soutien par des professionnels.

 

Vécu de la relation avec l’office AI et des mesures de réadaptation

La façon dont les assurés jugent les mesures de réadaptation est assez étroitement liée au sens que le dépôt d’une demande AI a eu pour eux. Parmi les sondés, 70 % ne souhaitaient pas, au départ, recourir à l’AI et 60 % de ceux qui ont franchi le pas ont eu un sentiment d’échec. Le dépôt d’une demande AI est un moment critique, marqué par de grands espoirs, mais aussi de nombreuses peurs : dans les deux études partielles, quatre assurés sur cinq étaient à ce stade plutôt ou très optimistes quant à l’utilité des mesures AI pour leur vie professionnelle, la moitié avaient peur d’un échec et étaient désorientés parce que leur thérapeute et l’office AI ne portaient pas le même jugement sur leur situation, ou encore craignaient que l’on ne comprenne pas leurs problèmes et leurs possibilités.

Ces réponses soulignent l’importance de la relation avec le conseiller AI. La majorité des sondés jugent celle-ci positive : dans les deux études partielles, 60 % estiment que le conseiller était plutôt ou tout à fait compétent, qu’il s’engageait et que cette relation était utile. Mais d’un autre côté, 30 % se sentent « à la merci » de l’AI et mis sous pression par elle. La majorité juge gênants les changements fréquents de conseiller. Bien que ces expériences négatives soient plus fréquentes chez les assurés très handicapés et n’ayant pas le sentiment de pouvoir influer sur leur vie, il faudrait à l’avenir garantir à tous les assurés qui bénéficient de mesures de l’AI une plus grande constance et une meilleure qualité relationnelles.

Toutes mesures de réadaptation confondues, le taux de réussite est de 33 %, les interventions précoces et les mesures de reclassement réussissant plus souvent, la formation professionnelle initiale plus rarement. Ces différences sont dues aux conditions initiales et aux objectifs de ces mesures : par exemple, les assurés qui n’avaient obtenu qu’une mesure d’intervention précoce disposaient souvent encore d’un emploi, contrairement à ceux qui avaient bénéficié d’une mesure de réinsertion. Indépendamment de la réussite de la réadaptation elle-même, les mesures d’ordre professionnel ont toutes un impact positif sur les capacités de travail de base et la confiance en soi.

Dans 50 à 70 % des cas, les sondés estiment (« plutôt » ou « tout à fait ») que les conseillers AI sont compétents, qu’ils ont examiné attentivement leur problématique professionnelle et leur ont apporté un soutien spécifique. Les mesures ont non seulement réussi à renforcer la capacité de travail de base et la confiance en soi, mais elles ont aussi souvent contribué à accroître le rythme de travail et à améliorer les compétences sociales, l’aptitude à l’effort et le comportement au travail.

Pour l’évaluation des mesures, il convient surtout de retenir que les assurés réinsérés jugent celles-ci plus de deux fois plus souvent « spécifiques » que les non-réinsérés. De ce fait, les offices AI devraient, plus systématiquement, prévoir des mesures mieux adaptées à la situation particulière de chaque assuré et s’en tenir plus rigoureusement à l’assessment de la problématique professionnelle pour formuler des solutions. Il faudrait également exiger que les centres chargés de l’exécution des mesures de réadaptation professionnelle proposent des interventions spécifiques et techniquement fondées.

Enfin, 30 % des sondés, parmi lesquels principalement les plus handicapés, disent que la ou les mesures ne leur ont pas été utiles, voire qu’elles ont aggravé leurs problèmes de santé. On remarquera que les assurés dont le conseiller AI, le médecin ou l’employeur ne se sont jamais rencontrés pour traiter du cas font le même constat. Le lien net entre absence de contact et atteinte à la santé devrait pousser l’analyse plus loin. Le cas échéant, des changements dans la collaboration s’imposent.

 

Facteurs de réussite de la réadaptation

L’analyse des facteurs de réussite de la réadaptation montre que de nombreux caractères, significatifs par eux-mêmes (univariés), font nettement la différence entre réussite et échec : les mesures qui visaient spécifiquement le handicap, qui sont parvenues à accroître le rythme de travail et le taux d’occupation, mais aussi à améliorer le comportement au travail, la confiance en soi et l’aptitude à travailler malgré les problèmes, sont nettement corrélées avec la réussite de la réadaptation. Le fait que le conseiller AI, de même que les personnes qui accompagnaient les assurés dans les centres d’exécution des mesures, aient compris leur problématique professionnelle, que l’AI les ait aidés à trouver un emploi et qu’elle les ait bien soutenus en cas de problème ou de crise est aussi un facteur de réussite. C’est là, entre autres, une invitation pour les offices AI à renforcer les mesures de placement concrètes sur le marché primaire du travail.

Enfin, l’analyse multivariée des facteurs influant sur la réussite de la réadaptation en met en évidence six qui prédisent le résultat au mieux, indépendamment de tous les autres :

  • une mauvaise qualité de vie diminue de 60 % les chances de réussite de la réinsertion professionnelle (par rapport à une bonne qualité de vie) ;
  • une maladie psychique divise par 2,2 les chances de réinsertion professionnelle par rapport à une atteinte musculo-squelettique ;
  • le manque de flexibilité (perfectionnisme et rigidité) est corrélé à 60 % de chances de réussite en moins ;
  • les problèmes liés à l’égalité d’humeur (impulsivité et comportement conflictuel) divisent par deux les chances de réussite ;
  • les personnes qui n’ont jamais été licenciées ont 70 % de chances de plus de se réinsérer ;
  • une formation de degré tertiaire augmente de 40 % les chances de réussite.

Les éléments déterminants pour la réussite de la réinsertion sont donc le vécu subjectif, le type de maladie, la structure de la personnalité, le comportement au travail, les capacités relationnelles, le parcours professionnel et le niveau de formation des assurés.

 

Conclusion

Les résultats de l’enquête auprès des assurés montrent que les bénéficiaires de mesures de l’AI présentent des handicaps généralement lourds et souvent chroniques avant de se décider à déposer une demande AI. Notamment ceux d’entre eux qui avaient travaillé pendant de nombreuses années ont vécu le dépôt de la demande comme un échec. Un accompagnement professionnel mettant l’accent sur la relation et les impliquant personnellement, ainsi que des mesures de réadaptation professionnelle ciblées et fondées, ont eu pour eux une importance capitale. Un cinquième des sondés – plus particulièrement les assurés pour qui aucune réunion n’a été organisée entre AI, médecin et, le cas échéant, employeur – estiment que les mesures ont aggravé leurs problèmes de santé. La réussite de la réadaptation est remarquable chez les assurés présentant des troubles musculo-squelettiques (45 %), mais faible chez les personnes atteintes de troubles psychiques (25 %). Les raisons de ces échecs fréquents sont certainement multiples ; elles tiennent aux limitations fonctionnelles propres à ces malades, mais aussi à la procédure elle-même. Ce résultat montre aussi qu’il faut accorder suffisamment de temps au processus de réadaptation, que la patience et la persévérance sont indispensables : même si de nombreux assurés ont fait de nets progrès grâce aux mesures, ils n’ont plus, quand la réinsertion n’a pas abouti du premier coup, ni accompagnement ni rente – principalement parce que la période durant laquelle il est possible de bénéficier de mesures est limitée. L’AI met désormais l’accent sur la réadaptation et la relation ; elle a pris ce tournant il y a dix ans et semble être maintenant sur le bon chemin. Elle doit toutefois veiller à continuer dans cette voie afin de renforcer durablement la réadaptation professionnelle.

 

Article de Neisa Cuonz, Christine Besse, Michael Matt, Niklas Baer et Ulrich Frick paru in Sécurité sociale CHSS 2018/3, édité par l’OFAS (consultable ici)

 

 

Le projet fiscal comprendra un volet social consacré à l’AVS

Le projet fiscal comprendra un volet social consacré à l’AVS

 

Communiqué de presse du Parlement du 12.09.2018 consultable ici

 

La réforme de l’imposition des entreprises comprendra un volet social consacré à l’AVS. Le National a soutenu mercredi le compromis du Conseil des Etats sur ce point. Il doit désormais se prononcer sur les autres points du projet fiscal, dont l’issue reste incertaine.

 

Après le rejet de la RIE III par le peuple, le Conseil fédéral s’est rallié à l’idée d’un volet social, consacré aux allocations familiales. Le Conseil des Etats a préféré miser sur l’AVS. Chaque franc d’impôt perdu par la Confédération, les cantons ou les communes via l’imposition des entreprises devrait être « compensé » par un franc au profit du 1er pilier.

Soit quelque deux milliards de francs. Une telle proposition permettrait de calmer un certain temps les débats sur la réforme de l’assurance et de garantir un répit de trois à quatre ans pour les finances de l’AVS.

 

Compromis sénatorial

Le taux de cotisation serait augmenté de trois pour mille (+0,15% à 4,35% pour l’employeur et +0,15%, à 4,35% pour le salarié). Cette mesure rapporterait 1,2 milliard de francs en 2020.

L’intégralité du pourcent démographique de la TVA irait à l’AVS. La Confédération ne garderait plus sa part de 17%. Le fonds de compensation pourrait ainsi compter avec 520 millions de plus dans deux ans.

Enfin, la Confédération relèverait progressivement sa contribution à l’AVS en fonction des répercussions de la réforme. Sa participation passerait ainsi en 2020 de 19,55 à 20,20%, soit une hausse des recettes de 300 millions.

 

Fronde à droite

L’UDC, le PVL et le PBD ont continué à ne rien vouloir savoir de ce volet consacré à l’AVS. Il faut une réelle réforme du 1er pilier. Avec ce financement supplémentaire, on ne fait que reporter le problème sur la prochaine génération, a critiqué Toni Brunner (UDC/SG).

Le National a toutefois refusé de faire une croix sur tout ce volet. Les Verts voulaient quant à eux deux projets distincts mais liés afin qu’en cas de votation, les citoyens puissent se prononcer séparément sur les deux volets. La proposition n’a pas passé la rampe: 101 députés contre 93 l’ont refusée.

A défaut de tordre le cou à tout le pan AVS, l’UDC a souhaité revoir son contenu. Par 127 voix contre 64, le National a refusé de profiter de l’occasion pour relever l’âge de la retraite des femmes à 65 ans plutôt que d’augmenter les cotisations salariales. Pour la majorité, cette question doit être réglée dans le cadre du projet de réforme que le ministre des affaires sociales Alain Berset vient de mettre en consultation au début de l’été.

Les propositions visant à faire une croix sur l’augmentation des cotisations ou à relever la contribution fédérale à 20,5% ont également été repoussées. L’idée d’une hausse de la TVA, qui nécessiterait de modifier la constitution, a été abandonnée car cela aurait fait perdre trop de temps.

L’UDC n’a pas eu plus de succès en proposant un tout autre modèle de compensation: couper dans l’aide aux sans-papiers, dans l’asile, dans l’aide au développement ou dans la coopération avec l’Europe de l’Est.

 

Suite des débats

Le débat se poursuit sur les autres points de la réforme. Font également partie du compromis du Conseil des Etats un relèvement moindre que prévu de l’imposition des dividendes, l’introduction d’une déduction pour autofinancement à Zurich et révision de principe de l’apport de capital pour atténuer les conséquences de la précédente réforme. D’autres points, comme le recours à la « patent box », sont prévus de longue date.

La gauche, qui craint que les allégements ne débouchent sur une concurrence fiscale néfaste entre cantons, voire avec les pays moins développés, va essayer d’en limiter autant que possible la portée. Quelques francs-tireurs pourraient jouer les jusqu’au-boutistes.

Le PS tient notamment à corriger le principe de l’apport de capital introduit dans la précédente réforme.

La droite va plutôt défendre les allégements. Les députés croiseront également le fer sur la hausse de la part cantonale de l’impôt fédéral direct prévue pour « compenser » les pertes des cantons des liées aux baisses du taux d’imposition du bénéfice des entreprises.

 

Cumul de mécontents

Les mécontentements pourraient croître au fil des débats et des décisions prises. Au dernier vote sur l’ensemble, un « non » n’est pas exclu. En commission préparatoire, il s’en était fallu d’une voix.

Un échec à ce stade nécessiterait de repartir de zéro. Or il est prévu de finaliser le projet durant cette session pour qu’une votation puisse se tenir au début de l’année prochaine. La pression internationale pour la suppression des statuts spéciaux est forte.

 

 

Communiqué de presse du Parlement du 12.09.2018 consultable ici

 

 

8C_103/2018+8C_131/2018 (f) du 25.07.2018 – Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement – 18 LAA – 16 LPGA / Critère de l’âge

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_103/2018+8C_131/2018 (f) du 25.07.2018

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide selon l’ESS – Abattement / 18 LAA – 16 LPGA

Critère de l’âge

 

Assurée, née en 1958, aide de cuisine dans un restaurant, a été agressée physiquement par un collègue de travail le 25.07.2012, entraînant une rupture complète de la coiffe des rotateurs de l’épaule gauche et un traumatisme crânien occipital. Le 04.02.2015, le spécialiste en chirurgie orthopédique et chirurgie de l’épaule a procédé à la mise en place d’une prothèse totale d’épaule inversée. Etant donné la persistance des douleurs, la raideur de l’épaule et un manque de force, l’assurance-accidents a recueilli divers avis médicaux et a confié une expertise à un spécialiste en chirurgie orthopédique.

Le 15.08.2016, l’assurance-accidents a informé l’assurée de son intention de supprimer son droit à l’indemnité journalière, à la prise en charge du traitement médical, ainsi qu’au remboursement des frais, avec effet au 31.08.2016. En outre elle indiquait que le taux d’incapacité de gain (7,4%) était insuffisant pour ouvrir droit à une rente d’invalidité. Ce mode de règlement du cas a été confirmé par décision puis par décision sur opposition. L’assurance-accidents a calculé le taux d’invalidité en retenant un abattement de 10% sur le revenu d’invalide fixé sur la base des statistiques salariales.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1149/2017 – consultable ici)

Alors qu’elle a retenu que le seul facteur de déduction pertinent dans le cas de l’assurée était celui lié aux limitations fonctionnelles modérées résultant des lésions à l’épaule gauche chez une personne droitière, la cour cantonale a porté le taux d’abattement à 15% en prenant en considération, outre les limitations fonctionnelles, l’âge de l’intéressée lors du prononcé de la décision sur opposition, à savoir 58 ans. Selon les premiers juges, même s’il ne conduit pas ipso facto à une réduction du revenu d’invalide, un âge relativement avancé est un facteur d’abattement dont la pertinence doit être examinée au regard de toutes les circonstances du cas particulier. Or, l’assurée a exercé, tout au long de sa vie professionnelle et dans une position subalterne, l’activité de cuisinière, laquelle n’est plus exigible, et elle n’a pas d’autre expérience professionnelle à son actif. De plus, les coûts de la prévoyance professionnelle compliquent de manière significative son accès au marché du travail. Aussi la juridiction cantonale a-t-elle considéré que le facteur de l’âge devait être pris en compte dans l’abattement. Etant donné l’augmentation du taux d’abattement de 10% à 15%, elle a porté à 12,53%, arrondi à 13%, le taux d’incapacité de gain, soit un taux suffisant pour ouvrir droit à une rente d’invalidité à compter du 01.09.2016.

Par jugement du 14.12.2017, admission partielle du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

En ce qui concerne le taux d’abattement, la mesure dans laquelle les salaires ressortant des statistiques doivent être réduits dépend de l’ensemble des circonstances personnelles et professionnelles du cas particulier (limitations liées au handicap, âge, années de service, nationalité/catégorie d’autorisation de séjour et taux d’occupation). Une déduction globale maximale de 25% sur le salaire statistique permet de tenir compte des différents éléments qui peuvent influencer le revenu d’une activité lucrative (cf. ATF 126 V 75 consid. 5b/aa-cc p. 79 s.). Il n’y a pas lieu de procéder à des déductions distinctes pour chacun des facteurs entrant en considération. Il faut bien plutôt procéder à une évaluation globale, dans les limites du pouvoir d’appréciation, des effets de ces facteurs sur le revenu d’invalide, compte tenu de l’ensemble des circonstances du cas concret (ATF 126 V 75 consid. 5b/bb p. 80; arrêts 8C_227/2017 du 17 mai 2018 consid. 3.1; 8C_80/2013 du 17 janvier 2014 consid. 4.2; 9C_751/2011 du 30 avril 2012 consid. 4.2.1).

L’étendue de l’abattement (justifié dans un cas concret) constitue une question typique relevant du pouvoir d’appréciation, qui est soumise à l’examen du juge de dernière instance uniquement si la juridiction cantonale a exercé son pouvoir d’appréciation de manière contraire au droit, soit si elle a commis un excès positif (« Ermessensüberschreitung ») ou négatif (« Ermessensunterschreitung ») de son pouvoir d’appréciation ou a abusé (« Ermessensmissbrauch ») de celui-ci (ATF 137 V 71 consid. 5.1 p. 72 s.; 132 V 393 consid. 3.3 p. 399), notamment en retenant des critères inappropriés, en ne tenant pas compte de circonstances pertinentes, en ne procédant pas à un examen complet des circonstances pertinentes ou en n’usant pas de critères objectifs (cf. ATF 130 III 176 consid. 1.2 p. 180).

Contrairement au pouvoir d’examen du Tribunal fédéral, celui de l’autorité judiciaire de première instance n’est en revanche pas limité dans ce contexte à la violation du droit (y compris l’excès ou l’abus du pouvoir d’appréciation), mais s’étend également à l’opportunité de la décision administrative (« Angemessenheitskontrolle »). En ce qui concerne l’opportunité de la décision en cause, l’examen porte sur le point de savoir si une autre solution que celle que l’autorité, dans un cas concret, a adoptée dans le cadre de son pouvoir d’appréciation et en respectant les principes généraux du droit, n’aurait pas été plus judicieuse quant à son résultat. A cet égard, le juge des assurances sociales ne peut, sans motif pertinent, substituer sa propre appréciation à celle de l’administration; il doit s’appuyer sur des circonstances de nature à faire apparaître sa propre appréciation comme la mieux appropriée (ATF 126 V 75 consid. 6 p. 81).

 

Selon la jurisprudence, le manque d’expérience d’un assuré dans une nouvelle profession ne constitue pas un facteur susceptible de jouer un rôle significatif sur ses perspectives salariales, lorsque les activités adaptées envisagées (simples et répétitives de niveau de compétence 1) ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique. En outre, tout nouveau travail va de pair avec une période d’apprentissage, de sorte qu’il n’y a pas lieu d’effectuer un abattement à ce titre (voir par exemple l’arrêt 9C_200/2017 du 14 novembre 2017 consid. 4.5).

Par ailleurs, l’âge d’un assuré ne constitue pas per se un facteur de réduction du salaire statistique. Autrement dit, il ne suffit pas de constater qu’un assuré a dépassé la cinquantaine au moment déterminant du droit à la rente pour que cette circonstance justifie de procéder à un abattement. Encore récemment, le Tribunal fédéral a insisté sur ce point et affirmé que l’effet de l’âge combiné avec un handicap doit faire l’objet d’un examen dans le cas concret, les possibles effets pénalisants au niveau salarial induits par cette constellation aux yeux d’un potentiel employeur pouvant être compensés par d’autres éléments personnels ou professionnels telles la formation et l’expérience professionnelle de l’assuré concerné. Il a considéré qu’un assuré ayant accompli plusieurs missions temporaires, alors qu’il était inscrit au chômage consécutivement à la cessation d’activité de son ancien employeur, disposait d’une certaine capacité d’adaptation sur le plan professionnel susceptible de compenser les désavantages compétitifs liés à son âge (59 ans au moment déterminant), surtout dans le domaine des emplois non qualifiés qui sont, en règle générale, disponibles indépendamment de l’âge de l’intéressé sur le marché équilibré du travail (8C_227/2017, déjà cité, consid. 5; voir aussi arrêts 8C_403/2017 du 25 août 2017 consid. 4.4.1; 8C_805/2016 du 22 mars 2017 consid. 3.4.3). A l’inverse, dans un autre arrêt récent rendu en matière d’assurance-invalidité (9C_470/2017 du 29 juin 2018 consid. 4.2), le Tribunal fédéral a retenu un taux d’abattement de 10% dans le cas d’un assuré âgé de 61 ans qui, durant de longues années, avait accompli des activités saisonnières dans le domaine de la plâtrerie et dont le niveau de formation était particulièrement limité.

En l’occurrence, la cour cantonale s’est écartée de l’appréciation de l’assurance-accidents sur l’étendue de l’abattement du salaire statistique applicable à l’assurée essentiellement au motif que celle-ci était âgée de 58 ans au moment déterminant. En effet, elle ne démontre pas d’une manière convaincante en quoi les autres circonstances invoquées sont susceptibles de diminuer concrètement ses perspectives salariales sur le marché du travail équilibré. Du moment que les activités adaptées envisagées ne requièrent ni formation, ni expérience professionnelle spécifique, les effets pénalisants au niveau salarial, induits par l’âge ne peuvent pas être considérés comme suffisamment établis.

Il s’ensuit que la cour cantonale n’avait pas de motif pertinent pour substituer son appréciation à celle de l’assurance-accidents. Dans ces conditions, il n’est pas nécessaire de décider si l’âge d’un assuré constitue même un critère susceptible de justifier un abattement sur le salaire statistique dans le domaine de l’assurance-accidents obligatoire compte tenu de la réglementation particulière de l’art. 28 al. 4 OLAA, question laissée ouverte par le Tribunal fédéral dans plusieurs arrêts récents (voir, en dernier lieu, l’arrêt 8C_227/2017 précité consid. 5).

 

Le TF rejette le recours de l’assurée et admet le recours de l’assurance-accidents, annule le jugement cantonal et confirme la décision sur opposition.

 

 

Arrêt 8C_103/2018+8C_131/2018 consultable ici

 

 

8C_59/2018 (f) du 19.07.2018 – Droit à l’indemnité chômage – Retraite anticipée – Période de cotisation / 8 LACI – 13 al. 3 LACI – 12 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_59/2018 (f) du 19.07.2018

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité chômage – Retraite anticipée – Période de cotisation / 8 LACI – 13 al. 3 LACI – 12 OACI

 

Assurée, née en 1957, a travaillé depuis le 02.09.1996 au service de la société B.__ SA. A la suite de la fusion de cette société avec la société C.__ SA, son contrat de travail a été repris par celle-ci à partir du 01.07.2008. Le 24.11.2016, elle a requis l’octroi d’indemnités de chômage à compter du 01.02.2017 en indiquant avoir été licenciée par son employeur le 24.10.2016 avec effet au 31.01.2017 en raison de sa « mise en préretraite ». Dans une attestation du 06.02.2017, l’employeur a indiqué avoir lui-même résilié les rapports de travail pour « préretraite ». Par courriel du 08.02.2017, l’assurée a informé la caisse de chômage qu’elle avait accepté de bénéficier d’une retraite anticipée sur proposition de son employeur, en raison de la reprise de la société C.__ SA par la société D.__ SA.

Par décision du 10.04.2017, confirmée sur opposition, la caisse de chômage a nié le droit de l’assurée à une indemnité de chômage au motif que l’intéressée ne justifiait d’aucune période de cotisation à compter du 01.02.2017, date de sa mise à la retraite anticipée.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1070/2017 – consultable ici)

La cour cantonale a constaté que l’assurée avait choisi librement de bénéficier d’une retraite anticipée à un moment où il n’était nullement question d’un licenciement. Les juges cantonaux sont d’avis que l’intéressée ne peut se prévaloir de l’exception de l’art. 12 al. 2 OACI et qu’en vertu de l’art. 12 al. 1 OACI, seule pouvait être prise en compte, au titre de période de cotisation, l’activité soumise à cotisation exercée après la mise à la retraite.

Par jugement du 29.11.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Selon l’art. 8 al. 1 let. e LACI, l’assuré a droit à l’indemnité de chômage s’il remplit les conditions relatives à la période de cotisation ou en est libéré. Celui qui, dans les limites du délai-cadre prévu à cet effet (art. 9 al. 3 LACI), a exercé durant douze mois au moins une activité soumise à cotisation remplit les conditions relatives à la période de cotisation (art. 13 al. 1 LACI). Afin d’empêcher le cumul injustifié de prestations de vieillesse de la prévoyance professionnelle et de l’indemnité de chômage, le Conseil fédéral peut déroger aux règles concernant la prise en compte des périodes de cotisation pour les assurés mis à la retraite avant d’avoir atteint l’âge de la retraite selon l’art. 21 al. 1 LAVS, mais qui désirent continuer à exercer une activité salariée (art. 13 al. 3 LACI).

Faisant usage de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a édicté l’art. 12 OACI, selon lequel, pour les assurés qui ont été mis à la retraite avant d’avoir atteint l’âge donnant droit aux prestations de l’AVS, seule est prise en compte, comme période de cotisation, l’activité soumise à cotisation qu’ils ont exercée après leur mise à la retraite (al. 1). D’après l’art. 12 al. 2 OACI, cette règle n’est toutefois pas applicable lorsque l’assuré a été mis à la retraite anticipée pour des raisons d’ordre économique ou sur la base de réglementations impératives entrant dans le cadre de la prévoyance professionnelle (let. a) et qu’il a droit à des prestations de retraite inférieures à l’indemnité de chômage à laquelle il a droit en vertu de l’art. 22 LACI (let. b). Dans ce cas, les périodes de cotisation antérieures à la mise à la retraite anticipée sont prises en considération par l’assurance-chômage.

 

Selon le Tribunal fédéral, sur la base de ses constatations de fait, la cour cantonale était fondée à admettre que la résiliation des rapports de travail reposait sur des raisons autres que des motifs d’ordre économique ou qu’en vertu de réglementations impératives ressortissant à la prévoyance professionnelle au sens de l’art. 12 al. 2 let. a OACI.

Etant donné le caractère d’exception de l’art. 12 al. 2 OACI, le Conseil fédéral, selon le texte clair de la lettre a de cette disposition, a restreint son champ d’application aux cas où la résiliation des rapports de travail est fondée sur des motifs d’ordre économique ou repose sur des réglementations impératives ressortissant à la prévoyance professionnelle. C’est pourquoi toute résiliation des rapports de travail qui – sans que l’assuré ait un choix – aboutit à une retraite anticipée ne tombe pas sous le coup de cette réglementation. Les personnes qui sont licenciées par leur employeur pour des raisons autres que des motifs d’ordre économique ou qu’en vertu de réglementations impératives ressortissant à la prévoyance professionnelle ne peuvent pas se prévaloir de l’art. 12 al. 2 OACI (ATF 144 V 42 consid. 3.2 p. 44 s.; 126 V 396 consid. 3b/bb p. 398; arrêt 8C_708/2008 du 5 mars 2009 consid. 3.3).

Au surplus, le présent cas se distingue de la cause jugée dans l’arrêt ATF 144 V 42. Dans cette affaire, qui concernait un assuré qui avait choisi librement de bénéficier d’une retraite anticipée et bénéficiait d’une demi-rente de la prévoyance au moment de tomber au chômage, le Tribunal fédéral a jugé qu’aussi longtemps que l’intéressé ne perçoit pas une rente entière de la prévoyance, le cumul d’une demi-rente de la prévoyance et d’indemnités de chômage calculées en fonction d’une perte d’emploi correspondant à 50% d’un travail à plein temps n’apparaît pas injustifié et ne contrevient pas à l’art. 13 al. 3 LACI. Or, à la différence de ce cas tranché, l’assurée ne bénéficie pas d’une demi-rente de la prévoyance mais perçoit une rente entière, ainsi qu’une rente-pont.

Vu ce qui précède, l’assurée ne peut se prévaloir de l’exception de l’art. 12 al. 2 OACI et la période de cotisation déterminante pour justifier le droit éventuel à l’indemnité de chômage doit être examinée compte tenu de l’activité soumise à cotisation exercée après le 01.02.2017, date de la mise à la retraite (art. 12 al. 1 OACI). Comme l’intéressée ne justifie d’aucune période de cotisation à compter de cette date, la caisse de chômage était fondée à lui dénier tout droit à une indemnité de chômage.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_59/2018 consultable ici

 

 

Protection des données : la réforme sera traitée en deux temps

Protection des données : la réforme sera traitée en deux temps

 

Communiqué de presse du Parlement du 11.09.2018 consultable ici

 

La grande réforme de la législation sur la protection des données sera traitée en deux temps. Suivant le National, le Conseil des Etats s’est contenté mardi de donner son aval au volet le plus urgent visant notamment à reprendre une directive liée à Schengen.

Le « gros morceau » attendra. Au National, la droite a jugé les propositions du Conseil fédéral trop complexe et souhaite se donner le temps de les analyser. La gauche la soupçonne de vouloir au final imposer un régime très libéral en deçà des exigences européennes déjà en vigueur depuis le 25 mai.

La Chambre du peuple pourrait trancher lors de la session d’hiver. Au nom de la commission sénatoriale, Pascale Bruderer (PS/AG) a souligné l’urgence de l’ensemble du dossier et regretté le découpage opéré au National. Même amertume du côté de la conseillère fédérale Simonetta Sommaruga.

Reste que le temps presse encore plus pour le premier volet: la mise en œuvre de la directive européenne devait en principe avoir eu lieu au 1er août.

 

Retouches

La loi sur la protection sur les données n’a été retouchée qu’en quelques points. Le Parlement a précisé que le Préposé fédéral ne pouvait pas, non seulement recevoir, mais aussi solliciter d’instructions. Et ce aussi bien de la part d’une autorité que d’un tiers.

Le Préposé se verra confier la mission de sensibiliser le public à la protection des données personnelles. Son mandat ne pourra être renouvelé que deux fois.

Le Préposé ne pourra exercer aucune activité accessoire. Il pourra néanmoins y être autorisé par le Conseil fédéral pour autant que cette activité n’affecte pas l’exercice, l’indépendance et la réputation de la fonction du Préposé. Le Conseil des Etats ayant revu la formulation de cette disposition, le National doit à nouveau se prononcer.

Soutenue par Simonetta Sommaruga, la gauche s’est battue en vain pour que les opinions et activités syndicales continuent d’être explicitement mentionnées dans la loi et pas inclues dans celles politiques ou philosophiques.

 

Schengen

Pour le reste, les autres modifications législatives, dont une loi d’application parallèle ad hoc, adoptées par le Conseil des Etats règlent le traitement des données dans le cadre d’une poursuite pénale et de la coopération policière et judiciaire avec les pays membres de l’espace Schengen. Il s’agit de la reprise d’une directive de l’UE qui vise à garantir un niveau élevé de protection tout en facilitant l’échange.

La communication de données vers Schengen ne devra pas être soumise à des règles plus strictes que pour la transmission aux autorités pénales suisses. Les personnes concernées pourront demander au Préposé dans certains cas de vérifier si les données les concernant sont traitées licitement, voire demander une enquête.

Les autorités pénales veilleront à distinguer les différentes catégories de personnes concernées et les données fondées sur des faits de celles fondées sur des appréciations personnelles. La loi sur l’entraide pénale internationale a été revue. Une nouvelle disposition introduit un droit d’accès aux données personnelles visées par une demande de coopération.

Ce droit n’est pas absolu. L’autorité compétente peut refuser, restreindre ou différer la communication si cela peut compromettre une enquête ou une procédure, si un intérêt public prépondérant l’exige ou s’il en va de la protection des intérêts d’un tiers.

 

Extradition

Une restriction d’accès vise par ailleurs les données traitées dans le cadre de demandes d’arrestation en vue d’une extradition. Le but est d’éviter que des personnes recherchées puissent savoir dans quels pays elles peuvent se rendre sans risquer de se faire arrêter.

L’Office fédéral de la justice (OFJ) répondra toujours qu’aucune donnée n’est traitée illicitement et que l’on peut se tourner vers le Préposé pour vérification. Celui-ci répétera la réponse de l’OFJ ou se contentera d’indiquer qu’il a ouvert une enquête.

La personne visée par une demande de coopération internationale aura par ailleurs le droit d’exiger l’effacement ou la rectification des données inexactes le concernant. A elle d’apporter les preuves. Ce droit ne vaudra pas pour les données collectées à titre probatoire ou concernant les infractions fondant la demande de coopération. Il faudra alors s’adresser à l’Etat requérant.

Dans certains cas, l’autorité pourra limiter le traitement de données plutôt que de les effacer. La directive règle par ailleurs le transfert de données vers des pays tiers ou des organisations internationales.

 

 

Communiqué de presse du Parlement du 11.09.2018 consultable ici

 

 

 

8C_723/2017 (f) du 08.08.2018 – Remise de l’obligation de restituer des indemnités de chômage indûment perçues – 25 al. 1 LPGA / Condition de la bonne foi admise / Courriels de l’assuré à une conseillère en placement à caractère polémique mais non injurieux

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_723/2017 (f) du 08.08.2018

 

Consultable ici

 

Remise de l’obligation de restituer des indemnités de chômage indûment perçues / 25 al. 1 LPGA

Condition de la bonne foi admise

Courriels de l’assuré à une conseillère en placement à caractère polémique mais non injurieux

 

Après avoir passé cinq ans à l’étranger, l’assuré, ressortissant suisse né en 1960, est revenu en Suisse le 01.01.2016. Il s’est inscrit au chômage le 11.01.2016.

Le 25.02.2016, l’Office régional de placement (ORP) l’a enjoint à participer, du 25.02.2016 au 20.05.2016, à une mesure relative au marché du travail auprès de l’agence B.__ afin d’améliorer son aptitude au placement.

L’assuré y a participé jusqu’au 21.04.2016, date à laquelle C.__, conseillère en placement à l’agence B.__, a informé par courriel la cheffe de groupe à l’ORP et responsable du suivi de l’assuré, qu’elle mettait un terme à l’accompagnement de ce dernier « en raison de son comportement inacceptable au sein d’une agence de placement, compromettant toute tentative de réinsertion et mettant de surcroît en péril les relations de confiance de l’agence B.__ avec les entreprises ». Le comportement inacceptable auquel il était fait référence résidait dans la teneur de deux courriels que l’assuré avait adressés le 18.04.2016 à une collaboratrice de l’agence de placement E.__, laquelle s’en était plainte à C.__.

Les courriels reprochés à l’assuré avaient pour destinataire une collaboratrice de l’agence de placement E.__ avec laquelle il avait été prié d’entrer en contact pour lui soumettre son curriculum vitae et trouver un stage. Dans le premier courriel, l’assuré s’indignait de ce que cette collaboratrice avait qualifié son curriculum vitae de « foutrek » et terminait son message par ces mots: « si c’est parce que j’ai voyagé et travaillé à l’étranger que vous trouverez mon CV confus, moi j’en suis fier; bref vous êtes française compétente mais vous travaillez en Suisse, alors sentez vous privilégiée par rapport aux Suisses comme moi et arrêtez de les dénigrer. merci ». Dans le second courriel envoyé à cette même collaboratrice un peu plus tard, l’assuré avait écrit que la qualification « foutrek » à propos de son curriculum vitae lui avait été rapportée par C.__ qui lui avait également dit que cela venait d’elle, ce à quoi il avait encore ajouté ceci: « je ne suis pas raciste, je constate qu’en suisse il y a des millions de frontaliers qui nous passent devant nous les suisses sur les places de travail disponibles […] bref vous pourriez avoir parlé avec C.__ un peu plus délicatement au lieu de me rabaisser comme vous l’avez fait. » A la suite de ces courriels, la collaboratrice a répondu à l’assuré qu’elle était suisse, qu’elle était étonnée que celui-ci puisse faire preuve d’un tel « relent de racisme », qu’elle n’avait jamais utilisé le terme « foutrek » pour qualifier sa candidature et qu’au vu « de ses considérations vis-à-vis de [sa] personne », elle classait son dossier.

Le 21.05.2016, l’assuré est sorti du chômage, ayant perçu le nombre maximum d’indemnités journalières auxquelles il avait droit.

L’Office cantonal genevois de l’emploi (OCE) a, par décision du 23.06.2016, suspendu le droit à l’indemnité journalière pour une durée de 25 jours dès le 22.04.2016, au motif qu’il avait fait échouer, par son attitude, une mesure relative au marché du travail. L’assuré n’a pas contesté cette décision.

Par nouvelle décision, la Caisse cantonale genevoise de chômage a réclamé à l’assuré la restitution de 1’899 fr. 90 correspondant aux indemnités qu’il avait perçues du 22.04.2016 au 20.05.2016. En effet, la suspension n’avait pas pu être exécutée, si bien que ces prestations étaient indues. L’intéressé a formé opposition à cette décision. Interprétant les termes de ce courrier comme une demande de remise de l’obligation de restituer, la caisse l’a transmis à l’OCE pour objet de sa compétence.

Par décision, confirmée sur opposition, l’OCE a rejeté la demande de remise, considérant que la condition de la bonne foi n’était pas remplie. En faisant échouer la mesure relative au marché du travail, l’assuré avait manqué à ses obligations vis-à-vis de l’assurance-chômage; il devait dès lors s’attendre à être suspendu dans son droit à l’indemnité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/788/2017 – consultable ici)

La cour cantonale a constaté que l’interruption de la mesure auprès de l’agence B.__ avait pour cause la teneur des deux courriels que l’assuré avait envoyés à une collaboratrice de l’agence de placement E.__. La cour cantonale a conclu qu’il s’était rendu coupable d’une négligence grave, son comportement n’étant pas conforme à ce qui pouvait raisonnablement être exigé d’une personne capable de discernement dans une situation identique. Néanmoins, la cour cantonale a jugé que l’on ne pouvait pas considérer que lorsque l’assuré avait reçu les prestations de l’assurance-chômage du 22.04.2016 au 20.05.2016, il savait ou devait savoir, en faisant preuve de l’attention requise, que celles-ci étaient indues. En effet, elles ne l’étaient pas à ce moment-là. Sa bonne foi devait ainsi être admise.

Par jugement du 12.09.2017, admission partielle du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

La question de la bonne foi de l’assuré ne saurait dépendre du moment auquel l’administration a suspendu son droit à l’indemnité et demandé la restitution des prestations correspondant à la durée de cette sanction et déjà versées. Cette question dépend bien du point de savoir si celui-ci pouvait et devait reconnaître qu’il a eu un comportement fautif sous l’angle de l’assurance-chômage et par conséquent susceptible d’être sanctionné. A cet égard, il y a lieu cependant de préciser que l’existence d’une décision de suspension entrée en force n’exclut pas forcément la bonne foi d’un assuré (cf. arrêt 8C_269/2009 du 13 novembre 2009 consid. 5.2.1 in fine).

Dans les deux courriels du 18.04.2016, on ne peut nier que l’assuré a tenu des propos à caractère polémique qui n’ont assurément pas leur place dans un échange professionnel. Cependant, ils ne paraissent pas pour autant injurieux. Quoi qu’il en soit, ils ne sont pas d’une gravité telle qu’ils pouvaient justifier la rupture immédiate et définitive de la collaboration entre l’agence de placement et l’assuré. On se trouve bien plutôt en présence d’une réaction inappropriée à la suite d’un malentendu qui aurait pu être dissipé par une discussion ouverte entre C.__, l’assuré et la collaboratrice de l’agence de placement E.__, d’autant plus que la conseillère de l’agence B.__ savait que le prénommé rencontrait une période difficile (son père est décédé au mois de mars 2016, date qui marquait également celle du décès de sa fille, en bas âge, trois ans plus tôt). Dans cette mesure, il est loin d’être évident que les propos inappropriés tenus par l’assuré à l’occasion de cet échange réalisent le comportement visé par l’art. 30 al. 1 let. d LACI. Cette disposition sanctionne les comportements compromettant ou empêchant le déroulement de la mesure ou la réalisation de son but. Or quand bien même la participation de l’assuré aux mesures proposées par l’agence B.__ a été interrompue, dans les faits, en raison des courriels de l’assuré, on ne saurait assimiler l’attitude incorrecte dont il a fait preuve à l’égard de la collaboratrice de l’agence de placement E.__ à un comportement propre à faire échouer une mesure relative au marché du travail. D’ailleurs, d’après le règlement de l’agence B.__, les cas de figure qui constituent un motif d’interruption des prestations de cette agence sont le non respect du règlement (en particulier de l’engagement à être joignable et disponible à 100 % pour toutes les mesures mises en place), la non-participation active à la mesure, l’abandon de stage ou le refus de poste ciblé dans le projet professionnel. Aucune de ces raisons ne s’appliquait à l’assuré, ce qui donne à penser que la décision d’interruption de la mesure avait un caractère de représailles, l’intéressé s’étant par ailleurs comporté comme un candidat qui se donnait de la peine mais qui apparaissait difficile et inadapté au marché du travail suisse (voir le bilan de sortie).

Au regard de ce qui précède, l’assuré avait des raisons de penser qu’il n’avait commis aucun comportement fautif du point de vue du droit du chômage et qu’il pouvait donc continuer à prétendre son droit à l’indemnité puisqu’il a poursuivi ses recherches d’emploi durant la période suivant l’interruption de la mesure jusqu’à sa sortie du chômage. Sa bonne foi doit donc être admise.

 

 

Le TF rejette le recours de l’Office cantonal de l’emploi.

 

 

Arrêt 8C_723/2017 consultable ici