Arrêt du Tribunal fédéral 8C_55/2015 (f) du 12.02.2016
Consultable ici : http://bit.ly/1pnGf6s
Droit au traitement médical / 10 LAA – 21 LAA
Contestation du début du droit à la rente et traitement médical selon 21 LAA
Usage « hors étiquette » d’un médicament
Traitement de la douleur par injection de kétamine non reconnu scientifiquement
Assuré, mécanicien sur machines textiles, victime, le 27.08.2007, d’une chute du haut d’une machine et d’une blessure à la main droite. L’évolution a été défavorable, marquée par une algodystrophie du 5ème rayon de la main droite et d’une capsulite rétractile de l’épaule gauche.
A partir d’avril 2009, l’assuré a bénéficié, à intervalles réguliers de trois mois, un traitement médical sous la forme de perfusions de médicaments antalgiques, en particulier de kétamine (médicament Ketalar®), visant à élever le seuil douloureux. Ce traitement a eu un bénéfice certain.
Par décision du 11.02.2011, l’assureur-accidents a octroyé à l’assuré une rente fondée sur un degré d’invalidité de 22% dès le 01.01.2010 ainsi qu’une indemnité pour atteinte à l’intégrité d’un taux de 6%. L’assuré s’est opposé à cette décision, demandant entre autre la continuation de la prise en charge du traitement à la kétamine. Dans une nouvelle décision du 23.10.2012, l’assurance-accidents a partiellement admis l’opposition en ce sens qu’elle a prolongé le versement de l’indemnité journalière jusqu’au 31.10.2010 et fixé la naissance du droit à la rente au 01.11.2010.
Procédure cantonale
Par jugement du 25.11.2014, rejet du recours par le tribunal cantonal.
TF
Contestation du début du droit à la rente et traitement médical selon 21 LAA
En se référant à l’arrêt U 252/01 de l’ancien Tribunal fédéral des assurances, la cour cantonale a considéré que le droit éventuel de l’assuré à la prise en charge du traitement litigieux devait être examiné à l’aune de l’art. 10 al. 1 LAA. Dans cet arrêt, l’ancien TFA avait été saisi d’un recours interjeté par un assuré contre le refus de l’assureur-accidents (confirmé en dernière instance cantonale) de prendre en charge une opération chirurgicale au titre de l’art. 21 al. 1 LAA, à un moment où une procédure parallèle sur le droit à la rente de cet assuré était encore pendante devant le tribunal cantonal. La cour fédérale a retenu que tant que la décision de rente n’était pas entrée en force, la rente ne pouvait être considérée comme fixée au sens de l’art. 21 al. 1 LAA. En effet, le juge appelé à se prononcer sur la décision de rente pourrait retenir que la poursuite du traitement médical était susceptible d’apporter une amélioration sensible de l’état de santé de l’assuré, ce qui aurait pour effet de différer la fixation de la rente au sens de l’art. 19 al. 1 LAA. C’est pourquoi, l’assureur-accidents – et le juge en cas de recours – devait examiner le bien-fondé de la demande de prise en charge de l’opération chirurgicale selon les conditions de l’art. 10 al. 1 LAA.
En l’espèce, ce sont les mêmes juges dans la même procédure qui avaient à traiter de tous les aspects du droit aux prestations de l’assuré. Dès lors que la cour cantonale a confirmé la stabilisation de l’état de santé de celui-ci au 01.11.2010 ainsi que le passage à la rente à cette date – ce qui n’était au demeurant pas contesté par l’assuré -, on ne voit pas d’obstacle à considérer que la rente est fixée au sens de l’art. 21 al. 1 LAA même si la décision de rente n’est pas encore formellement entrée en force parce que l’intéressé a conclu à la reconnaissance d’un degré d’invalidité supérieur à celui fixé par cette décision.
Droit au traitement médical – 10 LAA – 21 LAA
L’assuré a droit au traitement médical approprié des lésions résultant de l’accident, à savoir notamment au traitement ambulatoire dispensé par le médecin, ainsi qu’aux médicaments et analyses ordonnés par celui-ci (art. 10 al. 1 let. a et b LAA). Le traitement médical n’est alloué qu’aussi longtemps que sa continuation est susceptible d’apporter une sensible amélioration de l’état de santé de l’assuré. Il cesse dès la naissance du droit à la rente (art. 19 al. 1, 2ème phrase, LAA). Lorsque la rente a été fixée, les prestations pour soins et remboursement de frais (art. 10 à 13 LAA) sont accordées à son bénéficiaire aux conditions énumérées à l’art. 21 al. 1 LAA, soit notamment lorsqu’il a besoin de manière durable d’un traitement et de soins pour conserver sa capacité résiduelle de gain (let. c). Ainsi, les conditions du droit à la prise en charge des frais de traitement médical diffèrent selon que l’assuré est ou n’est pas au bénéfice d’une rente (ATF 116 V 41 consid. 3b p. 45).
La cour cantonale a retenu que le traitement à la kétamine permettait de soulager passagèrement les douleurs chroniques de l’assuré sans toutefois apporter d’amélioration sensible de son état de santé. Partant, l’assurance-accidents n’avait pas à en assumer la prise en charge au titre de l’art. 10 al. 1 LAA postérieurement au 31.12.2010. A cela s’ajoutait que l’injection, à faibles doses, du médicament Ketalar® pour élever le seuil douloureux en cas de syndrome douloureux chronique correspondait à un usage « hors étiquette » de ce médicament dont l’indication autorisée est l’induction d’une anesthésie générale. Or une telle utilisation du médicament ne donnait pas lieu à un remboursement dans l’assurance-maladie obligatoire et il devait en aller de même dans l’assurance-accidents. Enfin, de l’aveu même de la Doctoresse F.__, il ne s’agissait pas d’une thérapie scientifiquement reconnue, ce qui justifiait également que l’assurance-accidents ne la prenne pas en charge.
Traitement de la douleur par injection de kétamine non reconnu scientifiquement
Il est admis en jurisprudence comme en doctrine que le traitement médical doit être scientifiquement reconnu pour être pris en charge par l’assurance-accidents: l’assuré n’a pas droit à la prise en charge de traitements expérimentaux, pas plus que l’assureur ne saurait lui imposer de tels traitements (voir ATF 123 V 53 consid. 2b/bb p. 59; RAMA 2000 n° U 395 p. 317 consid. 5a, U 160/98; Jean-Maurice Frésard/Margit Moser-Szeless, L’assurance-accidents obligatoire (avec des aspects de l’assurance-militaire), in: Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Soziale Sicherheit, 3ème éd. 2016, p. 969 n° 198; Alexandra Rumo-Jungo, Bundesgesetz über die Unfallversicherung, 4ème éd. 2012, ad. art. 54 LAA, p. 244; Alfred Maurer, Schweizerisches Unfallversicherungsrecht, 2ème éd. 1989, p. 291). A cet égard, l’assureur-accidents s’inspire en principe de la jurisprudence relative à l’assurance-maladie (critère de l’efficacité posé par l’art. 32 al. 2 LAMal). Une méthode de traitement est considérée comme éprouvée par la science médicale, c’est-à-dire réputée scientifiquement reconnue, si elle est largement admise par les chercheurs et les praticiens (ATF 123 V 53 consid. 2b/aa p. 58). Quant à la prise en charge des médicaments, l’art. 71 al. 2 OLAA (RS 832.202) prévoit qu’ils sont remboursés par les assureurs d’après les listes qui ont été établies conformément à l’art. 52 al. 1 de la LAMal.
En l’espèce, le médicament Ketalar® et le spray nasal à la kétamine ne figurent pas sur la liste des spécialités établie par l’Office fédéral de la santé publique. D’autre part, il ressort des articles scientifiques produits que l’injection intraveineuse de kétamine à faibles doses pour combattre la douleur en est encore à un stade expérimental même si quelques études ont montré une certaine efficacité dans le traitement des douleurs à prédominance neuropathique grâce à la propriété de la kétamine de bloquer les récepteurs NMDA (acide-N-méthyl-D-aspartique). Il y est également relevé que la kétamine a des effets secondaires et qu’il subsiste de nombreuses interrogations liés à l’utilisation de cet agent analgésique puissant en dehors de son usage médical premier qui est l’induction d’une anesthésie générale. On ne peut donc considérer qu’il s’agit d’un traitement scientifiquement éprouvé et reconnu.
Le TF rejette le recours de l’assuré.
Arrêt 8C_55/2015 consultable ici : http://bit.ly/1pnGf6s