8C_82/2022 (f) du 24.08.2022 – Droit à l’indemnité chômage – Inaptitude au placement / 8 LACI – 15 LACI / Assuré bloqué en Russie à cause du COVID-19 – Pas de violation du devoir de renseigner de la caisse de chômage

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_82/2022 (f) du 24.08.2022

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité chômage – Inaptitude au placement / 8 LACI – 15 LACI

Assuré bloqué en Russie à cause du COVID-19

Pas de violation du devoir de renseigner de la caisse de chômage / 27 LPGA

Obligation de renseigner de l’assuré / 28 al. 2 LPGA

 

Assuré, directeur général d’une société active dans la conception, l’achat, l’import et l’export de tout matériel, d’équipements et d’accessoires liés à l’exploitation pétrolière et gazière, a été licencié avec effet au 31.03.2020 en raison de la restructuration économique du groupe. Il s’est inscrit le 18.03.2020 comme demandeur d’emploi à temps complet auprès de l’ORP et a sollicité l’octroi de prestations de l’assurance-chômage dès le 01.04.2020 auprès de la Caisse cantonale de chômage.

Par courriel du 24.04.2020, l’assuré a écrit à la caisse afin de lui transmettre son formulaire « Indications de la personne assurée » (IPA) pour le mois d’avril 2020. Il a mentionné sur ce formulaire qu’il était « bloqué en Russie à cause du COVID-19 » depuis le 22.03.2020. Il était allé en Russie à cette date pour un voyage d’affaires et y était encore, car ce pays avait suspendu les vols internationaux depuis le 27.03.2020. Il a en outre joint à son envoi un communiqué du gouvernement russe du 26.03.2020, qui annonçait cette mesure dans le cadre de la lutte contre la propagation du coronavirus (SARS-CoV-2, ci-après: COVID-19). Par retour du courriel du 27.04.2020, la caisse de chômage a informé l’assuré que la période durant laquelle il était à l’étranger ne pouvait pas être indemnisée, l’une des conditions pour percevoir l’indemnité étant la présence de l’assuré sur le territoire suisse, malgré les mesures prises par les gouvernements concernant la pandémie.

Par décision du 04.06.2020, confirmée sur opposition, la caisse de chômage a nié le droit de l’assuré à l’indemnité de chômage dès le 01.04.2020, au motif qu’il était inapte au placement aussi longtemps qu’il ne serait pas de retour en Suisse. Elle relevait qu’il était en Russie depuis le 22.03.2020, alors que le lock-down avait été décrété en Suisse depuis le 17.03.2020 et en Russie depuis le 18.03.2020 et qu’une quarantaine de quatorze jours était imposée à tout ressortissant de Russie entrant dans ce pays en provenance de Suisse; en outre il n’avait pas réservé de billet de retour afin d’être présent en Suisse le 01.04.2020.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 20/21 – 224/2021 – consultable ici)

Par jugement du 17.12.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
L’art. 8 al. 1 LACI énumère aux lettres a à g sept conditions du droit à l’indemnité de chômage. Ces conditions sont cumulatives (ATF 124 V 218 consid. 2). Le droit à l’indemnité de chômage suppose en particulier que l’assuré soit apte au placement (let. f). Aux termes de l’art. 15 al. 1 LACI, est réputé apte à être placé le chômeur qui est disposé à accepter un travail convenable et à participer à des mesures d’intégration et qui est en mesure et en droit de le faire.

Consid. 4.2
L’aptitude au placement comprend ainsi deux éléments: le premier est la capacité de travail, c’est-à-dire la faculté de fournir un travail – plus précisément d’exercer une activité lucrative salariée – sans que l’assuré en soit empêché pour des causes inhérentes à sa personne; le deuxième élément est la disposition à accepter immédiatement un travail convenable au sens de l’art. 16 LACI, laquelle implique non seulement la volonté de prendre un tel travail s’il se présente, mais aussi une disponibilité suffisante quant au temps que l’assuré peut consacrer à un emploi et quant au nombre des employeurs potentiels (ATF 146 V 210 consid. 3.1; 125 V 51 consid. 6a). L’aptitude au placement est évaluée de manière prospective d’après l’état de fait existant au moment où la décision sur opposition a été rendue (ATF 143 V 168 consid. 2 et les arrêts cités) et n’est pas sujette à fractionnement. Soit l’aptitude au placement est donnée (en particulier la disposition d’accepter un travail au taux d’au moins 20 % d’une activité à plein temps; cf. art. 5 OACI), soit elle ne l’est pas (ATF 143 V 168 consid. 2; 136 V 95 consid. 5.1).

Consid. 4.3
Un chômeur qui prend des engagements à partir d’une date déterminée et, de ce fait, n’est disponible sur le marché du travail que pour une courte période n’est en principe pas apte au placement car il n’aura que très peu de chances de conclure un contrat de travail (ATF 146 V 210 consid. 3.1 et les arrêts cités; 126 V 520 consid. 3a). Ce principe s’applique notamment lorsque des chômeurs s’inscrivent peu avant un départ à l’étranger, une formation ou l’école de recrues, ce qui équivaut à un retrait du marché du travail (cf. BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 56 ad art. 15 LACI).

Consid. 4.4
Lorsqu’un assuré participe à un cours de formation durant la période de chômage (sans que les conditions des art. 59 ss LACI soient réalisées), il doit, pour être reconnu apte au placement, clairement être disposé – et être en mesure de le faire – d’y mettre un terme du jour au lendemain afin de pouvoir débuter une nouvelle activité. Cette question doit être examinée selon des critères objectifs. Une simple allégation ne suffit pas à cet effet (ATF 122 V 265 consid. 4; arrêts 8C_742/2019 du 8 mai 2020 consid. 3.4; 8C_56/2019 du 16 mai 2019 consid. 2.2 publié in SVR 2020 ALV n° 5 p. 15). Il faut que la volonté de l’assuré se traduise par des actes, et ce pendant toute la durée du chômage (BORIS RUBIN, op. cit. n° 19 ad art. 15 LACI).

Consid. 4.5
L’aptitude au placement doit être admise avec beaucoup de retenue lorsque, en raison de l’existence d’autres obligations ou de circonstances personnelles particulières, un assuré désire seulement exercer une activité lucrative à des heures déterminées de la journée ou de la semaine. Un chômeur doit être en effet considéré comme inapte au placement lorsqu’une trop grande limitation dans le choix des postes de travail rend très incertaine la possibilité de trouver un emploi. Peu importe à cet égard le motif pour lequel le choix des emplois potentiels est limité (ATF 120 V 385 consid. 3a; arrêt 8C_65/2020 du 24 juin 2020 consid. 5.3; BORIS RUBIN, op. cit., n. 26 ad art. 15 LACI).

Consid. 4.6
Dans le contexte de la pandémie du COVID-19 et des restrictions ordonnées le 16.03.2020, il n’y a eu aucune dérogation aux art. 8 al. 1 let. f et 15 al. 1 LACI quant aux exigences de l’aptitude au placement (voir l’ordonnance du 20 mars 2020 sur les mesures dans le domaine de l’assurance-chômage en lien avec le COVID-19 [Ordonnance COVID-19 assurance-chômage; RS 837.033]).

Consid. 4.7
L’art. 27 al. 2 LPGA, qui s’applique à l’assurance-chômage obligatoire par renvoi de l’art. 1 al. 1 LACI, prévoit que chacun a le droit d’être conseillé, en principe gratuitement, sur ses droits et obligations; sont compétents pour cela les assureurs à l’égard desquels les intéressés doivent faire valoir leurs droits ou remplir leurs obligations. D’autre part, l’art. 28 al. 2 LPGA dispose que quiconque fait valoir son droit à des prestations doit fournir gratuitement tous les renseignements nécessaires pour établir ce droit, fixer les prestations dues et faire valoir les prétentions récursoires.

 

Consid. 5.1.1
La cour cantonale a retenu, en ce qui concerne les motifs du voyage en Russie, que l’assuré n’avait produit aucune preuve matérielle qui étayait ses déclarations s’agissant d’un voyage professionnel, comme par exemple une instruction claire de son employeur. Par ailleurs, c’est aussi sans arbitraire que la cour cantonale a constaté que le contrat de travail de l’assuré se terminait quelques jours après son départ en Russie (31.03.2020), que le voyage ne semblait pas avoir été payé par l’employeur (puisque l’assuré avait déclaré que le trajet de retour était à ses frais), que l’assuré n’avait pas reçu de salaire pour les mois de janvier, février et mars 2020 et qu’il était en plus le dernier employé de l’entreprise. Au vu de tous ces éléments, force est de constater que la cour cantonale n’a pas apprécié les preuves de manière arbitraire en concluant qu’il ne s’agissait pas d’un voyage professionnel.

Consid. 5.1.2
La juridiction cantonale n’est en effet pas tombée dans l’arbitraire en considérant que l’assuré aurait pu et dû renoncer à entreprendre ce voyage en Russie ou du moins réserver un billet de retour pour préserver son aptitude au placement. En effet, il sied de rappeler que le 22.03.2020, lorsque l’assuré s’est rendu en Russie, les déplacements internationaux étaient déjà fortement impactés par la crise sanitaire; la Russie avait déjà limité ses vols en provenance et à destination de l’Europe et avait imposé une quarantaine de quatorze jours, ce qui compliquait notablement son séjour et risquait clairement de le retarder, rendant son retour en Suisse pour le 01.04.2020 encore plus aléatoire. Partant, c’est à bon droit que la cour cantonale a considéré que l’assuré devait connaître les risques qu’il prenait en partant en Russie le 22.03.2020, en particulier celui de ne pas être de retour et apte au placement le 01.04.2020.

 

Consid. 5.1.4
Par une argumentation subsidiaire, la cour cantonale a retenu que, même à supposer que l’assuré ait cherché uniquement des emplois pour lesquels des moyens numériques étaient utilisés pour le recrutement et pour l’entrée en service, que de tels emplois aient existé et été disponibles sur le marché durant la période concernée, une telle restriction dans le choix des postes de travail aurait rendu très incertaine sa possibilité de retrouver un emploi, situation qui était également sanctionnée d’inaptitude.

Cette appréciation est conforme à la jurisprudence du Tribunal fédéral, selon laquelle un chômeur doit être considéré comme inapte au placement lorsqu’une trop grande limitation dans le choix des postes de travail rend très incertaine la possibilité de trouver un emploi (cf. consid. 4.5 supra), ce qui est manifestement le cas lorsqu’un chômeur adresse sa candidature uniquement pour des postes d’emploi pour lesquels non seulement le recrutement, mais aussi l’activité en soi s’effectuent exclusivement par voie numérique.

 

Consid. 5.2.1
L’assuré invoque une violation des art. 8 et 15 LACI en tant que son aptitude au placement a été niée du 01.04.2020 au 15.06.2020. En se référant à la jurisprudence, il fait valoir que l’éloignement ne serait plus un obstacle en raison des moyens techniques actuels et sachant qu’un entretien d’embauche n’aurait pas lieu en principe dans un délai de quelques heures. S’agissant de la prise d’une activité salariée, elle commencerait au plus tôt le premier jour du mois suivant l’entretien d’embauche. Par ailleurs, il faudrait tenir compte de la pandémie sévissant depuis le début de l’année 2020 en Europe. Aussi, le télétravail aurait été exigé d’emblée pour les personnes vulnérables.

Consid. 5.2.2
A l’instar de la cour cantonale, force est de constater que la jurisprudence invoquée par l’assuré sur le critère de la disponibilité suffisante quant au temps que l’assuré peut consacrer à un emploi et quant au nombre des employeurs potentiels ne lui est d’aucun secours. En effet, dans l’arrêt en question (arrêt 8C_922/2014 du 20 mai 2015 consid. 4.2), le Tribunal fédéral a jugé que l’éloignement temporaire d’un assuré n’était pas un obstacle important à son aptitude au placement, compte tenu des moyens techniques actuels et pour autant que ce dernier soit en mesure d’être présent en Suisse dans un délai très court. Dans l’état de fait ayant donné lieu à cet arrêt, l’assuré était parti à Paris (France) pour des raisons de formation, pouvait interrompre ses cours et disposait de moyens de transport pour revenir en Suisse d’un jour à l’autre. La cour cantonale a relevé que le séjour de cet assuré s’étalait sur quelques jours disparates, si bien que son éloignement temporaire n’avait pas d’effet sur sa disponibilité (objective) suffisante, ce qui n’était pas le cas pour l’assuré.

Consid. 5.2.3
Cette appréciation doit aussi être confirmée pour d’autres motifs. En effet, comme on l’a vu, la cour cantonale a constaté sans arbitraire que l’assuré s’était inscrit au chômage quelques jours avant son départ en Russie, sans prouver la nécessité et le caractère professionnel de son voyage, sans avoir au préalable réservé un billet de retour et en connaissance des risques qu’il prenait en partant en Russie le 22.03.2020, en particulier celui de ne pas être de retour et apte au placement le 01.04.2020. En vertu des principes jurisprudentiels énoncés plus haut (cf. consid. 4.3 supra), ces éléments suffisent à retenir que l’assuré s’est retiré du marché de travail suisse peu après son inscription au chômage, ce qui entraîne son inaptitude au placement.

Consid. 5.2.4
Par ailleurs, même si on appliquait par analogie la jurisprudence pour les chômeurs qui participent à un cours de formation (cf. consid. 4.4 supra), l’aptitude au placement devrait néanmoins être niée. En effet, on ne saurait suivre la thèse de l’assuré selon laquelle il suffirait, pour être considéré apte au placement, d’être prêt à commencer une nouvelle activité au plus tôt le premier jour du mois suivant l’entretien d’embauche, surtout en période de pandémie. On rappellera à cet égard que dans le contexte de la pandémie du COVID-19 et des restrictions ordonnées le 16.03.2020, il n’y a eu aucune dérogation aux art. 8 al. 1 let. f et 15 al. 1 LACI quant aux exigences de l’aptitude au placement (cf. consid. 4.6 supra). Autrement dit, il ne justifie pas de déroger au principe de la disponibilité suffisante dans le sens de la disposition et de la capacité à commencer une activité professionnelle du jour au lendemain si elle se présente. Dans la mesure où, de manière non contestée, l’assuré n’était objectivement pas en mesure de remplir cette exigence pendant la période concernée, c’est à bon droit qu’il a été considéré comme inapte au placement.

Consid. 5.2.5
Compte tenu de son manque de capacité à accepter un travail convenable, l’assuré ne saurait en outre tirer un avantage du fait qu’il remplit une autre condition du droit à l’indemnité au chômage, notamment son obligation de satisfaire aux exigences de contrôle en effectuant suffisamment des recherches d’emploi (art. 8 al. 1 let. g et art. 17 LACI), les conditions du droit à l’indemnité devant être remplies cumulativement (cf. consid. 4.1 supra).

 

Consid. 5.3.1
L’assuré invoque une violation de l’art. 27 al. 2 LPGA, en soutenant que la caisse de chômage aurait manqué à son devoir de renseigner. Il fait valoir qu’avant son départ en Russie, il n’aurait reçu aucune information préalable selon laquelle il devait être présent sur le territoire suisse, comme indiqué par la caisse de chômage dans son courriel du 27.04.2020. En outre, il ne pouvait pas se douter que son voyage en Russie durerait si longtemps et que cela pourrait mettre en danger, par la suite, son droit aux indemnités de chômage.

Consid. 5.3.2
Contrairement à ce que semble supposer l’assuré, le devoir de conseil de l’assureur social au sens de l’art. 27 al. 2 LPGA n’implique pas que celui-ci donne à titre préventif des informations dont on peut admettre qu’elles sont connues de manière générale (arrêt 8C_433/2014 du 16 juillet 2015 consid. 5.3 et l’arrêt cité). En ce qui concerne l’obligation de la caisse de chômage de donner des renseignements spécifiques, l’étendue de celle-ci dépend de la situation individuelle dans laquelle se trouve l’assuré, telle qu’elle est reconnaissable pour l’administration (arrêt 8C_1041/2008 du 12 novembre 2009 consid. 6.2 et les références, RUBIN, op.cit. n° 59 ad art. 17 LACI). En l’occurrence, le conseiller de l’ORP n’avait aucune raison apparente d’interpeller spontanément l’assuré, qui quelques jours auparavant venait de s’inscrire au chômage, au sujet d’un potentiel voyage en Russie et des conséquences que cela aurait sur son droit aux indemnités. Il incombait bien plutôt à l’assuré, en vertu de son obligation de renseigner (art. 28 al. 2 LPGA; cf. consid. 4.7 supra), d’informer la caisse de chômage et de s’enquérir, avant son départ en Russie, des répercussions éventuelles que son voyage aurait sur son droit aux indemnités, étant rappelé qu’entre le moment de son inscription à l’assurance-chômage et son départ en Russie, il avait suffisamment de temps pour le faire.

 

Consid. 6
Au vu de ce qui précède, c’est sans violer le droit fédéral que la cour cantonale a confirmé le refus de la caisse de chômage d’allouer des indemnités de chômage du 01.04.2020 au 15.06.2020. Le recours se révèle mal fondé en tous points et doit être rejeté.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_82/2022 consultable ici

 

Print Friendly, PDF & Email

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur comment les données de vos commentaires sont utilisées.