6B_165/2015 (f) du 01.06.2016 – destiné à la publication – Grand excès de vitesse – Délit de chauffard – 90 al. 3 LCR – 90 al. 4 LCR / Eléments subjectifs de l’infraction à l’art. 90 al. 3 et 4 LCR – Changement de jurisprudence

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_165/2015 (f) du 01.06.2016, destiné à la publication

 

Consultable ici : http://bit.ly/28PGq3l

 

Grand excès de vitesse – Délit de chauffard / 90 al. 3 LCR – 90 al. 4 LCR

Eléments subjectifs de l’infraction à l’art. 90 al. 3 et 4 LCR / Changement de jurisprudence

 

Le dimanche 16.06.2013 à 12h05, X.__ a circulé sur la route de Thonon, en direction de Genève, à la vitesse de 110 km/h alors que la vitesse était limitée à 50 km/h sur ce tronçon, commettant ainsi un dépassement de la vitesse autorisée de 54 km/h après déduction de la marge de sécurité de 6 km/h.

Dans le cas d’espèce, la question est de savoir si l’infraction est systématiquement réalisée sur le plan subjectif lorsque l’un des seuils de dépassement de vitesse fixés par l’art. 90 al. 4 LCR est atteint.

 

TF

L’art. 90 al. 3 LCR punit d’une peine privative de liberté d’un à quatre ans, celui qui, par une violation intentionnelle des règles fondamentales de la circulation, accepte de courir un grand risque d’accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort, que ce soit en commettant des excès de vitesse particulièrement importants, en effectuant des dépassements téméraires ou en participant à des courses de vitesse illicites avec des véhicules automobiles.

A teneur de l’art. 90 al. 4 LCR, l’al. 3 est toujours applicable lorsque la vitesse maximale autorisée a été dépassée: d’au moins 40 km/h, là où la limite était fixée à 30 km/h (let. a); d’au moins 50 km/h, là où la limite était fixée à 50 km/h (let. b); d’au moins 60 km/h, là où la limite était fixée à 80 km/h (let. c); d’au moins 80 km/h, là où la limite était fixée à plus de 80 km/h (let. d).

L’art. 90 al. 3 et 4 LCR, entré en vigueur le 1 er janvier 2013, consacre une troisième catégorie d’infraction aux règles de la circulation routière sous la forme d’un crime (cf. l’art. 90 al. 1 LCR constituant une contravention et l’art. 90 al. 2 LCR un délit).

Sur le plan subjectif, l’art. 90 al. 3 LCR déroge à l’art. 100 ch. 1 LCR et limite la punissabilité à l’intention. Celle-ci doit porter sur la violation des règles fondamentales de la circulation routière ainsi que sur le risque d’accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort (cf. Message du 9 mai 2012 concernant l’initiative populaire  » Protection contre les chauffards « , FF 2012 5067 ch. 3.3; PHILIPPE WEISSENBERGER, Kommentar Strassenverkehrsgesetz und Ordnungsbussengesetz: mit Änderungen nach Via Sicura, 2 e éd. 2015, n° 58 s. ad art. 90 LCR et références citées).

Si l’on comprend sans ambiguïté du texte légal que l’atteinte de l’un des seuils énumérés à l’al. 4 constitue toujours un cas d’excès de vitesse particulièrement important au sens de l’art. 90 al. 3 LCR, le libellé de l’al. 4 n’est pas absolument clair s’agissant des autres conditions de réalisation de l’infraction.

Il résulte de l’interprétation historique de l’art. 90 al. 3 et 4 LCR qu’en cas de dépassement de vitesse particulièrement important, le juge est lié par la définition d’un chauffard et ne peut que constater la réalisation des éléments objectifs de l’infraction, quelles que soient les circonstances. S’il apparaît que le législateur a également souhaité fortement restreindre le pouvoir d’appréciation du juge quant aux éléments subjectifs de l’infraction, celui-ci en conserve une partie (cf.  » pas laissée à la  seule appréciation du juge « ) et doit s’assurer que l’auteur a agi intentionnellement ou du moins par dol éventuel.

Du point de vue systématique, il sied de relever que l’art. 90 al. 3 LCR limite expressément la punissabilité à l’intention, ce en dérogation à l’art. 100 ch. 1, 1ère phrase, LCR. Quant à l’art. 90 al. 4 LCR, il ne contient ni énoncé de fait légal ni sanction et dépend dès lors directement de l’al. 3. Dans la mesure où l’al. 4 ne saurait trouver application de manière autonome, une lecture globale de l’art. 90 al. 3 et 4 LCR s’impose. Dans ce sens, HANS GIGER qualifie l’art. 90 al. 3 LCR de norme principale contenant tant une clause générale que des conditions subjectives et voit dans l’art. 90 al. 4 LCR une norme subordonnée concrétisant un cas d’application de l’al. 3, sans toutefois contenir de condition subjective (HANS GIGER, SVG, Kommentar, 8e éd. 2014, n° 39 s. ad art. 90 LCR [ci-après: Kommentar]; LE MÊME, Z ur Entemotionalisierung der Raserproblematik: Kritik an der verfehlten Neuregelung in der Strassenverkehrsgesetzgebung, Jusletter du 4 mars 2013, n° 23 [ci-après: Jusletter]).

Cette interdépendance des normes plaide en faveur d’un examen des conditions subjectives dans chaque cas de figure mentionné de manière exemplative à l’al. 3 (notamment le dépassement de vitesse particulièrement important au sens de l’al. 4) comme pour les autres comportements susceptibles d’être couverts par la disposition, ce à l’instar des autres infractions intentionnelles de la LCR (art. 100 ch. 1, 1ère phrase, LCR  a contrario).

Par ailleurs, si l’art. 90 al. 4 LCR dépend de l’al. 3, il n’est pas exclu que l’al. 3 trouve application de manière autonome lors d’un dépassement de vitesse important inférieur aux valeurs indicatives de l’al. 4. Dans ce sens, certains auteurs estiment qu’un tel dépassement peut, selon les circonstances, constituer une violation grave qualifiée des règles de la circulation en vertu de l’art. 90 al. 3 LCR (CÉDRIC MIZEL, Le délit de chauffard et sa répression pénale et administrative, PJA 2013 189, p. 196, lequel, pour illustrer son propos, mentionne l’exemple d’un excès de vitesse de 40 km/h sur un tronçon limité à 50 km/h à la pause de midi, devant une école, à proximité d’un bus scolaire d’où descendent des enfants en courant; JÜRG BOLL, Verkehrsstrafrecht nach der Via Sicura, Circulation routière 4/2014, p. 7).

Cela étant, il n’y a pas de raison qu’un conducteur commettant un dépassement de vitesse particulièrement important appréhendé par l’al. 4 soit traité différemment, sous l’angle de l’intention, que celui commettant un excès de vitesse particulièrement dangereux du point de vue des circonstances ou un dépassement téméraire au sens de l’al. 3.

En conséquence, du point de vue de la cohérence législative, le simple renvoi de l’art. 90 al. 4 LCR à l’al. 3 ne permet pas non plus de s’affranchir de la question de la réalisation des aspects subjectifs de l’infraction lors d’un dépassement particulièrement important de la limitation de vitesse.

 

L’art. 90 al. 3 et 4 LCR érige au rang de crime la violation grave qualifiée intentionnelle d’une règle de la circulation routière en la punissant d’une peine privative de liberté de un à quatre ans. Le juge fixe la peine d’après la culpabilité de l’auteur (art. 47 al. 1, 1ère phrase, CP); la culpabilité étant déterminée par la gravité de la lésion ou de la mise en danger du bien juridique concerné, par le caractère répréhensible de l’acte, par les motivations et les buts de l’auteur et par la mesure dans laquelle celui-ci aurait pu éviter la mise en danger ou la lésion, compte tenu de sa situation personnelle et des circonstances extérieures (art. 47 al. 2 CP). Du point de vue subjectif, outre les motivations et les buts de l’auteur, l’intensité de sa volonté délictuelle doit être prise en compte (cf. ATF 141 IV 61 consid. 6.1.1 p. 66 s.). Or la détermination de l’intensité de la volonté délictuelle dépend du caractère intentionnel de l’acte. Aussi, la fixation de la peine dans le cadre légal fixé par l’art. 90 al. 3 et 4 LCR implique nécessairement l’examen des éléments subjectifs de l’infraction, la culpabilité étant une composante de la peine.

De manière quasi unanime, la doctrine considère qu’au regard des principes de droit pénal et constitutionnels, le « délit de chauffard » appréhendé par l’art. 90 al. 3 LCR ne saurait se résumer à la seule constatation d’un excès de vitesse particulièrement important au sens de l’al. 4; la réalisation des conditions subjectives demeurant nécessaire dans un tel cas de figure. Une partie de la doctrine déduit de la formulation de l’art. 90 al. 4 LCR, qu’en cas de dépassement d’un des seuils énumérés aux let. a-d, seules les conditions objectives de l’art. 90 al. 3 LCR sont réalisées.

Certains auteurs illustrent, au regard des principes de culpabilité et de punissabilité, la nécessité d’examiner le caractère intentionnel de la violation grave qualifiée des règles de la circulation routière en envisageant diverses situations. Ils évoquent notamment l’hypothèse d’une défaillance technique du véhicule (dysfonctionnement des freins ou du tempomat) ou d’une pression extérieure (prise d’otage, menaces). Quelques auteurs mentionnent l’hypothèse d’une conduite d’urgence à l’hôpital. Il est également fait état de situations dans lesquelles la limitation de vitesse était improbable sur le tronçon concerné ou difficilement reconnaissable.

Aucune méthode d’interprétation de l’art. 90 al. 3 et 4 LCR ne permet de retenir l’existence d’une présomption légale irréfragable en faveur de la réalisation des conditions subjectives de l’al. 3 en cas d’excès de vitesse visé à l’al. 4 let. a-d. En effet, par son texte et sa définition, l’art. 90 al. 3 et 4 LCR part de l’idée que chaque dépassement de la vitesse maximale au sens de l’al. 4 constitue une violation grave qualifiée intentionnelle des règles de la circulation routière, sans toutefois poser de présomption irréfragable. La volonté claire et expresse du législateur vise à punir sévèrement les dépassements importants de la limitation de vitesse au sens de l’art. 90 al. 4 LCR, et de restreindre le pouvoir d’appréciation du juge quant à la définition du chauffard et à la peine, étant précisé que l’intention doit être donnée. L’interprétation systématique de la disposition impose l’examen, par le juge, de la réalisation de l’aspect subjectif de l’infraction. De même, l’approche téléologique exclut l’existence d’une présomption irréfragable selon laquelle un excès de vitesse particulièrement important au sens de l’art. 90 al. 4 LCR relèverait nécessairement de l’intention.

Au regard de la jurisprudence publiée rendue à ce jour et afin de garantir une certaine sécurité juridique, notamment en lien avec les répercussions administratives d’une violation grave qualifiée à la LCR, il y a lieu de retenir que celui qui commet un excès de vitesse appréhendé par l’art. 90 al. 4 LCR commet objectivement une violation grave qualifiée des règles de la circulation routière au sens de l’art. 90 al. 3 LCR et réalise en principe les conditions subjectives de l’infraction. Du point de vue subjectif, il sied de partir de l’idée qu’en commettant un excès de vitesse d’une importance telle qu’il atteint les seuils fixés de manière schématique à l’art. 90 al. 4 LCR, l’auteur a, d’une part, l’intention de violer les règles fondamentales de la circulation et accepte, d’autre part, de courir un grand risque d’accident pouvant entraîner de graves blessures ou la mort (cf. ATF 140 IV 133 consid. 4.2.1 p. 138 et 139 IV 250 consid. 2.3.1 p. 253).

En effet, il faut considérer que l’atteinte d’un des seuils visés à l’art. 90 al. 4 LCR implique généralement l’impossibilité d’éviter un grand risque d’accident en cas d’obstacle ou de perte de maîtrise du véhicule. Cependant, compte tenu des résultats des différentes approches historique, systématique et téléologique, il ne peut être exclu que certains comportements soient susceptibles de réaliser les conditions objectives de la violation grave qualifiée des règles de la circulation routière sans toutefois relever de l’intention. Conformément à l’avis unanime de la doctrine, le juge doit conserver une marge de manœuvre, certes restreinte, afin d’exclure, dans des constellations particulières, la réalisation des conditions subjectives lors d’un dépassement de vitesse particulièrement important au sens de l’art. 90 al. 4 LCR.

Partant, la jurisprudence publiée ayant trait aux conditions d’application de l’art. 90 al. 3 et 4 LCR est précisée dans le sens de ce qui précède.

 

 

Arrêt 6B_165/2015 consultable ici : http://bit.ly/28PGq3l

 

Autre article à ce sujet : Communiqué de presse du TF

 

 

NB : je ne peux que conseiller au praticien de lire l’arrêt – riche de détails – dans son intégralité.

 

 

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