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9C_430/2023 (f) du 07.07.2025, destiné à la publication – Somme de rachat annuelle versée par les personnes arrivant de l’étranger qui n’avaient jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse / Inégalité de traitement résultant de l’application de l’art. 60b al. 1 OPP 2 justifiée visant à garantir la cohérence du système fiscal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_430/2023 (f) du 07.07.2025, destiné à la publication

 

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Somme de rachat annuelle versée par les personnes arrivant de l’étranger qui n’avaient jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse / 79b LPP – 60b OPP 2

Raison impérieuse d’intérêt général justifiant une entrave à la libre circulation / 21 par. 3 ALCP

Inégalité de traitement résultant de l’application de l’art. 60b al. 1 OPP 2 justifiée visant à garantir la cohérence du système fiscal

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a examiné la situation d’un ressortissant français installé en Suisse en 2020, qui avait procédé à plusieurs rachats d’années de prévoyance auprès de l’institution de son employeur. L’institution avait refusé d’accepter un rachat supérieur à 20% du salaire assuré pendant les cinq premières années d’affiliation, conformément à l’art. 60b al. 1 OPP2. L’assuré contestait cette limitation qu’il considérait comme une discrimination contraire à l’Accord sur la libre circulation des personnes.

Le Tribunal fédéral a admis que la règle pouvait induire une différence de traitement principalement défavorable aux ressortissants étrangers arrivant en Suisse. Toutefois, il a jugé que cette restriction se justifie par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal suisse, en évitant que des personnes à revenu élevé ne puissent déduire de manière importante leurs rachats sans que la Suisse n’ait ensuite la possibilité d’imposer les prestations de prévoyance lors d’un départ à l’étranger. Le recours de l’assuré a été rejeté.

 

Faits
Assuré, ressortissant français né en 1964, s’est installé en Suisse en septembre 2020 au moment d’entrer au service de la société B.__ SA en qualité de directeur financier. Depuis lors, il est affilié pour la prévoyance professionnelle auprès de la Fondation de B.__ SA. Le prénommé a effectué deux rachats d’années d’assurance auprès de la Fondation, à hauteur de 160’000 fr. le 11.12.2020 puis de 172’080 fr. le 29.10.2021. Au 01.01.2022, les possibilités de rachats s’élevaient encore à 11’086’197 fr. 70.

Le 22.07.2022, l’assuré a effectué un nouveau rachat d’un montant de 250’000 fr. Le 04.08.2022, la Fondation lui a indiqué ne pas pouvoir accepter un rachat annuel supérieur à 172’080 fr. en 2022, car cette limite correspondait au 20% de son salaire assuré maximum qui s’élevait à 860’040 fr. en cette même année. Elle a précisé que la somme de rachat annuelle versée par les personnes arrivant de l’étranger qui n’avaient jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse ne devait pas dépasser, pendant les cinq années qui suivaient leur entrée dans l’institution de prévoyance suisse, 20% du salaire assuré tel qu’il était défini par son règlement. La Fondation a dès lors invité l’assuré à lui communiquer ses coordonnées bancaires en vue de la restitution du trop-perçu. Le 30.08.2022, l’assuré lui a répondu ne pas partager son point de vue et lui a demandé de garder le montant versé en trop pour l’affecter à sa prévoyance jusqu’à l’issue du désaccord.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/536/2023 – consultable ici)

Par jugement du 30.06.2023, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2.1 [résumé]
L’art. 79b LPP, en vigueur depuis le 1er janvier 2006, limite les possibilités de rachat aux seules prestations réglementaires (al. 1) et prévoit que le Conseil fédéral règle la question du rachat pour les personnes n’ayant jamais été affiliées à une institution de prévoyance au moment où elles exercent cette faculté (al. 2).

En application de ce mandat, le Conseil fédéral a édicté l’art. 60b OPP 2, également en vigueur depuis le 1er janvier 2006 (dans sa teneur applicable dès le 1er janvier 2011). Cette disposition prévoit que, pour les personnes arrivant de l’étranger et n’ayant jamais été affiliées en Suisse, la somme de rachat annuelle ne peut excéder, durant les cinq premières années d’affiliation, 20% du salaire assuré défini par le règlement. Après ce délai, le rachat complet devient possible. L’art. 60b al. 2 OPP 2 prévoit en outre une exception lorsque l’assuré transfère directement des avoirs de prévoyance professionnelle étrangère dans une institution de prévoyance suisse, sous certaines conditions (transfert direct [let. a], admission par l’institution d’un tel transfert [let. b] et absence de déduction fiscale en Suisse [let. c]).

Consid. 3.2.2
Entrent également en ligne de compte pour la solution du litige, comme l’a retenu à juste titre la juridiction cantonale, deux dispositions de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681), soit les art. 2 et 21 par. 3.

Selon l’art. 2 ALCP, les ressortissants d’une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d’une autre partie contractante ne sont pas, dans l’application et conformément aux dispositions des annexes I, II et III de cet accord, discriminés en raison de leur nationalité. Ce principe de l’égalité de traitement est repris à l’art. 9 de l’annexe I de l’ALCP, qui énonce, à son par. 2 une règle spécifique visant à faire bénéficier le travailleur salarié et les membres de sa famille des mêmes avantages fiscaux et sociaux que ceux dont disposent les travailleurs salariés nationaux et les membres de leur famille.

En vertu de l’art. 21 par. 3 ALCP, aucune disposition du présent accord ne fait obstacle à l’adoption ou l’application par les parties contractantes d’une mesure destinée à assurer l’imposition, le paiement et le recouvrement effectif des impôts ou à éviter l’évasion fiscale conformément aux dispositions de la législation fiscale nationale d’une partie contractante ou aux accords visant à éviter la double imposition liant la Suisse, d’une part, et un ou plusieurs États membres de la Communauté européenne, d’autre part, ou d’autres arrangements fiscaux.

Consid. 4 [résumé]
La juridiction cantonale a rappelé que l’art. 60b OPP 2 trouvait son origine dans la volonté du législateur de lutter contre les abus fiscaux liés aux rachats de prévoyance. Les personnes arrivant en Suisse pour y exercer une activité lucrative présentaient d’importantes lacunes dans le deuxième pilier, par comparaison avec celles ayant uniquement un « passé de prévoyance suisse ». Dès lors, ces lacunes, pouvant être comblées par des rachats exonérés d’impôt, présentaient un risque d’utilisation abusive à des fins fiscales.

Après la suppression de la limitation de l’ancien art. 79a LPP (en vigueur jusqu’au 31 décembre 2005) et l’impossibilité pratique de vérifier l’existence à l’étranger de régimes comparables, le législateur avait confié au Conseil fédéral, par l’art. 79b al. 2 LPP (en vigueur dès le 1er janvier 2006), la tâche d’édicter une disposition anti-abus. L’art. 60b OPP 2, conçu comme une norme de nature fiscale, visait ainsi les personnes venant temporairement en Suisse, réduisant leur revenu imposable par des rachats, puis quittant le pays en retirant leur avoir de prévoyance en espèces selon l’art. 5 al. 1 let. a LFLP. Comme la plupart des conventions de double imposition attribuaient à l’État de résidence le droit d’imposer ces prestations, la Suisse en sortait défavorisée fiscalement. Le plafonnement instauré par l’art. 60b al. 1 OPP 2 visait donc à éviter qu’un contribuable à revenu élevé et de séjour limité n’élude largement l’impôt en Suisse.

Tout en laissant indécise la question de savoir si ce plafonnement constituait une discrimination indirecte envers les ressortissants de l’Union européenne prohibée par l’ALCP, les juges cantonaux ont retenu que la mesure demeurait compatible avec cet accord. Ils ont souligné qu’elle constituait une mesure « visant à assurer l’imposition » au sens de l’art. 21 par. 3 ALCP, norme permettant de justifier une restriction afin de lutter contre l’évasion fiscale. Enfin, ils ont jugé que la limitation à 20% du salaire assuré pendant cinq ans apparaissait proportionnée.

Consid. 6.1 [résumé]
Il est incontesté que l’assuré, ressortissant français arrivé en Suisse en 2020 pour y exercer une activité lucrative, entre dans le champ d’application personnel de l’ALCP (art. 1 ALCP et art. 1 annexe I ALCP).

Il n’est pas non plus litigieux que la faculté de rachat d’années de prévoyance non pas au moment de l’entrée dans l’institution (art. 9 LFLP en lien avec l’art. 79b LPP), mais en cours d’assurance, relève de la prévoyance plus étendue (arrêt 9C_813/2014 du 26 mai 2015 consid. 2.3.2, in SVR 2016 BVG n° 23 p. 98; STÉPHANIE Perrenoud/Marc Hürzeler, in Commentaire bâlois, Berufliche Vorsorge, 2021, n° 7 ad art. 9 LFLP). Celle-ci n’entre pas dans le champ d’application du Règl. (CE) n° 883/2004 (RS 0.831.109.268), mais dans celui de la Directive 98/49 CE du Conseil européen du 29 juin 1998 relative à la sauvegarde des droits à pension complémentaire des travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (ci-après: Directive 98/49), à laquelle renvoie le ch. 5 section A de l’annexe II ALCP (ATF 140 II 364 consid. 4.3 et les références; 137 V 181 consid. 2.1; Basile Cardinaux, in Commentaire bâlois, Berufliche Vorsorge, 2021, n° 18 ad art. 89a LPP; ROLAND MÜLLER/ Gertrud Bollier, in LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 18 ad Rem. prél. art. 89a-89d LPP). Cette directive n’a toutefois pas de portée plus large que l’art. 2 ALCP en matière de non-discrimination. De plus, il n’y a pas lieu de revenir sur la qualification, admise par la juridiction cantonale et non contestée, du rachat en cause comme avantage fiscal et social au sens de l’art. 9 par. 2 annexe I ALCP.

Consid. 6.2 [résumé]
Conformément à l’analyse des juges cantonaux, l’art. 60b al. 1 OPP 2 est une norme à caractère fiscal. Selon l’OFAS, son objectif est de prévenir les utilisations abusives des rachats à des fins fiscales et non pour améliorer la prévoyance professionnelle, le législateur ayant confié au Conseil fédéral la mission d’adopter une telle disposition après la suppression de l’art. 79a aLPP. L’OFAS considère par ailleurs que la règle respecte l’égalité de traitement internationale, puisqu’elle s’applique indifféremment aux ressortissants suisses et étrangers (Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 83 du 16 juin 2005, ch. 484, p. 22). L’assuré fait toutefois valoir qu’elle entraîne, dans son cas, une discrimination indirecte au sens de l’ALCP, grief qu’il convient d’examiner.

Consid. 6.2.1
Selon la jurisprudence, le principe de non-discrimination déduit de l’art. 2 ALCP (ainsi que des art. 9 al. 2 et 15 al. 2 annexe I ALCP) prohibe non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité (discriminations directes), mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (discriminations indirectes). Dans le domaine de la fiscalité directe, qui relève de leur compétence, les États doivent ainsi s’abstenir de toute discrimination ostensible ou déguisée fondée sur la nationalité (ATF 140 II 141 consid. 7.1.1 et les références; arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne [CJUE] – précédemment Cour de justice des Communautés européennes [CJCE] – du 30 mai 2024 C-627/22 Finanzamt Köln-Süd, point 83).

Consid. 6.2.2
En l’occurrence, l’application de l’art. 60b al. 1 OPP 2 à l’assuré constitue une différence de traitement avec quiconque est déjà établi en Suisse et qui est affilié à une institution de prévoyance de par son activité lucrative. En effet, ainsi que l’a constaté de manière pertinente la cour cantonale, s’il est vrai que cette disposition s’applique indistinctement aux ressortissants suisses et étrangers, il n’en demeure pas moins qu’en pratique, les ressortissants européens arrivant en Suisse où ils s’établissent n’ont, pour la plupart d’entre eux, jamais été affiliés à une institution de prévoyance en Suisse. L’assuré subit donc, dans les faits, une différence de traitement par rapport à une personne habitant en Suisse, qui a déjà en principe préalablement cotisé à la prévoyance professionnelle. À la différence de la situation de cette personne, l’assuré est limité dans ses possibilités de rachats d’années d’assurance pendant les cinq années suivant son entrée dans l’institution de prévoyance suisse. Il ne peut donc pas pleinement bénéficier des avantages fiscaux liés à la déduction des cotisations de la prévoyance professionnelle dans la même mesure qu’une personne habitant en Suisse et qui est affiliée à une institution de prévoyance. En effet, puisque les primes, cotisations et montants légaux, statutaires ou réglementaires versés à des institutions de la prévoyance professionnelle sont déductibles du revenu (cf. art. 33 al. 1 let. d LIFD [RS 642.11] et 9 al. 2 let. d LHID [RS 642.14]), l’assuré subit dans le contexte de la prévoyance professionnelle un désavantage de trésorerie en raison de la limitation prévue par l’art. 60b al. 1 OPP 2. Partant, la réglementation en cause est de nature à le dissuader de faire effectivement usage de son droit de circulation tiré de l’ALCP.

Consid. 7
Puisque la réglementation prévue par l’art. 60b al. 1 OPP 2est susceptible d’induire une discrimination (indirecte), il convient maintenant d’examiner si celle-ci peut être justifiée en application de l’art. 21 par. 3 ALCP (étant précisé que l’éventualité de l’art. 21 par. 2 ALCP n’entre pas en considération). On rappellera que cette disposition permet aux parties contractantes d’adopter ou appliquer une mesure destinée à assurer l’imposition, le paiement et le recouvrement effectif des impôts ou à éviter l’évasion fiscale, sans qu’on puisse leur opposer notamment le principe de non discrimination prévu par l’ALCP (consid. 3.2.2 supra).

Consid. 7.1.1
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’art. 21 par. 3 ALCP ne contient pas de notions de droit communautaire, de sorte qu’il convient d’interpréter cette disposition selon l’art. 31 al. 1 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (CV; 0.111; cf. ATF 140 II 167 consid. 5.5.2). Outre les mesures visant à lutter contre l’évasion fiscale, le Tribunal fédéral a jugé que l’art. 21 par. 3 ALCP permettait de justifier une inégalité de traitement par une législation visant à garantir la « cohérence du système » (« Systemkohärenz »; ATF 140 II 167 consid. 4.1 et 5.5.3).

Quand bien même les motifs justificatifs figurant à l’art. 21 par. 3 ALCP ne se recoupent pas avec ceux développés par la CJUE dans sa jurisprudence relative à la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Union, celle-ci a néanmoins considéré que les mesures de l’art. 21 par. 3 ALCP correspondaient aux « raisons impérieuses d’intérêt général » (arrêts de la CJUE du 30 mai 2024 C-627/22 Finanzamt Köln-Süd, point 104 et du 26 février 2019 C-581/17 Wächtler, point 63; qui peuvent être pris en considération dans le but d’assurer une situation juridique parallèle entre les États membres de l’Union européenne, d’une part, et entre ceux-ci et la Suisse, d’autre part [« Beachtungsgebot »; cf. ATF 149 I 248 consid. 6.7 et les références; arrêt 2C_162/2024 du 30 janvier 2025 consid. 5.2 et les références]). À titre d’exemple, constituent une « raison impérieuse d’intérêt général » qui justifie une entrave à la libre circulation la sauvegarde de la cohérence des systèmes fiscaux, ainsi que la volonté d’exclure d’un avantage fiscal les montages purement artificiels (soit d’exclure les cas d’évasion fiscale; cf. ALEXANDRE MAITROT DE LA MOTTE, Droit fiscal de l’Union européenne, 3e éd. 2022, n° 174 p. 305). De telles mesures doivent, en tout état de cause, respecter le principe de proportionnalité, à savoir qu’elles doivent être propres à réaliser les objectifs (de la législation nationale en cause) et qu’elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (arrêt de la CJUE du 30 mai 2024 C-627/22 Finanzamt Köln-Süd, point 104; arrêt de la CJUE du 26 février 2019 C-581/17 Wächtler, point 63).

Consid. 7.1.2
En définitive, on constate que l’art. 21 par. 3 ALCP permet à un État contractant de justifier une discrimination par des mesures qui visent soit à garantir la cohérence du système fiscal, soit à éviter l’évasion fiscale. Il convient dès lors d’examiner si l’art. 60b al. 1 OPP 2 s’inscrit dans ce cadre.

Consid. 7.2.1
En ce qui concerne la justification fondée sur le risque d’évasion fiscale, on rappellera que la CJCE a considéré que le caractère entravant (aux libertés de circulations) de certaines législations fiscales nationales destinées à lutter contre la fraude fiscale internationale pouvait être justifié par la volonté de mettre en échec « les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la loi fiscale » d’un État membre (cf. arrêt de la CJCE du 16 juillet 1988 C-264/96 Imperial Chemical Industries / Colmer, Rec. p. I-4695, point 26; ALEXANDRE MAITROT DE LA MOTTE, op. cit, n° 176 p. 307). La CJUE a précisé dans sa jurisprudence ultérieure qu’il n’était cependant possible de justifier l’entrave d’une liberté de circulation en lien avec l’existence de tels montages qu’à la condition qu »‘ils soient dépourvus de réalité économique » et qu’ils poursuivent « le but d’éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des activités réalisées sur le territoire national » (arrêt de la CJUE du 12 septembre 2006 C-196/04 Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, Rec. p. I-7995 point 55). Partant, la justification ne vaut que pour autant que la réglementation d’un État membre vise uniquement à éviter les montages purement artificiels (ALEXANDRE MAITROT DE LA MOTTE, op. cit., n° 176 p. 309).

Consid. 7.2.2
Dans le contexte de l’évasion fiscale, il paraît utile de rappeler qu’en droit interne suisse, le Tribunal fédéral considère que, dans le cadre des rachats dans la prévoyance professionnelle, l’utilisation du 2e pilier comme « compte-courant fiscalement avantageux » peut typiquement constituer un cas d’évasion fiscale (cf. ATF 142 II 399 consid. 3.3.4; arrêt 9C_206/2024 du 30 janvier 2025 consid. 3.4 et les références).

Consid. 7.2.3
À la lumière des développements précédents sur l’art. 21 par. 3 ALCP, l’avis de la juridiction cantonale selon lequel l’art. 60b al. 1 OPP 2 fait partie des instruments fiscaux réservés par l’art. 21 par. 3 ALCP en tant qu’il vise à lutter contre l’optimisation fiscale abusive peut être suivi dans son principe (cf. également JACQUES-ANDRÉ SCHNEIDER/NICOLAS MERLINO/DIDIER MANGE, in LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 88 ad art. 79b al. 2 LPP; HANS-PETER CONRAD/PETER LANG, in Commentaire bâlois, Berufliche Vorsorge, 2021, n° 32 ad art. 79b LPP). Il n’est en effet pas exclu que l’institution du 2e pilier soit utilisée comme un « compte-courant fiscalement avantageux » dans une constellation telle que celle du cas d’espèce.

Cela étant, et dans la mesure où l’art. 21 par. 3 ALCP exigerait que les mesures prévues par le droit national respectent le principe de proportionnalité (ce qui a été reconnu par la CJUE, supra consid. 7.1.1; sur cette question sous l’angle du droit suisse, STEFAN OESTERHELT/MORITZ SEILER, in Internationales Steuerrecht der Schweiz, 2e éd. 2023, p. 709), on peut toutefois douter que la limitation prévue par l’art. 60b al. 1 OPP 2 respecte un tel principe sous l’angle de la lutte contre l’évasion fiscale. En effet, on ne saurait retenir que cette disposition s’appliquerait surtout à des cas dans lesquels un ressortissant de l’Union européenne, qui vient s’établir en Suisse, procède à des rachats de la prévoyance professionnelle dans le seul but d’éluder l’impôt. Il n’est en effet pas exclu qu’un tel ressortissant souhaite effectuer des rachats en vue d’améliorer sa prévoyance professionnelle ou de procéder à des rattrapages de cotisation qui soient en adéquation avec son salaire en Suisse, sans penser à un départ à relativement court terme, et qui donc, seraient économiquement justifiés. En d’autres termes, la limitation posée par la disposition en cause de l’OPP 2, bien qu’elle puisse s’appliquer aux cas d’évasion fiscale, a pour vocation à régir toutes les situations dans lesquelles une personne venant de l’étranger vient s’établir en Suisse et procède à des versements dans la prévoyance professionnelle qui peuvent se justifier pour des raisons d’amélioration d’une telle prévoyance. Dans cette mesure et en s’appliquant de manière indifférenciée aux cas d’évasion fiscale et aux situations ne présentant pas une telle composante (soit celle du cas de rachats effectués dans le but d’amélioration de la prévoyance professionnelle et qui sont économiquement justifiés), l’art. 60b al. 1 OPP 2 ne vise pas uniquement les situations dans lesquelles les conditions pour admettre une évasion fiscale seraient réunies. À cet égard, une partie de la doctrine considère que l’art. 60b OPP 2 constitue une mesure disproportionnée au regard de l’art. 21 par. 3 ALCP (BASILE CARDINAUX, Das Personenfreizügigkeitsabkommen und die schweizerische berufliche Vorsorge, 2008, p. 564). Toutefois, tant la question de savoir si une mesure au sens de l’art. 21 par. 3 ALCP doit respecter l’exigence de proportionnalité que le point de savoir si l’art. 60b al. 1 OPP 2 respecte effectivement ce principe dans le cas d’espèce peuvent souffrir de demeurer indécis, vu ce qui suit.

Consid. 7.3.1 [résumé]
Tant selon la jurisprudence du Tribunal fédéral que selon celle de la CJUE (supra consid. 7.1), la cohérence du système fiscal peut être invoquée afin de justifier une différence de traitement interdite, en principe, par l’art. 9 par. 2 de l’annexe I de l’ALCP. Encore faut-il, selon la CJUE, pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse être admis, que l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé soit établie (arrêt de la CJUE du 30 mai 2024 C-627/22 Finanzamt Köln-Süd, point 108).

Une telle justification a été reconnue dans l’affaire Commission c. Belgique, où la CJCE a jugé conforme au droit communautaire une législation belge conditionnant la déductibilité des cotisations d’assurance complémentaire au versement de celles-ci à des assureurs établis en Belgique. La CJCE a considéré que la déduction de ces primes était liée à l’imposition future des prestations servies, de telle sorte que la cohérence du régime fiscal belge devait être sauvegardée (arrêt de la CJCE du 28 janvier 1992 C-300/90 Commission / Belgique, Rec. 1992 I p. 305 point 21).

Consid. 7.3.2.1 [résumé]
Sous l’angle du système fiscal suisse, l’art. 33 al. 1 let. d LIFD permet de déduire les cotisations versées aux institutions de prévoyance alors que l’art. 22 al. 1 LIFD rend imposables toutes les prestations de prévoyance, y compris les prestations en capital. Toutefois, l’art. 38 al. 3 LIFD prévoit un taux privilégié pour ces prestations en capital, celles-ci étant imposées séparément et soumises à un impôt annuel entier calculé sur la base du taux représentant le cinquième des barèmes ordinaires inscrits à l’art. 36 LIFD (ATF 145 II 2 consid. 4.1).

Ainsi, en l’absence d’élément d’extranéité, la perte fiscale due aux déductions (cf. art. 33 al. 1 let. d LIFD) est compensée, même partiellement, par l’imposition des prestations futures. Le régime est analogue aux niveaux cantonal et communal (art. 9 al. 2 let. d et 11 al. 3 LHID).

Consid. 7.3.2.2 [résumé]
En revanche, dans un cas présentant un élément d’extranéité, soit par exemple celui d’un ressortissant français établi en Suisse, qui quitte ce pays et se fait verser sa prestation de libre passage, la situation se présente de manière différente.

Conformément à l’art. 96 al. 1 LIFD, les prestations restent imposables même si le bénéficiaire est à l’étranger. Toutefois l’art. 20 par. 1 de la Convention franco-suisse du 9 septembre 1966 en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (CDI CH-FR; RS 0.672.934.91) confère le droit exclusif d’imposition à l’État de résidence. Il découle donc de cette disposition conventionnelle et de l’effet négatif des conventions de double imposition (sur ce principe, cf. ATF 143 II 65 consid. 3.5) que le droit d’imposer les prestations de libre passage en cas de départ à l’étranger d’un ressortissant français ayant travaillé en Suisse, puis retournant s’établir en France, revient exclusivement à la France (comp. ATF 143 II 65 consid. 3.1; arrêt 2C_436/2011 du 13 décembre 2011 consid. 2.4 et 4.1.2).

Même si un impôt à la source est retenu en Suisse, il est restitué, sans intérêt, sur requête du contribuable dans les trois ans dès l’échéance de la prestation et de la production d’une attestation de l’État de domicile confirmant qu’il a connaissance du versement de la prestation (cf. art. 19 de l’ordonnance du 11 avril 2018 du DFF sur l’imposition à la source dans le cadre de l’impôt fédéral direct [OIS; RS 642.118.2]). Nonobstant cette procédure, le droit d’imposer le capital de libre passage revient uniquement à la France. Un système similaire existe en droit cantonal genevois s’agissant des impôts cantonal et communal.

Consid. 7.3.3
Compte tenu du système fiscal décrit ci-avant, on constate qu’en l’absence du mécanisme de limitation prévu par l’art. 60b al. 1 OPP 2, l’assuré, ou toute autre personne arrivée de l’étranger bénéficiant d’un revenu élevé et travaillant en Suisse où elle est domiciliée, aurait la possibilité de réduire son revenu imposable de manière non négligeable par l’affectation d’une partie de celui-ci au rachat d’années de prévoyance. Ainsi, l’assuré pourrait affecter une partie du montant de ses revenus s’élevant à 860’040 fr. au rachat d’années de prévoyance (soit de 250’000 fr. projeté en 2022). Or, si par hypothèse l’assuré devait retourner s’établir en France avant le délai de cinq ans suivant son arrivée en Suisse, il lui serait possible de déduire entièrement les cotisations de ses revenus, sans toutefois que les avoirs de libre passage ne puissent être soumis à la souveraineté fiscale suisse lors du départ. Dès lors, l’art. 60b al. 1 OPP 2 permet de préserver (du moins partiellement) la cohérence du système fiscal en conservant une forme d’équilibre entre la déduction de cotisations permise dans une certaine mesure et l’imposition de l’assuré durant son séjour en Suisse. Par ailleurs, la durée de cinq ans telle que choisie par l’auteur de l’ordonnance est admissible, de même que le plafond (20 % du salaire assuré), afin de ménager l’équilibre du système fiscal entre les déductions permises et l’imposition d’un contribuable. Sous cet angle, le principe de la proportionnalité, dût-il être applicable, serait respecté.

Consid. 7.4
Il découle de ce qui précède que, contrairement à ce que prétend l’assuré, l’inégalité de traitement résultant de l’application de l’art. 60b al. 1 OPP 2 à sa situation est justifiée en application de l’art. 21 par. 3 ALCP, en tant que le mécanisme prévu par la disposition de l’ordonnance vise à garantir la cohérence du système fiscal. Partant, il n’y a pas besoin d’examiner le grief lié à la possibilité d’introduire des mesures moins incisives qui selon lui seraient possibles (soit la production de preuves liées à la constitution de sa prévoyance professionnelle en France), puisqu’un tel grief se réfère à une autre justification encore fondée sur l’art. 21 par. 3 ALCP, soit celle des « contrôles fiscaux efficaces ».

En définitive, la juridiction cantonale a rejeté à bon droit la demande du 13 septembre 2022. Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_430/2023 consultable ici

 

 

 

9C_526/2023 (f) du 29.05.2024 – Déductibilité du revenu du contribuable d’un montant versé à titre de rachat pour la prévoyance professionnelle après un divorce moins de 3 ans avant la retraite / Pas d’évasion fiscale même pour un rachat effectué peu de temps avant le départ à la retraite

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_526/2023 (f) du 29.05.2024

 

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Déductibilité du revenu du contribuable d’un montant (CHF 75’000) versé à titre de rachat pour la prévoyance professionnelle après un divorce moins de 3 ans avant la retraite / 79b LPP – 33 al. 1 let. d LIFD – 37 al. 1 let. d LI (RS/VD 642.11)

Retrait partiel du capital du 2e pilier – Pas d’évasion fiscale même pour un rachat effectué peu de temps avant le départ à la retraite

 

Le contribuable, né en 1955, a divorcé le 27.11.2013. À la suite du prononcé de divorce, un montant de CHF 600’000 a été prélevé sur ses avoirs de prévoyance professionnelle et a été versé sur le compte de libre passage de son ex-épouse le 13.12.2013. Entre décembre 2013 et avril 2020, le contribuable a procédé à des rachats de prestations réglementaires d’un montant annuel de CHF 75’000, afin de combler la lacune d’avoirs de prévoyance résultant du transfert dans le cadre du divorce précité.

Par courriers des 26.01.2017 et 18.10.2017, le contribuable s’est adressé à l’Administration fiscale pour s’informer sur la déductibilité fiscale des rachats de prévoyance, en vue d’un possible retrait en capital une fois retraité et d’une éventuelle installation à l’étranger. Le 15.11.2017, l’Administration fiscale lui a répondu que comme il avait déjà pris sa décision de percevoir sa prestation de vieillesse sous forme de capital et qu’il n’envisageait pas de combler la lacune de prévoyance existant avant le divorce, elle considérait que « les rachats de divorce qui seraient effectués tant au cours de période de cessation de l’activité lucrative impliquant la réalisation du cas de vieillesse que durant la période fiscale précédente » ne seraient pas déductibles du revenu. Selon elle, l’objectif de prévoyance faisait défaut, car le contribuable avait « l’intention de percevoir les prestations de retraite sous forme de capital sitôt lesdits rachats effectués ».

Le contribuable a procédé au dernier rachat de CHF 75’000 le 20.04.2020. Il a cessé son activité lucrative le 31.05.2020 et a pris sa retraite. Il a en outre opté pour un retrait partiel du capital de son 2e pilier (soit d’un premier montant de CHF 600’000 et d’un second de CHF 793’921.55, versés sur deux comptes bancaires distincts), correspondant à moins de 50% des avoirs accumulés). Depuis lors, il perçoit également une rente mensuelle de la prévoyance professionnelle.

Par décision de taxation du 20.08.2021 relative à la période fiscale 2020, l’office d’impôt a refusé la déduction du rachat d’années de prévoyance de CHF 75’000 effectué en 2020, tant pour l’impôt fédéral direct (ci-après: IFD) que pour les impôts cantonaux et communaux (ci-après: ICC), au motif que le versement de la prestation en capital avait été effectué (le 01.06.2020) dans le délai de blocage de trois ans. Statuant sur réclamation le 09.05.2022, l’Administration fiscale a notamment rejeté la réclamation du contribuable et a confirmé la décision de taxation de la période fiscale 2020.

 

Procédure cantonale (arrêt FI.2022.0085 – consultable ici)

Par arrêt du 05.07.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision sur réclamation du 09.05.2022 et renvoyant la cause à l’administration pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

TF

Consid. 3.2
Selon l’art. 33 al. 1 let. d LIFD, sont déduits du revenu les primes, cotisations et montants légaux, statutaires ou réglementaires versés à l’assurance-vieillesse et survivants, à l’assurance-invalidité et à des institutions de la prévoyance professionnelle (cf. aussi l’art. 81 al. 2 LPP).

Aux termes de l’art. 79b al. 1 LPP, l’institution de prévoyance ne peut permettre le rachat que jusqu’à hauteur des prestations réglementaires. L’art. 79b al. 3 LPP prévoit que les prestations résultant d’un rachat ne peuvent être versées sous forme de capital par les institutions de prévoyance avant l’échéance d’un délai de trois ans. Lorsque des versements anticipés ont été accordés pour l’encouragement à la propriété, des rachats facultatifs ne peuvent être effectués que lorsque ces versements anticipés ont été remboursés. Selon l’art. 79 al. 4 LPP, les rachats effectués en cas de divorce ou de dissolution judiciaire du partenariat enregistré en vertu de l’art. 22c LFLP (actuellement art. 22d de la loi fédérale du 17 décembre 1993 sur le libre passage dans la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité [LIFD]; cf. RO 2016 2313) ne sont pas soumis à limitation.

Consid. 3.3
Le Tribunal fédéral a déjà eu l’occasion d’interpréter l’art. 79b al. 3 et 4 LPP en relation avec la question de la déductibilité des rachats de cotisations de la prévoyance professionnelle après un divorce. Il a constaté que le texte légal, la systématique et les travaux préparatoires y relatifs laissaient certes penser que la référence à la « limitation » (à laquelle ne sont pas soumis les rachats mentionnés) prévue à l’art. 79b al. 4 LPP renvoyait à la limitation du montant du rachat de l’art. 79b al. 1 LPP (« jusqu’à hauteur des prestations réglementaires »; ATF 142 II 399 consid. 3.3.1 à 3.3.3). Sur la base d’une interprétation téléologique, le Tribunal fédéral est toutefois parvenu à la conclusion que l’exception contenue à l’art. 79b al. 4 LPP ne pouvait pas uniquement se référer à la limitation du montant de l’al. 1, mais portait également sur la période de blocage de trois ans prévue à l’art. 79b al. 3 LPP. Il en a déduit qu’en cas de rachat après un divorce ou une dissolution judiciaire du partenariat enregistré, le versement des prestations sous forme de capital dans les trois ans suivant le rachat n’était pas en soi exclu: certes, le rachat d’années de cotisation servait en premier lieu à améliorer les expectatives de prestations de la prévoyance professionnelle, mais un rachat pouvait aussi être effectué pour des raisons d’optimisation fiscale. Afin d’éviter les abus y relatifs, la loi prévoyait le blocage des versements en capital. L’art. 79b LPP ne poursuivait donc pas seulement un but en lien avec le droit de la prévoyance professionnelle, mais visait aussi à éviter des transferts de fonds vers et depuis le 2e pilier motivés par des raisons purement fiscales. En outre, il fallait tenir compte de la ratio legis de l’art. 22c LFLP (actuellement art. 22d LFLP), qui visait notamment à maintenir la protection de prévoyance des conjoints. Après un divorce, le conjoint débiteur devait avoir la possibilité, après le partage des avoirs de prévoyance, de retrouver la même situation en matière de prévoyance qu’avant le divorce. Par conséquent, en cas de rachat après un divorce, il devait donc être possible de combler la lacune créée par le partage des prestations de prévoyance. Pour permettre cette égalité, il convenait donc de comprendre l’exception de l’art. 79b al. 4 LPP en ce sens que les rachats après un divorce doivent être exclus du délai de blocage de trois ans, faute de quoi un rachat suivi d’un versement en capital serait impossible, notamment en cas de divorce peu avant la retraite (ATF 142 II 399 consid. 3.3.4 et 3.3.5; cf. arrêt 2C_895/2016 et 2C_896/2016 du 14 juin 2017 consid. 2.2). En d’autres termes, le Tribunal fédéral a admis qu’un retrait en capital dans les trois ans (après le versement) n’est pas exclu en cas de rachat après un divorce ou une dissolution d’un partenariat enregistré. Réservant toutefois l’examen d’un tel versement sous l’angle d’une possible évasion fiscale, il a retenu qu’une déduction selon l’art. 33 al. 1 let. d LIFD n’est pas autorisée en présence d’un cas d’évasion fiscale, alors même que les rachats seraient en principe admissibles selon l’art. 79b al. 3 et 4 LPP (ATF 142 II 399 consid. 4.1 et 4.2).

Consid. 3.4
On rappellera que selon la jurisprudence, il y a évasion fiscale: a) lorsque la forme juridique choisie par le contribuable apparaît comme insolite, inappropriée ou étrange, en tout cas inadaptée au but économique poursuivi; b) lorsqu’il y a lieu d’admettre que ce choix a été abusivement exercé uniquement dans le but d’économiser des impôts qui seraient dus si les rapports de droit étaient aménagés de façon appropriée et c) lorsque le procédé choisi conduirait effectivement à une notable économie d’impôt dans la mesure où il serait accepté par l’autorité fiscale (ATF 147 II 338 consid. 3.1; 142 II 399 consid. 4.2; 138 II 239 consid. 4.1 et les références). Si ces trois conditions sont remplies, l’imposition doit être fondée non pas sur la forme choisie par le contribuable, mais sur la situation qui aurait dû être l’expression appropriée au but économique poursuivi par les intéressés (ATF 147 II 338 consid. 3.1; 142 II 399 consid. 4.2; 138 II 239 consid. 4.1 et les références).

L’autorité fiscale doit en principe s’arrêter à la forme juridique choisie par le contribuable. Ce dernier est libre d’organiser ses relations de manière à générer le moins d’impôt possible. Il n’y a rien à redire à une telle planification fiscale, tant que des moyens autorisés sont mis en oeuvre. L’état de fait de l’évasion fiscale est réservé à des constellations extraordinaires, dans lesquelles il existe un aménagement juridique (élément objectif) qui – abstraction faite des aspects fiscaux – va au-delà de ce qui est raisonnable d’un point de vue économique. Une intention abusive (élément subjectif) ne peut de surcroît pas être admise si d’autres raisons que la seule volonté d’épargner des impôts jouent un rôle décisif dans la mise en place de la forme juridique. Une certaine structure peut en effet se justifier pour d’autres raisons commerciales ou personnelles (ATF 147 II 338 consid. 3.1; 142 II 399 consid. 4.2; 138 II 239 consid. 4.1 et les références; arrêts 9C_715/2022 du 19 juillet 2023 consid. 10.2.1; 2C_68/2022 du 8 décembre 2022 consid. 6.4). Selon la jurisprudence relative à l’art. 33 al. 1 let. b LIFD, une déduction d’un rachat au sens de cette disposition n’est pas admise lorsque des rachats et des versements en capital, permettant une économie d’impôt abusive, sont effectués non pas dans le but de combler une lacune dans la prévoyance professionnelle, mais de détourner le 2e pilier de son but en le considérant comme un compte courant fiscalement avantageux (« steuerbegünstigter Kontokorrent »; ATF 142 II 399 consid. 4.2).

Consid. 3.5
Dans deux affaires, auxquelles les parties font référence, le Tribunal fédéral est parvenu à des conclusions différentes quant à la réalisation des conditions d’une évasion fiscale, alors même que l’art. 79 al. 4 LPP trouvait application.

Dans l’arrêt publié aux ATF 142 II 399, l’existence d’une évasion fiscale a été admise: le contribuable avait effectué un rachat financé par un prêt de sa mère un peu moins de deux ans avant la retraite et le retrait en capital, mais quatorze ans après le prononcé du divorce, sans qu’aucun autre rachat ne fût intervenu dans l’intervalle. Le Tribunal fédéral a considéré que si certains éléments pris séparément ne devaient pas forcément être considérés comme inhabituels ou étranges, la manière de procéder du contribuable indiquait toutefois, dans son ensemble, une volonté de diminuer abusivement sa charge fiscale. En particulier, il n’avait pas exposé les raisons pour lesquelles il avait effectué un rachat si tardivement après le divorce, respectivement si peu avant sa retraite et le versement planifié de la prestation en capital, et ce alors même qu’il aurait pu disposer plus tôt des fonds provenant du contrat de prêt. Or le fait de procéder à un versement dans la prévoyance professionnelle pour ensuite retirer le même montant moins de deux ans après ne faisait, dans le cas d’espèce, aucun sens tant du point de vue économique ou du point de vue de la prévoyance professionnelle. Il ressortait ainsi des circonstances que le contribuable ne souhaitait pas combler aussi rapidement que possible une lacune de prévoyance, mais que sa démarche visait (uniquement) à profiter d’une économie d’impôt (ATF 142 II 399 consid. 4.4).

Dans un arrêt 2C_895/2016 et 2C_896/2016 du 14 juin 2017, le Tribunal fédéral a en revanche nié l’existence d’une évasion fiscale. Le contribuable, qui avait divorcé en 2007 et était parti à la retraite (manifestement contre sa volonté) en 2012, avait procédé à des rachats en lien avec sa prévoyance professionnelle en 2007, 2009, 2010 ainsi qu’en 2012. Cette situation n’était pas constitutive d’une évasion fiscale, au regard des exigences élevées pour admettre une telle constellation (arrêt 2C_895/2016 et 2C_896/2016 du 14 juin 2017 consid. 2.6).

 

Consid. 4.1
La juridiction cantonale a constaté que le contribuable avait divisé le montant versé à son ex-épouse ensuite du partage de sa prévoyance professionnelle par le nombre d’années qui restaient jusqu’à l’âge de la retraite ordinaire (CHF 600’000 divisé par 8 ans) et avait de ce fait racheté annuellement le montant de CHF 75’000, à l’aide de fonds propres. Cette manière de procéder n’apparaissait pas insolite, inappropriée, étrange ou encore inadaptée au but économique poursuivi. Contrairement à la situation jugée in ATF 142 II 399, le contribuable n’avait pas attendu pour procéder au rachat juste avant le retrait du capital, mais avait souhaité d’emblée combler la lacune créée par le partage ensuite du divorce. Le fait de « lisser » les cotisations de rachat sur l’entier des années restant avant l’âge de la retraite ne pouvait dès lors être considéré comme insolite. Les juges cantonaux n’ont pas suivi l’argumentation de l’Administration fiscale selon laquelle le contribuable aurait dû éviter de procéder à un rachat l’année même de son départ à la retraite, cet élément spécifique devant être considéré comme insolite. À leur avis, une telle argumentation revenait à vider de sa substance l’art. 79b al. 4 LPP, qui permet précisément de racheter des années de cotisation pour combler une lacune de prévoyance consécutive à un divorce même dans l’année qui précède le retrait en capital; elle conduisait également à introduire un « délai de latence » d’une année qui n’avait pas été prévu par le législateur lors de l’adoption des al. 3 et 4 de l’art. 79b LPP. En outre, le contribuable n’avait pas retiré l’entier de ses avoirs de prévoyance professionnelle sous forme de capital, mais uniquement la moitié. Partant, il était d’autant moins insolite de procéder à un rachat quelques mois avant la retraite, puisqu’une partie des prestations de la prévoyance professionnelle était servie au contribuable sous forme de rente. Compte tenu de ces circonstances, la juridiction cantonale a nié que la première condition de l’évasion fiscale fût réalisée (supra consid. 3.4), et ce quand bien même le rachat litigieux en 2020 avait été effectué peu de temps avant le départ à la retraite du contribuable.

 

Consid. 5.1
À titre liminaire et comme l’a retenu à bon droit la cour cantonale, la survenance d’un cas d’évasion fiscale doit en l’espèce être examinée en fonction de l’ensemble des circonstances. Une telle approche correspond à celle suivie par le Tribunal fédéral notamment dans les causes jugées par l’ATF 142 II 399 et l’arrêt 2C_895/2016 et 2C_896/2016 du 14 juin 2017 (cf. supra consid. 3.5). Ensuite, et contrairement à ce que voudrait l’AFC qui se réfère notamment dans ce contexte au principe de l’étanchéité des périodes fiscales, une analyse centrée uniquement sur l’année 2020 rendrait en large partie ineffective la possibilité instaurée par le législateur à l’art. 79 al. 4 LPP, puisque le rachat effectué dans l’année précédant le début de la retraite ne serait pas déductible selon l’art. 33 al. 1 let. d LPP. En effet, par un tel examen focalisé sur l’année au cours de laquelle le contribuable prend sa retraite (et se voit verser un capital de la prévoyance professionnelle), un lien entre le rachat effectué peu avant et l’amélioration de la prévoyance professionnelle devrait presque toujours être nié. Or rien n’indique que le législateur, comme l’a considéré à juste titre le Tribunal cantonal, aurait souhaité limiter le caractère déductible du rachat effectué en cas de divorce ou de dissolution du partenariat enregistré, alors même qu’il a prévu la possibilité de rachats et de versements de prestations de prévoyance qui ne sont pas soumis au délai de blocage prévu à l’art. 79 al. 3 LPP. Du reste, l’Administration fiscale n’apporte aucun élément permettant de parvenir à une conclusion différente.

Consid. 5.2
On rappellera ensuite que dans le cadre de son divorce, le contribuable a dû partager une partie de sa prévoyance professionnelle à hauteur de CHF 600’000 Partant, le fait qu’il a procédé annuellement à des rachats de CHF 75’000 pendant huit ans (période qui correspond à celle entre le divorce 2013 et la retraite intervenue en 2020), et ce à l’aide de ses fonds propres, n’a rien d’insolite ou d’abusif. On ne saurait à cet égard reprocher au contribuable, comme le voudrait la recourante, de ne pas avoir procédé à des rachats plus élevés afin « d’éviter de procéder au dernier rachat juste avant son départ à la retraite », alors qu’il a simplement mis en œuvre un plan de rachats consistant à combler la lacune de prévoyance due au partage pour cause de divorce jusqu’au jour de son départ à la retraite, en divisant le montant en cause par le nombre d’années restant jusqu’à cette date. En outre, le procédé utilisé par le contribuable pour compenser la diminution de ses avoirs de prévoyance ensuite de son divorce se distingue de celui jugé à l’ATF 142 II 399. Le rachat avait alors été effectué près de quatorze ans après le divorce, alors même que le contribuable aurait eu la possibilité de procéder à des rachats plus tôt; le Tribunal fédéral en avait conclu que l’opération ne faisait aucun sens du point de vue économique ou de celui de la prévoyance professionnelle. À l’inverse, le contribuable intimé s’est en l’occurrence attaché à compenser immédiatement sa prévoyance professionnelle après son divorce, et ce de manière régulière. Il est vrai que le dernier versement de CHF 75’000 n’a pas pu avoir un impact déterminant sur l’amélioration de la prévoyance professionnelle du contribuable. Toutefois, même s’il n’est pas possible d’opérer de distinction sur l’origine des fonds servant à la prévoyance professionnelle, le capital de prévoyance devant être considéré comme un tout (cf. ATF 148 II 189 consid. 3.4.3 et les références), le fait que le contribuable n’a retiré qu’une partie du capital de la prévoyance pour bénéficier d’une rente de vieillesse dénote qu’il avait en vue l’amélioration des prestations (futures) de prévoyance par le biais des rachats, en comblant la lacune liée au partage des avoirs de prévoyance consécutif à son divorce. Par conséquent, le rachat effectué en 2020, mis en perspective avec l’ensemble des montants déjà versés depuis 2013 selon un plan précis défini à l’avance, n’était pas dénué de sens du point de vue économique ou de la prévoyance professionnelle. Enfin, on rappellera que les exigences pour admettre les conditions pour une évasion fiscale sont élevées (cf. aussi arrêt 2C_895/2016 et 2C_896/2016 du 14 juin 2017 consid. 2.6). Or il n’apparaît pas que la démarche choisie par le contribuable intimé et les rachats qu’il a effectués, pris dans leur ensemble, seraient extraordinaires dans le contexte du comblement d’une lacune de la prévoyance professionnelle après un divorce. C’est partant à bon droit que la cour cantonale a considéré que le montant litigieux devait être déductible pour l’année 2020. Dans la mesure où la première des conditions pour admettre une évasion fiscale (supra consid. 3.4) n’est pas réalisée, il n’y a pas lieu d’examiner les deux autres, ni les griefs y relatifs de la recourante.

Consid. 5.3
Ce qui précède conduit au rejet du recours en matière d’IFD.

Consid. 6
L’art. 37 al. 1 let. d de la loi vaudoise du 4 juillet 2000 sur les impôts directs cantonaux (LI; RSV 642.11) a la même teneur que les art. 9 al. 2 let. d LHID et 33 al. 1 let. d LIFD. En outre, les art. 79b al. 3 et 4 LPP s’appliquent également aux ICC (arrêt 2C_895/2016 et 2C_896/2016 du 14 juin 2017 consid. 3). Partant, le raisonnement développé en matière d’IFD s’applique mutatis mutandis aux ICC de la période fiscale sous examen. Cela conduit également au rejet du recours en matière d’ICC.

 

Le TF rejette le recours de l’Administration cantonale des impôts.

 

Arrêt 9C_526/2023 consultable ici