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Le Conseil national approuve une motion pour renforcer la sécurité financière des demandeurs de l’AI – Vers une indemnité journalière durant le délai d’attente

Le Conseil national approuve une motion pour renforcer la sécurité financière des demandeurs de l’AI – Vers une indemnité journalière durant le délai d’attente

 

Communiqué de presse du Parlement du 25.09.2024 consultable ici

 

La sécurité financière des personnes qui doivent demander des prestations à l’assurance invalidité doit être garantie durant le traitement de leur demande. Le Conseil national a soutenu mercredi par 125 voix contre 64 une motion de Patricia von Falkenstein (PLD/BS) en ce sens.

La conseillère nationale bâloise propose de passer par une indemnité journalière durant le délai d’attente. Cette indemnité serait versée entre la fin des mesures de réadaptation professionnelle et la décision relative au droit à la rente AI.

Selon Mme von Falkenstein, les assurés dont l’incapacité de travail est due à une maladie peuvent se retrouver dans des situations financières précaires. Les procédures d’examen du droit à la rente durent en effet souvent plusieurs années.

Ces personnes finissent par s’endetter et sont obligées de recourir à l’aide sociale. Les soucis financiers et le fait que le recours à l’aide sociale soit moins bien accepté par rapport à la perception d’une rente AI entraînent dans de nombreux cas une détérioration de l’état de santé.

 

Déjà des mesures

Le Conseil fédéral reconnaît que des procédures courtes sont essentielles. Il a déjà introduit diverses mesures visant à simplifier et à raccourcir les procédures des assurances sociales.

En principe, l’examen du droit à la rente doit être effectué en parallèle des mesures de réadaptation, de sorte qu’une fois la réadaptation terminée, le délai jusqu’à la décision relative à l’octroi de la rente soit le plus court possible.

Le gouvernement rappelle également que ce n’est pas à l’AI d’assurer la sécurité financière des assurés. D’autres prestations priment sur celles de l’assurance invalidité. En vain.

 

Communiqué de presse du Parlement du 25.09.2024 consultable ici

Motion von Falkenstein 23.3808 « Accélérer la procédure AI et garantir la sécurité financière des assurés durant celle-ci » consultable ici

 

 

9C_265/2023 (f) du 19.08.2024 – Atteinte à la santé – Syndrome douloureux somatoforme et affections psychosomatiques comparables – Indicateurs standards / Valeur probante de l’expertise médicale judiciaire vs de l’avis du SMR

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_265/2023 (f) du 19.08.2024

 

Consultable ici

 

Atteinte à la santé – Syndrome douloureux somatoforme et affections psychosomatiques comparables – Indicateurs standards / 6 LPGA – 7 LPGA – 8 LPGA – 16 LPGA

Valeur probante de l’expertise médicale judiciaire vs de l’avis du SMR

La capacité de réaliser des tâches spécifiques de manière isolée ne reflète en effet pas la capacité de travail ni l’adaptation sociale et professionnelle globale de l’assuré

 

Assuré, né en 1961, chauffeur professionnel. Dépôt de la demande AI le 26.06.2019.

L’office AI a recueilli notamment l’avis du psychiatre traitant, puis réalisé une expertise psychiatrique. Le médecin expert a diagnostiqué – sans répercussion sur la capacité de travail – des troubles dépressifs récurrents (moyens, puis légers depuis janvier 2016) ainsi que des traits de personnalité émotionnellement labile; l’assuré pouvait exercer son activité habituelle ou toute autre activité adaptée à ses aptitudes à 100% depuis janvier 2016. L’office AI a nié le droit de l’assuré à des prestations de l’assurance-invalidité.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/138/2023 – consultable ici)

La cour cantonale a tenu une audience de comparution personnelle des parties et entendu l’épouse de l’assuré ainsi que le psychiatre traitant et le médecin expert. Le tribunal cantonal a ensuite mis en œuvre une expertise psychiatrique, avec bilan neuropsychologique. L’expert médical judiciaire a diagnostiqué – avec répercussion sur la capacité de travail – un trouble de la personnalité narcissique (d’intensité moyenne à sévère) et une dysthymie (correspondant à des affects dépressifs chroniques d’intensité légère). Selon l’expert, l’assuré présentait une capacité de travail de 40% dans toute activité depuis 2013. L’office AI a déposé la prise de position de la Dre E.__, spécialiste en médecine interne générale et médecin auprès de son SMR.

Par jugement du 02.03.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision et renvoyant la cause pour nouvelle décision au sens des considérants.

 

TF

Consid. 3.2
Comme l’ont rappelé les juges cantonaux, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d’évaluation de la capacité de travail, respectivement de l’incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d’affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d’évaluation au moyen d’un catalogue d’indicateurs (ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d’évaluation aux autres affections psychiques ou psychosomatiques (ATF 143 V 409 et 418; 145 V 215). Aussi, le caractère invalidant d’atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d’un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, dont notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l’art (ATF 143 V 409 consid. 4.4).

Consid. 4.1 [résumé]
La juridiction cantonale, se basant sur l’expertise judiciaire, a conclu que l’assuré disposait d’une capacité de travail de 40% dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles. L’expertise a été jugée conforme aux exigences, ayant été réalisée avec une connaissance approfondie du dossier médical et après plusieurs entretiens et une évaluation neuropsychologique. L’expert avait aussi consulté les proches de l’assuré ainsi que ses médecins traitants. L’analyse contenait une anamnèse détaillée et des diagnostics bien motivés. L’expert justifiait de manière convaincante son désaccord avec l’expertise antérieure, en expliquant les incohérences relevées chez l’assuré, notamment liées à un trouble de la personnalité narcissique. La juridiction a estimé qu’il n’y avait aucune raison de s’écarter des conclusions de cette expertise. Elle a ainsi renvoyé l’affaire à l’office AI pour qu’il procède à une comparaison des revenus, en prenant en compte une capacité de travail réduite à 40% à partir du 01.12.2019, six mois après la demande de prestations.

 

Consid. 5
En l’occurrence, mise à part l’affirmation générale que la « capacité de gain » (recte: l’incapacité de travail [art. 6 LPGA]) de l’assuré avait été correctement analysée à la lumière des indicateurs développés par la jurisprudence, l’arrêt attaqué ne comporte aucun exposé – même  succinct – des motifs pour lesquels les constatations de l’expert judiciaire permettaient de conclure à une capacité de travail de 40% à l’aune des indicateurs pertinents (ATF 141 V 281 consid. 7). La simple mention de l’absence de « contradiction manifeste » dans l’expertise est insuffisante.

L’atteinte à la santé ouvrant droit à des prestations de l’assurance-invalidité constitue une notion juridique, et non pas une notion médicale. L’appréciation de la capacité de travail ne saurait par conséquent se résumer à trancher, sur la base de critères formels, quel rapport médical remplit au mieux les critères jurisprudentiels en matière de valeur probante (arrêt 9C_55/2016 du 14 juillet 2016 consid. 3.2 et les références). Si la provenance et la qualité formelle sont des facteurs permettant d’apprécier la portée d’un document médical, l’autorité précédente devait cependant expliquer pourquoi et dans quelle mesure les constatations médicales permettaient de conclure à une incapacité de travail déterminante à l’aune des indicateurs pertinents. Elle ne pouvait pas déléguer cette appréciation juridique à un médecin (cf. ATF 141 V 281 consid. 7; arrêt 8C_824/2023 du 4 juillet 2024 consid. 2.3).

 

Consid. 6.1
Les indicateurs standards devant être pris en considération en général sont classés d’après leurs caractéristiques communes (sur les catégories et complexes d’indicateurs, cf. ATF 141 V 281 consid. 4.1.3). Les indicateurs appartenant à la catégorie « degré de gravité fonctionnel » forment le socle de base pour l’évaluation des troubles psychiques (ATF 141 V 281 consid. 4.3).

Consid. 6.2
Les diagnostics posés par l’expert judiciaire et les constatations médicales y relatives ont été exposés conformément aux exigences de la jurisprudence.

L’expert judiciaire a constaté que, dans le cadre d’une décompensation d’un trouble de la personnalité narcissique consécutivement à des événements de vie marquants depuis 2013 (faillite de son entreprise, péjoration du rapport avec les membres de sa famille, rupture de contact avec ses sœurs et conflit autour de son logement), l’assuré s’était installé dans une position victimaire cherchant réparation, avec une sensibilité accrue à la critique, une souffrance liée au décalage entre ses aspirations et la réalité, une irritabilité accrue, un désintérêt pour les relations de proximité, un refus de l’autorité et un repli sur soi. Le trouble narcissique, qui était le principal moteur de l’invalidité, impliquait une sensibilité accrue à la critique, une intolérance aux actes d’autorité, une difficulté à concilier les aspirations de grandeur (relevées par sa référence au passé) et sa réalité d’homme à l’aide sociale, et des réactions colériques avec irritabilité et repli sur soi face aux impératifs de vie familiale et sociale. Les affects dépressifs étaient de sévérité légère (dysthymie) et n’étaient pas « per se » invalidants. La dysthymie devenait en revanche invalidante dans son interaction avec le trouble de la personnalité. Elle ajoutait une vision pessimiste de l’avenir, une tristesse tenace sans possibilité de se projeter dans l’avenir et un repli sur soi qui empêchait des interactions sociales.

Consid. 6.3
Concernant le complexe « atteinte à la santé », les constatations sur les manifestations concrètes de l’atteinte à la santé diagnostiquée aident à séparer les limitations fonctionnelles qui sont dues à une atteinte à la santé des conséquences (directes) de facteurs non assurés (ATF 141 V 281 consid. 4.3.1.1 et la référence). Le point de départ est le degré de gravité minimal inhérent au diagnostic.

Consid. 6.3.1
On ne saurait déduire – comme semble le proposer le médecin du SMR dans son avis – l’absence de gravité des atteintes à la santé de l’assuré en raison de l’exercice d’une activité lucrative sans problème majeur apparent jusqu’à l’âge de 52 ans (2013). Une telle conclusion méconnaîtrait – surtout en l’absence d’une prise en charge médicale adéquate – la problématique de la décompensation d’un trouble de la personnalité (narcissique) consécutivement à des événements de vie. Cependant, le fait d’avoir pu travailler pendant une longue période est un élément important à considérer dans l’évolution de la situation médicale (dans ce sens, voir arrêt 9C_618/2019 du 16 mars 2020 consid. 8.2.1.2).

En ce qui concerne ensuite les circonstances indiquant une possible exagération, l’expert judiciaire a relevé que la symptomatologie était clairement majorée par l’assuré qui considérait que l’accès à une rente de l’assurance-invalidité était un droit dont il était privé. Ainsi, lors des entretiens, l’assuré avait été très peu authentique, utilisant des superlatifs pour décrire sa situation (contrastant avec une clinique pauvre en symptômes), et les tests neuropsychologiques avaient mis en évidence des éléments en faveur d’une majoration des symptômes. De plus, l’assuré s’était révélé rapidement irritable si l’expert n’épousait pas son point de vue, se montrant amer et désillusionné, et avait pu également tenir des discours contradictoires ou proposer des théories explicatives (p. ex. la mort accidentelle de son frère qui aurait changé toute sa vie) de manière très inauthentique avec un discours plaqué.

Consid. 6.3.2
S’agissant des manifestations concrètes de l’atteinte à la santé, l’assuré ne présentait pas de pathologie psycho-développementale ni de trouble addictologique. Son intelligence était préservée et l’atteinte neuropsychologique était modeste (compte tenu de la majoration des symptômes observée). Le trouble de la personnalité était de sévérité moyenne, réfractaire au traitement psychiatrique intégré et dont la plus-value était limitée. Le travail psychothérapeutique était nécessaire et entrepris, mais chez un assuré avec des faibles capacités de mentalisation et un attachement manifeste aux bénéfices secondaires escomptés. L’observance thérapeutique (« compliance ») était bonne, mais sans aucun effet notable.

La vie sociale et affective de l’assuré était affectée de manière très significative. Le poids de la souffrance endurée était moyen chez un homme détaché affectivement, adoptant une position victimaire, souffrant du décalage entre son image du passé et sa réalité actuelle, mais également très inauthentique au contact, majorant ses symptômes en partie à cause des bénéfices secondaires escomptés. En termes de ressources, celles-ci étaient limitées, mais existantes sur le plan intellectuel. La composante affective était en revanche très limitée avec son trouble de la personnalité et sa dysthymie. L’assuré bénéficiait d’un soutien familial significatif.

Consid. 6.3.3
En ce qui concerne la cohérence des troubles, l’assuré présentait des limitations relativement homogènes touchant l’intégration dans un groupe, l’adaptation aux règles et la flexibilité, la relation à deux, la proactivité, l’endurance et la résistance, la planification des tâches, et la capacité de contact et de conversation avec des tiers (associées à une atteinte légère, mais existante, de la flexibilité mentale, du contrôle inhibiteur, de l’auto-activation et de l’attention sélective mais aussi de la vitesse de traitement de l’information et de l’attention).

Les deux pathologies (trouble de la personnalité et dysthymie) avaient un caractère chronique, peu susceptible d’être modifié par des interventions pharmacologiques. Les ressources psychiques de l’assuré étaient limitées à cause de son trouble de la personnalité, qui impliquait une installation dans une position victimaire cherchant réparation à ce jour. Le trouble de la personnalité diminuait clairement les ressources adaptatives sur le plan mental et psychique. L’atteinte neuropsychologique était en revanche modeste, compte tenu de la majoration des symptômes observée, et touchait en premier lieu la vitesse de traitement, les fonctions exécutives et attentionnelles. L’expertisé pouvait compter sur le soutien de son épouse et de ses enfants, mais aussi sur celui d’une sœur. L’assuré bénéficiait d’un soutien familial significatif.

Consid. 6.4
Il résulte des éléments qui précèdent que l’expert judiciaire a clairement pris en considération le fait que l’assuré majorait ses symptômes, dans une tentative de renforcer sa revendication d’une rente de l’assurance-invalidité (consid. 6.3.1 supra). Dès lors, au moment de se prononcer sur la capacité de travail de l’assuré, l’expert a expliqué que ses conclusions tenaient compte des ressources, de l’analyse fonctionnelle, des indicateurs jurisprudentiels et de la majoration des symptômes. Cela démontre une approche rigoureuse et critique de l’expert, prenant en compte la possibilité de simulation ou d’exagération des symptômes pour des bénéfices secondaires. Tout au long de son rapport, l’expert a de plus insisté sur le fait que le trouble de la personnalité narcissique, de sévérité moyenne, diminuait significativement les ressources adaptatives de l’assuré sur le plan mental et psychique et était – quoi qu’en dise l’office AI – peu susceptible d’être modifié par des interventions pharmacologiques. Il a encore mis en évidence la complexité des symptômes et leur interaction avec la dysthymie.

Dans ce cadre, l’expert a retenu que l’assuré présentait des limitations relativement homogènes touchant l’intégration dans un groupe, l’adaptation aux règles et la flexibilité, la relation à deux, la proactivité, l’endurance et la résistance, la planification des tâches, et la capacité de contact et de conversation avec des tiers (associées à une atteinte légère, mais existante, de la flexibilité mentale, du contrôle inhibiteur, de l’auto-activation et de l’attention sélective mais aussi de la vitesse de traitement de l’information et de l’attention). Ces limitations, documentées et soutenues par des tests neuropsychologiques, illustrent une diminution réelle et mesurable des capacités adaptatives de l’assuré. On ne voit pas – et l’office AI ne l’explique pas – en quoi le fait que l’assuré peut conduire une voiture ou rédiger ses prises de position dans la présente procédure changerait quoi que ce soit aux conclusions de l’expert (qui lui reconnaît une capacité de travail de 40%). La capacité de réaliser des tâches spécifiques de manière isolée ne reflète en effet pas la capacité de travail ni l’adaptation sociale et professionnelle globale de l’assuré. Au demeurant, l’office AI admet que l’environnement psychosocial de l’assuré n’est plus « intact ».

Ainsi, les constatations et appréciations de l’expert sont fondées, cohérentes et prennent en compte tous les éléments pertinents pour évaluer la capacité de travail de l’assuré à l’aune des indicateurs pertinents, y compris les tentatives de l’assuré de majorer ses symptômes pour des bénéfices secondaires. Les limitations fonctionnelles de l’assuré et la nature chronique de ses troubles justifient les conclusions tirées par l’expert sur sa capacité de travail. Il n’y a pas lieu de s’écarter des conclusions de l’expertise judiciaire, suivies par les juges cantonaux.

Consid. 7
C’est finalement en vain que l’office AI affirme que la juridiction cantonale a écarté de manière arbitraire la première expertise psychiatrique. Compte tenu du trouble de la personnalité de l’assuré, qui le conduit à se montrer parfois « très théâtral », la juridiction cantonale a retenu sans arbitraire que l’assuré n’avait pas répondu de manière authentique aux questions posées par l’expert mandaté par l’office AI, de sorte que son rapport ne relevait pas d’une évaluation probante de la capacité de travail de l’assuré.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_265/2023 consultable ici

 

9C_144/2024 (f) du 23.08.2024 – Droit à l’indemnité journalière AI – Vraisemblance de l’augmentation du taux d’occupation / Demande de débats publics vs demande de l’audition de sa personne

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_144/2024 (f) du 23.08.2024

 

Consultable ici

 

Droit à l’indemnité journalière AI / 22 LAI – 23 LAI – 20sexies RAI – 21 RAI – 21bis RAI

Vraisemblance de l’augmentation du taux d’occupation

Demande de débats publics vs demande de l’audition de sa personne / 30 al. 3 Cst. – 6 par. 1 CEDH

 

Assurée, née en 1971, conductrice de bus auprès des transports publics de U.__ depuis le 01.02.2018, d’abord à 100% puis à 80%. Victime d’un accident de la circulation routière le 24.05.2018. Dépôt de la demande AI le 17.12.2018. Octroi par l’office AI de mesures de réadaptation du 09.03.2020 au 31.08.2020 ainsi qu’une indemnité journalière de 134 fr. 40 pour la durée des mesures.

 

Procédure cantonale

Recours de l’assurée concluant en substance à l’octroi d’une indemnité journalière de 168 fr., que le tribunal cantonal a rejeté le 23.03.2022. Ce jugement a été annulé par le Tribunal fédéral, la cause étant renvoyée à l’instance cantonale pour qu’elle respecte le droit d’être entendue de l’intéressée et statue à nouveau (arrêt 9C_215/2022 du 05.01.2023).

La cour cantonale a permis à l’assurée de consulter le dossier et lui a accordé un délai pour compléter son recours, ce que celle-ci a fait le 02.10.2023. Par jugement du 24.01.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4 [résumé]
Le tribunal cantonal a examiné s’il était probable que, sans les problèmes de santé, l’assurée aurait augmenté son taux de travail de 80% à 100% durant la période de réadaptation, comme elle l’affirmait. L’instance cantonale a noté que l’assurée avait initialement travaillé à 100% en février 2018, puis réduit à 80% en mars 2018 pour vendre sa maison, selon le questionnaire de l’employeur. Cependant, la cour cantonale n’a pas jugé crédible qu’elle aurait repris à plein temps en juin 2018, malgré ses déclarations et celles de son employeur. Des documents internes de l’employeur ont montré que cette augmentation n’avait jamais été formellement acceptée. Le tribunal cantonal a ainsi considéré que l’assurée n’avait pas prouvé cette intention de reprise à 100% et a donc confirmé que l’office AI avait correctement fixé l’indemnité journalière sur la base d’un taux de 80%.

Consid. 5.1 [résumé]
L’assurée formule des griefs de nature formelle, critiquant le manque de clarté et de précision dans la motivation de la décision administrative de l’office AI et dans ses écritures durant la procédure cantonale. Elle soutient que ces éléments rendaient difficile la compréhension des fondements de la décision et des preuves pertinentes à présenter, bien qu’elle ait tout de même sollicité son audition et celle de plusieurs témoins. L’assurée souligne que c’est seulement dans le premier jugement cantonal du 23.03.2022 que les motifs justifiant le rejet de son recours ont été clairement exposés, mais que des moyens de preuve auraient dû être mis en œuvre pour les clarifier. En conséquence, elle estime que le refus du tribunal de donner suite à ses demandes de preuve a entravé l’exercice de ses droits procéduraux (droit d’être entendue et droit à la preuve) et demande le renvoi de l’affaire pour que ces droits soient respectés.

Consid. 5.2
Cette argumentation n’est pas fondée. On relèvera d’abord que, si l’assurée a bien évoqué l’organisation de « débats » en instance cantonale (écriture du 18.04.2023), sa demande n’a pas le sens d’une demande de débats publics garantis par les art. 30 al. 3 Cst. et 6 par. 1 CEDH (cf. ATF 128 V 288 consid. 2). Une telle demande doit effectivement être formulée de manière claire et sans équivoque. Or la requête formulée en l’espèce est imprécise et a pour seul but, tel qu’il ressort de l’affirmation selon laquelle la juridiction cantonale se devait « d’établir tous les faits, avec mon aide », la propre audition de l’assurée et celles de plusieurs témoins en lien avec l’instruction de la cause. Il s’agit incontestablement d’une demande d’administration de preuve qui, selon la jurisprudence, ne suffit pas pour fonder l’obligation de l’autorité judiciaire de première instance d’organiser des débats publics (cf. ATF 136 I 279 consid. 1 et les arrêts cités; arrêt 9C_485/2022 du 20 juin 2023 consid. 5.1).

On ne saurait ensuite reconnaître dans le déroulement de la procédure cantonale une violation du droit d’être entendue de l’assurée. Si la motivation de la décision administrative litigieuse peut certes sembler lacunaire, l’office AI a cependant indiqué dans sa réponse au recours cantonal du 04.12.2020 sur quelles déclarations de l’employeur il s’était fondé pour nier une augmentation du taux d’activité de l’assurée pour la période concernée. De plus, après que le jugement du 23.03.2022 a été annulé pour permettre à l’assurée d’avoir accès au dossier de la cause, celle-ci a pu prendre connaissance des « autres éléments du dossier » qui avaient été évoqués dans ledit jugement pour justifier et confirmer les conclusions de l’office AI. Or une violation du droit d’être entendu peut être réparée lorsque la partie lésée a la possibilité de s’exprimer devant une autorité de recours jouissant d’un plein pouvoir d’examen (ATF 145 I 167 consid. 4.4 et les références). Tel a bien été le cas en l’occurrence puisque, postérieurement à l’arrêt de renvoi du Tribunal fédéral lui donnant accès au dossier, l’assurée a eu la possibilité de compléter son recours, devant une autorité jouissant d’un plein pouvoir d’examen, en toute connaissance des éléments qui justifiaient aux yeux des autorités concernées de nier la prise d’engagements formels de l’employeur quant à l’augmentation du taux d’occupation à 100% à partir du 01.06.2018.

On relèvera finalement que le refus d’auditionner l’assurée et les témoins proposés par celle-ci dans le sens évoqué dans le recours est une question qui n’a pas de portée propre par rapport au grief tiré d’une mauvaise appréciation des preuves (cf. arrêt 8C_15/2009 du 11 janvier 2010 consid. 3.2, in SVR 2010 IV n° 42 p. 132; sur le droit d’obtenir qu’il soit donné suite à ses offres de preuve, cf. notamment ATF 135 II 286 consid. 5.1), de sorte que ce grief sera traité avec le fond du litige. L’autorité peut effectivement renoncer à procéder à des mesures d’instruction lorsque les preuves administrées lui ont permis de forger sa conviction et que, procédant d’une manière non arbitraire à une appréciation anticipée des preuves qui lui sont encore proposées, elle a la certitude que ces dernières ne pourraient l’amener à modifier son opinion (ATF 145 I 167 consid. 4.1). L’assurée a au demeurant eu l’occasion de s’exprimer sur la question litigieuse, quoiqu’elle en dise.

 

6.1 [résumé]
L’assurée conteste le courrier de B.__, responsable des ressources humaines (RH) auprès des Transports publics de U.__, du 17.06. 2020, qu’elle juge erroné en mentionnant un engagement à 80%, et estime qu’il prouve, au degré de la vraisemblance, qu’une augmentation de son temps de travail avait été envisagée, car il indiquait que cette augmentation n’avait pas été possible. Elle souligne que la juridiction cantonale a reconnu sa volonté de reprendre son emploi à plein temps, mais a nié celle de l’employeur de l’accepter, ce qui, selon elle, va à l’encontre de l’exigence de vraisemblance de l’art. 21bis al. 5 RAI. L’assurée avance plusieurs éléments en faveur de son argument, comme son engagement initial à 100%, sa volonté temporaire de réduire son taux d’activité, l’absence de contrat formalisant un taux de 80%, et le fait qu’aucune personne travaillant pour son employeur n’a exclu une reprise à 100%. Elle conclut qu’aucun document ne prouve que l’employeur refusait cette augmentation et qu’elle a donc droit à une indemnité journalière de 168 francs.

Consid. 6.2
Cette argumentation n’est pas fondée. En effet, en se contentant de supposer ce que les témoins proposés auraient déclaré s’ils avaient été entendus et de donner sa propre interprétation des différents courriers que ceux-ci ont rédigés, en particulier de celui de B.__, l’assurée n’apporte aucun élément qui établirait que l’appréciation anticipée de la cour cantonale à cet égard serait arbitraire et violerait ainsi son droit d’être entendue. La liste des indices que dresse l’assurée correspond au demeurant en substance aux éléments qui ont été dûment appréciés par le tribunal cantonal. L’appréciation qu’en donne l’assurée ne rend pas plus vraisemblable le fait que l’employeur aurait fermement accepté l’augmentation du taux d’occupation en question pour le 01.06.2018 que la thèse contraire soutenue par l’autorité judiciaire cantonale. Les déclarations de B.__, D.__ [spécialiste RH auprès des Transports publics de U.__] et F.__ [chef d’équipe chez l’employeur] ne font état d’aucun élément qui laisserait supposer que l’employeur aurait consenti à l’augmentation du temps de travail voulue par l’assurée. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’écarter de la juridiction cantonale, qui était en droit de confirmer la décision administrative litigieuse.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_144/2024 consultable ici

 

Troubles psychiques : plus d’ouverture dans l’examen du droit à la rente AI

Troubles psychiques : plus d’ouverture dans l’examen du droit à la rente AI

 

Article de Christian Bolliger, Madleina Ganzeboom, Jürg Guggisberg, Tabea Kaderli paru in Sécurité sociale CHSS du 19.09.2024 consultable ici

 

Depuis l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves en 2015, les offices AI examinent avec plus d’ouverture le droit à la rente en cas de troubles psychiques. Aujourd’hui, cette catégorie d’assurés constitue près de la moitié de l’effectif des bénéficiaires de rente.

Depuis 2015, le Tribunal fédéral (TF) a progressivement introduit la procédure structurée d’administration des preuves pour les demandes liées à des troubles psychiques. Cette procédure permet à l’AI d’examiner le droit à la rente des assurés concernés. Comme les conséquences de troubles psychiques sur la capacité de travail de l’assuré sont plus difficiles à établir que celles d’affections d’ordre somatique, les offices AI évaluent cette capacité en se fondant sur certains indicateurs. Ces derniers couvrent, d’une part, la gravité de l’atteinte à la santé, la personnalité et le contexte social dans lequel évolue l’assuré, ainsi que les interactions entre ces trois facteurs. D’autre part, ces indicateurs se rapportent au comportement de l’assuré dans son quotidien, en thérapie et pendant les mesures de réadaptation (ces observations renseignant sur la «cohérence» de l’assuré, voir OFAS 2024, Annexe 1).

De plus, avec la procédure structurée d’administration des preuves, le TF a abandonné l’hypothèse selon laquelle certains troubles psychiques ne sauraient être invalidants, ou alors seulement dans des cas exceptionnels.

 

Changement de paradigme à partir de 2015

En 2015, le TF n’a d’abord introduit la procédure structurée d’administration des preuves que pour les affections psychosomatiques (ATF 141 V 281). Auparavant, l’AI partait du principe que de telles maladies n’entraînaient une invalidité que dans des cas exceptionnels, car elles étaient considérées comme étant en principe curables (présomption de surmontabilité).

Deux ans plus tard, le TF a étendu la procédure structurée d’administration des preuves à toutes les maladies psychiques (ATF 143 V 409). De plus, en cas de dépression légère à modérée, la résistance au traitement n’était plus une condition obligatoire pour qu’un droit à la rente soit examiné de plus près (ATF 143 V 418). En 2019, le TF a finalement reconnu qu’une addiction était également à classer parmi les «états pathologiques» (ATF 145 V 215). C’est depuis cette date que la procédure structurée d’administration des preuves a été mise en œuvre pour les addictions. Auparavant, la dépendance n’était prise en compte par l’AI que si elle était à l’origine d’une maladie invalidante ou d’un accident, ou si, à l’inverse, elle survenait à la suite d’une maladie.

Quel a été l’impact de ces évolutions de la jurisprudence ? C’est la question à laquelle tente de répondre une étude commandée par l’Office fédéral des assurances sociales (Bolliger et al. 2024). L’étude a tout d’abord analysé les effets de la procédure structurée d’administration des preuves sur la méthode de travail des offices AI lors de l’examen des rentes. Ensuite, elle a analysé les documents des offices AI de cinq cantons et conduit des entretiens avec leurs collaborateurs, avec les SMR, ainsi qu’avec les conseillers juridiques des assurés dans les cinq cantons concernés par l’étude. Puis, plusieurs analyses statistiques descriptives et multivariées ont permis de vérifier s’il existait des indices selon lesquels les évolutions de l’interprétation juridique auraient entraîné une hausse notable du nombre de nouvelles rentes.

 

Des décisions plus faciles à comprendre

L’analyse montre que la procédure structurée d’administration des preuves a sensiblement modifié la démarche de fond adoptée par les offices AI dans l’examen du droit à la rente. Les personnes interrogées considèrent que l’évaluation de la capacité de travail est mieux structurée, bien que plus complexe.

Dans l’ensemble, les modifications jurisprudentielles ont contribué à libérer les instructions des préjugés sur ses résultats et à clarifier le processus décisionnel. Bien que certaines personnes externes à l’AI déplorent un usage trop «mécanique» des indicateurs, les décisions de l’AI sont, aux dires des personnes interrogées, plus adéquates que précédemment, en particulier pour ce qui concerne l’addiction, mais également la dépression légère à moyenne. Selon elles, c’est parce qu’un examen approfondi du droit à la rente n’est plus exclu ou entravé par le seul fait du diagnostic.

Le rapprochement entre exigences juridiques et réalité médicale attendu après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves est également perceptible dans les pratiques quotidiennes de l’AI (cf. Jörg Jeger, Die neue Rechtsprechung zu psychosomatischen Krankheitsbildern – eine Stellungnahme aus ärztlicher Sicht, Jusletter du 13 juillet 2015). Quelques-unes des personnes interrogées ont cependant émis des critiques, faisant observer une tendance au retour à une jurisprudence fondée sur le diagnostic, c’est-à-dire à des décisions rendues sur la seule base du diagnostic disponible, sans analyses approfondies et menées au cas par cas des conséquences concrètes de la maladie sur la capacité de travail de l’assuré (cf. aussi Jörg Jeger, BGE 148 V 49: ist das Bundesgericht rückfällig geworden? Gedanken aus medizinischer Sicht, Jusletter du 10 octobre 2022).

 

La compétence professionnelle reste déterminante

L’examen du droit à la rente dans les cas de troubles psychiques demeure néanmoins un exercice complexe, même avec la procédure structurée d’administration des preuves. La compétence professionnelle des centres d’expertises, des SMR, des offices AI et des tribunaux reste cruciale pour une collecte, une description et une interprétation complètes et non biaisées des informations nécessaires.

Pour les acteurs interrogés, c’est l’indicateur «personnalité» (diagnostic de la personnalité, ressources personnelles) qui est le plus délicat. Des expertises de haute qualité sont indispensables pour pouvoir évaluer au plus juste les interactions entre la personnalité et la maladie – souvent en raison notamment des lacunes que présentent, sur ce point, les rapports médicaux et les rapports destinés aux assurances.

L’examen de cohérence constitue un autre défi. Il est en effet compliqué d’évaluer la capacité de travail d’un assuré en s’appuyant sur son comportement au sein de son ménage ou dans ses loisirs. En outre, il est parfois difficile complexe de déterminer si une participation insuffisante à une thérapie ou à une réadaptation est la conséquence d’une faible souffrance ou si elle découle de la pathologie de l’assuré.

Les personnes interrogées internes et externes à l’AI mentionnent toutes que les expériences et les opinions individuelles des acteurs compétents continuent d’influencer l’instruction et son résultat. L’exemple le plus frappant est le seuil à partir duquel l’addiction est considérée comme une maladie ainsi que l’interprétation de ses effets.

 

Une augmentation disproportionnée

La proportion des nouvelles rentes octroyées à la suite de troubles psychiques par rapport au total des nouvelles rentes a fortement augmenté après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves, passant de 42% en 2017 à 49% en 2021. Cette hausse s’avère disproportionnée même si l’on tient compte des mutations dans la structure de l’effectif des nouvelles rentes concernant l’âge, le sexe, la nationalité et la région linguistique.

Derrière les mutations structurelles se cachent majoritairement des nouvelles rentes dues à des troubles réactifs du milieu ou psychogènes (code 646 de la statistique des infirmités et des prestations). Dans cette catégorie, on trouve probablement aussi de nombreuses personnes souffrant de maladies psychosomatiques ou de dépression, ce qui correspond aux diagnostics pour lesquels le TF a, à partir de 2015, facilité l’accès à un examen de la rente ne préjugeant pas des résultats. L’analyse statistique n’a cependant pas permis de mettre de tels cas en évidence de manière distincte.

D’autres maladies psychiques comme la schizophrénie, les accès maniaques dépressifs et les psychoses ont également contribué à l’augmentation des nouvelles rentes liées à une affection psychique, mais dans une mesure moins prononcée que les troubles réactifs du milieu ou psychogènes. L’augmentation de ces maladies psychiques n’a en effet commencé que plus tard, vers 2020.

C’est environ deux à quatre ans après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves que l’on peut constater une hausse disproportionnée du nombre de nouvelles rentes liées à des troubles psychiques. Elle est particulièrement marquée chez les moins de 35 ans et a commencé plus tôt chez les femmes que chez les hommes, et dans les cantons latins (2015) que dans les cantons alémaniques (2019).

 

Est-il devenu plus facile d’obtenir une rente de l’AI ?

Il semble plausible que les changements de la jurisprudence ici examinés, qui ont mené à un examen plus ouvert du droit à la rente depuis 2015, aient accru la probabilité d’obtenir une rente AI en cas de troubles psychiques. C’est ce que laisse à penser l’augmentation disproportionnée des nouvelles rentes dues à des troubles psychiques. Il n’est cependant pas possible d’apporter la preuve statistique que ces modifications soient à l’origine de cette augmentation. En effet, les données disponibles ne fournissent pas d’informations sur la mise en œuvre de la procédure structurée d’administration des preuves et ne permettent pas d’identifier de manière fiable les rentes octroyées en raison d’infirmités psychosomatiques ou de dépressions.

Afin de permettre aux analyses statistiques d’apporter des réponses plus précises concernant les raisons de l’évolution du nombre de nouvelles rentes (comme un transfert de nouvelles rentes accordées à la suite de troubles non psychiques vers des nouvelles rentes accordées à la suite de troubles psychiques), il serait nécessaire d’identifier systématiquement les lacunes des bases de données disponibles et de les combler de manière ciblée.

 

Résumé du rapport de recherche n° 5/24 « Entwicklung der Neurenten in der Invalidenversicherung: gemischte Methode, Sucht- und psychische Erkrankungen » (en allemand avec résumé en français, en italien et en anglais) de Christian Bolliger, Madleina Ganzeboom, Jürg Guggisberg et Tabea Kaderli

 

Questions de recherche et procédure

L’étude poursuivait deux objectifs : elle a d’abord examiné les effets des modifications juridiques sur l’octroi des rentes AI pour différents groupes d’assurés. Des analyses statistiques descriptives et multivariées ont permis de vérifier s’il existait des indices selon lesquels les modifications juridiques auraient entraîné une augmentation notable du nombre de nouvelles rentes. Ensuite, l’étude a analysé les effets de la procédure structurée d’administration des preuves sur la méthode de travail des offices AI lors de l’examen des rentes. Cette partie de l’étude s’est appuyée sur des analyses de documents et des entretiens avec des collaborateurs des offices AI et des services médicaux régionaux (SMR) ainsi qu’avec des conseillers juridiques externes à l’AI dans cinq cantons. Les conclusions principales de l’étude sont résumées ci-dessous.

 

Examen des rentes par les offices AI selon la procédure structurée d’administration des preuves

  • Offices AI et SMR – collaborer plutôt que coexister

La procédure structurée d’administration des preuves n’a modifié le déroulement de la procédure AI que de manière ponctuelle. Elle a cependant conduit à une intensification des échanges entre les SMR et les praticiens du droit. Les arrêts principaux du Tribunal fédéral ont toutefois induit un rapprochement des perspectives de la médecine et de l’application du droit, ce qui (avec une routine croissante) a en partie rendu ces échanges moins nécessaires. Depuis l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves, certains offices AI accordent probablement plus d’importance aux informations issues de la procédure de réadaptation, car le comportement de l’assuré à ce stade en dit potentiellement long sur ses souffrances.

 

  • L’examen de la rente est plus systématique, mais reste un défi

L’approche des offices AI concernant le contenu de l’examen de la rente a sensiblement changé avec la procédure structurée d’administration des preuves. Les personnes interrogées considèrent que l’évaluation de la capacité de travail est plus complexe, mais mieux structurée ; elles estiment par ailleurs que le fait de se concentrer non plus sur le diagnostic, mais sur les conséquences concrètes, est plus adéquat. Les personnes interrogées mentionnent deux éléments qui tendent à complexifier l’évaluation : premièrement, l’indicateur du diagnostic de la personnalité et des ressources personnelles. De bonnes expertises semblent ici particulièrement importantes pour la collecte d’informations et une appréciation correcte de l’interaction entre la personnalité et la maladie, notamment parce que les documents disponibles sont souvent lacunaires à cet égard. Le deuxième élément concerne l’examen de la cohérence : tirer des conclusions sur la capacité de travail à partir de différentes activités dans des domaines de vie comparables n’est pas chose aisée. En outre, il est parfois difficile de déterminer si une participation insuffisante à un traitement ou à une réadaptation est la conséquence d’une faible souffrance ou si elle a d’autres causes.

 

  • Une approche plus ouverte concernant les résultats et davantage de transparence, mais des éléments subjectifs toujours présents

Tant les offices AI que les conseillers juridiques externes estiment que la procédure structurée d’administration des preuves a globalement contribué à des instructions préjugeant moins des résultats, mais certains conseillers déplorent une application trop mécanique des indicateurs. Les deux parties mentionnent que les expériences et les opinions individuelles des acteurs compétents continuent d’influencer l’instruction. L’exemple le plus frappant est le seuil à partir duquel la toxicomanie est considérée comme une maladie ainsi que l’interprétation de ses effets. De manière générale, la procédure structurée d’administration des preuves a renforcé la transparence des décisions relatives aux rentes. Quant à savoir si ces dernières sont mieux acceptées par les assurés, les personnes interrogées ont toutefois donné des réponses contrastées.

 

  • Des décisions plus adéquates

Sur la base de leurs expériences, les personnes interrogées estiment que, dans l’ensemble, l’AI prend des décisions plus adéquates qu’auparavant, en particulier concernant les toxicomanies, mais aussi pour les maladies psychosomatiques et les dépressions légères à modérées : elles expliquent cette appréciation par le fait que le diagnostic ne suffit plus à exclure ou à entraver un examen approfondi de la rente. Certaines personnes interrogées ont toutefois fait remarquer de manière critique que, pour les dépressions, les décisions relatives aux rentes avaient tendance à se fonder à nouveau davantage sur le diagnostic, s’éloignant ainsi de l’analyse des effets concrets dans chaque cas particulier.

 

Évolution des nouvelles rentes pour cause de maladie psychique

  • Augmentation disproportionnée des nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques (à l’exclusion des toxicomanies) deux à quatre ans après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves

Les analyses statistiques effectuées montrent que les nouvelles rentes pour raisons psychiques (à l’exclusion des toxicomanies) ont augmenté de manière disproportionnée au cours de la période 2019 à 2021, et ce même en tenant compte de l’évolution de la composition structurelle des nouveaux bénéficiaires de rente. Cela se reflète dans la part des nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques par rapport à l’ensemble des nouvelles rentes. Celle-ci augmente régulièrement, passant de 42% en 2017 à 49% en 2021, ce qui signifie que la part des nouvelles rentes octroyées pour des raisons non psychiques ne cesse de diminuer. Alors que, par rapport à la population assurée, la part des nouvelles rentes pour toutes les autres causes d’invalidité reste stable depuis 2018 à environ 1,7 pour mille, elle est passée durant la même période de 1,2 à 1,6 pour mille pour les nouvelles rentes d’origine psychique. Alors qu’en 2017 encore, la majorité des nouvelles rentes étaient octroyées pour des invalidités sans lien avec une maladie psychique, en 2021, les nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques sont presque aussi nombreuses que celles accordées pour toutes les autres causes d’invalidité.

Derrière ce transfert se cachent principalement des rentes dues à des troubles réactifs du milieu ou psychogènes, que les offices AI documentent avec le code d’infirmité AI 646 (code 646). Dans cette catégorie, on trouve probablement aussi de nombreuses personnes souffrant de maladies psychosomatiques et de dépression, c’est-à-dire les diagnostics pour lesquels le Tribunal fédéral a, à partir de 2015, facilité l’accès à un examen de la rente ne préjugeant pas des résultats. Pour ces rentes, l’augmentation disproportionnée a déjà commencé à partir de 2018. Si le nombre de nouvelles rentes dues à d’autres maladies psychiques augmente également, cette tendance est toutefois moins marquée que pour les rentes dues à des troubles réactifs du milieu ou psychogènes (code 646) et a été observée un peu plus tard (à partir de 2020).

L’augmentation du nombre de nouvelles rentes octroyées pour des raisons psychiques intervient environ deux à quatre ans après l’introduction de la procédure structurée d’administration des preuves. Elle ne peut donc pas s’expliquer uniquement par la recrudescence des nouvelles demandes, notamment du fait que ces dernières n’ont pas brusquement augmenté après l’introduction de la nouvelle procédure. Alors que le nombre de nouvelles rentes dues à des causes non psychiques est resté à peu près stable durant la période 2017 à 2020 malgré l’augmentation des nouvelles demandes, les offices AI ont enregistré sur la même période une hausse des rentes d’origine psychique. En d’autres termes, à partir de 2018 et 2020, le nombre de rentes octroyées chaque année pour des raisons psychiques croît plus rapidement que celui des autres rentes.

L’augmentation disproportionnée des nouvelles rentes d’origine psychique concerne davantage les jeunes jusqu’à 34 ans, tant chez les femmes que chez les hommes. Pour les infirmités documentées par le code 646, ce phénomène a toutefois été observé un peu plus tôt chez les femmes, à savoir dès 2015, contre 2019 pour les hommes. De même, cette tendance est plus précoce dans les cantons latins, où elle s’amorce dès 2015, alors qu’elle n’a été observée qu’à partir de 2019 dans les cantons alémaniques.

 

Évolution des nouvelles rentes pour cause de toxicomanie

  • Forte augmentation du nombre de nouvelles rentes codées comme toxicomanie à partir de 2019

Les résultats disponibles permettent de constater que le nombre de nouvelles rentes codées comme toxicomanie a augmenté suite à l’arrêt principal du Tribunal fédéral. En effet, ils révèlent une hausse soudaine de ces rentes pour l’année 2020. Entre 2013 et 2019, leur nombre était stable, augmentant nettement à partir de 2020. Ainsi, en 2021, près de 400 nouvelles rentes ont été octroyées sur la base de ce code. La part de ces nouvelles rentes par rapport à l’ensemble des nouvelles rentes est ainsi passée de 0,6% en 2018 à 2,2% en 2021.

En revanche, il n’est pas clair s’il s’agit d’un transfert (les mêmes personnes auraient déjà reçu une rente avant 2019, mais sous un autre code d’infirmité) ou d’une augmentation de la probabilité d’octroi d’une rente (des personnes qui ne recevaient pas de rente dans l’ancien système en reçoivent désormais une) ou si, suite à l’arrêt du Tribunal fédéral, davantage de personnes souffrant de toxicomanie ont déposé une demande auprès de l’AI. Il est également possible que ces trois causes soient toutes impliquées dans l’augmentation observée. Les déclarations des collaborateurs des offices AI interrogés dans le cadre de cette étude corroborent en effet cette hypothèse. Sur l’ensemble des rentes octroyées par l’AI, les nouvelles rentes pour cause de toxicomanie représentent toutefois toujours une part négligeable. La période d’observation étant trop courte, il n’est pas encore possible de déterminer si l’augmentation se poursuivra dans les années à venir ou si le nombre de rentes pour toxicomanie restera désormais stable.

 

Nouvelles rentes et révisions de la rente pour les personnes travaillant à temps partiel

  • L’accès facilité aux rentes pour les personnes travaillant à temps partiel profite surtout aux femmes

Les analyses statistiques montrent très clairement que l’adaptation du RAI entrée en vigueur le 1er janvier 2018, qui s’applique à toutes les personnes exerçant une activité lucrative à temps partiel et accomplissant par ailleurs des travaux habituels (art. 27bis, al. 2 à 4, RAI dans la version valable jusqu’au 31 décembre 2021), a entraîné une hausse soudaine du nombre de nouvelles rentes et de révisions de rente en utilisant la méthode mixte comme méthode de calcul. Cette augmentation des nouvelles rentes avec méthode mixte se reflète également dans la part des nouvelles rentes appliquant cette méthode. Celle-ci est d’abord passée de 9% à 13% avant de se stabiliser à 12% dès 2019. L’accès facilité profite en grande partie aux femmes qui travaillent à temps partiel et s’occupent du ménage. En raison de la méthode mixte, la part des personnes vivant dans un ménage d’une seule personne et celle des personnes divorcées ont progressivement augmenté parmi les nouveaux bénéficiaires de rente.

 

Conclusion

La procédure structurée d’administration des preuves a conduit à un examen plus ouvert du droit à la rente pour les maladies psychiques pour lesquelles ce droit n’était auparavant guère envisagé ou alors uniquement à titre exceptionnel. Ce constat est également valable pour la toxicomanie. L’examen des rentes n’en demeure pas moins exigeant. La compétence professionnelle des acteurs impliqués dans les centres d’expertises, les SMR, les offices AI et les tribunaux reste décisive pour que les informations nécessaires soient collectées, décrites et interprétées de manière complète et non biaisée.

Les analyses effectuées sur l’évolution des nouvelles rentes indiquent que l’abandon de la présomption de surmontabilité des affections psychosomatiques en 2015, l’introduction généralisée de la procédure structurée d’administration des preuves pour toutes les maladies psychiques ainsi que l’obligation d’examiner le droit aux prestations également en cas de dépression légère à modérée sans résistance au traitement en 2017 ont eu des répercussions sur la probabilité d’obtenir une rente en raison d’une maladie psychique. Il n’est toutefois pas possible d’apporter la preuve statistique que l’augmentation des rentes pour maladies psychiques est liée de manière causale à ces modifications juridiques. En effet, les données disponibles ne fournissent pas d’informations sur la mise en œuvre de la procédure structurée d’administration des preuves et ne permettent pas d’identifier de manière fiable les octrois de rentes en raison d’infirmités psychosomatiques et de dépressions. Il reste à voir comment les nouvelles rentes évolueront au cours des prochaines années afin d’obtenir, d’un point de vue statistique, une image plus concluante des raisons possibles de l’augmentation disproportionnée des nouvelles rentes pour maladies psychiques. L’évolution à venir des taux de perception des rentes des cohortes de nouveaux bénéficiaires fourniront notamment de précieuses indications.

Afin de permettre à l’avenir aux analyses statistiques de donner des réponses plus précises concernant les modifications des nouvelles rentes, comme le transfert de nouvelles rentes pour troubles non psychiques vers de nouvelles rentes pour troubles psychiques, il serait nécessaire d’identifier systématiquement les lacunes existantes dans les bases de données et de les combler de manière ciblée.

 

Christian Bolliger/Madleina Ganzeboom/Jürg Guggisberg/Tabea Kaderli, Troubles psychiques : plus d’ouverture dans l’examen du droit à la rente AI, paru in Sécurité sociale CHSS du 19.09.2024 consultable ici

Rapport de recherche n° 5/24 « Entwicklung der Neurenten in der Invalidenversicherung: gemischte Methode, Sucht- und psychische Erkrankungen » (en allemand avec résumé en français, en italien et en anglais) de Christian Bolliger, Madleina Ganzeboom, Jürg Guggisberg et Tabea Kaderli consultable ici

 

9C_197/2024 (f) du 12.08.2024 – Rôle du conseiller en réadaptation vs du médecin / Pas d’abattement pour le canton du Valais / Pas d’abattement pour les limitations fonctionnelles après réadaptation dans une activité adaptée

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_197/2024 (f) du 12.08.2024

 

Consultable ici

 

Rôle du conseiller en réadaptation et du médecin dans la détermination des activités professionnelles adaptées aux capacités résiduelles de l’assuré / 16 LPGA

Postes de surveillant « exclusif » suffisamment représentés sur le marché équilibré du travail

Revenu d’invalide ESS – Pas d’abattement pour le canton du Valais ni d’abattement pour les limitations fonctionnelles après réadaptation dans une activité adaptée

 

Assuré, né en 1965, a travaillé en dernier lieu en tant que surveillant auprès de l’École d’agriculture. En octobre 2013, il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité. L’office AI a octroyé à l’assuré des mesures d’ordre professionnel, sous la forme notamment d’un reclassement en qualité de surveillant d’école. Entre autres mesures d’instruction, il a diligenté une expertise auprès d’un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur (rapport du 17.10.2017 et complément du 15.01.2018).

L’office AI a notamment mis en œuvre une expertise pluridisciplinaire (rapport du 26.07.2019). Après avoir soumis les différents avis médicaux à son SMR, l’administration a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité du 01.04.2014 au 30.09.2017 (rente entière jusqu’au 31.12.2015, demi-rente jusqu’au 31.07.2017, puis rente entière jusqu’au 30.109. 2017), puis dès le 01.02.2020 (rente entière), par décisions des 09.07.2021 et 22.07.2021.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 20.02.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3 [résumé]
Sur la base des expertises médicales et de l’avis SMR, les juges cantonaux ont conclu que l’assuré avait retrouvé une pleine capacité de travail dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles dès le 05.06.2017, et ce jusqu’à la pose d’une prothèse du genou le 17.02.2020. Les avis divergents des médecins traitants n’ont pas été jugés suffisamment convaincants pour remettre en cause ces conclusions.

La juridiction cantonale a ensuite validé que l’activité de surveillant « exclusif », sans tâches supplémentaires, était adaptée à l’assuré pendant la période concernée. Elle a calculé le taux d’invalidité en comparant le revenu antérieur (CHF 88’393.50) avec celui d’une activité adaptée de surveillant (CHF 65’545.60), basé sur les données statistiques du niveau de compétences 2 de l’Enquête suisse sur la structure des salaires pour les activités de services administratifs. Cela a conduit à un taux d’invalidité de 25%, insuffisant pour maintenir une rente d’invalidité au-delà du 30.09.2017. Ainsi, l’assuré n’avait pas droit à une rente AI entre le 01.10.2017 et le 31.01.2020.

 

Consid. 5.2.1 [résumé]
L’expert orthopédique a indiqué, dans son rapport d’expertise du 17.10.2017, qu’une activité de surveillant ne respectait pas les limitations fonctionnelles de l’assuré. Cela étant, selon les constations cantonales, tant les conclusions de l’expertise pluridisciplinaires que celles du service de réadaptation de l’office AI ont confirmé le caractère exigible d’une telle profession. On constate effectivement que le service de réadaptation a fourni une liste non exhaustive de tâches spécifiques à un poste de surveillant (surveiller les élèves et contrôler le respect du règlement intérieur de l’établissement, suivre et compléter les documents administratifs et la correspondance, repérer les dégradations ou incidents, organiser et surveiller le déroulement du repas au réfectoire, etc.) adaptées aux limitations fonctionnelles de l’assuré décrites par l’expert orthopédique. Or on rappellera, à la suite des juges cantonaux, qu’il appartient au conseiller en réadaptation, non au médecin, d’indiquer quelles sont les activités professionnelles concrètes entrant en considération sur la base des renseignements médicaux et compte tenu des aptitudes résiduelles de l’assuré (ATF 107 V 17 consid. 2b; arrêt I 778/05 du 11 janvier 2007 consid. 6.1 et les références). A l’issue de l’expertise pluridisciplinaire, les experts ont par ailleurs confirmé qu’une activité de surveillant uniquement, sans participation aux sorties des élèves, à la conciergerie et à l’installation des classes, est adaptée aux limitations qu’ils ont décrites (pas d’effort de soulèvement de plus de 5 kg, pas de porte-à-faux du buste, port de charge limité à 5 kg, pas de marche ou de piétinement prolongé, éviter les escaliers, pas de travail en hauteur, pas de position à genoux ou accroupie, pas d’effort de préhension ou de pronosupination forcé des mains). Pour le surplus, l’assuré ne s’en prend pas à la valeur probante de l’expertise pluridisciplinaire.

Consid. 5.2.2 [résumé]

L’argument de l’assuré selon lequel un poste de surveillant « exclusif » sans tâches annexes n’existerait pas sur un marché du travail équilibré est rejeté. Les juges cantonaux ont montré, en s’appuyant sur des documents de l’office AI, que ce type de poste est suffisamment représenté sur le marché équilibré du travail. Selon la prise de position du coordinateur en réadaptation de l’office AI, la majorité des emplois de surveillant n’incluent pas de tâches supplémentaires comme la conciergerie ou la maintenance, et sont donc représentatifs sur un marché du travail dit équilibré.

 

Consid. 5.3.1
S’agissant ensuite de la détermination de son revenu d’invalide, l’assuré soutient, en se référant à un article de doctrine (GABRIELA RIEMER-KAFKA/URBAN SCHWEGLER, Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn, RSAS 2021, p. 287 ss), que les données statistiques sur lesquelles se fondent les offices de l’assurance-invalidité et les tribunaux pour déterminer le revenu statistique d’invalide ne tiennent pas suffisamment compte de l’état de santé des assurés et des réalités du marché du travail. Dans ce contexte, il reproche aux juges cantonaux de ne pas avoir opéré d’abattement sur le revenu statistique d’invalide. Il fait valoir, en se référant également au principe de non discrimination prévu par l’art. 8 al. 2 Cst. et les art. 8 et 14 CEDH, que dans son cas, un abattement de 45% était justifié (à savoir 25% en raison de son âge et de son canton de domicile et 20% afin de tenir compte de ses limitations fonctionnelles).

Consid. 5.3.2
Concernant l’article de GABRIELA RIEMER-KAFKA et URBAN SCHWEGLER, auquel l’assuré se réfère, on rappellera que le Tribunal fédéral a jugé qu’il n’y a pas de motif sérieux et objectif de modifier la jurisprudence selon laquelle la détermination du revenu d’invalide sur la base des valeurs statistiques se fonde en principe sur la valeur centrale, respectivement médiane, de l’ESS, malgré les critiques présentées par ces auteurs (ATF 148 V 174 consid. 9.2.4).

Consid. 5.3.3 [résumé]
La question de savoir si un abattement doit être appliqué au salaire statistique pour des raisons particulières (handicap ou autres facteurs) est une question de droit, que le Tribunal fédéral examine librement. En revanche, la détermination du taux d’abattement dans un cas concret, limité à 25% maximum, relève du pouvoir d’appréciation des juges cantonaux. Le Tribunal fédéral n’intervient que si cet exercice d’appréciation a été effectué de manière contraire au droit, par excès ou insuffisance de l’appréciation, ou en cas d’abus.

Consid. 5.3.4
L’argumentation de l’assuré selon laquelle les juges cantonaux auraient dû procéder à un abattement en raison du fait qu’il existe des différences notables sur le plan salarial entre les cantons, ce qui conduirait à discriminer certains travailleurs issus de cantons « dits pauvres », comme le Valais, n’est pas fondée. La jurisprudence admet, de manière constante, que l’évaluation de l’invalidité repose sur des données statistiques lorsque la personne assurée n’exerce plus d’activité, ou aucune activité adaptée lui permettant de mettre pleinement en valeur sa capacité résiduelle de travail (ATF 135 V 297 consid. 5.2 et les arrêts cités), et que le principe constitutionnel de l’égalité de traitement commande de recourir aux salaires statistiques ressortant de l’ESS, sans tenir compte de données salariales régionales, et à plus forte raison cantonales (arrêts 9C_272/2022 du 20 avril 2023 consid. 5.3; 9C_535/2019 du 31 octobre 2019 consid. 4 et les arrêts cités). L’assuré ne met en évidence aucun élément qui justifierait de s’écarter de cette jurisprudence constante (sur les conditions d’un changement de jurisprudence, ATF 144 V 72 consid. 5.3.2).

Consid. 5.3.5
C’est également en vain que l’assuré reproche à l’instance cantonale de ne pas avoir opéré un abattement sur le salaire statistique d’invalide en raison de ses limitations fonctionnelles, dès lors que celles-ci ont été prises en compte dans le choix du type d’activité adaptée (cf. arrêt 9C_497/2020 du 25 juin 2021 consid. 5.2.2). Par ailleurs, même en prenant en considération un éventuel abattement en raison de l’âge de l’assuré, il pourrait être fixé à 10% au plus en regard de ce seul critère, ce qui ne modifierait en rien l’issue du litige quant au taux d’invalidité déterminant pour le maintien du droit à la rente durant la période ici litigieuse (taux d’invalidité de 33%, issu de la comparaison entre le revenu sans invalidité de 88’393 fr. 50 fr. et le revenu statistique d’invalide de 65’545 fr. 60 [consid. 3 supra], sous déduction d’un abattement de 10%).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_197/2024 consultable ici

 

9C_65/2024 (f) du 12.08.2024 – Dépens en cas d’admission du recours / 61 let. g LPGA – 49 al. 1 LPA-VD / Notion de «gain de cause»

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_65/2024 (f) du 12.08.2024

 

Consultable ici

 

Dépens en cas d’admission du recours / 61 let. g LPGA – 49 al. 1 LPA-VD

Notion de « gain de cause »

 

Statuant sur le recours de l’assurée contre l’arrêt rendu par la Casso du canton de Vaud le 01.11.2022, le Tribunal fédéral l’a admis par arrêt 9C_562/2022 du 12.09.2023. Il a annulé l’arrêt cantonal ainsi que la décision de l’office AI du 19.10.2021 confirmée par cet arrêt et a octroyé à l’assurée un quart de rente d’invalidité à partir du 01.05.2019. Il a mis les frais judiciaires ainsi que les dépens à la charge de l’office AI et renvoyé la cause au tribunal cantonal pour nouvelle décision sur les frais et dépens de la procédure cantonale.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 294/23 ap. TF – 345/2023 – consultable ici)

Par arrêt du 12.12.2023, le tribunal cantonal a fixé à 600 fr. les frais de la procédure cantonale de recours et les a répartis par moitié à la charge de chacune des parties. Il a aussi mis une indemnité réduite de dépens de 1’000 fr. à la charge de l’office AI.

 

TF

Consid. 3.1
Selon l’art. 61 let. g LPGA, la partie recourante qui obtient gain de cause a droit au remboursement de ses frais et dépens dans la mesure fixée par le tribunal; leur montant est déterminé sans égard à la valeur litigieuse d’après l’importance et la complexité du litige. Pour le reste, la fixation du montant de l’indemnité de dépens ressortit au droit cantonal (art. 61 première phrase LPGA; arrêt 9C_714/2018 du 18 décembre 2018 consid. 9.2, non publié in ATF 144 V 380).

Selon l’art. 69 al. 1bis LAI, la procédure de recours en matière de contestations portant sur des prestations de l’AI devant le tribunal cantonal des assurances est soumise à des frais judiciaires. Le montant des frais est fixé en fonction de la charge liée à la procédure, indépendamment de la valeur litigieuse, et doit se situer entre 200 et 1’000 francs.

 

Consid. 3.2
L’art. 49 al. 1 de la loi vaudoise sur la procédure administrative du 28 octobre 2008 (LPA-VD; BLV 173.36) prévoit qu’en procédure de recours, les frais sont supportés par la partie qui succombe et que, si celle-ci n’est que partiellement déboutée, les frais sont réduits en conséquence. L’art. 55 al. 1 LPA-VD pose le principe selon lequel en procédure de recours, l’autorité alloue une indemnité à la partie qui obtient totalement ou partiellement gain de cause, en remboursement des frais qu’elle a engagés pour défendre ses intérêts (al. 1) et que cette indemnité est mise à la charge de la partie qui succombe (al. 2). En vertu de l’art. 11 al. 2 du Tarif vaudois des frais judiciaires et des dépens en matière administrative du 28 avril 2015 (TFJDA; BLV 173.36.5.1), les honoraires sont fixés d’après l’importance de la cause, ses difficultés et l’ampleur du travail effectué et sont compris entre 500 et 10’000 fr., ce montant maximal pouvant être dépassé si des motifs particuliers le justifient, notamment une procédure d’une ampleur ou d’une complexité spéciales.

Consid. 3.3
Sous réserve des cas cités à l’art. 95 let. c à e LTF qui n’entrent pas en considération dans le cas particulier, le recours ne peut pas être formé pour violation du droit cantonal. En revanche, il est toujours possible de faire valoir que la mauvaise application du droit cantonal constitue une violation du droit fédéral, en particulier qu’elle est arbitraire au sens de l’art. 9 Cst. ou contraire à d’autres droits ou principes constitutionnels (ATF 143 I 321 consid. 6.1). Un tel moyen tiré de la violation d’un droit constitutionnel doit être expressément soulevé et développé avec la précision requise à l’art. 106 al. 2 LTF (ATF 138 I 1 consid. 2.1; 133 III 462 consid. 2.3).

 

Consid. 4.1
La juridiction cantonale a constaté que l’arrêt 9C_562/2022 du 12.09.2023 donnait entièrement gain de cause à la recourante en ce qui concernait le taux d’invalidité, mais que les considérations de l’arrêt attaqué portant sur la valeur probante de l’expertise, le caractère complet de l’instruction et la date d’ouverture du droit à la rente n’avaient en revanche pas été remis en cause devant le Tribunal fédéral. Elle a dès lors arrêté les frais de la procédure cantonale de recours à 600 fr. et les a répartis par moitié entre les parties, la part de l’assurée étant prise en charge par l’État au titre de l’assistance judiciaire. Elle a en outre reconnu le droit de la recourante à une indemnité réduite de dépens de 1’000 fr., qu’elle a mise à la charge de l’office intimé.

Consid. 4.2
La recourante fait grief au tribunal cantonal d’avoir violé le principe de l’interdiction de l’arbitraire en mettant une partie des frais judiciaires à sa charge et en réduisant ses dépens. Elle rappelle qu’elle a obtenu entièrement gain de cause et soutient que, dans ces circonstances, la loi ne permet pas une répartition des frais et une réduction des dépens.

Consid. 4.3
Une partie obtient gain de cause, au sens de l’art. 61 let. g LPGA, et n’encourt pas de frais lorsque sa position au terme de la procédure de recours est notablement améliorée par rapport à celle qui résulterait de la décision administrative litigieuse si elle était entrée en force. Une partie des frais peut-être mise à sa charge si elle n’obtient gain de cause que sur certaines de ses conclusions – lorsque le litige porte sur plusieurs objets – ou si elle a pris, sur un objet, des conclusions notablement excessives qui ont entraîné un surcoût, ce qui peut également entraîner une limitation de l’indemnité de dépens allouée conformément à l’art. 61 let. g LPGA (JEAN MÉTRAL, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 34 ad art. 61 LPGA). Lorsque le litige porte sur la quotité d’une prestation d’assurance sociale (montant et/ou durée), l’admission partielle des conclusions du recours – par exemple lorsqu’une demi-rente est octroyée en lieu et place d’une rente entière – ne justifie en principe une réduction des dépens que si les conclusions du recours ont eu une influence sur l’importance et la complexité du litige (cf. notamment ATF 117 V 401 consid. 2; arrêt 8C_449/2016 du 2 novembre 2016 consid. 3.1.1; 9C_193/2013 du 22 juillet 2013 consid. 3.2.1; 8C_568/2010 du 3 octobre 2010 consid. 4.1).

En l’occurrence, alors que l’office intimé a nié le droit de la recourante à une rente de l’assurance-invalidité par décision du 19.10.2021, l’assurée a conclu en instance cantonale à l’octroi d’une rente entière. À l’issue de la procédure, elle a obtenu un quart de rente dès le 01.05.2019. Par conséquent, elle a obtenu gain de cause au sens des principes rappelés ci-dessus. Il apparaît dès lors que la répartition des frais judiciaires de la procédure cantonale par moitié et la réduction de l’indemnité de dépens étaient contraires au droit. Il n’apparaît au demeurant pas que les conclusions du recours cantonal ont eu une incidence sur l’importance et la complexité du litige. Il convient donc d’annuler l’acte attaqué et de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu’elle mette les frais de la procédure à la charge de l’office intimé et qu’elle fixe le montant de l’indemnité de dépens – non réduite – que peut prétendre l’assurée.

 

Consid. 5
Vu l’issue du litige, les frais judiciaires et les dépens doivent être mis à la charge de l’office intimé (art. 66 al. 1 et 68 al. 1 LTF). La demande d’assistance judiciaire est dès lors sans objet. La recourante a produit une note de frais et d’honoraires détaillée pour un montant de 1’336 fr. 25. Ce montant n’apparaît pas excessif compte tenu de la nature du litige, de sorte qu’il convient de le lui allouer.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_65/2024 consultable ici

 

Troubles du spectre de l’autisme chez l’enfant: garantir le financement conjoint de l’AI et des cantons pour les interventions précoces

Troubles du spectre de l’autisme chez l’enfant: garantir le financement conjoint de l’AI et des cantons pour les interventions précoces

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 21.08.2024 consultable ici

 

Le Conseil fédéral veut améliorer la prise en charge des interventions précoces intensives pour les enfants atteints de troubles du spectre de l’autisme sévères. Une phase pilote a permis d’évaluer comment cette forme de prise en charge pouvait être réglée et financée. Afin d’assurer un soutien financier de l’assurance-invalidité, une modification de la loi sur l’assurance-invalidité est nécessaire. Lors de sa séance du 21 août 2024, il a transmis le message correspondant au Parlement.

L’intervention précoce intensive (IPI) auprès des enfants ayant des troubles sévères du spectre de l’autisme en âge préscolaire permet d’améliorer leur comportement et leurs aptitudes sociales et communicationnelles, notamment parce que la plasticité du cerveau est encore très grande à ce stade de développement. L’IPI associe des mesures médicales et pédagogiques, telles que la psychothérapie et l’ergothérapie, la logopédie, la pédagogie spécialisée et la psychologie, et son efficacité est aujourd’hui largement reconnue sur le plan scientifique. L’imbrication des mesures médicales et des mesures pédagogiques rend toutefois difficiles la comptabilisation détaillée du volume de chaque mesure et leur facturation, les mesures médicales étant prises en charge par l’AI et les mesures pédagogiques financées par les cantons.

La prise en charge des IPI est actuellement réglée de manière provisoire par le biais de conventions conclues entre l’AI et des institutions proposant de telles interventions en Suisse. Depuis 2019, l’IPI fait l’objet d’un projet pilote visant notamment à déterminer les éléments essentiels et le financement de l’intervention. L’expérience a montré qu’un financement commun par la Confédération et les cantons est approprié.

Afin de garantir la participation financière de l’AI à l’intervention précoce après la fin du projet pilote, le Conseil fédéral propose de modifier la loi sur l’assurance-invalidité (LAI). Il a transmis le message correspondant au Parlement. Cela permettra entre autres de maintenir et favoriser le développement des offres d’IPI dans les cantons. Des données seront collectées pour ensuite être transmises à l’Office fédéral de la statistique dans le but d’évaluer l’impact à moyen et long terme des IPI. Une évaluation de l’IPI est prévue 6 ans après l’adoption de la modification de la loi.

 

Conséquences financières pour l’AI

Les coûts totaux de l’IPI sont évalués à environ 60 millions de francs par an, assumés par les cantons et par l’AI. Le plafond des coûts à charge de l’AI est toutefois fixé à 30% des coûts moyens de l’IPI, ce qui représente environ 18 millions de francs par an au maximum. Le remboursement des frais de voyage est évalué à environ 150 000 francs par an au maximum. La modification de la LAI proposée n’a pas de conséquences financières pour la Confédération.

Indépendamment de la présente révision, de nombreux projets importants pour l’AI sont actuellement en cours (politique du handicap 2023-2026, rapports en réponse à des postulats, motions et initiatives parlementaires). Le Département fédéral de l’intérieur a initié une réflexion sur une approche globale et coordonnée dans le traitement de ces objets.

 

Communiqué de presse de l’OFAS du 21.08.2024 consultable ici

Message du Conseil fédéral du 21.08.2024 consultable ici

Modification de la LAI consultable ici (version provisoire)

Modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité Intervention précoce intensive en cas de trouble du spectre de l’autisme – Rapport sur les résultats de la consultation (août 2024) disponible ici

 

Disturbi dello spettro autistico tra i bambini: garantire il finanziamento congiunto dell’assicurazione invalidità e dei Cantoni per l’intervento precoce, Comunicato stampa dell’UFAS del 21.08.2024 disponibile qui

Autismus-Spektrum-Störungen bei Kindern: gemeinsame Finanzierung der Frühintervention durch IV und Kantone sicherstellen, Medienmitteilung des BSV vom 21.08.2024 hier abrufbar

 

LCAI no 445 – Conséquences de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 : Détermination du revenu avec invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS

Lettre circulaire AI no 445 – Conséquences de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 : Détermination du revenu avec invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS

 

Lettre circulaire AI no 445 du 26.08.2024 consultable ici

 

Le 23 juillet 2024, le Tribunal fédéral a publié son arrêt 8C_823/2023 du 8 juillet 2024, ainsi que le communiqué de presse correspondant. Dans cet arrêt, le Tribunal fédéral parvient à la conclusion que l’art. 26bis al. 3 RAI, dans sa version en vigueur entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, se révèle trop restrictif dans certaines situations. Pour cette raison, il convient de faire appel, en complément de l’art. 26bis al. 3 RAI, à la jurisprudence appliquée par le Tribunal fédéral concernant l’abattement dû à l’atteinte à la santé (ATF 126 V 75 ; ATF 134 V 322).

L’arrêt du Tribunal fédéral est entré en force le 8 juillet 2024, le jour où il a été prononcé, et s’applique dès lors avec effet immédiat. Concernant le droit à la rente, les répercussions sont les suivantes

  1. Droits à la rente nés avant le 1er janvier 2022, pour lesquels la décision n’a pas encore été rendue : aucune conséquence

Pour les droits à la rente qui doivent être évalués pour la période avant le 1er janvier 2022, il convient de faire appel aux dispositions en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, ainsi qu’à la jurisprudence correspondante (y compris l’abattement dû à l’atteinte à la santé), raison pour laquelle l’arrêt du Tribunal fédéral reste ici sans conséquence (sous réserve d’une adaptation entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 suite à une révision ; cf. plus bas, ch. 2).

Les droits à la rente en cours le 1er janvier 2024 doivent être examinés au sens de l’al. 1 de la disposition transitoire du RAI relative à la modification du 18 octobre 2023. Si les conditions correspondantes sont remplies, seule la déduction forfaitaire est applicable (cf. ch. 3) et le droit à la rente doit, le cas échéant, être relevé avec effet rétroactif à compter du 1er janvier 2024.

 

  1. Droits à la rente nés entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, pour lesquels la décision n’a pas encore été rendue : application éventuelle d’un abattement dû à l’atteinte à la santé

Pour les droits à la rente qui prennent naissance entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023, il convient de tenir compte de l’arrêt du Tribunal fédéral, ce qui signifie que lors de la détermination du revenu avec invalidité sur la base de données statistiques, il faut également examiner la pertinence de l’application d’un éventuel abattement dû à l’atteinte à la santé conformément à la jurisprudence en vigueur avant le 1er janvier 2022. Cela signifie qu’en plus de la déduction de 10% pour le travail à temps partiel, il faut procéder à un éventuel abattement dû à l’atteinte à la santé, qui tient compte des autres caractéristiques, telles que les limitations qualitatives qui n’ont pas déjà pu être prise en compte lors de la détermination de la capacité fonctionnelle ou les années de service. La déduction pour travail à temps partiel doit être déterminée sur la base de l’art. 26bis al. 3 RAI et ne doit pas être prise en compte pour déterminer un éventuel abattement dû à l’atteinte à la santé (pas de double prise en compte du même facteur). L’abattement peut s’élever tout au plus à 25% (y compris une éventuelle déduction de 10% pour le travail à temps partiel) (ATF 126 V 75).

Il convient également de préciser que la mise en parallèle et la détermination de la capacité fonctionnelle doivent être réalisées conformément aux art. 26 al. 2 et 3 et 49 al. 1bis RAI (dans sa version en vigueur à partir du 1er janvier 2022).

Les mêmes règles s’appliquent aux droits à la rente qui ont dû être adaptés entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 suite à une révision ou à un octroi échelonné avec effet rétroactif. Il convient alors de tenir compte du droit intertemporel (cf. les lettres b et c des dispositions transitoires de la LAI relatives à la modification du 19 juin 2020 ; cf. aussi le chap. 9 «Dispositions transitoires» de la CIRAI).

Les droits à la rente en cours le 1er janvier 2024 doivent être examinés au sens de l’al. 1 de la disposition transitoire du RAI relative à la modification du 18 octobre 2023. Si les conditions correspondantes sont remplies, seule la déduction forfaitaire est applicable (cf. ch. 3) et le droit à la rente doit, le cas échéant, être relevé avec effet rétroactif à compter du 1er janvier 2024.

 

  1. Droits à la rente nés à partir du 1er janvier 2024, pour lesquels la décision n’a pas encore été rendue : aucune conséquence

Concernant les droits à la rente qui prennent naissance à compter du 1er janvier 2024, il convient de faire appel aux dispositions en vigueur à partir de cette même date. L’arrêt du Tribunal fédéral ne s’exprime qu’au sujet de l’art. 26bis, al. 3, RAI dans sa version en vigueur entre le 1er janvier 2022 et le 31 décembre 2023 et ne concerne donc pas la version en vigueur à partir du 1er janvier 2024. Lors de la détermination du revenu avec invalidité sur la base de valeurs statistiques, seule la déduction forfaitaire de 20% au maximum est prise en compte.

 

  1. Cas concernés par une décision entrée en force : pas de nécessité d’agir

Lorsqu’une décision concernant un droit à la rente est déjà entrée en force avant le 8 juillet 2024, l’arrêt du Tribunal fédéral n’oblige pas à revenir d’office sur la décision en question. Il ne constitue pas non plus un motif suffisant pour une nouvelle demande de rente ou pour une demande de révision du droit à la rente (art. 87 al. 2 et 3 RAI).

 

 

Lettre circulaire AI no 445 du 26.08.2024 « Conséquences de l’arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 : Détermination du revenu avec invalidité sur la base des salaires statistiques de l’ESS » consultable ici

IV-Rundschreiben Nr. 445 «Auswirkungen des Bundesgerichtsurteils 8C_823/2023 – Festlegung des Einkommens mit Invalidität anhand statistischer Einkommen der LSE» hier abrufbar

Lettera circolare AI n. 445 “Ripercussioni della sentenza del Tribunale federale 8C_823/2023 – Determinazione del reddito con invalidità in base ai salari statistici della RSS” disponibile qui

 

Cf. également la traduction par mes soins de l’arrêt 8C_823/2023 disponible ici.

 

 

8C_661/2023 (f) du 21.05.2024 – Rente d’invalidité et marché équilibré du travail – 28 al. 1 LAI – 16 LPGA / Nécessité d’un horaire de travail flexible pour une assurée atteinte d’une endométriose – Capacité de travail exigible de 50% sur le mois

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_661/2023 (f) du 21.05.2024

 

Consultable ici

 

Rente d’invalidité et marché équilibré du travail / 28 al. 1 LAI – 16 LPGA

Nécessité d’un horaire de travail flexible pour une assurée atteinte d’une endométriose – Capacité de travail exigible de 50% sur le mois

 

Assurée, née en 1991, est au bénéfice d’un diplôme d’études de commerce, d’un diplôme de Fitness Training Instructor ainsi que d’un diplôme et d’un certificat attestant d’une formation dans le domaine de l’immobilier. Le 23.04.2020, elle a demandé des prestations de l’assurance-invalidité en raison des conséquences d’une endométriose dont elle souffrait depuis l’âge de treize ans.

A la suite d’une instruction complémentaire, le SMR a conclu, le 05.05.2021, qu’il était raisonnablement exigible de retenir une capacité de travail d’au moins 50% dans une activité adaptée dès décembre 2019. Les limitations fonctionnelles étaient les suivantes : pas de port de charges ni de déplacements de longue durée, possibilité d’alterner différentes positions et d’accéder facilement à des toilettes et flexibilité des horaires. Il se fondait en particulier sur un rapport établi le 26.04.2021 par la Dre B.__, spécialiste FMH en médecine interne générale. L’assurée a fait un stage auprès des Établissements publics pour l’intégration (ci-après: les ÉPI) du 20.09.2021 au 19.12.2021 en tant qu’assistante administrative à raison de 20 heures par semaine. Dans le rapport subséquent établi le 03.03.2022, le maître de réadaptation professionnelle a conclu que l’assurée avait les capacités nécessaires pour exercer avec compétence et professionnalisme une activité dans le domaine administratif (secrétariat); le seul frein constaté au cours du stage avait été le grand nombre d’absences pour maladie, lesquelles nécessitaient une flexibilité d’horaires qui était impossible à réaliser dans l’économie ordinaire. La division de réadaptation professionnelle a proposé de retenir un taux d’invalidité de 55% pour l’assurée, en tenant compte d’un temps de travail raisonnablement exigible de 50% et d’un abattement de 10%, en raison du taux d’occupation. Le 09.06.2022, une conseillère en réadaptation professionnelle a précisé que durant le stage, aucune difficulté n’avait été observée sur le plan physique et que l’assurée n’avait pas formulé de plaintes. Ses absences étaient liées à son atteinte à la santé. Celle-ci influait l’horaire de travail et la nature des tâches, qui ne devaient pas être demandées dans des délais courts et urgents. Sur un marché du travail équilibré, l’assurée pourrait occuper un poste à 50% dans le domaine administratif en organisant son horaire sur le mois. Elle avait de très bonnes capacités d’adaptation sur des tâches complexes, une grande polyvalence et était rapidement autonome.

Par décision du 03.11.2022, l’OAI a octroyé à l’assurée une demi-rente d’invalidité fondée sur un taux de 55% dès le 01.12.2020, sous réserve des indemnités journalières déjà versées.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/671/2023 – consultable ici)

Par jugement du 06.09.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
On rappellera préalablement que l’invalidité consiste en une diminution des possibilités de gain de l’assuré sur un marché équilibré du travail si cette diminution résulte d’une atteinte à la santé et si elle persiste après les traitements et les mesures de réadaptation exigibles (cf. art. 7 al. 1 et 8 al. 1 LPGA).

Consid. 3.2
Chez les assurés actifs, le degré d’invalidité doit être déterminé sur la base d’une comparaison des revenus. Pour cela, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré (art. 16 LPGA). Aux termes de l’art. 28 al. 1 LAI (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021 [modification de la LAI du 19 juin 2020, Développement continu de l’AI; RO 2021 705]) déterminant en l’espèce (ATF 148 V 21 consid. 5.3 et les références), le droit à une rente d’invalidité présuppose notamment que l’assuré a présenté une incapacité de travail (art. 6 LPGA) d’au moins 40% en moyenne durant une année sans interruption notable et qu’au terme de cette année, il est invalide (art. 8 LPGA) à 40% au moins. Selon l’échelonnement des rentes prévu à l’art. 28 al. 2 LAI, l’assuré a droit à une rente entière s’il est invalide à 70% au moins, à un trois quarts de rente s’il est invalide à 60% au moins, à une demi-rente s’il est invalide à 50% au moins ou à un quart de rente s’il est invalide à 40% au moins.

Consid. 5
La notion de marché équilibré du travail est une notion théorique et abstraite qui sert de critère de distinction entre les cas tombant sous le coup de l’assurance-chômage et ceux qui relèvent de l’assurance-invalidité. Elle implique, d’une part, un certain équilibre entre l’offre et la demande de main d’œuvre et, d’autre part, un marché du travail structuré de telle sorte qu’il offre un éventail d’emplois diversifiés, tant au regard des exigences professionnelles et intellectuelles qu’au niveau des sollicitations physiques (ATF 110 V 273 consid. 4b; arrêts 9C_597/2018 du 18 janvier 2019 consid. 5.2; 9C_326/2018 du 5 octobre 2018 consid. 6.2).

Lorsqu’il s’agit d’examiner dans quelle mesure un assuré peut encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de gain sur le marché du travail entrant en considération pour lui (art. 7 al. 1 et 16 LPGA), on ne saurait subordonner la concrétisation des possibilités de travail et des perspectives de gain à des exigences excessives; cet examen s’effectue de façon d’autant plus approfondie que le profil d’exigibilité est défini de manière restrictive. Il s’ensuit que pour évaluer l’invalidité, il n’y a pas lieu d’examiner la question de savoir si un invalide peut être placé eu égard aux conditions concrètes du marché du travail, mais uniquement de se demander s’il pourrait encore exploiter économiquement sa capacité résiduelle de travail lorsque les places de travail disponibles correspondent à l’offre de la main d’oeuvre. On ne saurait toutefois se fonder sur des possibilités de travail irréalistes. Ainsi, on ne peut parler d’une activité exigible au sens de l’art. 16 LPGA, lorsqu’elle ne peut être exercée que sous une forme tellement restreinte qu’elle n’existe pratiquement pas sur le marché général du travail ou que son exercice suppose de la part de l’employeur des concessions irréalistes et que, de ce fait, il semble exclu de trouver un emploi correspondant (ATF 138 V 457 consid. 3.1; arrêts 9C_304/2018 du 5 novembre 2018 consid. 5.1.1; 9C_941/2012 du 20 mars 2013 consid. 4.1.1).

Consid. 6.1
Selon les constatations de la doctoresse B.__ telles que rapportées par la cour cantonale, l’assurée disposait d’une capacité de travail de 100% hors des périodes de crises. La doctoresse a ainsi proposé de retenir une capacité de travail réduite à 50% pour tenir compte des périodes de crises qui survenaient en général une fois par mois pendant quelques jours. D’un point de vue médical, une activité à 50% était envisageable si l’assurée pouvait bénéficier d’horaires flexibles sur un mois. La cour cantonale a encore relevé que les absences de l’assurée pendant le stage aux ÉPI avaient été plus fréquentes que celles avancées par la doctoresse B.__.

Consid. 6.2
On ne saurait suivre l’assurée lorsqu’elle soutient que les limitations fonctionnelles qu’entraînent son atteinte à la santé, en particulier la nécessité d’un horaire de travail flexible, rendent illusoire toute recherche d’emploi, y compris sur un marché de l’emploi réputé équilibré. On doit au contraire admettre qu’un tel marché du travail est suffisamment diversifié et qu’il comprend, dans le domaine administratif tout au moins, des emplois permettant d’organiser relativement librement son temps de travail sur le mois, pour un engagement à 50%. Ce n’était pas le cas lors du stage de trois mois aux ÉPI, où le taux d’activité de l’assurée avait d’emblée été limité à 20 heures par semaine, alors que selon les constatations médicales l’assurée avait une capacité de travail entière (8 heures par jour) en dehors de ses crises liées à l’endométriose. Cette capacité de travail a été fixée médicalement à 50% au lieu de 100% pour tenir compte de la flexibilité des horaires que requérait l’état de santé de l’assurée. Celle-ci dispose donc en réalité d’une capacité (fonctionnelle) totale de travail avec un rendement moyen sur le mois diminué de 50%, compte tenu de ses jours d’absence lors de crises.

Quant à l’argument selon lequel l’assurée avait chaque fois perdu ses emplois précédents en raison de son taux d’absentéisme pour des raisons de santé, il ne saurait davantage remettre en cause ses possibilités réelles de réinsertion sur le marché équilibré de l’emploi à 50%. Dans sa dernière activité professionnelle, l’assurée était engagée à 100% (ou 8 heures par jour; cf. questionnaire de l’assurance-invalidité pour l’employeur) et il ne ressort par ailleurs d’aucune autre pièce au dossier que l’assurée avait été engagée à un taux inférieur à 100% dans les autres emplois exercés précédemment. Par rapport à sa situation professionnelle antérieure, ses absences pour cause de maladie ne seraient désormais plus un obstacle financier pour un employeur potentiel.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_661/2023 consultable ici

 

8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication – Abattement sur le salaire statistique selon l’art. 26bis RAI (dans sa teneur dès le 01.01.2022 [DCAI]) / Interprétation par le TF des art. 28a al. 1 LAI et 26bis RAI (dans leur teneur dès le 01.01.2022 [DCAI])

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, destiné à la publication

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle, seul l’arrêt fait foi

 

Abattement sur le salaire statistique selon l’art. 26bis RAI (dans sa teneur dès le 01.01.2022 [DCAI])

Interprétation par le TF des art. 28a al. 1 LAI et 26bis RAI (dans leur teneur dès le 01.01.2022 [DCAI])

Début du droit à la rente d’invalidité et mesures de réinsertion / 28 al. 1 let. a LAI – 14a LAI

 

L’assuré, né en 1974, est arrivé en Suisse en décembre 1992 et a travaillé dans le secteur de la construction, en dernier lieu comme manœuvre depuis septembre 2006. Après un accident au genou en février 2018, il a déposé une demande AI en août 2018.

Une mesure d’intégration prévue en mai 2019 a été interrompue pour des raisons de santé. L’assuré a commencé un traitement psychiatrique fin mai 2019. Le contrat de travail a pris fin le 31.12.2019.

Une expertise pluridisciplinaire (médecine interne générale, pneumologie, psychiatrie et rhumatologie), réalisée le 10.06.2022, a conduit l’office AI, le 28.07.2022, à octroyer une rente entière à partir de février 2019 et une rente de 54% à partir de juin 2022. Après contestation, le projet de décision a été confirmée le 09.11.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2022.120 – consultable ici)

Par jugement du 31.08.2023, admission du recours par le tribunal cantonal, accordant à l’assuré une rente entière dès février 2019 et une rente de 59% d’une rente entière dès juin 2022.

 

TF

L’OFAS forme un recours contre ce jugement en demandant qu’une rente entière soit accordée à l’assuré à partir de juin 2019 et qu’une rente correspondant à 57% d’une rente AI entière soit accordée à partir de mai 2022.

Consid. 4 – Droit applicable
Dans le cadre du « développement continu de l’AI » (DCAI), la LAI, le RAI et la LPGA – notamment – ont été modifiés avec effet au 1er janvier 2022 (RO 2021 705 ; FF 2017 2535). La décision sur laquelle se fonde l’arrêt attaqué ici a été rendue après le 1er janvier 2022. Compte tenu du principe de droit intertemporel (cf. ATF 144 V 210 consid. 4.3.1), il convient de déterminer, selon la situation juridique en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021, si un droit à la rente a pris naissance jusqu’à cette date.

Selon la let. b des dispositions transitoires, les bénéficiaires de rente dont le droit à la rente est né avant l’entrée en vigueur de la présente modification et qui n’avaient pas encore 55 ans à l’entrée en vigueur de cette modification, la quotité de la rente ne change pas tant que leur taux d’invalidité ne subit pas de modification au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA. L’assuré, âgé de moins de 55 ans au 1er janvier 2022, tombe sous le coup de cette disposition. Il ne fait aucun doute que son état de santé psychique s’est considérablement amélioré après 2022 et qu’il y a donc lieu d’adapter sa rente. A cet égard, c’est donc le nouveau droit, en vigueur à partir du 1er janvier 2022, qui s’applique, comme l’a reconnu le tribunal cantonal en se référant à l’arrêt 8C_644/2022 du 8 février 2023 (consid. 2.2.3) ainsi qu’à la pratique administrative (ch. 9102 de la Circulaire sur l’invalidité et les rentes dans l’assurance-invalidité [CIRAI], valable à partir du 1er janvier 2022, état au 1er juillet 2022).

Consid. 5.1 (résumé)
Le tribunal cantonal a détaillé les bases juridiques concernant le début du droit à la rente en 2019 (art. 28 al. 1 let. b et c LAI, version jusqu’au 31.12.2021). Les constatations médicales de l’instance précédente ne sont pas contestées, notamment concernant les atteintes somatiques et psychiatriques de l’assuré. Le tribunal cantonal a accordé une valeur probante au rapport d’expertise pluridisciplinaire et s’est basé sur ses indications concernant la capacité de travail (cf. toutefois consid. 5.3 infra).

 

Consid. 5.2.1 (résumé) – Début du droit à la rente
L’OFAS conteste le début de la rente fixé à février 2019, arguant que le tribunal cantonal a violé le principe « la réadaptation prime la rente » (art. 28 al. 1 let. a LAI). L’office fédéral souligne qu’une mesure de réinsertion (art. 14a LAI) a été octroyée à l’assuré du 06.05.2019 au 02.08.2019, accompagnée d’une indemnité journalière versée à l’employeur. Selon l’OFAS, cela aurait dû être pris en compte pour déterminer le début du droit à la rente.

Consid. 5.2.2
C’est à juste titre que l’OFAS renvoie dans ce contexte à la jurisprudence selon laquelle une rente de l’AI ne peut être octroyée avant la mise en œuvre de mesures de réadaptation que si la personne assurée n’est pas ou pas encore apte à la réadaptation en raison de son état de santé, ce qui vaut également pour les mesures de réinsertion. Tant que de telles mesures peuvent être envisagées, le droit à une rente ne doit donc pas être examiné et une rente ne peut pas être accordée. Le fait que le droit à la rente ne puisse en principe naître qu’après la fin des mesures de réadaptation s’applique même si celles-ci n’ont eu qu’un succès partiel ou ont échoué. Il en va autrement après des mesures d’instruction qui doivent montrer si l’assuré est apte à la réadaptation et qui révèlent que ce n’est pas le cas ; dans ce cas, une rente peut être octroyée avec effet rétroactif (cf. ATF 148 V 397 consid. 6.2.4 et les références).

Tel est le cas en l’espèce. La mesure de réinsertion a été interrompue fin mai 2019 après seulement trois jours de présence de l’assuré, pour cause de maladie (arrêt à 100%). La raison pour laquelle aucune rente rétroactive n’aurait dû être accordée le 09.11.2022 dans ce contexte n’est pas claire, notamment au vu de l’expertise pluridisciplinaire sur la capacité de travail. La perception d’indemnités journalières n’y change rien. En effet, dans le cas présent, les indemnités journalières, versées par l’assurance-accidents et non par l’AI, ne s’opposent pas au droit à la rente selon l’art. 68 LPGA.

Consid. 5.3 (résumé)
L’OFAS conteste l’évaluation de l’évolution de la capacité de travail par l’instance cantonale, arguant qu’elle contredit l’expertise, notamment concernant l’amélioration constatée dès février 2022. Cependant, le tribunal cantonal a correctement noté l’absence de capacité de travail résiduelle de février 2018 à février 2022, suivie d’une capacité de 50% dans une activité adaptée. Bien que le tribunal ait fixé l’amélioration à mars 2022 plutôt qu’à février, cette décision, bien que potentiellement moins précise, reste défendable et non arbitraire.

Consid. 5.4 (résumé)
On peut ainsi considérer que l’assuré est, selon l’expertise pluridisciplinaire, en incapacité de travail à 100% depuis février 2018 dans son activité habituelle de manœuvre. Jusqu’en février 2022 inclus, il était également en incapacité totale de travail dans une activité adaptée. Et à partir de mars 2022, il dispose d’une capacité de travail de 50%.

Le tribunal cantonal a constaté les limitations fonctionnelles suivantes. En raison d’altérations dégénératives de la coiffe des rotateurs des deux épaules, l’assuré ne peut plus soulever, porter ou pousser des charges de plus de 5 kg, travailler au-dessus de la tête, ni effectuer des mouvements répétitifs des bras et des mains. En raison d’une pangonarthrose bilatérale, il lui est impossible de travailler principalement debout ou en marchant plus de 30 minutes consécutives, de se pencher en avant, de s’agenouiller ou de s’accroupir, ainsi que d’exercer des activités sur un terrain accidenté ou nécessitant de monter des escaliers ou des échelles. Seules les activités physiques légères, avec alternance des positions, sont exigibles. Les troubles dégénératifs des poignets et de la cheville droite n’entraînent pas de limitation significative. L’exposition à la poussière doit être évitée en raison de l’asthme bronchique, et une fatigue accrue limite l’exercice d’activités à risque de chute ou sur des machines dangereuses. D’un point de vue psychiatrique, l’assuré présente des limitations graves dans la flexibilité, l’adaptation et la capacité à travailler en groupe. Des limitations de degré moyen concernent l’adaptation aux règles, la planification des tâches, l’application des compétences, ainsi que les relations avec des tiers. L’assuré est légèrement limité dans ses activités spontanées.

 

Consid. 6.1
Après avoir écarté les griefs relatifs au début du droit à la rente et la date de l’amélioration de la capacité de travail (passant de 0% à 50% en mars 2022), il reste à examiner les conséquences professionnelles de cette évolution. Le point de litige principal concerne le droit à la rente à partir de juin 2022. Cette évaluation, dans le cadre d’une révision (cf. sur l’importance du droit de révision de l’octroi rétroactif d’une rente échelonnée : ATF 145 V 209 consid. 5.3 ; 133 V 263 consid. 6.1), doit se faire selon le droit en vigueur depuis janvier 2022, à savoir les dispositions légales du 19 juin 2020 et du 3 novembre 2021.

Consid. 6.2
Selon l’art. 28a al. 1, première phrase, LAI, l’évaluation du taux d’invalidité des assurés exerçant une activité lucrative est régie par l’art. 16 LPGA. Selon ce dernier article, pour évaluer le taux d’invalidité, le revenu que l’assuré aurait pu obtenir s’il n’était pas invalide est comparé avec celui qu’il pourrait obtenir en exerçant l’activité qui peut raisonnablement être exigée de lui après les traitements et les mesures de réadaptation, sur un marché du travail équilibré. Aux termes de l’art. 28 al. 1, deuxième phrase, LAI, le Conseil fédéral fixe les revenus déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité ainsi que les facteurs de correction applicables.

Sous le titre «Détermination de la quotité de la rente», l’art. 28b LAI a la teneur suivante : La quotité de la rente est fixée en pourcentage d’une rente entière (al. 1). Pour un taux d’invalidité compris entre 50 et 69%, la quotité de la rente correspond au taux d’invalidité (al. 2). Pour un taux d’invalidité supérieur ou égal à 70%, l’assuré a droit à une rente entière (al. 3). Pour un taux d’invalidité inférieur à 50%, la quotité de la rente est la suivante (al. 4) :

Taux d’invalidité Quotité de la rente
49% 47.5%
48% 45%
47% 42.5%
46% 40%
45% 37.5%
44% 35%
43% 32.5%
42% 30%
41% 27.5%
40% 25%

Consid. 6.3.1
Par délégation de compétence (art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI), le Conseil fédéral a édicté les art. 25, 26 et 26bis RAI, dans leur version du 3 novembre 2021, en vigueur depuis le 1er janvier 2022 (RO 2021 706).

Consid. 6.3.2
Selon l’art. 25 al. 1 RAI, est réputé revenu au sens de l’art. 16 LPGA le revenu annuel présumable sur lequel les cotisations seraient perçues en vertu de la LAVS, à l’exclusion toutefois des prestations accordées par l’employeur pour compenser des pertes de salaire par suite d’accident ou de maladie entraînant une incapacité de travail dûment prouvée (let. a) et des indemnités de chômage, des allocations pour perte de gain au sens de la LAPG et des indemnités journalières de l’assurance-invalidité (let. b).

L’al. 2 de l’art. 25 RAI précise que les revenus déterminants au sens de l’art. 16 LPGA sont établis sur la base de la même période et au regard du marché du travail suisse. Selon l’al. 3, si les revenus déterminants sont fixés sur la base de valeurs statistiques, les valeurs médianes de l’enquête suisse sur la structure des salaires (ESS) de l’Office fédéral de la statistique font foi. D’autres valeurs statistiques peuvent être utilisées, pour autant que le revenu en question ne soit pas représenté dans l’ESS. Les valeurs utilisées sont indépendantes de l’âge et tiennent compte du sexe. Enfin, l’al. 4 prescrit que les valeurs statistiques visées à l’al. 3 sont adaptées au temps de travail usuel au sein de l’entreprise selon la division économique ainsi qu’à l’évolution des salaires nominaux.

Consid. 6.3.3
Selon l’art. 26 RAI, le revenu sans invalidité (art. 16 LPGA) est déterminé en fonction du dernier revenu de l’activité lucrative effectivement réalisé avant la survenance de l’invalidité. Si le revenu réalisé au cours des dernières années précédant la survenance de l’invalidité a subi de fortes variations, il convient de se baser sur un revenu moyen équitable (al. 1). Si le revenu effectivement réalisé est inférieur d’au moins 5% aux valeurs médianes usuelles dans la branche selon l’ESS au sens de l’art. 25 al. 3 [RAI], le revenu sans invalidité correspond à 95% de ces valeurs médianes (al. 2). Conformément à l’art. 26 al. 3 RAI, l’al. 2 ne s’applique pas lorsque le revenu avec invalidité visé à l’art. 26bis al. 1 RAI est également inférieur d’au moins 5% aux valeurs médianes usuelles dans la branche selon l’ESS au sens de l’art. 25 al. 3 RAI (let. a) ou lorsque l’assuré exerçait une activité lucrative indépendante (let. b). Au sens de l’al. 4 de l’art. 26 RAI, si le revenu effectivement réalisé ne peut pas être déterminé ou ne peut pas l’être avec suffisamment de précision, le revenu sans invalidité est déterminé sur la base des valeurs statistiques visées à l’art. 25 al. 3 RAI pour une personne ayant la même formation et une situation professionnelle correspondante.

Consid. 6.3.4
Enfin, au centre du litige se trouve l’art. 26bis RAI concernant le revenu avec invalidité, dont la teneur est la suivante. Si l’assuré réalise un revenu après la survenance de l’invalidité, le revenu avec invalidité (art. 16 LPGA) correspond à ce revenu, à condition que l’assuré exploite autant que possible sa capacité fonctionnelle résiduelle en exerçant une activité qui peut raisonnablement être exigée de lui (al. 1). Si l’assuré ne réalise pas de revenu déterminant, le revenu avec invalidité est déterminé en fonction des valeurs statistiques visées à l’art. 25 al. 3 [RAI]. Pour les assurés visés à l’art. 26 al. 6 [RAI], des valeurs indépendantes du sexe sont utilisées, en dérogation à l’art. 25 al. 3 [RAI] (al. 2). Si, du fait de l’invalidité, les capacités fonctionnelles de l’assuré au sens de l’art. 49 al. 1bis [RAI] ne lui permettent de travailler qu’à un taux d’occupation de 50% ou moins, une déduction de 10% pour le travail à temps partiel est opérée sur la valeur statistique (al. 3).

 

Consid. 7.1 (résumé)
Le tribunal cantonal a déterminé le revenu sans invalidité pour 2022 à CHF 68’640, en se basant sur les données salariales de 2019 du dernier employeur et en les indexant selon l’évolution des salaires et la convention nationale du secteur de la construction. Il a renoncé à une parallélisation selon l’art. 26 al. 2 RAI, le revenu statistique n’étant que 3,48% supérieur au salaire effectif. Cette approche n’est pas contestée par les parties.

Consid. 7.2 (résumé)
Le tribunal cantonal a calculé le revenu d’invalide de l’assuré en utilisant les données statistiques de l’ESS 2020. Après correction de la durée de travail et de l’évolution des salaires, il a obtenu un revenu annuel hypothétique de CHF 66’073.30, soit CHF 33’036.65 pour une capacité de travail de 50%. Un abattement de 15% a été appliqué en raison des aspects «limitations liées au handicap», «travail à temps partiel» et «catégorie de séjour», portant le revenu d’invalide à CHF 28’080. Le taux d’invalidité est ainsi de 59%. Conformément à l’art. 88a al. 1 RAI, la rente entière a été réduite à 59% à partir de juin 2022.

Consid. 7.3 (résumé)
Dans cette évaluation du revenu d’invalide, qui est au cœur de la présente procédure de recours, le tribunal cantonal a accordé un abattement sur le salaire statistique conformément à la jurisprudence relative à l’ancien droit (en vigueur jusqu’à fin 2021), c’est-à-dire sans appliquer l’art. 26bis al. 3 RAI.

Le tribunal cantonal a justifié sa décision en examinant le matériel législatif, la jurisprudence actuelle et la pratique administrative (ch. 3414 CIRAI). Il a conclu que l’art. 26bis al. 3 RAI révisé ne respectait pas l’intention du législateur. Contrairement à l’avis de l’OFAS, le tribunal cantonal estime que la capacité de travail déterminée médicalement (cf. art. 54 al. 3 LAI concernant les SMR ; art. 49 al. 1bis RAI) ne peut pas évaluer l’exploitabilité de cette capacité sur le marché du travail équilibré. De même, la parallélisation (selon l’art. 26 al. 2 et 3 RAI) ne tient pas compte des facteurs économiques spécifiques à la maladie, et l’assuré n’en bénéficie d’ailleurs pas en l’espèce. Par conséquent, le tribunal cantonal a jugé que l’art. 26bis al. 3 RAI dépassait le cadre formel de la délégation légale. Il a donc choisi de suivre les directives de la jurisprudence actuelle, ce qui l’a conduit à appliquer un abattement de 15% sur le salaire statistique.

 

Consid. 8.1
L’OFAS conteste cet abattement et reproche au tribunal cantonal une violation de l’art. 26bis al. 3 RAI en relation avec l’art. 28a al. 1 LAI, étant donné que, selon ces dispositions, seule une déduction de 10% peut être accordée.

Consid. 8.2 (résumé)
L’OFAS soutient que le Conseil fédéral a établi dans le RAI une règle exhaustive concernant les facteurs de correction. Il n’y a pas d’indication que le Conseil fédéral était obligé de reprendre intégralement les règles de la jurisprudence actuelle sans les examiner. Les facteurs de correction créés par le Conseil fédéral sont considérés comme étant dans le cadre de la norme de délégation au sens large, qui n’a pas été remise en question lors du processus législatif parlementaire. Pour appuyer son argument, l’OFAS cite un arrêt du tribunal cantonal bernois (200 23 389 IV) du 5 septembre 2023, qui a pris une décision contraire à celle du tribunal cantonal de Bâle-Ville sur cette question.

Consid. 8.3.1 (résumé)
L’OFAS souligne que la codification de l’évaluation de l’invalidité est complexe et ne peut pas simplement transposer la jurisprudence actuelle dans une ordonnance générale. Des adaptations étaient nécessaires. Les nouvelles dispositions apportent des améliorations pour les assurés, comme une simplification du parallélisme et l’abandon de la réduction du revenu sans invalidité par tranches d’âge pour les invalides de naissance et précoces avant 30 ans. L’art. 49 al. 1bis RAI exige désormais une prise en compte médicale de toutes les restrictions fonctionnelles. L’OFAS estime que la jurisprudence actuelle laissait une marge d’appréciation trop large, ce qui pouvait augmenter les recours à la suite de l’introduction du droit à la rente linéaire.

Consid. 8.3.2 (résumé)
Selon l’OFAS, les facteurs «âge» et «années de service», jusqu’ici considérés par la jurisprudence, peut être supprimés à l’avenir, comme le suggèrent le tableau T17 de l’ESS et certains arrêts du Tribunal fédéral. Dans l’ensemble, le Conseil fédéral a pris en compte la jurisprudence actuelle dans sa nouvelle réglementation, intégrant la plupart de ses éléments, bien que parfois de manière différente ou à un autre endroit dans le processus d’évaluation.

Consid. 8.3.3 (résumé)
Les solutions forfaitaires ne sont pas inadmissibles en soi et le législateur n’est pas tenu de corriger toute inégalité de fait. L’abattement forfaitaire pour temps partiel de l’art. 26bis al. 3 RAI doit être considéré en lien avec les règles sur le parallélisme (art. 26 al. 2 et 3 RAI) et la prise en compte des limitations dues à l’état de santé dans le cadre de l’évaluation des capacités fonctionnelles (art. 49 al. 1bis RAI). Cette dernière permet une approche spécifique à chaque cas. Ainsi, la schématisation de l’abattement pour temps partiel peut être maintenue dans le respect de l’égalité de traitement constitutionnelle, l’office fédéral citant à nouveau l’arrêt du tribunal cantonal bernois [cf. consid. 8.2 supra].

Consid. 8.3.4
Pour compléter, l’OFAS renvoie enfin à l’adaptation de l’art. 26bis al. 3 RAI au 1er janvier 2024, en application de la motion 22.3377 «Utiliser des barèmes de salaires correspondant à l’invalidité dans le calcul du taux d’invalidité». Celui-ci a la teneur suivante : « Une déduction de 10% est opérée sur la valeur statistique visée à l’al. 2. Si, du fait de l’invalidité, l’assuré ne peut travailler qu’avec une capacité fonctionnelle au sens de l’art. 49, al. 1bis, de 50% ou moins, une déduction de 20% est opérée. Aucune déduction supplémentaire n’est possible.»

Par le biais de la motion, le législateur aurait confirmé qu’il souhaitait que le cadre de délégation soit lui-même interprété de manière large et que l’art. 26bis al. 3 RAI, tant dans sa version à partir de janvier 2022 que dans celle à partir de janvier 2024, s’avérerait conforme à la Constitution et à la loi. Les critiques formulées avec véhémence et légèreté à l’encontre de la nouvelle réglementation étonnent, de même que l’opinion que l’on entend régulièrement selon laquelle la jurisprudence actuelle relative à l’abattement reste applicable. Pour dissiper toute doute, le Conseil fédéral a explicitement précisé dans la modification entrée en vigueur le 1er janvier 2024 qu’aucune autre déduction n’était autorisée.

Consid. 8.3.5
L’office fédéral applique strictement l’art. 26bis al. 3 RAI, n’accordant qu’un abattement de 10% pour le travail à temps partiel. Cette réglementation est considérée comme exhaustive et positive, excluant toute autre déduction sur le revenu d’invalide. En conséquence, le revenu d’invalide de l’assuré est fixé à CHF 29’732.85. Il en résulte un degré d’invalidité de 57%.

 

Consid. 8.4 (résumé)
L’assuré conteste la suppression de l’abattement pour les «limitations liées au handicap» par le Conseil fédéral, estimant qu’elle dépasse le cadre de la délégation. Il argue que l’art. 49 al. 1bis RAI n’apporte rien de nouveau et que l’évaluation de l’exploitabilité de la capacité de travail relève du droit, non de la médecine. Il illustre son point de vue avec son cas, où les experts ont estimé sa capacité de travail à 50% sans considérer d’autres facteurs. L’assuré critique la schématisation du RAI comme trop générale face à la diversité des situations des assurés et affirme que la nouvelle réglementation du parallélisme ne compense pas la suppression de l’abattement.

 

Consid. 9.1
En ce qui concerne l’art. 26bis al. 3 RAI dans sa version du 3 novembre 2021, qui est seul en cause en l’espèce, édicté sur la base de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI – comme les art. 25 ss. et art. 49 RAI –, il s’agit d’un droit d’ordonnance dépendant, et ce non pas de nature exécutive, mais de nature législative (cf. ATF 145 V 278 concernant l’art. 39a RAI ainsi que, sur cette notion : Pierre Tschannen, Staatsrecht der Schweizerischen Eidgen, 5e éd. 2021, p. 613 ss. N. 1662 ss. et 1669 ss. ; Häfelin/Müller/Uhlmann, Allgemeines Verwaltungsrecht, 8e éd. 2020, p. 22 ss. n. 93 ss., p. 25 n. 110). Dans le cadre du pouvoir d’examen des normes qui lui revient à cet égard, le Tribunal fédéral doit notamment analyser si l’ordonnance reste dans les limites des pouvoirs conférés par la loi au Conseil fédéral (ATF 144 II 454 consid. 3.2 et 3.3 ; 143 V 208 consid. 4.3 ; 138 II 281 consid. 5.4 ; 137 III 217 consid. 2.3 et les références). Dans la mesure où la loi n’autorise pas le Conseil fédéral à déroger à la Constitution, le tribunal se prononce également sur la constitutionnalité de l’ordonnance dépendante.

Si la délégation légale confère au Conseil fédéral une très large marge de manœuvre pour la réglementation au niveau de l’ordonnance, cette marge de manœuvre est contraignante pour le Tribunal fédéral en vertu de l’art. 190 Cst. Dans un tel cas, le Tribunal fédéral doit se borner à examiner si les dispositions incriminées sortent manifestement du cadre de la délégation de compétence donnée par le législateur à l’autorité exécutive ou si, pour d’autres motifs, elles sont contraires à la loi ou à la Constitution ; il n’est pas habilité à substituer sa propre appréciation à celle du Conseil fédéral. Il peut notamment vérifier si une disposition de l’ordonnance peut être fondée sur des motifs sérieux ou si elle est contraire à l’art. 9 Cst. parce qu’elle est dépourvue de sens et de but, qu’elle établit des distinctions juridiques pour lesquelles aucun motif raisonnable n’apparaît dans les circonstances de fait ou qu’elle omet des distinctions qui auraient dû être faites à juste titre. Le Conseil fédéral est responsable de l’opportunité de la mesure ordonnée ; il ne revient pas au Tribunal fédéral de prendre position au sujet de l’adéquation économique ou politique (ATF 150 V 73 consid. 6.2 ; 146 V 271 consid. 5.2 ; 143 V 208 consid. 4.3 ; 140 II 194 consid. 5.8 ; 136 II 337 consid. 5.1 et les références; cf. aussi arrêt 9C_531/2020 du 17 décembre 2020 consid. 3.2.2.2, non publié in : ATF 147 V 70, mais in : SVR 2021 AVS n° 13 p. 39).

 

Consid. 9.2
La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si celle-ci est claire, c’est-à-dire dépourvue de toute ambiguïté, on ne peut s’en écarter que s’il existe une raison valable de supposer que le texte ne vise pas le «sens véritable» – le sens juridique – de la norme. La genèse de la disposition (historique), son but (téléologique) ou sa relation avec d’autres dispositions légales (systématique) peuvent donner lieu à une telle interprétation, notamment lorsque l’interprétation grammaticale conduit à un résultat que le législateur n’a pas pu vouloir ainsi (ATF 149 V 129 consid. 4.1 avec renvois).

En revanche, si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en tenant compte de tous les éléments d’interprétation (pluralisme pragmatique). Le but de la règle, les valeurs sur lesquelles elle repose ainsi que l’intérêt protégé dans lequel la norme s’inscrit sont déterminants. La genèse n’est certes pas directement déterminante, mais elle sert d’outil pour identifier le sens de la norme. Les matériaux revêtent une importance particulière, notamment pour l’interprétation de textes récents, qui se heurtent encore à des circonstances et à une compréhension du droit peu modifiées. Il est possible de s’écarter du texte lorsqu’il existe des raisons valables de penser qu’il ne reflète pas le véritable sens de la norme. Si plusieurs interprétations sont possibles, il faut choisir celle qui correspond le mieux à la Constitution. Toutefois, même une interprétation conforme à la Constitution trouve ses limites dans la clarté du texte et du sens d’une disposition légale (ATF 148 V 385 consid. 5.1 et les références ; 141 V 221 consid. 5.2.1 et les références ; 140 V 449 consid. 4.2 et les références).

Consid. 9.3
Le libellé de la norme de délégation de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI dont il est question ici semble d’emblée clair. Sous le titre «Évaluation du taux d’invalidité» et après le renvoi à l’art. 16 LPGA contenu dans la première phrase, il est précisé : «Le Conseil fédéral fixe les revenus déterminants pour l’évaluation du taux d’invalidité ainsi que les facteurs de correction applicables» («Der Bundesrat umschreibt die zur Bemessung des Invaliditätsgrades massgebenden Erwerbseinkommen sowie die anwendbaren Korrekturfaktoren» ; «Il Consiglio federale definisce i redditi lavorativi determinanti per la valutazione del grado d’invalidità e i fattori di correzione applicabili »).

Par rapport à la version en vigueur jusqu’à fin 2021, la nouvelle norme légale formelle est plus concrète dans la mesure où l’ancien droit se contentait de dire que le Conseil fédéral fixait «le revenu déterminant pour l’évaluation de l’invalidité» («das zur Bemessung der Invalidität massgebende Erwerbseinkommen»; “il reddito lavorativo determinante per la valutazione dell’invalidità”). Il n’était pas question de facteurs de correction. Ceux-ci existaient toutefois déjà depuis longtemps sur la base de la jurisprudence et ce sous deux formes : d’une part, en tant qu’abattement sur le salaire statistique en vue de corriger les valeurs statistiques utilisées notamment pour le calcul du revenu d’invalide depuis 1988 (cf. ATF 126 V 75 consid. 5a/aa avec référence au consid. 4b non publié de l’ATF 114 V 310). Il s’agissait ainsi de tenir compte du fait que d’autres caractéristiques personnelles et professionnelles d’une personne assurée, telles que l’âge, l’ancienneté dans l’entreprise, la nationalité ou la catégorie de séjour ou le taux d’occupation – comme le documentent les ESS – peuvent avoir des répercussions sur le montant du salaire, ce qui s’est consolidé en tant que jurisprudence, notamment à partir de l’année 2000 (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc et la référence à l’ATF 124 V 321 consid. 3b/aa ; sur la genèse de la jurisprudence, cf. également Meyer/Reichmuth, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Sozialversicherungsrecht, Bundesgesetz über die Invalidenversicherung [IVG], 4e éd. 2022, n. 104 ss. ad Art. 28a IVG). D’autre part, la jurisprudence a également établi la correction sous forme de parallélisme, qui doit notamment entrer en ligne de compte lorsque le revenu sans invalidité est nettement inférieur aux valeurs statistiques (ATF 134 V 322 consid. 4.1 ; 135 V 58 consid. 3.4.3, 135 V 297 consid. 5.1 ; sur les deux instruments de correction : ATF 148 V 174 consid. 6.3, 6.4 et 9.2.2 et sur le rapport entre les deux : ATF 146 V 16).

Consid. 9.4
Toutefois, considéré de manière précise, il ne peut être question d’un texte clair que pour le principe, mais pas pour le «comment». Le fait que le Conseil fédéral doive, selon l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI, décrire «les facteurs de correction applicables» et non pas simplement «les facteurs de correction» permettrait certes de comprendre que, selon le texte de la loi déjà, il s’agit de s’en tenir à ce qui était en vigueur selon la jurisprudence antérieure. Une telle continuité ne peut toutefois résulter que de la prise en compte du contexte et des antécédents et non de la formulation de la loi elle-même. Comme il s’agit ici d’un droit très récent, l’intention du législateur revêt une importance particulière (cf. consid. 9.2 supra). Cela rend indispensable la consultation des documents législatifs.

Consid. 9.4.1.1
L’un des éléments centraux du développement continu de l’AI est l’introduction d’un système de rentes linéaire, c’est-à-dire la suppression de l’échelonnement actuel, tout en conservant la valeur la plus basse (40%), le tout dans le but d’éliminer les incitations insuffisantes à l’exercice d’une activité lucrative pour les bénéficiaires de rentes assurés, afin de favoriser la réadaptation (cf. en détail le Message du 15 février 2017 relatif à la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [développement de l’AI], BBI 2017 2616 ss. ch. 1.2.4.6, 2638 ss. ch. 1.3.2 [en français : FF 2017 2442 ss ch. 1.2.4.6 et 2461 ss ch. 1.3.2]).

Concernant concrètement le projet de l’art. 28a al. 1 LAI, le message précise que la norme de délégation au Conseil fédéral apporte des précisions s’agissant de la fixation du revenu déterminant : le terme de «revenu déterminant» est employé au pluriel, puisqu’il englobe à la fois le revenu d’invalide et le revenu sans invalidité, dont la comparaison permet de calculer le taux d’invalidité au sens de l’art. 16 LPGA. La pratique définie dans la jurisprudence est inscrite dans le règlement (par ex. cas dans lesquels s’appuyer sur les valeurs effectives et ceux pour lesquels se référer aux barèmes de salaires, et barèmes à appliquer). Par ailleurs, le Conseil fédéral doit procéder aux corrections découlant de la jurisprudence pour ces revenus (par ex. critères à prendre en compte pour une déduction en raison du handicap et montant de la déduction correspondante) (en français : FF 2017 2493 ; en allemand : BBI 2017 2668 ; en italien : FF 2017 2324).

A un autre endroit, le message précise que le Conseil fédéral se voit attribuer la compétence d’introduire au niveau du RAI des règles et des critères élaborés par le Tribunal fédéral et qui sont nécessaires à l’évaluation du revenu d’invalide et du revenu sans invalidité (art. 28a, al. 1, P-LAI). Cette disposition a pour objectif de limiter la marge d’interprétation des offices AI et des tribunaux cantonaux dans la mise en œuvre. Elle doit permettre, d’une part, de garantir une unité de doctrine dans toute la Suisse et, d’autre part, d’éviter autant que possible les litiges portés devant les tribunaux à propos de l’évaluation de l’invalidité, d’autant qu’avec le système de rentes linéaire, chaque point de taux d’invalidité supplémentaire donne droit à une rente différente (en français : FF 2017 2549 ; en allemand : BBI 2017 2725 ; en italien : FF 2017 2382).

 

Consid. 9.4.1.2
Le texte de l’art. 28a al. 1 LAI présenté avec le projet de loi (en français : FF 2017 2570 ; en allemand : BBI 2017 2747 ; en italien : FF 2017 2405/i) correspondait déjà entièrement à celui qui est finalement devenu loi (cf. consid. 6.2 supra).

Dans les commissions comme dans les débats du Parlement, la question de principe de l’introduction – politiquement controversée – du système de rentes linéaire a été au centre des discussions (passage au système de rentes linéaire en tant que tel ; niveau des seuils, notamment pour la rente entière à 70% ou à 80% ; droits acquis pour les bénéficiaires de rentes actuels à 55 ou 60 ans). Aucune intervention n’a été faite sur la norme de délégation qui nous intéresse ici et sur les lignes directrices à respecter. Il convient toutefois de mentionner deux interventions : Le 19 septembre 2019, le conseiller aux Etats Joachim Eder a déclaré en tant que porte-parole de la commission : «Die Bemessung des Invaliditätsgrades bleibt grundsätzlich unverändert » [ndt : L’ évaluation du taux d’invalidité reste en principe inchangée] (BO 2019 p. 798). Lors de la même séance, le chef du département responsable, le conseiller fédéral Alain Berset, s’est également exprimé le même jour (BO 2019 p. 800) : « Cela dit, sur le principe, nous sommes convaincus que le pas vers un système de rentes linéaires est un pas qu’il faut faire pour créer un effet incitatif via la suppression des effets des seuils. Aussi, c’est un pas qu’il faut faire pour faire correspondre, dans la mesure du possible, le taux d’invalidité et la quotité de la rente, et rendre ainsi le système plus proche de la réalité, et plus compréhensible également, ainsi que (…) plus correct, plus juste, pour les assurés. Ce qu’il faut dire dans ce cadre, c’est que, sur le principe, l’évaluation du taux d’invalidité ne change pas. »

Consid. 9.4.2
Malgré l’article défini (« les […] facteurs de correction ») utilisé à l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI, il ne fait aucun doute que la mise en œuvre sous la forme de l’art. 26bis al. 3 RAI en relation avec l’art. 26 al. 2 et 3 RAI se situe, du seul point de vue du libellé de la loi, dans le cadre de la délégation ainsi définie.

Comme déjà indiqué, celui-ci est un peu plus restreint que dans la version précédente, sans toutefois préciser en quoi pourraient consister les facteurs de correction, étant entendu qu’il n’y a pas lieu de se prononcer ici sur la constitutionnalité de la norme légale en question (art. 190 Cst. ; ATF 145 V 129 consid. 4.4). En ce qui concerne le contenu ainsi ouvert, le matériel législatif ne laisse aucun doute sur le fait qu’il s’agit pour l’essentiel de reprendre la jurisprudence actuelle du Tribunal fédéral. Cette intention de réglementation ne découle certes que du message du Conseil fédéral – à l’exception des avis singuliers cités. Cela ne diminue en rien la portée des déclarations répétées (cf. consid. 9.4.1.1 supra). En effet, d’une part, le projet de norme de délégation dont il est question dans le message est devenu loi sans discussion et sans modification. D’autre part, les déclarations contenues dans le message semblent d’autant plus importantes que c’est précisément le futur législateur qui s’est exprimé. Le «message» ainsi transmis, à savoir que l’évaluation de l’invalidité elle-même restait inchangée, a peut-être aussi été la raison pour laquelle aucune discussion n’a eu lieu sur ce point au sein des commissions et des Chambres.

Consid. 9.4.3
Par rapport aux possibilités de correction existantes (cf. consid. 9.3 supra), que le Tribunal fédéral a à nouveau appréciées en détail dans l’ATF 148 V 174 et dont il a souligné l’importance, l’auteur de l’ordonnance a choisi une autre voie avec la disposition dont il est question ici. Même si cela ne s’impose pas d’emblée au vu du libellé, l’intention réglementaire affichée par l’auteur de l’ordonnance ne laisse aucun doute (cf. consid. 9.5.3 supra) : Au lieu de l’abattement à accorder sur la base d’une multitude de critères ou de caractéristiques différentes, qui ne devait pas être appliquée de manière schématique, qui ne devait pas être additionner en fonction de chaque caractéristique, mais fixée de manière globale et dont le taux était limité à 25% (ATF 148 V 174 consid. 6. 3, 419 consid. 5.3 ; 146 V 16 consid. 4.1 ; 134 V 322 consid. 5.2 ; 126 V 75 consid. b), il ne doit plus subsister qu’un seul critère avec la «déduction pour temps partiel», qui est accordée à partir d’une capacité de rendement de 50% ou moins et qui reste limitée à 10% (cf. art. 26bis al. 3 RAI). Cela représente une restriction considérable par rapport à l’éventail utilisé auparavant et existant pour l’essentiel depuis l’ATF 126 V 75 consid. 5a/cc, dont l’utilisation pratiquée au fil du temps a certes été critiquée dans la doctrine comme étant excessive et incohérente (Egli/Filippo/Gächter/Meier, Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung, Zurich 2021, p. 236 ss. N. 688 ss. ont identifié 17 caractéristiques dans la jurisprudence ; cf. également David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, Jusletter 21 novembre 2022 N. 104 ss). Cette constatation n’a certainement pas facilité la tâche du législateur et lui a laissé une marge de manœuvre pour une certaine schématisation et simplification. Lors de l’examen suivant, il convient donc, dans le sens d’une vue d’ensemble, de tenir compte du fait, souligné par le recours, que le Conseil fédéral a ancré d’autres «facteurs de correction» en plus de l’art. 26bis al. 3 RAI. Mais il convient tout autant de rappeler l’art. 16 LPGA, sur la base duquel (resp. déjà sur la base des normes précédentes dans les lois spéciales) s’est développée au fil des ans une jurisprudence abondante concernant différents aspects partiels (ATF 148 V 174 consid. 9.2 en relation avec consid. 6.2 – 6. 5 ; Margit Moser-Szeless, in : Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, N. 1 ad art. 16 LPGA), qui doit être attribuée au contenu normatif fixe de cette disposition et qui n’a en tout cas pas été supplantée dans tous ses éléments par la révision dont il est question ici (cf. Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 1 concernant l’art. 28a LAI in fine).

Consid. 9.5.1
En tant qu’assurance populaire, l’assurance-invalidité protège notamment contre les conséquences économiques de l’invalidité (cf. art. 41 al. 2 et 112 Cst.). En cas de survenue d’un cas d’assurance, c’est la ou les personnes assurées qui sont au centre des préoccupations : conformément à l’art. 43 LPGA, il s’agit de déterminer d’office (avec sa collaboration) son état de santé avec ses répercussions fonctionnelles et ses conséquences sur l’activité lucrative de la manière la plus précise possible, au degré de la vraisemblance prépondérante. Dans cette optique, le principe selon lequel, lors de la comparaison des revenus (art. 16 LPGA), la détermination du revenu sans invalidité et avec invalidité doit être aussi concrète que possible s’est établi dans la jurisprudence depuis de nombreuses années (ATF 148 V 419 consid. 5.2, ATF 148 V 174 consid. 6.2 et 9.2.2 ; 143 V 295 consid. 2.2 et 4.2.1 ; 135 V 297 consid. 5.2 ; 134 V 322 consid. 4.1 ; arrêts 8C_346/2022 du 14 février 2023 consid. 4.2 ; 8C_738/2021 du 8 février 2023 consid. 3.4.2.1 ; cf. en outre Meyer/Reichmuth, op. cit, n. 32 concernant l’art. 28a LAI, n. 49 et n. 81 ainsi que, explicitement, n. 93, tous concernant l’art. 28a LAI, chacun avec des références à la jurisprudence ; Moser-Szeless, op. cit., n. 17 et n. 30 concernant l’art. 16 LPGA). On ne peut se baser sur des valeurs empiriques et moyennes qu’en tenant compte des facteurs personnels et professionnels pertinents pour la rémunération dans le cas d’espèce (ATF 144 I 103 consid. 5.3 et les références ; 139 V 28 consid. 3.3.2 et les références). Dans la doctrine, il est également question dans ce contexte de détermination proche de la réalité et individuelle (cf. Egli/Filippo/Gächter/Meier, op. cit., p. 4, no 10 et les références).

Consid. 9.5.2
On ne voit pas pourquoi le droit révisé devrait s’écarter de ces prescriptions ; au contraire, l’art. 26 al. 1 ainsi que l’art. 26bis al. 1 RAI témoignent du fait qu’il faut continuer à se référer en priorité aux conditions concrètes d’emploi. Nonobstant, l’utilisation de données statistiques sur les salaires constitue dans le quotidien juridique, désormais ancrée dans le droit positif, un moyen auxiliaire indispensable pour l’évaluation de l’invalidité (art. 25 al. 3, 26 al. 4 ainsi que art. 26bis al. 2 RAI), et ce d’autant plus depuis que la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (Suva) a abandonné sa documentation des postes de travail (DPT) sans la remplacer (cf. concernant la DPT : ATF 139 V 592 ; 129 V 472), sans que l’on ait connaissance d’efforts visant à la poursuivre de la part d’autres parties. L’ordre de priorité figurant dans les dispositions citées ci-dessus précise également que, conformément à la jurisprudence, les statistiques sur les salaires doivent être utilisées à titre subsidiaire en tant qu‘ultima ratio lorsqu’il n’est pas possible de déterminer le revenu sans et/ou avec invalidité sur la base et en fonction des circonstances concrètes du cas d’espèce (ATF 142 V 178 consid. 2.5.7 et les références). Avec l’introduction du système de rentes linéaire, l’évaluation du degré d’invalidité au pourcentage près a pris une importance accrue par rapport aux échelonnements de rentes qui étaient déterminants auparavant (ATF 148 V 174 consid. 6.6). En conséquence, les facteurs de correction selon l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI revêtent une grande importance dans les cas d’espèce.

Consid. 9.5.3
En ce qui concerne les différents «facteurs de correction», il convient de constater ce qui suit.

Consid. 9.5.3.1
La position de l’OFAS, également défendue dans la présente procédure, est déjà illustrée dans son «rapport explicatif» après la procédure de consultation sur les dispositions d’exécution de la modification de la LAI (développement de l’AI) du 3 novembre 2021 (ci-après : OFAS, rapport explicatif). L’office y indique (en français : cf. p. 52 s. ; en allemand : p. 53 s.) que les limitations strictement dues au handicap (restrictions médicales à l’exercice d’une activité lucrative de nature quantitative et qualitative) doivent systématiquement être prises en compte pour l’appréciation de la capacité fonctionnelle de l’assuré (cf. art. 49 al. 1bis RAI). Par rapport à la solution actuelle, cette approche se révèle plus avantageuse pour les assurés puisque la limitation de l’abattement sur le salaire statistique en raison d’une atteinte à la santé à 25% est ainsi supprimée. Cette procédure tient davantage compte des restrictions dans la réalité de l’activité professionnelle que l’ancienne procédure avec une déduction forfaitaire en pourcentage («liée à l’affection») sur le revenu d’invalide (cf. feuille d’information du 4 avril 2022 «Calcul du degré d’invalidité dans le cadre du développement de l’AI», p. 3).

Consid. 9.5.3.2
On ne voit pas en quoi cela aurait créé une nouveauté par rapport à la situation antérieure. Le libellé de l’art. 49 al. 1bis RAI dans toutes les versions linguistiques (cf. consid. 6.3.4 supra) ainsi que les explications mentionnées en introduction se réfèrent clairement et exclusivement à la capacité de travail attestée médicalement et aux restrictions y relatives. Les médecins (du SMR) n’ont d’ailleurs pas à se prononcer sur d’autres points (cf. art. 54a al. 2 et 3 LAI), ce qui irait à l’encontre de la répartition des tâches entre les praticiens du droit et les médecins, soulignée depuis toujours par la jurisprudence (cf. ATF 140 V 193 concernant la capacité de travail ; arrêt 8C_809/2021 du 24 mai 2022 consid. 5.4 concernant l’exploitabilité de la capacité de travail résiduelle sur un marché du travail équilibré). Ainsi, il appartient au médecin de définir, outre la capacité de travail médico-théorique, un profil d’exigibilité et d’attester, par exemple, d’un rendement réduit, d’absences dues à la thérapie ou d’un besoin accru de pauses, et d’estimer ces derniers aspects – quantifiables – lors de l’estimation de la capacité de travail (cf. arrêt 9C_356/2018 du 12 octobre 2018 consid. 5, où cela a été pris en compte dans l’abattement).

En revanche, il échappe au domaine de compétence du médecin, défini tant sur le plan technique que légal (cf. art. 54a al. 2 et 3 LAI), de déterminer, en raison par exemple d’un profil d’exigibilité très restrictif, s’il en résulte, pour un potentiel de ressources en soi intact, une perte économique – du point de vue de l’aptitude à l’emploi – par rapport au salaire statistique de référence (cf. par exemple les arrêts 8C_683/2023 du 18 avril 2023 consid. 5.4 concernant la limitation à des activités légères avec diverses autres restrictions et – entre autres – des absences non prévisibles ; 8C_706/2022 du 5 décembre 2023 consid. 6.3.2.3 concernant un monomanuel avec d’autres restrictions qualitatives, mais avec un rendement complet ; 8C_297/2018 du 6 juillet 2018 consid. 4.3 se référant à un QI total de 73 ; 8C_19/2016 du 4 avril 2016 consid. 5.5.2 concernant le non-exercice de longue date de l’activité habituelle ; cf. également l’arrêt 9C_549/2012 du 7 mars 2013 consid. 3.3.2 ainsi que Meyer/Reichmuth, op. cit, n. 107 concernant l’art. 28a LAI avec d’autres références ; Kaspar Gerber, in : Thomas Gächter [éd.], Kommentar zum schweizerischen Sozialversicherungsrecht, IVG, Berne 2022, n. 153 s. concernant l’art. 28a LAI semble voir implicitement dans ce contexte des restrictions exclusivement justifiées par des raisons médicales). Ce genre de situation n’est pas rare dans la pratique. Rappelons à titre d’exemple les cas d’assurés manchots ou monomanuels dont le rendement n’est pas limité, mais dont le profil d’activité n’est plus utilisable que de manière restreinte et qui doivent de ce fait s’attendre à des pertes de salaire. Ce dernier cas relève du domaine des faits d’expérience juridiques et non de celui de la nécessité médico-théorique, raison pour laquelle il n’est pas possible d’en tenir compte par le biais de l’art. 49 al. 1bis RAI et qu’il convient plutôt de procéder à une correction normative (cf. sur la délimitation des compétences et sur l’ensemble : Gächter/Meier, Dichtung und Wahrheit im Umgang mit LSE-Tabellenlöhnen, Jusletter 4 juillet 2022 n. 58 ss, 62 ; cf. également Gabriel Hüni, Der Abzug vom tabellarischen Invalideneinkommen, Jahrbuch zum Sozialversicherungsrecht [JaSo] 2024 p. 78 ss, en particulier sur la répartition des tâches et les assurés monomanuels, p. 80).

Consid. 9.5.3.3
L’Office fédéral reconnaît un autre facteur de correction dans la parallélisation. Celle-ci vise le revenu de valide et, par rapport à la jurisprudence en vigueur jusqu’ici (cf. ATF 135 V 58 et 135 V 297), elle est désormais admise plus facilement (cf. art. 26 al. 2 et 3 RAI et consid. 6.3.3 supra), en ce sens que le motif de la réalisation d’un revenu modeste n’a plus d’importance. Dans la doctrine, cette nouveauté est saluée comme étant appropriée et la jurisprudence actuelle est considérée comme étant devenue sans objet (Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 127 ad art. 28a LAI avec renvois). Ces mêmes auteurs s’opposent en revanche – entre autres – au point de vue défendu dans le recours ainsi que dans la pratique administrative selon le ch. 3414 CIRAI [ndt : dans la version antérieure au 1er janvier 2024 ; dès cette date : ch. 3418 CIRAI], selon lequel les facteurs économiques qui existaient avant la survenance de l’atteinte à la santé (statut de séjour, nationalité, absence de formation, âge, nombre d’années de service, par ex.) sont pris en compte lors de la mise en parallèle du revenu sans invalidité (Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 129 ad art. 28a LAI).

En réalité, il arrive souvent que les facteurs en question, sans avoir eu auparavant – notamment en période de plein emploi – une influence significative sur le revenu sans invalidité, ne se traduisent par une diminution du salaire qu’en cas d’invalidité. Dans ce cas, conformément à l’art. 26 al. 2 RAI, la possibilité d’un parallélisme est supprimée (faute d’une différence de salaire d’au moins 5%), ce qui ne peut plus être compensé par un abattement sur le salaire statistique, conformément à la novelle contestée ici. C’est précisément sur ces fonctions différentes des deux facteurs de correction que le Tribunal fédéral a déjà attiré l’attention dans l’ATF 146 V 16 consid. 6.2.1, en ce sens que dans le cas de la parallélisation, il faut toujours examiner les aspects liés à la personne – déjà présents dans le cas en question – alors que, dans le cas de l’abattement en raison des limitations liées au handicap, ce sont les aspects liés à l’état de santé qui ne prennent effet qu’en présence de troubles à la santé qui sont au premier plan (cf. Gächter/Meier, op. cit., ch. 54 ss ainsi que Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 3 concernant l’art. 28a LAI).

Dans ce contexte, la précision, dans le recours, qu’il s’agirait de toute façon d’aspects étrangers à l’invalidité n’est pas non plus pertinente. Ce qui est déterminant, c’est plutôt le fait qu’ils ne se manifestent souvent qu’en cas d’atteinte à la santé et qu’ils sont donc bel et bien liés à l’invalidité (cf. Gächter/Meier, op. cit., n. 55 concernant le manque de formation et d’expérience). Ainsi, l’art. 26 al. 2 RAI peut certes avoir un effet correctif là – et seulement là – où la personne assurée était déjà désavantagée par les facteurs mentionnés avant la survenance de l’atteinte à la santé, mais pas précisément dans les cas où elle est tenue de changer d’activité en raison de son état de santé et où ce n’est qu’après qu’elle subit des désavantages salariaux par rapport aux personnes en bonne santé.

Consid. 9.5.3.4.1
De l’avis de l’office fédéral recourant, les facteurs «âge» et «années de service» ne sont plus importants. Se référant au tableau T17 de l’ESS (salaire mensuel brut [valeur centrale] selon les groupes de professions, l’âge et le sexe), il estime que le facteur de l’âge n’a dans aucune catégorie un effet réducteur sur le salaire. Selon la jurisprudence, l’importance du facteur de l’ancienneté diminue également dans le secteur privé, plus le profil d’exigences est faible et des rapports de travail prolongés avec un même employeur peuvent aussi avoir un impact positif sur le salaire initial auprès du nouvel employeur (cf. OFAS, rapport explicatif [p. 52 en français ; p. 54 en allemand]). Il est en revanche admis que le facteur de l’âge peut être pris en compte lors de l’examen de la mise en œuvre de la capacité de travail résiduelle sur un marché du travail équilibré (ibid., note 89 [ndt : dans la version allemande ; en français, la nbp 88 ne cite que l’arrêt du TF]).

Consid. 9.5.3.4.2
En ce qui concerne ce dernier point, la position de l’office fédéral, bien que justifiée sur le fond, ne semble finalement pas cohérente, bien qu’il faille séparer les deux aspects, ici l’inaptitude à l’emploi en raison de l’âge, là la perte de salaire (cf. à ce sujet Meyer/Reichmuth, op. cit., n. 114 ad art. 28a LAI ; Ionta, op. cit., n. 203 p. 49). D’autre part, il est vrai que la jurisprudence a souligné dans un grand nombre de cas que l’importance des années de service dans le secteur privé diminue à mesure que le profil d’exigences est moins élevé (ATF 126 V 75 consid. 5a/cc et la référence ; cf. p. ex. arrêt 8C_438/2022 du 26 mai 2023 consid. 4.3.5). De même, de nombreux arrêts considèrent que, notamment dans le domaine des travaux auxiliaires sur un marché du travail hypothétiquement équilibré, un âge avancé n’a pas nécessairement d’effet sur le salaire, d’autant plus que ce type de travaux est justement demandé indépendamment de l’âge (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1 et les références ; arrêts 8C_215/2023 du 1er février 2024 consid. 5.2.2.2 ; 8C_375/2023 du 12 décembre 2023 consid. 7.4).

Dans ce contexte, le Tribunal fédéral n’argumente plus depuis longtemps sur la base des statistiques salariales citées dans le recours (TA9 et T17), qui font état d’une augmentation de revenu à un âge avancé (cf. à ce sujet Ionta, op. cit. p. 50 n. 207 ss.). Il a plutôt laissé explicitement ouverte la question de savoir si et dans quelle mesure ces valeurs statistiques, obtenues pour l’essentiel à partir de rapports de travail stables et de longue durée, notamment dans la tranche d’âge supérieure, s’appliquent également aux assurés qui, en raison de leur invalidité, doivent se réorienter à un âge avancé (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1). Il a toutefois reconnu dans le même temps que les données statistiques disponibles ne permettaient pas non plus d’étayer de manière générale le contraire – à savoir un revenu inférieur à la moyenne pour les assurés dont la durée d’activité jusqu’à la retraite est courte (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1). Dans la doctrine, on fait remarquer à ce sujet qu’en raison de l’âge avancé, la flexibilité pour apprendre une nouvelle activité diminue fortement. En outre, les travailleurs âgés doivent supporter des charges salariales accessoires plus élevées sous la forme de cotisations patronales plus importantes, ce qui rend plus difficile pour eux de réaliser des salaires (médians) initiaux élevés dans un nouvel emploi (Gächter/Meier, op. cit., p. 19 n. 56). La jurisprudence n’a pas admis cet argument en invoquant l’absence de preuves statistiques de pertes correspondantes (cf. arrêts 8C_627/2021 du 25 novembre 2021 consid. 6.2 ; 8C_841/2017 du 14 mai 2018 consid. 5.2.2.3 ; 8C_439/2017 du 6 octobre 2017 consid. 5.6.4 et les références). Tout cela ne change toutefois rien au fait qu’il existe bel et bien des exemples dans la pratique où le facteur de l’âge a été pris en compte dans le cadre d’une appréciation globale et a conduit à l’octroi ou à la confirmation d’un abattement sur le salaire statistique (arrêts 8C_444/2021 du 29 avril 2022 consid. 4.3.3 ; 9C_470/2017 du 29 juin 2018 consid. 4.2 ; 9C_242/2012 du 13 août 2012 consid. 3 ; 9C_390/2011 du 2 mars 2012 consid. 3 ; 9C_1030/2008 du 4 juin 2009 consid. 3 ; autres exemples chez Egli/Filippo/Gächter/Meier, op. cit. n. 502-528). Ce que la jurisprudence rejette, c’est un automatisme selon lequel une déduction est accordée sans autre à partir d’une certaine limite d’âge (ATF 146 V 16 consid. 7.2.1 ; cf. également SVR 2021 IV no 77, 9C_497/2020 consid. 5.2.2). En ce qui concerne le critère en question, ce sont toujours les circonstances concrètes du cas qui sont déterminantes et qui doivent être prises en compte dans l’appréciation (cf. ATF 146 V 16 consid. 7.2.1).

Consid. 9.5.3.4.3
Le Tribunal fédéral s’est prononcé dans le même sens en ce qui concerne l’ancienneté dans l’entreprise : un salaire inférieur au salaire médian en raison de l’absence d’années de service ou d’ancienneté dans l’entreprise n’est pas pris en compte. Il ne faut pas tenir compte sans autre d’un revenu brut inférieur à la valeur médiane pour le taux de l’abattement sur le salaire statistique, mais il faut également tenir compte dans de tels cas de la durée d’activité restante jusqu’à l’âge de la retraite AVS (arrêt 9C_339/2021 du 27 juillet 2022 consid. 4.5.4.3 ; Andreas Traub, Auslaufmodell « leidensbedingter Abzug », SZS 2022 p. 320 s.).

Consid. 9.5.3.4.4
Dans ce contexte, il n’est pas convaincant que l’office fédéral nie d’emblée toute pertinence aux aspects liés à l’âge ainsi qu’à ceux de l’ancienneté dans l’entreprise.

Consid. 9.5.3.5
Dans la mesure où l’office recourant se réfère ensuite à l’adaptation de l’art. 26bis al. 3 RAI intervenue à la suite de la motion 22.3377 (cf. consid. 8.3.4 supra), par laquelle le législateur aurait pour sa part montré qu’il souhaitait que le cadre de délégation de l’art. 28a al. 1 LAI soit interprété de manière large, il en résulte ce qui suit.

Consid. 9.5.3.5.1
L’application de cette disposition, adoptée le 18 octobre 2023, n’est pas en cause en l’espèce en raison de son entrée en vigueur le 1er janvier 2024 (RO 2023 635). Néanmoins, elle ne peut pas être ignorée ici. En effet, il est vrai que la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national, en tant qu’auteur de cette motion 22.3377 déposée le 6 avril 2022, se réfère à l’art. 28a al. 1 LAI ainsi qu’à l’art. 26bis RAI. Il n’est cependant pas approprié d’y voir une interprétation authentique du cadre de délégation, ni même une approbation juridiquement significative de la mise en œuvre par le Conseil fédéral.

Au contraire, il est frappant de constater que le texte de la motion contient une critique rarement vue dans sa clarté à l’égard de l’auteur de l’ordonnance, qui, malgré les avertissements de la jurisprudence (cf. ATF 142 V 178 consid. 2.5.8 ; 139 V 592 consid. 7.4) et de la doctrine, et contrairement à l’appel lancé par la motionnaire elle-même pour développer une nouvelle base d’évaluation, a «scellé cette pratique contestée» avec l’art. 25 al. 3 RAI. L’objectif principal de la motion était donc de demander le développement de bases de calcul spécifiquement adaptées aux besoins de l’évaluation de l’invalidité, en tenant compte de la proposition de la Prof. Em. Riemer-Kafka et du Dr. phil. Schwegler (cf. «Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn», SZS 2021 p. 287 ss), après que l’OFAS et le Conseil fédéral ont laissé entrevoir des résultats sur la faisabilité et des propositions concrètes au plus tôt pour 2025 (cf. la prise de position du Conseil fédéral du 25 mai 2022 ainsi que celle du 16 février 2022 en réponse à l’interpellation 21.4522 du CE Hannes Germann « Pourquoi le Conseil fédéral n’a-t-il pas tenu compte des avis exprimés lors de la procédure de consultation sur les barèmes de salaires utilisés par l’AI?»). Après l’adoption de la motion le 1er juin 2022, le Conseil national a suivi le Conseil des Etats le 14 décembre 2022 et a repris la version modifiée par ce dernier le 26 septembre 2022 : le Conseil fédéral a donc reçu le mandat de « mettre en œuvre, d’ici au 31 décembre 2023, une base de calcul qui, lors de la détermination du revenu avec invalidité au moyen de valeurs statistiques, tient compte des possibilités de revenu réalistes des personnes atteintes dans leur santé » (BO 2022 p. 922 s. ; BO 2022 p. 2366 ss).

Consid. 9.5.3.5.2
Dans l’ATF 148 V 174 [cf. ma traduction ici], le Tribunal fédéral a lui aussi reconnu que le Conseil fédéral devait prendre des mesures pour développer des salaires de référence conformes à l’invalidité et qu’il avait entrepris des démarches dans ce sens (cf. consid. 9. 2), ceci après avoir pris connaissance des études BASS AG du 8 janvier 2021 (auteurs : ürg Guggisberg, Markus Schärrer, Céline Gerber et Severin Bischof), de l’avis de droit «Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung» du 22 janvier 2021 et des conclusions qui en découlent «akten oder Fiktion? Die Frage des fairen Zugangs zu Invalidenleistungen. Schlussfolgerungen aus dem Rechtsgutachten ‘Grundprobleme der Invaliditätsbemessung in der Invalidenversicherung» du 27 janvier 2021 (tous deux de Gächter/Egli/Meier/Filippo) ainsi qu’avec la contribution précitée de Riemer-Kafka/Schwegler. Dans ce contexte, il a rejeté une modification de sa jurisprudence relative à l’utilisation des salaires statistiques, notamment au motif que les instruments de correction utilisés jusqu’à présent (en particulier un abattement sur les salaires statistiques pouvant aller jusqu’à 25%) permettaient également de tenir compte des écarts relevés au moyen des statistiques corrigées (loc. cit.). Et pour finir, il a explicitement considéré qu’une modification de la jurisprudence ne serait pas opportune, précisément dans la perspective du droit révisé en vigueur depuis le 1er janvier 2022. Même si la situation juridique concernant la détermination du revenu d’invalide des personnes atteintes dans leur santé n’est pas entièrement satisfaisante, il convient de retenir – selon le Tribunal fédéral – que la critique fondamentale formulée dans l’avis de droit du 22 janvier 2021 et dans les conclusions du 27 janvier 2021 vise essentiellement des parties de la révision dans le domaine du DCAI (ATF 148 V 174 consid. 9.3).

Consid. 9.5.3.6
Pour conclure, il convient d’attirer l’attention sur deux autres aspects qui ne sont mentionnés ni dans l’arrêt attaqué ni dans le recours, mais qui ne sauraient être passés sous silence ici.

Consid. 9.5.3.6.1
Concernant le revenu d’invalide déterminé sur la base des statistiques, le seul facteur de déduction «travail à temps partiel» de 10% qui subsiste selon l’art. 26bis al. 3 RAI, dans la version applicable en l’espèce, ne fait pas de différence selon qu’il s’agit d’une personne exerçant une activité lucrative à plein temps ou seulement à temps partiel. Dans les deux cas, la comparaison des revenus doit être effectuée par rapport à une activité à plein temps. C’est l’évaluation de la capacité fonctionnelle qui est déterminante. Si celle-ci est de 50% ou moins pour une activité à plein temps, la déduction est accordée sans tenir compte du taux d’occupation (cf. ch. 3418 CIRAI [ndt : dans sa version antérieure au 01.01.2024] ; OFAS, rapport explicatif [ndt : p. 52 en français ; p. 54 en allemand]). Dans son commentaire, Kaspar Gerber (op. cit., n. 151 concernant l’art. 28a LAI) indique que cette déduction forfaitaire ne peut pas, dans certains cas, s’appuyer sur la table T18 de l’ESS, déterminante à cet égard, et qu’une solution plus différenciée, avec davantage d’échelons séparés par sexe, aurait été indiquée. De plus, l’abattement pour travail à temps partiel dissocie la capacité de travail partielle encore raisonnablement exigible de la présence temporelle, bien que les configurations (travail à temps partiel pour des raisons de santé et activité à temps plein avec une capacité de rendement réduite) ne soient pas comparables (cf. arrêt 9C_708/2009 du 19 novembre 2009, consid. 2.5.1 et les références).

Consid. 9.5.3.6.2
D’un point de vue fondamental, les éléments suivants sont en outre importants. Le législateur lui-même n’a pas abordé la thématique dont il est question ici de manière générale, mais dans une loi spéciale, et ce exclusivement dans le cadre de la LAI. Cela est surprenant dans la mesure où il s’agit de l’évaluation de l’invalidité selon l’art. 16 LPGA (cf. art. 28a al. 1, première phrase, LAI), qui s’applique non seulement directement à l’assurance-invalidité, mais également au domaine de l’assurance-accidents sociale ainsi qu’à l’assurance militaire et – indirectement via l’art. 23 LPP – aussi à celui de la prévoyance professionnelle (cf. à ce sujet de manière générale : Moser-Szeless, op. cit., N. 7 ss ad art. 16 LPGA; Frey/Lang, in: Basler Kommentar zum Allgemeinen Teil des Sozialversicherungsrechts, 2020, N. 2 zu Art. 16 ATSG; avec référence à la situation juridique avant la LPGA : Ueli Kieser, ATSG-Kommentar, 4. Aufl. 2020, N. 10 zu Art. 16 ATSG; cf. ensuite N. 133 ss, 156 concernant l’uniformité du degré d’invalidité). Du point de vue de l’unité nécessaire de l’ordre juridique, à laquelle il convient d’accorder de l’importance dans le cadre d’une interprétation systématique (ATF 147 V 114 consid. 3.3.1.4 ; 143 II 8 consid. 7.3 et les références), cela soulève des questions de grande portée et très pertinentes pour la pratique. En particulier dans le domaine du droit de l’assurance-accidents, les principes connus du droit de l’assurance-invalidité sont appliqués quotidiennement par analogie lors de l’évaluation de l’invalidité (cf. parmi d’autres : ATF 148 V 419 consid. 5.2). La question de savoir comment cela doit être traité sous le régime du RAI révisé (et en l’absence d’équivalent au niveau de l’OLAA) reste ouverte. Dans le même temps, la question se pose de savoir ce que cela signifie pour l’interprétation de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI qui fait l’objet du présent litige.

 

Consid. 10
Après cet état des lieux, il faut procéder à une évaluation et à une synthèse finales.

Consid. 10.1
Au regard des principes établis par la jurisprudence antérieure, notamment depuis l’ATF 126 V 75, l’art. 26bis al. 3 RAI (dans sa version du 3 novembre 2021), qui est le seul à être examiné ici, ne pourrait pas être maintenu selon l’interprétation défendue par l’OFAS, car cela abandonnerait largement la possibilité d’abattement sur le salaire statistique qui existait jusqu’ici. Toutefois, rien dans le texte de la loi n’empêche formellement le législateur d’édicter une telle ordonnance. En effet, malgré le texte de l’art. 28a al. 1 LAI («les facteurs de correction»), le Conseil fédéral conserve une large marge de manœuvre dans la mise en œuvre et sa concrétisation. Dans ce contexte, les documents législatifs, et en particulier le «message» littéralement transmis par le Conseil fédéral avec le projet de loi (cf. consid. 9.4.1.1 supra) ainsi que les rares interventions pertinentes lors des débats parlementaires (cf. consid. 9.4.1.2 supra), revêtent une importance particulière. Les références à la jurisprudence et au Tribunal fédéral, ainsi que l’indication que la méthode de détermination du degré d’invalidité resterait fondamentalement inchangée, suggèrent que le législateur avait et pouvait avoir d’autres attentes quant à la mise en œuvre dans le RAI de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI.

Consid. 10.2
Les efforts visant à obtenir un résultat aussi concret possible dans l’évaluation de l’invalidité en fonction du cas d’espèce, tels que reflétés dans la jurisprudence relative à l’art. 16 LPGA (cf. consid. 9.5.1 supra), n’ont pas été restreints par la récente révision de la LAI. De même, la nécessité des facteurs de correction, confirmée par le législateur formel et sous-tendant la jurisprudence antérieure, n’est pas remise en question. Cela s’explique par le fait que les valeurs centrales saisies dans les statistiques salariales ne peuvent pas être utilisées « telles quelles » [ndt : en français dans l’arrêt] comme revenu d’invalidité, c’est-à-dire sans correction et sans tenir compte des circonstances concrètes du cas (cf. déjà BBI 2017 2668 ; cf. également FF 2017 2493/f et FF 2017 2324/i ; consid. 9.3, 9.4.3 et 9.5.3.5.2 supra). C’est ce que confirme notamment de manière marquante l’adaptation de l’art. 26bis al. 3, première phrase, RAI, entrée en vigueur le 1er janvier 2024, à la suite de la motion 22.3377 (cf. consid. 9.5.3.5.1 supra).

Consid. 10.3
Un autre élément d’interprétation important est l’unité de l’ordre juridique à laquelle il faut aspirer (cf. consid. 9.5.3.6.2 supra), qui revêt ici une importance particulière, car il s’agit de l’application d’une norme fédérale qui vise l’harmonisation (art. 16 LPGA) et qu’il s’agit de conséquences dans un contexte matériel étroit (en matière de droit des assurances sociales). En effet, parce que le législateur a placé la délégation pour l’adoption de règlements supplétifs au niveau de la loi spéciale, dans le domaine de l’évaluation de l’invalidité qui doit être réalisée selon des règles uniformes entre les différentes branches (cf. art. 16 LPGA, auquel renvoie précisément l’art. 28a al. 1, première phrase, LAI), des limites sont fixées au pouvoir réglementaire. Il ne peut ainsi pas légiférer d’une manière qui, par rapport à l’ordre existant et a fortiori par rapport aux autres branches (non incluses dans la révision), présente des différences importantes et injustifiables sur le fond. Selon l’interprétation de l’art. 26bis al. 3 RAI telle que défendue par l’autorité de surveillance, c’est-à-dire comme une réglementation exhaustive concernant l’abattement proprement dit sur le salaire statistique (ch. 3414 CIRAI), l’invalidité ne pourrait plus être évaluée de manière identique dans le domaine de l’assurance-accidents et de l’assurance militaire (également fondé sur un système de rente linéaire [ndt : au pour-cent près]). Il est difficile d’imaginer que l’on puisse remédier à cela par voie de jurisprudence praeter legem («en dehors de la loi») en appliquant par analogie l’art. 26bis al. 3 RAI. Une telle coexistence de différentes méthodes de correction conduirait, selon la branche, à des résultats divergents dans un nombre non négligeable de cas, sans qu’aucune raison objective ne puisse être identifiée.

 

Consid. 10.4
D’autres réflexions, notamment sur le contenu et le but, viennent s’y ajouter. A cet égard, on peut noter d’emblée que l’OFAS semble également s’orienter de son côté vers un critère d’évaluation de l’«adéquation» [« Sachgerechtigkeit »] (cf. consid. 8.3.3 supra).

Consid. 10.4.1
Il convient tout d’abord de préciser qu’il ne s’agit pas de questions d’équité économique ou politique, sur lesquelles le Tribunal fédéral n’a pas à se prononcer (cf. consid. 9.1 supra). Il s’agit plutôt du sens et de l’objectif des dispositions concernées, à savoir l’art. 28a LAI en lien avec l’art. 16 LPGA, ainsi que de la pratique établie par la concrétisation judiciaire des normes (cf. Meyer/Reichmuth, N. 16 ad Art. 28a IVG). En d’autres termes, l’art. 26bis al. 3 RAI doit être examiné non seulement pour vérifier s’il s’inscrit dans le cadre de la délégation et s’il ne viole pas le droit constitutionnel fédéral (notamment l’art. 8 al. 1 et l’art. 9 Cst.), mais aussi pour sa compatibilité avec d’autres dispositions (légales) fédérales (cf. consid. 9.1 supra).

Consid. 10.4.2
Le Tribunal fédéral ne méconnaît pas que le passage au système de rente linéaire a fondamentalement transformé le droit des rentes de l’AI. Cependant, cela n’implique pas un véritable changement de paradigme, comme le montre le fait que ce même système fonctionne depuis longtemps dans d’autres branches de l’assurance sociale. Il n’est donc pas justifié de motiver la suppression quasi totale de l’abattement sur le salaire statistique par ce changement de système (cf. consid. 9.5.2 supra). En particulier, le système de rente linéaire ne rend pas obsolète la nécessité de facteurs de correction efficaces. D’une part, un seuil d’accès inchangé de 40%, qui reste élevé, pour le droit à la rente AI nécessite des bases de calcul précises. D’autre part, des données statistiques sur les salaires insuffisamment corrigées ne permettent pas non plus d’atteindre la précision recherchée par le système de rente linéaire. Enfin, vouloir limiter le nombre de litiges par le biais d’une réglementation uniforme ne s’avère pas réaliste non plus. De nouvelles réglementations conduisent inévitablement à l’émergence de nouveaux domaines de conflit et de litiges correspondants, sans qu’il soit possible de prévoir de manière fiable leur ampleur.

Il est toutefois compréhensible de vouloir délimiter au niveau réglementaire le large pouvoir d’appréciation de l’utilisateur du droit. Cela nécessite une certaine schématisation et standardisation. Cela porte atteinte à l’objectif de l’art. 16 LPGA, qui vise une évaluation aussi précise que possible des revenus à comparer, mais doit être accepté pour éviter également une application inégale du droit dans un cadre approprié.

Consid. 10.4.3
Dans le présent contexte, des limites s’imposent nécessairement à l’auteur de l’ordonnance, en dehors de l’arbitraire et de l’inégalité de traitement déjà interdits, lorsque ses dispositions contreviennent à des buts légaux. C’est le cas en l’occurrence de l’art. 26bis al. 3 RAI critiqué par l’instance précédente. La vue d’ensemble défendue par l’office recourant n’y change rien. En effet, il méconnaît que l’instrument composé de divers facteurs de correction n’est pas conçu et harmonisé de manière à répondre suffisamment, dans tous les cas, au besoin incontesté de correction lors de l’utilisation des revenus issus de la statistique des salaires. En d’autres termes, la suppression des facteurs d’abattement, à l’exception d’un seul, n’est pas suffisamment compensée dans le large éventail de constellations possibles. Comme exposé (cf. consid. 9.5.3.3 supra), une correction fait défaut lorsque la parallélisation ne peut s’appliquer, car le revenu sans invalidité est inférieur de moins de 5% à la valeur centrale de l’ESS (art. 26 al. 2 RAI) et qu’en même temps, aucun abattement ne doit être effectuée sur le revenu invalide, car une capacité de travail de plus de 50% est reconnue (art. 26bis al. 3 RAI). L’art. 49 al. 1bis RAI n’apporte pas non plus de solution ici (cf. consid. 9.5.3.2 supra), car cette disposition – déjà par son libellé, mais aussi par sa nature – ne permet pas d’intégrer des aspects économiques liés au marché du travail dans l’évaluation médicale. S’il existe des motifs médicaux de réduction, ceux-ci doivent bien entendu être intégrés dans l’évaluation correspondante, sans qu’il faille ensuite en tenir compte une nouvelle fois dans le cadre de l’abattement (ATF 148 V 174 V consid. 6.3; 146 V 16 consid. 4.1 s.; arrêt 9C_339/2021 du 27 juillet 2022 consid. 4.5.2 in fine ; vgl. auch Traub, a.a.O., S. 322 am Ende). Il en est de même entre les motifs de parallélisation et d’abattement (ATF 134 V 322 consid. 5.2 et 6.2 ; Meyer/Reichmuth, op. cit., N. 129 zu Art. 28a IVG).

Consid. 10.5
Le jugement du Tribunal administratif bernois, présenté par l’OFAS, ne parvient pas à réfuter le résultat d’interprétation soutenu ici. Dans ce jugement, les informations contenues dans le message concernant l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI sont interprétées de manière plus réservée qu’ici, sans qu’il soit nécessaire d’approfondir davantage. Surtout, il n’y a pas d’examen approfondi des éléments d’interprétation utilisés dans le cas présent, ni des autres dispositions légales (art. 16 LPGA). En fait, le Tribunal administratif bernois s’est essentiellement limité, après avoir rejeté une lacune véritable ou de politique juridique, à un examen de l’arbitraire et de la violation de l’égalité de droit, ce qu’il a nié.

Consid. 10.6
En résumé, il résulte de l’interprétation de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI, en tenant compte de l’art. 16 LPGA et d’éléments historiques, grammaticaux, systématiques et téléologiques, que l’art. 26 bis al. 3 RAI ne résiste pas au droit fédéral en ce qui concerne le caractère exhaustif qu’il entend donner à l’abattement sur le salaire statistique. Le point de vue défendu par l’OFAS dans son recours doit donc être rejeté dans la mesure où, sur la base des circonstances du cas d’espèce, en tenant compte de l’art. 26 al. 2 et de l’art. 26bis al. 3 RAI ainsi que de la capacité fonctionnelle qualitative et quantitative déterminée médicalement au sens de l’art. 49 al. 1bis RAI, il existe un besoin de correction supplémentaire. Dans ce cas, il convient, en ce qui concerne les facteurs à prendre en compte et leur pondération, de recourir à titre complémentaire aux principes jurisprudentiels actuels, et ce, faute d’alternative disponible sous forme de salaires de référence corrigés (cf. ég. les éléments discutés dans l’arrêt 8C_182/2023 du 17 avril 2024 consid. 4.3.2.3). De cette manière, l’art. 26bis al. 3 RAI, dans la version examinée ici, en vigueur jusqu’à fin 2023 et déjà à nouveau modifiée à partir de janvier 2024 (cf. consid. 10.2 supra), peut être appliqué conformément à la loi, sans que cela ne contrevienne à son libellé.

En conséquence, on ne saurait critiquer le fait que l’instance cantonale ait utilisé, en plus de l’art. 26bis al. 3 RAI, le correctif traditionnel de l’abattement sur le salaire statistique conformément à la jurisprudence actuelle. Hormis les réserves juridiques de principe que nous venons d’évoquer, le recours ne soulève aucune objection concrète à l’encontre du calcul de cet abattement (15%). Cela n’est pas non plus manifeste, raison pour laquelle il faut s’en tenir là et les autres étapes de calcul restent inchangées. Le droit de l’assuré à une rente entière (dès février 2019) et à une rente de 59% d’une rente entière (dès juin 2022) est donc maintenu.

Le TF rejette le recours de l’OFAS.

 

 

Arrêt 8C_823/2023 consultable ici

 

Commentaires et remarques

Ce long arrêt du Tribunal fédéral doit être salué à plus d’un titre. Je relèverai ces quelques points.

Notre Haute Cour rappelle de grandes notions relatives à la détermination des revenus à comparer (avec et sans invalidité) ainsi que sur le but et le sens de l’assurance-invalidité. A titre personnel, je note, au consid. 9.5.1, cette évidence : « Im Versicherungsfall steht der oder die einzelne versicherte Person im Fokus » (En cas de survenue d’un cas d’assurance, c’est la ou les personnes assurées qui sont au centre des préoccupations).

Concernant les tâches ressortant – ou non – de la compétence des médecins du SMR, je relevais en 2022 qu’il ne revient pas au médecin de procéder à des corrections sur le salaire réalisable (et donc en finalité sur le revenu d’invalide) par le biais d’une adaptation de l’évaluation médico-théorique de l’incapacité de travail (David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022, n. 300).

Un autre élément qui ressort clairement est que les données de l’ESS ne suffisent pas à elles seules et que l’application de facteurs de correction est indispensable. A ce sujet, le Tribunal fédéral souligne que le législateur avait et pouvait avoir d’autres attentes quant à la mise en œuvre dans le RAI de l’art. 28a al. 1, deuxième phrase, LAI. Il rappelle que l’instrument composé de divers facteurs de correction n’est pas conçu de manière à répondre suffisamment, dans tous les cas, au besoin incontesté de correction lors de l’utilisation des revenus issus de la statistique des salaires.

Le Tribunal fédéral a, à juste titre, rappelé le contexte du DCAI. En suivant l’interprétation faite par l’OFAS, l’évaluation de l’invalidité par l’AI pouvait produire des résultats très différents de ceux de l’assurance-accidents pour les mêmes conséquences d’un accident (David Ionta, Revenu d’invalide selon l’ESS – une mise à jour, in : Jusletter 21 novembre 2022, n. 377).

Les deux principaux domaines touchés par l’art. 16 LPGA sont l’assurance-invalidité et l’assurance-accidents. Il est essentiel que l’OFAS, qui supervise l’assurance-invalidité, et l’OFSP, qui gère l’assurance-accidents, entament un dialogue pour parvenir à une solution satisfaisante pour toutes les parties concernées, principalement les personnes assurées et les assureurs sociaux. Ces offices seraient bien avisés de reprendre leur réflexion à partir des points soulevés par Gabriela Riemer-Kafka et Urban Schwegler (Der Weg zu einem invaliditätskonformeren Tabellenlohn, in RSAS 6/2021, p. 287 ss).

 

 

Proposition de citation : 8C_823/2023 (d) du 08.07.2024, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2024/08/8c_823-2023)