ARTICLES ET OUVRAGES – SELECTION JANVIER 2017

Voici une sélection (personnelle et subjective) des divers articles, contributions et ouvrages parus récemment :

 

  • Ueli Kieser, Schweizerisches Sozialversicherungsrecht, 2. vollst. überarb. und erw. Aufl., Dike, 2017

 

  • Daniele Cattaneo, Novità legislative e giurisprudenziali in materia di assicurazioni sociali, in: Rivista ticinese di diritto, 2016, no 2, p. 325-363

 

  • Franz Werro, La responsabilité contractuelle professionnelle : entre mandat et entreprise, in: La pratique contractuelle 5., Schulthess, 2016, p. 1-28

 

  • Benoît Chappuis, La responsabilité de l’avocat – thèmes choisis, in: La pratique contractuelle 5., Schulthess, 2016, p. 63-99

 

  • Jacqueline Passaplan, La responsabilité du notaire : aspects théoriques et actualité jurisprudentielle, in: La pratique contractuelle 5., Schulthess, 2016, p. 157-167

 

  • Andreas A. Roth, Rechtsprechung unter der Lupe, in: Strassenverkehr, Jg. 8(2016), Nr. 1, S. 29-33 ; Nr. 3, S. 28-42

 

  • Laurent Bieri, Le droit à la réduction du loyer en cas de défaut de la chose louée, in: Jusletter, 9 janvier 2017

 

  • Pierre Heusser, Privatdetektive, aufgepasst! : das Urteil des EGMR 18. Oktober 2016 und dessen Auswirkungen weit über den Bereich der Unfallversicherung hinaus, in: Jusletter, 9. Januar 2017

 

  • Rahel Müller, Kostentragung bei Rettungseinsätzen am Berg, in: Sicherheit & Recht, 2016, H. 3, S. 203-210

 

  • Léa Maulet, Le principe « ne bis in idem », objet d’un « dialogue » contrasté entre la Cour de justice de l’Union européenne et la Cour européenne des droits de l’homme, in: Revue trimestrielle des droits de l’homme, 28(2017), no 109, p. 107-130

 

8C_927/2015 (f) du 13.12.2016 – Lésions assimilées à un accident – 9 al. 2 OLAA / « Re-rupture » du LCA et prise en charge du nouvel événement

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_927/2015 (f) du 13.12.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2k4KnsE

 

Lésions assimilées à un accident – 9 al. 2 OLAA

Causalité naturelle – Statu quo sine vel ante

« Re-rupture » du LCA et prise en charge du nouvel événement

 

Assuré victime d’une déchirure du genou droit le 25.04.2013 ainsi déclaré : « en voulant changer de direction, la jambe est restée droite et le genou a craqué ». L’IRM du 29.05.2013 a objectivé une déchirure complète du ligament croisé antérieur (LCA) et plusieurs contusions osseuses.

L’assuré a informé l’assureur-accidents qu’il avait déjà subi une déchirure partielle du LCA le 08.05.2011 également en jouant au football. Un traitement conservateur avait alors été proposé. Une IRM du 01.06.2011 du genou droit de l’assuré avait conclu à une déchirure en plein corps du LCA proximal et une contusion osseuse du condyle fémoral externe et du plateau externe postérieur du tibia, sans trait de fracture visible.

Le 10.09.2013, un médecin du sport a informé l’assurance-accidents et a fait état d’une re-rupture du LCA droit et indiqué qu’une intervention était prévue. La plastie ligamentaire a été réalisée le 06.01.2014.

Le médecin-conseil de l’assurance-accidents, spécialiste FMH en chirurgie orthopédique, a considéré que la relation de causalité naturelle entre l’événement mineur survenu le 25.04.2013 et l’intervention chirurgicale du 06.01.2014 paraissait hautement, voire très hautement improbable. Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé de prendre en charge les conséquences des troubles de l’assuré au genou droit, postérieurement au 30.06.2013.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/846/2015 – consultable ici : http://bit.ly/2knR7jd)

Par arrêt du 09.11.2015, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Aux termes de l’art. 6 al. 2 LAA, le Conseil fédéral peut inclure dans l’assurance-accidents des lésions corporelles qui sont semblables aux conséquences d’un accident. En vertu de cette délégation de compétence, il a édicté l’art. 9 al. 2 OLAA, selon lequel certaines lésions corporelles sont assimilées à un accident même si elles ne sont pas causées par un facteur extérieur de caractère extraordinaire, pour autant qu’elles ne soient pas manifestement imputables à une maladie ou à des phénomènes dégénératifs. A l’exception du caractère extraordinaire de la cause extérieure, toutes les autres conditions constitutives de la notion d’accident mentionnées à l’art. 4 LPGA doivent donc être réalisées (ATF 139 V 327 consid. 3.1 p. 328). La liste exhaustive de l’art. 9 al. 2 OLAA mentionne les lésions de ligaments (let. g).

La notion de lésion assimilée à un accident a pour but d’éviter, au profit de l’assuré, la distinction souvent difficile entre maladie et accident. Aussi, les assureurs-accidents LAA doivent-ils assumer un risque qui, en raison de la distinction précitée, devrait en principe être couvert par l’assurance-maladie. Les lésions mentionnées à l’art. 9 al. 2 OLAA sont assimilées à un accident même si elles ont, pour l’essentiel, une origine vraisemblablement maladive ou dégénérative, pour autant qu’une cause extérieure ait, au moins, déclenché les symptômes dont souffre l’assuré (ATF 139 V 327 consid. 3.1 p. 328; 129 V 466; 123 V 43 consid. 2b p. 44; 116 V 145 consid. 2c p. 147; 114 V 298 consid. 3c p. 301).

On précisera qu’en ce qui concerne l’art. 9 al. 2 OLAA, on ne peut admettre qu’une lésion assimilée – malgré son origine en grande partie dégénérative – a fait place à l’état de santé dans lequel l’assuré se serait trouvé sans l’incident du 25.04.2013 (retour au statu quo sine), tant que le caractère désormais exclusivement maladif ou dégénératif de l’atteinte à la santé n’est pas clairement établi (cf. arrêts 8C_358/2015 du 14 mars 2016 consid. 6.2.1; 8C_357/2007 du 31 janvier 2008 consid. 2; arrêt du Tribunal fédéral des assurances U 220/02 du 6 août 2003 consid. 2).

 

Le TF arrive à la conclusion que la lésion du genou consécutive à la contusion du 25.04.2013 est due à une instabilité rotatoire qui avait subsisté après une première déchirure survenue en 2011. L’incident du 25.04.2013 est certes lié à cette instabilité, mais il n’en a pas moins causé une nouvelle rupture du LCA (ou une « re-rupture » selon les termes du docteur D.__).

Cela étant, on ne peut affirmer que l’atteinte à la santé était clairement et exclusivement due à un état antérieur après un délai de six semaines. Le médecin-conseil de l’assurance-accidents a fixé ce délai de six semaines de manière aléatoire, uniquement en fonction de la date de l’IRM. Or, comme le relève d’ailleurs l’assurance-accidents, si le radiologue a décrit une déchirure complète du LCA, il n’a pas précisé si celle-ci était récente ou ancienne. On ne peut rien tirer de l’IRM quant au moment d’un retour possible au statu quo ante ou de l’émergence éventuelle d’un statu quo sine.

Par conséquent, c’est à juste titre que les premiers juges ont retenu qu’il incombait à l’assurance-accidents de prendre en charge les conséquences de l’événement du 25.04.2013, en particulier les frais liés à l’intervention du 06.01.2014.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_927/2015 consultable ici : http://bit.ly/2k4KnsE

 

 

Révision de la loi fédérale sur l’assurance-accidents : résumé et commentaires des modifications les plus importantes

Révision de la loi fédérale sur l’assurance-accidents : résumé et commentaires des modifications les plus importantes

 

Article paru in Jusletter, 30 janvier 2017

 

Depuis son entrée en vigueur au 1er janvier 1984, la loi fédérale sur l’assurance-accidents n’a pas connu de modification fondamentale, contrairement à la législation de la plupart des autres assurances sociales. Après de vives controverses entre 2008 et 2010 au sein de la commission du Conseil national et renvoi du projet de révision au Conseil fédéral au printemps 2011, la révision de la loi sur l’assurance-accidents a été adoptée en vote final par les deux Chambres le 25 septembre 2015. La contribution aborde certaines des modifications importantes de la loi et de l’ordonnance, qui sont entrées en vigueur le 1er janvier 2017.

 

Publication : Révision de la LAA – Ionta David – Jusletter 2017-01-30

 

Edit. 02.02.17: correction du fichier pdf

9C_268/2016 (f) du 14.11.2016 – Versement d’une rente de vieillesse à la veuve de l’assuré / Succession répudiée et liquidée par la voie de la faillite / Péremption du droit de requérir la restitution d’une prestation – 25 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_268/2016 (f) du 14.11.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2iTFnI2

 

Versement d’une rente de vieillesse à la veuve de l’assuré

Succession répudiée et liquidée par la voie de la faillite

Péremption du droit de requérir la restitution d’une prestation / 25 LPGA

 

A.__ est la veuve de B.__. Celui-ci est né en septembre 1945 et décédé en juin 2012. Sur requête de la veuve, la Caisse cantonale genevoise de compensation (ci-après: la CCGC) a reconnu le droit, rétroactif, de B.__ à une rente de vieillesse pour la période comprise entre les mois d’octobre 2010 et de juin 2012 (décision du 07.05.2013). Le montant de la rente a été versé sur le compte bancaire de la veuve. La CCGC a toutefois exigé de A.__ qu’elle restitue le montant de 33’708 fr. versé indûment en faveur du mari défunt, dès lors que sa succession avait été répudiée puis liquidée par la voie de la faillite, qui avait été clôturée faute d’actifs (décision du 25.02.2014, confirmée sur opposition).

 

TF

Les premiers juges ont constaté que le versement rétroactif des rentes de vieillesse avait été indûment effectué en mains de la veuve puisque la succession de son conjoint décédé avait été répudiée et que les conditions d’une reconsidération de la décision initiale étaient données.

 

La péremption du droit de requérir la restitution d’une prestation ne saurait commencer à courir avant que la décision allouant la prestation en question ne soit rendue. On relèvera que, lorsque comme en l’occurrence la restitution est imputable à faute, le point de départ du délai ne coïncide pas avec le moment où la faute a été commise par l’administration (soit, la prise de la décision initiale du 07.05.2013), mais bien avec celui auquel celle-ci aurait dû, dans un deuxième temps (lors d’un contrôle comptable par exemple), se rendre compte de son erreur en faisant preuve de toute l’attention requise (cf. ATF 124 V 380 consid. 1 p. 382 s.).

 

S’agissant de la soustraction du droit aux rentes AVS aux exécutions forcées (art. 20 al. 1 LAVS) ainsi que de l’incessibilité (art. 197 al. 1 LP en relation avec l’art. 22 al. 1 LPGA) et de l’insaisissabilité (art. 197 al. 1 LP en relation avec l’art. 92 al. 1 ch. 9a LP) de ces prestations, le Tribunal fédéral a rappelé que le montant de 33’708 fr. (correspondant au droit de l’assuré décédé à une rente de vieillesse pour la période courant du mois d’octobre 2010 à celui de juin 2012) n’a pas fait l’objet d’une exécution forcée mais est entré dans la succession (masse successorale) du défunt qui, une fois répudiée par l’ensemble des héritiers, a été liquidée par voie de faillite.

 

Le TF rejette le recours de la veuve.

 

 

Arrêt 9C_268/2016 consultable ici : http://bit.ly/2iTFnI2

 

 

8C_229/2016 (f) du 09.11.2016 – Causalité naturelle pour troubles oculaires – rechute – 6 LAA – 11 OLAA / Vraisemblance prépondérante d’une érosion cornéenne – Fardeau de la preuve

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_229/2016 (f) du 09.11.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2kiCNMj

 

Causalité naturelle pour troubles oculaires – rechute – 6 LAA – 11 OLAA

Vraisemblance prépondérante d’une érosion cornéenne – Fardeau de la preuve

 

Assuré, travaillant en qualité d’électricien, a ainsi déclaré l’accident survenu le 25.06.2012 : « un fil électrique en tournant m’a blessé l’œil ». Les diagnostics de débris au canthus interne et de blépharite ont été posés par les médecins de l’hôpital ophtalmique. Le traitement consistait en un rinçage, un traitement antibiotique et une hydratation de l’œil.

Le 19.03.2013, l’assuré a informé l’assurance-accidents qu’il avait toujours des problèmes au niveau de son œil gauche. Dans un rapport du 12.02.2015, l’ophtalmologue-traitant a posé le diagnostic de probable érosion cornéenne gauche suite à l’accident du 25.06.2012. Sous la rubrique « Evolution », il a notamment indiqué: « pas d’érosion constatée objectivement ». La spécialiste de la division médecine des assurances a indiqué, le 17.03.2015, que l’on ne pouvait envisager de maladie à caractère récidivant en l’espèce puisqu’il n’y avait pas d’érosion de la cornée, mais uniquement une irritation provoquée par des particules étrangères. La problématique oculaire de l’assuré était en revanche attribuable à la blépharite, soit une inflammation chronique au bord des paupières. Par conséquent, il n’y avait pas de lien de causalité entre les troubles de l’assuré, constitutifs de la rechute déclarée, et l’événement accidentel initial.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a refusé d’allouer des prestations pour les troubles oculaires ayant fait l’objet d’un traitement chez l’ophtalmologue-traitant.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 95/15 – 21/2016 – consultable ici : http://bit.ly/2iTlnFn)

Par arrêt du 04.02.2016, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Les premiers juges ont estimé que les renseignements médicaux au dossier étaient suffisants et probants pour conclure qu’il n’y avait pas de lien de causalité entre l’accident et les troubles de l’œil gauche réannoncés.

En cas de rechute ou de séquelle tardive, l’obligation de l’assureur-accidents de répondre de la nouvelle atteinte à la santé n’est pas donnée du seul fait que l’existence d’un lien de causalité naturelle entre l’atteinte initiale et un accident a été reconnue. Les conséquences de l’absence de preuve d’un tel lien entre la nouvelle atteinte et l’accident doivent être supportées par l’assuré qui requiert des prestations de l’assurance-accidents pour ladite atteinte (RAMA 1994 n° U 206 p. 328 consid. 3b; arrêt de l’ancien Tribunal fédéral des assurances U 192/06 du 10 avril 2007, consid. 3.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_229/2016 consultable ici : http://bit.ly/2kiCNMj

 

 

6B_23/2016 (f) du 09.12.2016 – Violation grave des règles de la circulation routière – 90 ch. 2 aLCR / Excès de vitesse dans une zone 20 km/h – 32 LCR / Vitesse n’ayant pas pu être déterminée avec précision

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_23/2016 (f) du 09.12.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2k7D0kQ

 

Violation grave des règles de la circulation routière – 90 ch. 2 aLCR

Excès de vitesse dans une zone 20 km/h – 32 LCR

Vitesse n’ayant pas pu être déterminée avec précision

 

Le mardi 19.07.2011, entre 11 h 25 et 11 h 35, X.__ circulait au volant d’un véhicule utilitaire. Il était parfaitement conscient que la vitesse autorisée dans cette zone de rencontre était de 20 km/h. Il avait néanmoins roulé à une vitesse bien supérieure, sans pour autant que sa vitesse puisse être déterminée avec précision. Le conducteur avait circulé à une vitesse qui était en totale inadéquation avec la configuration des lieux (places de stationnement, fontaine, tournant à gauche), notamment sous l’angle de la visibilité et de la possibilité d’être à tout moment confronté tant à des véhicules circulant en sens inverse qu’à des piétons, en particulier des enfants en vacances scolaires et à l’heure de sortie des passeports vacances.

 

TF

Détermination de la vitesse

Selon le TF, l’autorité précédente pouvait sans arbitraire se fonder sur les déclarations concordantes des deux témoins visuels pour retenir que le recourant roulait à vive allure, soit à une vitesse bien supérieure à 20 km/h, proche de la limite posée par la jurisprudence (soit 45 km/h [20 km/h en zone de rencontre + 25 km/h]), sans qu’elle ne puisse être précisément déterminée.

 

Vitesse adaptée aux circonstances

L’art. 32 al. 1 LCR implique notamment qu’on ne peut circuler à la vitesse maximale autorisée que si les conditions de la route, du trafic et de visibilité sont favorables (ATF 121 IV 286 consid. 4b p. 291; plus récemment arrêt 6B_1247/2013 du 13 mars 2014 consid. 3.1). La violation de l’art. 32 al. 1 LCR n’est pas subordonnée à la condition de la perte de maîtrise du véhicule (arrêt 4A_76/2009 du 6 avril 2009 consid. 3.2).

Pour dire si une violation d’une règle de la circulation doit être qualifiée de grave au sens de l’art. 90 al. 2 LCR, respectivement 90 ch. 2 aLCR, il faut procéder à une appréciation aussi bien objective que subjective.

D’un point de vue objectif, la violation grave d’une règle de circulation au sens de l’art. 90 ch. 2 aLCR suppose que l’auteur a mis sérieusement en danger la sécurité du trafic. Il y a création d’un danger sérieux pour la sécurité d’autrui non seulement en cas de mise en danger concrète, mais déjà en cas de mise en danger abstraite accrue (ATF 142 IV 93 consid. 3.1. p. 96; 131 IV 133 consid. 3.2 p. 136). Il y a mise en danger abstraite accrue lorsqu’une ou des personnes indéterminées auraient pu se trouver potentiellement exposées à un danger pour leur intégrité physique. Lorsque l’on peut objectivement exclure des circonstances la présence de tout tiers, y compris, le cas échéant, du passager du conducteur en infraction, l’imminence du danger peut être niée (arrêt 6B_117/2015 du 11 février 2016 consid. 13.2).

Subjectivement, l’état de fait de l’art. 90 ch. 2 aLCR exige un comportement sans scrupules ou gravement contraire aux règles de la circulation, c’est-à-dire une faute grave et, en cas d’acte commis par négligence, à tout le moins une négligence grossière (ATF 142 IV 93 consid. 3.1. p. 96). Celle-ci doit être admise lorsque le conducteur est conscient du caractère généralement dangereux de son comportement contraire aux règles de la circulation. Mais une négligence grossière peut également exister lorsque, contrairement à ses devoirs, l’auteur ne prend absolument pas en compte le fait qu’il met en danger les autres usagers, en d’autres termes s’il se rend coupable d’une négligence inconsciente. Dans de tels cas, une négligence grossière ne peut être admise que si l’absence de prise de conscience du danger créé pour autrui repose elle-même sur une absence de scrupules (ATF 131 IV 133 consid. 3.2 p. 136). Plus la violation de la règle de la circulation apparaît objectivement grave, plus facilement sera admis, sauf circonstances particulières contraires, un comportement sans scrupule. L’acceptation de l’absence de scrupules ne peut cependant pas être déduite de toute inattention (cf. ATF 142 IV 93 consid. 3.1. p. 96 et les références).

Dans le domaine des excès de vitesse, la jurisprudence a été amenée à fixer des règles précises afin d’assurer l’égalité de traitement. Ainsi, le cas est objectivement grave au sens de l’art. 90 ch. 2 aLCR, sans égard aux circonstances concrètes, en cas de dépassement de la vitesse autorisée de 25 km/h ou plus à l’intérieur des localités (ATF 132 II 234 consid. 3.1 p. 237 s.). Même en deçà de cette limite, le cas peut néanmoins être objectivement grave pour d’autres motifs, par exemple à raison d’une vitesse inadaptée aux circonstances, au sens de l’art. 32 al. 1 LCR, ayant entraîné une perte de maîtrise du véhicule. Il a été relevé de manière répétée qu’il en irait de même dans le cas de celui qui, dans une localité, circulerait à 50 km/h à proximité d’un jardin d’enfants au moment où des enfants se trouvent à cet endroit, en raison du risque important créé dans un lieu où circulent des usagers particulièrement vulnérables (piétons, cyclistes; ATF 121 II 127 consid. 4a p. 132; arrêt 6B_282/2009 du 14 décembre 2009 consid. 2.1).

 

Il ressort de l’arrêt attaqué que la zone où a eu lieu le comportement reproché au recourant était une zone de rencontre, soit une route située dans un quartier résidentiel ou commercial, sur laquelle les piétons et les utilisateurs d’engins assimilés à des véhicules peuvent utiliser toute l’aire de circulation, où ils bénéficient de la priorité mais ne doivent toutefois pas gêner inutilement les véhicules et où la vitesse maximale est fixée à 20 km/h (cf. art. 22b al. 1 et 2 de l’ordonnance sur la signalisation routière du 5 septembre 1979; OSR; RS 741.21). Sur de telles routes, les conducteurs sont tenus de circuler d’une manière particulièrement prudente et prévenante (art. 41a de l’ordonnance sur les règles de la circulation routière du 13 novembre 1962; OCR; RS 741.11).

Compte tenu de la configuration des lieux, du peu de visibilité – et donc d’anticipation possible – du recourant sur le trafic pouvant surgir en contre-sens et sur les piétons pouvant s’engager sur la route sur laquelle ils étaient prioritaires, le recourant a par sa conduite créé un danger abstrait accru pour, notamment, les piétons présents dans la zone de rencontre qui se sont potentiellement trouvés exposés à un danger pour leur intégrité physique. La violation précitée de l’art. 32 al. 1 LCR est objectivement grave au sens de l’art. 90 ch. 2 aLCR.

Subjectivement, l’autorité précédente a constaté que le recourant avait parfaitement conscience qu’il se trouvait dans une zone de rencontre limitée à 20 km/h et n’avait pas tenu compte du fait qu’il mettait en danger les autres usagers, sa préoccupation d’amener des matériaux pour ses employés travaillant sur le chantier l’emportant sur le péril qu’il faisait courir aux autres usagers. Elle a ainsi retenu qu’il n’avait eu aucun égard pour ces derniers. Ce raisonnement ne peut qu’être suivi. Le recourant en roulant aussi vite qu’il l’a fait, alors qu’il savait qu’il traversait une zone limitée à 20 km/h et que sa visibilité était restreinte, a fait preuve à tout le moins d’une négligence grossière et d’une absence de scrupules pour les utilisateurs potentiels de la zone de rencontre.

 

Le TF rejette le recours du conducteur.

 

 

Arrêt 6B_23/2016 consultable ici : http://bit.ly/2k7D0kQ

 

 

Les changements induits par la révision de la Loi fédérale sur l’assurance-accidents (selon le projet de loi)

Edit : le présent article est remplacé par l’article publié le 31.01.2017, consultable ici : Jusletter – Révision de la LAA – Ionta David – 2017-01-30

 

La loi fédérale sur l’assurance-accidents, entrée en vigueur le 1er janvier 1984, a pour l’essentiel fait ses preuves, et le financement des prestations est assuré. Cependant, quelques adaptations s’imposent en raison des changements intervenus au cours des trente dernières années.

Cette révision de la LAA a une longue histoire, puisque le premier projet du Conseil fédéral date du 30 mai 2008, et avait fait l’objet de vives controverses entre 2008 et 2010 au sein de la commission du Conseil national. Le Parlement avait fini par le renvoyer au Conseil fédéral au printemps 2011, avec mandat de réexaminer l’ampleur de la révision, et de limiter le projet à l’essentiel. Il fallait en particulier examiner la problématique de la surindemnisation des assurés, en tenant compte de la prévoyance professionnelle, et de l’adapter de manière appropriée. Le traitement du projet 2 (Organisation et activités accessoires de la CNA) avait été suspendu.

En 2015 (session d’été et d’automne), le projet 3, qui est le projet 1 remanié, et le projet 2, qui a lui aussi subi des changements, ont été examiné par les deux chambres. Le projet 3 a été remanié avec le concours des organisations faîtières des partenaires sociaux et des assureurs.

Les associations faîtières des partenaires sociaux et les assureurs ont été invités à présenter des propositions sur le contenu de cette nouvelle version du projet 3. L’objectif était d’aboutir à un compromis largement soutenu, afin de pouvoir poursuivre les débats parlementaires sur la base d’un consensus. Les partenaires sociaux ont remis fin novembre 2013 leur proposition de compromis, qui est également soutenue par les assureurs. Le projet 1 a donc été remanié sur cette base. Il reprend largement les propositions du projet du 30 mai 2008 et la commission a jugé ce compromis bon. Elle a approuvé, à l’unanimité, ce premier volet de la révision à la mi-avril 2015. Elle s’est écartée sur un seul point du compromis que les partenaires sociaux et les assureurs avaient échafaudé.

Lors de la session d’automne 2015, les deux chambres ont discuté du texte légal, article par article, mettant fin à la reforme.

Au vu des nombreuses questions qui me sont venues lors de la lecture du projet 1 (puis le projet 3 suite à l’abandon du projet 1), il m’apparaissait important de constater, avec des exemples, les problèmes auxquels nous devrons faire face une fois la loi entrée en vigueur.

Vous trouverez ici mon article sur les changements qu’apportera la nouvelle loi sur l’assurance-accidents.

Le document peut être partagé, avec l’obligation de citer la source,  interdiction de tirer un profit commercial de l’œuvre sans autorisation de l’auteur et partage de l’œuvre, avec obligation de rediffuser selon la même licence ou une licence similaire (Creative Commons BY-NC-SA).

 

Révision de la Loi fédérale sur l’assurance-accidents

Licence Creative Commons
Révision de la Loi fédérale sur l’assurance-accidents de David Ionta est mis à disposition selon les termes de la licence Creative Commons Attribution – Pas d’Utilisation Commerciale – Partage dans les Mêmes Conditions 4.0 International.

9C_51/2016 (f) du 02.11.2016 – Changement d’assureur – primes impayées – notion d’« assurés en retard de paiement » – 64a LAMal – 105b OAMal – 105l OAMal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_51/2016 (f) du 02.11.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2kh2KHQ

 

Changement d’assureur – primes impayées – notion d’« assurés en retard de paiement » / 64a LAMal – 105b OAMal – 105l OAMal

 

TF

D’après l’art. 64a al. 6 LAMal, seuls les assurés « en retard de paiement » ne peuvent pas changer d’assureur. Ce retard de paiement ne se produit qu’au moment de la notification de la sommation visée à l’art. 105b al. 1 OAMal (art. 105l al. 1 OAMal) qui doit être précédée d’un rappel écrit au moins (art. 64a al. 1 LAMal; à propos des deux mesures que doit adopter l’assureur en cas de non-paiement de primes et de participations aux coûts, cf. Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national du 28 août 2009 concernant l’Initiative parlementaire Article 64a LAMal et primes non payées, FF 2009 5973, p. 5976 ch. 3 ad art. 64a al. 1). Selon la jurisprudence, en présence de sommations prématurées – en l’occurrence, à défaut de sommation – l’assuré ne peut pas être considéré comme « en retard de paiement » au sens de l’art. 64a al. 6 LAMal en relation avec l’art. 105l OAMal (arrêt 9C_653/2015 du 7 juillet 2016 consid. 4.2).

En l’espèce, la facture afférente à la prime du mois de décembre 2011 est datée du 26.08.2011 et a été suivie d’un rappel daté du 16.12.2011, ainsi que d’une sommation datée du 20.01.2012. Cette dernière n’a ainsi pu être notifiée à l’assuré que postérieurement à cette date. Par conséquent, la juridiction cantonale ne pouvait constater que le recourant se trouvait « en retard de paiement » lors de la dissolution des relations contractuelles à la fin de l’année 2011 sans violer les normes citées.

Il découle de la disposition légale mentionnée en relation avec l’art. 105l al. 2 OAMal que la sommation doit avoir été notifiée à l’assuré un mois avant l’échéance du délai de résiliation, pour que la conséquence prévue par la loi – l’impossibilité de changer d’assureur – puisse intervenir; une sommation postérieure ne peut pas empêcher le changement d’assureur (Gebhard Eugster, Krankenversicherung, in Soziale Sicherheit, SBVR vol. XIV, 3ème éd. 2016, p. 457, n° 168). L’assuré doit alors s’acquitter de la prime impayée, mais n’est pas tenu à d’autres obligations contractuelles à l’égard de l’assureur (arrêt 9C_653/2015 précité, consid. 4.2 in fine).

 

 

Arrêt 9C_51/2016 consultable ici : http://bit.ly/2kh2KHQ

 

 

8C_153/2016 (f) du 13.12.2016 – Rixe – Blessures par balles – Réduction des prestations en espèces – 39 LAA – 49 al. 2 OLAA / Lien de causalité adéquate

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_153/2016 (f) du 13.12.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2jB02x0

 

Rixe – Blessures par armes à feu – Réduction des prestations en espèces – 39 LAA – 49 al. 2 OLAA

Lien de causalité adéquate

 

Assuré blessé par plusieurs coups de feu, tirés par D.__, à la suite d’une altercation survenue en février 2015 devant une discothèque. Une action pénale a été ouverte contre D.__ pour tentative de meurtre, éventuellement mise en danger de la vie d’autrui.

Faits

Vers quatre heures du matin, l’assuré et D.__ avaient eu une altercation verbale à l’intérieur de la discothèque au sujet de l’amie de ce dernier, E.__. Les deux hommes étaient ensuite sortis de la discothèque, accompagnés de F.__, agent de sécurité de l’établissement. Ils avaient continué à se disputer, avant d’en venir aux mains. D.__ avait poussé son adversaire et lui avait asséné un coup de poing. L’assuré l’avait à son tour bousculé. Finalement, les deux protagonistes avaient été séparés par des témoins de la scène. L’assuré avait alors été ramené et retenu à l’intérieur de la discothèque, cependant que D.__ était resté dehors. Depuis la discothèque, l’assuré avait téléphoné à un ami, G.__, pour qu’il vienne le chercher. Il avait été convenu que ce dernier l’attendrait avec son véhicule près d’une porte à l’arrière de l’établissement. A l’arrivée de G.__, l’assuré était sorti avec l’agent de sécurité de l’établissement, qui devait l’accompagner jusqu’à la voiture. Sur le chemin, D.__, accompagné d’un autre homme, était venu vers eux, muni d’un bâton. L’assuré était alors allé à leur rencontre. Les trois hommes s’étaient rejoints au milieu de la route. L’agent de sécurité et G.__ s’étaient également approchés. L’assuré et D.__ étaient excités. A un certain moment, celui-ci était allé vers sa voiture « pour chercher la fille ». Il était revenu et avait frappé l’assuré avec son bâton. Celui-ci avait tenté de se protéger. D.__ avait alors chargé un pistolet et fait feu à plusieurs reprises.

 

Rixe – 39 LAA – 49 al. 2 OLAA

Édicté par le Conseil fédéral en vertu de la délégation de compétence de l’art. 39 LAA, l’art. 49 al. 2 OLAA dispose que les prestations en espèces sont réduites au moins de moitié en cas d’accident non professionnel survenu notamment en cas de participation à une rixe ou à une bagarre, à moins que l’assuré ait été blessé par les protagonistes alors qu’il ne prenait aucune part à la rixe ou à la bagarre ou qu’il venait en aide à une personne sans défense (let. a), ou encore lors de dangers auxquels l’assuré s’expose en provoquant gravement autrui (let. b).

Il y a lieu de rappeler que la notion de participation à une rixe ou à une bagarre est plus large que celle de l’art. 133 CP.

Pour admettre l’existence d’une telle participation, il suffit que l’assuré entre dans la zone de danger, notamment en participant à une dispute. Peu importe qu’il ait effectivement pris part activement aux faits ou qu’il ait ou non commis une faute: il faut au moins qu’il se soit rendu compte ou ait pu se rendre compte du danger.

Il doit en outre exister un lien de causalité entre le comportement de la personne assurée et le dommage survenu. Si l’attitude de l’assuré – qui doit être qualifiée de participation à une rixe ou à une bagarre – n’apparaît pas comme une cause essentielle de l’accident ou si la provocation n’est pas de nature, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience de la vie, à entraîner la réaction de violence, l’assureur-accidents n’est pas autorisé à réduire ses prestations d’assurance. Il convient de déterminer rétrospectivement, en partant du résultat qui s’est produit, si et dans quelle mesure l’attitude de l’assuré apparaît comme une cause essentielle de l’accident (ATF 134 V 315 consid. 4.5.1.2 p. 320; arrêt 8C_445/2013 du 27 mars 2014 consid. 3.1).

 

Après une première altercation, qui avait nécessité l’interposition de tiers pour séparer les deux protagonistes et la mise à l’écart de l’assuré à l’intérieur de la discothèque, celui-ci pouvait s’attendre à ce que la situation dégénère à nouveau en voyant D.__ qui l’avait attendu et qui s’avançait dans sa direction. Tout portait à croire que l’assuré craignait une nouvelle bagarre. Ainsi le fait que D.__ était resté trente minutes environ sur le parking devait donner à penser qu’il n’entendait pas en rester là. La circonstance que l’assuré avait auparavant jugé utile d’appeler un ami pour venir le chercher près d’une porte à l’arrière de la discothèque témoigne des craintes qu’il éprouvait sur les intentions de D.__. Or, une fois arrivé près de la voiture de G.__, au lieu de chercher à éviter la confrontation, il est allé à la rencontre de D.__, se plaçant ainsi dans la zone de danger exclue de la couverture d’assurance.

 

Lien de causalité adéquate

Il y a une interruption du rapport de causalité adéquate si une autre cause, qu’il s’agisse d’une force naturelle ou du comportement d’une autre personne, constitue une circonstance tout à fait exceptionnelle ou apparaît si extraordinaire que l’on ne pouvait pas s’y attendre; l’imprévisibilité d’un acte concurrent ne suffit pas en soi à interrompre le rapport de causalité adéquate; il faut encore que cet acte ait une importance telle qu’il s’impose comme la cause la plus probable et la plus immédiate de l’événement considéré, reléguant à l’arrière-plan tous les autres facteurs qui ont contribué à l’amener et notamment le comportement en discussion (ATF 134 V 340 consid. 6.2 p. 349; 133 V 14 consid. 10.2 p. 23; 130 III 182 consid. 5.4 p. 188). Par exemple, le Tribunal fédéral a jugé que lorsqu’un membre d’une famille (en l’espèce, la fille) entre dans la chambre d’un autre (en l’occurrence, le père) en insistant pour avoir une discussion orageuse, on ne pouvait s’attendre, selon le cours ordinaire des choses et l’expérience en générale de la vie, à ce que l’autre réagisse en tirant sur lui avec un revolver. Dans un tel cas, le lien de causalité adéquate entre le comportement reproché à la victime et le résultat survenu a été nié (arrêt 8C_363/2010 du 29 mars 2011 et, concernant la même affaire, au plan civil, arrêt 4A_66/2010 du 27 mai 2010).

Dans le cas présent, il n’y a pas d’éléments comparables à ceux de ces deux arrêts. Sans doute, l’assuré ne devait-il pas s’attendre à ce que D.__ tire plusieurs coups de feu dans sa direction. Mais cela ne suffit pas pour admettre une interruption du lien de causalité adéquate entre l’attitude de l’assuré et l’atteinte dont il était victime.

Lorsqu’il est venu à la rencontre de l’assuré, D.__, qui avait attendu trente minutes à l’extérieur et qui était accompagné d’un autre homme (« un costaud » selon ce même témoin) était visiblement résolu à en découdre. Dans un tel contexte l’assuré ne pouvait pas totalement exclure que D.__ se serve d’une arme dangereuse – quelle qu’elle fût – qui soit propre à entraîner des lésions allant de par leur gravité au-delà de celles qui résultent de simples voies de fait.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_153/2016 consultable ici : http://bit.ly/2jB02x0

 

 

4A_543/2016 (f) du 01.11.2016 – Responsabilité du propriétaire d’ouvrage – 58 CO / Accident de la circulation sur l’autoroute A9 par perte de maîtrise du véhicule

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_543/2016 (f) du 01.11.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2k7b1ic

 

Responsabilité du propriétaire d’ouvrage – 58 CO

Accident de la circulation sur l’autoroute A9 par perte de maîtrise du véhicule

 

Le 18.06.2008, vers 3 h.05, X.__ a eu un grave accident de voiture sur l’autoroute A9, au km. 7 de la jonction entre les sorties de Blécherette et Vennes.

Alors que la chaussée était mouillée et qu’il circulait seul sur la voie de gauche à une vitesse indéterminée, l’automobiliste a perdu la maîtrise de son véhicule de marque Peugeot 206 2.0, qui a heurté le muret central, puis traversé les trois voies de circulation, arraché la signalisation implantée à cet endroit et fait une violente embardée au cours de laquelle il a été éjecté. Le véhicule, mis en circulation en 1999 et qui affichait environ 175’000 km au compteur, a été complètement détruit. Les tests à l’alcool et aux stupéfiants pratiqués sur l’automobiliste se sont révélés négatifs.

Il a été constaté que le 18.06.2008, alors même que 46’620 véhicules, dont 39’117 véhicules de tourisme et 1’031 motos, ont circulé à l’endroit du sinistre, aucun autre accident, hormis celui du demandeur, ne s’y est déroulé. Durant la même tranche horaire que celle de l’accident, soit entre 3h. et 4h. du matin, 67 véhicules de tourisme ont circulé sur le tronçon d’autoroute en cause; durant la tranche horaire précédente, à savoir entre 2h. et 3h. du matin, 85 véhicules de tourisme y sont passés. Il n’y a pas eu non plus d’accident la veille, soit le 17.06.2008.

Dans son rapport du 26.07.2008, la gendarmerie a notamment relevé ce qui suit: « Peu avant le km. 7.000, alors qu’il se trouvait sur la voie gauche, M. X.__ laissa vraisemblablement dévier sa machine en direction du muret central laquelle heurta cet élément de sécurité. Dès lors, il perdit la maîtrise de sa machine sur le revêtement mouillé rendu particulièrement gras et glissant par des écoulements d’hydrocarbures consécutifs aux précédents accidents survenus au même endroit, quelques jours auparavant… A relever que, suite à plusieurs accidents de circulation, l’accumulation de liquide de refroidissement et hydrocarbures a rendu la chaussée particulièrement grasse et glissante, de surcroît au vu des intempéries de la nuit et des jours précédents. (…) Cependant, durant la nuit, plusieurs dizaines de véhicules ont circulé à cet endroit sans incident.

Au mois de septembre 2008, la Société d’analyses et de contrôles routiers a établi un rapport. Selon le diagramme d’interprétation des valeurs d’adhérence et le diagramme de mesure de glissance au skiddomètre annexés à ce rapport, l’adhérence de l’autoroute A9 le 30.06.2008 se situait au-dessous de la limite admise.

Du 30.09.2008 au 11.10.2008, des travaux de remplacement du revêtement du tronçon autoroutier litigieux ont eu lieu.

D’après la norme SN 640 511b émise par l’Union des professionnels suisses de la route en 1984, « outre la qualité antidérapante, d’autres facteurs tels que la vitesse, la façon de conduire, l’état du véhicule et des pneus, la géométrie de la route, les intempéries et l’état momentané de la chaussée jouent un rôle essentiel lors d’accidents dus au dérapage; pour l’appréciation des causes d’un accident, la qualité antidérapante n’est que l’un des nombreux éléments à prendre en considération… « .

Selon les statistiques d’octobre 2009 de la police vaudoise relatives aux accidents sur la chaussée lac de l’autoroute A9 entre les jonctions Blécherette et Vennes, de 2006 à 2008 près de la moitié des accidents se sont produits entre les km. 6.900 et 7.200; en 2007 et 2008, respectivement 81% et 84% des accidents survenus entre les km. 6.000 et 7.500 se sont produits sur une chaussée humide ou mouillée, la vitesse du véhicule inadaptée aux circonstances en ayant été souvent la cause. Selon un autre document de la police vaudoise, établi à une date indéterminée, le nombre de sinistres pour les années 2009 à 2013 est largement inférieur à celui des années 2006 à 2008.

 

Procédure cantonale

Statuant en instance cantonale unique, la Cour civile du Tribunal cantonal vaudois, par jugement du 22.06.2016, a entièrement débouté le demandeur.

 

TF

A teneur de l’art. 58 al. 1 CO, le propriétaire d’un bâtiment ou de tout autre ouvrage répond du dommage causé par des vices de construction ou le défaut d’entretien.

Les routes constituent des ouvrages au sens de l’art. 58 CO (arrêt 4A_286/2014 du 15 janvier 2015 consid. 5; ROLAND BREHM, Berner Kommentar, 4e éd. 2013, n° 161 ad art. 58 CO). Ce point ne fait l’objet d’aucune contestation.

Selon l’art. 8 al. 1 de la loi fédérale sur les routes nationales du 8 mars 1960 (RS. 275.11), dans sa teneur en vigueur depuis le 1er janvier 2008, les routes nationales – dont font partie les autoroutes – sont placées sous l’autorité de la Confédération en matière routière et lui appartiennent. L’intimée est ainsi propriétaire de la portion de l’autoroute A9 où s’est produit l’accident litigieux.

La responsabilité du propriétaire d’ouvrage suppose préalablement que soient réunies les conditions générales de la responsabilité. Il faut donc un préjudice et un rapport de causalité naturelle et adéquate entre le défaut de l’ouvrage (en l’occurrence entre seulement en ligne de compte le défaut subséquent d’entretien) et le préjudice (MARTIN A. KESSLER, in Basler Kommentar, Obligationenrecht I, 6e éd. 2015, n° 6a ad art. 58 CO; FRANZ WERRO, La responsabilité civile, 2e éd. 2011, ch. 707 p. 205).

Il y a causalité naturelle entre deux événements lorsque, sans le premier, le second ne se serait pas produit; il n’est pas nécessaire que l’événement considéré soit la cause unique ou immédiate du résultat. L’existence d’un lien de causalité naturelle entre le fait générateur de responsabilité et le dommage est une question de fait que le juge doit trancher selon la règle de la vraisemblance prépondérante lorsque, par la nature même de l’affaire, une preuve stricte n’est pas possible ou ne peut être raisonnablement exigée de celui qui en supporte le fardeau; tel est en particulier le cas de l’existence d’un lien de causalité hypothétique (cf. ATF 133 III 81 consid. 4.2.2 et les arrêts cités, 462 consid. 4.4.2).

La preuve d’un fait est établie avec vraisemblance prépondérante lorsque la possibilité qu’il en soit allé autrement ne joue pas pour le fait concerné un rôle déterminant ni n’entre raisonnablement en considération (ATF 130 III 321 consid. 3.3 p. 325 et les références doctrinales).

D’après la jurisprudence du Tribunal fédéral à propos de la causalité en cas d’omission (cf. ATF 132 III 305 consid. 3.5 p. 311, 715 consid. 2.3 p. 718 s.), pour retenir une causalité naturelle en pareil cas, il faut admettre par hypothèse que le dommage ne serait pas survenu si l’intéressé avait agi conformément à la loi. Un lien de causalité naturelle ne sera donc pas nécessairement prouvé avec une exactitude scientifique. Le rapport de causalité étant hypothétique, le juge se fonde sur l’expérience générale de la vie et émet un jugement de valeur. En règle générale, lorsque le lien de causalité hypothétique entre l’omission et le dommage est établi, il ne se justifie pas de soumettre cette constatation à un nouvel examen sur la nature adéquate de la causalité. Ainsi, lorsqu’il s’agit de rechercher l’existence d’un lien de causalité entre une ou des omissions et un dommage, il convient de s’interroger sur le cours hypothétique des événements.

 

In casu, il résulte du rapport de la gendarmerie du 26.07.2008 qu’au km. 7 de la jonction entre les sorties Blécherette et Vennes, à savoir au lieu de l’accident, des écoulements d’hydrocarbures et de liquide de refroidissement se trouvaient sur la chaussée, car des accidents avaient eu lieu à cet endroit quelques jours auparavant. En raison de la pluie tombée les jours précédents, le revêtement était devenu particulièrement gras et glissant. Toutefois des dizaines de véhicules ont roulé au même endroit sans le moindre incident. Le rapport de gendarmerie attribue la cause de l’accident au recourant, qui circulait à une vitesse indéterminée, mais inadaptée aux conditions de circulation par temps de pluie.

La cour cantonale a ainsi retenu, sans que l’arbitraire soit invoqué à ce propos, que durant la même tranche horaire que l’accident litigieux, c’est-à-dire entre 3h. et 4h. du matin, 67 véhicules de tourisme ont circulé sur ce tronçon d’autoroute sans connaître d’accident. Dans la tranche horaire immédiatement précédente, entre 2h. et 3h. du matin, c’étaient 85 véhicules de tourisme qui étaient passés sur ce tronçon, sans rencontrer de problème.

D’après une norme de l’Union des professionnels suisses de la route émise en 1984, de nombreux facteurs, dont notamment la vitesse, ainsi que l’état du véhicule et les intempéries, jouent un rôle essentiel lors d’accidents dus au dérapage.

Procédant à une appréciation de l’ensemble de ces éléments, la cour cantonale n’est pas tombée dans l’arbitraire en ayant retenu qu’il entrait raisonnablement en considération que la perte de maîtrise de son véhicule par le recourant provenait d’une vitesse inadaptée sur route mouillée, étant précisé qu’il avait plu la nuit de l’accident et les deux jours précédents.

Il n’est pas possible de dire que seules des mesures de sécurisation de l’autoroute A9 auraient empêché l’accident litigieux survenu à 3h. 05 le 18 juin 2008, dès l’instant où 152 voitures ont passé sur ce tronçon, entre 2h. et 4 h. du matin, sans déraper sur le revêtement de cette voie rapide.

Les statistiques d’octobre 2009 de la police vaudoise afférentes aux accidents sur la chaussée lac de l’autoroute A9 entre les sorties Blécherette et Vennes ne viennent pas à l’appui de la thèse du recourant, car si, en 2007 et 2008, plus de 80% des accidents sont survenus à un kilomètre ou moins du lieu du sinistre, la plupart sont dus à une vitesse des véhicules qui n’était pas adaptée aux circonstances.

 

Le TF rejette le recours de l’automobiliste.

 

 

Arrêt 4A_543/2016 consultable ici : http://bit.ly/2k7b1ic