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9C_577/2024 (f) du 09.07.2025, destiné à la publication – Qualité de bénéficiaires en cas de décès – 15 OLP / Droit aux prestations décès d’une concubine vs de l’ex-épouse

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_577/2024 (f) du 09.07.2025, destiné à la publication

 

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Qualité de bénéficiaires en cas de décès / 15 OLP – 19 LPP – 20 OPP 2

Droit aux prestations décès d’une concubine vs de l’ex-épouse – Conditions pour assimiler l’ex-épouse à une veuve / 20 al. 1 OPP 2

Cercle prioritaire des bénéficiaires en vertu des art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a précisé les conditions dans lesquelles une ex-conjointe peut être assimilée à une veuve pour prétendre à une prestation de libre passage après le décès de son ancien époux. Il précise également que l’ordre des bénéficiaires prévu par l’art. 15 OLP doit être respecté : même si l’assuré dispose de la faculté de préciser les droits de chacun et d’inclure d’autres personnes dans le cercle bénéficiaire, il ne peut exclure totalement un bénéficiaire prioritaire. Enfin, la délégation légale permettant au Conseil fédéral de fixer les conditions du droit du conjoint divorcé à des prestations pour survivants ne l’autorise pas à restreindre ou supprimer ce droit par voie réglementaire.

Ainsi, l’ex-épouse et la compagne du défunt appartiennent toutes deux au cercle prioritaire des bénéficiaires au sens de l’ordonnance sur le libre passage et du règlement de la fondation concernée. La cause a été renvoyée à la juridiction cantonale afin qu’elle répartisse entre elles le capital de libre passage contesté.

 

Faits
Assuré, né en 1954, et son épouse, née en 1949, se sont mariés en 1976 et ont eu deux enfants, nés en 1977 et 1980. Leur mariage a été dissous par jugement de divorce du 20 mai 1998, la convention homologuée prévoyant le versement d’une pension mensuelle de 1’800 fr. à l’épouse, augmentée de 500 fr. dès que les enfants auraient acquis leur indépendance financière.

Le 25 juin 2015, l’assuré a demandé à la Banque cantonale de Fribourg (BCF) que le capital de son compte de libre passage soit mis à disposition de sa compagne, avec qui il faisait ménage commun depuis 10 ans, et a désigné celle-ci comme bénéficiaire pour le versement de prestations en cas de décès à 100% du capital-décès auprès de la Fondation de prévoyance de son dernier employeur, la Fondation D.__. Par testament olographe du 20 janvier 2016, il a institué héritiers ses deux enfants pour trois quarts et sa compagne pour un quart.

À la suite du décès de l’assuré survenu le 1er février 2016, ses enfants et sa compagne ont conclu une convention le 26 juin 2016, par laquelle la compagne s’engageait à répudier la succession et à renoncer à ses droits successoraux en faveur des enfants, lesquels renonçaient, en sa faveur, à leurs prétentions relatives au compte auprès de la Fondation de libre passage. La compagne a perçu des prestations de la Fondation D.__, en qualité de bénéficiaire des avoirs, conformément au formulaire transmis par le défunt en juin 2015.

En août et septembre 2016, la BCF l’a informée que l’ex-épouse de l’assuré faisait valoir des prétentions sur le compte de libre passage du défunt, non manifestement injustifiées, de sorte qu’en l’absence de décision judiciaire définitive et exécutoire ou d’un accord écrit entre les intéressées, elle ne pouvait libérer les avoirs litigieux. Malgré les échanges ultérieurs, la BCF a maintenu sa position.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2023 161 – consultable ici)

La compagne a ouvert action contre la Fondation de libre passage. L’ex-épouse a été intégrée à la procédure comme intervenante. Par arrêt du 04.09.2024, la juridiction cantonale a partiellement admis l’action et ordonné à la Fondation de verser la totalité du capital sur le compte indiqué par la compagne, avec intérêts.

 

TF

Consid. 1.2.2
Dans le domaine des assurances sociales, l’institution de l’intervention vise à éviter que des décisions contradictoires ne soient rendues dans la même affaire et vise également une fonction de coordination du droit matériel (arrêts 9C_627/2023 du 25 juin 2024 consid. 6.3.2; 9C_198/2017 et 9C_199/2017 du 29 août 2017 consid. 3.2.1; cf. aussi arrêt 9C_717/2023 du 7 août 2024 consid. 4.4, non publié in ATF 151 III 143). L’intervention de partie n’a pas d’autres effets (ATF 130 V 501 consid. 1.2). Dès lors, les personnes intégrées dans la procédure par le biais de l’intervention n’ont aucune obligation qui découlerait de l’issue de la première procédure; celles-ci devront en revanche se laisser opposer les effets de cette décision dans d’autres procédures ultérieures (cf. arrêt 9C_198/2017 et 9C_199/2017 du 29 août 2017 consid. 3.2.2).

Consid. 1.2.3
En l’espèce, l’ex-épouse a pris part à la procédure en question, certes pas en tant que partie principale, mais en qualité d’intervenante. Comme elle le fait valoir, lui dénier la qualité pour recourir reviendrait à lui opposer les effets de l’arrêt cantonal, en ce que la juridiction cantonale a nié ses prétentions sur le capital litigieux, sans lui laisser la possibilité de faire valoir ses droits dans une autre procédure distincte, ce qui n’est pas compatible avec les garanties de procédure (cf. art. 29 à 30 Cst., art. 6 CEDH; cf. également FLORIAN BRUNNER, Verfahren mit mehreren Parteien im öffentlichen Recht, 2021, n° 460). Par ailleurs, les conclusions de l’ex-épouse ont été rejetées devant la juridiction cantonale, ce qui est une condition supplémentaire pour qu’elle puisse recourir devant le Tribunal fédéral (art. 89 al. 1 let. b et c LTF). Partant, quoi qu’en dise la compagne à cet égard, la recevabilité du recours déposé par l’ex-épouse ne prête pas le flanc à la critique sous l’angle de l’art. 89 al. 1 LTF.

Consid. 3.1
Selon l’art. 15 al. 1 let. b ch. 1 et 2 OLP, ont qualité de bénéficiaires s’agissant du maintien de la prévoyance, en cas de décès, les personnes ci-après dans l’ordre suivant : les survivants au sens des art. 19, 19a et 20 LPP (ch. 1), ainsi que les personnes à l’entretien desquelles l’assuré subvenait de façon substantielle, ou la personne qui avait formé avec lui une communauté de vie ininterrompue d’au moins cinq ans immédiatement avant le décès ou qui doit subvenir à l’entretien d’un ou de plusieurs enfants communs (ch. 2). L’assuré peut préciser dans le contrat les droits de chacun des bénéficiaires et inclure dans le cercle des personnes défini à l’al. 1, let. b, ch. 1, celles qui sont mentionnées au ch. 2 (art. 15 al. 2 OLP).

Consid. 3.2
Conformément à l’art. 19 al. 1 LPP, le conjoint survivant a droit à une rente si, au décès de son conjoint, il remplit l’une ou l’autre des conditions suivantes : il a au moins un enfant à charge (let. a) ; il a atteint l’âge de 45 ans et le mariage a duré au moins cinq ans (let. b). L’art. 19 al. 3 LPP précise que le Conseil fédéral définit le droit du conjoint divorcé à des prestations pour survivants. Faisant usage de cette délégation de compétence, le Conseil fédéral a adopté l’art. 20 OPP 2.

Aux termes de l’art. 20 al. 1 OPP 2, dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2016 (RO 2004 4279 et 4653), applicable en l’espèce (ATF 148 V 174 consid. 4.1 et les références), le conjoint divorcé est assimilé au veuf ou à la veuve en cas de décès de son ancien conjoint à la condition que son mariage ait duré dix ans au moins (let. a) et qu’il ait bénéficié, en vertu du jugement de divorce, d’une rente ou d’une indemnité en capital en lieu et place d’une rente viagère (let. b).

Consid. 3.3 [résumé]
Selon l’art. 6 du règlement de la Fondation de libre passage, en vigueur au moment du décès, sont bénéficiaires (art. 15 OLP), dans l’ordre, les survivants visés par les art. 19, 19a et 20 LPP, puis les personnes à l’entretien desquelles le preneur subvenait de manière substantielle ou celles ayant formé avec lui une communauté de vie d’au moins cinq ans avant le décès, ou encore celles chargées de subvenir à l’entretien d’enfants communs. L’assuré peut, par écrit et par courrier recommandé, préciser les droits de chacun et inclure dans le premier cercle les personnes du second. À défaut d’une déclaration écrite reçue par la fondation, le capital est réparti proportionnellement entre les ayants droit selon l’ordre établi.

La version postérieure du règlement (état au 1er septembre 2023) consacre ces principes dans l’art. 8, qui maintient l’ordre de priorité et la faculté d’aménagement des droits des bénéficiaires (art. 8 al. 1 et 2). Elle introduit l’usage d’un formulaire pour modifier cet ordre ou définir plus précisément les droits en cas de décès (art. 8 al. 3) et autorise la fondation à exiger des compléments d’information ou des documents pour vérifier le droit aux prestations (art. 8 al. 8).

Consid. 6.1
Conformément à l’art. 15 al. 1 let. b OLP, les bénéficiaires prioritaires s’agissant du maintien de la prévoyance sont les survivants au sens des art. 19, 19a et 20 LPP. Ces bénéficiaires, qui disposent d’un droit originaire qui leur est conféré par la loi (art. 15 OLP qui renvoie aux art. 19 à 20 LPP; arrêts 9C_52/2024 du 6 mars 2025 consid. 4.2.2; 9C_124/2015 du 19 octobre 2015 consid. 3.3), sont donc identiques aux bénéficiaires de prestations de la prévoyance obligatoire (art. 19, 19a et 20 LPP). Pour les autres rangs (art. 15 al. 1 let. b ch. 2-4 OLP), le cercle des bénéficiaires est exhaustif et correspond à celui de l’art. 20a LPP (cf. Rapport du Conseil fédéral « Analyse de la flexibilisation de l’ordre des bénéficiaires du pilier 3a » du 7 juin 2024 donnant suite au postulat 22.3220 Nantermod du 17 mars 2022, ch. 3.3.2; cf. aussi Message relatif à la révision de la loi fédérale sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité [LPP] [1 re révision LPP] du 1er mars 2000, FF 2000 2495, 2541, ch. 2.9.6.3).

Il résulte de l’art. 15 al. 1 let. b ch. 1 et 2 OLP que si le concubin (au sens défini par la disposition) peut se voir reconnaître le droit à la prestation de libre passage, son droit est en principe subordonné à la condition que le défunt n’ait pas de survivants au sens des art. 19, 19a et 20 LPP. Dans la mesure où les fondations de libre passage n’accordent pas de prestations aux survivants selon les art. 19, 19a et 20 LPP, ceux-ci sont en effet des ayants droit prioritaires à la prestation de libre passage (art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP). Ainsi, lorsque le défunt était marié ou lié par un partenariat enregistré, ou s’il avait des enfants, le concubin n’a droit à la prestation de libre passage que si le défunt l’a inclus dans le cercle des ayants droit prioritaires selon l’art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP, comme l’y autorise l’art. 15 al. 2 OLP (cf. STÉPHANIE PERRENOUD, Familles et sécurité sociale en Suisse: l’état civil, un critère pertinent ?, 2022, n° 1750; cf. aussi MARC HÜRZELER, Berufliche Vorsorge, Ein Grundriss für Studium und Praxis, 2020, n° 288). Le but de cette dernière disposition est de conférer à l’assuré la possibilité de tenir compte de l’objectif de prévoyance, par exemple en prenant en considération la situation personnelle et financière particulière des bénéficiaires (HÜRZELER, op. cit., n° 289). Cela étant, l’ordre des bénéficiaires prévu par l’art. 15 OLP doit être respecté. Cela signifie que si l’assuré fait usage de la possibilité prévue à l’art. 15 al. 2 OLP – à savoir qu’il peut préciser dans le contrat les droits de chacun des bénéficiaires et inclure dans le cercle des personnes défini à l’art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP celles qui sont mentionnées à l’art. 15 al. 1 let. b ch. 2 OLP -, il ne peut exclure totalement un des bénéficiaires du ch. 1 de l’art. 15 al. 1 let. b OLP en réduisant sa part à néant (cf. Rapport du Conseil fédéral du 7 juin 2024 précité, ch. 3.3.2; cf. aussi OFAS, Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 79 du 27 janvier 2005, ch. 472 p. 9; cf. également HÜRZELER, op. cit., n° 289).

On rappellera au demeurant que selon la jurisprudence, les règles applicables aux bénéficiaires de prestations pour survivants des institutions de prévoyance selon l’art. 20a LPP et aux prestations de libre passage selon l’art. 15 OLP concernent des états de fait différents. L’exclusion du versement de prestations pour survivants aux bénéficiaires de prestations selon l’art. 20a al. 1 LPP (catégorie au sein de laquelle s’inscrit en particulier la personne qui a formé avec le défunt une communauté de vie ininterrompue d’au moins cinq ans immédiatement avant le décès ou qui doit subvenir à l’entretien d’un ou de plusieurs enfants communs) en raison de la perception d’une rente de veuf ou de veuve, comme le prévoit l’art. 20a al. 2 LPP, ne s’applique pas aux prestations de libre passage (ATF 135 V 80 consid. 3.4).

Consid. 6.2
Dans la prévoyance obligatoire, les bénéficiaires de prestations de survivants, qui sont désignés de manière impérative par la loi (cf. art. 19, 19a et 20 LPP), comprennent le conjoint et le partenaire enregistré survivants (art. 19 et 19a LPP), l’ex-conjoint et l’ex-partenaire enregistré survivants (art. 19 al. 3 et 19a LPP et 20 OPP 2), ainsi que les orphelins (art. 20 LPP; cf. PERRENOUD, op. cit., n os 1659 et 1718; de cet avis également, notamment: ESTHER AMSTUTZ, in Basler Kommentar, Berufliche Vorsorge, 2021, n° 1 ad art. 20a LPP; MARC HÜRZELER/ GUSTAVO SCARTAZZINI, in Commentaire LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n os 1 et 37 ad art. 20a LPP).

Ainsi, le principe selon lequel le conjoint divorcé a droit à une rente de survivant de la prévoyance professionnelle obligatoire est prévu dans la loi, à l’art. 19 al. 3 LPP. La délégation de compétence que contient cette disposition (consid. 3.2 supra), dont le Conseil fédéral a fait usage en adoptant l’art. 20 OPP 2, ne porte que sur les conditions du droit du conjoint divorcé à des prestations pour survivants; elle n’autorise pas le Conseil fédéral à supprimer, par la voie réglementaire, le droit du conjoint divorcé à de telles prestations (cf. Message à l’appui d’un projet de loi sur la prévoyance professionnelle vieillesse, survivants et invalidité du 19 décembre 1975, FF 1976 I 117, 199, ch. 521.32; cf. aussi Message relatif à la 1re révision LPP précité, FF 2002 2495, 2549, ch. 4.1, selon lequel la nouvelle formulation de l’al. 3 [de l’art. 19] rend possible que l’ex-mari ait droit à une rente de veuf aux mêmes conditions que la femme survivante divorcée).

Consid. 6.3
En définitive, en considérant que les conjoints divorcés ne sont pas inclus dans le cercle des conjoints survivants selon l’art. 19 LPP, auquel renvoient les art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP et 8 du règlement de la Fondation de libre passage, la juridiction cantonale a violé le droit. Un conjoint divorcé fait partie du cercle prioritaire des ayants droit selon les dispositions précitées, pour autant que soient remplies les conditions auxquelles l’art. 20 OPP 2 subordonne l’assimilation du conjoint divorcé au veuf ou à la veuve.

Consid. 7.1
Il reste à examiner si les conditions posées par l’art. 20 al. 1 OPP 2 sont en l’occurrence réalisées, ce qui permettrait dans l’affirmative à l’ex-épouse d’être assimilée à une veuve et donc, d’être considérée comme un conjoint survivant au sens de l’art. 19 LPP et de faire partie, à ce titre, du cercle prioritaire des ayants droit selon les art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP et 8 du règlement de la Fondation de libre passage.

Consid. 7.2
Concernant d’abord la condition afférente à la durée du mariage (art. 20 al. 1 let. a OPP 2), il est constant que l’ex-épouse et feu l’assuré se sont mariés le 12 mars 1976 et que la dissolution de leur mariage par le divorce a été prononcée le 20 mai 1998. Ils ont donc été mariés pendant plus de dix ans, comme l’exige l’art. 20 al. 1 let. a OPP 2.

Consid. 7.3 [résumé]

Quant à la seconde condition (art. 20 al. 1 let. b OPP 2, dans sa version applicable jusqu’au 31 décembre 2016; cf. consid. 3.2 supra), la convention de divorce du 20 mai 1998 prévoyait que l’assuré devait verser à son ex-épouse la moitié de sa prestation de sortie LPP acquise pendant le mariage (104’735 fr. 90) et une pension mensuelle de 1’800 fr., augmentée de 500 fr. dès que chaque enfant aurait acquis son indépendance financière. Selon la convention, l’assuré avait renoncé à demander une réduction de la pension tant que les revenus de son ex-épouse restaient inférieurs à 1’500 fr. nets par mois, sous réserve d’une baisse importante et durable de ses propres revenus en dessous de 7’200 fr. nets. A cet égard, la compagne n’allègue pas que feu l’assuré ne versait plus de pension à son ex-épouse au moment de son décès.

En ce qui concerne l’ex-épouse, le décès de son ex-conjoint a ainsi eu pour conséquence la fin du versement de contributions d’entretien, alors qu’elle avait déjà atteint l’âge de la retraite. La condition relative à l’octroi d’une rente, en vertu du jugement de divorce (art. 20 al. 1 let. b OPP 2) est donc remplie. On rappellera à cet égard que la rente, prévue comme condition de l’assimilation du conjoint divorcé au veuf ou à la veuve par l’art. 20 al. 1 let. b OPP 2, peut également être une rente limitée dans le temps (ATF 137 V 373 consid. 2-6). Ce qui importe, c’est que l’obligation alimentaire existe encore au moment du décès de l’ex-conjoint tenu à aliments (cf. OFAS, Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 1 du 24 octobre 1986, ch. 2 p. 4 s.; cf. aussi HÜRZELER/SCARTAZZINI, op. cit., n os 18 et 31 ad art. 19 LPP). L’art. 20 OPP 2 vise en effet à indemniser le conjoint divorcé pour la perte de soutien qu’il subit ensuite du décès de son ancien conjoint (ATF 137 V 373 consid. 6.2 et les arrêts cités; cf. aussi arrêts 9C_33/2011 du 14 septembre 2011 consid. 5.2; B 135/06 du 9 novembre 2007 consid. 3.6). Il n’y a dès lors pas lieu d’examiner plus avant le grief de l’ex-épouse recourante tiré de la violation de la maxime inquisitoire par les juges cantonaux, en relation avec la fonction de soutien de la contribution d’entretien.

Consid. 8 [résumé]
En conséquence de ce qui précède, la cause doit être renvoyée à la juridiction cantonale afin qu’elle répartisse le capital litigieux entre l’ex-épouse et la compagne, qui appartiennent toutes deux au cercle prioritaire des bénéficiaires selon les art. 15 al. 1 let. b ch. 1 OLP et 8 du règlement de la Fondation de libre passage (correspondant à l’art. 6 de l’ancien règlement).

 

Le TF admet le recours de l’ex-épouse.

 

Arrêt 9C_577/2024 consultable ici

 

 

 

9C_283/2024 (f) du 27.06.2025 – Notion d’invalidité et d’incapacité de travail – Syndrome douloureux somatoforme et d’affections psychosomatiques comparables / Valeur probante des expertises judiciaires

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_283/2024 (f) du 27.06.2025

 

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Notion d’invalidité et d’incapacité de travail – Syndrome douloureux somatoforme et d’affections psychosomatiques comparables / 7 LPGA – 8 LPGA – 16 LPGA – 4 al. 1 LAI

Valeur probante des expertises judiciaires – Un diagnostic ne suffit pas à déterminer une incapacité de travail

 

Résumé
Assurée ayant obtenu une demi-rente d’invalidité en raison de troubles psychiques et physiques, puis à qui la cour cantonale a reconnu une rente entière sur la base d’expertises judiciaires. Le Tribunal fédéral a relevé que les constatations médicales n’étaient pas suffisamment détaillées pour évaluer objectivement la gravité des atteintes invoquées ni pour apprécier leur impact réel sur la capacité de travail. Les juges cantonaux ont donc, selon lui, accordé une valeur probante excessive à une expertise lacunaire.

Le Tribunal fédéral rappelle que la nature d’un diagnostic ne suffit pas à déterminer une incapacité de travail. Ce qui importe, ce sont les limitations fonctionnelles concrètes qui en découlent, lesquelles doivent être examinées de manière structurée et cohérente au regard des exigences professionnelles. Constatant l’insuffisance de l’évaluation médicale respectant pleinement les exigences en la matière (cf. ATF 141 V 281), il renvoie la cause à la juridiction cantonale afin qu’elle complète l’instruction et statue à nouveau sur le droit de l’assurée à une rente supérieure à une demi-rente.

 

Faits
Assurée, née en 1968, a exercé comme secrétaire médicale à plein temps dès août 2000 puis à 80% dès septembre 2009. En arrêt de travail complet depuis le 10.11.2015, puis partiel dans le cadre de reprises thérapeutiques, elle a déposé le 22.02.2017 une demande de prestations AI en raison d’un syndrome d’épuisement professionnel. L’assurée a tenté une reprise de son travail à 50% en avril 2017 puis a séjourné dans une institution de réadaptation psychosomatique en juillet-août 2017.

L’office AI a recueilli divers rapports médicaux, organisé des mesures préparatoires – interrompues prématurément – et mis en œuvre une expertise psychiatrique. L’expert, dans un rapport du 17 juin 2019, a diagnostiqué des troubles dépressifs récurrents moyens avec syndrome somatique et des troubles paniques, limitant la capacité de travail dans son activité habituelle ou toute autre activité également adaptée à 50% depuis 2016.

Sur le plan somatique, le médecin du SMR a convoqué l’assurée pour une évaluation et a retenu un syndrome polyalgique compatible avec un syndrome d’Ehlers-Danlos hypermobile, une hypermobilité bénigne ou une fibromyalgie. L’assurée disposait d’une capacité de travail de 70% dans son activité habituelle ou toute autre activité adaptée depuis le 10.11.2015. Après une enquête économique sur ménage, l’office AI a octroyé une demi-rente dès le 01.08.2017 (décision du 23.02.2021).

Procédure cantonale (arrêt ATAS/204/2024 – consultable ici)

L’assurée a produit de nouveaux rapports psychiatriques. La cour cantonale a procédé à l’audition des parties, puis a ordonné une expertise judiciaire (psychiatrie et rhumatologie). L’expert rhumatologue a retenu un syndrome douloureux chronique, tandis que l’expert psychiatre a diagnostiqué des troubles envahissants du développement, notamment un syndrome d’Asperger, un trouble de l’anxiété généralisée et un trouble dépressif récurrent (actuellement en rémission). Selon lui, l’assurée est incapable d’exercer son activité depuis 2015 et ne peut envisager qu’une activité protégée à très faible taux.

Par jugement du 27.03.2024, admission du recours par le tribunal cantonal, octroyant une rente entière d’invalidité dès le 01.08.2017.

 

TF

Consid. 2.2
Comme l’ont rappelé les premiers juges, le Tribunal fédéral a revu et modifié en profondeur le schéma d’évaluation de la capacité de travail, respectivement de l’incapacité de travail, en cas de syndrome douloureux somatoforme et d’affections psychosomatiques comparables. Il a notamment abandonné la présomption selon laquelle les troubles somatoformes douloureux ou leurs effets pouvaient être surmontés par un effort de volonté raisonnablement exigible (ATF 141 V 281 consid. 3.4 et 3.5) et introduit un nouveau schéma d’évaluation au moyen d’un catalogue d’indicateurs (ATF 141 V 281 consid. 4). Le Tribunal fédéral a ensuite étendu ce nouveau schéma d’évaluation aux autres affections psychiques ou psychosomatiques (ATF 143 V 409 et 418; 145 V 215). Aussi, le caractère invalidant d’atteintes à la santé psychique doit être établi dans le cadre d’un examen global, en tenant compte de différents indicateurs, dont notamment les limitations fonctionnelles et les ressources de la personne assurée, de même que le critère de la résistance du trouble psychique à un traitement conduit dans les règles de l’art (ATF 143 V 409 consid. 4.4).

Consid. 3.1 [résumé]
L’office recourant soutient que la cour cantonale a arbitrairement accordé pleine valeur probante à l’expertise de l’expert judiciaire psychiatre. Il reproche à ce dernier un diagnostic insuffisamment motivé de trouble du spectre autistique, fondé principalement sur le test « Quotient du spectre de l’autisme (AQ-10) » sans corroboration clinique, anamnestique ni référence aux critères diagnostiques reconnus. Selon l’office AI, l’assurée, âgée de 56 ans, présentait un parcours social et professionnel sans altération significative, et les restrictions décrites relevaient d’un trouble anxieux. Il souligne l’absence d’éléments cliniques pertinents (troubles cognitifs, perceptifs ou du moi) et conteste les conclusions rétrospectives de l’expert depuis 2015.

Consid. 3.2 [résumé]
L’assurée soutient au contraire que l’expert judiciaire psychiatre a fondé son diagnostic sur une analyse détaillée de l’anamnèse et sur les critères internationaux du syndrome d’Asperger, en reliant les symptômes observés à ceux-ci. L’expert avait décrit une évolution marquée par des épisodes d’épuisement et de dépression depuis 2011, avec une incapacité totale de travail dès 2015, en expliquant que son niveau d’intelligence – évalué de manière objective à l’aide d’un test reconnu – avait masqué les signes autistiques depuis l’enfance. Il avait en outre observé des particularités gestuelles et mimiques confirmant le diagnostic, de sorte que l’examen de l’impact d’une éventuelle fibromyalgie était superflu face à une incapacité totale due au syndrome d’Asperger.

Consid. 4.1
En l’occurrence, comme le relève l’office recourant, le diagnostic de troubles envahissants du développement, même s’il était posé de manière fondée (question qui peut être laissée ouverte, voir infra consid. 4.3), ne peut pas à lui seul justifier une incapacité de travail totale dans toute activité. Ce qui importe dans l’évaluation de la capacité de travail, ce n’est pas uniquement la nature du diagnostic, mais les limitations fonctionnelles qui en résultent. Les déficits fonctionnels, qui du point de vue conceptuel font partie du diagnostic posé selon les règles de l’art, doivent être comparés aux exigences de la vie professionnelle et convertis en une éventuelle diminution de la capacité de travail à l’aide d’une grille d’évaluation normative et structurée (notamment des indicateurs du degré de gravité fonctionnel et de cohérence). De cette manière, les limitations fonctionnelles mises en évidence par l’expert peuvent être confirmées ou écartées par les organes de l’assurance-invalidité après un soigneux examen de plausibilité en fonction des circonstances du cas particulier (ATF 141 V 281 consid. 2.1.2 et les références).

Consid. 4.2
À cet égard, en se contentant d’affirmer que l’expertise judiciaire psychiatrique répondait aux « réquisits » nécessaires à la reconnaissance de sa pleine valeur probante, et qu’elle était détaillée et convaincante, la juridiction cantonale n’a pas constaté les éléments de fait suffisants pour que le Tribunal fédéral puisse juger des griefs soulevés par l’office recourant (art. 112 al. 1 let. b LTF). Cette appréciation est de plus arbitraire dans son résultat.

À l’inverse de ce que soutient implicitement la juridiction cantonale, l’expert psychiatre ne s’est pas exprimé sur le caractère prononcé des éléments et des symptômes pertinents pour les différents diagnostics, en particulier ceux de troubles envahissants du développement et d’anxiété généralisée. Au contraire, il s’est fondé essentiellement sur la manière dont l’assurée elle-même ressentait et assumait ses facultés de travail depuis 2015, pour recommander son intégration dans un atelier spécialisé, alors qu’il aurait été tenu d’établir, au moyen d’une évaluation fonctionnelle rigoureuse conforme aux exigences de l’ATF 141 V 281, la mesure de ce qui était raisonnablement exigible le plus objectivement possible. Au regard du parcours de l’assurée, qui a travaillé durant plus de trente ans, en dernier lieu en qualité de secrétaire dans un service de psychiatrie hospitalière, l’expert n’a en particulier pas apporté d’éléments suffisants pour apprécier la gravité de l’atteinte à la santé à l’aide de tous les éléments à disposition provenant de l’étiologie et de la pathogenèse déterminante pour le diagnostic en tant qu’échelle de mesure pour voir si elle prive l’assurée de ses ressources.

De plus, il manque dans l’expertise une discussion approfondie du « contexte social » de l’assurée, l’office recourant soutenant à juste titre que les interactions sociales de celle-ci étaient limitées selon l’anamnèse principalement en raison du trouble anxieux. Or, alors qu’il retient que l’anxiété généralisée était de « gravité légère » selon les tests psychométriques et que les vulnérabilités psychologiques liées aux émotions et au dynamisme ne justifiaient pas une incapacité de travail, l’expert judiciaire n’a pas discuté le niveau d’activité de l’assurée avant et après 2015. Il n’a donc pas considéré le niveau d’activité de l’assurée dans son environnement habituel par rapport à l’incapacité de travail invoquée concrètement. L’expertise judiciaire ne permet dès lors pas d’examiner si ces comorbidités psychiatriques, en tant qu’échelle de mesure, privent l’assurée de certaines ressources. En d’autres termes, l’expertise judiciaire ne fournit manifestement pas les éléments cliniques et documentaires nécessaires permettant d’évaluer de manière objective la gravité de l’atteinte à la santé et l’étendue de la diminution de la capacité de travail qu’elle entraîne pour l’assurée.

Consid. 4.3
Ensuite des éléments qui précèdent, alors que les conclusions de l’expertise se heurtent à la réalité concrète et observable de la vie professionnelle de l’assurée pendant plus de trente ans, l’expert judiciaire n’a pas exposé d’éléments détaillés et convaincants susceptibles de permettre de comprendre ou de suivre ses conclusions. Dans ces circonstances, la question de savoir si les troubles envahissants du développement, notamment de type syndrome d’Asperger, ont été diagnostiqués selon les règles de l’art peut rester ouverte. Il appartiendra au nouvel expert psychiatrique d’examiner cette problématique ab novo, puis de se prononcer avec l’expert rhumatologue au terme d’une discussion interdisciplinaire.

Consid. 5
En conclusion, en l’absence d’une évaluation médicale qui satisfasse pleinement aux exigences en la matière (cf. ATF 141 V 281) et permette de se prononcer sur le droit de l’assurée à une rente supérieure à une demi-rente dès le 1 er août 2017, il convient de renvoyer la cause à l’autorité précédente (art. 107 al. 2 LTF) pour qu’elle mette en oeuvre les mesures d’instruction qui s’imposent sur le plan médical, puis statue à nouveau.

 

Le TF admet le recours de l’office AI.

 

Arrêt 9C_283/2024 consultable ici

 

 

 

9C_102/2024 (f) du 30.06.2025 – Versement de la prestation en capital et consentement du conjoint du bénéficiaire – Demande de signature légalisée par un notaire / Recours de l’assuré à la limite de la témérité

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_102/2024 (f) du 30.06.2025

 

Consultable ici

 

Versement de la prestation en capital et consentement du conjoint du bénéficiaire – Demande de signature légalisée par un notaire / 37 LPP – 37a LPP

Fardeau de la preuve du consentement du conjoint

Recours de l’assuré à la limite de la témérité

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé le refus du versement en capital au motif que l’assuré n’avait pas produit le consentement de son épouse (signature légalisée par un notaire). Il a jugé que l’institution de prévoyance était en droit de vérifier l’authenticité de la signature et que cette exigence ne constituait pas un formalisme excessif. Faute de preuve du consentement écrit, le rejet de la demande était justifié, le recours de l’assuré se situant à la limite de la témérité.

 

Faits
Assuré, né en 1954, marié, est séparé de son épouse. Il était affilié pour la prévoyance professionnelle.

En avril 2019, l’institution de prévoyance l’a informé qu’il aurait droit à des prestations de vieillesse dès le 01.06.2019 et qu’il avait la possibilité d’opter pour un versement partiel ou total des prestations de vieillesse sous forme de capital. Si tel était le cas, il était invité à lui retourner avant le début du droit aux prestations le formulaire prévu à cet effet ainsi que le certificat de famille, étant précisé que pour les personnes mariées, un versement en capital ne pouvait intervenir qu’avec le consentement écrit du conjoint dont la signature devait être légalisée par un notaire.

Le 28 mai 2019, l’assuré a demandé le versement sous forme de capital sans la signature de son épouse, puis a continué de travailler jusqu’à sa retraite au 30.06.2020. L’institution de prévoyance lui a rappelé la nécessité d’une autorisation signée et légalisée de son épouse. En octobre 2021, il a réitéré sa demande de versement du capital, en indiquant qu’ils vivaient séparés depuis vingt ans et avaient signé en 2013 une renonciation réciproque à leurs avoirs de prévoyance, qu’il a produite. L’institution de prévoyance a néanmoins maintenu son exigence de signature légalisée.

 

Procédure cantonale (arrêt PP 13/23 – 39/2023 – consultable ici)

Par jugement du 22.11.2023, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.1
Se référant à l’art. 37 LPP, les juges cantonaux ont rappelé que la prévoyance professionnelle ne profite pas seulement au preneur d’assurance mais aussi aux membres de sa famille. En effet, une partie de l’avoir de prévoyance acquis durant le mariage revient au conjoint en cas de divorce (cf. art. 22 LFLP). Or ces expectatives sont réduites en cas de paiement en espèces ou de prestations en capital.

À cet égard, l’instance cantonale a rappelé que l’art. 37a LPP protège les expectatives en ce sens qu’il empêche que le preneur d’assurance puisse mettre fin à la prévoyance professionnelle en percevant les fonds de prévoyance sans le consentement du conjoint bénéficiaire (THOMAS GEISER/CHRISTOPH SENTI in: Commentaire LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 1 ss ad art. 37a LPP). Ainsi, sous le titre marginal « Consentement au versement de la prestation en capital », il est prévu à l’art. 37a LPP que lorsque l’assuré est marié ou lié par un partenariat enregistré, le versement de la prestation en capital selon l’art. 37, al. 2 et 4, n’est autorisé que si le conjoint ou le partenaire enregistré donne son consentement écrit. S’il n’est pas possible de recueillir ce consentement ou s’il est refusé, l’assuré peut en appeler au tribunal civil (al. 1). On rappellera à ce sujet que l’exigence du « consentement écrit de l’autre conjoint », « désormais nécessaire », prévue dans le Message du 1er mars 2000 relatif à la 1re révision de la LPP (FF 2000 2495, 2552), avait été introduite au 1er janvier 2005 (art. 37 al. 5 aLPP; RO 2004 1677, 1700) et qu’elle avait été étendue au partenaire enregistré dès le 1er janvier 2007 (ch. 29 de l’annexe à la loi sur le partenariat du 18 juin 2004, RO 2005 5685, 5718; FF 2003 1192).

Consid. 3.2
Dans l’ATF 130 V 103, cité par les juges cantonaux, le Tribunal fédéral a examiné le point de savoir si l’institution de prévoyance pouvait être tenue de verser une seconde fois le montant de la prestation de libre passage lorsque celle-ci avait été versée à l’assuré en violation de l’art. 5 al. 2 LFLP (soit sans le consentement écrit du conjoint de l’assuré dans les situations visées par l’art. 5 al. 1 LFLP). Il a considéré que, dans ces conditions, le versement en question n’était pas nul à la différence de ce que prévoyaient d’autres dispositions apparentées, telles que l’art. 494 al. 1 et 3 CO, où l’absence de consentement valable conduisait à la nullité de l’acte juridique, sans que la partie contractante ne puisse se prévaloir de sa bonne foi (cf. consid. 3.2). Il a alors fondé la prétention en cause sur les art. 97 ss CO et a retenu que l’institution de prévoyance est tenue de prester si elle n’a pas fait preuve de la diligence requise pour vérifier le consentement du conjoint (cf. consid. 3.3). Il a toutefois exclu que, dans la situation alors jugée, l’institution de prévoyance ait manqué à son devoir de diligence lors de la vérification du consentement des ayants droit et doive réparer le dommage en résultant (cf. consid. 3.4 et 3.5). Cette jurisprudence a été confirmée et appliquée à de nombreuses reprises (cf. ATF 133 V 205 consid. 4.4; arrêt 9C_52/2024 du 6 mars 2025 consid. 4.3.2; arrêt B 126/04 du 20 mars 2006 consid. 2.3 et les cas d’application mentionnés; cf. en particulier arrêt B 58/01 du 7 janvier 2004; voir aussi THOMAS GEISER/CHRISTOPH SENTI, op. cit., n° 59 ss ad art. 5 LFLP; Hans-Ulrich Stauffer, Berufliche Vorsorge, 3e éd. 2019, p. 472 n° 1465).

En particulier, dans le cadre de l’art. 37 al. 5 aLPP, le Tribunal fédéral a confirmé les principes relatifs à l’exigence du consentement écrit du conjoint en cas de versement en capital des avoirs de vieillesse, le règlement de l’institution de prévoyance concerné prévoyant l’exigence de la légalisation de la signature du conjoint (arrêt 9C_495/2015 du 17 juin 2016).

Consid. 4.1
Au consid. 7 de son jugement, auquel il suffit de renvoyer, l’autorité précédente a retenu que plusieurs éléments au dossier ne permettaient pas de lever le doute sur l’authenticité de la signature de l’épouse de l’assuré.

Consid. 4.2
Ce dernier fait grief aux juges cantonaux d’avoir versé dans l’arbitraire en admettant l’existence de tels doutes. Il soutient qu’il n’a pas été établi que la signature de son épouse aurait été contrefaite. En outre, il allègue que l’instance cantonale lui a fait supporter le fardeau d’une preuve qu’il ne devait pas apporter. À son avis, en cas de doute, il incombait aux juges cantonaux d’instruire en conséquence, en vertu de la maxime inquisitoire (art. 61 let. c LPGA).

Consid. 4.3
Contrairement à l’opinion de l’assuré, il lui appartient de prouver les faits justifiant le versement de la prestation en capital qu’il réclame en produisant le consentement de son épouse (cf. art. 37a LPP), le cas échéant en saisissant le tribunal civil (al. 1), de telles démarches n’incombant pas au juge des assurances.

Quant aux vérifications auxquelles l’institution de prévoyance entendait procéder, elles ne constituent nullement un cas de « formalisme renforcé » compte tenu de l’importance des intérêts en jeu, étant rappelé qu’un manque de diligence de l’institution de prévoyance pourrait l’exposer à supporter les conséquences d’une preuve insuffisante de la signature du conjoint, s’il devait s’avérer que le versement était indu (cf. arrêt 9C_52/2024 précité, consid. 4.3). Au regard des règles exposées ci-avant (consid. 3 supra) et quand bien même la loi et le règlement de l’institution de prévoyance prévoient la simple forme écrite pour le consentement, l’institution de prévoyance était légitimée à vérifier l’authenticité de la signature de l’épouse, d’autant plus que l’assuré ne démontre pas en quoi la juridiction cantonale aurait arbitrairement retenu l’existence de doutes. L’institution de prévoyance pouvait ainsi requérir la légalisation de la signature de l’épouse par un notaire ou lui proposer de passer personnellement dans ses bureaux, sans que cela constitue de surcroît un cas de formalisme excessif.

À défaut d’avoir produit le consentement légalisé de son épouse, l’assuré s’est exposé au rejet de sa demande par l’instance cantonale. Le jugement attaqué ne prête pas le flanc à la critique et le recours, qui se situe à la limite de la témérité, est donc infondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_102/2024 consultable ici

 

 

8C_25/2025 (f) du 08.07.2025 – Révision procédurale – Vraisemblance de l’existence de faits ou moyens de preuve nouveaux – 53 al. 1 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_25/2025 (f) du 08.07.2025

 

Consultable ici

 

Révision procédurale – Vraisemblance de l’existence de faits ou moyens de preuve nouveaux / 53 al. 1 LPGA

 

Résumé
Une assurée victime d’un accident de scooter en 2017 a demandé la révision de la décision de janvier 2021 (statu quo sine) après qu’une IRM de novembre 2021 a révélé des lésions ligamentaires au coude droit. Les juges cantonaux puis fédéraux ont considéré que ces lésions ne constituaient pas un fait nouveau, faute de lien établi avec la situation existant lors de la décision initiale de 2021, et ont estimé que l’assurée n’avait pas rendu vraisemblable leur existence à cette époque.

 

Faits
Assurée, née en 1970, travaillait comme caissière. Le 24 février 2017, elle a été victime d’un accident. Arrêtée à un feu rouge avec son scooter, l’automobiliste derrière elle a démarré avant que le feu ne soit vert et l’a percutée, ce qui l’a fait tomber sur le côté droit.

En 2019, les examens ont montré une tendinopathie sans déchirure.

Invité par l’assurance-accidents à procéder à une analyse du dossier, le docteur D.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie, a estimé qu’en l’absence de lésion structurelle due à l’événement, le statu quo sine était atteint à trois mois de l’accident. Par décision du 25.01.2021, l’assurance-accidents a refusé de prester pour la symptomatologie douloureuse ayant fait l’objet d’une annonce de rechute en 2020 compte tenu du statu quo sine à trois mois de l’accident.

Le 02.03.2021, l’assurée a été opérée.

Une IRM du 30.11.2021 a révélé une instabilité postéro-latérale du coude avec rupture ligamentaire. Dans un rapport du 03.03.2022, le docteur G.__, spécialiste en médecine interne générale, s’est prononcé après étude du dossier de l’assurée. Il a estimé que les lésions étaient d’origine traumatique et directement liées à l’accident. Il a précisé que les examens radiologiques préalables n’étaient pas assez performants pour poser les nouveaux diagnostics ou à tout le moins ne l’avaient pas permis.

Le 4 avril 2022, l’assurée a sollicité la réouverture de son dossier en produisant le rapport du docteur G.__. Interpellé par l’assurance-accidents, le docteur D.__ a indiqué que la décision du 25.01.2021 restait valable. Il n’y avait pas d’arguments pour conclure que la lésion du ligament latéral externe du coude droit mise en évidence à l’IRM de novembre 2021 était due à l’accident. Selon lui, il y avait des éléments pour suspecter que, lors de l’intervention du 02.03.2021, il y avait eu une lésion iatrogène du ligament du coude droit. Il préconisait une confirmation par un spécialiste du coude.

Par décision, confirmée sur opposition le 07.11.2023, l’assurance-accidents a rejeté la demande de révision. L’opération du 2 mars 2021 n’étant pas en lien avec l’accident, une lésion y faisant suite n’était pas du ressort de l’assurance-accidents.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/935/2024, décision sur rectification ATAS/983/2024)

Le 6 juin 2024, l’assurée a produit un rapport du Prof. H.__, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, établi le 3 juin précédent, aux termes duquel l’instabilité postéro-latérale du coude ne pouvait être de type dégénératif mais était d’origine traumatique. Par arrêt du 27.11.2024 rectifié le 09.12.2024, la juridiction cantonale a rejeté le recours.

 

TF

Consid. 3.1
Aux termes de l’art. 53 al. 1 LPGA, les décisions et les décisions sur opposition formellement passées en force sont soumises à révision si l’assuré ou l’assureur découvre subséquemment des faits nouveaux importants ou trouve des nouveaux moyens de preuve qui ne pouvaient être produits auparavant.

Consid. 3.2
La notion de faits ou moyens de preuve nouveaux s’apprécie de la même manière en cas de révision (procédurale) d’une décision administrative (art. 53 al. 1 LPGA) ou de révision d’un jugement cantonal (art. 61 let. i LPGA) (cf. ATF 144 V 245 consid. 5.1). La révision suppose la réalisation de cinq conditions:

  1. le requérant invoque un ou des faits;
  2. ce ou ces faits sont « pertinents », dans le sens d’importants (« erhebliche »), c’est-à-dire qu’ils sont de nature à modifier l’état de fait qui est à la base du jugement et à conduire à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte;
  3. ces faits existaient déjà lorsque le jugement a été rendu: il s’agit de pseudo-nova (« unechte Noven »), c’est-à-dire de faits antérieurs au jugement ou, plus précisément, de faits qui se sont produits jusqu’au moment où, dans la procédure principale, des allégations de faits étaient encore recevables;
  4. ces faits ont été découverts après coup (« nachträglich »), soit postérieurement au jugement, ou, plus précisément, après l’ultime moment auquel ils pouvaient encore être utilement invoqués dans la procédure principale;
  5. le requérant n’a pas pu, malgré toute sa diligence, invoquer ces faits dans la procédure précédente (ATF 143 III 272 consid. 2.2).

Consid. 3.3
Savoir si l’autorité cantonale s’est fondée sur une juste conception des notions de faits nouveaux ou de moyens de preuves nouveaux est une question de droit. En revanche, savoir si un fait ou un moyen de preuve était effectivement inconnu est une question de fait; il en va de même de la question de savoir si un fait nouveau ou un moyen de preuve nouveau est propre à modifier l’état de fait retenu; il s’agit alors d’une question d’appréciation des preuves (arrêt 8C_531/2020 du 3 mai 2021 consid. 2.4 et les références).

Consid. 4 [résumé]
Les juges cantonaux ont considéré que l’IRM du 30.11.2021, et non le rapport du 3 mars 2022, constituait un moyen de preuve nouveau révélant un fait nouveau, l’analyse du lien de causalité n’ayant été possible qu’après la découverte de lésions ligamentaires à l’IRM. L’assurée ne pouvant en saisir la portée sans explications médicales, le délai de 90 jours avait commencé à courir lors de la consultation du 28.01.2022, rendant la demande de révision du 04.04.2022 recevable quant au délai. En revanche, la cour cantonale a estimé que l’assurée n’avait pas démontré, au degré de la vraisemblance prépondérante, que ces lésions constatées plus de quatre ans après l’accident étaient présentes lors de la décision du 25.01.2021, relevant que le docteur G.__ s’était borné à affirmer que les examens antérieurs n’étaient pas assez performants pour les objectiver. Elle a ainsi jugé fondé le refus d’entrer en matière de l’intimée, sans ordonner les mesures d’instruction requises.

Consid. 6.1 [résumé]
L’assurée invoque une violation du droit d’être entendu (art. 29 al. 2 Cst. et art 6 CEDH) et de la maxime inquisitoire (art. 61 lit. c LPGA), reprochant à la cour cantonale une motivation trop sommaire, l’absence de prise de position sur certains éléments de preuve sans justification et le refus d’ordonner des mesures d’instruction supplémentaires, comme l’audition des médecins ou une expertise.

Consid. 6.2
La cour cantonale a expliqué que le docteur G.__ s’était limité à constater l’absence de performances suffisantes des examens antérieurs à l’IRM pour déceler les lésions ligamentaires, sans expliquer pourquoi elles n’étaient pas visibles à l’échographie déjà au dossier. Elle a ainsi estimé que l’assurée n’avait pas établi, au degré de la vraisemblance prépondérante, que ces lésions existaient déjà au moment de la décision du 25.01.2021. Le Prof. H.__ ne s’étant pas prononcé sur la date d’apparition des lésions, il n’était pas utile d’examiner son avis.

Concernant les mesures d’instruction supplémentaires demandées par l’assurée, il appartient à la partie qui présente une requête de révision de rendre vraisemblable l’existence de faits ou moyens de preuve nouveaux (ATF 127 V 353 consid. 5b). Si elle n’y parvient pas, l’assureur doit rejeter la demande de révision; il n’est pas tenu d’établir à nouveau les faits de manière complète au sens de l’art. 43 LPGA et de rechercher de manière active des nouveaux faits ou moyens de preuve (arrêts 9C_955/2012 du 13 février 2013 consid. 3.2; 8C_797/2011 du 15 février 2012 consid. 5.2; Margit Moser-Szeless, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n° 62 ad art. 53 LPGA). En l’occurrence, la cour cantonale a considéré que l’assurée n’avait pas établi de façon suffisamment vraisemblable que les lésions ligamentaires constatées en 2021, plus de quatre ans après l’accident, en dépit d’un suivi médical continu, étaient déjà présentes au moment de l’accident et ainsi qu’elle n’avait pas établi l’existence d’un fait nouveau. Ce faisant et même si son raisonnement aurait pu être articulé de façon plus claire, elle n’a pas violé le droit d’être entendue de l’assurée. Elle n’a pas non plus établi les faits ou apprécié les preuves de façon arbitraire, ce que l’assurée ne prétend d’ailleurs pas.

Consid. 7
Dans un dernier grief, l’assurée fait valoir une violation de l’art. 53 LPGA. Le résultat de l’IRM de novembre 2021 confirmerait l’existence d’une lésion importante du coude qui expliquerait la symptomatologie présentée au moment de sa demande de prestations pour rechute et qui n’aurait pas pu être découverte auparavant faute d’examen adéquat. Selon elle, il s’agirait bien d’un moyen de preuve nouveau établissant qu’une lésion existait déjà au moment du prononcé de la décision de refus de prester de l’assurance de janvier 2021. Ce faisant, l’assurée se contente de présenter sa propre appréciation de la situation, sans invoquer que la juridiction cantonale se serait fondée sur une conception erronée des notions de faits ou de moyens de preuves nouveaux, ou qu’elle aurait établi les faits ou apprécié les preuves de façon arbitraire en retenant l’absence de fait nouveau.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_25/2025 consultable ici

 

 

 

9C_275/2025 (f) du 07.08.2025 – Affiliation à l’assurance-maladie obligatoire d’un pensionné AVS domicilié en France – Devoir d’information relatif au droit d’option

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_275/2025 (f) du 07.08.2025

 

Consultable ici

 

Affiliation à l’assurance-maladie obligatoire d’un pensionné AVS domicilié en France – Droit d’option / 2 al. 6 OAMal – 11 Règl. n° 883/2004 – 24 Règl. n° 883/2004

Devoir d’information relatif au droit d’option

 

Résumé
Un rentier AVS de nationalité suisse domicilié en France a demandé son exemption de l’assurance-maladie obligatoire en Suisse plusieurs années après son départ. L’Institution commune LAMal a refusé sa demande au motif qu’il n’avait pas exercé son droit d’option dans le délai de trois mois prévu et qu’aucun défaut d’information ne pouvait être reproché à l’assureur, l’assuré n’ayant pas signalé son changement de domicile. Les griefs formulés contre les organismes français sont sans pertinence, le devoir d’information sur le droit d’option relevant uniquement des assureurs et des cantons suisses.  Le Tribunal fédéral a confirmé ce refus et rejeté le recours.

 

Faits
Au bénéfice d’une rente de vieillesse de l’AVS suisse depuis le mois de mai 2009, l’assuré ressortissant suisse né en 1943, a sollicité la résiliation de son contrat d’assurance-maladie suisse, le 13 juillet 2020, pour la fin de ce mois. Il faisait en substance valoir qu’il était désormais affilié au système général d’assurance-maladie français, indiquant une adresse en France.

Le 10.08.2020, la caisse-maladie a répondu à son assuré, qu’en sa qualité de bénéficiaire d’une rente de l’AVS suisse, il était soumis à l’obligation d’assurance en Suisse, mais qu’il avait la possibilité de faire usage du « droit d’option » afin de s’affilier au système de sécurité sociale de son pays de résidence (la France). La caisse-maladie a joint à son courrier une demande d’exemption à l’assurance-maladie suisse, ainsi que le formulaire « Choix du système d’assurance-maladie ». Elle a précisé que ces documents devaient être adressés à l’Institution commune LAMal (ci-après: l’institution commune), accompagnés d’une preuve de l’affiliation en France, et que la résiliation du contrat d’assurance deviendrait effective dès réception de l’exemption de l’obligation de s’assurer en Suisse délivrée par l’institution commune.

Le 09.09.2020, l’assuré a déposé une telle demande auprès de l’institution commune. Le 02.11.2020, il a complété son dossier, sans toutefois fournir le formulaire requis, expliquant l’avoir envoyé à la Caisse primaire d’assurance-maladie (CPAM) le 04.09.2020 sans retour. Entre novembre 2020 et mars 2021, l’institution commune l’a relancé à plusieurs reprises en l’invitant à transmettre le formulaire signé et timbré par la CPAM, en l’avertissant qu’à défaut, sa demande serait considérée comme sans objet et qu’il demeurerait affilié à l’assurance obligatoire suisse.

Faute d’avoir produit le document requis dans le délai imparti, l’institution commune a, par décision du 21.06.2021, confirmée sur opposition le 18.08.2021, rejeté la demande d’exemption pour dossier incomplet.

 

Procédure au TAF (arrêt C-4364/2021 – consultable ici)

Par jugement du 17.03.2025, rejet du recours par le Tribunal administratif fédéral.

 

TF

Consid. 2.2
Au regard du caractère transfrontalier des faits déterminants, il est incontesté que le litige doit être résolu à la lumière des dispositions de droit européen auxquelles renvoie l’annexe II de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP), à savoir en particulier le Règlement (CE) n° 883/2004 (ci-après: règlement n° 883/2004).

Consid. 2.3
L’arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions de droit européen nécessaires à la résolution du litige, en particulier celles sur la détermination de la législation nationale applicable (art. 11 du règlement n° 883/2004), ainsi que les dispositions particulières en matière de prestations de maladie, de maternité et de paternité assimilées applicables aux titulaires de pension (art. 23 s. du règlement n° 883/2004; cf. aussi ATF 146 V 290 consid. 3).

Consid. 2.4
On rappellera, à la suite des juges précédents, que l’Annexe XI du règlement n° 883/2004 (Suisse, ch. 3, let. a, sous ii et let. b) prévoit que les personnes pour lesquelles la Suisse assumera la charge des prestations en vertu des art. 24, 25 et 26 du règlement n° 883/2004 peuvent, à leur demande, être exemptées de l’assurance obligatoire tant qu’elles résident dans l’un des États suivants et qu’elles prouvent qu’elles y bénéficient d’une couverture en cas de maladie: l’Allemagne, l’Autriche, la France et l’Italie. Cette demande – appelée « droit d’option » – doit être déposée dans les trois mois qui suivent la prise de domicile à l’étranger (cf. aussi art. 2 al. 6 de l’OAMal, en relation avec les art. 3 al. 3 LAMal et 1 al. 2 let. d OAMal; ATF 147 V 402 consid. 4.1 à 4.3).

Si le « droit d’option » ne peut en principe pas être exercé au-delà du délai de trois mois suivant le départ à l’étranger, l’Annexe XI du règlement n° 883/2004 prévoit néanmoins que dans certains « cas justifiés », le « droit d’option » peut être exercé au-delà de ce délai (Suisse, ch. 3, let. b, sous aa). Selon la jurisprudence, tel est le cas notamment lorsque l’assuré a été empêché de faire valoir son « droit d’option » en raison d’un manque d’information (ATF 136 V 295 consid. 5.8-5.10), l’assuré devant être informé de l’existence du « droit d’option » et des modalités de son exercice (cf. arrêt 9C_531/2019 du 17 février 2020 consid. 6.2). L’obligation d’informer l’assuré sur son « droit d’option » incombe aux assureurs et aux cantons (cf. art. 6a al. 1 let. c LAMal et art. 7b OAMal; cf. également arrêt 9C_531/2019 précité consid. 6.2).

Consid. 3.1 [résumé]
Le Tribunal administratif fédéral a retenu que l’assuré, domicilié en France depuis le 01.01.2017, demeurait soumis à l’assurance-maladie obligatoire suisse conformément à l’art. 24 par. 1 et par. 2 let. a du règlement n° 883/2004, puisqu’il percevait exclusivement une rente AVS suisse. Il a constaté que l’intéressé n’avait pas exercé son droit d’option dans le délai de trois mois prévu, arrivé à échéance le 31.03.2017, dès lors qu’il n’avait déposé sa demande d’exemption qu’en septembre 2020. Le refus de l’institution commune d’exempter l’assuré était ainsi justifié. Le Tribunal administratif fédéral a en outre écarté l’existence d’un « cas justifié » fondé sur un défaut d’information : l’assureur ne pouvait se voir reprocher une telle omission, l’assuré n’ayant signalé son départ à sa caisse-maladie qu’en juillet 2020, soit plus de trois ans après son installation en France. L’assureur avait par ailleurs correctement informé l’assuré, le 10.08.2020, des démarches à suivre pour exercer le droit d’option conformément à l’ALCP et aux règlements européens applicables.

Consid. 3.2
À l’appui de son recours, l’assuré fait en substance valoir qu’il est domicilié en France depuis le 18.04.2018 et qu’il ne peut pas lui être reproché de n’avoir pas respecté le délai de trois mois suivant sa prise de domicile en France pour exercer son « droit d’option » au vu « du manque d’informations et de la lenteur des services concernés ».

Consid. 4.1 [résumé]
C’est en vain, d’abord, que l’assuré se réfère à un arrêt rendu le 14 mai 2019 par la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud, qui selon lui aurait « mis en évidence » qu’il était domicilié en Suisse en 2016 et 2017. À l’inverse de ce qu’affirme l’assuré, la juridiction cantonale a constaté qu’il était domicilié en France, à tout le moins déjà depuis le 1er janvier 2015 (cf. consid. 3c de cet arrêt cantonal [cause AM 43/17 – 20/2019]). Faute d’avoir exercé son droit d’option, l’intéressé restait ainsi soumis à l’assurance-maladie obligatoire suisse (cf. consid. 5d et 6 de l’arrêt cantonal précité).

Consid. 4.2 [résumé]
L’assuré ne peut invoquer un défaut d’information de l’assureur ou de l’institution commune. Il n’a pas entrepris de démarches dans le délai de trois mois suivant son installation en France, soit avant le 01.04.2017, et n’avait informé sa caisse-maladie de son départ qu’en 2019. Son argumentation, essentiellement appellatoire et dirigée contre la décision de l’institution commune du 18.08.2021, ne satisfaisait pas aux exigences de motivation de l’art. 105 al. 2 LTF. Dès lors, aucune violation du devoir d’informer ne pouvait être reprochée à l’assureur tant que le départ et l’intention de résiliation n’avaient pas été communiqués.

Quant aux démarches que l’assuré allègue avoir entreprises dès 2017 auprès de compagnies d’assurance françaises, en leur reprochant une méconnaissance de la réglementation et un manque d’informations et de conseils, elles ne lui sont d’aucun secours. Le devoir d’information relatif au « droit d’option » et aux modalités d’exercice de celui-ci incombe en effet aux assureurs et aux cantons suisses (consid. 2.4 supra), comme l’ont dûment rappelé les premiers juges.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_275/2025 consultable ici

 

 

8C_652/2024 (f) du 28.07.2025 – Droit à la rente d’invalidité – Priorité de la réadaptation sur la rente – Décision de principe (clôture de la phase d’intervention précoce) – Moment de l’aptitude à la réadaptation

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_652/2024 (f) du 28.07.2025

 

Consultable ici

 

Droit à la rente d’invalidité – Priorité de la réadaptation sur la rente / 28 al. 1 let. a LAI

Décision de principe (clôture de la phase d’intervention précoce) – Expertise médicale – Moment de l’aptitude à la réadaptation – Rente d’invalidité octroyée rétroactivement

Rente AI et indemnités journalières AI lors de mesures de réinsertion (14a LAI) / 22 al. 5bis LAI

 

Résumé
Le Tribunal fédéral confirme que l’assuré avait droit à une demi-rente d’invalidité du 1er juillet 2018 au 28 février 2021, car à cette époque aucune mesure de réadaptation n’était envisageable en raison de son état de santé, l’office AI ayant lui-même exclu la mise en œuvre de telles mesures (décision de principe mettant fin à la phase d’intervention précoce). Ce n’est qu’à la suite d’une expertise pluridisciplinaire puis des mesures de réinsertion (art. 14a LAI) que des mesures de réadaptation ont pu être entreprises dès février 2021, justifiant alors la fin du droit à la rente.

 

Faits
Assuré, né en 1978 et titulaire d’un certificat de fin d’apprentissage en mécanique-pratique, a souffert d’agoraphobie avec crises de panique, entraînant depuis le 20.04.2016 une incapacité de travail médicalement attestée à des taux variables. Le 01.09.2017, il a présenté une demande de prestations auprès de l’office AI.

Par décision du 7 décembre 2023, après mise en œuvre d’une expertise pluridisciplinaire, l’office AI lui a accordé un quart de rente d’invalidité du 01.07.2018 au 28.02.2021, veille du début d’indemnités journalières pour un stage d’entraînement à l’endurance, et a nié le droit à la rente dès le 01.03.2021. Il a retenu une incapacité totale de travail comme mécanicien de précision dès juillet 2017. Une activité adaptée n’était pas exigible de juillet 2017 à février 2018, puis exigible à 60% du 01.03.2018 au 31.03.2021 et à 100% dès le 01.04.2021. Sur la base d’un revenu sans invalidité de 77’282 fr. 35 et d’un revenu d’invalide de 40’659 fr. 85, l’office AI a calculé un degré d’invalidité de 47.39% du 01.07.2018 au 28.02.2021. À partir du 01.04.2021, avec un revenu d’invalide fixé à 65’683 fr. 55, le degré d’invalidité a été ramené à 15.01%, excluant le droit à une rente.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2024 4 – consultable ici)

Par jugement du 08.10.2024, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à une demi-rente d’invalidité du 01.07.2018 au 28.02.2021 et confirmant la décision de l’OAI au surplus.

 

TF

Consid. 4.1
Selon la jurisprudence, si la capacité de gain d’une personne assurée peut être rétablie, maintenue ou améliorée par des mesures de réadaptation raisonnablement exigibles, le principe de la « priorité de la réadaptation sur la rente » s’applique (cf. art. 28 al. 1 let. a LAI). Ce n’est que lorsqu’aucune mesure appropriée n’est (plus) envisageable qu’un droit à une rente peut être accordé; dans le cas contraire, des mesures de réadaptation appropriées doivent être ordonnées au préalable. Selon la conception légale, une rente ne peut être octroyée avant la mise en oeuvre de mesures de réadaptation (le cas échéant également avec effet rétroactif) que si la personne assurée n’était pas – ou pas encore – apte à être réadaptée en raison de son état de santé. Le droit à une rente ne peut en principe naître qu’après la fin des mesures de réadaptation même si celles-ci n’ont eu qu’un succès partiel ou ont échoué. Il en va autrement après que des mesures d’instruction visant à déterminer si la personne assurée peut être réadaptée révèlent qu’elle ne l’est pas; dans ce cas, une rente peut être octroyée rétroactivement (ATF 148 V 397 consid. 6.2.4 et les références; 121 V 190 consid. 4; arrêt 9C_443/2023 du 28 février 2025 consid. 5.1.2 destiné à la publication).

Consid. 4.2.3 [résumé]
Le tribunal cantonal a refusé la reformatio in peius sollicitée par l’office AI, qui visait à nier toute rente à partir du 01.07.2018 en invoquant la priorité de la réadaptation sur la rente. Il a constaté qu’aucune mesure de réadaptation n’était envisageable de septembre 2017 à avril 2020, l’office AI ayant clôturé la phase d’intervention précoce en 2018 puis ordonné une expertise psychiatrique dont le rapport n’avait été rendu qu’en avril 2020. Les mesures de réadaptation professionnelle n’avaient été demandées à l’ORIF qu’en septembre 2020 et n’avaient débuté qu’en février 2021 pour se terminer en août 2022. Dans ce contexte, l’allocation rétroactive d’une rente entre juillet 2018 et février 2021 était justifiée.

Consid. 4.3 [résumé]
L’office AI recourant soutient que la communication du 05.07.2018 clôturant la phase d’intervention précoce n’avait aucune valeur juridique et ne préjugeait pas du droit à des mesures de réadaptation, puisqu’elle se limitait à constater qu’aucune mesure professionnelle (art. 15 ss LAI) n’était alors envisageable, contrairement aux mesures au sens de l’art. 14a LAI mises en œuvre dès février 2021. Il reproche au tribunal cantonal d’avoir retenu arbitrairement avril 2020, date de la réception du rapport d’expertise psychiatrique, pour déduire une inaptitude à la réadaptation avant cette date, alors que cette approche contredirait la stabilisation de l’état de santé reconnue depuis mars 2018 par l’expertise pluridisciplinaire jugée probante. Il lui fait encore grief de n’avoir pas examiné le rapport psychiatrique du 02.04.2020, qui constatait un bénéfice attendu d’une réinsertion professionnelle. Enfin, il estime que le décalage entre la demande de mesures de réadaptation en septembre 2020 et leur mise en œuvre effective en février 2021 est sans incidence sur le droit à la rente, l’aptitude à la réadaptation ne dépendant pas du calendrier de réalisation des mesures.

Consid. 4.4.1
L’office AI recourant ne saurait être suivi. Le Tribunal cantonal a en effet établi sans arbitraire que dans sa communication du 05.07.2018, l’office AI recourant avait informé l’assuré qu’aucune mesure de réadaptation d’ordre professionnel n’entrait en ligne de compte. Contrairement à ce que soutient l’office AI recourant, cette communication n’est pas dépourvue de toute portée juridique. Si des mesures de réadaptation professionnelles, y compris les mesures de réinsertion y préparant, avaient été sérieusement envisageables à l’époque, il aurait appartenu à l’OAI de compléter l’instruction en vue de déterminer quelles mesures exactement étaient adéquates et, le cas échéant, de les mettre en oeuvre sans tarder.

L’office AI recourant n’en a rien fait, dès lors qu’il considérait, comme il l’a communiqué clairement à l’assuré, qu’aucune mesure de réadaptation professionnelle n’entrait en considération à ce stade en vue de diminuer l’invalidité. L’assuré pouvait dès lors se fier à cette communication sans exiger qu’une décision formelle soit rendue sur le droit aux mesures de réadaptation. L’office AI recourant est ensuite passé à juste titre à l’examen du droit à la rente et a, dans ce contexte, ordonné une expertise. Le fait que selon l’office AI recourant, les experts mandatés ont finalement mis en évidence que des mesures de réadaptation étaient envisageables, et qu’elles auraient même pu être ordonnées plus tôt, ne permet pas d’ignorer que l’office AI recourant avait, à l’époque, renoncé à ordonner de telles mesures. Ce n’est qu’en prenant connaissance de nouveaux documents médicaux que l’office AI recourant a réexaminé l’opportunité d’ordonner des mesures de réadaptation. Il ne saurait, dans ce contexte, se prévaloir du principe selon lequel la réadaptation prime la rente pour nier la naissance du droit à la rente à une époque où lui-même avait exclu d’ordonner des mesures de réadaptation.

Au demeurant, il n’était pas arbitraire de la part de la juridiction cantonale d’avoir considéré qu’une aptitude à la réadaptation ne pouvait pas être constatée pour la période précédant l’expertise psychiatrique du 02.04.2020. Or, comme on l’a vu plus haut (consid. 4.1), le principe de la primauté de la réadaptation sur la rente n’exclut pas la possibilité d’octroyer une rente rétroactivement. Cela vaut aussi lorsque la personne assurée ne pouvait pas encore être réadaptée en raison de son état de santé et que des mesures de réadaptation sont envisagées à l’avenir (« selbst wenn in Zukunft Eingliederungsmassnahmen beabsichtigt sind », cf. arrêts 8C_209/2017 du 14 juillet 2017 consid. 5.2.2 et 8C_787/2014 du 5 février 2015 consid. 3.2 et les références).

Consid. 4.4.2
Le jugement cantonal peut également être confirmé pour ce qui concerne la durée de la rente d’invalidité octroyée rétroactivement.

En vertu de l’art. 22 al. 5bis LAI, lorsqu’un assuré reçoit une rente de l’assurance-invalidité, celle-ci continue de lui être versée en lieu et place d’indemnités journalières durant la mise en oeuvre des mesures de réinsertion au sens de l’art. 14a LAI et des mesures de nouvelle réadaptation au sens de l’art. 8a LAI. Cette règle fait exception au principe selon lequel la rente est normalement remplacée par des indemnités journalières pour la durée des mesures de réadaptation, comme cela ressort de l’art. 29 al. 2 LAI.

Etant donné que, contrairement aux autres bénéficiaires d’indemnités journalières, les personnes qui participent à des mesures de réinsertion préparant à la réadaptation professionnelle ne sont pas encore aptes à cette réadaptation, l’art. 22 al. 5bis LAI vise à empêcher qu’elles soient incitées à participer aux mesures de réinsertion uniquement par la perspective de toucher des indemnités éventuellement supérieures à leur rente actuelle (cf. le Message du Conseil fédéral du 22 juin 2005 concernant la modification de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité [5e révision de l’AI], FF 2005 4215 p. 4321; cf. aussi Michel Valterio, Commentaire de la Loi fédérale sur l’assurance-invalidité [LAI], 2018, n. 55 ad art. 22 LAI; Erwin Murer, Invalidenversicherungsgesetz [Art. 1-27 bis IVG], 2014, n. 24 ad art. 22 LAI).

En l’espèce, à l’instar de ce qui est admis par l’office AI recourant lui-même, les mesures de réadaptation qui ont débuté le 22.02.2021 sont des mesures de réinsertion au sens de l’art. 14a LAI. Celles-ci ont été ordonnées conformément aux conclusions de l’expertise psychiatrique du 02.04.2020, laquelle favorisait une réinsertion professionnelle de l’assuré. On relèvera, par ailleurs, que ces conclusions ont été confirmées par le Dr C.__ dans le cadre de l’expertise pluridisciplinaire (« Il convient de partager le pronostic de l’expert sur la capacité de la personne assurée à atteindre une capacité de 100% avec un rendement de à 100% »). Ainsi, force est de constater que la cour cantonale n’a pas versé dans l’arbitraire en retenant que l’assuré n’était pas (encore) apte à la réadaptation, en l’absence de constations de nature médicale dans ce sens et au vu de la mise en oeuvre d’une mesure de réinsertion. C’est donc à bon droit que les premiers juges ont estimé que la rente d’invalidité ne devait pas prendre fin au mois d’avril 2020 ou au moment où les mesures ont été requises auprès de l’ORIF, contrairement à ce que semble prétendre l’office AI recourant.

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

Arrêt 8C_652/2024 consultable ici

 

 

8C_138/2025 (f) du 03.07.2025 – Révision d’une rente d’invalidité à la suite d’une rechute – Pas de modification ni changement clairement objectivé de la situation clinique

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_138/2025 (f) du 03.07.2025

 

Consultable ici

 

Révision d’une rente d’invalidité à la suite d’une rechute / 17 LPGA – 22 LAA

Pas de modification ni changement clairement objectivé de la situation clinique

 

Résumé
Un assuré, au bénéfice d’une rente (50%) et d’une IPAI (20%) octroyées la suite d’un accident en 1993, a invoqué dès 2018 une aggravation de son état et a demandé une révision ainsi que des indemnités journalières après une nouvelle chute en 2021. L’instruction médicale a toutefois confirmé l’absence de modification cliniquement objectivée par rapport à la situation ayant fondé la rente (décision en 2002). L’assurance-accidents et le tribunal cantonal ont refusé toute modification, en l’absence d’aggravation objectivable des séquelles. Le Tribunal fédéral a confirmé cette appréciation et rejeté le recours de l’assuré.

 

Faits
Assuré, né en 1958, travaillait comme chauffeur au service d’une entreprise de transport de véhicules, lorsque, le 15 mars 1993, il a chuté du haut de son camion, tombant sur la tête et sur la main droite. Admis à l’hôpital le jour même, les médecins qui l’ont examiné ont posé les diagnostics de traumatisme crânien cérébral, fracture-tassement du mur antérieur C6-C7, fracture du scaphoïde carpien de la main droite et multiples contusions.

Par décision du 28.03.2002, l’assurance-accidents a reconnu le droit de l’assuré à une rente d’invalidité, fondée sur une incapacité de gain de 50% dès le 01.02.1996, ainsi qu’une IPAI, fondée sur un taux de 20%.

Le 27.03.2018, l’employeur de l’assuré a rempli une déclaration d’accident, faisant état d’une rechute depuis le 16 mars précédent, avec incapacité de travail de 75%.

Par lettre du 24.09.2019, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle mettait un terme aux indemnités journalières et à la prise en charge des frais de traitement, à l’exception des séances de physiothérapie.

Par décision du 03.03.2021, confirmée sur opposition le 09.08.2021, l’assurance-accidents a refusé de modifier les taux d’incapacité de gain et de l’IPAI déterminés en 2002, considérant que les divers bilans ne permettaient pas de mettre en évidence une aggravation notable de l’état de santé de l’assuré.

Le 23.12.2021, l’assuré a été victime d’une chute, lui causant une fracture du trochiter de l’épaule droite. Par décision du 23.05.2022, confirmée sur opposition le 22.12.2022, l’assurance-accidents a confirmé la prise en charge des frais de traitement mais a refusé de verser des indemnités journalières, motif pris qu’au moment de ce nouvel accident, l’assuré était déjà en incapacité totale de travail pour cause de maladie.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 29.01.2025, rejet des recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.1
Aux termes de l’art. 17 al. 1 LPGA (dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31 décembre 2021), si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée. Tout changement important des circonstances propre à influencer le taux d’invalidité, et donc le droit à la rente, peut motiver une révision. La rente peut ainsi être révisée non seulement en cas de modification sensible de l’état de santé, mais aussi lorsque celui-ci est resté en soi le même, mais que ses conséquences sur la capacité de gain ont subi un changement important (ATF 144 I 103 consid. 2.1; 134 V 131 consid. 3). Tel est le cas lorsque la capacité de travail s’améliore grâce à l’accoutumance ou à une adaptation au handicap. En revanche, une simple appréciation différente d’un état de fait qui, pour l’essentiel, est demeuré inchangé n’appelle pas une révision au sens de l’art. 17 al. 1 LPGA (ATF 147 V 167 consid. 4.1 et les arrêts cités).

 

Consid. 5.2.1 [résumé]
Le rapport du médecin-conseil, qui recommandait des examens complémentaires tels qu’une mise à jour des examens radiologiques, ne suffit pas à démontrer une aggravation significative de l’état de santé. On ne peut pas davantage y voir un revirement de ce médecin dès lors qu’après instruction, il a conclu à l’absence de modifications importantes.

Consid. 5.2.2 [résumé]
L’argument tiré d’une erreur sur le nombre de fractures ou la nature des atteintes vertébrales demeure dépourvu de portée, en l’absence d’erreur médicale propre à établir une aggravation postérieure à la décision du 28.03.2002. Les divergences entre les constatations initiales (fracture C6-C7) et des pièces médicales ultérieures ne permettent pas de retenir une péjoration. Même la mise en évidence ultérieure d’une fracture consolidée en C1 ne suffit pas à établir une aggravation, d’autant que des investigations menées entre 1996 et 2000 avaient conclu à un dysmorphisme congénital de la jonction C1-C2.

Consid. 5.2.3 [résumé]
S’agissant de la hernie discale C5-C6, les juges cantonaux ont déjà répondu aux remarques réitérées par l’assuré (notamment qu’il ne s’agirait pas d’une fracture supplémentaire), sans que celui-ci discute leur motivation. Les douleurs qu’il associe à cette hernie n’apparaissent pas diverger de manière significative des plaintes déjà décrites lors de l’octroi de la rente. Pour les acouphènes, l’affirmation d’un lien de causalité avec l’accident de 1993 ne constitue pas une motivation suffisante pour remettre en cause l’avis de la médecin-conseil ORL ni justifier d’autres mesures d’instruction. Il en va de même pour les crises liées aux douleurs et les troubles psychiques : l’aggravation alléguée repose sur de simples affirmations, sans discussion des considérations cantonales ni renvoi à un rapport précis. Le fait que le médecin-conseil orthopédique parlerait de « chronicisation » des problèmes psychiatriques n’est en tout cas pas déterminant, dès lors que dans son rapport d’expertise du 17.12.2001, la spécialiste en psychiatrie et psychothérapie avait déjà conclu que les troubles psychiques étaient largement « chronifiés ».

Consid. 5.2.4
Enfin, sous le titre « la question juridique du rapport de causalité », l’assuré évoque sa situation de souffrance avec des douleurs continuelles qui ont perduré de 1993 à 2018, année à partir de laquelle elles se sont aggravées, de manière à ce qu’ajoutées à de nouvelles pathologies, elles ne lui permettraient plus d’exercer une activité professionnelle. Les juges cantonaux n’ont toutefois pas nié le rapport de causalité entre la symptomatologie douloureuse de l’assuré et l’accident de 1993. Il ressort toutefois de l’arrêt attaqué que celle-ci était déjà bien marquée au moment de l’octroi de la rente d’invalidité et que les circonstances de fait à leur origine ne se sont pas modifiées de manière significative. Or un motif de révision ne saurait être admis que si la modification de la capacité de travail est corroborée par un changement clairement objectivé de la situation clinique (arrêt 9C_392/2023 du 26 février 2024 consid. 4.3 et les arrêts cités), ce qui n’est pas le cas en l’occurrence.

Consid. 5.3
Vu ce qui précède, les éléments mis en évidence par l’assuré ne permettent pas de mettre en doute la fiabilité et la pertinence de l’appréciation des médecins internes à l’intimée, de sorte que des mesures d’instruction complémentaires n’apparaissent pas nécessaires. Les premiers juges n’ont donc pas violé le droit ou établi les faits de manière inexacte en confirmant l’absence d’aggravation notable des séquelles de l’accident survenu en 1993.

Consid. 7
L’assuré, qui succombe, a demandé à bénéficier de l’assistance judiciaire gratuite. Une partie ne remplit les conditions de l’assistance judiciaire que si elle ne dispose pas de ressources suffisantes et si ses conclusions ne paraissent pas vouées à l’échec (art. 64 al. 1 LTF; ATF 140 V 521 consid. 9.1). En l’occurrence, selon les indications fournies dans le questionnaire pour l’assistance judiciaire, l’assuré bénéfice des prestations d’une assurance de protection juridique. Partant, il ne se justifie pas de le mettre au bénéfice de l’assistance judiciaire. Au demeurant, son indigence n’apparaît pas non plus établie au regard des revenus et dépenses allégués. L’assuré doit par conséquent payer les frais judiciaires (cf. art. 66 al. 1 LTF) et ne peut pas prétendre à la prise en charge des honoraires de son avocat.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_138/2025 consultable ici

 

8C_182/2024 (f) du 28.07.2025 – Indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) pour une société de transport public – Risque de suppression d’emplois / 31 ss LACI – 51 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_182/2024 (f) du 28.07.2025

 

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Indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) pour une société de transport public – Risque de suppression d’emplois / 31 ss LACI – 51 OACI

 

Résumé
Une société de transport public a sollicité en mars 2020 l’indemnité RHT pour avril-mai 2020, qui a été refusée. S’agissant du trafic urbain (y compris en site propre), l’examen des conventions de subventionnement et de la LMTP a montré que le déficit planifié a été intégralement réparti entre le canton et les communes avec décompte final, ce qui a constitué une garantie de couverture des coûts d’exploitation; la condition d’un risque de suppression d’emplois n’a dès lors pas été réalisée et le droit aux RHT a été exclu pour ce secteur.

 

Faits
La société A.__ SA (ci-après: la société) est une société anonyme de droit privé active dans le domaine du transport public de personnes, dont les actions sont détenues majoritairement par les communes et le canton de Vaud.

Le 27.03.2020, la société a transmis au Service de l’emploi du canton de Vaud (SDE) un préavis de réduction de l’horaire de travail (RHT) en raison des mesures officielles liées à la pandémie de coronavirus. Elle demandait l’octroi de l’indemnité en cas de RHT pour 405 employés pour la période du 01.04.2020 au 31.05.2020, en évaluant à 21,10% la perte de travail due notamment à la réduction de l’offre de transport entraînée par la généralisation de l’horaire du dimanche à tous les jours de la semaine.

Après avoir soumis un questionnaire à la société, le SDE a rendu, le 11.06.2020, une décision par laquelle il a rejeté la demande tendant au versement de l’indemnité en cas de RHT. La société s’est opposée à cette décision en produisant divers documents, notamment les conventions collectives de travail et conventions de subventionnement qui la liaient. Par décision du 05.02.2021, le SDE a rejeté l’opposition et a confirmé sa décision.

 

Procédures cantonales

Par arrêt du 05.04.2022 (ACH 53/21 – 53/2022), la Cour des assurances sociales du Tribunal cantonal du canton de Vaud a rejeté le recours interjeté par la société contre la décision sur opposition du SDE du 5 février 2021. Saisi d’un recours contre cet arrêt, le Tribunal fédéral l’a partiellement admis et a renvoyé la cause à la juridiction cantonale pour qu’elle se prononce à nouveau (arrêt 8C_325/2022 du 30.01.2023).

Par arrêt du 24.01.2024 (ACH 12/23 – 16/2024), la juridiction cantonale a partiellement admis le recours et a réformé la décision sur opposition du SDE, en ce sens que, pour la période considérée, la société avait droit à l’indemnité en cas de RHT pour ses collaborateurs employés dans le secteur du transport public régional de voyageurs.

 

TF

Consid. 4
Dans l’arrêt de renvoi 8C_325/2022, le Tribunal fédéral a rappelé que les entreprises qui fournissent des prestations publiques ne sont pas en tant que telles exclues du cercle des potentiels bénéficiaires du droit à l’indemnité en cas de RHT et que, pour ces entreprises, on reconnaît un risque de disparition d’emplois si, en cas de recul de la demande ou de réduction de l’offre chez le mandataire, il n’existe pas de garantie de couverture des coûts d’exploitation et si les entreprises concernées ont la possibilité de procéder à des licenciements à brève échéance dans l’objectif de faire baisser les coûts d’exploitation. Dans le cas d’espèce, si la réduction du temps de travail du personnel roulant et technique touchait des secteurs de la société recourante dans lesquels il n’y avait pas de garantie d’une couverture complète des coûts d’exploitation, celle-ci supporterait, comme toute entreprise privée, un risque d’exploitation ou de faillite correspondant, auquel une telle entreprise ferait face par des licenciements. La cour cantonale n’avait toutefois pas clairement tranché la question de la couverture des coûts d’exploitation, en tout cas s’agissant du trafic régional. En outre, le fait de percevoir des subventions ne signifiait pas encore que les coûts d’exploitation étaient entièrement couverts par les pouvoirs publics. Enfin, la possibilité de procéder à des licenciements à brève échéance s’examinait au regard de la réglementation applicable au personnel. L’arrêt attaqué ne disait rien à ce propos. La cause devait dès lors être renvoyée à la juridiction cantonale pour qu’elle prenne une nouvelle décision après avoir examiné le droit aux prestations sur la base d’un examen complet des critères déterminants (cf. consid. 7.2 et 8).

Consid. 5.1
Dans l’arrêt attaqué, les juges cantonaux ont examiné l’existence d’une garantie de couverture des coûts d’exploitation, d’une part, en ce qui concernait le transport urbain et, d’autre part, en ce qui concernait le transport régional. A ce dernier égard, ils ont considéré qu’une telle garantie, expresse ou implicite, n’existait pas et que la société recourante avait la possibilité de résilier les rapports de travail de la même manière qu’une entreprise privée, de sorte que les conditions du droit à l’indemnité en cas de RHT étaient remplies.

Consid. 5.2.1
En matière de transport urbain, la cour cantonale a relevé que les prestations de transport n’étaient pas indemnisées par la Confédération, mais par les cantons et les communes selon le droit cantonal (art. 28 al. 2 LTV [RS 745.1]). Dans le canton de Vaud, la participation cantonale était, conformément à l’art. 18 de loi vaudoise sur la mobilité et les transports publics (LMTP; BLV 740.21), limitée à 50% du déficit d’exploitation au plus et plafonnée selon divers critères, le solde des coûts étant à la charge des communes après déduction de l’intégralité des recettes (art. 17 al. 3 LMTP, par renvoi de l’art. 18 al. 3 LMTP, en corrélation avec l’art. 6 al. 2 ch. 2 LMTP). Pour l’année 2020, le déficit planifié s’élevait à 114’253’617 fr. et devait être pris en charge à hauteur de 29’094’951 fr. par le canton de Vaud, le solde étant à la charge des communes (cf. art. 5 de la convention de subventionnement entre le canton de Vaud et la société recourante relative à l’offre sur les prestations du secteur du trafic local (urbain) des voyageurs et son indemnisation, applicable à l’année d’horaire 2020 [ci-après: la Convention-trafic local]). Les indemnités définitives à verser par le canton et par les communes étaient soumises à une procédure de décompte final (cf. art. 5 al. 4 et art. 7 de la Convention-trafic local; voir également l’art. 21 al. 1 LMTP).

Consid. 5.2.2 [résumé]
Pour les lignes de trafic urbain en site propre, les communes participaient à raison de 30% à la subvention d’exploitation, le solde étant à la charge du canton (art. 15 al. 1 LMTP, en corrélation avec l’art. 6 al. 2 ch. 2 LMTP). Pour 2020, le déficit planifié s’élevait à 32’107’624 fr. et devait être pris en charge à hauteur de 22’475’837 fr. par le canton et de 9’632’287 fr. par les communes (cf. art. 5 et 13 de la convention de subventionnement entre le canton de Vaud et la société recourante relative à l’offre sur les prestations du secteur urbain en site propre des voyageurs pour les métros et son indemnisation applicable à l’année d’horaire 2020 [ci-après: la Convention-métros]). Les indemnités définitives à verser par le canton et par les communes étaient soumises à une procédure de décompte final (cf. art. 5 al. 4 et art. 7 de la Convention-métros; voir également l’art. 16 al. 1 LMTP).

Consid. 5.3 [résumé]
En définitive, compte tenu des mécanismes de financement, le déficit d’exploitation engendré par la situation devait être assumé par les communes pour les lignes de trafic urbain (art. 17 al. 3 LMTP, par renvoi de l’art. 18 al. 3 LMTP, en corrélation avec l’art. 6 al. 2 ch. 2 LMTP) et par le canton pour les lignes de trafic urbain en site propre (art. 15 al. 1 LMTP, en corrélation avec l’art. 6 al. 2 ch. 2 LMTP). Dans la mesure où la société recourante bénéficiait, pour ces prestations, d’une garantie de couverture des coûts d’exploitation, elle n’avait pas droit aux indemnités en cas de RHT dans le domaine du transport (étant également renvoyé, sur la question, à l’exposé des motifs et projet de décret accordant un soutien extraordinaire aux transports publics régionaux et urbains pour atténuer les pertes provoquées par le coronavirus [COVID-19] durant l’année 2020 [20_LEG_95]).

Consid. 7.1
Aux termes de l’art. 6 al. 1 LMTP, l’Etat et les communes peuvent accorder une subvention aux entreprises pour maintenir ou développer leurs prestations de service public qui répondent aux buts de la loi, dans les domaines suivants: le transport des voyageurs sur les lignes de trafic régional et les lignes de trafic urbain; sont assimilés aux services de ligne les systèmes de desserte de zones qui leur sont rattachés (let. a); le transport des marchandises sur les lignes de chemins de fer ou celles qui résultent d’un changement de mode de transport (let. b). Selon l’art. 6 al. 2 LMTP, une subvention peut être consentie pour les objets suivants: ch. 1. Subvention d’investissement: cette subvention porte notamment sur l’équipement en installations ou en véhicules, les mesures en faveur des personnes handicapées dans les transports publics, l’adoption d’un autre mode de transport, la création de nouvelles entreprises, le rachat d’entreprises ou la reprise de dettes; ch. 2. Subvention d’exploitation: cette subvention porte notamment sur la couverture du déficit d’exploitation, la commande de prestations de service public, la prise en charge de frais financiers ou la mise en oeuvre de communautés tarifaires.

L’art. 15 LMTP (« Participation de l’Etat et des communes: exploitation ») prescrit que les communes participent à raison de 30% à la subvention d’exploitation prévue à l’art. 6 al. 2 ch. 2 pour les lignes de trafic régional (al. 1). La répartition du montant à charge des communes est effectuée par région de transport public (al. 2). Les al. 3 à 5 se rapportent aux régions de transport public, à la répartition entre communes du montant à charge et au coefficient de desserte des communes.

L’art. 18 al. 1 LMTP (« Participation de l’Etat et des communes: exploitation ») prévoit que la subvention d’exploitation que l’Etat alloue aux lignes de trafic urbain, selon l’art. 6 al. 2 ch. 2, est limitée à 50% au plus mais elle ne peut dépasser au maximum la somme des montants suivants: le 50% des intérêts des emprunts, garantis par l’Etat et les communes et souscrits selon l’art. 17 al. 1 (ch. 1); le 50% des amortissements comptables des installations et équipements calculés selon les dispositions de la législation fédérale (ch. 2); le 12,5% des autres charges d’exploitation, y compris les intérêts sur les engagements courants (ch. 3). Lorsque la subvention d’investissement, selon l’art. 6 al. 2 ch. 1, de l’Etat d’une part et des communes d’autre part prend une forme différente, un décompte particulier est tenu (al. 2). L’art. 17 al. 3 à 4 est applicable au surplus (al. 3). Cette disposition prévoit que le solde de la subvention est à charge des communes desservies (17 al. 3) et que la subvention de l’Etat est versée après que les communes se sont engagées à couvrir la subvention à leur charge (17 al. 4).

Consid. 7.2 [résumé]
Il ressort des dispositions cantonales que l’État peut accorder une subvention d’exploitation selon l’art. 6 al. 2 ch. 2 LMTP, portant notamment sur la couverture du déficit d’exploitation, et une telle subvention a été accordée en l’espèce. Le texte de l’art. 6 évoque une simple possibilité et n’instaure pas une obligation légale de garantir totalement et inconditionnellement les déficits des entreprises de transports publics, ce que les juges cantonaux n’ont pas retenu. Les règles de participation et de répartition des art. 15 ss LMTP se réfèrent aux subventions visées à l’art. 6 al. 2 LMTP, sans que l’arrêt attaqué ne dise le contraire. Enfin, en tant que la société recourante dit ne pas voir le rapport entre l’art. 15 LMTP et la problématique du trafic urbain en site propre, on lui rappellera que dans la LMTP, les lignes de trafic urbain en site propre sont assimilées aux lignes de trafic régional (art. 7 al. 3 let. a LMTP; cf. consid. 8c/bb de l’arrêt attaqué). Cela étant, en tant que la société recourante se plaint d’une interprétation arbitraire du droit cantonal (sur le grief d’application arbitraire du droit cantonal, cf. ATF 150 I 154 consid. 2.1 consid. 2.1 et les références), son argumentation est mal fondée.

Consid. 7.3 [résumé]
Le fait que la législation cantonale ne donne pas un droit explicite à la subvention d’exploitation ou que les conventions de subventionnement mettent le solde du déficit d’exploitation à la charge des communes « selon accord » ne permet pas de conclure à une violation du droit fédéral.

Consid. 7.3.1
Le point de savoir si, en cas de recul de la demande ou de réduction de l’offre chez le mandataire, il n’y a pas de garantie que les coûts d’exploitation seront entièrement couverts, doit être examiné au regard de la règle du degré de vraisemblance prépondérante, généralement appliquée dans le domaine des assurances sociales. Dans ce domaine, le juge fonde sa décision, sauf dispositions contraires de la loi, sur les faits qui, faute d’être établis de manière irréfutable, apparaissent comme les plus vraisemblables. Il ne suffit pas qu’un fait puisse être considéré seulement comme une hypothèse possible. Parmi tous les éléments de fait allégués ou envisageables, le juge doit, le cas échéant, retenir ceux qui lui paraissent les plus probables (ATF 138 V 218 consid. 6; 126 V 353 consid. 5b; 125 V 193 consid. 2 et les références). Aussi n’existe-t-il pas, en droit des assurances sociales, un principe selon lequel l’administration ou le juge devrait statuer, dans le doute, en faveur de l’assuré (ATF 135 V 39 consid. 6.1; 126 V 319 consid. 5a).

On rappellera en outre que la question de savoir si les conditions à l’octroi de l’indemnité en cas de RHT sont réunies doit s’examiner de façon prospective (ATF 121 V 371 consid. 2a; arrêt 8C_468/2022 du 28 novembre 2023 consid. 4.1).

Consid. 7.3.2
En l’espèce, il ressort des constatations de l’arrêt attaqué relatives au contenu des Convention-trafic local et Convention-métros (arrêt attaqué p. 14 s.), que le déficit planifié était entièrement réparti entre le canton et les communes et que les indemnités définitives à verser étaient soumises à une procédure de décompte final. A ce sujet, la cour cantonale renvoie notamment à l’art. 5 al. 4 des conventions précitées et à l’art. 7 – dont la teneur est identique dans les deux conventions -, en vertu duquel le décompte final se base sur les comptes annuels effectifs de l’entreprise approuvés par l’assemblée générale des actionnaires et sur sa comptabilité analytique (al. 1); sur proposition de l’entreprise, le canton établit et notifie aux communes concernées le tableau de répartition des indemnités incombant au canton et aux communes en application de l’art. 21 LMTP (al. 2); s’il apparaît un solde en faveur ou à la charge du canton, celui-ci sera réglé lors du versement des indemnités de l’année d’horaire suivante, une fois le tableau de répartition devenu exécutoire (al. 3).

Dans ces conditions, on ne saurait admettre l’absence de garantie de couverture des coûts d’exploitation du seul fait que les indemnités définitives pour l’année en cause ne seront connues qu’à l’issue de l’exercice comptable, après approbation des comptes annuels effectifs. Il faut bien plutôt se demander si les circonstances au moment de la décision de l’intimée permettaient, au degré de la vraisemblance prépondérante, de compter sur une couverture du déficit de la société recourante par les autorités publiques. Tel est bien le cas à la lecture des dispositions légales et conventionnelles susmentionnées, dont il ressort en particulier que pour l’année 2020, l’intéressée avait été mise au bénéfice d’une subvention destinée à couvrir ses frais d’exploitation – ceux-ci étant répartis entre le canton et les communes – sur la base de coûts planifiés puis d’un décompte final.

Consid. 8
Vu ce qui précède, la cour cantonale était fondée à considérer que le mécanisme de subventionnement des coûts d’exploitation de la société recourante faisait obstacle à l’octroi d’indemnités en cas de RHT pour l’activité consacrée au trafic urbain (y compris en site propre). Le recours se révèle mal fondé et doit être rejeté.

Le TF rejette le recours de la société.

 

Arrêt 8C_182/2024 consultable ici

 

 

 

8C_510/2024 (f) du 17.06.2025 – Droit de l’employeur au versement des arriérés de la rente d’invalidité en compensation des salaires versés / 22 LPGA – 85bis RAI – 29 al. 3 LPers – 58 al. 1 OPers

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_510/2024 (f) du 17.06.2025

 

Consultable ici

 

Droit de l’employeur au versement des arriérés de la rente d’invalidité en compensation des salaires versés / 22 LPGA – 85bis RAI – 29 al. 3 LPers – 58 al. 1 OPers

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé que la Confédération, en tant qu’employeur, pouvait obtenir de l’office AI le versement des arriérés de rente d’invalidité en compensation des salaires versés à l’assurée durant la même période. Il a rappelé que les dispositions de la LPers et de l’OPers conféraient explicitement ce droit à l’employeur afin d’éviter toute surindemnisation, de sorte que l’office AI avait valablement payé à la Confédération la somme de 75’909 fr., sans qu’il soit nécessaire d’obtenir l’accord de l’assurée.

 

Faits
Assurée, née en 1957, a été employée à partir du 1er août 2008 en tant que spécialiste à plein temps. Le 18.02.2015, elle a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité.

Par projet de décision du 06.05.2020, l’office AI a octroyé à l’assurée une rente d’invalidité limitée dans le temps à partir du 01.08.2015. Le 25.05.2020, l’employeur a demandé à l’office AI la rétrocession des montants versés à l’assurée du 01.08.2015 au 30.06.2019, étant donné que celle-ci avait touché un salaire durant cette période.

Par décision du 14.10.2020, l’office AI a reconnu divers degrés de rente d’invalidité, allant d’une rente entière à un quart de rente selon les périodes, et a en outre rétrocédé à l’employeur la somme de 75’909 fr. correspondant aux rentes dues entre le 01.08.2015 et le 30.06.2019. Par décision séparée du 23.10.2020, l’office AI a refusé d’octroyer des mesures d’ordre professionnel.

 

Procédure cantonale

L’assurée a recouru contre ces deux décisions. Le 09.03.2021, elle a conclu en outre à ce que l’office AI lui verse le montant de 75’909 fr. rétrocédé à tort à l’employeur.

Par jugement du 31.07.2024, la juridiction cantonale a joint les causes et rejeté les recours.

 

TF

Consid. 6.1
S’agissant du droit de l’employeur au versement des arriérés de la rente d’invalidité en compensation des salaires versés, la cour cantonale a relevé que l’assurée n’avait tout d’abord pas contesté la rétrocession à son employeur de la somme de 75’909 fr., correspondant aux rentes versées du 1er août 2015 au 30 juin 2019. Ce n’est qu’après l’échéance du délai de recours qu’elle a formulé une nouvelle conclusion portant sur la rétrocession en sa faveur de ce montant versé à tort à l’employeur. La cour cantonale a ainsi noté que, n’étant pas étroitement lié avec la question du droit à la rente d’invalidité, ce point pourrait être exclu de l’objet du litige et que la nouvelle conclusion pourrait être déclarée irrecevable.

Sur le fond, la cour cantonale a relevé que l’assurée faisait valoir à juste titre que l’art. 29 al. 1 LPers (RS 172.220.1) et l’art. 56 al. 1 et 2 OPers (RS 172.220.111.3) de même que l’art. 24 al. 1 O-OPers (RS 172.220.111.31) ne portaient pas sur le droit de l’employeur au versement des arriérés de la rente d’invalidité en compensation des salaires versés. Ces dispositions traitaient uniquement de l’obligation de l’employeur de poursuivre le versement du salaire à un employé empêché de travailler et des modalités de cette obligation. En revanche, ces prestations de salaires dues par l’employeur constituaient des avances au sens des art. 22 al. 2 let. a LPGA et 85bis al. 1 et 2 RAI. La base légale du droit de l’employeur au remboursement des avances versées par compensation avec les arriérés d’une rente de l’assurance-invalidité, telle qu’exigée par l’art. 85bis al. 2 let. b RAI, correspondait à l’art. 22 al. 2 let. a LPGA. Cette disposition était désormais applicable en matière d’assurance-invalidité et constituait une exception au principe de l’incessibilité du droit aux prestations. C’était ainsi à bon droit que l’office AI avait rétrocédé à l’employeur la somme de 75’909 fr. correspondant aux rentes versées du 1er août 2015 au 30 juin 2019. Le consentement de l’assurée n’était pas nécessaire pour procéder à cette rétrocession et le paiement par compensation à l’employeur intervenait avec effet libératoire pour l’office AI. Le versement des rentes de l’assurance-invalidité à l’assurée conduirait à une surindemnisation de celle-ci, dès lors qu’elle avait perçu des salaires sur la même période.

Consid. 6.2
L’assurée se plaint d’une violation de l’art. 85bis al. 2 RAI. Selon elle, la Confédération n’était pas fondée à réclamer une rétrocession des prestations à l’office AI. En effet, ni le contrat ni la loi ne prévoirait un droit au remboursement sans équivoque et l’employeur n’aurait pas disposé de l’accord de l’assurée pour réclamer la compensation.

Consid. 6.3
En l’espèce, en dépit de ce qu’avance l’assurée, la législation sur le personnel fédéral confère explicitement à l’employeur un droit au remboursement et ainsi à la compensation (art. 29 al. 3 LPers et 58 al. 1 OPers; arrêt 9C_225/2014 du 10 juillet 2014, consid. 3.2). Le message en langue allemande concernant la loi sur le personnel de la Confédération du 14 décembre 1998 relève d’ailleurs que l’art. 29 al. 3 LPers entend précisément exclure une surindemnisation de l’employé (BBl 1999 II 1597 ss, p. 1623  » Die Bestimmung dient u. a. als Grundlage, um auch künftig unberechtigte Mehrfachbezüge zu verhindern « ; non traduit in FF 1999 II 1421 ss, p. 1446). L’accord de l’assurée, y compris sa signature sur un formulaire dédié (ATF 136 V 381 consid. 5.1 et 5.2), n’était ainsi pas nécessaire à la rétrocession par l’office AI en faveur de l’employeur. Dans ce contexte et contrairement au raisonnement quelque peu circulaire retenu dans l’arrêt attaqué, il convient encore de relever que, si l’art. 22 LPGA constitue bien la base légale formelle sur laquelle repose désormais l’art. 85bis RAI (ATF 136 V 381 consid. 3.2), cette disposition ne fonde cependant pas directement le droit de l’employeur à obtenir la rétrocession des rentes de l’assurance-invalidité. Pour le reste, l’assurée invoque une convention conclue avec la Confédération le 25 septembre 2018. Cette convention outrepasse l’état de fait qui lie la cour de céans et, en toutes hypothèses, est antérieure aux décisions rendues par l’office AI en octobre 2020.

Consid. 6.4
Au vu de ce qui précède, la Confédération était ainsi fondée à réclamer la compensation de ses prestations à l’office AI et ce dernier a procédé à bon droit au paiement de 75’909 fr. en

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 8C_510/2024 consultable ici

 

 

9C_430/2023 (f) du 07.07.2025, destiné à la publication – Somme de rachat annuelle versée par les personnes arrivant de l’étranger qui n’avaient jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse / Inégalité de traitement résultant de l’application de l’art. 60b al. 1 OPP 2 justifiée visant à garantir la cohérence du système fiscal

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_430/2023 (f) du 07.07.2025, destiné à la publication

 

Consultable ici

 

Somme de rachat annuelle versée par les personnes arrivant de l’étranger qui n’avaient jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse / 79b LPP – 60b OPP 2

Raison impérieuse d’intérêt général justifiant une entrave à la libre circulation / 21 par. 3 ALCP

Inégalité de traitement résultant de l’application de l’art. 60b al. 1 OPP 2 justifiée visant à garantir la cohérence du système fiscal

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a examiné la situation d’un ressortissant français installé en Suisse en 2020, qui avait procédé à plusieurs rachats d’années de prévoyance auprès de l’institution de son employeur. L’institution avait refusé d’accepter un rachat supérieur à 20% du salaire assuré pendant les cinq premières années d’affiliation, conformément à l’art. 60b al. 1 OPP2. L’assuré contestait cette limitation qu’il considérait comme une discrimination contraire à l’Accord sur la libre circulation des personnes.

Le Tribunal fédéral a admis que la règle pouvait induire une différence de traitement principalement défavorable aux ressortissants étrangers arrivant en Suisse. Toutefois, il a jugé que cette restriction se justifie par la nécessité de préserver la cohérence du système fiscal suisse, en évitant que des personnes à revenu élevé ne puissent déduire de manière importante leurs rachats sans que la Suisse n’ait ensuite la possibilité d’imposer les prestations de prévoyance lors d’un départ à l’étranger. Le recours de l’assuré a été rejeté.

 

Faits
Assuré, ressortissant français né en 1964, s’est installé en Suisse en septembre 2020 au moment d’entrer au service de la société B.__ SA en qualité de directeur financier. Depuis lors, il est affilié pour la prévoyance professionnelle auprès de la Fondation de B.__ SA. Le prénommé a effectué deux rachats d’années d’assurance auprès de la Fondation, à hauteur de 160’000 fr. le 11.12.2020 puis de 172’080 fr. le 29.10.2021. Au 01.01.2022, les possibilités de rachats s’élevaient encore à 11’086’197 fr. 70.

Le 22.07.2022, l’assuré a effectué un nouveau rachat d’un montant de 250’000 fr. Le 04.08.2022, la Fondation lui a indiqué ne pas pouvoir accepter un rachat annuel supérieur à 172’080 fr. en 2022, car cette limite correspondait au 20% de son salaire assuré maximum qui s’élevait à 860’040 fr. en cette même année. Elle a précisé que la somme de rachat annuelle versée par les personnes arrivant de l’étranger qui n’avaient jamais été affiliées à une institution de prévoyance en Suisse ne devait pas dépasser, pendant les cinq années qui suivaient leur entrée dans l’institution de prévoyance suisse, 20% du salaire assuré tel qu’il était défini par son règlement. La Fondation a dès lors invité l’assuré à lui communiquer ses coordonnées bancaires en vue de la restitution du trop-perçu. Le 30.08.2022, l’assuré lui a répondu ne pas partager son point de vue et lui a demandé de garder le montant versé en trop pour l’affecter à sa prévoyance jusqu’à l’issue du désaccord.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/536/2023 – consultable ici)

Par jugement du 30.06.2023, rejet de la demande par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2.1 [résumé]
L’art. 79b LPP, en vigueur depuis le 1er janvier 2006, limite les possibilités de rachat aux seules prestations réglementaires (al. 1) et prévoit que le Conseil fédéral règle la question du rachat pour les personnes n’ayant jamais été affiliées à une institution de prévoyance au moment où elles exercent cette faculté (al. 2).

En application de ce mandat, le Conseil fédéral a édicté l’art. 60b OPP 2, également en vigueur depuis le 1er janvier 2006 (dans sa teneur applicable dès le 1er janvier 2011). Cette disposition prévoit que, pour les personnes arrivant de l’étranger et n’ayant jamais été affiliées en Suisse, la somme de rachat annuelle ne peut excéder, durant les cinq premières années d’affiliation, 20% du salaire assuré défini par le règlement. Après ce délai, le rachat complet devient possible. L’art. 60b al. 2 OPP 2 prévoit en outre une exception lorsque l’assuré transfère directement des avoirs de prévoyance professionnelle étrangère dans une institution de prévoyance suisse, sous certaines conditions (transfert direct [let. a], admission par l’institution d’un tel transfert [let. b] et absence de déduction fiscale en Suisse [let. c]).

Consid. 3.2.2
Entrent également en ligne de compte pour la solution du litige, comme l’a retenu à juste titre la juridiction cantonale, deux dispositions de l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681), soit les art. 2 et 21 par. 3.

Selon l’art. 2 ALCP, les ressortissants d’une partie contractante qui séjournent légalement sur le territoire d’une autre partie contractante ne sont pas, dans l’application et conformément aux dispositions des annexes I, II et III de cet accord, discriminés en raison de leur nationalité. Ce principe de l’égalité de traitement est repris à l’art. 9 de l’annexe I de l’ALCP, qui énonce, à son par. 2 une règle spécifique visant à faire bénéficier le travailleur salarié et les membres de sa famille des mêmes avantages fiscaux et sociaux que ceux dont disposent les travailleurs salariés nationaux et les membres de leur famille.

En vertu de l’art. 21 par. 3 ALCP, aucune disposition du présent accord ne fait obstacle à l’adoption ou l’application par les parties contractantes d’une mesure destinée à assurer l’imposition, le paiement et le recouvrement effectif des impôts ou à éviter l’évasion fiscale conformément aux dispositions de la législation fiscale nationale d’une partie contractante ou aux accords visant à éviter la double imposition liant la Suisse, d’une part, et un ou plusieurs États membres de la Communauté européenne, d’autre part, ou d’autres arrangements fiscaux.

Consid. 4 [résumé]
La juridiction cantonale a rappelé que l’art. 60b OPP 2 trouvait son origine dans la volonté du législateur de lutter contre les abus fiscaux liés aux rachats de prévoyance. Les personnes arrivant en Suisse pour y exercer une activité lucrative présentaient d’importantes lacunes dans le deuxième pilier, par comparaison avec celles ayant uniquement un « passé de prévoyance suisse ». Dès lors, ces lacunes, pouvant être comblées par des rachats exonérés d’impôt, présentaient un risque d’utilisation abusive à des fins fiscales.

Après la suppression de la limitation de l’ancien art. 79a LPP (en vigueur jusqu’au 31 décembre 2005) et l’impossibilité pratique de vérifier l’existence à l’étranger de régimes comparables, le législateur avait confié au Conseil fédéral, par l’art. 79b al. 2 LPP (en vigueur dès le 1er janvier 2006), la tâche d’édicter une disposition anti-abus. L’art. 60b OPP 2, conçu comme une norme de nature fiscale, visait ainsi les personnes venant temporairement en Suisse, réduisant leur revenu imposable par des rachats, puis quittant le pays en retirant leur avoir de prévoyance en espèces selon l’art. 5 al. 1 let. a LFLP. Comme la plupart des conventions de double imposition attribuaient à l’État de résidence le droit d’imposer ces prestations, la Suisse en sortait défavorisée fiscalement. Le plafonnement instauré par l’art. 60b al. 1 OPP 2 visait donc à éviter qu’un contribuable à revenu élevé et de séjour limité n’élude largement l’impôt en Suisse.

Tout en laissant indécise la question de savoir si ce plafonnement constituait une discrimination indirecte envers les ressortissants de l’Union européenne prohibée par l’ALCP, les juges cantonaux ont retenu que la mesure demeurait compatible avec cet accord. Ils ont souligné qu’elle constituait une mesure « visant à assurer l’imposition » au sens de l’art. 21 par. 3 ALCP, norme permettant de justifier une restriction afin de lutter contre l’évasion fiscale. Enfin, ils ont jugé que la limitation à 20% du salaire assuré pendant cinq ans apparaissait proportionnée.

Consid. 6.1 [résumé]
Il est incontesté que l’assuré, ressortissant français arrivé en Suisse en 2020 pour y exercer une activité lucrative, entre dans le champ d’application personnel de l’ALCP (art. 1 ALCP et art. 1 annexe I ALCP).

Il n’est pas non plus litigieux que la faculté de rachat d’années de prévoyance non pas au moment de l’entrée dans l’institution (art. 9 LFLP en lien avec l’art. 79b LPP), mais en cours d’assurance, relève de la prévoyance plus étendue (arrêt 9C_813/2014 du 26 mai 2015 consid. 2.3.2, in SVR 2016 BVG n° 23 p. 98; STÉPHANIE Perrenoud/Marc Hürzeler, in Commentaire bâlois, Berufliche Vorsorge, 2021, n° 7 ad art. 9 LFLP). Celle-ci n’entre pas dans le champ d’application du Règl. (CE) n° 883/2004 (RS 0.831.109.268), mais dans celui de la Directive 98/49 CE du Conseil européen du 29 juin 1998 relative à la sauvegarde des droits à pension complémentaire des travailleurs salariés et non salariés qui se déplacent à l’intérieur de la Communauté (ci-après: Directive 98/49), à laquelle renvoie le ch. 5 section A de l’annexe II ALCP (ATF 140 II 364 consid. 4.3 et les références; 137 V 181 consid. 2.1; Basile Cardinaux, in Commentaire bâlois, Berufliche Vorsorge, 2021, n° 18 ad art. 89a LPP; ROLAND MÜLLER/ Gertrud Bollier, in LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 18 ad Rem. prél. art. 89a-89d LPP). Cette directive n’a toutefois pas de portée plus large que l’art. 2 ALCP en matière de non-discrimination. De plus, il n’y a pas lieu de revenir sur la qualification, admise par la juridiction cantonale et non contestée, du rachat en cause comme avantage fiscal et social au sens de l’art. 9 par. 2 annexe I ALCP.

Consid. 6.2 [résumé]
Conformément à l’analyse des juges cantonaux, l’art. 60b al. 1 OPP 2 est une norme à caractère fiscal. Selon l’OFAS, son objectif est de prévenir les utilisations abusives des rachats à des fins fiscales et non pour améliorer la prévoyance professionnelle, le législateur ayant confié au Conseil fédéral la mission d’adopter une telle disposition après la suppression de l’art. 79a aLPP. L’OFAS considère par ailleurs que la règle respecte l’égalité de traitement internationale, puisqu’elle s’applique indifféremment aux ressortissants suisses et étrangers (Bulletin de la prévoyance professionnelle n° 83 du 16 juin 2005, ch. 484, p. 22). L’assuré fait toutefois valoir qu’elle entraîne, dans son cas, une discrimination indirecte au sens de l’ALCP, grief qu’il convient d’examiner.

Consid. 6.2.1
Selon la jurisprudence, le principe de non-discrimination déduit de l’art. 2 ALCP (ainsi que des art. 9 al. 2 et 15 al. 2 annexe I ALCP) prohibe non seulement les discriminations ostensibles fondées sur la nationalité (discriminations directes), mais encore toutes formes dissimulées de discrimination qui, par application d’autres critères de distinction, aboutissent en fait au même résultat (discriminations indirectes). Dans le domaine de la fiscalité directe, qui relève de leur compétence, les États doivent ainsi s’abstenir de toute discrimination ostensible ou déguisée fondée sur la nationalité (ATF 140 II 141 consid. 7.1.1 et les références; arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne [CJUE] – précédemment Cour de justice des Communautés européennes [CJCE] – du 30 mai 2024 C-627/22 Finanzamt Köln-Süd, point 83).

Consid. 6.2.2
En l’occurrence, l’application de l’art. 60b al. 1 OPP 2 à l’assuré constitue une différence de traitement avec quiconque est déjà établi en Suisse et qui est affilié à une institution de prévoyance de par son activité lucrative. En effet, ainsi que l’a constaté de manière pertinente la cour cantonale, s’il est vrai que cette disposition s’applique indistinctement aux ressortissants suisses et étrangers, il n’en demeure pas moins qu’en pratique, les ressortissants européens arrivant en Suisse où ils s’établissent n’ont, pour la plupart d’entre eux, jamais été affiliés à une institution de prévoyance en Suisse. L’assuré subit donc, dans les faits, une différence de traitement par rapport à une personne habitant en Suisse, qui a déjà en principe préalablement cotisé à la prévoyance professionnelle. À la différence de la situation de cette personne, l’assuré est limité dans ses possibilités de rachats d’années d’assurance pendant les cinq années suivant son entrée dans l’institution de prévoyance suisse. Il ne peut donc pas pleinement bénéficier des avantages fiscaux liés à la déduction des cotisations de la prévoyance professionnelle dans la même mesure qu’une personne habitant en Suisse et qui est affiliée à une institution de prévoyance. En effet, puisque les primes, cotisations et montants légaux, statutaires ou réglementaires versés à des institutions de la prévoyance professionnelle sont déductibles du revenu (cf. art. 33 al. 1 let. d LIFD [RS 642.11] et 9 al. 2 let. d LHID [RS 642.14]), l’assuré subit dans le contexte de la prévoyance professionnelle un désavantage de trésorerie en raison de la limitation prévue par l’art. 60b al. 1 OPP 2. Partant, la réglementation en cause est de nature à le dissuader de faire effectivement usage de son droit de circulation tiré de l’ALCP.

Consid. 7
Puisque la réglementation prévue par l’art. 60b al. 1 OPP 2est susceptible d’induire une discrimination (indirecte), il convient maintenant d’examiner si celle-ci peut être justifiée en application de l’art. 21 par. 3 ALCP (étant précisé que l’éventualité de l’art. 21 par. 2 ALCP n’entre pas en considération). On rappellera que cette disposition permet aux parties contractantes d’adopter ou appliquer une mesure destinée à assurer l’imposition, le paiement et le recouvrement effectif des impôts ou à éviter l’évasion fiscale, sans qu’on puisse leur opposer notamment le principe de non discrimination prévu par l’ALCP (consid. 3.2.2 supra).

Consid. 7.1.1
Selon la jurisprudence du Tribunal fédéral, l’art. 21 par. 3 ALCP ne contient pas de notions de droit communautaire, de sorte qu’il convient d’interpréter cette disposition selon l’art. 31 al. 1 de la Convention de Vienne du 23 mai 1969 sur le droit des traités (CV; 0.111; cf. ATF 140 II 167 consid. 5.5.2). Outre les mesures visant à lutter contre l’évasion fiscale, le Tribunal fédéral a jugé que l’art. 21 par. 3 ALCP permettait de justifier une inégalité de traitement par une législation visant à garantir la « cohérence du système » (« Systemkohärenz »; ATF 140 II 167 consid. 4.1 et 5.5.3).

Quand bien même les motifs justificatifs figurant à l’art. 21 par. 3 ALCP ne se recoupent pas avec ceux développés par la CJUE dans sa jurisprudence relative à la libre circulation des personnes à l’intérieur de l’Union, celle-ci a néanmoins considéré que les mesures de l’art. 21 par. 3 ALCP correspondaient aux « raisons impérieuses d’intérêt général » (arrêts de la CJUE du 30 mai 2024 C-627/22 Finanzamt Köln-Süd, point 104 et du 26 février 2019 C-581/17 Wächtler, point 63; qui peuvent être pris en considération dans le but d’assurer une situation juridique parallèle entre les États membres de l’Union européenne, d’une part, et entre ceux-ci et la Suisse, d’autre part [« Beachtungsgebot »; cf. ATF 149 I 248 consid. 6.7 et les références; arrêt 2C_162/2024 du 30 janvier 2025 consid. 5.2 et les références]). À titre d’exemple, constituent une « raison impérieuse d’intérêt général » qui justifie une entrave à la libre circulation la sauvegarde de la cohérence des systèmes fiscaux, ainsi que la volonté d’exclure d’un avantage fiscal les montages purement artificiels (soit d’exclure les cas d’évasion fiscale; cf. ALEXANDRE MAITROT DE LA MOTTE, Droit fiscal de l’Union européenne, 3e éd. 2022, n° 174 p. 305). De telles mesures doivent, en tout état de cause, respecter le principe de proportionnalité, à savoir qu’elles doivent être propres à réaliser les objectifs (de la législation nationale en cause) et qu’elles ne doivent pas aller au-delà de ce qui est nécessaire pour les atteindre (arrêt de la CJUE du 30 mai 2024 C-627/22 Finanzamt Köln-Süd, point 104; arrêt de la CJUE du 26 février 2019 C-581/17 Wächtler, point 63).

Consid. 7.1.2
En définitive, on constate que l’art. 21 par. 3 ALCP permet à un État contractant de justifier une discrimination par des mesures qui visent soit à garantir la cohérence du système fiscal, soit à éviter l’évasion fiscale. Il convient dès lors d’examiner si l’art. 60b al. 1 OPP 2 s’inscrit dans ce cadre.

Consid. 7.2.1
En ce qui concerne la justification fondée sur le risque d’évasion fiscale, on rappellera que la CJCE a considéré que le caractère entravant (aux libertés de circulations) de certaines législations fiscales nationales destinées à lutter contre la fraude fiscale internationale pouvait être justifié par la volonté de mettre en échec « les montages purement artificiels dont le but serait de contourner la loi fiscale » d’un État membre (cf. arrêt de la CJCE du 16 juillet 1988 C-264/96 Imperial Chemical Industries / Colmer, Rec. p. I-4695, point 26; ALEXANDRE MAITROT DE LA MOTTE, op. cit, n° 176 p. 307). La CJUE a précisé dans sa jurisprudence ultérieure qu’il n’était cependant possible de justifier l’entrave d’une liberté de circulation en lien avec l’existence de tels montages qu’à la condition qu »‘ils soient dépourvus de réalité économique » et qu’ils poursuivent « le but d’éluder l’impôt normalement dû sur les bénéfices générés par des activités réalisées sur le territoire national » (arrêt de la CJUE du 12 septembre 2006 C-196/04 Cadbury Schweppes et Cadbury Schweppes Overseas, Rec. p. I-7995 point 55). Partant, la justification ne vaut que pour autant que la réglementation d’un État membre vise uniquement à éviter les montages purement artificiels (ALEXANDRE MAITROT DE LA MOTTE, op. cit., n° 176 p. 309).

Consid. 7.2.2
Dans le contexte de l’évasion fiscale, il paraît utile de rappeler qu’en droit interne suisse, le Tribunal fédéral considère que, dans le cadre des rachats dans la prévoyance professionnelle, l’utilisation du 2e pilier comme « compte-courant fiscalement avantageux » peut typiquement constituer un cas d’évasion fiscale (cf. ATF 142 II 399 consid. 3.3.4; arrêt 9C_206/2024 du 30 janvier 2025 consid. 3.4 et les références).

Consid. 7.2.3
À la lumière des développements précédents sur l’art. 21 par. 3 ALCP, l’avis de la juridiction cantonale selon lequel l’art. 60b al. 1 OPP 2 fait partie des instruments fiscaux réservés par l’art. 21 par. 3 ALCP en tant qu’il vise à lutter contre l’optimisation fiscale abusive peut être suivi dans son principe (cf. également JACQUES-ANDRÉ SCHNEIDER/NICOLAS MERLINO/DIDIER MANGE, in LPP et LFLP, 2e éd. 2020, n° 88 ad art. 79b al. 2 LPP; HANS-PETER CONRAD/PETER LANG, in Commentaire bâlois, Berufliche Vorsorge, 2021, n° 32 ad art. 79b LPP). Il n’est en effet pas exclu que l’institution du 2e pilier soit utilisée comme un « compte-courant fiscalement avantageux » dans une constellation telle que celle du cas d’espèce.

Cela étant, et dans la mesure où l’art. 21 par. 3 ALCP exigerait que les mesures prévues par le droit national respectent le principe de proportionnalité (ce qui a été reconnu par la CJUE, supra consid. 7.1.1; sur cette question sous l’angle du droit suisse, STEFAN OESTERHELT/MORITZ SEILER, in Internationales Steuerrecht der Schweiz, 2e éd. 2023, p. 709), on peut toutefois douter que la limitation prévue par l’art. 60b al. 1 OPP 2 respecte un tel principe sous l’angle de la lutte contre l’évasion fiscale. En effet, on ne saurait retenir que cette disposition s’appliquerait surtout à des cas dans lesquels un ressortissant de l’Union européenne, qui vient s’établir en Suisse, procède à des rachats de la prévoyance professionnelle dans le seul but d’éluder l’impôt. Il n’est en effet pas exclu qu’un tel ressortissant souhaite effectuer des rachats en vue d’améliorer sa prévoyance professionnelle ou de procéder à des rattrapages de cotisation qui soient en adéquation avec son salaire en Suisse, sans penser à un départ à relativement court terme, et qui donc, seraient économiquement justifiés. En d’autres termes, la limitation posée par la disposition en cause de l’OPP 2, bien qu’elle puisse s’appliquer aux cas d’évasion fiscale, a pour vocation à régir toutes les situations dans lesquelles une personne venant de l’étranger vient s’établir en Suisse et procède à des versements dans la prévoyance professionnelle qui peuvent se justifier pour des raisons d’amélioration d’une telle prévoyance. Dans cette mesure et en s’appliquant de manière indifférenciée aux cas d’évasion fiscale et aux situations ne présentant pas une telle composante (soit celle du cas de rachats effectués dans le but d’amélioration de la prévoyance professionnelle et qui sont économiquement justifiés), l’art. 60b al. 1 OPP 2 ne vise pas uniquement les situations dans lesquelles les conditions pour admettre une évasion fiscale seraient réunies. À cet égard, une partie de la doctrine considère que l’art. 60b OPP 2 constitue une mesure disproportionnée au regard de l’art. 21 par. 3 ALCP (BASILE CARDINAUX, Das Personenfreizügigkeitsabkommen und die schweizerische berufliche Vorsorge, 2008, p. 564). Toutefois, tant la question de savoir si une mesure au sens de l’art. 21 par. 3 ALCP doit respecter l’exigence de proportionnalité que le point de savoir si l’art. 60b al. 1 OPP 2 respecte effectivement ce principe dans le cas d’espèce peuvent souffrir de demeurer indécis, vu ce qui suit.

Consid. 7.3.1 [résumé]
Tant selon la jurisprudence du Tribunal fédéral que selon celle de la CJUE (supra consid. 7.1), la cohérence du système fiscal peut être invoquée afin de justifier une différence de traitement interdite, en principe, par l’art. 9 par. 2 de l’annexe I de l’ALCP. Encore faut-il, selon la CJUE, pour qu’un argument fondé sur une telle justification puisse être admis, que l’existence d’un lien direct entre l’avantage fiscal concerné et la compensation de cet avantage par un prélèvement fiscal déterminé soit établie (arrêt de la CJUE du 30 mai 2024 C-627/22 Finanzamt Köln-Süd, point 108).

Une telle justification a été reconnue dans l’affaire Commission c. Belgique, où la CJCE a jugé conforme au droit communautaire une législation belge conditionnant la déductibilité des cotisations d’assurance complémentaire au versement de celles-ci à des assureurs établis en Belgique. La CJCE a considéré que la déduction de ces primes était liée à l’imposition future des prestations servies, de telle sorte que la cohérence du régime fiscal belge devait être sauvegardée (arrêt de la CJCE du 28 janvier 1992 C-300/90 Commission / Belgique, Rec. 1992 I p. 305 point 21).

Consid. 7.3.2.1 [résumé]
Sous l’angle du système fiscal suisse, l’art. 33 al. 1 let. d LIFD permet de déduire les cotisations versées aux institutions de prévoyance alors que l’art. 22 al. 1 LIFD rend imposables toutes les prestations de prévoyance, y compris les prestations en capital. Toutefois, l’art. 38 al. 3 LIFD prévoit un taux privilégié pour ces prestations en capital, celles-ci étant imposées séparément et soumises à un impôt annuel entier calculé sur la base du taux représentant le cinquième des barèmes ordinaires inscrits à l’art. 36 LIFD (ATF 145 II 2 consid. 4.1).

Ainsi, en l’absence d’élément d’extranéité, la perte fiscale due aux déductions (cf. art. 33 al. 1 let. d LIFD) est compensée, même partiellement, par l’imposition des prestations futures. Le régime est analogue aux niveaux cantonal et communal (art. 9 al. 2 let. d et 11 al. 3 LHID).

Consid. 7.3.2.2 [résumé]
En revanche, dans un cas présentant un élément d’extranéité, soit par exemple celui d’un ressortissant français établi en Suisse, qui quitte ce pays et se fait verser sa prestation de libre passage, la situation se présente de manière différente.

Conformément à l’art. 96 al. 1 LIFD, les prestations restent imposables même si le bénéficiaire est à l’étranger. Toutefois l’art. 20 par. 1 de la Convention franco-suisse du 9 septembre 1966 en vue d’éliminer les doubles impositions en matière d’impôts sur le revenu et sur la fortune et de prévenir la fraude et l’évasion fiscales (CDI CH-FR; RS 0.672.934.91) confère le droit exclusif d’imposition à l’État de résidence. Il découle donc de cette disposition conventionnelle et de l’effet négatif des conventions de double imposition (sur ce principe, cf. ATF 143 II 65 consid. 3.5) que le droit d’imposer les prestations de libre passage en cas de départ à l’étranger d’un ressortissant français ayant travaillé en Suisse, puis retournant s’établir en France, revient exclusivement à la France (comp. ATF 143 II 65 consid. 3.1; arrêt 2C_436/2011 du 13 décembre 2011 consid. 2.4 et 4.1.2).

Même si un impôt à la source est retenu en Suisse, il est restitué, sans intérêt, sur requête du contribuable dans les trois ans dès l’échéance de la prestation et de la production d’une attestation de l’État de domicile confirmant qu’il a connaissance du versement de la prestation (cf. art. 19 de l’ordonnance du 11 avril 2018 du DFF sur l’imposition à la source dans le cadre de l’impôt fédéral direct [OIS; RS 642.118.2]). Nonobstant cette procédure, le droit d’imposer le capital de libre passage revient uniquement à la France. Un système similaire existe en droit cantonal genevois s’agissant des impôts cantonal et communal.

Consid. 7.3.3
Compte tenu du système fiscal décrit ci-avant, on constate qu’en l’absence du mécanisme de limitation prévu par l’art. 60b al. 1 OPP 2, l’assuré, ou toute autre personne arrivée de l’étranger bénéficiant d’un revenu élevé et travaillant en Suisse où elle est domiciliée, aurait la possibilité de réduire son revenu imposable de manière non négligeable par l’affectation d’une partie de celui-ci au rachat d’années de prévoyance. Ainsi, l’assuré pourrait affecter une partie du montant de ses revenus s’élevant à 860’040 fr. au rachat d’années de prévoyance (soit de 250’000 fr. projeté en 2022). Or, si par hypothèse l’assuré devait retourner s’établir en France avant le délai de cinq ans suivant son arrivée en Suisse, il lui serait possible de déduire entièrement les cotisations de ses revenus, sans toutefois que les avoirs de libre passage ne puissent être soumis à la souveraineté fiscale suisse lors du départ. Dès lors, l’art. 60b al. 1 OPP 2 permet de préserver (du moins partiellement) la cohérence du système fiscal en conservant une forme d’équilibre entre la déduction de cotisations permise dans une certaine mesure et l’imposition de l’assuré durant son séjour en Suisse. Par ailleurs, la durée de cinq ans telle que choisie par l’auteur de l’ordonnance est admissible, de même que le plafond (20 % du salaire assuré), afin de ménager l’équilibre du système fiscal entre les déductions permises et l’imposition d’un contribuable. Sous cet angle, le principe de la proportionnalité, dût-il être applicable, serait respecté.

Consid. 7.4
Il découle de ce qui précède que, contrairement à ce que prétend l’assuré, l’inégalité de traitement résultant de l’application de l’art. 60b al. 1 OPP 2 à sa situation est justifiée en application de l’art. 21 par. 3 ALCP, en tant que le mécanisme prévu par la disposition de l’ordonnance vise à garantir la cohérence du système fiscal. Partant, il n’y a pas besoin d’examiner le grief lié à la possibilité d’introduire des mesures moins incisives qui selon lui seraient possibles (soit la production de preuves liées à la constitution de sa prévoyance professionnelle en France), puisqu’un tel grief se réfère à une autre justification encore fondée sur l’art. 21 par. 3 ALCP, soit celle des « contrôles fiscaux efficaces ».

En définitive, la juridiction cantonale a rejeté à bon droit la demande du 13 septembre 2022. Le recours est mal fondé.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_430/2023 consultable ici