Mettre en œuvre le rapport d’évaluation relatif aux expertises médicales dans l’Al / Rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national
Rapport de la CSSS-N du 27.08.2025 publié dans la FF 2025 2664
[cf. mon commentaire en fin d’article]
Contenu du projet
Ce projet a pour but d’optimiser la procédure de conciliation pour les expertises médicales monodisciplinaires dans le domaine de l’assurance-invalidité (AI). D’une part, il vise à ce que l’assuré soit impliqué dès le début dans la désignation de l’expert chargé d’effectuer une expertise médicale monodisciplinaire de l’AI et à ce qu’une procédure de recherche d’un véritable consensus soit mise en œuvre. Sur ce point, le projet veut ainsi reprendre la pratique déjà appliquée par certains offices AI.
D’autre part, dans les cas où aucun expert n’a pu être choisi de manière consensuelle, les parties, à savoir l’assuré et l’office AI, désignent chacun un expert et les experts ainsi désignés auront pour tâche d’élaborer une expertise commune. En cas de divergences d’appréciation entre les deux experts, le service médical régional prend position sur les questions qui ne font pas l’unanimité et rend ses conclusions sur l’évaluation médicale.
Cette nouvelle réglementation vient ainsi compléter les différentes mesures qui ont été introduites dans le cadre du développement continu de l’AI (DCAI) visant à améliorer et garantir la qualité des expertises et de la procédure en général.
Dans le détail
Le rapport de la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N) du 27 août 2025 présente la réforme de la procédure de conciliation pour les expertises médicales en assurance-invalidité. Ce rapport s’inscrit dans le contexte de l’initiative parlementaire Roduit 21.498, qui vise à mettre en œuvre les recommandations issues d’un rapport d’évaluation sur les expertises médicales en AI, publié en 2020 (Müller, Franziska / Liebrenz, Michael / Schleifer, Roman / Schwenzel Christof / Balthasar, Andreas (2020): Evaluation der medizinischen Begutachtung in der Invalidenversicherung). La nécessité de revoir la procédure actuelle est motivée par le souci d’améliorer la légitimité, l’acceptation et la qualité des expertises médicales dans le processus d’instruction des prestations AI.
Le projet vise essentiellement à renforcer la participation de l’assuré dans le choix de l’expert chargé de réaliser l’expertise monodisciplinaire en assurance-invalidité. Ce nouveau modèle de participation s’inspire partiellement de la pratique française de l’expertise conjointe, où chaque partie désigne son propre expert et où ces deux professionnels doivent aboutir à une évaluation commune lorsqu’un consensus n’a pu être trouvé initialement.
La situation légale actuelle découle du développement continu de l’AI (DCAI), entré en vigueur au 1er janvier 2022, qui a introduit des mesures pour renforcer les droits des assurés pendant la procédure de conciliation. Selon la réglementation en vigueur, la tentative de conciliation dans la désignation de l’expert s’applique uniquement pour les expertises monodisciplinaires ; les expertises bi- et pluridisciplinaires sont attribuées de manière aléatoire et échappent à cette procédure.
Dans l’AI, en 2023, sur 5552 expertises monodisciplinaires, 348 tentatives de conciliation ont eu lieu (6,3%) et dans 33 cas (0,6%), aucun accord n’a pu être trouvé. À la fin du 3e trimestre 2024, les chiffres intermédiaires montrent que le nombre de cas dans lesquels un expert n’a pas pu être désigné en accord avec les parties a fortement diminué par rapport à 2023 (0.25%). Dans ces cas, les offices AI rendent une décision incidente qui indique le nom de l’expert désigné et les raisons pour lesquelles les objections soulevées par l’assuré n’ont pas été retenues. Cette décision peut être attaquée devant le tribunal compétent.
La commission estime toutefois qu’un ajustement législatif demeure nécessaire pour mettre en œuvre la recommandation visant à « optimiser » la conciliation, telle qu’issue du rapport d’évaluation de 2020 (cf. supra). Malgré les mesures du DCAI, certaines recommandations n’ont pas pu être concrétisées en raison de contraintes d’organisation et de la pénurie d’experts. La recommandation n° 5 « Optimisation de la procédure de conciliation pour les expertises mono-/bidisciplinaires (renforcement de la procédure de conciliation) » demande encore une base légale claire.
Le cœur de la solution retenue se compose de deux éléments complémentaires.
- Premièrement, l’assuré est formellement associé, dès l’origine, au choix de l’expert, selon une procédure de recherche d’un véritable consensus que le rapport rattache à des pratiques déjà suivies par certains offices AI. En effet, la procédure actuellement appliquée par certains offices AI prévoit que, lors de la communication du nom de l’expert désigné, il est donné à l’assuré la possibilité de proposer un autre spécialiste figurant sur la liste des experts avec lesquels l’office AI collabore.
- Deuxièmement, à défaut d’accord, la CSSS-N s’inspire du modèle français d’expertise conjointe, développé dans le champ des accidents de la route pour accélérer la liquidation des sinistres. Transposée à l’AI, cette approche vise à garantir un poids équivalent aux voix des parties concernées – personnes assurées et offices AI – dans la phase d’instruction lorsque la conciliation échoue.
La proposition se matérialise dans le projet de modification de la LAI (publié in FF 2025 2665). Le nouvel art. 57 al. 4 P-LAI impose l’entente entre l’office AI et l’assuré sur le choix de l’expert monodisciplinaire (« … l’office AI et l’assuré sont tenus de s’entendre sur le choix d’un expert. »). En cas d’échec, chaque partie désigne un expert, et les deux experts établissent une expertise avec évaluation consensuelle, exposant leurs divergences si un consensus n’est pas possible. Le Service médical régional prend alors position sur les points non consensuels et rend ses conclusions sur l’évaluation médicale.
Sur la base de l’art. 44 al. 2 LPGA, l’office communique un nom et, simultanément, offre à l’assuré la possibilité de proposer un autre expert parmi les partenaires avec lesquels il collabore, l’assuré devant répondre dans le délai de dix jours (pratique actuelle de certains offices AI). Les experts pressentis doivent satisfaire aux exigences de l’art. 7m OPGA, renvoyant ainsi au dispositif de qualité introduit avec le DCAI.
Dans le cas où l’office AI et l’assuré ne parviennent pas à s’entendre sur le choix d’un expert, le nouvel art. 57 al. 4 P-LAI introduit le modèle d’expertise commune. L’expertise commune rendra une décision incidente concernant le choix d’un seul expert superflu. L’office AI et l’assuré désignent chacun un expert dans la discipline définie, qui s’engage à établir une expertise commune. Les deux experts doivent remplir les exigences fixées à l’art. 7m OPGA.
La procédure de consultation a généré 71 prises de position, dont 20 spontanées (cf. Prises de position dans le cadre de la consultation et Rapport de consultation du 11 août 2025). Une majorité d’acteurs soutient la modification, mettant en avant un meilleur taux d’acceptation des expertises et une possible réduction des litiges. À l’inverse, 24 cantons, l’UDC, l’Union patronale, la Conférence des offices AI, la FER, la Suva et la SIM s’y opposent, estimant la réforme disproportionnée au regard du faible nombre de cas et de sa complexité organisationnelle. En particulier, la Swiss Insurance Medicine (SIM), sur la base d’une connaissance concrète en la matière, rejette l’introduction du modèle de l’expertise commune et préconise plutôt que la personne assurée puisse proposer trois experts figurant sur une liste nationale et que l’office AI en désigne un parmi ces trois. La Commission fédérale d’assurance qualité des expertises médicales (COQEM), tout en approuvant l’idée de base du projet, ne se prononce pas sur les détails et propose de prendre des mesures pour plus de transparence dans ce domaine.
Une minorité de la CSSS-N conteste l’opportunité d’entrer en matière sur le projet, avançant que le système de conciliation proposé serait chronophage, accentuerait la pénurie d’experts, notamment en psychiatrie, et que la dernière réforme de la LPGA n’a pas encore livré tous ses enseignements.
Commentaire
La proposition émise par la Commission de la sécurité sociale et de la santé publique du Conseil national (CSSS-N), qui offre à l’assuré la possibilité de désigner trois experts issus d’une liste d’experts reconnus et conformes aux critères exigés par l’art. 7m OPGA, constitue une mesure particulièrement bienvenue. Cette approche apparaît à la fois pragmatique, peu onéreuse et immédiatement applicable dans le cadre de l’assurance-invalidité, grâce aux listes existantes tenues par les offices AI. En facilitant l’implication accrue de l’assuré dans le choix de l’expert, ce dispositif devrait contribuer à une plus grande acceptation des résultats d’expertise, en atténuant la perception d’imposition d’un expert choisi unilatéralement.
Toutefois, la concrétisation de la procédure d’expertise commune suscite de sérieuses réserves quant à sa faisabilité pratique. Il est légitime de s’interroger sur la capacité d’un assuré, souvent démuni pour mandater un avocat, à gérer seul une telle démarche d’envergure. L’assistance administrative, telle que prévue à l’art. 37 al. 4 LPGA, reste dès lors central. Néanmoins, subsiste une incertitude notable quant à l’assouplissement des « directives internes » des offices AI en matière d’acceptation et de mise en œuvre de cette assistance pour des cas aussi complexes. Sans un encadrement plus souple et explicite, la voie de l’expertise commune risque de demeurer inadaptée et inaccessible à une large majorité d’assurés.
Par ailleurs, la question de la disponibilité des experts dans un contexte déjà marqué par une pénurie préoccupante mérite une attention soutenue. La double désignation d’experts pour chaque dossier augmentera sensiblement la charge pesant sur un nombre d’experts déjà insuffisant, ce qui pourrait allonger les délais d’instruction. Il demeure aussi incertain que ces experts acceptent d’être directement contactés par l’assuré, alors même que cette nouvelle procédure augmente l’exposition et les exigences liées à leur mission.
Le projet confie au Conseil fédéral la fixation des modalités, qui devra impérativement prévoir des standards précis, notamment en ce qui concerne la sollicitation des experts, les délais d’exécution et la structure des rapports conjoints. Sans une uniformisation forte, la mise en œuvre pourrait pâtir de disparités cantonales, nuisant alors à la cohérence et à l’efficacité de la réforme.
Au-delà de ces considérations techniques et organisationnelles, la question la plus critique à mes yeux porte sur le profond manque d’harmonisation au sein des assurances sociales. Il est difficilement compréhensible que la commission ait limité le champ de la réforme à l’assurance-invalidité, excluant des régimes où les problématiques d’expertises médicales sont tout aussi déterminantes, notamment l’assurance-accidents (LAA) et l’assurance-maladie (LAMal). Cette restriction génère une inégalité de traitement structurelle entre assurés selon leur branche d’assurance, soulevant des interrogations majeures sur l’équité et la cohérence globale de notre système de protection sociale.
Cette dissymétrie dans le traitement des expertises médicales entre les différentes branches des assurances sociales engendrera des conséquences tangibles. Elle mettra en place des incitations procédurales divergentes selon l’assurance concernée, alimentera inévitablement des contentieux comparatifs et affaiblira la vision chère à la LPGA d’un socle procédural commun. Le sentiment déjà présent d’une inégalité de traitement chez les assurés risque par conséquent d’être aggravé, ce qui va précisément à l’encontre de l’objectif affiché de renforcer l’acceptation des expertises.
Or, la justification avancée par la commission, reposant sur le fait que le rapport d’évaluation initial ne portait que sur l’assurance-invalidité, ne semble pas suffisante. Le report à une éventuelle révision plus générale au niveau de la LPGA ne saurait répondre à l’urgence ni au besoin fondamental d’un traitement égalitaire entre assurés. Cette approche fragmentaire laisse un goût d’inachevé et contribue à perpétuer des disparités lourdes de conséquences.
Le choix de circonscrire la réforme à l’assurance-invalidité paraît étroit, d’autant plus que la tendance générale devrait être orientée vers l’unification et la simplification des procédures entre régimes. Maintenir des règles spécifiques à chaque assurance renforce au contraire la complexité juridique et administrative, au détriment tant des assurés que des intervenants professionnels.
Au-delà de ces perspectives critiques, je tiens à souligner, au fil de ma pratique quotidienne, la qualité de l’écoute et la volonté de dialogue des offices AI romands. Dans cette région, nous parvenons à une entente constructive sur la désignation des experts, ce qui témoigne déjà d’une certaine maturité et d’une coopération fructueuse entre assurés et offices.
Pour conclure, il est indispensable que les modalités pratiques définies par le Conseil fédéral fassent l’objet d’un large dialogue avec tous les acteurs concernés, experts, assurances et représentants des assurés. Seule une mise en œuvre pragmatique, flexible et centrée sur les besoins réels des assurés pourra permettre à cette réforme, perfectible par nature, de constituer une avancée significative dans le domaine complexe et sensible des expertises médicales.
Rapport de la CSSS-N du 27.08.2025 publié dans la FF 2025 2664
Projet de loi fédérale sur l’assurance-invalidité (Renforcement de la procédure de conciliation pour les expertises AI monodisciplinaires) paru dans la FF 2025 2665
Initiative parlementaire Roduit 21.498 « Mettre en oeuvre le rapport d’évaluation relatif aux expertises médicales dans l’Al » consultable ici