8C_230/2024 (f) du 21.10.2024 – Droit à l’indemnité chômage – Situation professionnelle comparable à celle d’un employeur – Holding et actionnaire non majoritaire – 8 ss LACI – 31 al. 3 let. c LACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_230/2024 (f) du 21.10.2024

 

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Droit à l’indemnité chômage – Situation professionnelle comparable à celle d’un employeur – Holding et actionnaire non majoritaire / 8 ss LACI – 31 al. 3 let. c LACI

 

L’assuré, né en 1981, a occupé des postes d’administrateur dans plusieurs sociétés liées :

  • Administrateur de la société B.__ (22.07.2014 – 05.05.2023)
  • Administrateur de la société D.__ (jusqu’au 09.05.2023)
  • Administrateur président de la société E.__ (08.05.2019 – 10.05.2022)

Son frère, C.__, occupe également des positions clés :

  • Administrateur président de la société B.__ (depuis 07.04.2020)
  • Administrateur président de la société D.__ (depuis 25.06.2018)
  • Administrateur de la société E.__ (08.05.2019 – 10.05.2022), puis directeur (depuis 10.05.2022)

La société B.__, active dans l’orthopédie et le paramédical, est détenue à 100% par la société D.__, elle-même détenue à 100% par la société E.__. Au 01.05.2019, E.__ était détenue à parts égales (14,29%) par sept administrateurs, dont l’assuré et son frère.

Le 22.12.2022, l’assuré a été licencié par la société B.__ avec effet au 31.03.2023, officiellement pour suppression de poste. Il a demandé des indemnités de chômage à partir du 01.04.2023.

Le 20.03.2023, l’assuré a requis l’octroi d’une indemnité de chômage à compter du 01.04.2023. L’assuré affirme qu’il était subordonné au directeur de la société B.__ et que son licenciement n’était pas lié à sa position d’administrateur. Il considère sa part de 14,29% dans la société E.__ comme insuffisante pour influencer les décisions.

Une assemblée générale de la société E.__ du 22.06.2023 a validé le rachat des actions de l’assuré pour 928’200 francs.

L’assuré a connu diverses périodes d’incapacité de travail entre août 2021 et septembre 2022, avant d’être reconnu pleinement apte dès le 01.10.2022.

La caisse de chômage a refusé l’octroi d’indemnités à partir du 03.04.2023, en raison de la position d’administrateur de l’assuré dans la société B.__ jusqu’au 10.05.2023 et de sa qualité d’actionnaire de la société E.__, société possédant entre autres la société B.__.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/157/2024 – consultable ici)

La cour cantonale a estimé que l’inscription de l’assuré au registre du commerce comme administrateur de la société B.__ l’excluait du droit aux indemnités dès le 03.04.2023. Sa démission effective des conseils d’administration a été actée le 05.05.2023 pour la société B.__ et le 09.05.2023 pour la société D.__, selon les inscriptions officielles. Bien que l’assuré ne puisse plus formellement influencer les décisions de son ancien employeur à partir du 09.05.2023, un risque de mise à contribution abusive de l’assurance-chômage demeurait. Ce risque était notamment caractérisé par le lien de parenté étroit avec son frère, administrateur président de la société B.__, disposant d’un pouvoir décisionnel significatif au sein du conseil d’administration. Dans un courrier du 08.12.2022, un autre administrateur de la société B.__ et le frère de l’assuré avaient proposé à l’assuré un poste de technicien en podologie à un taux d’activité de 100% pour un salaire mensuel brut de 8’000 fr. avec effet au 01.04.2023, proposition refusée par l’assuré. Il existait un risque d’abus puisque l’assuré gardait la possibilité d’être réengagé, par le biais de son frère, et d’exercer une activité du même type au sein de la société B.__ qui l’avait licencié.

Par jugement du 08.03.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4.1
D’après la jurisprudence (ATF 123 V 234), un travailleur qui jouit d’une situation professionnelle comparable à celle d’un employeur – ou son conjoint –, n’a pas droit à l’indemnité de chômage (art. 8 ss LACI) lorsque, bien que licencié formellement par une entreprise, il continue de fixer les décisions de l’employeur ou à influencer celles-ci de manière déterminante. Dans le cas contraire, en effet, on détournerait par le biais d’une disposition sur l’indemnité de chômage la réglementation en matière d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail, en particulier l’art. 31 al. 3 let. c LACI. Selon cette disposition, n’ont pas droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail, notamment, les personnes qui fixent les décisions que prend l’employeur – ou peuvent les influencer considérablement – en qualité d’associé, de membre d’un organe dirigeant de l’entreprise ou encore de détenteur d’une participation financière à l’entreprise.

Lorsque le salarié qui se trouve dans une position assimilable à celle d’un employeur quitte définitivement l’entreprise en raison de la fermeture de celle-ci, il n’y a pas de risque que les conditions posées par l’art. 31 al. 3 let. c LACI soient contournées. Il en va de même si l’entreprise continue d’exister, mais que l’assuré rompt définitivement tout lien avec elle après la résiliation des rapports de travail. Dans un cas comme dans l’autre, il peut en principe prétendre des indemnités journalières de chômage.

Consid. 4.2
Lorsqu’il s’agit de déterminer quelle est la possibilité effective d’un dirigeant d’influencer le processus de décision de l’entreprise, il convient de prendre en compte les rapports internes existant dans l’entreprise (BORIS RUBIN, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 41 ad art. 31). On établira l’étendue du pouvoir de décision en fonction des circonstances concrètes (ATF 145 V 200 consid. 4.2 et les références). Une exception à ce principe existe lorsque le pouvoir de décision déterminant découle déjà (impérativement) de la loi elle-même. C’est notamment le cas des associés d’une Sàrl (art. 804 ss CO) ainsi que des administrateurs (collaborateurs) d’une SA, pour lesquels la loi prescrit, en leur qualité de membres du conseil d’administration, diverses tâches intransmissibles et inaliénables (art. 716 à 716b CO) qui déterminent ou influencent de manière déterminante les décisions de l’employeur (ATF 123 V 234 consid. 7a; ATF 122 V 270 consid. 3; SVR 2020 ALV n° 15 p. 46, 8C_433/2019 du 20 décembre 2019 consid. 4.2; DTA 2018 p. 101, 8C_412/2017 du 10 janvier 2018 consid. 3.2; DTA 2016 p. 224, 8C_738/2015 du 14 septembre 2016 consid. 3.2). Pour ces derniers, le droit aux prestations peut dès lors être exclu sans qu’il soit nécessaire de déterminer plus concrètement les responsabilités qu’ils exercent au sein de la société (ATF 122 V 270 consid. 3 précité; arrêt 8C_738/2015 du 14 septembre 2016 consid. 3.2). Dans ce contexte, le droit aux prestations est exclu jusqu’au moment de la démission effective du conseil d’administration (ATF 126 V 134 consid. 5b).

Consid. 6.2 [résumé]
L’assuré argue avoir été révoqué de ses mandats d’administrateur avec effet immédiat après son licenciement le 22.12.2022. Il invoquait une dégradation du climat de travail depuis 2020, son exclusion des discussions, un « burn-out » ayant entraîné une incapacité de travail, une réduction de sa rémunération et la suppression de ses responsabilités. Il affirmait avoir été complètement exclu de la société dès décembre 2022 et n’avait plus eu aucun contact avec les membres de la direction qu’il côtoyait depuis vingt ans.

S’agissant du mandat d’administrateur, les éléments invoqués par l’assuré ne sont pas étayés par des preuves ou des offres de preuve autres que celle de l’audition de l’assuré. Les juges cantonaux pouvaient écarter ce moyen de preuve sur la base d’une appréciation anticipée des preuves (cf. ATF 145 I 167 consid. 4.1; 144 II 427 consid. 3.1.3) sans violer le droit d’être entendu de l’assuré. Ce dernier n’a d’ailleurs requis l’audition d’aucun autre témoin à propos de son mandat d’administrateur jusqu’à sa radiation du registre du commerce. Dans ces conditions, on ne saurait reprocher à la juridiction cantonale de ne pas avoir admis qu’il avait effectivement démissionné du conseil d’administration avant sa radiation au registre du commerce comme administrateur de la société B.__ le 05.05.2023 et de la société D.__ le 09.05.2023 sans autre mesure d’instruction. La juridiction cantonale n’a donc pas violé le droit fédéral en constatant que jusqu’à cette dernière date en tous les cas, l’assuré ne pouvait pas prétendre à l’indemnité de chômage.

Consid. 6.3.1
Reste à examiner si, pour la période postérieure à cette date, la juridiction cantonale a exclu à tort le droit aux prestations en raison d’un risque que l’assuré se fasse réengager par le biais de son frère.

Consid. 6.3.2
Le Tribunal fédéral a retenu que l’art. 31 al. 3 let. c LACI exclut du droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail et, par analogie, du droit à l’indemnité de chômage (ATF 123 V 236 consid. 7) les personnes assimilées à des employeurs elles-mêmes ainsi que leurs conjoints travaillant dans l’entreprise. Les autres parents ne sont pas mentionnés dans cette disposition.

Consid. 6.3.3
La cour cantonale a appliqué l’art. 31 al. 3 let. c LACI en se fondant sur un cas ayant donné lieu à l’arrêt 8C_401/2015 du 5 avril 2016. Dans l’arrêt précité, l’assuré avait fondé une société dont il était l’unique associé et gérant au bénéfice de la signature individuelle. Après son licenciement au 30.06.2012, il avait conservé ses qualités d’associé unique et gérant jusqu’au 14.11.2012, date à laquelle il avait cédé sa part sociale à sa mère qui était devenue l’unique associée et gérante, au bénéfice de la signature individuelle. La dissolution de la société avait été prononcée le 05.02.2013 et la mère de l’assuré avait été nommée liquidatrice. Une autre société ayant un but social quasi-identique avait par ailleurs été inscrite au registre du commerce le 21.06.2012 et le 17.05.2013, la mère de l’assuré avait été inscrite en qualité d’administratrice unique, au bénéfice de la signature individuelle. Il avait été retenu que l’assuré occupait par le biais de sa mère une position assimilable à celle d’un employeur au sein de la première société jusqu’à la date de sa radiation au registre du commerce le 10.09.2013. A partir du 11.09.2013, il avait été constaté qu’il existait un risque que la mère de l’assuré, en sa qualité d’administratrice unique de la seconde société, engageât son fils et que, partant, ce dernier occupât une position de fait assimilée à celle d’un employeur au sein de cette société et lui conférant un pouvoir décisionnel excluant tout droit à l’indemnité de chômage.

Le cas d’espèce n’est pas comparable. Si le frère de l’assuré est l’administrateur président de la société B.__, il n’en est pas – comme la mère de l’assuré dans l’arrêt 8C_401/2015 – l’administrateur unique. Il ne dispose pas non plus d’un droit de signature individuelle mais d’un droit de signature collective à deux avec un autre administrateur. Au demeurant, la société B.__ n’est pas détenue par le frère de l’assuré mais par une holding (la société D.__), laquelle est elle-même détenue par sept actionnaires, ayant chacun une part égale non majoritaire. On ne voit aucun indice, dans l’enchaînement des faits et la date de la création des différentes sociétés, de contournement des règles posées par l’art. 31 al. 3 let. c LACI. Dans de telles circonstances, cette disposition, même par analogie, ne constitue pas une base légale suffisante pour exclure le droit aux prestations dès lors qu’elle ne fait aucune mention de la parenté de l’employeur hormis le conjoint.

Vu ce qui précède, la cour cantonale a violé le droit en retenant que l’assuré n’avait pas droit à une indemnité de chômage postérieurement au 09.05.2023, au motif qu’il bénéficiait encore d’une position assimilable à celle d’un employeur. Il convient en conséquence de renvoyer la cause à la caisse de chômage pour qu’elle vérifie si les autres conditions – non examinées ici – du droit à l’indemnité de chômage sont remplies et rende ensuite une nouvelle décision.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.

 

Arrêt 8C_230/2024 consultable ici

 

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