Arrêt du Tribunal fédéral 9C_291/2023 (f) du 30.01.2024
Suppression de la rente AI lors du premier octroi à un assuré de plus de 55 ans
A la suite d’un premier refus de prestations de l’assurance-invalidité (avril 2017), l’assuré, né en 1965, a déposé une nouvelle demande de prestations en septembre 2019, en relation avec un accident survenu sur son lieu de travail le 11.03.2019. Il exerçait l’activité de monteur en échafaudages. Après avoir notamment fait verser au dossier celui de l’assureur-accidents et sollicité des renseignements auprès des médecins traitants de l’assuré, l’office AI lui a octroyé une rente entière d’invalidité du 01.03.2020 au 30.11.2020.
Procédure cantonale (arrêt AI 335/22 ap. TF – 83/2023 – consultable ici)
Par jugement du 23.03.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 6.2.1
Selon la jurisprudence, s’il est vrai que des facteurs tels que l’âge, le manque de formation ou les difficultés linguistiques jouent un rôle non négligeable pour déterminer dans un cas concret les activités que l’on peut encore raisonnablement exiger d’un assuré, ils ne constituent pas, en règle générale, des circonstances supplémentaires qui, à part le caractère raisonnablement exigible d’une activité, sont susceptibles d’influencer l’étendue de l’invalidité, même s’ils rendent parfois difficile, voire impossible la recherche d’une place et, partant, l’utilisation de la capacité de travail résiduelle (arrêt 9C_774/2016 du 30 juin 2017 consid. 5.2 et la référence).
Consid. 6.2.2
En l’espèce, âgé de 55 ans au moment où il a été examiné par les médecins de la clinique de réadaptation en août 2020 (sur le moment où la question de la mise en valeur de la capacité [résiduelle] de travail pour un assuré proche de l’âge de la retraite sur le marché de l’emploi doit être examinée, voir ATF 138 V 457 consid. 3.3), l’assuré n’avait pas encore atteint l’âge à partir duquel la jurisprudence considère généralement qu’il n’existe plus de possibilité réaliste de mise en valeur de la capacité résiduelle de travail sur un marché du travail supposé équilibré (sur ce point, voir ATF 143 V 431 consid. 4.5.2). C’est donc à bon droit que la juridiction cantonale n’a pas appliqué cette jurisprudence en l’occurrence.
Les juges cantonaux ont en revanche expliqué de manière convaincante que les limitations fonctionnelles retenues par les médecins de la clinique de réadaptation (épaule gauche: pas de port de charges lourdes répétitif ni de travail prolongé ou répétitif avec le membre supérieur gauche au-dessus du plan des épaules et en porte-à-faux; rachis: éviter les activités nécessitant le maintien prolongé du tronc en porte-à-faux, les flexions et torsions répétées du tronc et le port de charges lourdes) ne présentaient pas de spécificités telles qu’elles rendraient illusoire l’exercice d’une activité professionnelle. Ils ont exposé à cet égard que le marché du travail offrait un large éventail d’activités légères, dont un certain nombre étaient adaptées aux limitations de l’assuré et accessibles sans aucune formation particulière. Au regard de la liste des activités compatibles avec les limitations fonctionnelles de l’assuré établie par l’office intimé (travail simple et répétitif dans le domaine industriel léger, par exemple montage, contrôle ou surveillance d’un processus de production, ouvrier à l’établi dans des activités simples et légères, ouvrier dans le conditionnement), on constate en effet que la juridiction de première instance n’a pas violé le droit en admettant qu’il existait de réelles possibilités d’embauche sur le marché équilibré de l’emploi (à ce sujet, voir arrêt 9C_286/2015 du 12 janvier 2016 consid. 4.2 et les arrêts cités). Quant à l’absence de formation de l’assuré et à sa maîtrise imparfaite du français, elles ne constituent pas un obstacle à l’exercice des activités adaptées entrant en ligne de compte en l’occurrence (arrêts 9C_344/2015 du 25 novembre 2015 consid. 2.3; 9C_426/2014 du 18 août 2014 consid. 4.2). En conséquence, il n’y a pas lieu de s’écarter des constatations de la juridiction cantonale quant à l’exigibilité d’une capacité de travail totale dans une activité adaptée aux limitations fonctionnelles de l’assuré dès le mois d’août 2020.
Consid. 6.3.1
[…] Par ailleurs, en ce qu’il requiert l’application du TA1_skill_level, total hommes, niveau de compétence 1 dans le secteur de l’industrie manufacturière (ligne 10-33; salaire mensuel de 5’462 fr.), l’assuré perd de vue que dans le domaine de l’assurance-invalidité, il convient de déterminer le revenu avec invalidité en se fondant, en règle générale, sur les salaires mensuels indiqués dans le tableau TA1_tirage_skill_level, à la ligne « total secteur privé » (arrêt 9C_325/2022 du 25 mai 2023 consid. 6.2 et les références), soit un salaire mensuel de 5’261 fr. selon l’ESS 2020, respectivement de 5’417 fr. selon l’ESS 2018. Au demeurant, on ne voit pas en quoi la prise en compte du salaire applicable au secteur de l’industrie manufacturière (ligne 10-33; salaire mensuel de 5’462 fr. selon l’ESS 2020, respectivement de 5’614 fr. selon l’ESS 2018) pour déterminer le revenu avec invalidité serait plus favorable à l’assuré que l’application du salaire correspondant à la ligne « total secteur privé » (salaire mensuel de 5’261 fr. selon l’ESS 2020, respectivement de 5’417 fr. selon l’ESS 2018), dès lors que le salaire mentionné à la ligne 10-33 est supérieur à celui figurant à la ligne « total secteur privé ».
Consid. 6.4
En définitive, les considérations des juges cantonaux quant à un taux d’invalidité de 6% (résultant de la comparaison entre un revenu sans invalidité de 69’108 fr. et un revenu avec invalidité de 65’023 fr. 75, tenant compte d’un abattement de 5%) doivent être confirmées. Ce taux est insuffisant pour maintenir le droit à une rente de l’assurance-invalidité.
Consid. 7.2
Selon la jurisprudence à laquelle se réfère l’assuré, dûment rappelée par les juges cantonaux, il existe des situations dans lesquelles il convient d’admettre que des mesures d’ordre professionnel sont nécessaires, malgré l’existence d’une capacité de travail médico-théorique. Il s’agit des cas dans lesquels la réduction ou la suppression, par révision (art. 17 al. 1 LPGA) ou reconsidération (art. 53 al. 2 LPGA), du droit à la rente concerne une personne assurée qui est âgée de 55 ans révolus ou qui a bénéficié d’une rente pendant quinze ans au moins. Cette jurisprudence qui est également applicable lorsque l’on statue sur la limitation et/ou l’échelonnement en même temps que sur l’octroi de la rente (ATF 145 V 209 consid. 5), ne signifie pas que la personne assurée peut se prévaloir d’un droit acquis; il est seulement admis qu’une réadaptation par soi-même ne peut, sauf exception, être exigée d’elle en raison de son âge ou de la durée du versement de la rente. Dans de telles situations, les organes de l’assurance-invalidité doivent vérifier dans quelle mesure l’assuré a besoin de la mise en œuvre de mesures d’ordre professionnel, même si ce dernier a recouvré une capacité de travail et indépendamment du taux d’invalidité qui subsiste (cf. arrêts 9C_211/2021 du 5 novembre 2021 consid. 3.1; 9C_276/2020 du 18 décembre 2020 consid. 6 et les arrêts cités). Des exceptions ont déjà été admises lorsque la personne concernée avait maintenu une activité lucrative malgré le versement de la rente – de sorte qu’il n’existait pas une longue période d’éloignement professionnel – ou lorsqu’elle disposait d’emblée de capacités suffisantes lui permettant une réadaptation par soi-même (arrêts 8C_582/2017 du 22 mars 2018 consid. 6.3; 9C_183/2015 du 19 août 2015 consid. 5).
Consid. 7.3
Il est constant que l’assuré, né en 1965, était âgé de plus de 55 ans lorsqu’il a été mis au bénéfice d’une rente entière d’invalidité limitée dans le temps par décision du 27.05.2021 (concernant le moment auquel il convient de déterminer si l’âge de référence de 55 ans est atteint [date de la décision de l’office AI], cf. ATF 148 V 321 consid. 7.3). Il appartient donc à la catégorie d’assurés dont il convient de présumer qu’ils ne peuvent en principe pas entreprendre de leur propre chef tout ce que l’on peut raisonnablement attendre d’eux pour tirer profit de leur capacité résiduelle de travail.
Or en l’espèce, l’office AI n’a pas examiné si l’assuré avait besoin de mesures d’ordre professionnel, ni ne lui en a partant proposées, avant de statuer sur son droit à une rente d’invalidité limitée dans le temps, comme cela ressort du reste de ses déterminations adressées à la juridiction cantonale le 30.11.2021. Dans ce contexte, en présumant que l’intéressé aurait de toute façon refusé de telles mesures à supposer que l’office AI lui en eût proposées, de sorte qu’elles étaient vaines car vouées à l’échec, les juges cantonaux ont commis une violation du droit en ne faisant pas une application correcte de la jurisprudence (consid. 7.2 supra). A cet égard, on rappellera que la motivation de l’assuré par rapport aux mesures de réadaptation doit faire l’objet d’un examen approfondi (arrêt 8C_235/2019 du 20 janvier 2020, consid. 3.2.3). En l’occurrence, un tel examen n’a pas eu lieu, la juridiction cantonale s’étant bornée à déduire une absence de volonté subjective de l’assuré à participer à des mesures d’ordre professionnel de son attitude au cours des thérapies mises en œuvre lors de son séjour à la clinique de réadaptation durant les mois de juillet et août 2020 (difficultés à se mobiliser et participation faible). En l’état, il n’apparaît par ailleurs à première vue pas vraisemblable que l’assuré puisse reprendre du jour au lendemain une activité lucrative à 100% sans que ne soient mises préalablement en œuvre des mesures destinées à l’aider à se réinsérer dans le monde du travail. A ce propos, c’est à bon droit que l’instance précédente a considéré que l’argumentation développée par l’office AI dans son écriture du 30.11.2021, selon laquelle les nombreux métiers exercés par l’assuré sont significatifs d’une « grande capacité d’adaptation », n’était pas déterminante, dès lors que l’intéressé est une personne sans formation professionnelle, qui a exercé en dernier lieu une activité de monteur en échafaudages pendant plus de vingt ans. La cause doit dès lors être renvoyée à l’office AI afin qu’il examine concrètement le besoin de mesures de réadaptation avant la suppression de la rente de l’assuré. Il y a ainsi lieu d’annuler l’arrêt attaqué en tant qu’il porte sur la suppression du droit à la rente d’invalidité au 30.11.2020.
Le TF admet partiellement le recours de l’assuré.
Arrêt 9C_291/2023 consultable ici
Remarques :
La jurisprudence relative aux personnes assurées de plus de 55 ans ne concerne que le domaine de l’assurance-invalidité et non l’assurance-accidents.