8C_767/2023 (f) du 30.01.2024 – Obligation de collaborer de l’assuré – But et notion de la décision sur opposition – Principe de la bonne foi

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_767/2023 (f) du 30.01.2024

 

Consultable ici

 

Obligation de collaborer de l’assuré / 43 LPGA

But et notion de la décision sur opposition / 52 LPGA

Principe de la bonne foi / 5 al. 3 Cst.

 

Par déclaration de sinistre LAA du 24.01.2023, l’employeur a annoncé à l’assurance-accidents un accident subi par son employé, né en 1997. Il y était indiqué que celui-ci s’était blessé aux doigts de la main gauche (fracture) à la suite d’une glissade dans les escaliers le 24.12.2022 et qu’il était en arrêt de travail depuis lors. A la réception du document, l’assurance-accidents a informé l’assuré qu’elle prenait en charge le cas. L’employeur a transmis deux attestations d’incapacité de travail couvrant la période du 20.02.2023 au 16.04.2023.

Les 29.03.2023 et 31.03.2023, l’assurance-accidents a tenté de joindre l’assuré sur son téléphone portable sans succès. Par courrier du 31.03.2023, elle l’a invité à prendre contact avec elle dans les jours à venir car elle avait des questions à lui poser sur l’événement du 24.12.2022. Le 18.04.2023, l’employeur a transmis une nouvelle attestation d’incapacité de travail pour la période du 17.04.2023 au 28.05.2023. Après une nouvelle tentative de joindre l’assuré par téléphone et par voie postale, l’assurance-accidents a mis celui-ci en demeure de collaborer à l’instruction en prenant contact avec elle d’ici au 26.05.2023, faute de quoi elle en déduirait qu’il n’avait pas besoin de prestations (courrier A plus du 16.05.2023).

Le 01.06.2023, l’assurance-accidents a contacté l’employeur qui a déclaré ne pas avoir de nouvelles de son employé. Le même jour, elle a rendu une décision, par laquelle elle a informé l’assuré qu’elle cessait immédiatement de lui allouer des prestations, motif pris qu’il n’avait pas donné suite aux différentes demandes de contact. A la suite d’un téléphone de ce dernier qui affirmait n’avoir jamais reçu de courrier et avoir été mis au courant de la cessation des prestations par l’employeur, l’assurance-accidents lui a transmis une copie de sa décision du 01.06.2023 par courriel. L’assuré a formé opposition le 15.06.2023.

Le 28.06.2023, l’amie de l’assuré a téléphoné à l’assurance-accidents, qui lui a fait savoir que dans la mesure où la procédure était lancée, le prénommé ne pouvait plus revenir en arrière et devait attendre la décision sur opposition.

Le 10.07.2023, l’assurance-accidents a écarté l’opposition.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2023 147 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont retenu que l’assurance-accidents avait à juste titre estimé nécessaire d’instruire le cas. En effet, les documents médicaux dont celle-ci disposait au moment de rendre sa décision du 01.06.2023, de même que ceux transmis par l’assuré avec son opposition étaient laconiques sur les questions de la capacité de travail, respectivement de l’existence d’un lien de causalité entre l’accident et les lésions subies. Par ailleurs, les juges cantonaux ont considéré que les déclarations de l’assuré, selon lesquelles il n’aurait pas reçu les courriers envoyés par l’assurance-accidents, ni n’aurait été au courant des tentatives de celle-ci de le joindre, étaient peu crédibles. Ils ont dès lors admis que, à tout le moins jusqu’au 01.06.2023, date à laquelle l’assurance-accidents avait décidé de mettre un terme à ses prestations, l’assuré avait manqué à son devoir de collaborer. Cela étant, les juges cantonaux ont constaté qu’en procédure d’opposition, l’assuré avait produit plusieurs rapports médicaux sur la base desquels l’assurance-accidents aurait été en mesure de recueillir des éléments d’informations supplémentaires pour statuer, notamment en s’adressant directement aux prestataires médicaux dont le nom figurait sur ces documents. Or elle s’était contentée de considérer que les tentatives de collaborer de l’assuré dès le 15.06.2023 étaient tardives et qu’il ne pouvait pas revenir en arrière. L’assurance-accidents avait par conséquent sanctionné à tort le manque de collaboration temporaire de l’assuré par une cessation des prestations. Elle aurait dû constater la volonté de collaborer de celui-ci à partir du 15.06.2023 et reprendre l’instruction à partir de là.

Par jugement du 26.10.2023, admission du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
L’assurance-accidents reproche aux juges cantonaux de s’être prononcés sur la situation postérieure à la date de sa décision initiale, s’écartant ainsi de l’objet de la contestation déterminé par cette décision. En irait-il autrement que la procédure de l’art. 43 al. 3 LPGA se verrait privée d’effet : les assurés non collaborants pourraient entraver l’instruction de leur dossier de nombreux mois sans que l’assureur puisse leur opposer la menace effective d’une suppression des prestations puisque toute prise de décision sanctionnant un défaut de collaboration serait annulée par le simple dépôt d’une opposition. C’est pourquoi, en procédure d’opposition, elle avait seulement examiné si sa décision initiale du 01.06.2023 était correcte. Dans la mesure où les juges cantonaux avaient également admis qu’à ce moment-là, le dossier ne permettait pas d’établir l’existence des conditions du droit à la prestation de l’assuré, ils auraient dû confirmer le rejet de la demande de prestation qu’elle avait prononcée. Par ailleurs, c’était à tort que ceux-ci avaient déduit une volonté de collaborer de l’assuré du fait qu’il avait transmis des rapports médicaux à l’appui de son opposition. En effet, elle avait obtenu ces rapports directement par l’Hôpital C.__ à sa demande. Enfin, l’assurance-accidents fait remarquer qu’elle ne demandait pas l’envoi de documents médicaux, mais une prise de contact de l’assuré avec elle en vue de clarifier les circonstances de l’accident et orienter la gestion du cas. Or, l’assuré n’avait toujours pas cherché à la contacter. Ses prises de position, dans lesquelles il niait avoir reçu un quelconque courrier et se plaignait de la fin du versement des indemnités journalières, ne pouvaient être assimilées à une volonté démontrée de collaborer.

 

Consid. 5.1
Contrairement à ce qui prévaut dans l’assurance-invalidité (art. 69 LAI), le législateur a prévu une procédure d’opposition dans le domaine de l’assurance-accidents (art. 52 LPGA). Cette procédure donne la possibilité à l’assureur de réexaminer complètement sa décision avant une procédure judiciaire éventuelle (ATF 142 V 337 consid. 3.2.2; voir également JEAN-MAURICE FRÉSARD/MARGIT MOSER-SZELESS, L’assurance-accidents obligatoire, in Schweizerisches Bundesverwaltungsrecht [SBVR], Sécurité sociale, 3e éd., n° 863 p. 1127). La décision sur opposition remplace alors la décision initiale et clôt la procédure administrative (ATF 143 V 295 consid. 4.1.2). Cela signifie que l’assureur est tenu de prendre en considération l’évolution des faits survenue en cours de procédure d’opposition dans la mesure où ceux-ci sont susceptibles de modifier les rapports juridiques ayant fait l’objet de la décision initiale et à propos desquels l’opposant a manifesté son désaccord (voir ATF 143 V 295 précité; également HANSJÖRG SEILER, Rechtsfragen des Einspracheverfahrens in der Sozialversicherung [Art. 52 ATSG], in Sozialversicherungsrechtstagung 2007, p. 96). La décision sur opposition fixe ainsi la limite temporelle de l’état de fait déterminant et, en cas de recours, le juge des assurances sociales en apprécie la légalité d’après l’état de fait existant au moment où elle a été rendue (ATF 144 V 210 consid. 4.3.1 et les références).

Il s’ensuit qu’aucun reproche ne saurait être fait aux juges cantonaux d’avoir porté leur examen sur la situation factuelle prévalant jusqu’au prononcé de la décision sur opposition du 10.07.2023. L’argumentation de l’assurance-accidents au sujet de l’art. 43 al. 3 LPGA n’y change rien; ce dont elle se plaint est inhérent à l’existence d’une procédure d’opposition en matière d’assurance-accidents. En revanche, il est vrai que les juges cantonaux ont constaté de manière erronée que l’assuré avait produit des rapports médicaux à l’appui de son opposition, si bien qu’on ne peut pas en déduire une tentative de collaborer de sa part.

Consid. 5.2
Ce qui précède ne conduit toutefois pas à l’admission du recours. En effet, il est établi qu’en cours de procédure d’opposition, l’assuré a contacté téléphoniquement l’assurance-accidents par l’intermédiaire de son amie. Les règles de la bonne foi (art. 5 al. 3 Cst.) auraient dû amener l’assurance-accidents à réitérer, à cette occasion, sa volonté de s’entretenir personnellement avec l’assuré en rappelant les conséquences d’une inaction de la part de celui-ci, voire à organiser une convocation. Mais surtout, l’assurance-accidents ne pouvait pas affirmer que l’assuré ne pouvait rien faire pour changer la situation et devait attendre la décision sur opposition, ce qui est erroné dans la présente constellation où il ne tenait qu’à l’assuré de contacter l’assurance-accidents pour éviter que la décision du 01.06.2023 soit confirmée (consid. 5.1 supra). On doit admettre que par cette indication erronée, l’assurance-accidents a incité l’assuré à s’abstenir de toute autre démarche envers elle jusqu’au prononcé de la décision sur opposition, voire jusqu’à l’échéance de la procédure de recours. L’assurance-accidents ne saurait aujourd’hui le lui reprocher alors qu’il avait précisément pris contact avec elle, comme elle le souhaitait, certes par l’intermédiaire de son amie. Le fait que cette prise de contact ait eu lieu après la décision initiale du 01.06.2023 ne justifiait pas de n’y donner aucune suite et de geler toute éventuelle reprise de l’instruction jusqu’à la fin de la procédure d’opposition, voire jusqu’à la fin de la procédure de recours. Les juges cantonaux ont donc annulé à juste titre la décision sur opposition litigieuse et invité l’assurance-accidents à reprendre l’instruction.

 

Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.

 

Arrêt 8C_767/2023 consultable ici

 

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