9C_384/2023 (f) du 11.01.2024 – Examen du droit à une formation professionnelle initiale sur la base d’un pronostic antérieurement à la mise en œuvre de la mesure – 16 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_384/2023 (f) du 11.01.2024

 

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Examen du droit à une formation professionnelle initiale sur la base d’un pronostic antérieurement à la mise en œuvre de la mesure / 16 LAI

 

Assuré, né en 2003, est atteint d’un syndrome d’Asperger et d’un trouble du spectre autistique. Le 03.08.2018, il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité tendant à la prise en charge de mesures médicales et professionnelles ainsi qu’à l’octroi d’une allocation pour mineur impotent. Les mesures professionnelles sollicitées consistaient en un parcours gymnasial dispensé par l’Ecole C.__ à compter de la rentrée scolaire d’août 2019, conduisant à l’obtention d’un baccalauréat français adapté, de l’avis de l’assuré, à son handicap et lui permettant, à terme, d’intégrer l’Ecole polytechnique fédérale de Lausanne (ci-après: EPFL).

Par décision du 16.12.2019, l’office AI a rejeté la demande, au motif que le choix de la formation au sein de l’Ecole C.__ ne lui paraissait pas directement causé par l’invalidité. Il a considéré en outre que la formation en cause ne revêtait pas les critères de simplicité, d’adéquation et d’économie indispensables ; de plus, le cursus de l’EPFL apparaissait trop exigeant au vu des limitations de l’assuré.

 

Procédure cantonale (arrêt AI 152/22 / TF – 122/2023 – consultable ici)

A.__ a déféré cette décision au tribunal cantonal, qui l’a débouté par arrêt du 02.06.2021. Saisi par l’assuré, le Tribunal fédéral a annulé cet arrêt le 24.05.2022 (9C_393/2021). Considérant qu’il avait été prouvé que l’assuré aurait manifestement bénéficié d’une formation moins onéreuse sans invalidité, il a renvoyé la cause à l’instance précédente pour examen des autres conditions du droit aux mesures professionnelles et nouvelle décision.

Par arrêt du 5 mai 2023, le Tribunal cantonal a rejeté le recours et confirmé la décision du 16 décembre 2019.

Par jugement du 05.05.2023, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2
Reprenant l’examen du cas à la suite de l’arrêt du 24.05.2022, les juges cantonaux ont admis que la formation en cause ne revêt pas les critères de simplicité, de nécessité et d’adéquation exigés par l’art. 8 al. 1 LAI. Ils ont retenu que la reconnaissance d’un titre étranger (baccalauréat français) requiert des notes très élevées ou la passation d’examens (sous-entendu: pour la poursuite d’études en Suisse). De plus, l’aménagement particulier du lycée de l’Ecole C.__ permettait de douter que l’assuré fût concrètement préparé à se confronter aux exigences d’un établissement tel que l’EPFL, où les étudiants devaient accomplir un certain nombre d’heures en présentiel dans des auditoires composés d’importants effectifs, en sus de travaux et de présentations de groupe. Eu égard aux coûts et aux incertitudes sur le potentiel de réadaptation, le cursus choisi ne respectait pas le principe de la proportionnalité. Pour l’instance précédente, le potentiel de l’assuré à s’intégrer, à terme, sur le marché ordinaire du travail apparaissait largement compromis, compte tenu de ses importantes limitations fonctionnelles, qui ont justifié l’octroi d’une allocation pour impotent de l’assurance-invalidité. En outre, l’assuré devait trouver une niche particulière lui permettant de mettre en évidence ses compétences intellectuelles en réduisant l’impact négatif de ses difficultés relationnelles.

Consid. 3
L’assuré soutient que l’obtention du baccalauréat français en été 2022, l’encadrement scolaire offert par l’Ecole C.__ qui lui a permis de développer des projets et de les présenter devant un grand public, ainsi que la fréquentation du Bachelor en génie électrique et informatique industrielle à l’Institut universitaire D.__ depuis le 15.09.2022 où il passe avec succès les modules des cours et fait partie des meilleurs élèves de sa classe, font douter du bien-fondé des réserves émises dans l’arrêt contesté quant à son aptitude à poursuivre des études et trouver par la suite un emploi lui permettant de couvrir ses frais. A supposer que ces derniers événements ne puissent être pris en considération par le Tribunal fédéral, en vertu de l’art. 99 al. 1 LTF, l’assuré est d’avis que la juridiction cantonale a de toute façon constaté les faits pertinents de façon erronée et incomplète (cf. art. 97 al. 1 LTF), puisqu’elle a tenu compte à tort de la situation factuelle précédente à sa scolarisation auprès de l’Ecole C.__ pour admettre qu’il ne serait pas en mesure de suivre une formation à l’EPFL. A ce sujet, il fait valoir que ses performances scolaires ont été exceptionnelles au baccalauréat français (entre 19/20 et 20/20) au cours de l’été 2022, démontrant ainsi que ce titre aurait été reconnu en Suisse et que l’obtention de ce baccalauréat répondait aux critères de simplicité, de nécessité et d’adéquation, lui permettant de poursuivre une formation. Il ajoute que la mesure sollicitée (la prise en charge des frais de scolarité à l’Ecole C.__) répond au critère de la proportionnalité.

Dès lors que les réserves exprimées dans l’arrêt attaqué concernant sa capacité à s’intégrer à terme sur le marché de l’emploi se basent exclusivement sur des faits antérieurs à son inscription à l’Ecole C.__, l’assuré est d’avis qu’elles sont infondées, car les faits (survenus consécutivement) ont démontré qu’il a le potentiel pour s’y intégrer, en dépit de son statut de bénéficiaire d’une allocation pour impotent de l’assurance-invalidité. Sur ce point, il soutient que l’instance précédente a omis de tenir compte du fait qu’en raison du syndrome d’Asperger et du trouble du spectre autistique dont il est affecté, il convient plutôt de déterminer s’il peut s’insérer dans le marché du travail de niche existant pour les personnes atteintes d’autisme, et non pas sur le marché ordinaire de l’emploi.

Consid. 4
Le raisonnement de l’assuré ne peut être suivi.

Consid. 4.1
En premier lieu, l’obtention du baccalauréat français par l’assuré en été 2022, sa faculté à développer des projets et à s’exprimer devant un auditoire qu’il met en relation avec sa scolarisation à l’Ecole C.__, la fréquentation du Bachelor en génie électrique et informatique industrielle à l’Institut universitaire D.__. depuis le 15.09.2022 ainsi que les succès académiques obtenus, éléments sur lesquels il fonde son argumentation pour justifier la prise en charge de la mesure professionnelle litigieuse, sont des faits qui sont survenus antérieurement à l’arrêt attaqué. Ils n’ont toutefois pas été invoqués en instance cantonale, sans que l’assuré n’explique en quoi il aurait été empêché de le faire et de produire les pièces déposées seulement en instance fédérale. Ces faits n’ont pas non plus été constatés par la juridiction cantonale, sans qu’on puisse lui reprocher de les avoir établis de manière manifestement incomplète, comme l’allègue en vain l’assuré avec une simple affirmation (infra consid. 4.2). Pour ces motifs, ces faits ne peuvent pas être présentés devant le Tribunal fédéral, conformément à l’art. 99 al. 1 LTF. Il s’ensuit que le droit à la prestation litigieuse (la prise en charge des frais d’écolage à l’Ecole C.__ par l’office AI) ne saurait être examiné par le Tribunal fédéral à la lumière des faits nouvellement invoqués (cf. GRÉGORY BOVEY, Commentaire de la LTF, 3e éd., n. 14 ad art. 99 LTF).

Consid. 4.2
Ensuite, l’assuré semble oublier que de jurisprudence constante, le juge des assurances sociales apprécie la légalité des décisions entreprises, en principe, d’après l’état de fait existant lors de la clôture de la procédure administrative, les faits survenus par la suite et ayant modifié cette situation devant normalement faire l’objet d’une nouvelle décision (ATF 148 V 21 consid. 5.3 et les arrêts cités). C’est ainsi à tort qu’il reproche aux premiers juges d’avoir constaté les faits de façon inexacte (cf. art. 97 al. 1 LTF) en ayant omis de tenir compte de l’évolution postérieure à la décision administrative, ce d’autant plus que son grief à ce sujet est de nature appellatoire.

Dans ce contexte, il faut aussi rappeler que l’examen du droit à une formation professionnelle initiale au sens de l’art. 16 LAI doit être effectué sur la base d’un pronostic antérieurement à la mise en œuvre de la mesure en question. En d’autres termes, cet examen doit faire l’objet d’une évaluation prospective tournée vers le but de la mesure de réadaptation, ainsi que l’instance cantonale l’a fait à juste titre. A cet égard, une mesure de réadaptation est appropriée dans le temps lorsque, sur la base de toutes les circonstances du cas concret, il est possible de pronostiquer avec une probabilité prépondérante le succès de la réadaptation (cf. arrêts 9C_71/2023 du 5 septembre 2023 consid. 3.3.1; 9C_745/2008 du 2 décembre 2008 consid. 3.2).

En l’occurrence, le moment déterminant est le mois d’août 2019, où l’assuré a commencé la formation en cause. Son argumentation, fondée sur des faits survenus postérieurement et qu’il n’avait de surcroît pas invoqués devant l’instance cantonale, est par conséquent dénuée de pertinence et ne lui est d’aucun secours. Elle ne permet pas de démontrer en quoi l’appréciation des juges cantonaux serait arbitraire, dans la mesure où ils ont tranché la question du caractère simple, nécessaire et adéquat de la formation en cause, en examinant de manière prospective ses capacités à s’adapter aux exigences de l’enseignement universitaire, comme une formation à l’EPFL. Dans ces circonstances, la référence qu’a faite la juridiction cantonale au marché ordinaire du travail, sans évoquer la situation particulière des personnes atteintes d’autisme (cf. à ce sujet l’arrêt 9C_131/2022 du 12 septembre 2022 consid. 4.1.4) n’est pas à elle seule déterminante pour modifier l’issue du litige.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_384/2023 consultable ici

 

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