8C_361/2023 (f) du 05.01.2024 – Réduction de l’horaire de travail (RHT) en lien avec la pandémie de Covid-19 – Indemnités en cas de RHT sont des prestations temporaires – Pas d’application de l’art. 17 al. 2 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_361/2023 (f) du 05.01.2024

 

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Réduction de l’horaire de travail (RHT) en lien avec la pandémie de Covid-19 / 31 LACI – 32 LACI – 33 LACI – 51 OACI

Indemnités en cas de RHT sont des prestations temporaires – Pas d’application de l’art. 17 al. 2 LPGA

 

A.__ SA (ci-après: la société) est une entreprise active dans le commerce de comestibles, vins et spiritueux, dont la clientèle est principalement constituée d’hôtels et de restaurants. Depuis le mois de mars 2020, elle a adressé plusieurs préavis de réduction de l’horaire de travail (RHT) au Service de l’emploi (ci-après: le SDE; actuellement la Direction générale de l’emploi et du marché du travail [DGEM]), en lien avec la pandémie de Covid-19 et les mesures sanitaires prises dans ce contexte. Le SDE a régulièrement autorisé la Caisse cantonale de chômage (ci-après: la caisse) à lui verser les indemnités en cas de RHT, et ce jusqu’au 30.11.2021.

La société a déposé un nouveau préavis de RHT le 22.11.2021. Par décision du 29.12.2021, le SDE a une nouvelle fois autorisé le versement des indemnités en cas de RHT pour la période allant du 01.12.2021 au 31.05. 2022.

Ensuite du dépôt, le 30.05.2022, d’un nouveau préavis de RHT pour la période du 01.06.2022 au 30.11.2022, le SDE a rendu, le 29.06.2022, une décision par laquelle il a rejeté la demande d’indemnités en cas de RHT, au motif que la société avait aggravé sa perte de travail en engageant trois nouveaux collaborateurs, dont deux chauffeurs, alors qu’elle employait dix chauffeurs, lesquels faisaient déjà l’objet d’une perte de travail.

Le 12.07.2022, la caisse a soumis le cas de A.__ SA à la DGEM pour instruction complémentaire, estimant que la perte de travail de 69,66% annoncée pour le mois de mai 2022 paraissait douteuse. Interpellée, la société a indiqué que le travail n’avait pas pu être repris à plein temps en raison du fait que certains établissements n’avaient pas réouvert et que les collectivités avaient pris l’habitude de faire du télétravail.

Par décision rectificative du 09.08.2022, le SDE a autorisé l’octroi en faveur de la société de l’indemnité en cas de RHT du 01.12.2021 au 31.03.2022 et en le refusant pour la période du 01.04.2022 au 31.05.2022. Saisi d’une opposition, le SDE l’a rejetée par décision du 28.09.2022.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 158/22 – 54/2023 – consultable ici)

Par jugement du 26.04.2023, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, en ce sens que la décision sur opposition du SDE du 28.09.2022 est annulée en tant qu’elle refuse le droit à des indemnités en cas de RHT pour le mois d’avril 2022.

 

TF

Consid. 4.1
Selon l’art. 31 al. 1 LACI, les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail lorsque: ils sont tenus de cotiser à l’assurance ou qu’ils n’ont pas encore atteint l’âge minimum de l’assujettissement aux cotisations AVS (let. a); la perte de travail doit être prise en considération (art. 32 LACI; let. b); le congé n’a pas été donné (let. c); la réduction de l’horaire de travail est vraisemblablement temporaire, et si l’on peut admettre qu’elle permettra de maintenir les emplois en question (let. d).

Consid. 4.2
L’art. 32 al. 1 let. a et b LACI précise que la perte de travail est prise en considération lorsqu’elle est due à des facteurs d’ordre économique et est inévitable et qu’elle est d’au moins 10% de l’ensemble des heures normalement effectuées par les travailleurs de l’entreprise. Pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques ou à d’autres circonstances non imputables à l’employeur (art. 32 al. 3, première phrase, LACI). Le Conseil fédéral a ainsi notamment prévu à l’art. 51 al. 1 OACI que les pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, ou qui sont dues à d’autres motifs indépendants de la volonté de l’employeur, sont prises en considération lorsque l’employeur ne peut pas les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou faire répondre un tiers du dommage.

Consid. 4.3
Aux termes de l’art. 33 al. 1 let. a LACI, une perte de travail n’est pas prise en considération lorsqu’elle est due à des mesures touchant l’organisation de l’entreprise, tels que travaux de nettoyage, de réparation ou d’entretien, ou à d’autres interruptions habituelles et réitérées de l’exploitation, ou encore à des circonstances inhérentes aux risques normaux d’exploitation que l’employeur doit assumer. Doivent être considérées comme des risques normaux d’exploitation au sens de cette disposition les pertes de travail habituelles, c’est-à-dire celles qui, d’après l’expérience de la vie, surviennent périodiquement et qui, par conséquent, peuvent faire l’objet de calculs prévisionnels. Les pertes de travail susceptibles de toucher chaque employeur sont des circonstances inhérentes aux risques d’exploitation généralement assumés par une entreprise. Ce n’est que lorsqu’elles présentent un caractère exceptionnel ou extraordinaire qu’elles ouvrent le droit à une indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail. La question du risque d’exploitation ne saurait par ailleurs être tranchée de manière identique pour tous les genres d’entreprises, ce risque devant au contraire être apprécié dans chaque cas particulier, compte tenu de toutes les circonstances liées à l’activité spécifique de l’exploitation en cause (ATF 138 V 333 consid. 4.2.2; 119 V 498 consid. 1; arrêt C 283/01 du 8 octobre 2003 consid. 3).

L’exception de l’art. 33 al. 1 let. a LACI ne vaut pas seulement pour les pertes de travail dues à des facteurs d’ordre économique selon l’art. 32 al. 1 LACI, mais s’applique également aux cas de rigueur au sens des art. 32 al. 3 LACI et 51 OACI (ATF 138 V 333 consid. 4.2.1; 128 V 305 consid. 4b; 121 V 371 consid. 2c et les références).

Consid. 5
Les juges cantonaux ont constaté que la perte de travail subie par la société à partir du mois d’avril 2022 ne pouvait plus s’expliquer par les mesures sanitaires prises par le Conseil fédéral en vue de lutter contre le Covid-19, lesquelles avaient été levées à partir du 17.02.2022. A partir de cette date, il n’existait plus de circonstances justifiant l’octroi d’indemnités en cas de RHT pour « cas de rigueur » en application de l’art. 32 al. 3 LACI, en raison de mesures prises par les autorités ayant un impact sur les risques d’exploitation de la société.

Les juges cantonaux ont ensuite examiné si la poursuite du versement des indemnités en cas de RHT à partir du 01.04.2022 pouvait se justifier en raison de l’existence d’une perte de travail inévitable due à des facteurs économiques, en application de l’art. 32 al. 1 LACI. Ils ont constaté que la société faisait valoir qu’à partir d’avril 2022, elle subissait toujours une perte de travail inévitable résultant de facteurs d’ordre économique, au motif que les effets néfastes de la pandémie sur l’économie perduraient malgré la levée des mesures sanitaires, qu’il était de notoriété publique que les secteurs de la gastronomie et de l’hôtellerie – qui représentaient sa clientèle principale – avaient été très sévèrement atteints par la pandémie et souffraient encore économiquement de ses effets à long terme, que de nombreux restaurateurs et hôtels avaient dû cesser définitivement leurs activités et que les échanges commerciaux avec les entreprises restaient très faibles en raison de la banalisation du travail à domicile. La juridiction cantonale a constaté que si ces explications étaient effectivement susceptibles d’expliquer la perte de travail subie par la société, force était de constater qu’à partir d’avril 2022, il existait des indices permettant de renverser la présomption selon laquelle la perte de travail subie serait vraisemblablement temporaire. Il résultait en effet des explications de la société qu’elle continuait à faire face à une diminution de la demande en raison de la disparition d’une partie de sa clientèle à la suite de faillites ou de cessations d’activités, ainsi qu’en raison de changements d’habitudes, que ce soit une diminution de la fréquentation de restaurants due à l’augmentation du télétravail ou une baisse de consommation de biens qui pouvaient être qualifiés de haut de gamme, dans le contexte des incertitudes économiques et financières actuelles. L’ensemble de ces circonstances ne pouvait toutefois pas, selon les juges cantonaux, être considéré comme vraisemblablement temporaire. Il apparaissait au contraire que la société faisait face à un changement structurel nécessitant des adaptations. Or, il n’appartenait pas à l’assurance-chômage de contribuer, par son intervention, à retarder des adaptations structurelles des entreprises.

Consid. 6
Invoquant une violation des art. 31 et 32 al. 1 LACI, la société reproche à la juridiction cantonale d’être arrivée à la conclusion que la perte de travail invoquée à partir du mois d’avril 2022 n’était plus temporaire.

En faisant valoir que malgré la levée des mesures sanitaires le 17.02.2022, elle était encore victime des effets à long terme de la pandémie du Covid-19 et que la relance du secteur de l’hôtellerie et de la restauration pouvait se prolonger sur une période relativement importante, la société ne remet nullement en question l’argumentation des juges cantonaux selon laquelle sa perte de travail n’était plus temporaire à partir du mois d’avril 2022, bien au contraire. En l’occurrence, malgré la levée des mesures de lutte contre le Covid-19 au mois de février 2022, l’existence d’une situation économique défavorable a perduré dans le secteur de l’hôtellerie et la restauration. La société allègue du reste elle-même dans son recours, que si ce secteur bénéficierait à terme d’une relance, celle-ci pourrait être différée pour une période relativement longue. Pour cette raison déjà, la perte de travail invoquée n’avait vraisemblablement plus un caractère temporaire postérieurement à la levée des mesures prises par les autorités en février 2022. La société justifie la prolongation de sa perte de travail par une modification des habitudes de sa clientèle. Il s’agit cependant de circonstances qui n’apparaissaient ni passagères, ni exceptionnelles et qui demandaient de la part des entreprises des adaptations structurelles. Sous cet angle, la perte de travail invoquée à partir du mois d’avril 2022 se confondait avec les risques normaux d’exploitation de l’entreprise.

Consid. 7.1
Il reste à examiner si c’est de manière conforme au droit que la juridiction cantonale est arrivée à la conclusion que la DGEM était fondée à refuser l’octroi d’indemnités en cas de RHT par décision rectificative du 09.08.2022 pour le mois de mai 2022 ou si, comme l’invoque la société, le refus d’octroyer des indemnités pour le mois de mai 2022 violait l’art. 17 al. 2 LPGA.

Consid. 7.2
Après être arrivés à la conclusion que la levée totale des mesures sanitaires en date du 17.02.2022 constituait à l’évidence une modification importante des circonstances au sens de l’art. 17 al. 2 LPGA, les juges cantonaux ont considéré qu’une révision n’entraînait en principe pas d’effet rétroactif, sauf si celui-ci était explicitement prévu par la loi, ce qui n’était pas le cas en matière d’indemnités en cas de RHT. Il n’était dès lors pas possible pour la DGEM de nier le droit de la société aux indemnités en cas de RHT déjà versées pour le mois d’avril 2022, sous peine de violer le principe de non-rétroactivité. En revanche, une modification du préavis pour une période de contrôle pour laquelle les indemnités en cas de RHT n’avaient pas encore été versées par la caisse, ne paraissait pas contraire au fait qu’une décision de révision fondée sur l’art. 17 al. 2 LPGA ne devait pas avoir d’effet rétroactif.

La société fait valoir que si la caisse de chômage avait soumis le cas au SDE pour instruction complémentaire dès la levée des mesures sanitaires en février 2022 et qu’elle n’avait pas attendu le 12.07.2022 pour le faire, la décision rectificative serait intervenue avant le mois de mai 2022 et n’aurait ainsi pas violé le principe de non-rétroactivité.

Consid. 8.1
Sous le titre « Révision de la rente d’invalidité et d’autres prestations durables », l’art. 17 LPGA prévoit que si le taux d’invalidité du bénéficiaire de la rente subit une modification notable, la rente est, d’office ou sur demande, révisée pour l’avenir, à savoir augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée (al. 1). De même, toute prestation durable accordée en vertu d’une décision entrée en force est, d’office ou sur demande, augmentée ou réduite en conséquence, ou encore supprimée si les circonstances dont dépendait son octroi changent notablement (al. 2). Selon l’art. 2 LPGA, les dispositions de la LPGA sont applicables aux assurances sociales régies par la législation fédérale, si et dans la mesure où les lois spéciales sur les assurances sociales le prévoient. Conformément à l’art. 1 al. 1 LACI, les dispositions de la LPGA s’appliquent à l’assurance-chômage obligatoire et à l’indemnité en cas d’insolvabilité – sauf exceptions non pertinentes en l’espèce (art. 1 al. 2 et 3 LACI) -, à moins que la LACI ne déroge expressément à la LPGA.

Consid. 8.2
Dans un arrêt publié aux ATF 133 V 57, dans lequel se posait la question de savoir si des indemnités journalières de l’assurance-accidents pouvaient faire l’objet d’un ajustement rétroactif, le Tribunal fédéral a eu l’occasion d’interpréter l’art. 17 LPGA et est arrivé à la conclusion que les prestations précitées de l’assurance-accidents ne sont pas des prestations durables au sens de cette disposition, dès lors qu’elles ont un caractère temporaire. Le fait qu’elles peuvent, le cas échéant, être versées pendant plusieurs années, n’y change rien (consid. 6.6 et 6.7). En ce qui concerne l’indemnité en cas de RHT, il y a lieu d’admettre qu’il s’agit d’une prestation temporaire, eu égard aux conditions dont cette prestation est assortie (art. 31 al. 1 let. d LACI) ainsi que de la durée pour laquelle elle peut être octroyée (art. 35 al. 1 et 2 LACI). Contrairement à ce qu’ont retenu les juges cantonaux, l’art. 17 al. 2 LPGA n’est donc pas applicable aux indemnités en cas de RHT.

Consid. 8.3
Il s’ensuit en l’espèce que le refus des indemnités en cas de RHT décidé le 09.08.2022 et confirmé sur opposition le 28.09.2022 n’est pas contestable sur le principe. Dans la mesure où la société fait valoir que le SDE aurait attendu trop longtemps avant de rendre sa décision rectificative, elle ne saurait être suivie. Une décision rendue tardivement aurait tout au plus des conséquences sous l’angle du droit à la protection de la bonne foi si une restitution de prestations perçues à tort était litigieuse, ce qui n’est pas le cas en l’espèce puisque la juridiction cantonale est arrivée à la conclusion que seules les indemnités en cas de RHT non encore versées, à savoir celles pour le mois de mai 2022, pouvaient être rectifiées.

Vu ce qui précède, l’arrêt cantonal peut être confirmé dans son résultat.

 

Le TF rejette le recours de la société.

 

 

Arrêt 8C_361/2023 consultable ici

 

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