9C_429/2022 (f) du 03.11.2022 – Cotisations AVS – Responsabilité de l’employeur – Délai de prescription relatif – 52 LAVS – 60 al. 1 CO / Échéance du délai de prescription relatif après l’entrée en vigueur du nouveau droit le 01.01.2020 – Examen par le TF de l’art. 49 al. 1 Tit. fin. CC

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_429/2022 (f) du 03.11.2022

 

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Cotisations AVS – Responsabilité de l’employeur – Délai de prescription relatif / 52 LAVS – 60 al. 1 CO

Échéance du délai de prescription relatif après l’entrée en vigueur du nouveau droit le 01.01.2020 – Examen par le TF de l’art. 49 al. 1 Tit. fin. CC

 

B.__ SA (ci-après: la société), inscrite au registre du commerce en mai 1986, a été dissoute par suite de faillite. A.__ en a été l’administrateur avec signature individuelle.

Par décision du 01.10.2020, confirmée sur opposition le 23.03.2021, la caisse de compensation a réclamé à A.__, en sa qualité d’administrateur de la société, la somme de 89’284 fr. 65 à titre de réparation du dommage causé par le non-paiement de cotisations sociales dues pour l’année 2013.

 

Procédure cantonale (arrêt AVS 18/21 – 24/2022 – consultable ici)

Par jugement du 11.07.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
En instance fédérale, le litige porte uniquement sur le point de savoir si la créance en réparation du dommage de la caisse de compensation est ou non prescrite, sous l’angle du délai de prescription relatif de l’art. 52 al. 3 LAVS. A cet égard, l’arrêt entrepris rappelle qu’à la suite de la réforme des règles sur la prescription découlant d’un acte illicite ou d’un enrichissement illégitime, qui concerne également l’action en responsabilité contre l’employeur au sens de la LAVS, le délai de prescription relatif de l’art. 52 al. 3 LAVS est passé de deux à trois ans, avec effet au 01.01.2020 (cf. Message du 29 novembre 2013 relatif à la modification du code des obligations [droit de la prescription], FF 2014 260 s ch. 2.2; RO 2018 5343). L’art. 52 al. 3 LAVS prévoit en effet que l’action en réparation du dommage se prescrit conformément aux dispositions du CO sur les actes illicites; l’art. 60 al. 1 CO prévoit un délai relatif de prescription de trois ans.

Consid. 4.1
La juridiction cantonale a constaté que le dies a quo du délai relatif de prescription de l’art. 52 al. 3 LAVS devait être fixé au 19.01.2018 – correspondant à la date du dépôt de l’état de collocation – et que le délai prescription relatif de deux ans, déterminé selon l’ancien droit, arrivait à échéance le 19.01.2020, soit postérieurement à l’entrée en vigueur du nouveau droit le 01.01.2020. Par conséquent, en vertu des principes généraux en matière de droit transitoire (cf. ATF 138 V 176 consid. 7.1) ou de l’art. 49 al. 1 Tit. fin. CC, le nouveau délai de prescription relatif de trois ans s’appliquait et son échéance devait être fixée au 19.01.2021. Ainsi, la décision du 01.10.2020 de la caisse de compensation avait été rendue à temps et constituait le premier acte interruptif de prescription. Un nouveau délai avait alors commencé à courir et avait été derechef interrompu par la décision sur opposition rendue le 23.03.2021, de sorte que la créance en réparation du dommage de la caisse de compensation n’était pas prescrite.

Consid. 4.2
A.__ ne conteste pas que le délai de prescription a commencé à courir le 19.01.2018. Il remet uniquement en cause l’interprétation qu’a faite la juridiction cantonale de l’art. 49 al. 1 Tit. fin. CC. Il se prévaut d’une interprétation littérale et historique de cette disposition, en se référant notamment à l’avant-projet du code des obligations (droit de la prescription) d’août 2011 (ci-après: avant-projet; Rapport explicatif relatif à l’avant projet, Office fédéral de la justice, Berne 2011). Il en conclut que toute créance qui était d’ores et déjà prescrite selon l’ancien droit ne pourrait bénéficier des nouveaux délais de prescription « sans référence à une quelconque entrée en vigueur du nouveau droit ». Il en découlerait que la créance était prescrite depuis le 19.01.2020, de sorte que la décision administrative était tardive.

Consid. 5.1.1
Modifié par la révision du droit de la prescription avec effet à partir du 01.01.2020, l’art. 49 Tit. fin. CC règle la prescription des droits en matière de droit transitoire. Il y a lieu de s’y référer en ce qui concerne la modification de l’art. 52 al. 3 LAVS, à défaut de dispositions spéciales (cf. ATF 148 II 73 consid. 6.2.2; WILDHABER/DEDE, in Berner Kommentar, Die Verjährung Art. 127-142 OR, n° 110 ad Vorbemerkungen zu Art. 127-142 OR). Conformément à l’art. 49 al. 1 Tit. fin. CC, lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus longs que l’ancien droit, le nouveau droit s’applique dès lors que la prescription n’est pas échue en vertu de l’ancien droit; lorsque le nouveau droit prévoit des délais de prescription plus courts que l’ancien droit, l’ancien droit s’applique (al. 2); l’entrée en vigueur du nouveau droit est sans effets sur le début des délais de prescription en cours, à moins que la loi n’en dispose autrement (al. 3).

Consid. 5.1.2
A la suite du recourant, on constate que l’art. 49 al. 1 Tit. fin. CC proposé par le Conseil fédéral (Message du 29 novembre 2013 relatif à la modification du code des obligations [Droit de la prescription], FF 2014 277), et adopté par le Parlement, a été modifié par rapport à l’avant-projet. En particulier, la disposition ne comprend plus une référence à l’entrée en vigueur du nouveau droit (la disposition de l’avant-projet prévoyait que: « le nouveau droit s’applique dès son entrée en vigueur aux actions non encore prescrites » [avant-projet, p. 9]). Il ressort toutefois des travaux préparatoires que, malgré cette modification, le principe selon lequel le nouveau délai de prescription (plus long) n’est applicable que si l’ancien délai de prescription court encore au moment de l’entrée en vigueur du nouveau droit a été maintenu (Message cité, FF 2014 253 ch. 2.2; cf., aussi BO 2014 CN 1792). En d’autres termes, si le délai de prescription de la loi ancienne est plus court que celui de la loi nouvelle, il convient d’appliquer le délai de cette loi nouvelle, pour autant que la prescription ne soit pas déjà acquise au moment du changement de la loi (DENIS PIOTET, Le nouveau droit transitoire de la prescription [ art. 49 Tit. fin. CC], Revue de droit suisse 2021 I p. 290). L’art. 49 al. 1 Tit. fin. CC a donc pour effet de prolonger le délai de prescription en cours. Toutefois, la prescription ayant couru sous l’ancien droit doit être décomptée de la prescription déterminée en vertu du nouveau droit (FRÉDÉRIC KRAUSKOPF/RAPHAEL MÄRKI, Wir haben ein neues Verjährungsrecht! in Jusletter 2 juillet 2018, n° 34; cf. aussi PASCAL PICHONNAZ/FRANZ WERRO, Le nouveau droit de la prescription: Quelques aspects saillants de la réforme, in Le nouveau droit de la prescription, Fribourg 2019, p. 32; VINCENT BRULHART/JÉRÔME LORENZ, Impacts du nouveau droit de la prescription sur les contrats en cours (articles 128a CO et 49 Titre final CC) in Le nouveau droit de la prescription, Fribourg 2019, p. 164).

Consid. 5.1.3
Ces principes correspondent du reste à ceux posés par la jurisprudence en lien avec le droit transitoire relatif au délai de prescription prévu par l’art. 52 al. 3 aLAVS (en relation avec l’art. 82 aRAVS). Selon le Tribunal fédéral, les prétentions en dommages-intérêts contre l’employeur qui n’étaient pas encore périmées au 01.01.2003 étaient assujetties aux règles de prescription de l’art. 52 al. 3 aLAVS. Dans ce cas, il y avait lieu d’imputer au délai de prescription de deux ans de l’art. 52 al. 3 aLAVS le temps écoulé sous l’ancien droit (ATF 134 V 353).

Consid. 5.2
Dans le cas d’espèce, il n’est pas contesté que la prescription a commencé à courir le 19.01.2018 et que le délai de prescription relatif de deux ans arrivait à échéance le 19.01.2020, en vertu de l’ancien droit. En raison de l’introduction au 01.01.2020 du nouvel art. 52 al. 3 LAVS, alors que la prescription relative dans le cas d’espèce n’était pas acquise en vertu de l’ancien droit, le délai de prescription relatif a été rallongé d’une année, pour arriver à échéance le 19.01.2021. Par conséquent, la décision de la caisse de compensation du 01.10.2020, qui a été notifiée au recourant antérieurement à la nouvelle date d’échéance, a interrompu la prescription de la créance en réparation du dommage, comme l’a retenu à bon droit la cour cantonale.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

Arrêt 9C_429/2022 consultable ici

 

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