8C_202/2018 (f) du 16.08.2018 – Maladie professionnelle – Amiante – 9 LAA / Assurance-accidents compétente – ALCP

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_202/2018 (f) du 16.08.2018

 

Consultable ici

 

Maladie professionnelle – Amiante / 9 LAA

Assurance-accidents compétente – ALCP

 

Assuré, né en 1944, de nationalité italienne, a travaillé en Suisse du 22.08.1966 au 31.07.1979.

A son retour en Italie il a travaillé en qualité de menuisier du 01.09.1979 au 16.02.1983. Il effectuait la coupe, le polissage, le façonnage et la fabrication de cadres, de portes et de chevilles à l’aide de bois indigène et étranger (sapin, peuplier, noyer etc.).  Du 01.04.1983 au 31.12.1990, il travaillait en qualité de monteur de cuisines. Il se consacrait à la préparation des structures de cuisine à l’aide de bois prédécoupé, au façonnage et au montage de celles-ci. Le matériel utilisé à cet effet consistait dans des panneaux agglomérés et mélaminés, ainsi que du bois massif d’origine indigène et étrangère. Outre le bois, le matériel utilisé pour la fabrication des cuisines consistait principalement dans des colles, des clous, des vis métalliques et des cales en bois destinées à l’assemblage à l’aide d’outils mécaniques, électriques et à air comprimé. Du 01.01.1991 au 31.01.1999, l’assuré n’a plus exercé d’activité.

Le 29.04.2013, l’employeur suisse a informé l’assurance-accidents d’une suspicion de maladie professionnelle en ce qui concerne son ancien employé. Des investigations médicales menées en Italie au mois de février 2013 ont mis en évidence un mésothéliome pleural. Par déclaration notariée du 24.09.2013 l’assuré a indiqué n’avoir jamais été en contact avec de l’amiante au cours de ses activités exercées en Italie.

Se référant à une prise de position d’un spécialiste du Bureau de protection de la santé sur le lieu de travail dans le domaine de la chimie (Gesundheitsschutz am Arbeitsplatz Bereich Chemie; ci-après GAP), le spécialiste en médecine du travail et médecine interne et médecin auprès de la division de médecine du travail de la CNA a indiqué que la dernière exposition importante à l’amiante avait eu lieu au cours de l’activité de constructeur de cuisines, de sorte que c’était à l’assurance-maladie professionnelle italienne de prendre en charge le cas.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a nié le droit de l’assuré à des prestations d’assurance motif pris que son cas relevait de l’institution d’assurance italienne. A l’appui de cette décision l’assurance-accidents s’est référée à un rapport sur les maladies professionnelles – BK-Report 1/2013 – de la Fédération faîtière des associations professionnelles allemandes (Hauptverband der deutschen Berufsgenossenschaften).

 

Procédure cantonale (arrêt AA 15/14 – 2/2018 consultable ici)

L’assuré est décédé le 03.06.2015 et la cause a été reprise par sa veuve et ses fils, en leur qualité d’héritiers du défunt.

La cour cantonale a constaté, à l’aune de la règle du degré de la vraisemblance prépondérante, que feu l’assuré avait été exposé à l’amiante pour la dernière fois en Italie, lors de son activité de monteur de cuisines. Dans la mesure où il travaillait forcément au montage et au démontage de cuisines, l’assuré a été en contact avec des éléments contenant de l’amiante comme des panneaux légers ou des plaques en ciment placés à cette époque entre le four et les armoires. Lors de l’arrachage, ces éléments se désintègrent et laissent échapper des fibres. Le même phénomène se passe lors du montage au moment du découpage et de l’installation de ces éléments. Selon le BK-Report 1/2013, le montage et le découpage de ces éléments correspond à une valeur de 6,6 fibres par cm3. Le spécialiste auprès du GAP a relevé que les autorités italiennes avaient interdit l’utilisation de l’amiante seulement en 1992. Par ailleurs, on trouve de l’amiante dans les panneaux intermédiaires de protection qui encaissent notamment les appareils électriques, dans les panneaux agglomérés de protection contre l’incendie posés contre les parois en bois des cuisines, dans les plaques ignifuges/pare-feu, dans les fours, dans les hottes de ventilation, ainsi que dans les colles et adhésifs. C’est pourquoi, avant l’interdiction d’utilisation de l’amiante, la création, la transformation et la démolition de cuisines exposaient le travailleur à cette substance.

Par jugement du 22.12.2017, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Maladie professionnelle

Selon l’art. 6 al. 1 LAA, les prestations d’assurance sont allouées en cas d’accident professionnel, d’accident non professionnel et de maladie professionnelle.

Selon l’art. 9 al. 1 LAA, sont réputées maladies professionnelles les maladies dues exclusivement ou de manière prépondérante, dans l’exercice de l’activité professionnelle, à des substances nocives ou à certains travaux. Le Conseil fédéral établit la liste de ces substances ainsi que celle de ces travaux et des affections qu’ils provoquent. Se fondant sur cette délégation de compétence, ainsi que sur l’art. 14 OLAA, le Conseil fédéral a dressé à l’annexe 1 de l’OLAA la liste des substances nocives, d’une part, et la liste de certaines affections, ainsi que des travaux qui les provoquent, d’autre part. La liste des substances nocives mentionne les poussières d’amiante.

Il est admis en l’espèce que l’assuré est décédé des suites d’une maladie professionnelle causée par une exposition à des poussières d’amiante.

 

Application de l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP)

L’assuré, ressortissant d’un Etat partie à l’Accord sur la libre circulation des personnes (ALCP ; RS 0.142.112.681), a exercé des activités salariées en Suisse et en Italie.

Jusqu’au 31.03.2012, les Parties à l’ALCP appliquaient entre elles le Règlement (CEE) n° 1408/71 (ci-après: règlement n° 1408/71 ; RO 2004 121). Une décision n° 1/2012 du Comité mixte du 31.03.2012 (RO 2012 2345) a actualisé le contenu de l’Annexe II à l’ALCP avec effet au 01.04.2012 et il a été prévu, en particulier, que les Parties appliqueraient désormais entre elles le Règlement (CE) n° 883/2004, modifié par le Règlement (CE) n° 988/2009 (ci-après: règlement n° 883/2004 ; RS 0.831.109.268.1). Egalement à partir du 01.04.2012, les Parties appliquent le Règlement (CE) n° 987/2009 (ci-après: règlement n° 987/2009 ; RS 0.831.109.268.11).

En l’espèce l’existence d’un mésothéliome pleural en relation avec une exposition à l’amiante a été diagnostiquée au mois de février 2013, de sorte que la réglementation entrée en vigueur dès le 01.04.2012 est applicable.

Aux termes de l’art. 38 du règlement n° 883/2004, lorsqu’une personne qui a contracté une maladie professionnelle a exercé une activité susceptible, de par sa nature, de provoquer ladite maladie, en vertu de la législation de deux ou plusieurs Etats membres, les prestations auxquelles la victime ou ses survivants peuvent prétendre sont servies exclusivement en vertu de la législation du dernier de ces Etats dont les conditions se trouvent satisfaites.

Selon l’art. 36 du règlement n° 987/2009, dans le cas visé à l’article 38 du règlement de base, la déclaration ou la notification de la maladie professionnelle est transmise à l’institution compétente en matière de maladies professionnelles de l’Etat membre sous la législation duquel l’intéressé a exercé en dernier lieu une activité susceptible de provoquer la maladie considérée. Lorsque l’institution à laquelle la déclaration ou la notification a été transmise constate qu’une activité susceptible de provoquer la maladie professionnelle considérée a été exercée en dernier lieu sous la législation d’un autre Etat membre, elle transmet la déclaration ou la notification ainsi que toutes les pièces qui l’accompagnent à l’institution correspondante de cet Etat membre (al. 1). Lorsque l’institution de l’Etat membre sous la législation duquel l’intéressé a exercé en dernier lieu une activité susceptible de provoquer la maladie professionnelle considérée constate que l’intéressé ou ses survivants ne satisfont pas aux conditions de cette législation, notamment parce que l’intéressé n’a jamais exercé dans ledit Etat membre une activité ayant causé la maladie professionnelle ou parce que cet Etat membre ne reconnaît pas le caractère professionnel de la maladie, ladite institution transmet sans délai à l’institution de l’Etat membre sous la législation duquel l’intéressé a exercé précédemment une activité susceptible de provoquer la maladie professionnelle considérée, la déclaration ou la notification et toutes les pièces qui l’accompagnent, y compris les constatations et rapports des expertises médicales auxquelles la première institution a procédé (al. 2).

 

L’argument des héritiers selon lequel les renseignements fournis à l’assurance-accidents par l’Institut national italien d’assurance contre les accidents du travail (Istituto nazionale par l’assicurazione contro gli infortuni sul lavoro; ci-après INAIL) ne font pas état d’une exposition à l’amiante ne leur est d’aucune aide étant donné qu’ils reposent sur les seules déclarations de feu l’assuré, son employeur ayant cessé son activité depuis plusieurs années. Quant à l’acte authentique du 24.09.2013, il ne fait pas foi du contenu de la déclaration de feu l’assuré mais seulement de sa signature. Par ailleurs les héritiers ne peuvent pas se prévaloir du fait que le BK-Report 1/2013 ne mentionne pas expressément l’activité de monteur de cuisines étant donné que la liste des activités de menuiserie considérées dans ce rapport comme exposées à l’amiante n’est pas exhaustive. Enfin on ne saurait partager leur point de vue, selon lequel le risque devrait être couvert par l’assurance sociale de l’Etat dans lequel l’exposition à l’amiante aurait été la plus élevée. En effet le Tribunal fédéral a jugé que cette manière de voir n’était pas compatible avec l’art. 57 du règlement n° 1408/71, dont le contenu, sur le point en discussion, est semblable à l’art. 38 du règlement n° 883/2004 sur le plan de la coordination des systèmes nationaux de sécurité sociale (SVR 2012 UV n° 29 p. 107, 8C_455/2011, consid. 4.2 et les références de doctrine).

Sur la base de ses constatations de fait, la cour cantonale était dès lors fondée à retenir que l’assurance-accidents helvétique était en droit de refuser sa couverture d’assurance pour les troubles annoncés.

 

Le TF rejette le recours des héritiers de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_202/2018 consultable ici

 

 

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