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8C_61/2025 (d) du 09.10.2025 – Versement d’une rente d’invalidité en mains de tiers – Garantie de l’utilisation conforme au but – Pension alimentaire en faveur de l’ex-conjoint – 20 LPGA – 132 CC

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_61/2025 (d) du 09.10.2025

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Versement d’une rente d’invalidité en mains de tiers – Garantie de l’utilisation conforme au but – Pension alimentaire en faveur de l’ex-conjoint / 20 LPGA – 132 CC

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a jugé qu’un jugement fondé sur l’art. 132 al. 1 CC, ordonnant à l’office AI de verser directement à l’ex-épouse une partie de la rente d’invalidité de son ex-mari correspondant à la contribution d’entretien après divorce, est conforme au droit fédéral. Il a confirmé que cette ordonnance civile produit les mêmes effets qu’une injonction fondée sur les art. 177 ou 291 CC et permet donc le versement en mains de tiers. Dès lors, l’office AI devait exécuter l’ordonnance du tribunal civil, et la décision cantonale annulant le refus de l’office est confirmée.

 

Faits
Par jugement et décision du 16.05.2022, le mariage entre l’assuré et A.__ a été dissous. L’assuré doit verser une pension alimentaire de CHF 800 par mois à son ex-épouse du 01.06.2022 au 31.05.2032.

Par décision du 06.04.2023, l’office AI a accordé à l’assuré une rente entière d’invalidité à compter du 01.07.2022. Par jugement et décision du 22.09.2023, le tribunal de district a ordonné à l’office AI de verser directement à l’ex-épouse, en application de l’art. 132 CC, CHF 800 par mois prélevés sur la rente d’invalidité de l’assuré, avec effet immédiat et jusqu’au 31.05.2032, sous peine de devoir payer le double en cas d’omission (dispositif, ch. 1). Cette décision est entrée en force.

Par décision du 27.10.2023, l’office AI a informé l’ex-épouse qu’il ne donnerait pas suite à l’injonction de paiement du tribunal de district du 22.09.2023.

 

Procédure cantonale (arrêt IV.2023.00637 – consultable ici)

Par jugement du 12.12.2024, admission du recours de l’ex-épouse par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2.2
Selon l’art. 20 LPGA, l’assureur peut verser tout ou partie des prestations en espèces à un tiers qualifié ou à une autorité ayant une obligation légale ou morale d’entretien à l’égard du bénéficiaire, ou qui l’assiste en permanence, pour autant que les conditions définies dans cette disposition soient remplies. Il est établi et incontesté qu’en l’espèce ces conditions ne le sont pas, puisque l’ex-épouse a un droit à entretien à l’égard de l’assuré et ne supporte pas une obligation d’entretien envers lui.

Consid. 3.1
L’instance cantonale a considéré qu’il ressortait de l’ATF 146 V 265 que le versement à un tiers de prestations relevant du droit des assurances sociales est admissible lorsqu’il repose sur une injonction de payer rendue par un tribunal civil, visant à garantir l’entretien de l’enfant dans le cadre de mesures protectrices de l’union conjugale ou d’une procédure de divorce. À l’instar de l’art. 291 CC, l’injonction de payer pour l’entretien après le divorce selon l’art. 132, al. 1, CC a également pour but de garantir la pension alimentaire ou l’aide financière due à la personne bénéficiaire.

Par conséquent, l’obligation du débiteur prévue par l’art. 132 al. 1 CC constitue un autre cas de versement à un tiers s’ajoutant à celui de l’art. 20 LPGA. L’ex-épouse était ainsi en droit, sur la base du jugement, fondé sur l’art. 132 al. 1 CC, de demander que la rente d’invalidité due à son ex-époux lui soit versée directement, à hauteur de la contribution d’entretien qui lui avait été accordée dans le cadre de la procédure de divorce.

Consid. 3.2
L’OFAS recourant fait valoir, à l’inverse, que la décision contenue dans un jugement de divorce, prescrivant le versement des rentes du conjoint débiteur de l’entretien à l’ex-conjoint bénéficiaire de l’entretien (art. 132 CC), n’est pas contraignante pour les offices cantonaux chargés de l’exécution. Selon lui, l’art. 132 CC est formulé de manière générale et, en l’absence de clause expresse relative à un versement à un tiers, il ne peut être dérogé à l’art. 20 al. 1 LPGA.

S’agissant des fondements de l’ordonnance civile adressée au débiteur, il convient d’opérer une distinction. En ce sens, les ordonnances du juge civil concernant le versement des rentes d’un époux qui n’exécute pas son obligation d’entretien envers sa famille dans le cadre de mesures protectrices de l’union conjugale sont admissibles et obligent la caisse de compensation (art. 177 CC). Il en va de même pour les rentes des parents qui négligent leur devoir d’entretien envers leur enfant (art. 291 CC). En revanche, l’ordonnance civile contenue dans un jugement de divorce prescrivant le versement des rentes du conjoint débiteur à l’ex-conjoint bénéficiaire de l’entretien (art. 132 CC) est irrecevable.

Consid. 4.1
Le Tribunal fédéral a déjà tranché la question soulevée ici dans l’ATF 151 V 137 : une ordonnance rendue par un tribunal civil en vertu de l’art. 132 CC, prescrivant le versement à un tiers d’une partie des prestations dues à l’assuré, doit être traitée, du point de vue du droit des assurances sociales, de la même manière que celles fondées sur les art. 177 ou 291 CC. Ainsi, l’épouse divorcée peut, sur la base d’une telle ordonnance, exiger qu’une partie de la rente de vieillesse due à son ex-mari lui soit versée directement (consid. 2, 4 et 5 de l’arrêt précité).

Le Tribunal fédéral a relevé, au considérant 5.4 de l’arrêt cité, que le droit à l’entretien après divorce constitue précisément l’exemple type d’une conséquence d’un mariage dissous. La fixation des contributions d’entretien après le divorce relève du droit civil (ou, dans un cas concret, du tribunal civil). Le droit civil, conscient du fait que la communauté conjugale prend fin avec le divorce, prévoit à l’art. 132 al. 1 CC que le tribunal civil peut ordonner au débiteur de la personne tenue à l’entretien d’effectuer les paiements, en tout ou partie, directement à la personne bénéficiaire. Aucun motif particulier ne justifie que le droit des assurances sociales s’écarte, dans le contexte examiné, des principes du droit civil. Les objections tirées du droit de la famille concernant la conception des règles en matière familiale ne constituent pas une raison de refuser d’appliquer dans le droit des assurances sociales la solution prévue par le droit civil.

Consid. 4.2
Il n’existe aucun motif de s’écarter de cette jurisprudence récente (sur les conditions d’un revirement de pratique, cf. ATF 148 III 270 consid. 7.1 ; 145 V 304 consid. 4.4).

L’autorité cantonale n’a donc pas violé le droit fédéral lorsqu’elle a, conformément à la jurisprudence issue de l’ATF 151 V 137, annulé la décision de l’office AI du 27.10.2023 et ordonné à celui-ci de se conformer au jugement du juge unique du tribunal de district du 22.09.2023 concernant la mise en demeure du débiteur.

 

Le TF rejette le recours de l’OFAS.

 

Arrêt 8C_61/2025 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_61/2025 (d) du 09.10.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/11/8c_61-2025)

 

 

8C_689/2024 (d) du 04.09.2025 – Versement des arrérages de rente en mains de tiers / Notion d’ « institution d’aide sociale privée » et d’ « organisme d’assistance privé » / L’extension de la notion d’assistance privée aux bailleurs serait contraire à la loi

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_689/2024 (d) du 04.09.2025

 

Consultable ici (arrêt à 5 juges, non publié)

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi

 

Versement des arrérages de rente en mains de tiers / 22 LPGA – 85bis RAI

Notion d’ »institution d’aide sociale privée » et d’ »organisme d’assistance privé »

L’extension de la notion d’assistance privée aux bailleurs serait contraire à la loi

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé qu’une bailleresse ne pouvait être considérée comme un organisme d’assistance privé au sens de la loi et donc prétendre à un versement en mains de tiers des arrérages de rente AI. Il a relevé que la relation entre la locataire et la bailleresse reposait sur un contrat de bail, sans caractère d’aide ou de prestation volontaire, et qu’une telle extension du concept d’assistance privée aux bailleurs irait à l’encontre de la finalité protectrice du droit aux prestations sociales. Par ailleurs, le sursis accordé au paiement des loyers ne pouvait pas être reconnu comme une avance au sens des art. 22 LPGA et 85bis RAI.

 

Faits
Assurée ayant déposé une demande AI en octobre 2020.

Par projet de décision du 24.11.2022, l’office AI l’a informée qu’il envisageait lui octroyer une rente entière, avec effet rétroactif au 01.04.2021.

Le 02.056.2023, C.__, agissant en sa qualité de gérant de la société A.__ GmbH, bailleresse de l’assuré, a demandé le versement de la rente d’invalidité à un tiers et a produit une cession signée par l’assurée portant sur les arrérages de rente. Le 05.09.2023, l’office AI a statué conformément au projet et a compensé une partie des arriérés de rente, à hauteur de CHF 31’155.55, avec les avances versées par le service social. Par une décision du même jour, l’office AI a rejeté la demande de la A.__ GmbH relative au versement en mains de tiers de la rente et des arriérés de rente.

 

Procédure cantonale (arrêt IV 2023/178 – consultable ici)

Par jugement du 23.10.2024, rejet du recours de A.__ GmbH par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3
Selon l’art. 22 al. 1 LPGA, le droit aux prestations est incessible ; il ne peut être donné en gage. Toute cession ou mise en gage est nulle. Selon l’al. 2 de cette même disposition, les prestations accordées rétroactivement par l’assureur social peuvent en revanche être cédées à l’employeur ou à une institution d’aide sociale publique ou privée dans la mesure où ceux-ci ont consenti des avances (let. a) ou à l’assureur qui a pris provisoirement à sa charge des prestations (let. b).

La possibilité, en l’espèce, d’un versement à un tiers en faveur du recourant se détermine selon l’art. 85bis RAI, lequel trouve sa base légale à l’art. 22 al. 2 LPGA. L’al. 1 de cette disposition réglementaire prévoit que les employeurs, les institutions de prévoyance professionnelle, les assurances-maladie, les organismes d’assistance publics ou privés ou les assurances en responsabilité civile ayant leur siège en Suisse qui, en vue de l’octroi d’une rente de l’assurance-invalidité, ont fait une avance peuvent exiger qu’on leur verse l’arriéré de cette rente en compensation de leur avance et jusqu’à concurrence de celle-ci (première phrase). Les organismes ayant consenti une avance doivent faire valoir leurs droits au moyen d’un formulaire spécial, au plus tôt lors de la demande de rente et, au plus tard au moment de la décision de l’office AI (troisième phrase).

Au sens de l’art. 85bis al. 2 RAI, Sont considérées comme une avance, les prestations librement consenties, que l’assuré s’est engagé à rembourser, pour autant qu’il ait convenu par écrit que l’arriéré serait versé au tiers ayant effectué l’avance (let. a) et les prestations versées contractuellement ou légalement, pour autant que le droit au remboursement, en cas de paiement d’une rente, puisse être déduit sans équivoque du contrat ou de la loi (let. b).

Les arrérages de rente peuvent être versés à l’organisme ayant consenti une avance jusqu’à concurrence, au plus, du montant de celle-ci et pour la période à laquelle se rapportent les rentes (art. 85bis al. 3 RAI).

Consid. 5.1
Comme la recourante n’est manifestement ni une assurance ni un employeur, et qu’elle n’appartient pas non plus à l’assistance publique, elle peut tout au plus être examiné, au regard des griefs qu’elle soulève, si elle relève de la notion d’institution d’aide sociale privée ou d’organisme d’assistance privé au sens de l’art. 22 al. 2 LPGA et de l’art. 85bis RAI, et s’il pourrait, à ce titre, prétendre à un versement à un tiers des arriérés de rente.

La notion d’«assistance» correspond à la dénomination aujourd’hui plus usuelle d’«aide sociale». L’«assistance publique» désigne ainsi l’aide sociale étatique régie au niveau cantonal, tandis qu’il demeure largement indéterminé ce qu’il faut entendre par «assistance privée» ou «aide sociale privée» (Remo Dolf, in : Basler Kommentar, Allgemeiner Teil des Sozialversicherungsrechts, 2e éd. 2025, n° 17 ad Art. 22 ATSG). Le Tribunal fédéral n’a, jusqu’à présent et pour autant que l’on puisse en juger, pas eu l’occasion d’examiner cette question de manière approfondie.

Il faut avant tout comprendre par «assistance privée» des institutions ou organismes d’utilité publique, tels qu’une fondation (cf. à ce sujet Remo Dolf, op. cit., n° 17 ad Art. 22 ATSG, qui se réfère lui-même à l’art. 94 al. LACI, contenant une expression identique, ainsi qu’à la directive correspondante du SECO figurant dans AVIG-Praxis ALE ch. E24, et à la jurisprudence du Tribunal administratif fédéral).

Consid. 5.2
Le sens et le but de l’art. 22 LPGA résident dans la garantie du droit à la prestation, comme le laisse déjà entendre le titre de cette disposition. L’interprétation de l’art. 22 al. 2 LPGA doit également se conformer à cet objectif : cette disposition admet certes la cession des arriérés de prestations versés par les assureurs sociaux, mais uniquement dans des limites strictement définies. D’après les travaux préparatoires de l’art. 22 al. 2 LPGA, le législateur a voulu, d’une part, restreindre la possibilité du versement à un tiers aux seuls arriérés de prestations d’assurances sociales et, d’autre part, créer une base légale complète pour les versements à un tiers dans le cadre de l’assurance-invalidité conformément à l’art. 85bis RAI (ATF 136 V 286 consid. 5.2 et les références citées).

Les versements à un tiers ne sont admis que dans les cas exceptionnels expressément prévus, puisqu’ils vont à l’encontre de la protection des prestations de la sécurité sociale. Une interprétation trop large de la notion d’assistance privée contredirait ainsi le sens et le but de l’article 22 LPGA (cf. Remo Dolf, op. cit., n° 17 ad Art. 22 ATSG).

Consid. 5.3
En l’espèce, une interprétation exhaustive de la notion d’«organisme d’assistance privé» (ou d’«institution d’aide sociale privée») utilisée dans les dispositions applicables n’est pas nécessaire, car il est manifeste que la recourante ne peut de toute manière pas être qualifiée comme telle.

Le fait qu’une bailleresse soit considérée comme une institution d’aide sociale privée est d’emblée exclu en raison de sa qualité de créancière, qui ne renonce pas à une contre-prestation, mais cherche à garantir sa créance de loyer par le biais du versement de prestations relevant du droit des assurances sociales. La mise à disposition du logement par la recourante ne reposait nullement sur une idée d’assistance, mais sur un contrat de bail. Le sursis accordé au paiement du loyer peut certes être perçu comme un geste conciliant, mais il ne constitue pas pour autant une prestation d’assistance. La suspension du paiement du loyer n’est intervenue que parce que les prestations d’aide sociale publique versées à la future bénéficiaire d’une rente AI — qui couvraient aussi les frais de logement — n’ont pas été utilisées conformément à leur but pour le paiement du loyer. Dans cette configuration, il ne saurait être question d’une prestation volontaire accordée sans attente d’une contre-prestation, ce qui, fondamentalement, caractériserait une assistance privée. L’argument soulevé par la recourante selon lequel l’« assistance privée » fournie en l’espèce ne se distinguerait pas de l’aide sociale publique, ne résiste pas à l’examen.

En outre, qualifier une bailleresse d’institution d’assistance privée habilitée à recevoir des versements à un tiers ouvrirait la voie à une multitude d’autres créanciers fournissant des biens ou services de première nécessité, en compromettant la protection des prestations d’assurances sociales. Ainsi, outre les bailleurs, les commerçants en denrées alimentaires qui ne sont pas payés par les bénéficiaires de rentes AI pourraient également exiger des paiements en mains de tiers. Cela est clairement contraire à l’esprit et à l’objectif des dispositions applicables (cf. consid. 5.2 supra). L’extension de la notion d’assistance privée aux bailleurs est dès lors contraire à la loi.

Consid. 5.4
L’éventuelle lacune alléguée par la recourante concernant les bailleresses ne peut être constatée au regard de l’objectif de sécurité qui sous-tend l’art. 22 LPGA, mentionné plus haut.

Consid. 5.5
Il est en outre douteux que le tribunal cantonal puisse admettre l’existence d’une lacune apparente dans les art. 22 LPGA et 85bis RAI pour les bailleresses. Une clarification plus approfondie de cette question n’est toutefois pas nécessaire en l’espèce, car, dans un cas comme dans l’autre, la conclusion demeure que le droit à un versement à un tiers des arriérés de rente a été nié à juste titre.

Consid. 5.6
Il n’est dès lors pas nécessaire d’examiner si le sursis accordé au paiement du loyer peut être considéré comme une avance au sens des art. 22 al. 2 let. a LPGA ou 85bis al. 2 RAI, et si les autres conditions requises pour un versement à un tiers seraient également remplies. Il n’y a pas lieu non plus d’aborder les autres arguments de la recourante, en particulier l’allégation de violation du principe d’instruction et du droit d’être entendu en lien avec la demande de versement à un tiers.

 

Le TF rejette le recours de la bailleresse.

 

Arrêt 8C_689/2024 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_689/2024 (d) du 04.09.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/11/8c_689-2024)

 

 

8C_606/2018 (f) du 12.06.2019 – Aide financière accordée par l’aide sociale – Versement du rétroactif des allocations familiales – Interprétation par le TF d’une norme cantonale sous l’angle de l’arbitraire

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_606/2018 (f) du 12.06.2019

 

Consultable ici

 

Aide financière accordée par l’aide sociale – Versement du rétroactif des allocations familiales / 22 LPGA – 29 de la loi [du canton de Fribourg] sur l’aide sociale (LASoc; RSF 831.0.1)

Interprétation par le TF d’une norme cantonale sous l’angle de l’arbitraire

 

A.__ et B.__, ressortissante érythréenne dont la demande d’asile avait été refusée, ont emménagé ensemble dans le logement du prénommé au mois de juillet 2007. A cette époque, B.__ était au bénéfice de prestations d’aide sociale allouées par ORS Service AG, organisme d’encadrement des requérants d’asile et des réfugiés (ci-après: ORS). Deux enfants sont nés de cette union: C.__, en 2008 et D.__, en 2010. ORS a alloué des prestations d’aide sociale à la mère et aux deux enfants jusqu’au 17.10.2012 – date à laquelle la reconnaissance formelle des enfants par leur père est intervenue. Le 06.05.2013, B.__ a quitté le logement de A.__ avec les deux enfants et a bénéficié de prestations allouées par ORS jusqu’à ce qu’elle reçoive son autorisation de séjour, le 13.06.2013. Dès le 01.08.2013, elle a obtenu des prestations du Service de l’aide sociale de la Ville de Fribourg (SASV). Au mois de février 2014, B.__ et les enfants sont retournés vivre avec A.__ et les parents se sont mariés le 17.10.2014.

Le 08.03.2013, A.__ a saisi la caisse de compensation d’une demande tendant à l’octroi d’allocations familiales pour ses deux enfants, avec effet rétroactif au 30.09.2008. Par décision, partiellement réformée sur opposition les 19.01.2016 et 28.01.2016, la caisse de compensation a reconnu le droit de A.__ aux allocations familiales pour ses deux enfants et a réparti le versement rétroactif des allocations entre ORS, le SASV et l’intéressé. Ainsi, elle a indiqué que des montants de 9’430 fr. en faveur de C.__ et de 7’360 fr. en faveur de D.__ devaient être versés à ORS. En outre, un montant de 490 fr. par enfant devait être versé au SASV pour les mois d’août et septembre 2013. Quant à A.__, il bénéficiait à titre rétroactif de 5’360 fr. pour chacun des enfants, ainsi que de l’allocation de naissance d’un montant de 1’500 fr. pour D.__.

Saisie d’une demande de l’intéressé tendant à la reconsidération de la décision du 28.01.2016, en ce sens que l’intégralité des allocations familiales et l’allocation de naissance lui soient versées, la caisse de compensation a rendu une décision sur opposition par laquelle elle a confirmé sa décision du 28.01.2016.

 

Procédure cantonale

Les juges cantonaux ont examiné le cas sous l’angle des art. 9 LAFam et 12 de la loi [du canton de Fribourg] sur les allocations familiales dans sa version entrée en vigueur le 01.01.2013 (LAFC; RSF 836.1). Ils ont considéré que les art. 9 LAFam et 12 LAFC n’étaient pas applicables. En effet, il n’était pas établi et il n’y avait pas de risque que l’éventuel versement à l’assuré des allocations familiales dues pour les périodes en question pourrait ne pas servir à couvrir des frais d’entretien des deux enfants auxquels ces prestations étaient destinées. La caisse de compensation ne pouvait dès lors pas se fonder sur ces dispositions pour décider de verser les allocations familiales en cause à ORS et au SASV en lieu et place de l’assuré.

En revanche, la cour cantonale a appliqué l’art. 29 de la loi [du canton de Fribourg] sur l’aide sociale (LASoc; RSF 831.0.1). Plus particulièrement, la juridiction cantonale s’est référée à l’al. 4 de cette disposition [Le service social qui accorde une aide matérielle à titre d’avance sur les prestations des assurances ou de tiers tenus de verser des prestations est subrogé dans les droits du bénéficiaire, jusqu’à concurrence de l’aide matérielle accordée.]. Elle a constaté que pour les périodes respectives de juin 2009 à octobre 2012 et d’août à septembre 2013, ORS et le SASV avaient alloué des prestations d’aide matérielle en faveur des enfants C.__ et D.__ et pris également en charge directement leurs primes d’assurance-maladie. Il n’était par ailleurs pas contesté que le droit aux allocations familiales pour les deux enfants portait notamment sur ces deux périodes. Vu cette concordance temporelle et le constat que les deux types de prestations étaient destinées à permettre d’assurer l’entretien des deux enfants prénommés (concordance matérielle), les prestations octroyées au titre de l’aide sociale constituaient, au sens de l’art. 22 al. 2 LPGA, des avances sur les allocations familiales qui devaient être perçues ultérieurement. ORS et le SASV, en tant qu’autorités d’assistance, bénéficiaient donc de la subrogation instituée par l’art. 29 al. 4 LASoc. En effet, ce qui était déterminant, ce n’était pas à qui les allocations et avances matérielles étaient versées mais leur objet, en l’occurrence la couverture des frais d’entretien des enfants.

Selon la cour cantonale, la caisse de compensation était en droit de verser à ORS et au SASV les allocations familiales en faveur des deux enfants pour les périodes respectives de juin 2009 à octobre 2012 et d’août à septembre 2013. Cette mesure s’inscrivait dans le sens même de la subrogation légale prévue à l’art. 29 al. 4 LASoc qui a pour but de garantir aux autorités d’aide sociale le remboursement indirect des prestations d’aide matérielle qu’elles allouent à titre d’avance sur des montants à verser ultérieurement par des assurances sociales.

Par jugement du 05.07.2018, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

L’assuré fait valoir que la subrogation n’était pas applicable, car il est l’ayant droit aux allocations familiales. La mère (et l’autorité prétendument subrogée) n’avait pas un droit à faire valoir à son encontre au titre des allocations familiales.

Sauf exceptions non pertinentes en l’espèce (cf. art. 95 let. c, d et e LTF), on ne peut invoquer la violation du droit cantonal ou communal en tant que tel devant le Tribunal fédéral (art. 95 LTF a contrario). Il est néanmoins possible de faire valoir que son application consacre une violation du droit fédéral, en particulier la protection contre l’arbitraire (art. 9 Cst.) ou la garantie d’autres droits constitutionnels. Le Tribunal fédéral n’examine alors de tels moyens que s’ils sont formulés conformément aux exigences de motivation qualifiée prévues à l’art. 106 al. 2 LTF (ATF 142 V 577 consid. 3.2 p. 579 et la référence). L’assuré doit en particulier indiquer précisément quelle disposition constitutionnelle ou légale a été violée et démontrer par une argumentation précise en quoi consiste la violation (voir par ex. arrêt 2D_42/2018 du 11 mars 2019 consid. 2).

Appelé à revoir l’interprétation d’une norme cantonale sous l’angle de l’arbitraire, le Tribunal fédéral ne s’écarte de la solution retenue par l’autorité cantonale de dernière instance que si celle-ci apparaît insoutenable, en contradiction manifeste avec la situation effective, adoptée sans motifs objectifs et en violation d’un droit certain. En revanche, si l’application de la loi défendue par l’autorité cantonale n’apparaît pas déraisonnable ou manifestement contraire au sens et au but de la disposition ou de la législation en cause, cette interprétation sera confirmée, même si une autre solution – même préférable – paraît possible. En outre, pour qu’une décision soit annulée au titre de l’arbitraire, il ne suffit pas qu’elle se fonde sur une motivation insoutenable; encore faut-il qu’elle apparaisse arbitraire dans son résultat (ATF 144 I 113 consid. 7.1 p. 124).

L’objection soulevée ici par l’assuré n’a pas échappé à la juridiction cantonale qui a estimé – à tort ou à raison, la question peut demeurer indécise – qu’elle ne faisait pas obstacle à l’application de la subrogation prévue à l’art. 29 al. 4 LASoc. L’assuré – qui ne soulève pas le grief d’arbitraire ni n’invoque ici une autre garantie d’ordre constitutionnel – ne formule aucun argument qui satisfasse aux exigences précitées de motivation. Il ne démontre en tout cas pas en quoi l’interprétation – peut-être discutable – par les premiers juges de la disposition en question serait insoutenable.

 

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_606/2018 consultable ici