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Qu’entend-on par « invalide » ?

Article paru in Jusletter, 3 octobre 2016

Dans le domaine du droit des assurances sociales, la détermination du degré d’invalidité donne régulièrement lieu à des conflits juridiques (voir à titre d’exemple Jörg Paul Müller, Zur medizinischen und sozialrechtlichen Beurteilung von Personen mit andauernden somatoformen Schmerzstörungen und ähnlichen Krankheiten im Verfahren der Invalidenversicherung, in : Jusletter 28 janvier 2013). David Ionta saisit cette occasion pour se pencher notamment sur la notion même de l’invalidité, les bases légales, les différentes méthodes d’évaluation de l’invalidité et de la comparaison des revenus, ainsi que sur la détermination du revenu sans invalidité.

 

Nous avons souvent tendance à comprendre le mot « invalide » comme « personne en situation d’handicap » ou « handicapé ». Qu’en est-il selon le droit suisse des assurances sociales ? Quand un assuré est-il considéré comme invalide ? Comment se calcule le taux d’invalidité d’une personne atteinte dans sa santé ?

Publication : david-ionta-quentend-on-par-invalide_-jusletter-2016-10-03

 

8C_763/2015 (f) du 11.07.2016 – Causalité naturelle et accident – 6 LAA – 4 LPGA / Causalité naturelle et lésions assimilées – 6 LAA – 9 al. 2 OLAA / Causalité naturelle et algodystrophie (CRPS) – 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_763/2015 (f) du 11.07.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2d4GhxS

 

Causalité naturelle et accident / 6 LAA – 4 LPGA

Lombalgies chroniques et cervicalgies

Causalité naturelle et lésions assimilées / 6 LAA – 9 al. 2 OLAA

Petite rupture ou petite fissure à la jonction sus-épineux/sous-épineux pas considérée comme lésion assimilée

Causalité naturelle et algodystrophie (CRPS) / 6 LAA

 

Assuré, monteur en chauffage, est victime d’un accident de la circulation le 25.08.2011 : sa voiture est entrée en collision avec un autre véhicule qui n’avait pas respecté les règles de priorité. Les médecins du Centre Hospitalier ont fait état de douleurs au genou droit et ont diagnostiqué une entorse cervicale, une contusion de la paroi thoracique antérieure, ainsi qu’une contusion avec douleur en regard du scaphoïde (rapport du 25.08.2011). L’assuré a quitté l’hôpital le jour même.

Un scanner lombaire réalisé le 14.09.2011 a mis en évidence un débord discal postérieur au niveau L4-L5 en contact avec les racines L5 bilatérales, sans image de hernie discale évidente, ainsi qu’une arthrose modérée débutante des articulations postérieures au niveau L4-L5 et L5-S1. Une arthrographie et un arthroscanner de l’épaule gauche ont mis en évidence une petite rupture punctiforme presque transfixiante à l’union sus-épineux/sous-épineux, ainsi qu’une probable petite lésion associée de l’intervalle des rotateurs. Le 26.04.2012, une IRM a été réalisée, objectivant une fissuration de la corne postérieure du ménisque, oblique et ouverte vers la surface articulaire inférieure, d’allure traumatique.

L’assureur-accidents a, après avoir requis l’avis du médecin-conseil, a supprimé le droit de l’assuré à des prestations d’assurance à compter du 31.08.2012.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 25/13 – 74/2015 – consultable ici : http://bit.ly/2doezfW)

Par jugement du 17.07.2015, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Causalité naturelle

Le droit à des prestations découlant d’un accident assuré suppose d’abord, entre l’événement dommageable de caractère accidentel et l’atteinte à la santé, un lien de causalité naturelle. Cette exigence est remplie lorsqu’il y a lieu d’admettre que, sans cet événement accidentel, le dommage ne se serait pas produit du tout, ou qu’il ne serait pas survenu de la même manière (ATF 129 V 177 consid. 3.1 p. 181; 402 consid. 4.3.1 p. 406; 119 V 335 consid. 1 p. 337; 118 V 286 consid. 1b p. 289 et les références). Pour admettre l’existence d’un lien de causalité naturelle, il n’est pas nécessaire que l’accident soit la cause unique ou immédiate de l’atteinte à la santé; il faut et il suffit que l’événement dommageable, associé éventuellement à d’autres facteurs, ait provoqué l’atteinte à la santé physique ou psychique de l’assuré, c’est-à-dire qu’il se présente comme la condition sine qua non de celle-ci. Savoir si l’événement assuré et l’atteinte à la santé sont liés par un rapport de causalité naturelle est une question de fait, que l’administration ou, le cas échéant, le juge examine en se fondant essentiellement sur des renseignements d’ordre médical, et qui doit être tranchée en se conformant à la règle du degré de vraisemblance prépondérante, appliquée généralement à l’appréciation des preuves dans l’assurance sociale. Ainsi, lorsque l’existence d’un rapport de cause à effet entre l’accident et le dommage paraît possible, mais qu’elle ne peut pas être qualifiée de probable dans le cas particulier, le droit à des prestations fondées sur l’accident assuré doit être nié (ATF 129 V 177 consid. 3.1 p.181; 402 consid. 4.3.1 p. 406; 119 V 335 consid. 1 p. 337; 118 V 286 consid. 1b p. 289 s. et les références).

 

Causalité naturelle pour les lésions assimilées à un accident

La notion de lésion assimilée à un accident a pour but d’éviter, au profit de l’assuré, la distinction souvent difficile entre maladie et accident. Aussi, les assureurs-accidents LAA doivent-ils assumer un risque qui, en raison de la distinction précitée, devrait en principe être couvert par l’assurance-maladie. Les lésions mentionnées à l’art. 9 al. 2 OLAA sont assimilées à un accident même si elles ont, pour l’essentiel, une origine vraisemblablement maladive ou dégénérative, pour autant qu’une cause extérieure ait, au moins, déclenché les symptômes dont souffre l’assuré (ATF 139 V 327 consid. 3.1 p. 328; 129 V 466; 123 V 43 consid. 2b p. 44; 116 V 145 consid. 2c p. 147; 114 V 298 consid. 3c p. 301).

Ces règles sont également applicables lorsqu’une des lésions mentionnées à l’art. 9 al. 2 OLAA est survenue lors d’un événement répondant à la définition de l’accident au sens de l’art. 6 al. 1 LAA. En effet, si l’influence d’un facteur extérieur, soudain et involontaire suffit pour ouvrir droit à des prestations de l’assureur-accidents pour les suites d’une lésion corporelle mentionnée à l’art. 9 al. 2 OLAA, on ne voit pas, a fortiori, que cette réglementation spécifique ne doive pas trouver application dans l’éventualité où ce facteur revêt un caractère extraordinaire. Il faut néanmoins que la lésion corporelle (assimilée) puisse être rattachée à l’accident en cause car, à défaut d’un événement particulier à l’origine de l’atteinte à la santé, il y a lieu de conclure à une lésion exclusivement maladive ou dégénérative (arrêts 8C_698/2007 du 27 octobre 2008 consid. 4.2; 8C_357/2007 du 31 janvier 2008 consid. 3.2).

La liste exhaustive de l’art. 9 al. 2 OLAA mentionne les déchirures du ménisque (let. c) et les déchirures de tendons (let. f). La jurisprudence considère qu’une déchirure de la coiffe des rotateurs peut être assimilée à une déchirure des tendons au sens de l’art. 9 al. 2 let. f OLAA, lorsque sont réunis tous les éléments caractéristiques d’un accident à l’exception du facteur extérieur de caractère extraordinaire. En effet, en dépit du risque accru de déchirure lié à un état dégénératif, il n’y a pas lieu de faire une distinction entre les tendons et la coiffe des rotateurs, et d’exiger pour celle-ci l’existence d’un facteur extérieur de caractère extraordinaire (ATF 123 V 43 consid. 2b p. 44 s.).

Selon la jurisprudence, l’obligation de l’assureur-accidents de prendre en charge les suites d’une lésion corporelle assimilée à un accident au sens de l’art. 9 al. 2 let. f OLAA se limite, conformément à la portée et au but de cette disposition, strictement aux déchirures de tendons, à l’exclusion de toute autre pathologie affectant les tendons, notamment celles qui concernent les tissus. Comme, du point de vue clinique, les ruptures partielles de tendons ne se différencient généralement pas des réactions inflammatoires secondaires, l’existence d’une lésion corporelle assimilée ne peut être admise qu’à la condition qu’une rupture partielle de tendon ait été objectivée médicalement de manière manifeste, que ce soit lors d’une opération ou à l’aide d’imagerie par produit de contraste. Il appartient à la personne qui requiert des prestations d’en apporter la preuve, faute de quoi elle risque de devoir en supporter l’absence (ATF 114 V 298 consid. 5c p. 306).

 

Epaule – lésion à la jonction du sus-épineux et du sous-épineux

En l’espèce, la petite rupture punctiforme ou petite fissure à la jonction sus-épineux/sous-épineux, « très très modérée et bien entendu non chirurgicale » ne peut manifestement pas être assimilée à une déchirure même partielle d’un tendon. Aussi l’existence d’une lésion corporelle assimilée à un accident au sens de l’art. 9 al. 2 let. f OLAA doit-elle être niée, sans qu’il soit nécessaire de mettre en œuvre une instruction complémentaire.

En ce qui concerne les troubles à l’épaule gauche sous la forme de signes modérés de tendinopathie chronique du sus-épineux – au demeurant également présents à l’épaule droite -, l’existence d’un lien de causalité naturelle avec l’accident du 25.08.2011 n’apparaît pas établi au degré de la vraisemblance prépondérante.

 

Genou – méniscopathie

En ce qui concerne les troubles au genou droit, si les médecins consultés ont mentionné voire simplement suspecté la possibilité que les troubles au ménisque droit (méniscopathie, fissuration du ménisque, syndrome méniscal) fussent d’origine traumatique, cela ne suffit pas pour établir – au degré de la vraisemblance prépondérante – que ces troubles sont en relation de causalité naturelle avec l’accident du 25.08.2011.

 

Algodystrophie (syndrome douloureux régional complexe – SDRC ; Complex Regional Pain Syndrome- CRPS)

Une scintigraphie osseuse réalisée le 21.12.2012 a mis en évidence une très discrète surimprégnation du genou droit pouvant évoquer une minime réaction algodystrophique sans composante inflammatoire. En l’occurrence, même en admettant que cette constatation soit suffisante pour établir – au degré de la vraisemblance prépondérante – l’existence d’une algodystrophie, une des conditions cumulatives permettant d’admettre l’existence d’un lien de causalité avec l’accident n’est pas réalisée. En effet, il faut notamment que le temps de latence entre un événement de caractère accidentel et l’apparition de l’affection en cause ne dépasse pas six à huit semaines (arrêts 8C_871/2010 du 4 octobre 2011 consid. 3.2; 8C_384/2009 du 5 janvier 2010 consid. 4.2.1; U 436/06 du 6 juillet 2007 consid. 3.4.2.1). Il n’existe aucun élément concret apte à établir qu’une algodystrophie – pour autant qu’on puisse admettre l’existence d’une telle affection – est apparue dans un délai de huit semaines à compter de l’accident du 25.08.2011.

 

Lombalgies chroniques

En ce qui concerne les lombalgies chroniques, les investigations n’avaient pas permis d’objectiver une lésion traumatique. En revanche, un scanner lombaire avait mis en évidence un débord discal postérieur au niveau L4-L5 qui vient en contact avec les racines L5 bilatérales. L’appréciation du spécialiste en médecine physique et réadaptation, selon laquelle le trouble est compatible avec des séquelles d’un fort ébranlement lors d’un violent traumatisme n’est pas suffisante pour établir – au degré de la vraisemblance prépondérante – l’existence d’un lien de causalité naturelle avec l’accident du 25.08.2011.

 

Cervicalgies

En ce qui concerne les cervicalgies, la cour cantonale a nié l’existence d’un substrat organique objectivable en se fondant sur les conclusions des médecins de la Clinique F.__ selon lesquelles l’angulation entre C5 et C6 constituait une courbure dysharmonieuse sans valeur pathologique en soi et dépourvue d’origine traumatique. En outre, se référant à la jurisprudence applicable en cas de traumatisme de type « coup du lapin » à la colonne cervicale, de traumatisme analogue à la colonne cervicale ou de traumatisme cranio-cérébral (ATF 134 V 109 consid. 10.3 p. 130; 117 V 359 consid. 6a p. 367 et 369 consid. 4b p. 383), elle a considéré que les critères jurisprudentiels déterminants n’étaient pas réalisés en l’occurrence, ou du moins pas en nombre suffisant, de sorte que l’existence d’un lien de causalité adéquate entre les troubles persistant après le 31 août 2012 et l’accident – qualifié d’accident de gravité moyenne « au maximum à la moitié de cette catégorie » – devait être niée. Pour le TF, il n’y a pas lieu de revenir sur les conclusions de la cour cantonale.

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_763/2015 consultable ici : http://bit.ly/2d4GhxS

 

 

4A_549/2015 (f) du 27.06.2016 – Responsabilité civile et essais cliniques – 54 LPTh – 6 ss aOClin / Pas de responsabilité pour risque / Interprétation d’une clause de couverture d’assurance – 18 al. 1 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_549/2015 (f) du 27.06.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2cq19uQ

 

Responsabilité civile et essais cliniques / 54 LPTh – 6 ss aOClin – 19 LRH

Pas de responsabilité pour risque

Interprétation d’une clause de couverture d’assurance / 18 al. 1 CO

 

TF

Lésé ayant subi en juin 2005 une hémicolectomie droite (ablation chirurgicale de la partie droite du côlon), après que des examens ont révélé la présence d’une tumeur maligne sur le côlon descendant. Afin de prévenir le risque de rechute, il lui a été conseillé de se soumettre à un traitement adjuvant dans le cadre d’une étude clinique dénommée « AVANT » mise en œuvre par la Fondation du Centre pluridisciplinaire d’oncologie et financée par un grand groupe pharmaceutique. Ayant accepté le 26.07.2005 d’y participer en apposant sa signature sur un document rédigé par la Fondation, le lésé, par tirage au sort, a été rattaché au groupe A FOLFOX-4. Les patients de ce groupe devaient recevoir douze doses de chimiothérapie, chacune espacée de deux semaines et composée de fluorouracil associé à la leucovorine et à l’oxaliplatine, mais pas l’anticorps bévacizumab, objet d’étude de l’essai clinique.

Entre le 03.08.2005 et le 04.01.2006, le lésé s’est vu administrer, par des médecins rattachés au Centre pluridisciplinaire d’oncologie de la Fondation, douze doses de la chimiothérapie susdécrite.

A la suite du dernier traitement chimiothérapeutique, le lésé a consulté en janvier 2006 un spécialiste FMH en neurologie. Ce praticien a écrit que le patient souffrait de polyneuropathie sensitive des membres inférieurs et des membres supérieurs, causée par un traitement à l’oxaliplatine. Ce même praticien a qualifié la neuropathie du demandeur de « sévère et invalidante, avec conséquences psychiatriques ».

 

Cadre légal pour les essais cliniques

Sous le titre « Conditions et obligation d’annoncer », l’art. 54 al. 1 de la loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux (LPTh; RS 812.21), dans sa teneur en vigueur jusqu’au 31.12.2013, disposait que, pour que des essais cliniques puissent être effectués, il faut notamment: (let. a) que les sujets de recherche aient donné leur consentement libre, exprès et éclairé, par écrit ou attesté par écrit, après avoir été informés notamment (ch. 5) sur leur droit à une compensation en cas de dommages imputables à l’essai; (let b) qu’une compensation pleine et entière des dommages subis dans le cadre de l’essai soit garantie aux sujets de recherche.

L’art. 6 al. 1 de l’Ordonnance sur les essais cliniques de produits thérapeutiques [aOClin, RO 2001 3511, ordonnance abrogée le 01.01.2014 en vertu de l’art. 69 ch. 2 de l’Ordonnance sur les essais cliniques dans le cadre de la recherche sur l’être humain (OClin; RS 810.305)], énonçait que, dans le cadre d’un essai clinique, la protection des sujets de recherche doit être garantie au sens des art. 54 à 56 de la LPTh.

L’art. 7 al. 1 aOClin disposait que le promoteur (défini à l’art. 5 let. b aOClin comme toute personne ou organisation qui assume la responsabilité du lancement, de la gestion ou du financement d’un essai clinique) répond des dommages subis par un sujet de recherche dans le cadre d’un essai clinique. L’art. 7 al. 2 aOClin prescrivait que le promoteur doit garantir cette responsabilité; à cet effet il peut conclure pour lui-même et pour l’investigateur (i. e toute personne responsable de la réalisation pratique d’un essai clinique ainsi que de la protection de la santé et du bien-être des sujets de recherche, cf. art. 5 let. c aOClin) une assurance couvrant leur responsabilité civile contractuelle et extra-contractuelle à l’endroit des sujets de recherche.

Seule une loi spéciale peut instaurer une responsabilité objective aggravée, dite aussi responsabilité à raison du risque, dès l’instant où il n’existe pas en droit suisse de clause générale de responsabilité pour risque couvrant l’ensemble des activités créant des dangers particuliers (HEINZ REY, Ausservertragliches Haftpflichtrecht, 4e éd. 2008, ch. 1247 et 1250, p. 289; FELLMANN/KOTTMANN, Schweizerisches Haftpflichtrecht, 2012, vol. 1, ch. 22, p. 8-9; FRANZ WERRO, La responsabilité civile, 2e éd. 2011, ch. 31 p. 14).

Le Message du 01.03.1999 concernant une loi fédérale sur les médicaments et les dispositifs médicaux (FF 1999 3151, spéc. 3230-3231) ne précise nullement que l’art. 54 LPTh instaure une responsabilité objective aggravée. Quant à l’art. 7 al. 2 aOClin, il est significatif qu’il fait allusion à la possibilité pour le promoteur de contracter une assurance couvrant sa responsabilité civile contractuelle et extra-contractuelle, sans spécifier à quel type de responsabilité civile (responsabilité subjective, responsabilité objective simple, responsabilité objective aggravée) il est ainsi fait allusion.

Aucune responsabilité pour risque ne découlait ainsi de l’ancien art. 54 LPTh, et encore moins de l’art. 7 aOClin, qui n’a pas de portée pratique pour la victime d’un dommage (DENIS PIOTET, Quelle obligation d’assurance pour les essais cliniques de lega lata ?, in Medizinische Forschung – Haftung und Versicherung, Zurich 2006, p. 87).

 

Interprétation d’une clause de couverture d’assurance – 18 al. 1 CO

Une clause relative à la couverture d’assurance était insérée dans la « Notice d’information destinée au patient », à laquelle renvoie le document signé le 26.07.2005 par le lésé, intitulé « Participation à une étude clinique: déclaration écrite de consentement du patient ».

Cette clause a la teneur suivante: « En cas de dommages subis dans le cadre de l’étude, vous bénéficierez d’une compensation pleine et entière. En vue de couvrir ces dommages, le promoteur a conclu une assurance. Votre médecin entreprendra le cas échéant, toutes les démarches nécessaires ».

Lorsqu’il est amené à qualifier ou interpréter un contrat, le juge doit tout d’abord s’efforcer de déterminer la commune et réelle intention des parties (art. 18 al. 1 CO).

Par l’interprétation selon la théorie de la confiance, le juge recherche comment une manifestation de volonté pouvait être comprise de bonne foi en fonction de l’ensemble des circonstances (ATF 140 III 134 consid. 3.2 p. 138 s.; 138 III 29 consid. 2.2.3 p. 35 s.; 135 III 295 consid. 5.2 p. 302). Cette interprétation dite objective s’effectue non seulement d’après le texte et le contexte des déclarations, mais également sur le vu des circonstances qui les ont précédées et accompagnées (ATF 131 III 377 consid. 4.2.1; 119 II 449 consid. 3a), à l’exclusion des circonstances postérieures (ATF 132 III 626 consid. 3.1).

A la lecture de ces documents, la restriction « dans le cadre de l’étude » ne pouvait pas raisonnablement signifier pour le lésé que l’obligation d’indemnisation assumée par la Fondation du Centre pluridisciplinaire d’oncologie se rapportait à toutes les réactions et intolérances qu’il pourrait présenter lors de sa participation à l’étude, même si elles résultaient de l’administration du traitement standard. Il devait comprendre de bonne foi que n’étaient couverts que les dommages qui pourraient survenir spécifiquement en raison de l’injection (en complément au traitement standard et au traitement capécitabine/oxaliplatine) de la substance étudiée, soit le bévacizumab. D’un point de vue objectif, il n’est pas possible d’admettre que la Fondation du Centre pluridisciplinaire d’oncologie s’est obligée à indemniser les dommages qui n’auraient aucun rapport avec l’introduction dans l’organisme du patient de l’anticorps objet de l’étude, tels ceux qu’aurait pu provoquer n’importe quelle atteinte à la santé subie par ce dernier tout au long de l’essai clinique, lequel s’est étendu sur plusieurs mois. Une obligation d’indemniser si large aurait dû être détaillée et formulée avec des termes précis.

Depuis le 01.01.2014, l’art. 19 de la loi fédérale relative à la recherche sur l’être humain (LRH; RS 810.30) a d’ailleurs institué de manière impérative une responsabilité causale très stricte, c’est-à-dire une responsabilité objective aggravée, pour les dommages subis par les participants à un projet de recherche, mais pour autant qu’ils soient « en relation avec le projet ». Selon le Message du 21.10.2009 sur la loi fédérale relative à la recherche sur l’être humain (FF 2009 7259, spéc. 7324), ces termes signifient que la responsabilité s’étend à l’ensemble des dommages ayant un lien causal adéquat avec la participation au projet de recherche. L’art. 10 al. 2 let. a OClin prévoit ainsi qu’est libéré de la responsabilité instaurée par l’art. 19 LRH celui qui prouve tout à la fois que le dommage ne dépasse pas l’ampleur qui est à prévoir en fonction de l’état de la science et qu’un dommage équivalent aurait également pu survenir si la personne lésée avait subi la thérapie utilisée habituellement pour le traitement de sa maladie.

Ces normes n’étaient certes pas en vigueur lors des faits litigieux. Mais, on cherche vainement les raisons pour lesquelles la Fondation du Centre pluridisciplinaire d’oncologie en juillet 2005 aurait voulu s’engager par la clause incriminée à indemniser le participant à l’étude plus largement que ce qui est prévu par le régime légal actuel dans le cadre d’une responsabilité objective aggravée.

En conclusion, sur la base des documents contractuels, le lésé devait comprendre de bonne foi que la Fondation du Centre pluridisciplinaire d’oncologie n’assumait une responsabilité objective simple que pour les dommages qui seraient rattachés à l’administration de l’anticorps bévacizumab.

Pour les autres dommages, tels ceux provoqués par le traitement conventionnel – que le lésé a reçu de par son rattachement au groupe A de l’étude -, seule la responsabilité contractuelle pour faute de la Fondation du Centre pluridisciplinaire d’oncologie, fondée sur l’art. 97 al. 1 CO, est susceptible d’entrer en ligne de compte.

 

Le TF rejette le recours du lésé.

 

 

Arrêt 4A_549/2015 consultable ici : http://bit.ly/2cq19uQ

 

 

8C_86/2016 (d) du 06.07.2016 – proposé à la publication – Coordination assurance-chômage et assurance-invalidité

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_86/2016 (d) du 06.07.2016, proposé à la publication

 

Consultable ici : http://bit.ly/2cvQbUF

Résumé fait par Getrud Bollier, in Assurance Sociale Actualités 20/16

 

Règle de présomption d’aptitude au placement et d’obligation de prestation préalable de l’assurance-chômage / 40b OACI

 

Limites de l’obligation de prestation préalable de l’AC vis-à-vis de l’AI

La règle de présomption d’aptitude au placement et d’obligation de prestation préalable de l’assurance-chômage (art. 40b OACI) ne s’applique pas sans conditions malgré le dépôt d’une demande AI.

L’assurance-chômage n’est soumise à une obligation de prestation préalable que si une personne handicapée inscrite auprès de l’AI ou d’une autre assurance sociale pour percevoir des prestations est disposée et en mesure d’accepter un travail raisonnablement exigible représentant au minimum 20% d’une activité à plein temps. Si des indemnités journalières de maladie et autres prestations analogues de l’assureur LAA sont encore versées, ces indemnités passent en premier et sont éventuellement complétées en conséquence par l’AC.

 

Obligation de prestation préalable uniquement à hauteur de la capacité de gain résiduelle

Selon l’arrêt du Tribunal fédéral (ATF 8C_86/2016), une adaptation du gain assuré en fonction du degré d’invalidité doit avoir lieu dès la date du préavis de l’AI. L’obligation de prestation préalable est donc supprimée dans la mesure du degré d’invalidité et ne se limite plus qu’à hauteur de la capacité de gain résiduelle après adaptation du gain assuré selon l’art. 40b OACI. L’obligation de prestation préalable pour la capacité de gain résiduelle dure toutefois en principe jusqu’à la décision définitive (entrée en force) de l’assurance-invalidité.

Si l’assuré est informé qu’une rente AI complète lui sera octroyée, on peut supposer qu’il ne soulèvera pas d’objections à l’encontre de cette décision. Dans ce cas, l’inaptitude au placement est déjà manifeste au moment du préavis et l’obligation de prestation préalable prend fin indépendamment du fait que la décision de l’AI soit entrée en force.

 

L’incapacité de travail interrompt l’obligation de prestation préalable

Pour la période passagère d’une incapacité de travail à 100% certifiée par un médecin et incontestée, l’obligation de prestation préalable de l’AC est interrompue. Durant cette période, il y a inaptitude manifeste au placement. La disposition de coordination de l’art. 28 al. 1 LACI s’applique néanmoins durant la période de l’incapacité passagère de travail à 100%: l’assuré perçoit encore des indemnités de chômage pendant une durée maximum de 30 jours.

Un assuré qui se considère lui-même comme étant incapable de travailler et ne recherche pas ni n’accepte un emploi présente une inaptitude manifeste au placement. Dans ce cas, il n’y a pas obligation de prestation préalable.

 

 

Arrêt 8C_86/2016 consultable ici : http://bit.ly/2cvQbUF

 

 

6B_1102/2015 (f) du 20.07.2016 – Violation grave des règles de la circulation routière – 90 al. 2 LCR / Notion de course officielle urgente – 100 ch. 4 LCR / Motif justificatif général de l’acte licite – 14 CP / Erreur sur l’illicéité – 21 CP

Arrêt du Tribunal fédéral 6B_1102/2015 (f) du 27.04.2015

 

Consultable ici : http://bit.ly/2dcoB1s

 

Violation grave des règles de la circulation routière – 90 al. 2 LCR

Notion de course officielle urgente – 100 ch. 4 LCR

Motif justificatif général de l’acte licite – 14 CP

Erreur sur l’illicéité – 21 CP

 

TF

Le 20.12.2011 à 13h50, à Genève, l’inspecteur X.__ a circulé au volant d’un véhicule de service de la police, le feu bleu enclenché sur le toit, sur le quai Gustave-Ador en direction de la ville, à une vitesse de 105 km/h alors que la vitesse maximale autorisée sur ce tronçon était de 50 km/h, représentant un dépassement de 49 km/h (marge de sécurité de 6 km/h déduite). Le quai Gustave-Ador comporte deux voies de circulation dans chaque sens. La route est traversée par un passage pour piétons à la hauteur de l’infraction.

Le jour des faits, la circulation était fluide, le temps était couvert et la chaussée mouillée.

Le jour des faits en fin de matinée, l’inspecteur chef de section à l’Inspection Générale des Services, A.__ a appelé X.__ pour lui dire qu’il devait joindre d’urgence l’une de ses collègues, l’inspectrice B.__, car le père de cette dernière, lui-même ancien policier, venait d’avoir un grave accident de la route et avait été victime de deux arrêts cardiaques depuis l’accident; son pronostic vital était fortement engagé. Après avoir vainement tenté d’atteindre B.__ ainsi que ses proches par téléphone puis s’être rendu au domicile de l’intéressée avec l’accord de A.__, X.__ a finalement réussi à entrer en communication avec elle, alors qu’elle se trouvait dans un magasin à Vésenaz. Il lui a expliqué la situation. A sa demande, elle lui a promis de ne pas conduire son véhicule pour se rendre à l’hôpital au chevet de son père. X.__ a ensuite contacté A.__, a convenu avec lui que B.__ ne devait pas prendre le volant dans cet état et lui a proposé de se charger du trajet de Vésenaz à l’hôpital, ce que A.__ a autorisé. X.__ a indiqué à son supérieur qu’il ferait cette course en urgence, ce à quoi A.__ lui a répondu  » ok, fais-la rapidement mais ne te mets pas sur le toit « .

 

X.__ était convaincu que l’ordre qu’il avait reçu de son supérieur hiérarchique couvrait l’entier du trajet à effectuer. Il se croyait ainsi en droit de commettre l’excès de vitesse litigieux.

 

TF

Notion de course officielle urgente – art. 100 ch. 4 LCR

Sont réputées urgentes les courses qui, dans les cas graves, ont lieu pour permettre au service du feu, au service de santé ou à la police d’intervenir aussi rapidement que possible, afin de sauver des vies humaines, d’écarter un danger pour la sécurité ou l’ordre public, de préserver des choses de valeur importante ou de poursuivre des fugitifs. La notion d’urgence doit être comprise dans le sens étroit. Ce qui est déterminant, c’est la mise en danger de biens juridiquement protégés, dont les dommages peuvent être considérablement aggravés par une petite perte de temps (sur la notion de course urgente, cf. arrêts 6B_1006/2013 du 25 septembre 2014 consid. 3.4; 6B_689/2012 du 3 avril 2013 consid. 2.1; 6B_288/2009 du 13 août 2009 consid. 3; 6B_20/2009 du 14 avril 2009 consid. 4; cf. également Notice d’utilisation des feux bleus et des avertisseurs à deux sons alternés du 6 juin 2005, annexée aux Instructions concernant l’équipement des véhicules de feux bleus et d’avertisseurs à deux sons alternés émises par le Département fédéral de l’Environnement, des Transports, de l’Energie et de la Communication [ci-après: Notice du DETEC], ch. 1). Pour apprécier le degré d’urgence, les conducteurs de véhicules et les chefs des services d’intervention doivent ou peuvent se fonder sur la situation telle qu’elle se présente à eux au moment de l’intervention. Les conditions du trafic doivent être telles qu’on risque d’être considérablement retardé dans l’intervention si l’on ne déroge pas aux règles de circulation ou si l’on ne fait pas usage du droit spécial de priorité (Notice du DETEC ch. 1).

L’Ordre de service de la police genevoise du 13 mai 1963, mis à jour le 5 juin 2009, sur la conduite en urgence prévoit que la notion d’urgence doit être comprise dans son sens le plus strict (ch. 3.1) et qu’elle est réalisée pour sauver des vies humaines, écarter un danger pour la sécurité ou l’ordre public, préserver des choses de valeur importante et poursuivre des fugitifs (ch. 3.2). Les termes  » observer la prudence qu’imposent les circonstances  » de l’art. 100 ch. 4 LCR doivent être pris au sens strict, eu égard plus particulièrement à la vitesse. Le conducteur est responsable de tous les actes qu’il commet tandis que la responsabilité de celui qui ordonne la course urgente est engagée (ch. 7).

A titre d’exemple, le Tribunal fédéral a nié à plusieurs reprises le caractère urgent de courses effectuées par des policiers poursuivant, à vitesse excessive, un automobiliste qui avait précédemment commis des infractions, sans être en fuite, dans le but de l’identifier et de l’arrêter (arrêts 6B_1006/2013 du 25 septembre 2014 consid. 3.4; 6B_288/2009 du 13 août 2009 consid. 3; 6B_20/2009 du 14 avril 2009 consid. 4). L’urgence a également été niée dans le cas d’un policier qui a brûlé un feu rouge afin de se rendre dans un bar à la suite d’un signalement de vol alors que la présence des auteurs sur les lieux était hypothétique et que l’infraction était déjà consommée. L’arrivée de la police n’était dès lors pas apte à préserver des choses de valeur importante ou à poursuivre des fugitifs (arrêt 6B_689/2012 du 3 avril 2013 consid. 2.3).

Il est établi que la vitesse déployée entre le lieu de prise en charge de l’intéressée et l’hôpital où se trouvait son père avait pour but de permettre à la première d’être au chevet du second le plus rapidement possible. Quand bien même la démarche de l’intimé était altruiste et s’inscrivait dans des circonstances humaines difficiles, il y a lieu de considérer que le but poursuivi ne correspond à aucun des quatre cas de figures couverts par la notion de course officielle urgente au sens de l’art. 100 ch. 4 LCR. La course en question ne permettait pas de sauver des vies humaines, ni d’écarter un danger pour la sécurité ou l’ordre public puisque l’éventuel danger résultant de la conduite de B.__ n’existait plus une fois qu’elle était prise en charge.

Sans remettre en cause l’importance d’un contact entre un père victime d’un accident grave et sa fille, on ne saurait considérer que cette course menée en urgence était justifiée pour préserver des choses de valeur importante, vu l’interprétation restrictive qui doit être faite des motifs justifiant de telles courses. Cela reviendrait à admettre que la police pourrait conduire d’urgence tous les proches d’une victime d’accident ou d’une personne en fin de vie à leur chevet, en violation des règles élémentaires de la circulation routière.

 

Motif justificatif général de l’acte licite – art. 14 CP

Lorsque l’urgence au sens de l’art. 100 ch. 4 LCR est niée, le prévenu peut encore se prévaloir du motif justificatif général de l’acte licite au sens de l’art. 14 CP. L’agent de police qui commet une infraction dans le cadre de l’accomplissement de ses fonctions peut faire valoir cette disposition s’il a agi dans le respect du principe de la proportionnalité (sur la question, cf. ATF 141 IV 417 consid. 3.2 p. 422 s.; arrêts 6B_689/2012 du 3 avril 2013 consid. 2.4; 6B_288/2009 du 13 août 2009 consid. 3.3 et 3.5 et 6B_20/2009 du 14 avril 2009 consid. 4.1 et 4.4.2). En l’espèce, aucune disposition n’autorise le comportement en question.

En l’espèce, il est admis et non contesté que l’intimé se croyait en droit de commettre l’excès de vitesse reproché en vertu du motif justificatif prévu par l’art. 100 ch. 4 LCR. Il était ainsi dans l’erreur au sens de l’art. 21 CP. La question litigieuse est de savoir si cette erreur sur l’illicéité était ou non évitable.

 

Erreur sur l’illicéité – art. 21 CP

Pour qu’il y ait erreur sur l’illicéité, il faut que l’auteur ne sache ni ne puisse savoir que son comportement est illicite (ATF 138 IV 13 consid. 8.2 p. 27). L’auteur doit agir alors qu’il se croyait en droit de le faire (cf. ATF 129 IV 238 consid. 3.1 p. 241). Il pense, à tort, que l’acte concret qu’il commet est conforme au droit. Déterminer ce que l’auteur d’une infraction a su, cru ou voulu et, en particulier, l’existence d’une erreur relève de l’établissement des faits (ATF 135 IV 152 consid. 2.3.2 p. 156).

Les conséquences pénales d’une erreur sur l’illicéité dépendent de son caractère évitable ou inévitable. L’auteur qui commet une erreur inévitable est non coupable et doit être acquitté (art. 21, 1ère phrase, CP). Tel est le cas s’il a des raisons suffisantes de se croire en droit d’agir (ATF 128 IV 201 consid. 2 p. 210). Une raison de se croire en droit d’agir est  » suffisante  » lorsqu’aucun reproche ne peut lui être adressé parce que son erreur provient de circonstances qui auraient pu induire en erreur tout homme consciencieux (ATF 98 IV 293 consid. 4a p. 303; cf. FF 1999 p. 1814). En revanche, celui dont l’erreur sur l’illicéité est évitable commet une faute, mais sa culpabilité est diminuée. Il restera punissable, mais verra sa peine obligatoirement atténuée (art. 21, 2ème phrase, CP; FF 1999 1814). L’erreur sera notamment considérée comme évitable lorsque l’auteur avait ou aurait dû avoir des doutes quant à l’illicéité de son comportement (ATF 121 IV 109 consid. 5 p. 126) ou s’il a négligé de s’informer suffisamment alors qu’il savait qu’une réglementation juridique existait (ATF 120 IV 208 consid. 5b p. 215). Savoir si une erreur était évitable ou non est une question de droit (cf. ATF 75 IV 150 consid. 3 p. 152 s.). La réglementation relative à l’erreur sur l’illicéité repose sur l’idée que le justiciable doit faire tout son possible pour connaître la loi et que son ignorance ne le protège que dans des cas exceptionnels (ATF 129 IV 238 consid. 3.1 p. 241; arrêt 6B_526/2014 du 2 février 2015 consid. 2). Toutefois, la possibilité théorique d’apprécier correctement la situation ne suffit pas à exclure l’application de l’art. 21, 1ère phrase, CP. Ce qui est déterminant c’est de savoir si l’erreur de l’auteur peut lui être reprochée (ATF 116 IV 56 consid. II.3a p. 67 s.; arrêt 6S.134/2000 du 5 mai 2000 consid. 3.b.aa).

Le caractère évitable de l’erreur doit être examiné en tenant compte tant des circonstances personnelles de l’auteur, telles que son degré de socialisation ou d’intégration (cf. arrêt 6S.46/2002 du 24 mai 2002 consid. 4a; cf. ATF 106 IV 314 consid. 3 p. 319 s.; 104 IV 217 consid. 2 p. 218 s.) que des circonstances matérielles qui ont pu induire l’auteur en erreur (ATF 98 IV 279 consid. 2a p. 287 s., instructions erronées données à un chauffeur de bus par ses supérieurs, par écrit et arrêtées en accord avec le chef de la circulation de la police municipale; ATF 98 IV 293 consid. 4a p. 303).

Le cas d’espèce s’écarte à plusieurs égards de l’affaire traitée dans l’arrêt publié aux ATF 116 IV 56. Dans ce dernier arrêt, l’intéressée (docteure en droit) mise au bénéfice de l’erreur s’était conformée à un ordre donné par une Conseillère fédérale qui lui inspirait, de par sa personnalité et sa situation de première femme au Conseil fédéral, une véritable vénération et un dévouement total. Il n’était pas évident pour elle, au moment de la violation de son secret de fonction, qu’il y avait quelque chose qu’un Conseiller fédéral n’était pas autorisé à faire. L’autorisation d’agir de manière contraire au droit émanant d’une telle personne avait ainsi, aux yeux de l’intéressée, le plus grand poids (ATF 116 IV 56 consid. II.3.a p. 68 s.). Des circonstances analogues ne ressortent pas de l’arrêt entrepris. En particulier, c’est par l’initiative de l’intimé et non sur ordre de son supérieur que la prise en charge de B.__ a été décidée, ce qui n’est pas contesté sous l’angle de l’arbitraire (cf. art. 97 al. 1 et 106 al. 2 LTF). Ensuite, A.__ a donné l’autorisation de se rendre  » rapidement  » à l’hôpital,  » mais sans se mettre sur le toit « . Dans ces circonstances, admettre que l’erreur était inévitable, reviendrait à donner un blanc-seing à tout policier auquel un supérieur hiérarchique autorise d’agir rapidement, ainsi que le relève le Ministère public.

 

Le TF accepte le recours du Ministère public, l’arrêt entrepris annulé et la cause renvoyée à la cour cantonale.

 

 

Arrêt 6B_1102/2015 consultable ici : http://bit.ly/2dcoB1s

 

 

4A_122/2016 (f) du 04.07.2016 – Perte de soutien – 45 al. 3 CO / Défunt français – survivants français résidant en France – LDIP / Revenu hypothétique d’un lésé à la recherche d’un emploi d’agent commercial

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_122/2016 (f) du 04.07.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2cHDPK5

 

Perte de soutien / 45 CO

Défunt français – survivants français résidant en France / LDIP

Revenu hypothétique d’un lésé à la recherche d’un emploi d’agent commercial

 

Le 26.02.2007, M.__ circulait en automobile sur le quai de Cologny entre Genève et Vésenaz. Il s’est déporté sur la partie gauche de la chaussée et il y a percuté la voiture de K.__, lequel approchait en sens inverse. L’accident a causé le décès de ce conducteur-ci.

L’assureur responsabilité civile de M.__ a versé 120’000 fr. aux survivants du défunt, soit à son épouse, à ses deux enfants, et à ses père et mère, tous français résidant en France.

Le défunt, né en 1968, a obtenu deux diplômes dans le domaine des assurances et a travaillé dès 1992 au service de la compagnie des Assurances U.__ à Thonon-les-Bains. Le 01.10.2002, succédant à son père, il est devenu agent général de la compagnie à Thonon-les-Bains. De cette activité, il a retiré des revenus de 128’572, 131’169 et 62’158 euros pendant les années 2003, 2004 et 2005. Il fut contraint de démissionner à la fin de cette dernière année parce qu’une inspection comptable avait révélé que son agence était débitrice d’un montant important envers la compagnie d’assurances et que les charges sociales n’étaient acquittées qu’avec retard. La compagnie l’a réengagé en qualité de collaborateur à Thonon-les-Bains dès le 01.01.2006; son salaire mensuel brut était fixé à 3’250 euros. Souffrant de dépression, il a rapidement cessé de travailler et il a quitté son emploi. A l’époque de l’accident, il consommait encore des médicaments antidépresseurs. Il cherchait un emploi d’agent commercial. Il était en contact avec deux employeurs susceptibles de l’engager à moyen terme ; il avait refusé un poste qu’il jugeait excessivement éloigné du domicile familial.

Dès février 2006, des difficultés conjugales liées à sa situation professionnelle et à son état dépressif ont entraîné la séparation du couple. L’époux et père a quitté le domicile familial ; il y est retourné pour les fins de semaine. Depuis la séparation, il versait mensuellement entre 1’400 et 1’500 euros pour l’entretien de la famille.

 

TF

Les demandeurs sont tous français et résident en France; il est néanmoins incontesté que leurs prétentions sont soumises au droit suisse du lieu de l’accident, désigné par l’art. 134 de la loi fédérale sur le droit international privé (LDIP) et l’art. 3 de la convention de La Haye du 4 mai 1971 sur la loi applicable en matière d’accidents de la circulation routière (RS 0.741.31).

En vertu de l’art. 45 al. 3 CO, les personnes privées de leur soutien par suite de la mort d’une autre personne ont droit à la réparation de cette perte.

Selon l’art. 42 al. 1 CO, la preuve du dommage incombe à la partie qui prétend à réparation. La constatation du dommage ressortit en principe au juge du fait; saisi d’un recours, le Tribunal fédéral n’intervient que si la juridiction cantonale a méconnu la notion juridique du dommage ou si elle a violé les principes juridiques à appliquer dans le calcul (ATF 128 III 22 consid. 2e p. 26; 126 III 388 consid. 8a p. 389; voir aussi ATF 132 III 359 consid. 4 p. 366).

Le montant hypothétique que le défunt aurait régulièrement consacré à l’entretien de ses survivants doit être estimé individuellement pour chacun d’eux, d’après leur situation au jour du décès, et capitalisé à cette date. La perte de soutien se calcule de manière exclusivement « abstraite » en ce sens qu’il n’est opéré aucune distinction entre le dommage que le décès a effectivement causé jusqu’au jugement, d’une part, et celui à prévoir après le jugement, d’autre part. Cette distinction est pratiquée dans l’application de l’art. 46 CO, en cas d’incapacité de travail consécutive à des lésions corporelles, parce que les risques de décès et d’invalidité du lésé ne grèvent que l’avenir (ATF 119 II 361 consid. 5b p. 366).

La perte de soutien dépend notamment du revenu hypothétique que le défunt se serait procuré sans l’accident ; il s’ensuit que ce revenu doit lui aussi être estimé. Les principes qui régissent l’estimation d’un revenu hypothétique ne sauraient différer selon que la victime de l’accident est décédée ou que, devenue invalide, elle est désormais incapable de travailler; la jurisprudence concernant l’incapacité de travail est donc transposable. Ainsi, le revenu hypothétique doit être autant que possible établi de manière concrète, sur la base du revenu effectivement obtenu avant l’accident (ATF 131 III 360 consid. 5.1 p. 363). La capitalisation au taux de 3½% compense correctement le renchérissement futur (ATF 125 III 312 consid. 5a p. 317 et consid. 7 p. 321) ; une progression future du revenu réel ne doit être prise en considération que si elle apparaît concrètement prévisible au regard de la profession de la victime et des circonstances particulières de son cas (ATF 132 III 321 consid. 3.7.2.1 et 3.7.2.2 p. 337; arrêt 4A_543/2015 du 14 mars 2016, consid. 6). Cela ne contredit d’ailleurs pas la jurisprudence plus ancienne (ATF 101 II 346 consid. 3b p. 351) relative à l’estimation du revenu hypothétique dans le cadre de l’art. 45 al. 3 CO. Contrairement aux considérants de la Cour de justice, il n’est donc pas question d’une estimation « abstraite » du revenu hypothétique.

K.__ était sans emploi et encore atteint dans sa santé. L’engagement le plus récemment obtenu, d’une compagnie d’assurances qui le connaissait depuis de nombreuses années et pouvait apprécier son potentiel, ne lui apportait qu’un salaire mensuel brut de 3’250 euros. Il n’a jamais travaillé au service d’un autre employeur. Il n’a que brièvement occupé la position d’agent général indépendant, comportant des responsabilités élevées, et il y a échoué. A l’époque de l’accident, en dépit de ses qualités et aptitudes dont plusieurs témoins ont fait état, il se trouvait dans la difficile situation de devoir recommencer une carrière, à l’âge de trente-huit ans et après un grave insuccès. Les autorités précédentes ont estimé un revenu hypothétique mensuel net de 6’500 euros – excédant le double du salaire le plus récemment obtenu – qui est dépourvu de toute relation raisonnable avec cette situation économique et professionnelle. L’assurance RC est ici fondée à dénoncer une application incorrecte de l’art. 45 al. 3 CO.

Compte tenu que le défunt se trouvait en recherche d’emploi, il faut apprécier en équité le salaire qu’il pouvait raisonnablement espérer dans un proche avenir. L’assurance RC propose 3’250 euros par mois ou 39’000 euros par année, montants nets de charge s sociales. Il n’est pas constaté et il n’y a pas lieu de présumer que le salaire mensuel brut de 3’250 euros fût exigible treize fois par année. Le revenu ainsi proposé par l’assurance RC équivaut au salaire le plus récemment obtenu ; il ne paraît en tous cas pas sous-estimé et il sera donc admis.

 

Le TF accepte le recours de l’assurance RC.

 

 

Arrêt 4A_122/2016 consultable ici : http://bit.ly/2cHDPK5

 

 

9C_55/2016 (f) du 14.07.2016 – Invalidité – facteurs psychosociaux ou socioculturels et atteinte psychique / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_55/2016 (f) du 14.07.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2cLZAKN

 

Invalidité – facteurs psychosociaux ou socioculturels et atteinte psychique / 16 LPGA

 

TF

Selon la jurisprudence, les facteurs psychosociaux ou socioculturels ne figurent pas au nombre des atteintes à la santé susceptibles d’entraîner une incapacité de gain au sens de la loi. Pour qu’une invalidité soit reconnue, il est nécessaire, dans chaque cas, qu’un substrat médical pertinent, entravant la capacité de travail (et de gain) de manière importante, soit mis en évidence par le médecin spécialisé. Plus les facteurs psychosociaux et socioculturels apparaissent au premier plan et imprègnent l’anamnèse, plus il est essentiel que le diagnostic médical précise s’il y a atteinte à la santé psychique qui équivaut à une maladie.

Ainsi, il ne suffit pas que le tableau clinique soit constitué d’atteintes qui relèvent de facteurs socioculturels; il faut au contraire que le tableau clinique comporte d’autres éléments pertinents au plan psychiatrique tels, par exemple, une dépression durable au sens médical ou un état psychique assimilable, et non une simple humeur dépressive. Une telle atteinte psychique, qui doit être distinguée des facteurs socioculturels, et qui doit de manière autonome influencer la capacité de travail, est nécessaire en définitive pour que l’on puisse parler d’invalidité. En revanche, là où l’expert ne relève pour l’essentiel que des éléments qui trouvent leur explication et leur source dans le champ socioculturel ou psychosocial, il n’y a pas d’atteinte à la santé à caractère invalidant (ATF 127 V 294 consid. 5a p. 299).

Il est vrai que le Tribunal fédéral fait généralement preuve de réserve avant de reconnaître le caractère invalidant d’un trouble de la lignée dépressive. Il a notamment précisé récemment que les troubles légers et moyens de la lignée dépressive, qu’ils soient récurrents ou épisodiques, ne peuvent être considérés comme des atteintes à la santé à caractère invalidant que dans les situations où ils se révèlent résistants aux traitements pratiqués, soit lorsque l’ensemble des thérapies (ambulatoires et stationnaires) médicalement indiquées et réalisées selon les règles de l’art, avec une coopération optimale de l’assuré, ont échoué. Ce n’est que dans cette hypothèse – rare, car il est admis que les dépressions sont en règle générale accessibles à un traitement – qu’il est possible de procéder à une appréciation de l’exigibilité sur une base objectivée, conformément aux exigences normatives fixées à l’art. 7 al. 2, 2e phrase, LPGA (ATF 140 V 193 consid. 3.3 p. 197 et les références; voir également arrêts 9C_146/2015 du 19 janvier 2016 consid. 3.2 et 9C_13/2016 du 14 avril 2016 consid. 4.2).

Cette jurisprudence a pour corollaire qu’une évaluation médicale portant sur le caractère invalidant de troubles de la lignée dépressive doit reposer non seulement sur un diagnostic constaté selon les règles de l’art, mais également sur une description précise du processus thérapeutique (y compris le traitement pharmacologique) et sur une évaluation détaillée de l’influence d’éventuels facteurs psychosociaux et socioculturels sur l’évolution et l’appréciation du tableau clinique.

Dans le cas d’espèce

Sur le plan assécurologique, le cas d’espèce présente une certaine complexité, dans la mesure où il existe chez l’assurée une intrication de problèmes de nature psychique et de problèmes qui ont pour origine le contexte socioéconomique dans lequel elle évolue.

Il n’est pas contestable qu’un contexte socioéconomique défavorable constitue un terrain favorable à la survenance et à la persistance de troubles de la lignée dépressive. Exclure le caractère invalidant de tels troubles au seul motif de l’existence dans l’anamnèse de facteurs psychosociaux ou socioculturels revient en définitive à établir le droit aux prestations non pas au regard de la gravité objective de l’atteinte à la santé et de ses effets sur la capacité de travail et de gain, mais uniquement sur la base de critères anamnestiques. Lorsque des facteurs psychosociaux ou socioculturels sont au premier plan dans l’anamnèse, la jurisprudence a au contraire souligné toute l’importance que revêtait l’évaluation médicale pour apprécier la situation.

La lecture du jugement attaqué laisse apparaître que la juridiction cantonale a avant tout porté son attention sur les facteurs socioéconomiques imprégnant l’anamnèse plutôt que de procéder à une appréciation consciencieuse des différents points de vue médicaux versés à la procédure. L’examen auquel a procédé la juridiction cantonale a mis en arrière-plan la problématique médicale. La juridiction cantonale s’est-elle autorisée à relativiser les observations de la doctoresse D.__ (« l’assurée montrerait toutefois plus des signes d’anxiété que de véritables signes d’une maladie grave, ceci dans un contexte de victimisation et de dramatisation »), alors même qu’il n’appartient pas au juge de se livrer à des conjectures qui relèvent strictement de la science médicale (voir arrêt 9C_573/2009 du 16 décembre 2009 consid. 2.3).

Compte tenu des avis médicaux divergents en présence, la juridiction cantonale ne pouvait faire l’économie d’une mesure d’instruction complémentaire avant de statuer.

 

Le TF accepte le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 9C_55/2016 consultable ici : http://bit.ly/2cLZAKN

 

 

9C_80/2016 (f) du 10.08.2016 – Notion de capacité de travail – 6 LPGA / Juges s’écartant des conclusions de l’expert sur la capacité de travail ne constitue pas une violation du droit fédéral

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_80/2016 (f) du 10.08.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2c31dke

 

Notion de capacité de travail / 6 LPGA

Juges s’écartant des conclusions de l’expert sur la capacité de travail ne constitue pas une violation du droit fédéral

 

TF

Il existe des constellations dans lesquelles l’autorité chargée de l’application du droit peut s’écarter de l’estimation de la capacité de travail réalisée dans le cadre d’une expertise judiciaire, sans pour autant que celle-ci perde sa valeur probante ; la notion de capacité de travail (art. 6 LPGA) est une notion de droit indéterminée sur laquelle il n’appartient pas au médecin de se déterminer de manière définitive (arrêt 9C_10/2014 du 20 août 2014 consid. 7 et les références). Dans le cadre de la libre appréciation des preuves dont ils disposent, l’administration et le juge ne sauraient en effet ni ignorer les constatations de fait des médecins, ni faire leurs les estimations et conclusions médicales relatives à la capacité (résiduelle) de travail, sans procéder à un examen préalable de leur pertinence du point de vue du droit des assurances sociales (ATF 140 V 193 consid. 3.1 p. 194 et 3.2 p. 195).

Le simple fait que les premiers juges n’ont pas entièrement suivi les conclusions de l’expert sur la capacité de travail de l’assurée, mais repris celles du psychiatre traitant, ne constitue pas une violation du droit fédéral.

 

 

Arrêt 9C_80/2016 consultable ici : http://bit.ly/2c31dke

 

 

9C_46/2016 (f) du 10.08.2016 – Assuré indépendant âgé de 55 ans – pas cas limite – Revenu d’invalide selon l’ESS / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_46/2016 (f) du 10.08.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/2cG9nR7

 

Assuré indépendant âgé de 55 ans – pas cas limite – Revenu d’invalide selon l’ESS / 16 LPGA

 

TF

Chez une personne de condition indépendante, la comparaison des résultats d’exploitation réalisés dans son entreprise avant et après la survenance de l’invalidité ne permet de tirer des conclusions valables sur la diminution de la capacité de gain due à l’invalidité que dans le cas où l’on peut exclure au degré de vraisemblance prépondérante que les résultats de l’exploitation aient été influencés par des facteurs étrangers à l’invalidité. En effet, les résultats d’exploitation d’une entreprise dépendent souvent de nombreux paramètres difficiles à apprécier, tels que la situation conjoncturelle, la concurrence, l’aide ponctuelle des membres de la famille, des personnes intéressées dans l’entreprise ou des collaborateurs. Généralement, les documents comptables ne permettent pas, en pareils cas, de distinguer la part du revenu qu’il faut attribuer à ces facteurs – étrangers à l’invalidité – et celle qui revient à la propre prestation de travail de l’assuré (cf. arrêt 9C_44/2011 du 1 er septembre 2011 consid. 3.3 et les références).

Lorsque l’activité exercée par un assuré de condition indépendante au sein de l’entreprise après la survenance de l’atteinte à la santé ne met pas pleinement en valeur sa capacité de travail résiduelle, l’assuré peut être tenu, en fonction des circonstances objectives et subjectives du cas concret, de mettre fin à son activité indépendante au profit d’une activité salariée plus lucrative (voir la jurisprudence résumée dans l’arrêt 9C_578/2009 du 29 décembre 2009 consid. 4, in SVR 2010 IV n° 37 p. 115).

En l’espèce, l’assuré était âgé de près de 55 ans lors du prononcé de la décision administrative. A dix ans de l’âge donnant droit à la rente de vieillesse de l’AVS, il ne s’agissait donc pas d’un cas limite (admis dans l’arrêt 9C_578/2009), si bien qu’un revenu d’invalide devait être pris en compte.

Le revenu d’invalide a été établi sur la base des données économiques statistiques, en application de la jurisprudence (cf. ATF 129 V 472 consid. 4.2.1 p. 475). Par l’argumentaire qu’il développe, l’assuré s’en prend à l’opportunité de la décision qu’il conteste, ce qui ne lui est d’aucun secours (voir par ex. l’arrêt 9C_83/2013 du 9 juillet 2013 consid. 5.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_46/2016 consultable ici : http://bit.ly/2cG9nR7

 

 

8C_734/2015 (f) du 18.08.2016 – destiné à la publication – Chute d’un randonneur suite à un malaise – 4 LPGA / Cause du décès naturelle vs traumatique – 6 LAA

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_734/2015 (f) du 18.08.2016, destiné à la publication

 

Consultable ici : http://bit.ly/2c2XTFK

 

Chute d’un randonneur suite à un malaise – 4 LPGA

Cause du décès naturelle vs traumatique – 6 LAA

 

Le 28.09.2012, l’assuré est parti en randonnée avec cinq amis. Après avoir fait une pause d’un quart d’heure, les randonneurs sont repartis. L’assuré occupait à ce moment-là la quatrième position dans la file. Peu après, il a dit à ses amis ne pas se sentir bien, être un peu faible et souffrant, ajoutant qu’il devrait éventuellement vomir. Il a exprimé le souhait de fermer la marche, ce à quoi les autres randonneurs ont consenti. Ensuite, deux des randonneurs ont entendu leur compagnon vomir et des pierres rouler. Ils se sont retournés et l’ont alors vu dégringoler la tête la première sans émettre le moindre son ou cri. Ils se sont alors précipités à l’endroit où il gisait, dans un champ d’éboulis, à 60 mètres en contrebas selon ces deux témoins. Ils ont tenté une réanimation et alerté la REGA vers 12h30, laquelle est intervenue sur place. La tentative de réanimation est restée vaine. L’examen médico-légal externe ordonné par le procureur en charge de la procédure pénale, a entre autre mis en évidence que l’aspect des blessures, soit principalement des éraflures et des contusions à hauteur du visage, ainsi que les rares marques de blessures aux mains, suggéraient l’absence de réaction de protection pendant la chute, donc une chute consécutive à un lourd malaise ou même à une perte de conscience. Les blessures n’apparaissaient pas dans leur ensemble si graves qu’il doive être conclu qu’elles aient causé la mort. La coloration bleu foncé très marquée de la peau, de la tête et du cou, de même qu’une accumulation distinctement visible de sang dans les veines du cou, étaient des indices de la survenance d’un événement interne aigu comme par exemple d’une défaillance cardiaque aiguë. Le médecin légiste a conclu à une cause vraisemblablement naturelle de la mort ensuite de la survenance d’un événement interne aigu, soit probablement une défaillance cardio-vasculaire.

Par décision, confirmée sur opposition, l’assureur-accidents à refuser de prendre en charge les suites de l’événement du 28.09.2012, motif pris que le décès avait vraisemblablement été causé par une insuffisance cardio-circulatoire.

 

Procédure cantonale (arrêt AA 114/13 – 89/2015  – consultable ici : http://bit.ly/2cp3EBv)

Par jugement du 01.09.2015, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Il n’existe guère de jurisprudence récente sur l’incidence d’une cause interne (pathologique) sur un événement accidentel. Dans le passé, l’ancien Tribunal fédéral des assurances a par exemple eu l’occasion de juger qu’une chute, suivie d’une fracture de la jambe, causée par la diminution intermittente de la pression sanguine, constituait un accident: dans ce cas, la chute est la cause directe et adéquate de l’atteinte à la santé (ATF 102 V 131). Il en est de même lorsque la chute a été favorisée par une fragilité osseuse (arrêt K 636 du 30 janvier 1985, in RAMA 1985 p. 183). Dans une jurisprudence encore plus ancienne, ce même tribunal a refusé d’admettre le caractère accidentel d’un décès par étouffement dû à l’aspiration de matières gastriques lors d’une crise d’épilepsie, non sans avoir souligné que l’accident lui-même et non la maladie devait être la cause du dommage (ATFA 1959 p. 165). S’agissant d’un décès survenu dans l’eau, il avait auparavant jugé qu’une défaillance ou n’importe quels troubles précédant la mort n’excluaient son caractère accidentel que s’ils constituaient la cause physiologique du décès, c’est-à-dire s’ils l’avaient provoqué même sans la submersion du corps de la victime ni la pénétration d’eau dans ses organes intérieurs. Dans cette affaire, à l’inverse du cas précédemment cité, l’existence d’un accident avait été reconnue, la mort étant survenue par submersion et non par suite de troubles circulatoires (ATFA 1945 p. 86, qui fait référence à la notion de cause essentielle).

La doctrine récente est peu diserte sur la question. Dans une thèse déjà ancienne, un auteur exprime l’avis que si une cause interne, sans engendrer elle-même une atteinte quelconque, ne fait qu’entraîner ou faciliter la survenance d’un événement accidentel qui cause ensuite une atteinte dommageable, l’existence d’un accident assuré ne saurait être niée sous le prétexte de l’intervention d’un état maladif (A. ÖZGERHAN TOLUNAY, La notion de l’accident du travail dans l’assurance-accidents obligatoire en droit suisse, allemand et français, thèse Neuchâtel 1977, p. 96). La doctrine cite à titre d’exemples d’accidents (assurés) celui d’une personne qui fait une chute et se casse une jambe à la suite d’un malaise cardio-vasculaire non mortel ou celui d’une personne qui se mord la langue au cours d’une crise d’épilepsie (voir ALFRED MAURER, Schweizerisches Unfallversicherungsrecht, 2 ème éd. 1989, p. 179; pour d’autres exemples, voir  du même auteur, Recht und Praxis der Schweizerischen obligatorischen Unfallversicherung, 1963, p. 107 ss).

De ce qui précède, on retiendra, en résumé, qu’un état maladif peut être à l’origine d’un événement accidentel (assuré) ou en favoriser la survenance. Cela suppose toutefois que l’accident comme tel apparaisse comme la cause naturelle et adéquate de l’atteinte à la santé ou du décès (dans ce sens également, MAURER, Schweizerisches Unfallversicherungsrecht, op. cit., p. 180; voir aussi à propos de l’ATFA 1945 p. 86, ALFRED BÜHLER, Der Unfallbegriff, in: Haftpflicht- und Versicherungsrechtstagung, 1995, p. 231).

Selon le Tribunal fédéral, le décès de l’assuré était dû, au degré requis de la vraisemblance prépondérante, à une cause naturelle excluant le droit à des prestations de l’assurance-accidents.

Par ailleurs, aucun élément objectif ne permet de soutenir que les lésions traumatiques auraient influé sur l’issue fatale. Au contraire, sur la base de l’examen du corps par le médecin légiste, on peut retenir que les lésions traumatiques constatées médicalement ne présentaient pas une gravité suffisante pour entraîner la mort

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 8C_734/2015 consultable ici : http://bit.ly/2c2XTFK