Arrêt du Tribunal fédéral 8C_163/2025 (f) du 15.10.2025
Remise de l’obligation de restituer les indemnités RHT indûment perçues – Bonne foi niée / 25 al. 1 LPGA – 95 al. 1 LACI
Obligation de contrôle par l’employeur de la perte de travail / 31 LACI – 46b OACI
Résumé
Une société active dans la distribution de boissons a été tenue de restituer les indemnités perçues au titre de la réduction de l’horaire de travail durant la pandémie de Covid‑19, les autorités ayant constaté l’absence d’un système de contrôle conforme des heures de travail. Le Tribunal fédéral a confirmé le rejet de la demande de remise de l’obligation de restituer, considérant que l’entreprise, informée de ses obligations, avait fait preuve d’une négligence grave excluant sa bonne foi.
Faits
La société A.__ Sàrl, inscrite au registre du commerce depuis 2002 et active dans la distribution de boissons, a obtenu de la Direction générale de l’emploi et du marché du travail du canton de Vaud (DGEM) l’octroi d’indemnités pour réduction de l’horaire de travail (RHT) entre le 16.03.2020 et le 12.09.2021, en lien avec la pandémie de Covid‑19.
À la suite d’un contrôle, le Secrétariat d’État à l’économie (SECO) a constaté diverses irrégularités et, par décision du 25 septembre 2023, a exigé la restitution de CHF 199’049.90 versés à tort pour la période de mars 2020 à mai 2021. Le SECO a relevé notamment que certaines demandes concernaient des heures de travail ou des salaires sans rapport avec ceux qui auraient dû être pris en considération, que des heures perdues avaient été revendiquées pour des jours fériés ou à l’égard de collaborateurs sous le coup d’un arrêt de travail ou d’un délai de résiliation, que des heures perdues avaient été revendiquées sans tenir compte des heures de travail effectivement réalisées, et que la société ne disposait d’aucun système de contrôle du temps de travail.
Le 27.09.2023, la société a demandé à la DGEM la remise de l’obligation de restituer, invoquant sa bonne foi et des difficultés financières graves. Par décision du 24.05.2024, la DGEM a refusé la remise, considérant que l’absence de contrôle du temps de travail et la transmission d’informations fausses ou incorrectes révélaient une négligence grave excluant la bonne foi. L’opposition formée par la société a été rejetée le 22.08.2024.
Procédure cantonale (arrêt ACH 129/24 – 19/2025 – consultable ici)
Par jugement du 06.02.2025, rejet du recours par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 3.2 [résumé]
Pour les entreprises ayant perçu des indemnités en cas de RHT, le défaut de système permettant de contrôler les horaires de travail exclut en principe la bonne foi (arrêt 8C_823/2016 du 14 juillet 2017 consid. 2; DTA 2003, p. 258 consid. 2.2 in fine; voir aussi Boris Rubin, Commentaire de la loi sur l’assurance-chômage, 2014, n° 43 ad art. 95 LACI, p. 621).
Consid. 4 [résumé]
La cour cantonale a constaté que le système de contrôle du temps de travail de la société se limitait à des tableaux Excel récapitulant les heures quotidiennes totales et les projets concernés, sans mention des heures de début et de fin de travail, des heures supplémentaires, des absences ou des heures perdues pour raisons économiques. La société, par son associé gérant président, avait d’ailleurs admis ne pas disposer d’un système ad hoc permettant un suivi complet des heures et absences, de sorte que les exigences légales relatives au contrôle du temps de travail dans le contexte de la RHT n’étaient manifestement pas remplies.
Les juges cantonaux ont relevé que la société ne pouvait invoquer l’ignorance des exigences légales ni la difficulté de s’informer pendant la pandémie, dès lors qu’elle avait reçu des instructions claires à travers les formulaires officiels, la brochure « Info-Service : Indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail » et les feuillets informatifs intitulés « Remarques importantes concernant l’indemnité en cas de réduction de l’horaire de travail ». Rien ne permettait de conclure qu’elle n’était pas en mesure d’en comprendre la portée ou de se renseigner, comme l’avaient fait d’autres entreprises.
La cour cantonale en a déduit que, en percevant des indemnités RHT sans système de contrôle continu et fiable des heures effectuées, la société avait fait preuve d’une négligence grave excluant la bonne foi au sens de l’art. 25 al. 1 LPGA. Elle n’a dès lors pas examiné la situation financière difficile alléguée par la société recourante et a confirmé la décision sur opposition.
Consid. 6.2
Selon la jurisprudence, l’obligation de contrôle par l’employeur de la perte de travail résulte de la nature même de l’indemnité en cas de RHT: du moment que le facteur déterminant est la réduction de l’horaire de travail (cf. art. 31 al. 1 LACI) et que celle-ci se mesure nécessairement en proportion des heures normalement effectuées par les travailleurs (cf. art. 32 al. 1 let. b LACI), l’entreprise doit être en mesure d’établir, de manière précise et si possible indiscutable, à l’heure près, l’ampleur de la réduction donnant lieu à l’indemnisation pour chaque assuré bénéficiaire de l’indemnité. La perte de travail pour laquelle l’assuré fait valoir ses droits est ainsi réputée suffisamment contrôlable uniquement si les heures effectives de travail peuvent être contrôlées pour chaque jour : c’est la seule façon de garantir que les heures supplémentaires qui doivent être compensées pendant la période de décompte soient prises en considération dans le calcul de la perte de travail mensuelle. À cet égard, les heures de travail ne doivent pas nécessairement être enregistrées mécaniquement ou électroniquement. Une présentation suffisamment détaillée et un relevé quotidien en temps réel des heures de travail au moment où elles sont effectivement accomplies sont toutefois exigés (arrêts 8C_789/2023 du 8 janvier 2025 consid. 6.2.2; 8C_306/2023 du 7 mars 2024 consid. 5.1.2; 8C_681/2021 du 23 février 2022 consid. 3.3). De telles données ne peuvent pas être remplacées par des documents élaborés par après. En effet, l’établissement a posteriori d’horaires de travail ou la présentation de documents signés après coup par les salariés contenant les heures de travail effectuées n’ont pas la même valeur qu’un enregistrement simultané du temps de travail et ne satisfont pas au critère d’un horaire suffisamment contrôlable au sens de l’art. 31 al. 3 let. a LACI. Cette disposition vise à garantir que les pertes d’emploi soient effectivement vérifiables à tout moment pour les organes de contrôle de l’assurance-chômage. Il s’agit d’une situation similaire à l’obligation de tenir une comptabilité commerciale (cf. art. 957 CO) (ATF 150 V 249; arrêts 8C_789/2023 précité consid. 6.2.2; 8C_699/2022 du 15 juin 2023 consid. 5.1.2; 8C_681/2021 précité consid. 3.3 et 3.4; 8C_26/2015 du 5 janvier 2016 consid. 2.3).
Malgré la crise sanitaire et les difficultés qui y étaient liées, la société recourante a été dûment informée de ses obligations de contrôle du temps de travail. D’ailleurs, elle ne le conteste pas. Il lui était en outre loisible de requérir de plus amples informations auprès de la DGEM intimée, notamment au moment où elle aurait pris conscience des entraves liées à la mise en place d’un système de contrôle. Elle ne devait du reste pas aménager un système complexe ou coûteux. Comme indiqué, les heures de travail ne doivent en effet pas nécessairement être enregistrées mécaniquement ou électroniquement ; une présentation suffisamment détaillée et un relevé quotidien en temps réel des heures de travail au moment où elles sont effectivement accomplies suffisent (arrêt 8C_699/2022 précité consid. 5.1.2 et les arrêts cités). On ne voit pas que les difficultés engendrées par la crise sanitaire aient pu faire obstacle à un simple relevé quotidien des heures de travail.
Il ressort de ces éléments que la société recourante n’avait pas instauré un système permettant un contrôle des heures effectivement accomplies par les employés ou un contrôle de ces heures. Or, de jurisprudence constante, un relevé quotidien et en temps réel des heures de travail effectivement effectuées est exigé aux fins de percevoir des indemnités en cas de RHT. Dès lors que la société avait été dûment informée de la nécessité d’un système de contrôle, son omission constitue une négligence grave qui exclut sa bonne foi. Partant, c’est à bon droit que la juridiction cantonale a confirmé le rejet de sa demande tendant à la remise de l’obligation de restituer.
Le TF rejette le recours de la société A.__ Sàrl.
Arrêt 8C_163/2025 consultable ici