8C_415/2022 (f) du 07.02.2023 – Indemnité en cas de RHT pour un cabinet dentaire – Retrait de l’autorisation de pratique du médecin-dentiste – 31 al. 1 LACI / Existence d’une perte de travail – 51 al. 1 OACI

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_415/2022 (f) du 07.02.2023

 

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Indemnité en cas de RHT pour un cabinet dentaire – Retrait de l’autorisation de pratique du médecin-dentiste / 31 al. 1 LACI

Existence d’une perte de travail / 51 al. 1 OACI

 

Le 12.04.2021, le cabinet dentaire A.__ Sàrl (ci-après également: le cabinet dentaire ou la société recourante) a déposé auprès du Service de l’emploi (ci-après: le SDE) une demande d’indemnités en cas de réduction de l’horaire de travail (RHT) à partir du 01.04.2021, pour quatre employées sur un effectif total de six personnes, en faisant valoir une perte de travail de 80%. Le cabinet dentaire a précisé qu’il ne s’agissait pas d’une perte de travail liée à la pandémie de Covid-19, mais d’une impossibilité momentanée pour le docteur B.__ – médecin-dentiste et orthodontiste et associé directeur du cabinet dentaire – de travailler, laquelle se répercutait sur ses employées, étant précisé que la recherche d’un dentiste remplaçant était en cours.

Le docteur B.__ avait été en arrêt de travail à 100% du 08.04.2021 au 17.05.2021. Le cabinet avait été fermé du 12.04.2021 au 16.04.2021, ainsi que les 22, 23, 29 et 30 avril, de même que les 6, 7, 13, 14, 20, 21, 26, 27 et 28 mai 2021.

Par décision du 01.07.2021, le SDE a rejeté la demande du 12.04.2021, au motif que la maladie d’un médecin exploitant un cabinet médical était un risque normal d’exploitation à la charge de l’entreprise et que la perte de travail en résultant n’était pas due à des facteurs économiques.

Par courriel du 30.07.2021, le cabinet dentaire a expliqué au SDE que le réel motif de demande de RHT était une décision de mesure provisoire du 09.02.2021, par laquelle la Cheffe du Département de la santé et de l’action sociale (ci-après: le DSAS) avait retiré l’autorisation de pratiquer du docteur B.__. Le cabinet dentaire a précisé que le recours formé devant la Cour de droit administratif et public (ci-après: la CDAP) contre la décision du 06.04.2021 refusant le réexamen de la décision du 09.02.2021 avait été partiellement admis par arrêt du 11.06.2021, en ce sens que la mesure de retrait provisoire de l’autorisation de pratiquer du docteur B.__ avait été annulée et que cette autorisation lui avait été restituée.

Par décision sur opposition du 14.10.2021, le SDE a rejeté l’opposition et a confirmé sa décision du 01.07.2021. Il a ajouté que le retrait de l’autorisation de pratiquer relevait de la responsabilité de l’employeur et ne remplissait pas les conditions d’une perte de travail à prendre en considération.

 

Procédure cantonale (arrêt ACH 283/21 – 87/2022 [non disponible sur le site de la Casso])

Dans son recours, le cabinet dentaire a fait valoir que le retrait de l’autorisation de pratiquer n’était pas une circonstance relevant de la responsabilité de l’employeur, dès lors que la CDAP avait annulé la décision de la cheffe du DSAS et avait dit que l’autorisation de pratiquer devait être restituée au docteur B.__. De plus, l’incapacité de travail présentée par le docteur B.__ pour la période du 08.04.2021 au 17.05.2021 était une conséquence directe de la mesure injustifiée de suspension de son autorisation de pratiquer qui l’avait plongé dans un état dépressif durant plusieurs semaines.

Le tribunal cantonal a constaté, d’une part, que le retrait provisoire de l’autorisation de pratiquer du docteur B.__ n’était pas dû à des circonstances imputables à l’employeur dès lors que cette mesure avait été annulée sur recours par la CDAP le 11.06.2021 et que, d’autre part, cette situation entraînait un risque de licenciement des assistantes travaillant pour le médecin-dentiste, faute de patientèle. Par conséquent, elle a admis l’existence d’une perte de travail au sens de l’art. 51 al. 1 OACI. La juridiction cantonale a cependant considéré que cette perte de travail n’était pas susceptible d’être indemnisée en l’occurrence, dès lors que la société recourante avait pu l’éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables; en effet, il ressortait de l’arrêt de la CDAP du 11.06.2021 que le docteur B.__ avait indiqué, lors de son audition par une délégation du Conseil de santé le 15.03.2021, avoir engagé une pédodontiste et un orthodontiste pour le remplacer. La cour cantonale a au demeurant relevé qu’un éventuel dommage lié au retrait provisoire de l’autorisation de pratiquer était susceptible de faire l’objet d’une action en responsabilité fondée sur la loi cantonale vaudoise du 16 mai 1961 sur la responsabilité de l’Etat, des communes et de leur agents (LRECA; BLV 170.11).

Par jugement du 19.05.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 2
Les travailleurs dont la durée normale du travail est réduite ou l’activité suspendue ont droit à l’indemnité en cas de RHT si, entre autres conditions, la perte de travail doit être prise en considération, si la réduction de l’horaire de travail est vraisemblablement temporaire et si l’on peut admettre qu’elle permettra de maintenir les emplois en question (art. 31 al. 1 let. b et d LACI).

La perte de travail n’est prise en considération que si elle est due à des facteurs d’ordre économique et qu’elle est inévitable (art. 32 al. 1 let. a LACI). Pour les cas de rigueur, le Conseil fédéral règle la prise en considération de pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, à des pertes de clientèle dues aux conditions météorologiques ou à d’autres circonstances non imputables à l’employeur (art. 32 al. 3, première phrase, LACI). Le Conseil fédéral a ainsi notamment prévu à l’art. 51 OACI que les pertes de travail consécutives à des mesures prises par les autorités, ou qui sont dues à d’autres motifs indépendants de la volonté de l’employeur, sont prises en considération lorsque l’employeur ne peut pas les éviter par des mesures appropriées et économiquement supportables ou faire répondre un tiers du dommage (al. 1).

Selon l’art. 33 al. 1 LACI, la perte de travail n’est pas prise en considération notamment lorsqu’elle est due à des circonstances inhérentes aux risques normaux d’exploitation que l’employeur doit assumer (let. a) ou lorsqu’elle est habituelle dans la branche, la profession ou l’entreprise (let. b). D’après la jurisprudence, les restrictions prévues à l’art. 33 al. 1 let. a et b LACI sont applicables par analogie lorsque la perte de travail est due à l’une des causes mentionnées aux art. 32 al. 3 LACI et 51 OACI (ATF 138 V 333 consid. 4.2.1; 128 V 305 consid. 4b; 121 V 374 consid. 2c).

 

Consid. 5.2
En l’espèce, on ne peut que donner raison à la juridiction cantonale lorsqu’elle constate, d’une part, que le retrait provisoire de l’autorisation de pratiquer du docteur B.__ n’était pas due à des circonstances imputables à l’employeur dès lors que cette mesure avait été annulée sur recours par la CDAP et que, d’autre part, cette situation entraînait un risque de licenciement des assistantes travaillant pour le médecin-dentiste, faute de patientèle. C’est donc à bon droit qu’elle a admis l’existence d’une perte de travail au sens de l’art. 51 al. 1 OACI. La cour des assurances sociales a cependant nié que ces pertes de travail puissent être prises en considération, en se contentant d’affirmer qu’elles étaient évitables au vu des engagements pris par le cabinet dentaire, à savoir l’engagement d’une pédodontiste et d’un orthodontiste.

Ce faisant, la juridiction cantonale n’a pas suffisamment instruit la cause quant aux effets des engagements pris par la recourante sur les pertes de travail litigieuses. Elle n’a en particulier pas examiné à partir de quelle date le cabinet dentaire avait engagé une pédodontiste et un orthodontiste, partant du principe que cette mesure couvrait toute la période durant laquelle la mesure de retrait provisoire de l’autorisation de pratiquer était en vigueur, soit du 06.04.2021 au 11.06.2021. Or il ressort de l’arrêt de la CDAP du 11.06.2021 que la cheffe du DSAS avait retiré l’autorisation de pratiquer du docteur B.__ le 09.02.2021, retirant également l’effet suspensif à un éventuel recours, de sorte que dans les faits, le docteur B.__ a été privé de l’autorisation de pratiquer comme dentiste du 09.02.2021 au 11.06.2021. Il ressort par ailleurs des constatations de fait de l’arrêt entrepris que le cabinet dentaire a été fermé du 12.04.2021 au 16.04.2021 ainsi que les 22, 23, 29 et 30 avril, de même que les 6, 7, 13, 14, 20, 21, 26, 27 et 28 mai 2021, de sorte qu’il y avait lieu de se demander si les remplaçants du docteur B.__ avaient réellement travaillé dans le cabinet dentaire et, si tel avait été le cas, au cours de quelle période. La cour cantonale ne s’est pas non plus enquise des effets de ces engagements sur la perte de travail des assistantes du docteur B.__. Au besoin, elle aurait pu demander à la recourante de lui fournir des preuves sur l’engagement des remplaçants du docteur B.__ et les modalités de travail de ces derniers, ce qu’elle n’a pas fait. Pour le cas où elle serait arrivée à la constatation que la pédodontiste et l’orthodontiste n’avaient pas travaillé ou pas suffisamment pour éviter des pertes de travail chez les assistantes du docteur B.__, la juridiction cantonale aurait dû examiner si l’on pouvait exiger en l’occurrence du cabinet dentaire qu’il prenne d’autres mesures appropriées et économiquement supportables pour éviter les pertes de travail en cause.

 

Le TF admet le recours de A.__ Sàrl, annulant le jugement cantonal et la décision litigieuse, renvoyant la cause à la caisse cantonale de chômage pour nouvelle décision dans le sens des considérants.

 

Arrêt 8C_415/2022 consultable ici

 

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