8C_504/2021 (f) du 10.12.2021 – Aide sociale – Revenu d’insertion (RI) / Loi cantonale sur l’action sociale vaudoise (LASV)

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_504/2021 (f) du 10.12.2021

 

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Aide sociale – Revenu d’insertion (RI) / Loi cantonale sur l’action sociale vaudoise (LASV)

Communauté économique de type familial

 

A.__, née en 1962, est la mère de B.__ (ci-après aussi : la fille), née en octobre 1997. Elle est mariée à C.__ (ci-après aussi : l’époux ou le mari), né en 1982, depuis juillet 2012. Depuis le 31.01.2019, les époux vivent avec B.__ dans une villa de six pièces, dont le loyer est de 2000 fr. par mois. La fille, qui y occupe un studio comprenant une cuisinette et une douche/WC, bénéficie d’une contribution d’entretien à charge de son père de 1300 fr. par mois ainsi que d’une bourse dont le montant pour l’année 2019-2020 a été fixé à 990 fr. par l’Office cantonal des bourses d’études et d’apprentissage (OCBE).

C.__ a été incarcéré le 25.07.2019 en exécution d’une peine privative de liberté de 13 mois et 30 jours. Avant son incarcération, il était employé par une entreprise de peinture et a perçu un salaire net de 474 fr. 38 pour le mois de juillet 2019.

Le 24.07.2019, A.__ et son époux ont déposé une demande de revenu d’insertion (RI) – qu’ils ont tous deux signée – auprès du Centre social régional (CSR), en indiquant que B.__ appartenait au ménage.

A compter du 21.08.2019, A.__ a eu droit à une indemnité de chômage. Après la fin de son droit à l’indemnité, elle a repris une activité salariée à 50% dès le 01.01.2020, puis une activité indépendante dès le 01.02.2020.

Par décision du 28.11.2019, le CSR a mis A.__ au bénéfice du RI, arrêtant son droit dès le mois de juillet 2019 (pour vivre en août) à 1987 fr. 85 par mois. Une somme de 127 fr. 50 devait être déduite de ce montant forfaitaire, en exécution d’une décision de restitution rendue en 2011. En outre, un montant de 474 fr. 40, correspondant au salaire de C.__, était retenu sur le forfait de juillet 2019.

Le CSR a également rendu le 29.01.2020 une décision relative à la fermeture du dossier RI de A.__, ainsi que, le 13.02.2020, une décision portant sur la restitution de prestations RI indûment perçues.

A.__ a formé recours contre l’ensemble de ces décisions devant la Direction générale de la cohésion sociale (DGCS). Par décision du 04.09.2020, la DGCS a réformé la décision du CSR du 28.11.2019, en ce sens qu’un montant de 1860 fr. 35 a été octroyé à l’intéressée au titre du RI dans le cadre du budget de juillet 2019, et l’a maintenue pour le surplus.

 

Procédure cantonale (arrêt PS.2020.0066 – consultable ici)

Sur le fond, l’instance cantonale a retenu que le mari ne pouvait pas être intégré dans la composition du ménage de A.__. Celle-ci bénéficiait d’un droit à une prestation financière devant lui servir à vivre à compter d’août 2019; or son mari, incarcéré depuis le 25.07.2019, ne résidait plus dans le logement familial en août 2019. Le fait qu’il avait signé la demande de RI, un jour avant son entrée en prison, ne modifiait pas la composition du ménage. S’agissant de la fille, majeure, la conclusion tendant à l’octroi d’une prestation financière pour elle-même était manifestement irrecevable, dès lors que la procédure litigieuse faisait suite à une demande de RI de A.__ ainsi que de son époux et que selon la jurisprudence cantonale (arrêt CDAP PS.2011.0063 du 18 avril 2012), les parents n’étaient pas habilités à requérir le RI pour leurs enfants majeurs, qui disposaient d’un droit propre au RI. La fille ne pouvait pas non plus être intégrée dans le calcul du forfait RI du ménage de A.__; le fait que les frais de l’enfant majeur soient pris en charge par l’un ou les deux parent(s) n’était pas déterminant pour déterminer la composition du ménage et, selon la même jurisprudence cantonale précitée, les enfants majeurs ne devaient pas être intégrés dans le ménage formé par leurs parents.

Les juges cantonaux ont ensuite exclu que la part de loyer de l’époux soit prise en charge par le CSR pendant six mois en application du ch. 4.4.1 des Normes RI. Le fait que le prénommé avait signé la demande de RI n’impliquait pas qu’il était suivi par une autorité d’application de la LASV dès ce moment ou précédemment. Il ne faisait pas l’objet d’un suivi par le CSR ou par un autre organisme d’aide sociale avant le dépôt de la demande de RI le 24.07.2019 et son incarcération avait eu lieu le 25.07.2019.

Revenant à la fille, le tribunal cantonal a retenu que celle-ci et A.__ vivaient ensemble, même si la villa comprenait deux logements, et que leur situation correspondait à celle d’une communauté économique de type familial au sens de l’art. 28 al. 2 RLASV. Il ressortait en effet des explications de A.__ qu’elle s’occupait elle-même des encaissements et des versements pour sa fille et que toutes deux formaient une unité familiale. Par conséquent, le loyer de 2000 fr. devait être partagé proportionnellement, à raison d’une moitié pour chacune. Il convenait également de tenir compte d’une contribution de la fille pour évaluer les charges de A.__. Le forfait devait être calculé sur la base d’un ménage comprenant deux personnes (soit 1700 fr.), dont la moitié devait être imputée à la fille de A.__ (soit 850 fr.), de sorte qu’un forfait de 850 fr. devait être alloué à celle-ci. A.__ ne pouvait pas prétendre à l’octroi d’une aide casuelle au sens du ch. 2.1.5 des Normes RI, dès lors qu’elle était bénéficiaire du RI. Une telle aide ne pouvait pas non plus être accordée à son époux, lequel était incarcéré et n’avait donc plus de loyer à charge dès le mois d’août 2019.

Par jugement du 09.06.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Préalablement à l’examen du recours, il sied de rappeler ci-après les dispositions de droit cantonal vaudois appliquées par les juges cantonaux.

L’arrêt entrepris repose sur la loi cantonale sur l’action sociale vaudoise du 2 décembre 2003 (LASV; BLV 850.051) et son règlement d’application du 26 octobre 2005 (RLASV; BLV 850.051.1), lesquels sont complétés par les Normes RI édictées par le Département de la santé et de l’action sociale (version 13, en vigueur depuis le 1er octobre 2018; ci-après: Normes RI). Selon l’art. 27 LASV, le RI comprend une prestation financière et peut, cas échéant, également comprendre des prestations sous forme de mesures d’insertion sociale ou professionnelle. A teneur de l’art. 31 LASV, la prestation financière est composée d’un montant forfaitaire pour l’entretien, d’un montant forfaitaire destiné à couvrir les frais particuliers pour les adultes et d’un supplément correspondant au loyer effectif dans les limites fixées par le règlement (al. 1); elle est accordée dans les limites d’un barème établi par le règlement, après déduction des ressources du requérant, de son conjoint ou partenaire enregistré ou de la personne qui mène de fait une vie de couple avec lui et de ses enfants mineurs à charge (al. 2). L’art. 34 LASV dispose que la prestation financière est accordée à toute personne qui se trouve dépourvue des moyens nécessaires pour satisfaire les besoins vitaux et d’autres besoins personnels spécifiques importants.

Selon l’art. 28 RLASV, lorsqu’un ménage bénéficiant du RI vit avec une ou plusieurs personnes non à charge, la prestation financière du RI est réduite en tenant compte d’une contribution de cette ou de ces personnes aux frais (al. 1); si le ménage élargi forme une communauté économique de type familial finançant les fonctions ménagères conventionnelles (gîte, couvert, lessive, entretien, télécommunications, etc.), la contribution consiste en un partage proportionnel des frais de logement et en une fraction du forfait entretien selon le nombre total de personnes majeures et mineures dans le ménage […] (al. 2); si le ménage élargi ne forme pas une communauté de type familial, la contribution se limite au partage proportionnel des frais de logement et charges selon le nombre total de personnes (al. 3).

Selon le ch. 2.1.1.1 des Normes RI, l’autorité d’application de la LASV compétente détermine le nombre de personnes à charge du RI dans le ménage pour fixer le montant du forfait d’entretien et d’intégration sociale à allouer selon les barèmes du RLASV. Ce forfait doit permettre aux personnes vivant à domicile d’assumer toutes les dépenses indispensables au maintien d’une existence respectant la dignité humaine (cf. ch. 2.1.2.1 des Normes RI).

Aux termes du ch. 2.1.5 des Normes RI, une aide casuelle est une prestation financière ponctuelle, octroyée à des personnes ne bénéficiant pas du RI, pouvant être renouvelée selon le principe de la couverture des besoins (première phrase); il peut s’agir d’une aide à des requérants autonomes financièrement en temps normal mais devant assumer une dépense particulière, prévue par les présentes normes, un mois donné (seconde phrase). Le ch. 4.4.1 des Normes RI prévoit que pour les personnes déjà suivies par une autorité d’application de la LASV et incarcérées, il est possible de prendre en charge le loyer et les frais liés pour une période maximale de six mois.

 

A.__ reproche tout d’abord à la juridiction cantonale de ne pas avoir considéré que sa fille était à sa charge et de ne pas avoir intégré les charges de cette dernière dans le calcul du RI. Le raisonnement du tribunal cantonal serait insoutenable, dès lors que l’arrêt entrepris retiendrait dans le même temps que la fille vit dans la maison familiale et que A.__ s’occupe des versements et des encaissements pour sa fille, formant avec elle une unité familiale. En outre, l’OCBE aurait retenu que la fille était à charge de la mère.

Selon la jurisprudence cantonale citée dans l’arrêt attaqué, les parents ne sont pas habilités à requérir le RI pour leurs enfants majeurs, qui disposent d’un droit propre au RI si leurs revenus sont insuffisants à assurer leur entretien. Cette jurisprudence, qui n’est pas critiquée par A.__, précise que le versement du RI dépend de multiples facteurs personnels, sur lesquels les autorités doivent être régulièrement renseignées; or les enfants majeurs n’ayant pas demandé le RI n’ont aucune obligation légale de fournir des renseignements sur leur situation. A cela s’ajoute que les prestations de la LASV ne se limitent pas à une aide financière, mais comprennent des mesures d’insertion sociale ou professionnelle, exigeant le respect de certaines obligations par les bénéficiaires; octroyer une prestation financière à des parents pour leurs enfants majeurs négligeant ou refusant de faire une demande de RI reviendrait ainsi à supprimer les moyens mis en place pour réinsérer les bénéficiaires RI sur le marché de l’emploi (cf. arrêt CDAP PS.2011.0063 du 18 avril 2012 consid. 2c). Au vu de cette jurisprudence, les juges cantonaux n’ont pas versé dans l’arbitraire en considérant que la fille, en tant qu’enfant majeure de A.__, ne pouvait pas être intégrée au ménage de sa mère en vue de la prise en charge de ses frais, quand bien même mère et fille formaient une communauté familiale et que la fille aurait été financièrement à la charge de la mère. Dès lors qu’il ne ressort pas des faits constatés par l’instance cantonale qu’aucune suite n’aurait été donnée à une éventuelle demande de RI de la fille, on ne voit pas non plus en quoi les art. 7 et 12 Cst. auraient été violés.

 

A.__ reproche ensuite aux juges cantonaux d’avoir arbitrairement diminué de moitié le montant du loyer dans le calcul de ses charges, en partageant proportionnellement ledit loyer entre elle et sa fille bien que celle-ci n’occupât qu’un studio dans la maison familiale. Ce serait également à tort qu’une contribution de sa fille a été prise en compte pour évaluer ses charges, réduisant à nouveau de moitié le montant forfaitaire qui lui était dû pour ce poste.

Dès lors que la fille ne peut pas être intégrée au ménage de A.__, au sens du droit cantonal sur le revenu d’insertion, et qu’elle vit avec celle-ci, c’est à bon droit – ou à tout le moins sans arbitraire – que la cour cantonale a fait application de l’art. 28 RLASV pour réduire la prestation financière du RI de A.__. L’instance cantonale a considéré que la mère et la fille formaient une communauté économique de type familial au sens de l’art. 28 al. 2 RLASV, ce que A.__ ne conteste pas. En application de cette disposition légale, la contribution de la fille doit consister « en un partage proportionnel des frais de logement et en une fraction du forfait entretien selon le nombre total de personnes majeures et mineures dans le ménage ». La fille étant adulte, l’arrêt entrepris retient, d’une manière qui échappe à la critique, que seule la moitié du loyer doit être prise en compte dans le calcul du RI de A.__ et que le forfait entretien prévu pour un ménage de deux personnes doit être réduit de moitié. On ne voit pas non plus que les art. 7 et 12 Cst. auraient été violés, A.__ n’exposant d’ailleurs pas que le forfait RI perçu ne lui permettrait pas de subvenir à ses propres besoins.

 

Se référant au ch. 4.4.1 des Normes RI, A.__ soutient que la juridiction cantonale serait tombée dans l’arbitraire en n’incluant pas dans le forfait RI la part du loyer de son époux pour une durée de six mois, au motif qu’il était incarcéré. Le prénommé ayant signé et déposé une demande de RI le jour précédant son entrée en prison, les juges cantonaux auraient dû considérer qu’il était déjà suivi par un organisme d’aide sociale au moment de son incarcération.

A.__ ne critique pas la non-intégration de son mari dans la composition du ménage au motif de l’incarcération de celui-ci. En conséquence de cette exclusion du ménage, l’intégralité du loyer a été prise en compte pour fixer la charge de loyer de A.__, avant déduction de la part mise à la charge de sa fille. Dans ces conditions, le fait qu’aucune part du loyer n’a été mise à la charge du mari ne prête pas le flanc à la critique. Pour le reste, on ne saurait faire grief à la cour cantonale d’avoir sombré dans l’arbitraire en considérant que le simple dépôt d’une demande de RI par le prénommé n’était pas suffisant pour retenir qu’il faisait l’objet d’un suivi par le CSR ou par un autre organisme d’aide sociale.

 

A.__ reproche enfin aux juges cantonaux de ne pas l’avoir mise au bénéfice de l’aide casuelle prévue au ch. 2.1.5 des Normes RI. Il serait insoutenable de refuser l’octroi d’une telle aide au motif que A.__ est bénéficiaire du RI et que son époux – qui doit subvenir aux besoins de son épouse et payer le loyer – n’aurait pas de loyer à charge.

Ce dernier grief tombe également à faux. Selon le ch. 2.1.5 des Normes RI, une aide casuelle peut être octroyée à des personnes ne bénéficiant pas du RI. Dès lors que A.__ est bénéficiaire du RI, on ne voit pas en quoi la juridiction cantonale aurait versé dans l’arbitraire en lui refusant une aide casuelle. En ce qui concerne son époux, A.__ n’explique pas en quoi il aurait dû assumer une dépense particulière au sens du même ch. 2.1.5 des Normes RI, alors qu’il était incarcéré et n’avait donc pas de frais particuliers à couvrir.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

 

Arrêt 8C_504/2021 consultable ici

 

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