9F_5/2018 (f) du 16.08.2018, destiné à la publication – Révision d’un arrêt du Tribunal fédéral – 123 al. 2 let. a LTF / Irrégularités lors de l’établissement d’expertises de l’AI par une clinique genevoise – 44 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9F_5/2018 (f) du 16.08.2018, destiné à la publication

 

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Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 04.09.2018 consultable ici

 

Révision d’un arrêt du Tribunal fédéral / 123 al. 2 let. a LTF

Irrégularités lors de l’établissement d’expertises de l’AI par une clinique genevoise / 44 LPGA

 

Assurée déposant en avril 2013 une seconde demande AI, après un premier refus. Au cours de l’instruction, l’office AI a obtenu copie du rapport du 21.03.2014 de l’expertise psychiatrique réalisée par la clinique S.__ sur mandat de l’assureur perte de gain de l’ancien employeur de l’assurée. Le docteur B.__, spécialiste en psychiatrie, y avait diagnostiqué un trouble obsessionnel compulsif et un trouble de l’adaptation, auquel s’associait une personnalité anankastique. Il avait retenu que ces troubles étaient sans incidence sur la capacité de travail de l’assurée, qui était entière depuis le 01.07.2013. Fort de ces conclusions, l’office AI a rejeté la demande de prestations. Le recours de l’assuré a été rejeté en instance cantonale.

Le Tribunal fédéral a examiné si la juridiction cantonale avait fait preuve d’arbitraire en suivant les conclusions d’une expertise psychiatrique réalisée par la clinique S.__ sur mandat de l’assureur perte de gain. Il a considéré que l’appréciation de l’autorité cantonale de recours selon laquelle cette expertise avait valeur probante et pouvait être suivie malgré les évaluations divergentes des médecins traitants de l’assurée était exempte d’arbitraire. En particulier, l’assurée n’avait pas mis en évidence des éléments objectivement vérifiables qui auraient été ignorés par l’expert et suffisamment pertinents pour remettre en cause le point de vue des premiers juges (arrêt du Tribunal fédéral 9C_587/2016 du 12.12.2016).

Par acte posté le 11.05.2018, l’assurée a présenté une demande en révision de l’arrêt du 12.12.2016. Elle conclut à l’annulation de cet arrêt et à ce que le Tribunal fédéral statue à nouveau dans le sens suivant: l’arrêt du Tribunal cantonal fribourgeois est annulé et, à titre principal, une rente entière d’invalidité est allouée à l’assurée ; à titre subsidiaire, la cause est renvoyée à l’autorité judiciaire cantonale pour complément d’instruction sur le plan médical.

 

TF

L’art. 123 al. 2 let. a LTF prévoit que la révision peut être demandée dans les affaires civiles et dans les affaires de droit public, si le requérant découvre après coup des faits pertinents ou des moyens de preuve concluants qu’il n’avait pas pu invoquer dans la procédure précédente, à l’exclusion des faits ou moyens de preuve postérieurs à l’arrêt. La jurisprudence a précisé que ces faits doivent être pertinents, c’est-à-dire de nature à modifier l’état de fait qui est à la base de l’arrêt attaqué et à aboutir à un jugement différent en fonction d’une appréciation juridique correcte (ATF 143 V 105 consid. 2.3 p. 107; 143 III 272 consid. 2.2 p. 275 et les arrêts cités).

En droit des assurances sociales, une évaluation médicale effectuée dans les règles de l’art revêt une importance décisive pour l’établissement des faits pertinents (ATF 122 V 157 consid. 1b p. 159). Elle implique en particulier la neutralité de l’expert, dont la garantie vise à assurer notamment que ses conclusions ne soient pas influencées par des circonstances extérieures à la cause et à la procédure (cf. ATF 137 V 210 consid. 2.1.3 p. 231), ainsi que l’absence de toute intervention à l’insu de l’auteur de l’expertise, les personnes ayant participé à un stade ou à un autre aux examens médicaux ou à l’élaboration du rapport d’expertise devant être mentionnées comme telles dans celui-ci. Or les manquements constatés au sein du « département expertise » par le Tribunal fédéral dans la procédure relative au retrait de l’autorisation de la clinique S.__ soulèvent de sérieux doutes quant à la manière dont des dizaines d’expertises ont été effectuées au sein de cet établissement (arrêt 2C_32/2017 consid. 7.1) et portent atteinte à la confiance que les personnes assurées et les organes de l’assurance-invalidité étaient en droit d’accorder à l’institution chargée de l’expertise (voir aussi arrêt 8C_657/2017 du 14 mai 2018 consid. 5.2.2). Dès lors, de même que l’organe d’exécution de l’assurance-invalidité ou le juge ne peut se fonder sur un rapport médical qui, en soi, remplit les exigences en matière de valeur probante (sur ce point, cf. ATF 125 V 351 consid. 3a p. 352) lorsqu’il existe des circonstances qui soulèvent des doutes quant à l’impartialité et l’indépendance de son auteur, fondés non pas sur une impression subjective mais une approche objective (ATF 137 V 210 consid. 6.1.2 p. 267; 132 V 93 consid. 7.1 p. 109 et la référence; arrêt 9C_104/2012 du 12 septembre 2012 consid. 3.1), il n’est pas admissible de reprendre les conclusions d’une expertise qui a été établie dans des circonstances ébranlant de manière générale la confiance placée dans l’institution mandatée pour l’expertise en cause.

En l’occurrence, l’expertise, sur laquelle s’est essentiellement appuyée la juridiction cantonale pour nier le droit de l’assurée à des prestations d’invalidité et qui a été prise en considération dans la procédure principale par le Tribunal fédéral pour juger de la conformité au droit de l’appréciation des preuves cantonale, a été réalisée à une époque où le responsable médical du « département expertise » modifiait illicitement le contenu de rapports. En conséquence, cette expertise ne peut pas servir de fondement pour statuer sur le droit de l’assurée aux prestations de l’assurance-invalidité. Peu importe le point de savoir si ledit responsable est concrètement intervenu dans la rédaction du rapport du docteur B.__, voire en a modifié le contenu à l’insu de son auteur, parce qu’il n’est en tout état de cause pas possible d’accorder pleine confiance au rapport du 21 mars 2014, établi sous l’enseigne de la clinique S.__. Les exigences liées à la qualité de l’exécution d’un mandat d’expertise médicale en droit des assurances sociales ne pouvaient être considérées comme suffisamment garanties au sein du « département expertise » de celle-ci (sur l’importance de la garantie de qualité de l’expertise administrative, SUSANNE LEUZINGER, Die Auswahl der medizinischen Sachverständigen im Sozialversicherungsverfahren [Art. 44 ATSG], in Soziale Sicherheit – Soziale Unsicherheit, Mélanges à l’occasion du 65ème anniversaire de Erwin Murer, 2010, p. 438).

Les faits en cause sont de nature à modifier l’état de fait à la base de l’arrêt dont l’assurée demande la révision, dès lors que, eussent-ils été connus du Tribunal fédéral, ils auraient conduit celui-ci à donner une autre issue au litige, singulièrement à nier que l’expertise suivie par la juridiction cantonale pût servir de fondement pour le refus de prestations. Sur le rescindant, il s’impose dès lors d’annuler l’arrêt rendu le 12.12.2016 par la IIe Cour de droit social dans la cause 9C_587/2016.

 

Le TF admet la demande de révision de l’assurée, annule le jugement cantonal et la décision AI et renvoie la cause à l’office AI pour instruction complémentaire et nouvelle décision au sens des considérants.

 

 

Arrêt 9F_5/2018 consultable ici

Communiqué de presse du Tribunal fédéral du 04.09.2018 consultable ici

 

Voir également :

Une clinique genevoise sanctionnée par le Département de la santé

L’OFAS ne collabore plus depuis 2015 avec la clinique Corela

Interpellation Häsler 18.3188 « Dépendance économique des établissements spécialisés dans l’expertise médicale »

8C_657/2017 (f) du 14.05.2018 – Causalité naturelle – Valeur probante d’une expertise médicale réalisée par la Clinique Corela – 6 LAA – 44 LPGA

 

 

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