141 V 455 – 9C_233/2015 (f) du 02.07.2015 – Remise de la carte d’assuré pour l’assurance obligatoire des soins – Refus de l’assureur-maladie de délivrer la carte –42a LAMal – 1 OCA / Primauté du droit fédéral – 49 Cst.

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_233/2015 (f) du 02.07.2015, publié 141 V 455

 

Arrêt 9C_233/2015 consultable ici : http://bit.ly/1NYOcKX

ATF 141 V 455 : http://bit.ly/27YVKDV

 

Remise de la carte d’assuré pour l’assurance obligatoire des soins – Refus de l’assureur-maladie de délivrer la carte –42a LAMal – 1 OCA

Primauté du droit fédéral – 49 Cst.

 

Assuré, au bénéfice d’une admission provisoire en Suisse, vivant dans le canton de Vaud, affilié dès le 01.01.2006 auprès d’une caisse-maladie, pour l’assurance obligatoire des soins, dans le cadre d’un contrat d’assurance collective conclu par le biais de l’Etablissement vaudois d’accueil des migrants (EVAM). La caisse-maladie a refusé de délivrer une carte d’assuré. En bref, elle a considéré que l’assuré avait accès aux soins de base par le réseau de soins FARMED mis sur pied par l’Etat de Vaud, que des certificats d’assurance attestant de son affiliation à l’assurance obligatoire des soins lui avaient été transmis et que la détention d’une carte d’assuré contrevenait au bon fonctionnement du système instauré par le canton de Vaud. L’EVAM a également refusé de lui faire délivrer une carte d’assurance et d’entreprendre des démarches à cette fin auprès de la caisse-maladie.

 

TF

Assurance obligatoire des soins pour les personnes au bénéfice d’une admission provisoire

L’assurance-maladie obligatoire pour les personnes pour lesquelles une admission provisoire a été décidée conformément à l’art. 83 de la loi fédérale sur les étrangers [LEtr], tenues de s’assurer à l’assurance obligatoire des soins (art. 1 al. 2 let. c OAMal, en relation avec l’art. 3 LAMal), est régie par les dispositions de la loi fédérale sur l’asile (LAsi) et de la LAMal applicables aux requérants d’asile (art. 86 al. 2 LEtr).

En particulier, l’art. 82a al. 1 LAsi prévoit que l’assurance-maladie pour les requérants d’asile et les personnes à protéger qui ne sont pas titulaires d’une autorisation de séjour doit être adaptée en vertu de celles de la LAMal.

L’art. 82a al. 1 à 4 LAsi permet aux cantons de limiter, pour la catégorie des personnes mentionnées (également par renvoi de l’art. 86 al. 2 LEtr), le libre choix de l’assureur (art. 4 LAMal) et du fournisseur de prestations (art. 41 LAMal). Il s’agit, avec cette limitation, de permettre aux cantons de mieux contrôler l’accès des personnes concernées au système de santé, mais non de réduire les prestations médicales en faveur de celles-ci. Toutes les prestations obligatoires en vertu de la LAMal sont garanties et doivent être fournies par les fournisseurs de prestations au sens des art. 36 à 40 LAMal (Message du 4 septembre 2002 concernant la modification de la loi sur l’asile, de la loi fédérale sur l’assurance-maladie et de la loi fédérale sur l’assurance-vieillesse et survivants, FF 2002 6436 s. ch. 2.5.3.2).

Avant l’entrée en vigueur de l’art. 82a LAsi au 01.01.2008 (RO 2007 5575), le principe selon lequel les cantons étaient autorisés à limiter les requérants d’asile et les personnes à protéger sans autorisation de séjour dans le choix de leur assureur et de leur fournisseur de prestations avait déjà été prévu à l’art. 26 al. 4 de l’ordonnance 2 sur l’asile relative au financement (dans sa version en vigueur jusqu’au 31.12.2007 [OA 2]).

Faisant usage de la compétence prévue par le droit fédéral, l’Etat de Vaud a, en adoptant la loi sur l’aide aux requérants d’asile et à certaines catégories d’étrangers (LARA; RSVD 142.21), limité le choix, notamment des personnes au bénéfice d’une admission provisoire (art. 2 et 3 LARA), de leur assureur et de leur fournisseur de prestations.

Selon l’art. 34 LARA, le département en charge de la santé conclut des conventions avec un ou plusieurs assureurs concernant l’affiliation à l’assurance-maladie et accidents des demandeurs d’asile [et personnes assimilées] (al. 1) ou veille, à défaut de convention, à affilier celles-ci auprès d’un ou plusieurs assureurs autorisés à pratiquer dans le canton au sens de l’art. 13 LAMal (al. 2); il peut confier l’affiliation et la gestion des dossiers qui en découlent à un tiers (al. 3).

Le fait qu’en raison de facilités administratives, les personnes assurées concernées – dont le choix de l’assureur-maladie est ainsi restreint – puissent être réunies au sein d’un contrat-cadre conclu entre un preneur d’assurance et un assureur pour la gestion d’un nombre déterminé d’assurés individuels, ne saurait constituer une dérogation aux règles de la LAMal. De tels contrats ne constituent pas un contrat collectif au sens de la LAMA, qui n’est plus admissible sous l’empire de la LAMal (arrêt K 47/01 du 25 août 2003, RAMA 2003 n° KV 259 p. 295). Singulièrement, les personnes concernées restent soumises aux règles et obligations de la LAMal en tant qu’assuré individuel (ATF 128 V 263 consid. 3c/aa p. 269 s; cf. RAMA 1996 p. 139). Même si elles sont affiliées à une caisse-maladie pour l’assurance-maladie obligatoire par le biais d’un preneur d’assurance, elles sont assurées à titre personnel, conformément au principe de l’assurance individuelle (sur ce principe, EUGSTER, Krankenversicherung, in Soziale Sicherheit [SBVR], 2 ème éd., n° 16 s. p. 406; GUY LONGCHAMP, Conditions et étendue du droit aux prestations de l’assurance-maladie sociale […], thèse 2004, p. 200).

 

Primauté du droit fédéral

Garanti à l’art. 49 al. 1 Cst., le principe de la primauté du droit fédéral fait obstacle à l’adoption ou à l’application de règles cantonales qui éludent des prescriptions de droit fédéral ou qui en contredisent le sens ou l’esprit, notamment par leur but ou par les moyens qu’elles mettent en œuvre, ou qui empiètent sur des matières que le législateur fédéral a réglementées de façon exhaustive. Cependant, même si la législation fédérale est considérée comme exhaustive dans un domaine donné, une loi cantonale peut subsister dans le même domaine en particulier si elle poursuit un autre but que celui recherché par le droit fédéral. En outre, même si, en raison du caractère exhaustif de la législation fédérale, le canton ne peut plus légiférer dans une matière, il n’est pas toujours privé de toute possibilité d’action. Ce n’est que lorsque la législation fédérale exclut toute réglementation dans un domaine particulier que le canton perd toute compétence pour adopter des dispositions complétives, quand bien même celles-ci ne contrediraient pas le droit fédéral ou seraient même en accord avec celui-ci (ATF 140 I 218 consid. 5.1 p. 221 et les arrêts cités).

Dans le cadre de la compétence qui lui a été attribuée par l’art. 117 Cst. de légiférer en matière d’assurance-maladie, la Confédération a réglé de manière exhaustive aux art. 42a LAMal et 1 OCA la remise de la carte d’assuré. Le Conseil fédéral a posé le principe de la délivrance de la carte à toutes les personnes tenues de s’assurer en vertu de l’OAMal. Il a prévu une seule exception concernant les personnes visées à l’art. 1 al. 2 let. d et e OAMal (assurés résidant dans un Etat membre de l’Union européenne, en Islande ou en Norvège et soumises aux Accords cités, qui ne peuvent recevoir des prestations prises en charge par l’assurance-maladie obligatoire que par le biais de l’entraide internationale; cf. aussi Commentaire de l’OCA de l’OFSP du 14 février 2007, <http://www.ehealth.admin.ch>). Aucune dérogation n’a été instaurée pour la catégorie de personnes tenues de s’assurer en vertu de l’art. 1 al. 2 let. c OAMal, dont fait partie le recourant.

Par ailleurs, le législateur fédéral n’a prévu aucune compétence résiduelle des cantons pour légiférer sur ce point ou de marge de manœuvre leur permettant de prévoir une exception supplémentaire à celle découlant de l’art. 1 al. 2 OCA.

 

Carte d’assuré

En adoptant l’art. 42a LAMal (entré en vigueur le 01.01.2005), le législateur fédéral a attribué au Conseil fédéral la compétence de décider qu’une carte d’assuré portant un numéro d’identification attribué par la Confédération soit remise à chaque assuré pour la durée de son assujettissement à l’assurance obligatoire des soins (art. 42a al. 1 première phrase LAMal). Cette carte comporte une interface utilisateur et est utilisée pour la facturation des prestations selon la LAMal (art. 42a al. 2 LAMal).

Le but visé par la carte d’assuré est une simplification des procédures administratives entre les assureurs, les assurés et les fournisseurs de prestations. Elle contribue aux efforts de rationalisation entrepris par ces derniers et améliore l’information tout en augmentant le confort du patient/de l’assuré (Message du 26 mai 2004 concernant la révision de la loi fédérale sur l’assurance-maladie [Stratégie et thèmes urgents], FF 2004 4042 s. ch. 3.1). Comme il ressort de l’art. 42a al. 2 LAMal, l’objectif principal de l’utilisation de la carte se limite aux aspects administratifs visant à simplifier la facturation des prestations remboursées par l’assurance obligatoire des soins. L’idée en est que du moment que tous les assurés seront en possession de la carte d’assuré et qu’une grande partie des fournisseurs de prestations seront équipés des systèmes nécessaires, les prestations ne pourront plus être facturées et remboursées autrement que par ce biais. Les fournisseurs de prestations, tout comme les personnes assurées, seraient donc obligés d’utiliser la carte pour faire valoir leur droit au remboursement d’une prestation (message cité, FF 2004 4043 ch. 3.1).

Le gouvernement fédéral a usé des compétences attribuées par l’art. 42a LAMal et édicté l’ordonnance sur la carte d’assuré pour l’assurance obligatoire des soins (OCA), en vigueur depuis le 01.03.2007 (pour les dispositions ici pertinentes: art. 20 OCA).

Les standards techniques auxquels la carte d’assuré doit satisfaire ont été fixés par le Département fédéral de l’intérieur dans l’ordonnance concernant les exigences techniques et graphiques relatives à la carte d’assuré pour l’assurance obligatoire des soins (OCA-DFI; RS 832.105.1).

La remise à chaque assuré pour la durée de son assujettissement de la carte d’assuré prévue par l’art. 42a LAMal est une prérogative liée à la qualité de personne soumise à l’assurance obligatoire des soins et non pas une circonstance relative au choix de la caisse-maladie et de l’affiliation à l’assurance-maladie obligatoire.

La carte d’assuré remplit aussi un autre rôle: elle facilite le décompte des prestations (données administratives sous forme électronique) et peut contribuer à améliorer le traitement des patients (données médicales enregistrées sur la carte; Circulaire de l’OFSP n° 7.7 du 12 décembre 2008 sur la carte d’assuré, p. 4 ch. 3.3 « Utilisation de la carte »); la carte permettrait d’influencer les gestes thérapeutiques (déclaration Brunner, BO 2004 E 458). Elle a donc aussi la fonction de « carte de patient » ou « carte d’urgence » (termes évoqués lors des débats parlementaires sur l’art. 42a LAMal, déclarations Rossini et Brunner, BO 2004 N 1503 et 1505), en ce sens qu’elle contient et donne accès à des données personnelles et d’ordre médical, qui peuvent être utiles lors d’une consultation médicale ou en cas d’urgence (Le système « carte d’assuré », 1er avril 2008, OFSP, <http://www.ehealth.admin.ch>, p. 4). Sous cet angle, on ne saurait nier ni l’utilité ni la nécessité de l’instrument en question pour l’assuré.

Si l’utilisation de la carte d’assuré devait entraîner des inconvénients systématiques pour les assureurs-maladie ou les organes d’assistance impliqués dans l’organisation et la prise en charge des prestations de l’assurance-maladie obligatoire des personnes au bénéfice d’une admission provisoire en Suisse, il appartiendrait au législateur fédéral, respectivement au Conseil fédéral, – et non au Tribunal fédéral – d’intervenir et d’introduire une nouvelle exception à l’art. 1 al. 2 OCA.

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

 

Arrêt 9C_233/2015 consultable ici : http://bit.ly/1NYOcKX

ATF 141 V 455 : http://bit.ly/27YVKDV

 

 

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