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9C_162/2024 (f) du 31.07.2024 – Tâcherons et sous-traitants – Détermination du caractère dépendant ou indépendant des revenus soumis au paiement des cotisations sociales / Maxime inquisitoire de la caisse de compensation – Pas de renversement du fardeau de la preuve

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_162/2024 (f) du 31.07.2024

 

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Tâcherons et sous-traitants – Détermination du caractère dépendant ou indépendant des revenus soumis au paiement des cotisations sociales / 5 al. 2 LAVS – 9 al. 1 LAVS

Maxime inquisitoire de la caisse de compensation – Pas de renversement du fardeau de la preuve

 

A.__ Sàrl (ci-après: la société) est affiliée en tant qu’employeur auprès d’une caisse de compensation. Un contrôle d’employeur portant sur la période de janvier 2017 à décembre 2021 a mis en évidence que la société avait opéré différents versements en espèces en faveur de B.__ Sàrl dans le courant de l’année 2020, pour un montant total de CHF 138’868, sans pouvoir produire de justificatifs détaillés. Par décision du 20.10.2022, confirmée sur opposition le 26.01.2023, la caisse de compensation a réclamé à A.__ Sàrl le paiement de CHF 21’371.75, correspondant à des cotisations sociales sur le montant payé à B.__ Sàrl, qualifié de salaires versés à des employés de la société.

 

Procédure cantonale (arrêt 608 2023 15 – consultable ici)

Par jugement du 26.01.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
L’arrêt entrepris expose de manière complète les dispositions légales et les principes jurisprudentiels applicables notamment à la détermination du caractère dépendant ou indépendant des revenus soumis au paiement des cotisations sociales (art. 5 al. 2 et 9 al. 1 LAVS; ATF 140 V 108 consid. 6; 123 V 161 consid. 1 et les arrêts cités), ainsi que les règles sur l’administration et l’appréciation des preuves (art. 61 let. c LPGA). Il suffit d’y renvoyer.

Selon la jurisprudence, les tâcherons et sous-traitants sont réputés exercer une activité dépendante. Leur activité ne peut être qualifiée d’indépendante que lorsque les caractéristiques de la libre entreprise dominent manifestement et que l’on peut admettre, d’après les circonstances, que l’intéressé traite sur un pied d’égalité avec l’entrepreneur qui lui a confié le travail (arrêt 8C_597/2011 du 10 mai 2012 consid. 2.3 et les arrêts cités).

Un employeur peut faire exécuter un travail par une personne à laquelle il verse lui-même un salaire ou le confier à un tiers indépendant ou à une personne morale, qui emploie, le cas échéant, son propre salarié pour ce faire. Dans la seconde éventualité, l’indemnité versée au tiers pour l’exécution du travail ne constitue pas un salaire déterminant, mais la rémunération d’une activité indépendante voire ne constitue pas, dans le cas de la personne morale, un revenu soumis à cotisations. Des rapports de travail dont découlerait un salaire déterminant provenant d’une activité dépendante ne peuvent pas être conclus avec une personne morale. Lorsqu’un travail est confié à une personne morale, ce n’est pas l’indemnité en découlant qui est soumise à l’obligation de cotiser, mais le salaire que la personne morale verse à la personne physique qu’elle emploie (arrêt 8C_218/2019 du 15 octobre 2019 consid. 4.1.1).

Par ailleurs, une personne est libre de choisir la forme juridique de son activité et d’adopter par exemple la forme juridique de la société anonyme ou de la société à responsabilité limitée pour bénéficier, par exemple, d’une limitation de la responsabilité. Cependant, lorsqu’il existe des circonstances concrètes amenant à conclure que le statut juridique de la personne morale a été uniquement adopté pour des motifs liés au droit des assurances afin d’économiser des cotisations et que la personne morale n’exerçait pas d’activité entrepreneuriale proprement dite – du moins par rapport au donneur d’ordre -, l’indépendance juridique de la personne morale ne produit pas ses effets du point de vue du droit des assurances sociales (arrêt 8C_218/2019 précité consid. 4.2.2).

Consid. 4 [résumé]
La juridiction cantonale a d’abord relevé que le fait qu’une personne morale, en l’occurrence une société à responsabilité limitée, délègue la réalisation de certains travaux à une autre société du même type ne présente en soi rien de répréhensible. Certains indices caractéristiques (montants élevés versés en espèces, recours à des tâcherons fréquent dans la branche) ont soulevé des doutes. A.__ Sàrl a versé 138’868 fr. en espèces à B.__ Sàrl sur quelques mois, une somme représentant une part importante de son chiffre d’affaires moyen (environ 367’000 fr. entre 2013 et 2019). De plus, le recours à des tâcherons est fréquent dans le domaine de la construction. Ces éléments ont créé une « présomption » que ces versements auraient pu être effectués dans le but d’économiser des cotisations sociales. La charge de prouver le contraire incombait à A.__ Sàrl.

L’instance cantonale a estimé que A.__ Sàrl n’avait pas réussi à démontrer, au degré de vraisemblance prépondérante, que ces versements n’avaient pas pour but d’économiser des cotisations. Par conséquent, elle a confirmé la décision de la caisse de compensation considérant que des cotisations sociales étaient dues par A.__ Sàrl sur les montants versés à B.__ Sàrl.

 

Consid. 5.1
La recourante reproche aux premiers juges d’avoir constaté les faits de manière manifestement inexacte et violé le droit fédéral, en particulier l’art. 5 al. 2 LAVS. Elle leur fait grief d’avoir nié qu’elle avait démontré, au degré de la vraisemblance prépondérante, qu’elle avait bien versé sa « rétribution à un employeur », alors qu’ils n’ont pas examiné tous les éléments déterminants pour la qualification d’une activité de dépendante ou d’indépendante, en application d’une « jurisprudence qui ne trouvait nullement sa place dans le cas d’espèce ». De l’avis de la société, la juridiction cantonale ne pouvait dès lors pas considérer que les montants qu’elle avait versés à la société sous-traitante devaient être assimilés à des salaires qu’elle aurait versés à ses propres « employés dépendants ».

 

Consid. 5.2
L’argumentation de la recourante est en partie bien fondée. On ne voit tout d’abord pas sur quelle disposition légale ou jurisprudence l’autorité judiciaire de première instance fonde une « présomption » – à l’aune de laquelle elle a essentiellement examiné la cause – quant au but d’économie des cotisations sociales en cas de versements d’une personne morale à une autre, en présence de certains éléments caractéristiques; l’arrêt qu’elle cite (8C_218/2019 du 15 octobre 2019) ne comprend pas de considération correspondante. Ensuite, il incombait à la caisse de compensation et, à sa suite à l’instance précédente, d’examiner concrètement les caractéristiques de l’activité déployée par la société sous-traitante pour le compte de la recourante, ce qu’elles ont précisément manqué de faire en l’occurrence. L’arrêt entrepris ne contient en effet aucune constatation quant au point de savoir notamment qui de A.__ Sàrl ou de B.__ Sàrl supportait le risque économique de l’activité en cause. Or la jurisprudence selon laquelle les tâcherons et sous-traitants sont réputés exercer une activité dépendante (consid. 3.2 supra) ne signifie pas que le principe de l’instruction (art. 43 et 61 let. c LPGA) ne s’applique pas ou seulement sous une forme atténuée. Au contraire, il faut en principe procéder à un examen approfondi des circonstances particulières de chaque cas. De même, il ne faut pas poser d’exigences excessives quant à l’obligation de collaborer de la personne physique ou morale (au sens de l’art. 28 LPGA) à laquelle on s’adresse en tant qu’employeur. Il n’y a pas de renversement du fardeau de la preuve et le degré de preuve de la vraisemblance prépondérante, habituel en droit des assurances sociales, s’applique (cf. arrêt H 191/05 du 30 juin 2006 consid. 4.1 et les références).

Par ailleurs, lorsqu’une personne exerce simultanément plusieurs activités lucratives, il faut examiner pour chacune d’elles si le revenu en découlant est celui d’une activité indépendante ou salariée, même si les travaux sont exécutés pour une seule et même entreprise (ATF 122 V 172 consid. 3b; 104 V 126 consid. 3b). En particulier, pour les activités exercées dans le secteur principal ou secondaire de la construction, il est important de déterminer, entre autres éléments, qui répond des travaux mal exécutés vis-à-vis du maître d’ouvrage ou du propriétaire de l’ouvrage. Il s’agit ici de savoir si le tâcheron peut être considéré comme un partenaire commercial qui traite sur un pied d’égalité avec l’entrepreneur qui lui a confié le travail (cf. arrêt H 191/05 précité consid. 4.1 et les références). En l’occurrence, l’arrêt entrepris ne contient aucune constatation sur ce point.

Consid. 5.3
Dans la mesure où les éléments qui auraient permis d’évaluer la relation contractuelle entre la recourante et B.__ Sàrl font largement défaut en l’espèce, la cause n’est pas en état d’être jugée. En particulier, les pièces produites par la recourante (essentiellement trois factures établies par B.__ Sàrl, par lesquelles elle facture à A.__ Sàrl le total des heures effectuées, sous la mention « Heure de régie », sans donner d’autres précisions), ne permettent pas de conclure que l’activité déployée par la société sous-traitante (et son personnel) pour le compte de la recourante en 2020 aurait été un travail dépendant au sens de l’art. 5 al. 2 LAVS. Par ailleurs, selon les constatations cantonales, non contestées par la recourante, celle-ci n’a pas produit les contrats ou accords avec la société sous-traitante, ainsi que les preuves d’adjudication et des contrats avec les maîtres d’ouvrage ou les architectes (notamment en raison du fait que les travaux qu’elle avait confiés à B.__ Sàrl l’avaient été en vertu d’un contrat oral). Dans ces circonstances, la caisse de compensation devra procéder à des clarifications complémentaires et rendre ensuite une nouvelle décision sur l’obligation litigieuse de la recourante de payer les cotisations sociales sur les rémunérations qu’elle a versées à la société sous-traitante. Le recours est bien fondé sur ce point.

 

Le TF admet partiellement le recours de la société.

 

 

Arrêt 9C_162/2024 consultable ici

 

9C_141/2023 (f) du 05.06.2024, destiné à la publication – Montant de l’indemnité journalière AI d’un assuré indépendant – Interprétation par le TF de l’art. 23 al. 3 LAI – Revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_141/2023 (f) du 05.06.2024, destiné à la publication

 

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Montant de l’indemnité journalière AI d’un assuré indépendant / 23 LAI – 21 RAI

Interprétation par le TF de l’art. 23 al. 3 LAI

Revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI – Revenu soumis au prélèvement de cotisations servant de base pour la fixation des cotisations et non celui sur lequel des cotisations ont effectivement été prélevées

 

Assuré ayant exploité à titre indépendant un commerce d’importation de produits exotiques. Il a déposé une demande AI le 18.08.2017. Après plusieurs mesures d’instruction, notamment sur le plan médical, l’office AI a octroyé à l’assuré une mesure d’orientation professionnelle du 30.05.2022 au 31.07.2022. En se fondant sur un revenu annuel (brut) déterminant de CHF 5’862.79, il a fixé le montant des indemnités journalières de l’assurance-invalidité à CHF 13.60 par jour (décision du 7 juillet 2022).

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/1167/2022 – consultable ici)

Dans le cadre de la procédure de recours, l’office AI s’est rallié à une prise de position du service juridique de la caisse de compensation, selon laquelle le montant des indemnités journalières devait se fonder sur le revenu annuel déterminant de l’année 2013 (année précédant la survenance de l’atteinte à la santé), soit sur un montant annuel (brut) de CHF 9’333. Par arrêt du 22.12.2022, admission partielle et réformation de la décision en ce sens que l’indemnité journalière s’élève à CHF 21.60 à compter du 30.05.2022.

 

TF

Consid. 2.1
Selon l’art. 23 LAI, dans sa version en vigueur depuis le 1er janvier 2012, l’indemnité de base s’élève à 80% du revenu que l’assuré percevait pour la dernière activité lucrative exercée sans restriction due à des raisons de santé; toutefois, elle s’élève à 80% au plus du montant maximum de l’indemnité journalière fixée à l’art. 24 al. 1 LAI (al. 1). L’indemnité de base s’élève, pour l’assuré qui suit des mesures de nouvelle réadaptation au sens de l’art. 8a LAI, à 80% du revenu qu’il percevait immédiatement avant le début des mesures; toutefois, elle s’élève à 80% au plus du montant maximal de l’indemnité journalière (al. 1bis). Le calcul du revenu de l’activité lucrative au sens des al. 1 et 1bis se fonde sur le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées (revenu déterminant) (al. 3).

Le Conseil fédéral a précisé dans le RAI la base de calcul des indemnités journalières pour différentes catégories d’assurés (art. 21 ss RAI), notamment ceux exerçant une activité indépendante. Selon l’art. 21quater al. 1 RAI, l’indemnité journalière pour les personnes de condition indépendante est calculée d’après le dernier revenu obtenu sans atteinte à la santé, ramené au gain journalier, soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS. L’indemnité journalière pour les assurés qui rendent vraisemblable que, durant la période de réadaptation, ils auraient entrepris une activité lucrative indépendante d’une assez longue durée est calculée d’après le revenu qu’ils auraient pu en obtenir (art. 21quater al. 2 RAI).

Selon l’art. 21 al. 3 RAI, lorsque la dernière activité lucrative exercée par l’assuré sans restriction due à des raisons de sa santé remonte à plus de deux ans, il y a lieu de se fonder sur le revenu que l’assuré aurait tiré de la même activité, immédiatement avant la réadaptation, s’il n’était pas devenu invalide.

Consid. 2.2
Selon le chiffre 0835 de la circulaire de l’OFAS concernant les indemnités journalières de l’assurance-invalidité (CIJ), en vigueur depuis le 1er janvier 2022, pour les personnes de condition indépendante, le revenu déterminant pour le calcul de l’indemnité journalière des personnes de condition indépendante se fonde sur le dernier revenu d’activité lucrative, converti en revenu journalier, précédant la survenance de l’atteinte à la santé, et sur lequel des cotisations AVS ont été prélevées (VSI 2002 p. 187). Peu importe que les cotisations de l’année considérée aient fait l’objet d’une décision entrée en force. D’éventuelles décisions de réduction ou de remise ne sont pas davantage à prendre en compte (anciennement ch. 3039 CIJ, dans sa teneur du 1er janvier 2004 au 31 décembre 2021).

 

Consid. 3.1
La juridiction cantonale
a retenu que l’assuré avait droit à une indemnité journalière de CHF 21.60 par jour pour la période du 30.05.2022 au 31.07.2022 (CHF 9’333  x 1,0349 / 360 x 0,80). Selon l’extrait du compte individuel AVS, le revenu annuel (brut) de l’assuré s’élevait à 66’400 fr. pour l’année 2013. Les cotisations sociales correspondantes n’avaient cependant pas été acquittées par l’assuré dans leur totalité. Pour l’année 2013, l’assuré avait uniquement versé les cotisations correspondant à un revenu annuel (brut) de 9’333 fr., le solde des créances de cotisations étant présumé irrécouvrable. Aussi, la caisse de compensation avait inscrit dans le compte individuel AVS le revenu annuel (brut) ayant servi à fixer les cotisations pour l’année 2013 (66’400 fr.), puis corrigé ce revenu par une inscription « en moins » (à hauteur de 57’067 fr.; conformément au ch. 2346 de la directive de l’OFAS concernant le certificat d’assurance et le compte individuel [D CA/CI]). Le montant de 9’333 fr. (66’400 fr. – 57’067 fr.) avait ensuite été actualisé à un taux de 3,49%, selon les données de l’Office fédéral de la statistique.

Consid. 3.2
Invoquant une violation des art. 23 LAI et 21 quater RAI, l’assuré reproche à l’autorité précédente de n’avoir pas tenu compte du gain « réellement réalisé ». En particulier, il reproche à la juridiction cantonale d’avoir fixé le montant de ses indemnités journalières sur la base du revenu sur lequel des cotisations AVS avaient été effectivement versées (9’333 fr., avant indexation). Il demande à ce que ses indemnités journalières soient fixées sur la base du revenu ayant servi à fixer les cotisations AVS de l’année 2013 (66’400 fr., avant indexation).

 

Consid. 4
L’argumentation de l’assuré soulève la question de savoir quel est le revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI: celui sur lequel des cotisations ont effectivement été prélevées, comme l’a retenu la juridiction cantonale, ou celui qui est soumis au prélèvement de cotisations et sert de base pour la fixation des cotisations, comme le prétend l’assuré.

Consid. 4.1
La loi s’interprète en premier lieu selon sa lettre (interprétation littérale). Si le texte n’est pas absolument clair, si plusieurs interprétations sont possibles, il convient de rechercher quelle est la véritable portée de la norme, en la dégageant de tous les éléments à considérer, soit notamment des travaux préparatoires (interprétation historique), du but de la règle, de son esprit, ainsi que des valeurs sur lesquelles elle repose, singulièrement de l’intérêt protégé (interprétation téléologique) ou encore de sa relation avec d’autres dispositions légales (interprétation systématique). Le Tribunal fédéral ne privilégie aucune méthode d’interprétation, mais s’inspire d’un pluralisme pragmatique pour rechercher le sens véritable de la norme; il ne se fonde sur la compréhension littérale du texte que s’il en découle sans ambiguïté une solution matériellement juste (ATF 149 IV 9 consid. 6.3.2.1; 147 V 242 consid. 7.2; 146 V 87 consid. 7.1 et les références).

Consid. 4.2
L’interprétation littérale part du texte de la loi. Selon l’art. 23 al. 3 LAI, le calcul du revenu de l’activité lucrative au sens des al. 1 et 1bis se fonde sur le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées (« […] bildet das durchschnittliche Einkommen, von dem Beiträge nach dem AHVG erhoben werden »; « […] è determinante il reddito medio sul quale sono riscossi i contributi secondo la LAVS »). Selon les termes de la disposition, celle-ci constitue une règle de calcul du « revenu déterminant » (« massgebendes Einkommen », « reddito determinante »), dont le législateur décrit les modalités. Or la lecture littérale de l’art. 23 al. 3 LAI n’indique pas, à elle seule, ce qu’il faut entendre par le revenu « sur lequel les cotisations sont prélevées », soit s’il s’agit du revenu sur lequel des cotisations ont été versées, d’une part, ou celui sur lequel celles-ci sont fixées ou celui qui est soumis au prélèvement des cotisations, d’autre part. Une interprétation purement littérale est en outre rendue plus difficile par les variations linguistiques de la disposition, le législateur usant des termes « prélever » en français (prendre avant un partage), « erheben » en allemand (percevoir) et « riscuotere » en italien (encaisser). De plus, au chiffre 0835 CIJ, censé expliciter le cadre législatif, l’OFAS a repris en allemand le texte de l’art. 23 al. 3 LAI (« nach dem AHVG erhoben werden »). Dans les versions française et italienne, il a modifié le temps du verbe (« ont été prélevées »; « sono stati prelevati »), exprimant que des cotisations ont été versées sur le revenu déterminant. À elle seule, l’interprétation littérale de l’art. 23 al. 3 LAI, même lue en corrélation avec la CIJ, ne permet pas d’infirmer, quoi qu’en dise l’assuré, les conclusions de la juridiction cantonale.

Consid. 4.3
Sur le plan historique, il convient de procéder à un bref rappel de l’origine de la disposition en cause, en lien avec l’évolution législative des normes pertinentes.

Consid. 4.3.1
Selon l’ancien art. 24 al. 1 LAI, dans sa version en vigueur du 1er juillet 1999 (6 e révision du régime des allocations pour perte de gain [APG]) au 31 décembre 2003 (4 e révision de la LAI), les dispositions de la LAPG qui régiss[aient] le mode de calcul et les taux maximaux des allocations s’appliqu[aient] aux indemnités journalières. Aux termes de l’ancien art. 24 al. 2 LAI, dans sa teneur en vigueur du 1er janvier 1960 au 31 décembre 2003 (RO 1959 863), pour le calcul de l’indemnité journalière revenant à l’assuré ayant exercé une activité lucrative, le revenu du travail acquis dans sa dernière activité exercée en plein [était] déterminant.

Interprétant cette disposition, l’ancien Tribunal fédéral des assurances a jugé qu’était déterminant le revenu que la personne assurée avait effectivement réalisé avant la survenance de l’atteinte à sa santé, sans qu’il soit nécessaire que des cotisations aient été prélevées sur ce revenu selon l’art. 2 LAI (arrêt I 365/00 du 28 novembre 2001 consid. 4a/aa et 4a/ee, publié in VSI 5/2002 p. 187). Rien ne permettait en particulier d’affirmer que, par le revenu du travail acquis dans sa dernière activité exercée en plein, il était fait référence au dernier revenu soumis à l’obligation de cotiser (arrêt I 365/00 précité consid. 4a/bb). Le Tribunal fédéral des assurances a de plus rappelé que les indemnités journalières de la LAI avaient pour but de garantir à l’assuré et à ses proches l’assise matérielle nécessaire à leur existence pendant la période de la réadaptation. Les moyens nécessaires à cette fin ne pouvaient pas être définis de manière générale, mais dépendaient de divers facteurs, variables au fil du temps. Le Tribunal fédéral des assurances en a conclu que cela plaidait plutôt en faveur d’une prise en compte, pour le calcul des indemnités journalières, de facteurs déterminants actuels, soit de facteurs les plus proches possibles de la date de la survenance de l’atteinte à la santé, sans qu’il ne soit exigé que des cotisations aient été prélevées sur les revenus en question au sens de l’art. 2 LAI (arrêt I 365/00 précité consid. 4a/cc).

Consid. 4.3.2
Dans le cadre de la 4e révision de la LAI, entrée en vigueur le 1er janvier 2004, le législateur n’a pas maintenu le lien entre le régime des APG et celui des indemnités journalières. Il a créé un régime propre à la LAI (art. 22 ss LAI), qui s’inspire du système d’indemnités journalières de la LAA (Message du CF concernant la 4 e révision de la loi fédérale sur l’assurance-invalidité, FF 2001 3095 ch. 2.3.2; ERWIN MURER, Invalidenversicherungsgesetz [Art. 1-27 bis IVG], 2014, n° 10 et 19 ad art. 23-25). Le législateur a tout d’abord introduit à l’art. 23 al. 1 LAI une disposition qui reprend en substance la teneur de l’ancien art. 24 al. 2 LAI (arrêts 9C_126/2010 du 28 septembre 2010 consid. 2.1; I 1081/06 du 23 octobre 2007 consid. 3.1; MEYER/REICHMUTH, Rechtsprechung des Bundesgerichts zum Bundesgesetz über die Invalidenversicherung IVG, 4 e éd. 2023, n° 1 ad art. 23 LAI). Partant, les conditions donnant droit à une indemnité journalière sont demeurées identiques à celles prévues dans la réglementation en vigueur jusqu’au 31 décembre 2003 (Message précité, FF 2001 3128 ch. 4.2). Puis, le législateur a inséré à l’art. 23 al. 3 LAI – sans débat aux Chambres fédérales (BO 2003 CN 1937; BO 2003 CE 756) – un nouvel alinéa, selon lequel est déterminant pour le calcul du revenu de l’activité lucrative au sens de l’al. 1 le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées (revenu déterminant).

Consid. 4.3.3
Dans le cadre de la 6e révision AI, premier volet, le législateur a enfin complété l’art. 23 al. 3 LAI par la mention « de l’art. 1bis « , pour tenir compte de l’introduction de l’art. 23 al. 1bis LAI, et l’a reformulé.

Consid. 4.3.4
Il résulte de cet aperçu que le législateur a souhaité que les conditions de l’art. 23 LAI donnant droit à une indemnité journalière de la LAI demeurent identiques à celles prévues dans la réglementation en vigueur jusqu’au 31 décembre 2003 (Message précité, FF 2001 3128 ch. 4.2). Dans ces conditions, d’un point de vue historique, il n’y a pas lieu de s’écarter des considérations de l’arrêt I 365/00 précité, selon lesquelles le revenu déterminant pour le calcul des indemnités journalières est celui effectivement réalisé avant la survenance de l’atteinte à la santé, sans égard au fait que des cotisations aient été prélevées sur ce montant

(consid. 4.3.1 supra). L’OFAS renvoie d’ailleurs à cet arrêt au chiffre 0835 CIJ.

Consid. 4.4
Sous l’angle systématique, l’art. 23 al. 1 LAI règle le montant de l’indemnité de base et prévoit en même temps une garantie minimale et un montant maximum (Message précité, FF 2001 3128 ch. 4.2). Selon cet alinéa, le calcul de l’indemnité journalière s’opère sur la base du revenu que l’assuré percevait pour la dernière activité lucrative exercée sans restriction due à des raisons de santé. Dès lors que le législateur s’est inspiré du système d’indemnités journalières de la LAA (consid. 4.3.2 supra), l’art. 23 al. 3 LAI décrit ensuite les modalités du calcul. En ce sens, à la différence du « gain assuré » de la LAA (cf. art. 17 al. 1 LAA), le législateur a introduit la notion du « revenu déterminant », soit le revenu moyen sur lequel les cotisations prévues par la LAVS sont prélevées.

Dans le cadre des dispositions d’exécution de l’art. 23 LAI, parmi les précisions sur la base de calcul des indemnités journalières pour différentes catégories d’assurés (art. 21 ss RAI), le Conseil fédéral a prévu une règle concernant les assurés exerçant une activité indépendante. Selon l’art. 21 quater al. 1 RAI, le calcul de l’indemnité journalière pour les personnes de condition indépendante se fonde sur le dernier revenu obtenu sans atteinte à la santé, ramené au gain journalier, soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS. L’exigence que le revenu en cause soit « soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS » (« von dem Beiträge nach dem AHVG erhoben werden »; « soggetto al prelievo dei contributi conformemente alla LAVS ») est formulée de telle manière qu’on ne peut en déduire la condition d’un prélèvement effectif des cotisations.

Consid. 4.5
Ensuite des éléments qui précèdent, la volonté du législateur est claire. Les interprétations historique et systématique conduisent à retenir que l’art. 23 al. 1 LAI, lu en corrélation avec les art. 17 ss RAI, ne prévoit nullement que les cotisations sont réputées formatrices des indemnités journalières de la LAI dans la mesure seulement où elles sont versées. Au contraire, il y a lieu de comprendre que l’art. 23 al. 1 LAI, en lien avec l’art. 21quater al. 1 RAI, prévoit que l’indemnité journalière pour les personnes de condition indépendante est calculée d’après le dernier revenu obtenu sans atteinte à la santé, ramené au gain journalier, soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS (et non pas celui sur lequel des cotisations ont effectivement été prélevées).

C’est le lieu d’ajouter qu’en ce qui concerne le revenu soumis au prélèvement des cotisations conformément à la LAVS, les conditions pour une modification du revenu déterminant (art. 21sexies RAI) ou une réduction de l’indemnité journalière (art. 21septies RAI) ne dépendent pas du versement ultérieur des cotisations sociales. Au contraire, le ch. 0835 CIJ précise expressément que d’éventuelles décisions de réduction ou de remise des cotisations (au sens de l’art. 11 LAVS) ne doivent pas être prises en compte. Il n’en va pas différemment si les cotisations sociales sont ultérieurement amorties car irrécouvrables.

Consid. 4.6
En conséquence de ce qui précède, la juridiction cantonale a fait une application erronée du droit fédéral en fixant le revenu déterminant au sens de l’art. 23 al. 3 LAI en fonction du « revenu pour lequel l’assuré avait matériellement versé les cotisations » (de CHF 9’333.) et en corrigeant en conséquence le revenu de l’année 2013 soumis aux cotisations (de CHF 66’400).

Consid. 5
Bien fondé, le recours doit être admis, ce qui conduit au renvoi de la cause à l’office AI pour qu’il fixe le montant des indemnités journalières dues à l’assuré en fonction du revenu déterminant de CHF 66’400 (avant indexation).

 

Le TF admet le recours de l’assuré.

 

Arrêt 9C_141/2023 consultable ici