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4A_695/2016 (f) du 22.06.2017 – Causalité naturelle et adéquate en droit de la responsabilité civile – 42 CO – 44 CO / Perte de gain passée et perte de gain future – 46 CO / Indemnité pour tort moral – 47 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_695/2016 (f) du 22.06.2017

 

Consultable ici : http://bit.ly/2GBTNEQ

 

Causalité naturelle et adéquate en droit de la responsabilité civile / 42 CO – 44 CO

Perte de gain passée et perte de gain future / 46 CO

Indemnité pour tort moral / 47 CO

 

Le 28.07.2003, X.__, arrêté à un feu rouge au volant de sa voiture, a été percuté par l’arrière par le véhicule de F.__. L’alcoolémie de la conductrice fautive s’élevait à 2.81 o/oo (valeur moyenne) et elle était sous l’influence d’un médicament anxiolytique. Ayant pourtant convenu avec le lésé qu’elle s’arrêterait au bord de la route, elle a pris la fuite. L’irresponsabilité de l’auteur de l’accident a été soulignée par les psychiatres ayant examiné le lésé qui ont insisté sur les conséquences néfastes pour le lésé d’un tel comportement. Ce dernier, qui a rapidement ressenti des douleurs cervicales sur le côté droit, a recherché la conductrice en vain dans le quartier, puis il s’est finalement présenté seul au poste de police pour décrire le déroulement de l’accident.

Depuis octobre 2003, le lésé a été examiné par de nombreux spécialistes en neurologie et en psychiatrie/psychothérapie, ainsi que, pendant l’instruction, par des experts judiciaires.

Il a été établi qu’il n’existait – hormis sur une période de deux à trois mois après l’accident – aucun lien de causalité naturelle entre l’événement dommageable du 28.07.2003 et les divers troubles physiques dont se plaignait le lésé. En revanche, sur le plan psychiatrique, le lien de causalité naturelle entre l’accident et la souffrance psychique du lésé a été jugé comme hautement vraisemblable. Le lésé a subi une modification durable de sa personnalité « après exposition à un stress prolongé ». Sa dépression est qualifiée de sévère.

 

Procédure cantonale (arrêt HC / 2016 / 931 – consultable ici : http://bit.ly/2DU6pK9)

Les magistrats cantonaux ont admis le lien de causalité naturelle et adéquate, tout en considérant que la réduction (50%) opérée par les premiers juges était fondée, tant sur le principe que sur la quotité, au motif qu’il « n’était pas dans l’ordre des choses qu’un accident tel que celui qui s’est produit puisse causer des troubles psychiatriques d’une telle ampleur alors qu’il n’existait aucune lésion physique objectivable ni objectivée ».

 

TF

Causalité naturelle et adéquate en droit de la responsabilité civile

Pour dire s’il y a causalité naturelle, le juge doit apprécier les preuves fournies et s’interroger, de manière purement factuelle, sur l’enchaînement des événements et le caractère indispensable, pour provoquer le résultat, du comportement invoqué à l’appui de la demande. Il appartient donc au juge d’apprécier les diverses preuves et de constater l’existence – ou l’inexistence – du rapport de causalité naturelle (cf. ATF 128 III 174 consid. 2b p. 177; 128 III 180 consid. 2d p. 184).

L’examen du lien de causalité adéquate est une question de droit. Le rapport de causalité est adéquat lorsque l’acte incriminé était propre, d’après le cours ordinaire des choses et l’expérience générale de la vie, à entraîner un résultat du genre de celui qui s’est produit (ATF 123 III 110 consid. 3a p. 112 s.; 122 IV 17 consid. 2c/bb p. 23 s.).

En droit de la responsabilité civile, il ne se justifie pas de tenir compte de la gravité (ou de la légèreté) de l’accident lors de l’examen du rapport de causalité (ATF 123 III 110 consid. 3 p. 111 ss; arrêt 4A_45/2009 du 25 mars 2009 consid. 3.3.1 et 3.3.2 publiés in SJ 2010 p. 73). La faible intensité de la cause du dommage (comparée au préjudice causé) peut toutefois, en combinaison avec d’autres facteurs, être prise en compte au moment de calculer l’indemnité (« circonstances » de l’art. 43 CO; ATF 123 III 110 consid. 3c p. 115). Il est également possible de tenir compte, à ce stade, d’une affection préexistante (art. 44 CO; ATF 123 III 110 consid. 3c p. 114 s.).

La question de savoir s’il y a lieu de revenir sur cette jurisprudence, au vu de celle publiée par les Cours de droit social du Tribunal fédéral en ce qui concerne l’influence de la légèreté de l’accident sur la causalité adéquate, peut ici demeurer ouverte.

Au moment de calculer le dommage subi par le lésé, la cour cantonale a établi que les troubles psychiques de l’assuré ne se seraient pas développés sans l’événement dommageable. Il est donc exclu d’écarter, en application de l’art. 42 CO, une part du préjudice au motif qu’elle serait liée à un état préexistant. Aucune cause concurrente n’avait joué de rôle et aucun élément antérieur (vulnérabilité, troubles de la personnalité, événement particulier de l’histoire personnelle du lésé, état anxieux inhabituel préexistant à l’accident) n’avait été constaté. L’indemnité due au lésé ne pouvait donc pas non plus être réduite pour ces motifs sous l’angle de l’art. 44 CO.

L’accident devait donc être qualifié de léger et une réduction de l’indemnité pouvait être opérée. La faute grave de l’auteur de l’accident (comme  » autre facteur  » déterminant lors de la fixation de l’indemnité) ne permet pas d’exclure d’emblée, à elle seule, toute réduction de l’indemnité (cf. ATF 45 II 310 consid. 5 p. 315 s.). Cela étant, vu la faible intensité de l’accident en l’espèce, on ne saurait reprocher à la cour cantonale d’avoir abusé de son pouvoir d’appréciation (art. 4 CC) lorsqu’elle a décidé de réduire de 50% l’indemnité due au lésé.

 

Préjudice résultant de l’incapacité de travail et atteinte portée à l’avenir économique – 46 CO

En vertu de l’art. 46 al. 1 CO, applicable par le renvoi de l’art. 62 al. 1 LCR, la victime de lésions corporelles a droit au remboursement des frais et aux dommages-intérêts qui résultent de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l’atteinte portée à son avenir économique.

Le préjudice s’entend au sens économique. Est donc déterminante la diminution de la capacité de gain. Le dommage consécutif à l’invalidité doit, autant que possible, être établi de manière concrète. Le juge partira du taux d’invalidité médicale (ou théorique) – question qui relève du fait – et recherchera ses effets sur la capacité de gain ou l’avenir économique du lésé; cette démarche l’amènera à estimer le revenu hypothétique du lésé, soit le gain qu’il aurait obtenu dans son activité professionnelle s’il n’avait pas subi l’accident (ATF 131 III 360 consid. 5.1 p. 363 et les arrêts cités; arrêt 4A_77/2011 du 20 décembre 2011 consid. 2.2.1 et les arrêts cités).

Si la situation salariale concrète de la personne concernée avant l’événement dommageable constitue ainsi la référence, le juge ne doit toutefois pas se limiter à constater le revenu réalisé jusqu’alors, car l’élément déterminant repose bien davantage sur ce que le lésé aurait gagné annuellement dans le futur. Mais, il incombe en particulier au demandeur de rendre vraisemblables les circonstances de fait – à l’instar des augmentations futures probables de son salaire durant la période considérée – dont le juge peut inférer les éléments pertinents pour établir le revenu que le premier aurait réalisé sans l’accident (ATF 131 III 360 consid. 5.1 p. 363; 129 III 135 consid. 2.2 p. 141). Le juge n’admettra une augmentation du revenu due à une promotion ou un changement d’activité que s’il existe des circonstances rendant ces faits vraisemblables (cf. ATF 116 II 295 consid. 3a/aa p. 296 s.; arrêt 4A_79/2011 du 1er juin 2011 consid. 2.2 publié in JdT 2011 I 340).

 

Perte de gain passée

Pour ce poste, l’autorité cantonale a pris en compte le revenu annuel net que le lésé aurait perçu sans l’accident (revenu hypothétique). Comme il aurait poursuivi ses démarches en vue de remettre son commerce et qu’il aurait occupé un poste à mi-temps dans cette société, son salaire annuel a été estimé, selon la situation concrète de l’entreprise, à 22’488 fr. net en 2005 et 23’442 fr. en 2014 (après indexation au coût de la vie). La cour cantonale a ajouté que le lésé aurait continué à enseigner, mais en ne gardant qu’un seul des deux postes d’enseignant qu’il occupait alors. Elle a estimé que, pour le poste qu’il aurait gardé, il aurait perçu une moyenne de 10’009 fr.50 en 2005 et de 10’434 fr. en 2014 (après indexation). Le revenu hypothétique annuel net moyen du demandeur entre 2005 et 2014 se serait ainsi élevé à 33’186 fr.75 ([22’488 fr. + 10’009 fr.50] + [23’442 fr. + 10’434 fr.] / 2), soit, pour la période concernée, la somme de 331’867 fr.50.

S’agissant du revenu réel, la cour cantonale a constaté que, pour la période précitée, l’AI a versé au lésé un montant de 323’556 fr. jusqu’au 30 juin 2014 et, pour le deuxième semestre 2014, un montant de 16’038 fr., soit au total une somme de 339’594 fr. Le revenu hypothétique aurait ainsi été inférieur à celui qu’il a perçu de l’AI.

On ne saurait reprocher à la cour cantonale d’avoir sombré dans l’arbitraire en s’écartant légèrement des chiffres fournis par l’expert, proches de ceux donnés par le témoin L.__. La cour cantonale a expliqué son raisonnement.

Il y a donc lieu de se fonder sur les chiffres établis par la cour cantonale. Il en résulte que, pour la période prise en compte (du 01.01.2005 au 31.12.2014), le revenu hypothétique du lésé (331’867 fr. 50) aurait été inférieur à celui qu’il a perçu de l’AI (339’594 fr.), ce qui exclut toute perte de gain passée.

 

Perte de gain future

Le calcul de la cour cantonale portant sur ce poste doit être confirmé. Il y a donc lieu de tenir compte du montant (capitalisé) de 202’239 fr.70 et d’en déduire le montant versé par l’AI (140’580 fr.75). Il en résulte un dommage de 61’658 fr.50, qu’il y a lieu de réduire de 50%.

 

Indemnité pour tort moral – 47 CO

En vertu de l’art. 47 CO, le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles une indemnité équitable à titre de réparation morale.

Les circonstances particulières évoquées dans la norme consistent dans l’importance de l’atteinte à la personnalité du lésé, l’art. 47 CO étant un cas d’application de l’art. 49 CO (ATF 141 III 97 consid. 11.2 p. 98).

Les lésions corporelles, qui englobent tant les atteintes physiques que psychiques, doivent donc en principe impliquer une importante douleur physique ou morale ou avoir causé une atteinte durable à la santé. Parmi les circonstances qui peuvent, selon les cas, justifier l’application de l’art. 47 CO, figurent avant tout le genre et la gravité de la lésion, l’intensité et la durée des répercussions sur la personnalité de la personne concernée, le degré de la faute de l’auteur ainsi que l’éventuelle faute concomitante de la victime (ATF 141 III 97 consid. 11.2 et les nombreux arrêts cités).

L’indemnité allouée doit être équitable (ATF 130 III 699 consid. 5.1 p. 704 s. et les arrêts cités). Le juge applique les règles du droit et de l’équité lorsque la loi le charge, comme l’art. 47 CO, de prononcer en tenant compte des circonstances (cf. art. 4 CC). Le Tribunal fédéral ne revoit qu’avec réserve la décision d’équité prise en dernière instance cantonale. Il intervient lorsque celle-ci s’écarte sans raison des règles établies par la doctrine et la jurisprudence en matière de libre appréciation, lorsqu’elle repose sur des faits qui, dans le cas particulier, ne devaient jouer aucun rôle ou, au contraire, lorsqu’elle ignore des éléments qui auraient absolument dû être pris en considération; en outre, le Tribunal fédéral redresse les décisions rendues en vertu d’un pouvoir d’appréciation lorsqu’elles aboutissent à un résultat manifestement injuste ou à une iniquité choquante (ATF 141 III 97 consid. 11.2 p. 98; 135 III 121 consid. 2 p. 123).

A propos du quantum de l’indemnité, on peut rappeler que le Tribunal fédéral a jugé équitable une indemnité pour tort moral de 140’000 fr. en capital, dans le cas d’une motocycliste, âgée de 19 ans, grièvement blessée dans un accident de la circulation, qui a entraîné un traumatisme cérébral laissant des séquelles irréversibles (ATF 134 III 97 consid. 4 p. 99 s.).

De même, il a trouvé conforme au droit le versement d’une réparation morale du même montant – avant réduction pour faute de la victime – à un enfant qui, lors d’une descente à ski, a violemment heurté de la tête une barre de fer délimitant la piste et en est resté gravement handicapé (arrêt 4A_206/2014 du 18 septembre 2014 consid. 5).

Le Tribunal fédéral a confirmé le montant de l’indemnité satisfactoire de 80’000 fr. accordée à un demandeur victime d’un accident lui occasionnant de multiples fractures des membres inférieurs, des contusions graves du foie et de la rate, plus un violent choc à la tête, et entraînant une fracture de la pyramide nasale et de très nombreuses fractures dentaires. L’ampleur des blessures est attestée par la première intervention chirurgicale, qui a duré 27 heures. Six autres opérations ont suivi. Les soins hospitaliers et la rééducation se sont étalés sur près de neuf mois. La compagne d’alors du demandeur est restée quant à elle paraplégique. Le lésé, qui travaillait 50 à 60 heures par semaine en étant actif pour le compte de trois sociétés et qui gagnait annuellement plus de 220’000 fr. nets en 1991, a dû totalement arrêter les activités professionnelles qu’il menait alors avec succès. Depuis l’accident, il est atteint de troubles fonctionnels persistants qui provoquent notamment des déficits mnésiques et attentionnels. Sa capacité résiduelle de travail dans une activité adaptée est quant à elle limitée à 30 % (ATF 141 III 97 consid. 11.4 p. 99).

En l’espèce, la cour cantonale a tenu compte de la pathologie psychiatrique sévère dont souffre le lésé, de la modification durable de sa personnalité qui y est liée et de l’invalidité totale qui en résulte. L’autorité précédente s’est également fondée sur la durée des troubles (une vie entière), en relevant toutefois que ceux-ci, leurs conséquences sur la vie sociale du lésé et son état de santé ne pouvaient pas être comparés à la situation d’une personne qui ne pourrait plus se déplacer, se vêtir ou se nourrir. Elle a également pris en compte la gravité de la faute de la conductrice responsable, qui a perdu la maîtrise de son véhicule en étant sous l’emprise de l’alcool.

Le TF confirme le montant de l’indemnité satisfactoire de 50’000 fr. accordée au demandeur par la cour cantonale. Il y a lieu de réduire de moitié ce montant.

 

 

Le TF rejette le recours de X.__.

 

 

Arrêt 4A_695/2016 consultable ici : http://bit.ly/2GBTNEQ

 

 

4A_543/2015 + 4A_545/2015 (f) du 14.03.2016 – Perte de gain actuelle et future – Dommage de rentes – Dommage ménager – Indemnité de réparation morale (80’000.-) / 58 al. 1 LCR – 65 al. 1 LCR – 62 al. 1 LCR – 46 CO – 47 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_543/2015 + 4A_545/2015 (f) du 14.03.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/1TUunQW

 

Perte de gain actuelle et future – Dommage de rentes – Dommage ménager – Indemnité de réparation morale (80’000.-)

Perte de gain future – TF n’admet pas l’augmentation de 1% par année jusqu’à l’âge de la retraite

58 al. 1 LCR – 65 al. 1 LCR – 62 al. 1 LCR – 46 CO – 47 CO

 

Lésée, apprentie de commerce, circulant à cyclomoteur a été a été grièvement blessée le 03.10.2001 dans un accident consécutif à l’inattention d’un conducteur de camion. Agée de vingt ans, elle était enceinte. Amputation de la jambe gauche ; césarienne d’urgence, la vie du fœtus étant menacée. En raison d’une naissance prématurée (33 semaines de grossesse), son fils a souffert d’asphyxie néonatale sévère. Les suites de l’amputation, directes et indirectes, ont nécessité plusieurs autres hospitalisations et interventions chirurgicales, ainsi qu’une difficile réadaptation. Après l’accident et en dépit de ses efforts, elle n’est pas parvenue à achever sa formation. Elle perçoit actuellement une rente entière d’invalidité.

 

TF

Aux termes de l’art. 46 al. 1 CO, la victime de lésions corporelles a droit au remboursement des frais et aux dommages-intérêts qui résultent de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l’atteinte portée à son avenir économique.

Cette disposition prescrit au juge de constater d’abord la perte de gain actuelle, soit celle que le lésé a effectivement subie du jour de l’accident jusqu’à la date de la décision terminant l’instance dans laquelle il est permis d’alléguer pour la dernière fois des faits nouveaux. Le juge doit ensuite évaluer la perte de gain future, en comparant par capitalisation à cette même date les valeurs du revenu que le lésé aurait obtenu à l’avenir sans l’accident, d’une part, et du revenu à attendre d’une activité résiduelle compatible avec l’invalidité, d’autre part (Franz Werro, in Commentaire romand, 2e éd., n° s 7, 11 et 13 ad art. 46 CO).

Les revenus résiduels et hypothétiques doivent être comparés sur la base de salaires nets, après déduction de toutes les cotisations sociales et de prévoyance professionnelle (ATF 136 III 322). La perte de gain future se calcule jusqu’à l’âge de la rente de vieillesse AVS (ATF 123 III 115 consid. 6b p. 118; voir aussi ATF 129 III 135 consid. 4.2.2.3 p. 159). Autant que possible, les pertes de gain doivent être établies de manière concrète (ATF 131 III 360 consid. 5.1 p. 363).

Pour le calcul de la perte de gain future, la lésée n’est pas fondée à réclamer que son revenu hypothétique de 2015 soit augmenté d’un pour cent par année jusqu’à l’âge de la retraite. Cette prétention repose sur une proposition de la doctrine tendant à ce que dans le calcul de la perte de gain future, on prenne systématiquement en considération, par une augmentation forfaitaire d’un pour cent par année, la progression du salaire dont le lésé aurait censément bénéficié en sus de l’adaptation de ce salaire au renchérissement. En l’état de la jurisprudence, cette proposition n’est pas adoptée; une progression future du salaire réel ne doit être prise en considération que si elle apparaît concrètement prévisible au regard de la profession du lésé et des circonstances particulières de son cas (ATF 132 III 321 consid. 3.7.2.1 et 3.7.2.2 p. 337; arrêts 4A_260/2014 du 8 septembre 2014, consid. 6.1; 4A_481/2009 du 26 janvier 2010, consid. 4.2.2). En l’occurrence, une progression du salaire réel n’est pas concrètement prévisible.

Selon la jurisprudence, le dommage consécutif à la perte de gain comprend en outre le dommage de rentes, soit la différence entre les prestations de vieillesse que le lésé aurait perçues après sa retraite s’il avait pu continuer d’exercer son activité lucrative, d’une part, et les prestations de vieillesse et d’invalidité qu’il percevra effectivement, d’autre part. Le total des prestations que le lésé aurait perçues doit être évalué; il se situe entre 50 et 80% de la rémunération hypothétique brute qui aurait précédé le départ à la retraite (ATF 129 III 135 consid. 3.3 p. 150; voir aussi le même arrêt, consid. 2.2 p. 142).

L’invalidité peut grever non seulement la capacité de gain et l’avenir économique du lésé, mais aussi son aptitude à accomplir les travaux du ménage (préjudice ménager). Des dommages-intérêts sont dus au lésé même si une diminution concrète de son patrimoine n’est pas établie; il suffit que l’invalidité entraîne une diminution de sa capacité d’accomplir les tâches ménagères (ATF 129 III 135 consid. 4.2.1 p. 153). En particulier, il est sans importance que l’entrave dans l’accomplissement des travaux ménagers soit compensée par une aide extérieure rétribuée, qu’elle soit compensée par la mise à contribution accrue de proches du lésé, ou qu’elle ne soit pas, ou pas entièrement compensée et qu’il en résulte une perte de qualité dans la tenue du ménage (ATF 134 III 534 consid. 3.2.3.1 p. 538; 132 III 321 consid. 3.1 p. 332). Le juge doit notamment évaluer le taux de l’incapacité à accomplir les tâches ménagères, le temps que le lésé aurait consacré à ces tâches sans la survenance de l’invalidité, et la valeur de cette activité d’après le salaire d’une femme de ménage ou d’une gouvernante (ATF 131 III 360 consid. 8 p. 369).

Pour le préjudice ménager, la valeur du travail ménager évaluée à 25 fr. par heure n’est pas contestée. Il y a également lieu de prendre en considération l’augmentation future de la valeur du travail ménager, correspondant à l’augmentation future, en sus du renchérissement, des salaires dans ce domaine de l’économie. Selon la jurisprudence, cette augmentation doit être prise en considération entre la date de la capitalisation et le moment où le lésé atteindra l’âge de la retraite, sous forme d’une réduction du taux de capitalisation de 3½ à 2½% (ATF 132 III 321 consid. 3.7.2.2 et 3.7.2.3 p. 339).

Selon l’art. 47 CO, le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles une indemnité équitable à titre de réparation morale.

L’indemnité a pour but exclusif de compenser le préjudice que représente une atteinte au bien-être moral. Le principe d’une indemnisation du tort moral et l’ampleur de la réparation dépendent d’une manière décisive de la gravité de l’atteinte et de la possibilité d’adoucir de façon sensible, par le versement d’une somme d’argent, la douleur physique ou morale. Le juge exerce un large pouvoir d’appréciation et le Tribunal fédéral n’intervient qu’avec retenue (ATF 132 II 117 consid. 2.2.2 et 2.2.3 p. 119; 127 IV 215 consid. 2a p. 216).

Le Tribunal cantonal a comparé le cas de la lésée avec un précédent jugé en 1994, qui concernait une femme blessée à l’âge de vingt-et-un ans lors d’un accident. Par suite de graves lésions à la tête, cette personne était demeurée longtemps inconsciente; après la fin de l’hospitalisation, son état avait nécessité plusieurs traitements médicaux et des mesures de réadaptation. En raison des séquelles de l’accident, elle avait dû abandonner son métier de coiffeuse et sa réinsertion professionnelle avait échoué. Sa personnalité s’était modifiée; sur le plan social, elle demeurait totalement dépendante de son entourage. Elle a obtenu une indemnité de 100’000 fr. (arrêt 4C.379/1994 du 21 août 1995). Le Tribunal cantonal a aussi mentionné une indemnité de 120’000 fr. allouée dans un cas de paralysie complète. Sans autre discussion, le tribunal a confirmé l’indemnité de 80’000 fr. allouée à la lésée par le Juge de district. Actuellement, compte tenu du renchérissement, le montant de 100’000 fr. alloué en 1994 correspondrait à 114’000 fr. environ.

Le cas de la lésée présente d’importantes similitudes avec ce précédent, sur lequel elle insiste afin que sa propre indemnité soit majorée à 100’000 fr., mais il présente aussi certaines différences. La lésée a enduré des souffrances peut-être comparables, voire accrues compte tenu que l’accident de 2001 a entraîné la naissance prématurée de son premier fils, et elle demeure elle aussi handicapée et invalide. En revanche, il n’est pas constaté que les lésions subies influencent sa personnalité, ni que les suites de l’accident l’entravent notablement dans sa vie privée et familiale; elle a au contraire pu donner naissance à deux autres fils. En définitive, il est possible qu’un montant supérieur à 80’000 fr. puisse aussi se justifier en équité; ce chiffre-ci se situe néanmoins dans les limites du raisonnable et le Tribunal fédéral ne voit donc pas que les juges de l’indemnisation aient abusé de leur pouvoir d’appréciation.

La lésée réclame un montant supplémentaire de 30’000 fr. pour son fils, à raison des souffrances que celui-ci a endurées dans les circonstances troublées de sa naissance et de sa petite enfance. Le succès de toute action en justice suppose que les parties lésée et défenderesse aient respectivement, sur chacune des prétentions en cause, qualité pour agir et pour défendre au regard du droit applicable (ATF 136 III 365 consid. 2.1 p. 367; 126 III 59 consid. 1a p. 63). Dans une action en paiement, la qualité pour agir appartient au créancier de la somme réclamée. En l’occurrence, la lésée n’a pas qualité pour élever en son propre nom une prétention qui n’existe, le cas échéant, que dans le patrimoine de son fils.

 

 

Arrêt 4A_543/2015 + 4A_545/2015 consultable ici : http://bit.ly/1TUunQW

NB : je renvoie le lecteur-praticien au jugement du TF qui a procédé à des calculs détaillés, applicables au cas d’espèce.