4A_543/2015 + 4A_545/2015 (f) du 14.03.2016 – Perte de gain actuelle et future – Dommage de rentes – Dommage ménager – Indemnité de réparation morale (80’000.-) / 58 al. 1 LCR – 65 al. 1 LCR – 62 al. 1 LCR – 46 CO – 47 CO

Arrêt du Tribunal fédéral 4A_543/2015 + 4A_545/2015 (f) du 14.03.2016

 

Consultable ici : http://bit.ly/1TUunQW

 

Perte de gain actuelle et future – Dommage de rentes – Dommage ménager – Indemnité de réparation morale (80’000.-)

Perte de gain future – TF n’admet pas l’augmentation de 1% par année jusqu’à l’âge de la retraite

58 al. 1 LCR – 65 al. 1 LCR – 62 al. 1 LCR – 46 CO – 47 CO

 

Lésée, apprentie de commerce, circulant à cyclomoteur a été a été grièvement blessée le 03.10.2001 dans un accident consécutif à l’inattention d’un conducteur de camion. Agée de vingt ans, elle était enceinte. Amputation de la jambe gauche ; césarienne d’urgence, la vie du fœtus étant menacée. En raison d’une naissance prématurée (33 semaines de grossesse), son fils a souffert d’asphyxie néonatale sévère. Les suites de l’amputation, directes et indirectes, ont nécessité plusieurs autres hospitalisations et interventions chirurgicales, ainsi qu’une difficile réadaptation. Après l’accident et en dépit de ses efforts, elle n’est pas parvenue à achever sa formation. Elle perçoit actuellement une rente entière d’invalidité.

 

TF

Aux termes de l’art. 46 al. 1 CO, la victime de lésions corporelles a droit au remboursement des frais et aux dommages-intérêts qui résultent de son incapacité de travail totale ou partielle, ainsi que de l’atteinte portée à son avenir économique.

Cette disposition prescrit au juge de constater d’abord la perte de gain actuelle, soit celle que le lésé a effectivement subie du jour de l’accident jusqu’à la date de la décision terminant l’instance dans laquelle il est permis d’alléguer pour la dernière fois des faits nouveaux. Le juge doit ensuite évaluer la perte de gain future, en comparant par capitalisation à cette même date les valeurs du revenu que le lésé aurait obtenu à l’avenir sans l’accident, d’une part, et du revenu à attendre d’une activité résiduelle compatible avec l’invalidité, d’autre part (Franz Werro, in Commentaire romand, 2e éd., n° s 7, 11 et 13 ad art. 46 CO).

Les revenus résiduels et hypothétiques doivent être comparés sur la base de salaires nets, après déduction de toutes les cotisations sociales et de prévoyance professionnelle (ATF 136 III 322). La perte de gain future se calcule jusqu’à l’âge de la rente de vieillesse AVS (ATF 123 III 115 consid. 6b p. 118; voir aussi ATF 129 III 135 consid. 4.2.2.3 p. 159). Autant que possible, les pertes de gain doivent être établies de manière concrète (ATF 131 III 360 consid. 5.1 p. 363).

Pour le calcul de la perte de gain future, la lésée n’est pas fondée à réclamer que son revenu hypothétique de 2015 soit augmenté d’un pour cent par année jusqu’à l’âge de la retraite. Cette prétention repose sur une proposition de la doctrine tendant à ce que dans le calcul de la perte de gain future, on prenne systématiquement en considération, par une augmentation forfaitaire d’un pour cent par année, la progression du salaire dont le lésé aurait censément bénéficié en sus de l’adaptation de ce salaire au renchérissement. En l’état de la jurisprudence, cette proposition n’est pas adoptée; une progression future du salaire réel ne doit être prise en considération que si elle apparaît concrètement prévisible au regard de la profession du lésé et des circonstances particulières de son cas (ATF 132 III 321 consid. 3.7.2.1 et 3.7.2.2 p. 337; arrêts 4A_260/2014 du 8 septembre 2014, consid. 6.1; 4A_481/2009 du 26 janvier 2010, consid. 4.2.2). En l’occurrence, une progression du salaire réel n’est pas concrètement prévisible.

Selon la jurisprudence, le dommage consécutif à la perte de gain comprend en outre le dommage de rentes, soit la différence entre les prestations de vieillesse que le lésé aurait perçues après sa retraite s’il avait pu continuer d’exercer son activité lucrative, d’une part, et les prestations de vieillesse et d’invalidité qu’il percevra effectivement, d’autre part. Le total des prestations que le lésé aurait perçues doit être évalué; il se situe entre 50 et 80% de la rémunération hypothétique brute qui aurait précédé le départ à la retraite (ATF 129 III 135 consid. 3.3 p. 150; voir aussi le même arrêt, consid. 2.2 p. 142).

L’invalidité peut grever non seulement la capacité de gain et l’avenir économique du lésé, mais aussi son aptitude à accomplir les travaux du ménage (préjudice ménager). Des dommages-intérêts sont dus au lésé même si une diminution concrète de son patrimoine n’est pas établie; il suffit que l’invalidité entraîne une diminution de sa capacité d’accomplir les tâches ménagères (ATF 129 III 135 consid. 4.2.1 p. 153). En particulier, il est sans importance que l’entrave dans l’accomplissement des travaux ménagers soit compensée par une aide extérieure rétribuée, qu’elle soit compensée par la mise à contribution accrue de proches du lésé, ou qu’elle ne soit pas, ou pas entièrement compensée et qu’il en résulte une perte de qualité dans la tenue du ménage (ATF 134 III 534 consid. 3.2.3.1 p. 538; 132 III 321 consid. 3.1 p. 332). Le juge doit notamment évaluer le taux de l’incapacité à accomplir les tâches ménagères, le temps que le lésé aurait consacré à ces tâches sans la survenance de l’invalidité, et la valeur de cette activité d’après le salaire d’une femme de ménage ou d’une gouvernante (ATF 131 III 360 consid. 8 p. 369).

Pour le préjudice ménager, la valeur du travail ménager évaluée à 25 fr. par heure n’est pas contestée. Il y a également lieu de prendre en considération l’augmentation future de la valeur du travail ménager, correspondant à l’augmentation future, en sus du renchérissement, des salaires dans ce domaine de l’économie. Selon la jurisprudence, cette augmentation doit être prise en considération entre la date de la capitalisation et le moment où le lésé atteindra l’âge de la retraite, sous forme d’une réduction du taux de capitalisation de 3½ à 2½% (ATF 132 III 321 consid. 3.7.2.2 et 3.7.2.3 p. 339).

Selon l’art. 47 CO, le juge peut, en tenant compte de circonstances particulières, allouer à la victime de lésions corporelles une indemnité équitable à titre de réparation morale.

L’indemnité a pour but exclusif de compenser le préjudice que représente une atteinte au bien-être moral. Le principe d’une indemnisation du tort moral et l’ampleur de la réparation dépendent d’une manière décisive de la gravité de l’atteinte et de la possibilité d’adoucir de façon sensible, par le versement d’une somme d’argent, la douleur physique ou morale. Le juge exerce un large pouvoir d’appréciation et le Tribunal fédéral n’intervient qu’avec retenue (ATF 132 II 117 consid. 2.2.2 et 2.2.3 p. 119; 127 IV 215 consid. 2a p. 216).

Le Tribunal cantonal a comparé le cas de la lésée avec un précédent jugé en 1994, qui concernait une femme blessée à l’âge de vingt-et-un ans lors d’un accident. Par suite de graves lésions à la tête, cette personne était demeurée longtemps inconsciente; après la fin de l’hospitalisation, son état avait nécessité plusieurs traitements médicaux et des mesures de réadaptation. En raison des séquelles de l’accident, elle avait dû abandonner son métier de coiffeuse et sa réinsertion professionnelle avait échoué. Sa personnalité s’était modifiée; sur le plan social, elle demeurait totalement dépendante de son entourage. Elle a obtenu une indemnité de 100’000 fr. (arrêt 4C.379/1994 du 21 août 1995). Le Tribunal cantonal a aussi mentionné une indemnité de 120’000 fr. allouée dans un cas de paralysie complète. Sans autre discussion, le tribunal a confirmé l’indemnité de 80’000 fr. allouée à la lésée par le Juge de district. Actuellement, compte tenu du renchérissement, le montant de 100’000 fr. alloué en 1994 correspondrait à 114’000 fr. environ.

Le cas de la lésée présente d’importantes similitudes avec ce précédent, sur lequel elle insiste afin que sa propre indemnité soit majorée à 100’000 fr., mais il présente aussi certaines différences. La lésée a enduré des souffrances peut-être comparables, voire accrues compte tenu que l’accident de 2001 a entraîné la naissance prématurée de son premier fils, et elle demeure elle aussi handicapée et invalide. En revanche, il n’est pas constaté que les lésions subies influencent sa personnalité, ni que les suites de l’accident l’entravent notablement dans sa vie privée et familiale; elle a au contraire pu donner naissance à deux autres fils. En définitive, il est possible qu’un montant supérieur à 80’000 fr. puisse aussi se justifier en équité; ce chiffre-ci se situe néanmoins dans les limites du raisonnable et le Tribunal fédéral ne voit donc pas que les juges de l’indemnisation aient abusé de leur pouvoir d’appréciation.

La lésée réclame un montant supplémentaire de 30’000 fr. pour son fils, à raison des souffrances que celui-ci a endurées dans les circonstances troublées de sa naissance et de sa petite enfance. Le succès de toute action en justice suppose que les parties lésée et défenderesse aient respectivement, sur chacune des prétentions en cause, qualité pour agir et pour défendre au regard du droit applicable (ATF 136 III 365 consid. 2.1 p. 367; 126 III 59 consid. 1a p. 63). Dans une action en paiement, la qualité pour agir appartient au créancier de la somme réclamée. En l’occurrence, la lésée n’a pas qualité pour élever en son propre nom une prétention qui n’existe, le cas échéant, que dans le patrimoine de son fils.

 

 

Arrêt 4A_543/2015 + 4A_545/2015 consultable ici : http://bit.ly/1TUunQW

NB : je renvoie le lecteur-praticien au jugement du TF qui a procédé à des calculs détaillés, applicables au cas d’espèce.

 

 

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