Archives par mot-clé : Niveau de compétences

8C_368/2021 (d) du 22.07.2021 – Revenu sans invalidité selon l’ESS – Prise en compte de l’évolution de la carrière (comme invalide) / Revenu d’invalide – Rappel de la notion du marché équilibré de l’emploi et de l’exigibilité – Capacité de travail et de gain exigible

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_368/2021 (d) du 22.07.2021

 

Consultable ici

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt fait foi.

 

Revenu sans invalidité – Méthode de la comparaison des revenus vs méthode extraordinaire / 16 LPGA

Détermination du revenu sans invalidité selon l’ESS – Prise en compte de l’évolution de la carrière (comme invalide) pour fixer le revenu sans invalidité

Revenu d’invalide – Rappel de la notion du marché équilibré de l’emploi et de l’exigibilité – Capacité de travail et de gain exigible

Niveau de compétences 2

 

Assurée, née en 1963, serveuse dans le restaurant d’un hôtel depuis novembre 1983 (salaire mensuel de CHF 2’150). A la suite d’une chute, le 09.04.1986, elle subit une fracture trimalléolaire de la cheville droite.

Par décision du 24.04.1989, l’assurance-accidents a octroyé une IPAI de 30% ainsi qu’une invalidité en capital (pour l’invalidité) d’un montant de CHF 10’724. Divers frais médicaux ont, par la suite, été pris en charge (remboursement des frais de traitement médical, adaptation de chaussures orthopédiques).

Depuis décembre 2004, l’assurée est associée gérante, avec signature individuelle, pour l’entreprise en nom collectif Hôtel B.__.

Le 24.06.2018, l’assurée a annoncé des séquelles tardives de l’accident du 09.04.2018. L’assurance-accidents a pris en charge le traitement médical et payé des indemnités journalières.

De l’avis du 03.06.2020 du médecin-conseil, spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur, aucune amélioration significative de l’état de santé de l’assurée ne pouvait être attendue d’un traitement médical supplémentaire. L’incapacité de travail dans l’activité habituelle était de 70% ; dans une activité adaptée à l’état de santé, la capacité de travail était pleine et entière.

Par décision du 01.07.2020, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis au versement de ces prestations, nié le droit à une rente d’invalidité (taux d’invalidité de 2%) et octroyé une IPAI de CHF 13’920.

 

Procédure cantonale

Le tribunal cantonal n’a pas indexé le dernier salaire perçu avant l’accident du 09.04.1986, en raison du changement professionnel de décembre 2004. Comme elle occupait donc une position professionnelle plus élevée qu’au moment de l’accident, l’activité professionnelle initiale comme serveuse ne pouvait plus servir de base pour le revenu sans invalidité. En raison de cette amélioration de sa situation professionnelle, il fallait présumer que, même sans l’accident, il en aurait été de même. Par conséquent, dans le cas le plus favorable pour l’assurée, le revenu sans invalidité a été déterminé sur la base de l’ESS 2018, branches 55-56 « Hébergement et restauration », niveau de compétences 4 (tâches qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé). Après correction de l’horaire hebdomadaire et de l’évolution des salaires jusqu’en 2019, le revenu sans invalidité a été fixé à CHF 65’651.90.

S’agissant du revenu d’invalide, le tribunal cantonal a constaté qu’il fallait tenir compte du fait que l’assurée pouvait s’appuyer sur l’expérience de son activité habituelle et qu’elle avait acquis au fil des ans des compétences et des connaissances particulières qui pouvaient être utilement utilisées dans les activités qu’on pouvait raisonnablement exiger d’elle. Le revenu d’invalide (CHF 61’291.10) a ainsi été fixé sur la base de l’ESS, ligne Total, niveau de compétences 2. Un abattement sur le revenu statistique n’a pas été retenu.

La comparaison des revenus sans invalidité et d’invalide fait apparaître un taux d’invalidité de 7%, excluant le droit à la rente d’invalidité.

Par jugement du 17.03.2021, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Revenu sans invalidité – Méthode de la comparaison des revenus vs méthode extraordinaire

L’assurée estime que l’activité d’associée d’une société en nom collectif et gérante d’un hôtel s’apparente à un travail comme indépendant. Les conditions dans l’industrie hôtelière étant instables et fluctuantes, il aurait été approprié de déterminer le degré d’invalidité sur la base d’une comparaison des activités.

Selon le TF (consid. 7.2) :

Dans la mesure du possible, le taux d’invalidité doit être déterminé selon la méthode générale de comparaison des revenus (art. 16 LPGA). En règle générale, il faut déterminer aussi précisément que possible les revenus sans invalidité et d’invalide et les comparer entre eux, le taux d’invalidité étant calculé à partir de la différence des revenus. Si le revenu sans invalidité ne peut être déterminé et chiffré de manière exacte, il est estimé selon les circonstances connues et des valeurs approximatives sont comparées entre elles. Conformément à la méthode spécifique relative aux personnes sans activité lucrative (art. 27 RAI), il convient de procéder à une comparaison des activités et déterminer le degré d’invalidité sur la base des effets de la capacité de gain réduite dans la situation professionnelle spécifique (méthode extraordinaire ; ATF 128 V 29 consid. 1; arrêt 8C_228/2020 du 28.05.2020 consid. 4.1.1 et les références).

Les circonstances exceptionnelles permettant d’appliquer la méthode extraordinaire ne sont pas présentes dans le cas d’espèce. L’assurée ne démontre pas en quoi la non-application de la méthode extraordinaire serait contraire au droit fédéral et en quoi l’application de la comparaison des revenus réalisées par la juridiction cantonale lui causerait des désavantages. Le grief est rejeté.

 

Détermination du revenu sans invalidité

L’assurée fait grief qu’en tant qu’associée, elle avait non seulement droit à un salaire, mais également à une part des bénéfices. Son potentiel de gain était donc supérieur au salaire médian, c’est pourquoi le revenu sans invalidité, fixé sur la base du salaire médian des employés du secteur de l’hôtellerie et de la restauration au niveau de compétence 4, a été fixé trop bas.

Selon le TF (consid. 8.1) :

Pour le revenu sans invalidité, est déterminant le salaire qu’aurait effectivement gagné l’assuré, en bonne santé, au moment du début du droit à la rente. En règle générale, on se base sur le dernier salaire perçu, éventuellement corrigé de l’inflation et de l’évolution réelle du revenu, en posant la présomption que l’assuré continué d’exercer son activité sans la survenance de son invalidité. Des exceptions ne sauraient être admises que si elles sont établies au degré de la vraisemblance prépondérante (ATF 139 V 28 consid. 3.3.2).

Dans le cadre de la révision (art. 17 LPGA), il y a une différence par rapport à la fixation initiale de la rente, dans la mesure où l’on connaît la carrière professionnelle de la personne invalide, effectivement poursuivie entre-temps. Une qualification professionnelle particulière réalisée malgré l’invalidité permet de tirer des conclusions quant à l’évolution hypothétique qui se serait produite sans l’atteinte à la santé (liée à l’accident) jusqu’au moment de la révision. Toutefois, une carrière réussie en tant qu’invalide dans un nouveau domaine professionnel ne signifie pas nécessairement que l’assuré aurait atteint – sans invalidité – un poste comparable dans le domaine d’activité initiale (ATF 145 V 141 consid. 5.2.1 et les références).

Selon le TF (consid. 8.2.2) :

Le Tribunal fédéral ne voit pas en quoi l’approche de la cour cantonale serait contraire au droit fédéral lorsqu’elle a fixé le revenu sans invalidité sur la base de l’ESS (branches 55-56, femmes, niv. comp. 4). Par ailleurs, l’assurée ne fournit pas de preuves qu’elle aurait réellement pu réaliser un salaire plus élevé ; à cet égard, la jurisprudence est stricte à cet égard (cf. arrêt 8C_285/2020 du 15.09.2020 consid. 4.3.3).

 

Revenu d’invalide

Capacité de travail et de gain exigible (consid. 9)

L’évaluation du revenu d’invalide selon la situation professionnelle concrète suppose, entre autres, que l’assuré utilise pleinement la capacité de travail exigible restante (ATF 143 V 295 consid. 2.2). Ce n’est pas le cas si, sur le marché équilibré de l’emploi, il pourrait gagner un salaire plus élevé que celui qu’il reçoit effectivement. Par rapport à ce marché de travail équilibré (hypothétique), un changement d’emploi est également exigible s’il est très difficile, voire impossible, pour l’assuré de trouver un emploi correspondant en raison des circonstances économiques sur le marché réel du travail. La prise en compte de ce revenu hypothétiquement plus élevé ne repose donc pas tant sur l’obligation de limiter le dommage que sur le fait que l’assurance-accidents ne doit indemniser que la perte de gain causée par l’atteinte à la santé consécutive à l’accident (SVR 2019 UV Nr. 3 S. 9, 8C_121/2017 consid. 7.4, 2012 UV Nr. 3 S. 9, 8C_237/2011 consid. 2.3).

Lors de l’évaluation de l’invalidité, l’assuré doit se voir opposé, comme revenu d’invalide, le revenu qu’il pourrait raisonnablement obtenir sur le marché général du travail dans une activité exigible ; même s’il renonce à changer de profession ou d’emploi en raison de perspectives favorables dans le poste exercé jusqu’ici, il ne peut pas attendre de l’assurance-accidents qu’elle indemnise une diminution du gain due à la renonciation à un revenu exigible (arrêt 8C_631/2019 du 18.12.2019 consid. 6.1).

L’assurée ne prétend pas, et il ne ressort pas du dossier, qu’elle utilise pleinement sa capacité de travail restante exigible dans son emploi actuel. Par conséquent, il n’est pas contraire au droit fédéral que la cour cantonale fonde sa décision sur le salaire statistique de l’ESS. Il est donc indifférent de savoir dans quelle mesure elle est limitée dans son emploi actuel de directrice d’un hôtel en raison de son état de santé. Il n’est pas non plus nécessaire de procéder à une mise en demeure et octroyer un délai de réflexion selon l’art. 21 al. 4 LPGA pour inciter l’assuré à changer d’emploi ou pour lui imputer le revenu d’invalide correspondant (arrêt 9C_771/2017 du 29 mai 2018 consid. 3.5.1 et la référence).

 

Niveau de compétences (consid. 10)

En raison de ses nombreuses années de travail en tant que gérante d’un hôtel, l’assurée dispose d’une expérience professionnelle dans une fonction de direction avec des tâches administratives, qu’elle peut utiliser non seulement dans le secteur de la restauration, mais également dans d’autres secteurs professionnels (cf. également arrêts 8C_534/2019 du 18.12.2019 consid. 5.3.3.2 s. et 8C_732/2018 du 26.03.2019 consid. 8.2.2). Dans ces conditions, il n’est pas contraire au droit fédéral que l’instance cantonale ait retenu le niveau de compétences 2 de la ligne Total de l’ESS.

 

Abattement (consid. 11)

Il n’est pas déterminant de savoir si sa capacité de travail restante est utilisable dans les conditions spécifiques du marché du travail, mais seulement de savoir si l’assurée pourrait encore utiliser économiquement sa capacité de travail restante s’il y avait un équilibre entre l’offre et la demande d’emplois (marché équilibré du travail, art. 16 LPGA ; ATF 138 V 457 consid. 3.1, 110 V 273 E. 4b; arrêt 8C_330/2021 du 08.06.2021 consid. 5.3.1).

La cour cantonale a expliqué pourquoi les limitations fonctionnelles et l’âge, invoqués par l’assurée, ne justifient pas une déduction. La simple référence générale à ces motifs d’abattement ne change rien à ce résultat. En outre, le manque d’expérience professionnelle n’est pas pertinent.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

 

Arrêt 8C_368/2021 consultable ici

Proposition de citation : 8C_368/2021 (d) du 22.07.2021 – Revenu sans invalidité selon l’ESS – Notion du marché équilibré de l’emploi et de l’exigibilité, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2021/08/8c_368-2021)

 

9C_668/2019 (d) du 03.03.2020 – Interruption de l’incapacité de travail / 28 al. 1 lit. b LAI – 29ter RAI Revenu d’invalide selon l’ESS – Assistante de bureau AFP – Niveau de compétences 1 / 16 LPGA

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_668/2019 (d) du 03.03.2020

NB : traduction personnelle ; seul l’arrêt du TF fait foi.

 

Consultable ici

 

Interruption de l’incapacité de travail / 28 al. 1 lit. b LAI – 29ter RAI

Revenu d’invalide selon l’ESS – Assistante de bureau AFP – Niveau de compétences 1 / 16 LPGA

 

Assurée, née en 1965, employée à 100 %, travaillant dans la logistique ainsi que dans le domaine de l’organisation de cours. Le 21.01.2015, annonce AI.

Une expertise a été réalisée par le MEDAS.

L’office AI a nié le droit de l’assurée à une rente d’invalidité.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 02.09.2019, admission partielle du recours par le tribunal cantonal, octroyant le droit à l’assuré à un quart de rente AI du 01.07.2015 au 31.08.2015, à une rente entière du 01.09.2015 au 29.02.2016 et à un quart de rente AI dès le 01.03.2016.

 

TF

Interruption significative de l’incapacité de travail

Une interruption significative de l’incapacité de travail au sens de l’art. 28 al. 1 lit. b LAI existe lorsque l’assuré a été entièrement apte au travail pendant 30 jours consécutifs au moins (art. 29ter RAI).

L’office AI (recourant) argue qu’aucun certificat médical d’incapacité de travail n’a été délivré entre le 01.09.2014 et le 30.11.2014. Selon les médecins-experts, l’assurée a précédemment travaillé dans un bureau pour 50% et dans la logistique pour 50%. Toutes les activités physiquement légères, qui lui permettent d’épargner le dos, en tout cas l’activité au bureau, étaient raisonnablement exigible à 70%. Cependant, les travaux plus lourds de logistique étaient limités voire impossibles en raison des troubles dorsaux. Il est difficile à les quantifier et dépend des tâches respectives requises. Cependant, ces activités pénibles n’ont plus été possibles depuis le début de l’incapacité de travail en février 2014. Au vu des déclarations des experts, il ne fait aucun doute que leur évaluation est également valable rétrospectivement, à l’exception des incapacités partielles ou totales de travail plus élevées post- ou périopératoires.

Après examen, le Tribunal fédéral conclut que les constatations du tribunal cantonal selon lesquelles le délai d’attente n’a pas été interrompu, ne violent pas le droit fédéral.

 

Revenu d’invalide

L’assurée est au bénéfice d’une formation d’assistante de bureau AFP (attestation fédérale de formation professionnelle ; Eidgenössisches Berufsattest EBA en allemand) et n’a pas de qualification professionnelle supérieure. En particulier, sa formation n’est pas équivalente à celle d’une employée de commerce CFC (certificat fédéral de capacité ; Eidgenössisches Fähigkeitszeugnis EFZ en allemand).

Une AFP est obtenue après une formation professionnelle initiale de deux ans alors que le CFC l’est après une formation professionnelle initiale de trois ou quatre ans (art. 17 al. 2 et 3 et 37 s. LFPr [Loi fédérale sur la formation professionnelle]). Toute personne qui a terminé l’école obligatoire avec les exigences de base est admise à la formation d’assistante de bureau AFP. Pour l’apprentissage d’employée de commerce CFC, en revanche, il faut au moins avoir terminé l’école obligatoire au niveau le plus élevé avec des notes suffisantes ou au niveau intermédiaire avec de bonnes notes dans les matières principales. Après une formation d’assistante de bureau AFP, en cas de très bons résultats, il est possible de suivre une formation complémentaire pour obtenir le certificat fédéral de capacité d’employée de commerce. Dans ces conditions, il est justifié de qualifier la certification de l’assurée comme formation à une activité auxiliaire dans le secteur des bureaux, par rapport à celle d’employée de commerce CFC.

La conclusion du tribunal cantonal, selon laquelle l’assurée, malgré sa formation, ne pouvait être employée que pour de travaux simples de bureau, n’est donc en aucun cas manifestement erronée. Forte de cette constatation, la cour cantonale a établi à juste titre le revenu d’invalide sur la base du niveau de compétences 1. Cela ne peut être modifié par le simple fait que l’expérience professionnelle d’environ cinq ans de l’assurée dans le secteur commercial ne change rien en soi (cf. également dans le cas d’une expérience professionnelle de plusieurs années, arrêt 8C_728/2016 du 21 décembre 2016 consid. 3.3).

Enfin, le fait que le niveau de compétence 1 comprenne de nombreuses activités simples qui nécessitent de la force physique n’est pas pertinent, car chaque domaine d’activité contient un niveau de compétence 1 (cf. l’Enquête sur la structure des salaires de l’Office fédéral de la statistique).

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_668/2019 consultable ici

 

 

9C_370/2019 (f) du 10.07.2019 – Revenu d’invalide selon ESS – Niveau de compétences 2 (tâches pratiques) vs niveau de compétences 3 (tâches pratiques complexes)

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_370/2019 (f) du 10.07.2019

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide selon ESS – Niveau de compétences 2 (tâches pratiques) vs niveau de compétences 3 (tâches pratiques complexes)

 

Assuré, né en 1965, titulaire d’un baccalauréat français, a travaillé comme développeur de bases de données du 01.01.2005 au 31.03.2011. En arrêt de travail depuis le 17.03.2010, il a déposé une demande de prestations de l’assurance-invalidité le 24.09.2010.

L’office AI a pris en charge un stage d’orientation professionnelle (du 03.12.2012 au 17.03.2013), puis une formation de moniteur de conduite à partir de mai 2013. Après avoir échoué à deux reprises à un examen pratique fin 2015, l’assuré a renoncé à poursuivre cette formation. Par décision du 07.12.2017, l’office AI a octroyé à l’assuré une rente entière d’invalidité du 01.03.2011 au 31.03.2013 et du 01.01.2016 au 31.10.2016, ainsi que trois quarts de rente dès le 01.11.2016.

 

Procédure cantonale (NB : il ne peut pas s’agir de l’arrêt cantonal ATAS/321/2019)

Par jugement du 17.04.2019, admission du recours par le tribunal cantonal, reconnaissant le droit de l’assuré à une rente entière d’invalidité dès le 01.11.2016.

 

TF

Le choix du niveau de compétence est une question de droit que le Tribunal fédéral examine librement (ATF 143 V 295 consid. 2.4 p. 297).

Depuis la 10e édition des ESS (ESS 2012), les emplois sont classés par l’Office fédéral de la statistique (OFS) par profession en fonction du type de travail qui est généralement effectué. L’accent est ainsi mis sur le type de tâches que la personne concernée est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications (niveau de ses compétences) et non plus sur les qualifications en elles-mêmes. Quatre niveaux de compétence ont été définis en fonction de neuf groupes de profession (voir tableau T17 de l’ESS 2012 p. 44) et du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (voir tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012; ATF 142 V 178 consid. 2.5.3 p. 184). Le niveau 1 est le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 se réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (arrêt 8C_46/2018 du 11 janvier 2019 consid. 4.4 et les références).

En l’occurrence, la juridiction cantonale a retenu de manière convaincante que le type de travail encore à la portée de l’assuré justifiait de se fonder pour l’année 2016 sur le niveau de compétence 2 de l’ESS. L’assuré n’a tout d’abord pas obtenu un titre universitaire sanctionnant ses années d’étude à l’Université de C.__. Il n’a également pas achevé la formation de moniteur de conduite. En ce qui concerne ensuite les compétences de l’assuré, le stage d’orientation a certes mis en évidence un « potentiel d’apprentissage et de polyvalence élevé ». Les responsables du stage ont cependant soutenu la réorientation comme moniteur de conduite, laquelle constitue ordinairement une activité dans le domaine personnel des services directs aux particuliers d’un niveau de compétence 2 (voir tableau T17 de l’ESS, en relation avec le ch. 5165 de la Classification internationale type des professions [CITP-08], Moniteurs d’auto-école). Quant aux compétences linguistiques de l’assuré, même à supposer qu’il « maîtrise un niveau d’anglais supérieur » comme le prétend l’office AI, elles ne sont pas suffisantes pour justifier des connaissances adéquates pour des professions intermédiaires de la finance et de l’administration mentionnées par l’office AI.

Enfin, l’office AI s’écarte des faits constatés par la juridiction cantonale lorsqu’il affirme sans plus amples justifications que l’assuré avait accompli des tâches de direction, d’administration et qu’il possédait des connaissances très pointues du métier de l’entreprise. Cette affirmation ne suffit pas à mettre en cause les considérations de la juridiction cantonale selon lesquelles l’assuré ne possède pas de qualifications professionnelles reconnues susceptibles de lui permettre d’exercer dans une activité adaptée à ses limitations fonctionnelles des tâches pratiques complexes nécessitant un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (fonction intermédiaire technique ou non technique).

 

Le TF rejette le recours de l’office AI.

 

 

Arrêt 9C_370/2019 consultable ici

 

 

8C_46/2018 (f) du 11.01.2019 – Revenu d’invalide selon l’ESS – tableau TA1_skill_levels et non pas TA1_b – 16 LPGA / Niveau de compétences 2 vs 3 et niveau 1 vs 2 – Aptitude concrète de la personne assurée / Abattement lié aux années de service – Différence de raisonnement entre niveau de compétences 1 et niveau de compétences 2

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_46/2018 (f) du 11.01.2019

 

Consultable ici

 

Revenu d’invalide selon l’ESS – tableau TA1_skill_levels et non pas TA1_b / 16 LPGA

Niveau de compétences 2 vs 3 et niveau 1 vs 2 – Aptitude concrète de la personne assurée

Abattement lié aux années de service – Différence de raisonnement entre niveau de compétences 1 et niveau de compétences 2

 

Assuré, né en 1958, au bénéfice d’un CFC de vendeur, travaille depuis 1975 au service d’une société et a été promu gérant du magasin en 2005.

Le 25.08.2009, l’assuré a fait une chute d’une centaine de mètres lors d’une randonnée en montagne. Il en est résulté un polytraumatisme. L’assuré a subi diverses interventions chirurgicales. L’évolution, lentement favorable, a été marquée par un retard de consolidation de la fracture. Le 15.02.2010, l’assuré a repris à 50% son travail de gérant de magasin, mais en raison d’un rendement insuffisant, la direction de la société l’a muté peu après dans un autre établissement à un poste de vendeur avec moins de responsabilités, sans modification de salaire.

L’assurance-accidents a mis sur pied une expertise rhumatologique et psychiatrique. Selon les experts, il existait des limitations fonctionnelles pour toute activité mettant en charge le membre inférieur gauche. Le poste actuel de vendeur en rayon était moins adapté que celui de gérant de magasin. Un travail respectant toutes les limitations décrites était exigible en plein. A la suite de la discussion entre l’assurance-accidents, l’assuré, l’employeur et un conseiller en réadaptation professionnelle de l’AI, l’assuré a été licencié de son poste de gérant au 31.03.2013 et réengagé en qualité de chef de rayon à 100% avec une incapacité de travail de 25% prise en charge par l’assurance-accidents. Après une nouvelle intervention chirurgicale, l’assuré n’a pas pu reprendre son travail de chef de rayon au-delà de 75%. L’employeur lui a alors proposé une modification de son contrat de travail à un taux d’activité réduit de 50% dès le 01.05.2014, ce que le prénommé a accepté.

Entre-temps, à la demande de l’assurance-accidents, l’expert rhumatologue a réexaminé l’assuré. Elle a indiqué que la situation était stabilisée et que, dans le poste actuel de vendeur, non adapté, la capacité de travail de l’assuré ne dépassait pas 50%. Comme gérant de succursale, elle se montait à 80%. Dans un poste de travail en position alternée, ne nécessitant pas de s’agenouiller et de travailler en terrain instable, elle atteignait 90%.

Par décision confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a mis fin aux indemnités journalières au 30.04.2014. L’assurance-accidents a retenu à titre de revenu d’invalide un montant annuel de 79’667.20. Elle s’est fondée sur le salaire mensuel brut que peuvent réaliser les hommes au niveau 3 dans la branche du commerce de détail (ligne 47) d’après le tableau TA1_b de l’ESS 2012. Après adaptation de ce salaire à la durée hebdomadaire de travail dans les entreprises suisses pour l’année 2014 ainsi qu’à l’évolution des salaires nominaux, elle est parvenue à un montant annualisé de 88’519 fr. 15. Ce montant, rapporté au taux d’activité exigible de 90%, donnait 79’667 fr. 20. L’assurance-accidents n’a effectué aucun abattement sur ce salaire statistique. L’assurance-accidents a refusé d’allouer une rente provisoire compte tenu d’un degré d’invalidité de 9,35%. Elle a retenu en outre qu’en absence de droit à une rente, le traitement médical de soutien dont l’assuré avait besoin au-delà du 30.11.2015 était à charge de l’assureur-maladie.

 

Procédure cantonale

La cour cantonale a considéré que l’on ne pouvait prendre comme référence le salaire statistique correspondant à une position de responsable dans le commerce du détail dès lors que l’assuré n’avait plus été capable de reprendre son poste de gérant du magasin après son accident. L’éventualité d’assumer la gérance d’un magasin plus grand avait également été abandonnée en raison du niveau de compétence insuffisant de l’assuré pour se former à une telle responsabilité. Quant à l’activité actuelle de vendeur en rayon, il était unanimement admis qu’elle était incompatible avec les séquelles de l’accident et ne mettait pas pleinement en valeur la capacité résiduelle de travail raisonnablement exigible. Il convenait bien plutôt de se fonder sur le total de la catégorie des tâches physiques ou manuelles simples, à savoir le niveau de compétence 1, du tableau TA1_skill_level de l’ESS 2012 qui comprenait un large panel d’activités assez variées et accessibles à l’assuré sans formation particulière. La cour cantonale a en outre opéré un abattement de 5% sur le salaire statistique retenu afin de tenir compte du fait que l’assuré avait travaillé depuis 1975 auprès du même employeur. Elle a abouti, après tous les ajustements nécessaires, à un revenu d’invalide de 56’621 fr. 40.

Par jugement du 28.11.2017, admission du recours par le tribunal cantonal, annulant la décision et reconnaissant le droit de l’assuré à une rente d’invalidité de 36% dès le 01.05.2014 ainsi qu’à la prise en charge du traitement médical après cette date.

 

TF

Tableau ESS

Le Tribunal fédéral relève et rappelle qu’en cas de référence aux statistiques de l’ESS dans leur version révisée à partir de 2012, il y a lieu d’appliquer le tableau TA1_skill_levels et non pas TA1_b (ATF 142 V 178; arrêt 8C_228/2017 du consid. 4.2.2). C’est donc à juste titre que la cour cantonale ne s’est pas référée au tableau TA1_b à l’instar de l’assurance-accidents. Le fait qu’elle ne s’est pas fondée sur le salaire statistique d’une branche économique particulière n’est pas non plus critiquable.

 

Niveau de compétences

La version 2012 de l’ESS a introduit quatre niveaux de compétences définis en fonction du type de travail, de la formation nécessaire à la pratique de la profession et de l’expérience professionnelle (MARGIT MOSER-SZELESS, in Commentaire romand, Loi sur la partie générale des assurances sociales, 2018, n. 35 ad art. 16 LPGA). Le niveau 1 est désormais le plus bas et correspond aux tâches physiques et manuelles simples, tandis que le niveau 4 est le plus élevé et regroupe les professions qui exigent une capacité à résoudre des problèmes complexes et à prendre des décisions fondées sur un vaste ensemble de connaissances théoriques et factuelles dans un domaine spécialisé (on y trouve par exemple les directeurs/trices, les cadres de direction et les gérant[e]s, ainsi que les professions intellectuelles et scientifiques). Entre ces deux extrêmes figurent les professions dites intermédiaires (niveaux 3 et 2). Le niveau 3 implique des tâches pratiques complexes qui nécessitent un vaste ensemble de connaissances dans un domaine spécialisé (notamment les techniciens, les superviseurs, les courtiers ou encore le personnel infirmier). Le niveau 2 réfère aux tâches pratiques telles que la vente, les soins, le traitement des données, les tâches administratives, l’utilisation de machines et d’appareils électroniques, les services de sécurité et la conduite de véhicules (voir les pages 11 et 12 de l’ESS 2012). L’accent est donc mis sur le type de tâches que l’assuré est susceptible d’assumer en fonction de ses qualifications mais pas sur les qualifications en elles-mêmes (voir arrêt 9C_901/2017 du 28 mai 2018 consid. 3.3).

En l’occurrence, le type de travail encore à la portée de l’assuré en fonction de son niveau de formation justifie qu’il soit placé au niveau de compétence 2. En effet, on ne saurait exiger de lui qu’il effectue des tâches pratiques complexes du niveau 3 qu’il n’a jamais fait et pour lesquelles il ne possède au demeurant pas les qualifications. Par ailleurs, la seule circonstance que l’assuré n’a pas été en mesure de poursuivre son activité de gérant de magasin après son accident ne signifie pas que le champ des activités exigibles de sa part serait désormais restreint à des tâches manuelles simples relevant du niveau de compétence 1, soit à des emplois non qualifiées. Au vu de sa formation et de son parcours professionnel dans le domaine de la vente, ainsi que du résultat de l’expertise psychiatrique – d’après laquelle il n’y a pas de perturbation des fonctions cognitives liée à l’accident -, on ne voit pas ce qui imposerait de retenir une telle limitation dans le type de travail qui lui reste accessible. Il s’ensuit que le salaire de référence est celui que peuvent prétendre des hommes au niveau de compétence 2, soit 5’633 fr. par mois (TA1_skill_level, ligne Total, ESS 2012, p. 35). Après les adaptations usuelles, on aboutit à un revenu d’invalide annuel de 64’441 fr. 40 en 2014 pour un taux d’activité de 90%.

 

Abattement

En ce qui concerne la prise en compte d’un abattement de 5% lié aux années de service, il est vrai qu’elle ne se justifierait pas dans le cadre du choix du niveau de compétence 1 de l’ESS 2012, l’influence de la durée de service sur le salaire étant peu importante dans cette catégorie d’emplois qui ne nécessitent ni formation ni expérience professionnelle spécifique (voir 8C_103/2018 du 25 juillet 2018 consid. 5.2). Il en va toutefois différemment à partir du niveau de compétence 2 s’agissant d’emplois qualifiés dans lesquels l’expérience professionnelle accumulée auprès d’un même employeur est davantage valorisée. Il y a donc lieu d’admettre que l’assuré subit un désavantage salarial à ce titre par rapport aux autres employés qualifiés du niveau de compétence 2 dans la mesure où il se trouve en situation de réintégration professionnelle après plus de 35 ans de service auprès du même employeur. Un abattement de 5% à ce titre apparaît approprié. Cela donne un revenu d’invalide annuel de 61’219 fr. 30.

L’assuré a donc droit, à compter du 01.05.2014, à une rente d’invalidité LAA fondée sur un taux d’incapacité de gain de 31%.

 

Le TF admet partiellement le recours de l’assurance-accidents.

 

 

Arrêt 8C_46/2018 consultable ici