9C_460/2024 (f) du 08.09.2025 – Obligation d’assurance et affiliation d’office / Exceptions au principe de l’obligation d’assurance – Nette dégradation de la protection d’assurance ou de la couverture des frais

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_460/2024 (f) du 08.09.2025

 

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Obligation d’assurance et affiliation d’office / 3 al. 1 LAMal – 6 LAMal – 1 al. 1 OAMal

Exceptions au principe de l’obligation d’assurance – Nette dégradation de la protection d’assurance ou de la couverture des frais / 3 al. 2 LAMal – 2 al. 8 OAMal

 

Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé le refus de dispenser une ressortissante helvético-allemande de l’obligation de s’assurer en Suisse selon la LAMal. Bien qu’ayant été auparavant couverte via l’assurance du personnel des institutions internationales où travaillaient ses parents, cette couverture avait pris fin lorsqu’elle a atteint l’âge de trente ans. Restée domiciliée en Suisse, elle devait dès lors s’affilier auprès d’un assureur LAMal. Le Tribunal fédéral a jugé que l’exception prévue à l’art. 2 al. 8 OAMal ne trouvait pas à s’appliquer à sa situation.

L’examen des conditions de son assurance a révélé des lacunes de prestations, notamment pour les cures de désintoxication, excluant l’existence d’une couverture plus étendue que celle offerte par l’assurance suisse. Le Tribunal fédéral a en outre écarté tout manquement de l’autorité cantonale à son devoir d’information, relevant que la recourante, domiciliée en Suisse depuis toujours, ne pouvait invoquer ni la bonne foi (art. 9 Cst.) ni l’art. 27 al. 1 LPGA pour justifier sa non-affiliation prolongée.

 

Faits
A.__, ressortissante suisse et allemande domiciliée à U.__ depuis sa naissance en décembre 1981, a – pour la couverture des risques maladie et accident – été affiliée en partie (80%) à l’assurance du personnel des institutions internationales pour lesquelles ses parents travaillaient et en partie (20%) à B.__ AG jusqu’à ses 30 ans.

Dès le 01.01.2012, elle n’a plus été affiliée qu’à B.__ AG. À la suite d’accidents survenus en 2017 et 2018, elle a souffert de rachialgies et de coxalgies et bénéficié de traitements de longue durée d’ostéopathie et de physiothérapie.

Informée de son obligation de s’assurer auprès d’un assureur autorisé à pratiquer l’assurance-maladie sociale, elle a entrepris des démarches pour régulariser sa situation et a demandé au Service de l’assurance-maladie (SAM) de la dispenser de cette obligation (courriel du 03.09.2021). Malgré cette demande, elle a été affiliée d’office à C.__ SA dès le 01.04.2023 par décision du 04.04.2023, affiliation suspendue jusqu’à la décision du SAM. Par décision du 23.05.2023, confirmée sur opposition le 19.10.2023, le SAM a rejeté la dispense, considérant qu’elle ne remplissait pas les conditions de l’art. 2 al. 8 OAMal et qu’elle ne disposait pas d’une couverture plus étendue que celle qu’elle pourrait obtenir auprès d’une assurance suisse.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/514/2024 – consultable ici)

Par jugement du 26.06.2024, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 4
L’arrêt attaqué expose les normes et la jurisprudence indispensables à la résolution du cas, plus particulièrement celles portant sur l’obligation d’assurance (art. 3 al. 1 LAMal et 1 al. 1 OAMal; ATF 129 V 77 consid. 4), son contrôle et l’affiliation d’office (art. 6 LAMal, 4 et 6 de la loi d’application de la République et canton de Genève du 29 mai 1997 de la loi fédérale sur l’assurance-maladie [LaLAMal; rs/GE J 3 05] ainsi que les art. 4 à 6 du règlement d’exécution de la République et canton de Genève du 15 décembre 1997 de la loi d’application de la loi fédérale sur l’assurance-maladie [RaLAMal; rs/GE J 3 05.01]; ATF 126 V 265 consid. 3b). Il en va de même des règles sur les exceptions au principe de l’obligation d’assurance (art. 3 al. 2 LAMal) en lien notamment avec les personnes jouissant de privilèges en vertu du droit international (art. 6 al. 1 et 4 OAMal) ou celles pour lesquelles leurs conditions d’assurance seraient nettement dégradées par l’affiliation à une assurance-maladie suisse (art. 2 al. 8 OAMal; ATF 132 V 310 consid. 8.5.6; arrêt 9C_8/2017 du 20 juin 2017 consid. 2.2.1). Il suffit d’y renvoyer.

On rappellera que, selon l’art. 2 al. 8, première phrase, OAMal, sont exceptées de l’obligation de s’assurer sur requête les personnes dont l’adhésion à l’assurance suisse engendrerait une nette dégradation de la protection d’assurance ou de la couverture des frais et qui, en raison de leur âge et/ou de leur état de santé, ne pourraient pas conclure une assurance complémentaire ayant la même étendue ou ne pourraient le faire qu’à des conditions difficilement acceptables.

Consid. 5.1 [résumé]
Le tribunal cantonal a constaté que la recourante, binationale suisse et allemande, domiciliée en Suisse depuis sa naissance en 1981, avait été assurée par les assurances-maladie de ses parents employés d’organisations internationales, situation justifiant probablement une dispense de l’obligation d’assurance en raison d’une équivalence de couverture. Cette dispense avait toutefois pris fin le 31 décembre 2011, date à laquelle, après ses 30 ans, elle devait s’assurer auprès d’un assureur agréé selon la LAMal, ce qu’elle n’avait pas fait pendant près de dix ans.

Consid. 5.2 [résumé]
La juridiction cantonale a ensuite examiné si une dispense pouvait lui être accordée sous l’angle de l’art. 2 al. 8 OAMal. Elle a laissé ouverte la question de savoir si cette disposition s’appliquait uniquement aux personnes venant de l’étranger ou pouvait aussi viser la recourante, constatant de toute manière que la condition de la «nette dégradation» de la couverture d’assurance n’était pas remplie.

Après examen des conditions générales de B.__ AG, elle a constaté que les mesures de sevrage et les cures de désintoxication n’étaient prises en charge que de manière limitée et que les maladies et accidents causés par des actes de guerre ou de manière intentionnelle étaient exclus de la couverture d’assurance. Elle a considéré que, conformément à ce qu’avait retenu la doctrine (cf. notamment GEBHARD EUGSTER, in Basler Kommentar zum KVG/KVAG, 2020, n° 75-76 ad art. 3 LAMal), le défaut de prestations pour des mesures de sevrage était une lacune importante dans la couverture d’assurance. De plus, même si cette doctrine jugeait peu importante l’exclusion des risques d’atteintes à la santé provoquées par des actes de guerre ou intentionnellement dans le contexte d’une équivalence des couvertures d’assurance, tel n’était pas le cas lorsque, comme en l’occurrence, la couverture d’assurance étrangère devait être plus étendue que celle résultant de l’affiliation à l’assurance suisse. Elle a dès lors confirmé la décision administrative litigieuse au motif que la recourante ne pouvait pas se prévaloir d’une couverture d’assurance plus étendue.

Consid. 7.1 [résumé]
Les critiques de la recourante à l’encontre de l’appréciation de la cour cantonale concernant la comparaison des couvertures d’assurance au sens de l’art. 2 al. 8 OAMal semblent fondées. la cour cantonale s’est limitée à examiner la stricte concordance des prestations prises en charge ou des risques couverts, se fondant de surcroît sur des éléments jugés marginaux (en fonction de la situation personnelle de l’intéressée; maladies et accidents causés intentionnellement ou résultant d’actes de guerre; cf. notamment arrêt 9C_510/2011 du 12 septembre 2011 consid. 4.4.3), sans examiner si d’éventuelles prestations plus favorables offertes par B.__ AG, notamment en matière d’hospitalisation ou de soins dentaires, pouvaient compenser les lacunes constatées, lesquelles ne semblaient pas d’emblée significatives.

Consid. 7.2
Il n’est toutefois pas nécessaire d’approfondir cette question en l’occurrence ni de renvoyer la cause à la juridiction cantonale pour qu’elle le fasse dans la mesure où l’art. 2 al. 8 OAMal ne s’applique effectivement pas à la situation de la recourante. Contrairement à ce que celle-ci soutient, le tribunal cantonal n’a pas admis qu’en raison de son statut, elle entrait dans le champ d’application de la disposition mentionnée. Il a laissé ouverte la question de savoir si, en raison de son statut, la recourante pouvait être assimilée à une personne venant de l’étranger et pouvait ainsi bénéficier de la dispense requise. Or il n’est pas nécessaire de déterminer si la recourante peut être assimilée à une personne venant de l’étranger avec sa propre assurance dès lors qu’au moment de la naissance de l’obligation d’assurance, elle était de toute façon domiciliée en Suisse (depuis toujours) et ne bénéficiait plus d’une couverture d’assurance. Sa couverture d’assurance auprès de l’assurance du personnel des institutions internationales pour lesquelles ses parents travaillaient (80%) et de B.__ AG (20%) avait effectivement expiré le 31.12.2011 et une nouvelle assurance auprès de B.__ AG (100%, avec changement de tarif) avait été conclue pour la suite. Cette assurance a pris effet le 01.01.2012. Dans ces circonstances, la recourante ne pouvait donc pas se prévaloir de l’exception prévue à l’art. 2 al. 8 OAMal.

Consid. 7.3
La recourante ne peut par ailleurs pas invoquer la protection de la bonne foi (art. 9 Cst.). L’art. 5 al. 1 RaLAMal prévoit certes que l’intimé doit informer toute personne tenue de s’assurer. Cependant, conformément à l’art. 4 RaLAMal, ce devoir dépend de communications de l’Office cantonal de la population et des migrations concernant les départs, décès, arrivées et naissances ainsi que les types de permis et leurs modifications. Or, comme indiqué, la recourante, de nationalité suisse, était domiciliée à U.__ au moment de la naissance de l’obligation d’assurance et l’avait toujours été. L’Office genevois de la population et des migrations n’avait dès lors aucun moyen de connaître le changement de statut de la recourante vis-à-vis de l’assurance-maladie ni n’était tenu d’en informer l’intimé pour qu’il contrôlât le respect de l’obligation d’assurance. De surcroît, sans information de la part de la recourante, l’intimé ne pouvait pas savoir que la dispense dont celle-ci disposait en vertu de l’art. 6 al. 1 et 4 OAMal avait expiré. En effet, l’art. 20 al. 1 let. d et al. 2 let. c de l’ordonnance du 7 décembre 2007 relative à la loi fédérale sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu’État hôte (OLEH; RS 192.121) en lien avec l’art. 2 al. 2 let. c de la loi fédérale du 22 juin 2007 sur les privilèges, les immunités et les facilités, ainsi que sur les aides financières accordés par la Suisse en tant qu’État hôte (LEH; RS 192.12) prévoit que la dispense prévue pour les enfants de fonctionnaires internationaux au sens de l’art. 6 al. 4 OAMal peut ne pas être limitée dans le temps et perdurer aussi longtemps que les enfants célibataires âgés de plus de vingt-cinq ans sont entièrement à la charge de leurs parents. Dans ces circonstances, la recourante ne saurait valablement reprocher à la cour cantonale d’avoir estimé que l’intimé n’a pas violé son devoir d’information.

Consid. 7.4
On ajoutera encore que l’art. 27 al. 1 LPGA, également invoqué par la recourante, ne change rien à ce qui précède. Cette disposition impose effectivement aux assureurs et organes d’exécution des diverses assurances sociales une obligation – générale – de renseigner les personnes intéressées sur leurs droits et obligations. Elle ne saurait dès lors imposer en l’occurrence à l’intimé un devoir d’information plus étendu que celui de l’art. 5 al. 1 RaLAMal, qui porte spécifiquement sur ce devoir en lien avec l’obligation d’assurance auprès d’un assureur-maladie en Suisse.

 

Le TF rejette le recours de l’assurée.

 

Arrêt 9C_460/2024 consultable ici

 

 

 

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