Arrêt du Tribunal fédéral 8C_536/2024 (d) du 24.10.2025
Trébuché ou glissé en marchant dans une rue pavée en tongs (Flip-Flop) est un accident / 4 LPGA
Facteur extérieur de caractère extraordinaire – Mouvement non coordonné
Résumé
Le Tribunal fédéral a confirmé l’existence d’un accident dans le cas d’une assurée qui, en traversant une rue en tongs, a trébuché ou glissé, entraînant une perturbation du mouvement et un faux pas. La cour cantonale puis le Tribunal fédéral ont jugé qu’une glissade ou un trébuchement dans une situation de la vie quotidienne constitue un mouvement non coordonné et une perturbation non programmée du déroulement du mouvement, remplissant ainsi le critère du facteur extérieur extraordinaire.
Faits
Assurée, née en 1969, a trébuché ou glissé le 21.06.2023 alors qu’elle traversait une rue pavée en tongs [« Flip-Flop »]. Les jours suivants, un gonflement et des douleurs à la marche se sont développés à l’avant-pied gauche. Consulté le 26.06.2023, un médecin a d’abord pensé à une piqûre de tique à la cheville gauche. Un examen radiologique du 29.06.2023 a mis en évidence une fracture de fatigue diaphysaire du troisième métatarsien.
Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a considéré que l’événement ne constituait pas un accident au sens juridique et que l’atteinte corporelle assimilée à un accident était due de manière prépondérante à l’usure.
Procédure cantonale
Par jugement du 15.07.2024, admission du recours par le tribunal cantonal.
TF
Consid. 4
Selon l’art. 6 al. 1 LAA, l’assureur-accidents fournit les prestations d’assurance notamment en cas d’accidents. Un accident est l’atteinte dommageable, soudaine et non intentionnelle, d’un facteur extérieur extraordinaire, qui cause une atteinte à la santé physique, mentale ou psychique ou la mort (art. 4 LPGA).
Le facteur extérieur est extraordinaire lorsqu’il excède le cadre des événements et des situations que l’on peut objectivement qualifier de quotidiens ou d’habituels dans le domaine de vie concerné (ATF 134 V 72 consid. 4.1). Un besoin accru de délimitation existe lorsque, de par sa nature, l’atteinte à la santé peut avoir d’autres causes qu’une atteinte dommageable soudaine, c’est-à-dire lorsqu’il n’est pas possible de l’attribuer avec certitude à un facteur exogène.
Selon la jurisprudence, cela vaut en particulier lorsque l’atteinte à la santé peut, selon l’expérience, survenir comme la conséquence unique d’une maladie, notamment de modifications dégénératives préexistantes d’une partie du corps, dans le cadre d’un déroulement tout à fait normal des événements. Dans de tels cas, la cause immédiate de l’atteinte doit avoir été présente dans des circonstances particulièrement « évidentes ». Ainsi, une atteinte sans tendance manifeste à causer des dommages ne devient un facteur extérieur extraordinaire qu’avec la survenance d’un événement supplémentaire. Outre les forces habituelles agissant sur le corps, un événement supplémentaire spécifique au dommage est nécessaire pour qu’un accident puisse être admis (ATF 134 V 72 consid. 4.3.2.1).
Le critère du facteur extérieur extraordinaire peut aussi consister en un mouvement non coordonné. Tel est le cas lorsque le déroulement habituel et normal d’un mouvement corporel est interrompu par un empêchement non programmé, lié à l’environnement extérieur. Le facteur extérieur – modification entre le corps et l’environnement extérieur – constitue alors en même temps le facteur extraordinaire en raison du déroulement non programmé du mouvement (ATF 130 V 117 consid. 2.1). C’est le cas par exemple lorsque la personne assurée trébuche, glisse ou se heurte à un objet, ou lorsqu’elle exécute ou tente d’exécuter un mouvement réflexe de défense pour empêcher une glissade (cf. arrêt 8C_24/2022 du 20 septembre 2022 consid. 3.2 et les références).
Consid. 5.1 [résumé]
L’instance cantonale a retenu que, bien qu’il y ait de légères variations (faux pas selon le rapport médical du 30.06.2023 ; trébuché selon la déclaration d’accident du 04.07.2023 ; glissé/dérapé selon le questionnaire du 22.08.2023) sans aucune mention de chute, les descriptions de l’événement du 21.06.2023 étaient cohérentes dans leurs éléments essentiels. Le faux pas n’est pas concevable sans un mouvement non coordonné préalable – comme trébucher ou glisser. Contrairement à l’opinion de l’assurance-accidents, le facteur extérieur extraordinaire peut consister en un mouvement non coordonné. Une telle perturbation étant établie (l’assurée a trébuché ou glissé, faisant un faux pas), la notion d’accident selon l’art. 4 LPGA est remplie et le cas doit être examiné sous l’angle de l’art. 6 al. 1 LAA. La cause est renvoyée à l’assurance-accidents pour instruction complémentaire quant à la causalité.
Consid. 5.2.2
Dans les cas où l’atteinte à la santé peut être, comme ici, la seule conséquence de modifications dégénératives préexistantes d’une partie du corps, la cause immédiate doit avoir été établie dans des circonstances particulièrement évidentes (cf. consid. 4 supra).
Selon le dossier, l’assurée a soit trébuché, soit glissé, soit fait un pas en avant en traversant la route. La question de savoir si le pas en avant mentionné par le médecin traitant doit être considéré à lui seul comme un mouvement non coordonné au sens de la jurisprudence peut rester ouverte. Ce qui est déterminant, c’est que l’assurée elle-même a systématiquement décrit avoir glissé ou trébuché, ce que l’assurance-accidents n’a pas contesté et ne conteste pas.
Il est donc établi, au degré de la vraisemblance prépondérante (cf. ATF 138 V 218 consid. 6), qu’il y a eu un mouvement non coordonné, lors duquel une circonstance extérieure a influencé le déroulement naturel du mouvement de manière non programmé et (suffisamment) évidente, qui était apte à conduire à une sollicitation non physiologique (cf. arrêt U 277/99 du 30 août 2001 consid. 3c). Le critère du facteur extérieur extraordinaire est donc rempli.
L’arrêt 8C_978/2010 du 3 mars 2011, invoqué à nouveau u moins implicitement par l’assurance-accidents en dernière instance, dans lequel le Tribunal fédéral a nié l’existence d’un accident, ne conduit à aucun autre résultat. Comme l’a correctement reconnu la cour cantonale, cet arrêt concernait un trébuchement sans chute lors d’une activité sportive (« marche »/jogging) en pleine nature, où ce risque est inhérent à l’activité (cf. consid. 4.2 de l’arrêt précité). En l’espèce, il s’agit en revanche d’une situation de la vie quotidienne, dans laquelle une glissade constitue une perturbation évidente et non programmée du mouvement.
Enfin, l’argument de l’assurance-accidents selon lequel le mouvement non programmé pourrait n’être que la manifestation de la blessure ne trouve aucun appui dans les pièces du dossier. Au contraire, il ressort clairement des documents que l’assurée n’a ressenti les troubles ou les douleurs qu’après avoir trébuché ou glissé.
Consid. 6
Le tribunal cantonal n’a pas violé le droit fédéral en confirmant l’existence d’un accident. Comme elle l’a ordonné, l’assurance-accidents devra en particulier clarifier si l’événement constituait une cause partielle (justifiant l’octroi des prestations) de la fracture de fatigue ou s’il n’était qu’une cause occasionnelle ou fortuite (empêchant l’octroi des prestations). Sur la base du résultat de ces investigations, elle devra statuer à nouveau sur le droit aux prestations de l’assurée.
Le TF rejette le recours de l’assurance-accidents.
Arrêt 8C_536/2024 consultable ici
Proposition de citation : 8C_536/2024 (d) du 24.10.2025, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2025/11/8c_536-2024)