9C_633/2023 (f) du 24.04.2024 – Cotisations AVS sur les honoraires versés par une société anonyme à un membre du conseil d’administration résidant à Monaco – Pas d’application des conventions ALCP/AELE – 5 al. 2 LAVS – 7 let. h RAVS

Arrêt du Tribunal fédéral 9C_633/2023 (f) du 24.04.2024

 

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Cotisations AVS – Salaire déterminant / 5 al. 2 LAVS – 7 let. h RAVS

Cotisations AVS sur les honoraires versés par une société anonyme à un membre du conseil d’administration résidant à Monaco – Pas d’application des conventions ALCP/AELE

Absence de radiation au registre du commerce de la qualité d’administrateur de l’assuré

 

A.__ SA (ci-après: la société) est active notamment dans la création, la fabrication et la commercialisation de produits d’horlogerie, de bijouterie, d’orfèvrerie et de composants horlogers et industriels. B.__, ressortissant suisse domicilié à Monaco depuis 2010, a été inscrit au registre du commerce en tant qu’administrateur de la société, avec signature collective à deux, du 31.01.2007 au 04.10.2017.

À la suite d’un contrôle d’employeur portant sur les années 2012 à 2015, la caisse de compensation a réclamé à A.__ SA le paiement de la somme de 977’993 fr. 50, plus intérêts moratoires de 181’315 fr. 10, par décisions du 27.11.2017, confirmées sur opposition le 28.02.2022. Ce montant correspondait à la reprise des cotisations paritaires, frais d’administration compris, sur des rémunérations versées en 2012 (2’500’000 fr.), 2013 (2’500’000 fr.), 2014 (1’191’934 fr.) et 2015 (1’191’934 fr.) à B.__. En bref, la caisse de compensation a considéré que les rémunérations versées par la société au prénommé, conformément à la convention de consultant qu’ils avaient signée le 05.11.2012, constituaient un salaire déterminant d’une activité lucrative dépendante soumis aux cotisations sociales.

 

Procédure cantonale (arrêt ATAS/664/2023 – consultable ici)

L’instance cantonale a considéré que durant la période litigieuse (de 2012 à 2015), en sa qualité d’organe (formel) de la société recourante, une société anonyme ayant son siège en Suisse, B.__ avait exercé une activité lucrative en Suisse et était obligatoirement assuré au sens de la LAVS (cf. art. 1a al. 1 let. b LAVS). Elle a ensuite admis que l’activité de consultant déployée par le prénommé selon la convention conclue le 05.11.2012 avait été exercée en sa qualité d’organe de la société, si bien que les rémunérations versées en contrepartie correspondaient à un salaire déterminant d’une activité dépendante.

Par jugement du 05.09.2023, rejet des recours de A.__ SA et B.__ par le tribunal cantonal.

 

TF

Consid. 3.2
On rappellera que le salaire déterminant pour la perception des cotisations comprend toute rémunération pour un travail dépendant, fourni pour un temps déterminé ou indéterminé (art. 5 al. 2 LAVS). Selon l’art. 7 let. h RAVS, le salaire déterminant pour le calcul des cotisations comprend notamment les tantièmes, les indemnités fixes et les jetons de présence des membres de l’administration et des organes dirigeants des personnes morales.

Lorsque des honoraires sont versés par une société anonyme à un membre du conseil d’administration, il est présumé qu’ils lui sont versés en sa qualité d’organe d’une personne morale et qu’ils doivent être, par conséquent, considérés comme salaire déterminant réputé provenir d’une activité salariée (ATF 105 V 113 consid. 3; arrêt 9C_727/2014 du 23 mars 2015 consid. 4.1 et les références). Cette présomption peut être renversée en établissant que les honoraires versés ne font pas partie du salaire déterminant. Tel est le cas lorsque les indemnités n’ont aucune relation directe avec le mandat de membre du conseil d’administration mais qu’elles sont payées pour l’exécution d’une tâche que l’administrateur aurait assumée même sans appartenir au conseil d’administration; en pareille hypothèse, l’intéressé agit en qualité de tiers vis-à-vis de la société et le gain découlant d’une telle activité se caractérise comme un revenu d’une activité indépendante (ATF 105 V 113 consid. 3; arrêts 9C_727/2014 précité consid. 4.1; 9C_365/2007 du 1er juillet 2008 consid. 5.1).

Consid. 3.3
La qualification, au regard des dispositions légales sur les cotisations à l’assurance-vieillesse et survivants, relève d’une question de droit, que le Tribunal fédéral examine librement. Les éléments de fait sur lesquels se fondent les conclusions en droit constituent en revanche des questions de fait soumises au pouvoir d’examen limité du Tribunal fédéral (ATF 144 V 111 consid. 3; arrêt 9C_64/2019 du 25 avril 2019 consid. 2.1).

 

Consid. 5.2.1
Selon la jurisprudence constante du Tribunal fédéral, dûment rappelée et appliquée par les juges cantonaux, est considéré comme exerçant une activité lucrative en Suisse (au sens de l’art. 1a al. 1 let. b LAVS) et doit payer des cotisations sur les revenus en découlant celui qui est inscrit au registre du commerce comme administrateur, comme directeur ou au titre d’une autre fonction dirigeante d’une personne morale ayant son siège en Suisse et se trouve en mesure d’exercer une influence déterminante sur l’activité de la société suisse, même s’il a son domicile à l’étranger; peu importe qu’il n’use pas effectivement de ses compétences et que la gestion effective de la société soit déléguée à d’autres personnes (ATF 119 V 65 consid. 3b; cf. aussi arrêt 9C_105/2011 du 12 octobre 2011 consid. 4.2).

Consid. 5.2.2
L’argumentation de la société recourante relative à « la date de remise à A.__ SA de la lettre de démission [de B.__] du 05.11.2012 » et quant au « caractère effectif de la démission » est mal fondée. En effet, la juridiction cantonale a considéré que même à admettre que la démission donnée par le prénommé le 05.11.2012 ait été effective, il avait conservé la qualité d’organe de la société durant toute la période litigieuse (de 2012 à 2015), dès lors que la radiation, au registre du commerce, de sa qualité d’administrateur de A.__ SA, n’était intervenue qu’au mois d’octobre 2017.

A ce propos, on rappellera, à la suite de l’instance cantonale et comme le reconnaît la société recourante, que l’inscription au registre du commerce n’a pas un effet constitutif pour la fin des fonctions, la manifestation de volonté qui met un terme à celles-ci produisant ses effets dès qu’elle est parvenue dans la sphère de puissance de son destinataire, indépendamment de l’inscription (cf. GUILLAUME VIANIN, in: Commentaire romand, CO II, 2e éd. 2017, n. 2 ad art. 938b CO et les références). Or en l’occurrence, la société recourante se contente d’affirmer qu’à partir du 05.11.2012, B.__ n’était plus « ni organe formel, ni organe de fait » de A.__ SA, en se référant aussi aux procès-verbaux de l’assemblée générale ordinaire des actionnaires de la société des années 2013 et suivantes, qui ne faisaient plus mention du prénommé. Ce faisant la société ne démontre pas que et en quoi la considération de la juridiction cantonale, selon laquelle elle avait un intérêt – évident – à ce que B.__ figure toujours comme un administrateur au registre du commerce, serait arbitraire ou autrement contraire au droit. Les juges cantonaux ont exposé à ce propos que l’inscription du prénommé au registre du commerce en tant qu’administrateur montrait aux tiers, afin de maintenir leur confiance envers la marque et la société elle-même, que B.__ n’était pas seulement un consultant pour elle mais également un organe (formel) partie prenante aux décisions la concernant. La juridiction cantonale n’a ainsi pas opéré un « amalgame » entre, d’une part, la représentation d’un point de vue marketing à des fins de communication et de publicité découlant de la convention conclue entre B.__ et la société et, d’autre part, la représentation juridique découlant de la fonction d’administrateur du prénommé, contrairement à ce qu’allègue la société recourante. Dans ces circonstances, il n’y a pas lieu de s’écarter de la conclusion des juges cantonaux, quant au maintien – volontaire – de la qualité d’administrateur de la société de B.__ durant toute la période litigieuse.

Consid. 5.2.3
En conséquence, compte tenu de la qualité de B.__ d’administrateur de A.__ SA, inscrit au registre du commerce de 2007 à 2017, les revenus en découlant sont soumis à la perception des cotisations sociales. Le fait que le prénommé n’aurait pas exercé une influence déterminante sur la marche des affaires de la société, comme le prétend la société recourante, n’est pas déterminant puisqu’il suffit que l’intéressé en eût eu la possibilité conformément à sa position d’organe formel de la société anonyme (consid. 5.2.1 supra). Dans la mesure où la Principauté de Monaco – où est domicilié B.__ depuis 2010 – n’est pas partie à l’Accord du 21 juin 1999 entre la Confédération suisse, d’une part, et la Communauté européenne et ses États membres, d’autre part, sur la libre circulation des personnes (ALCP; RS 0.142.112.681), ni à l’Association européenne de libre-échange (AELE) ni à une autre convention bilatérale avec la Suisse, la législation suisse – notamment l’art. 1a al. 1 let. b LAVS – est applicable, comme l’a dûment exposé la juridiction cantonale. Le recours est mal fondé sur ce point.

Consid. 5.2.4
Le fait qu’une partie des activités de B.__ se soit déroulée à l’étranger ne joue pas de rôle non plus. Comme l’a indiqué le Tribunal cantonal, un membre du conseil d’administration d’une société qui a son siège en Suisse est réputé exercer son activité en Suisse (consid. 5.2.1 supra).

 

Consid. 5.3.1
En ce que la société se contente d’affirmer que B.__ « ne disposait d’aucun pouvoir de représentation au sens des art. 716 ss CO », elle n’expose pas en quoi la qualification de salaire opérée par les juges cantonaux serait contraire au droit. Ceux-ci ont en particulier constaté que selon la convention conclue le 05.11.2012, l’activité de consultant consistait à assister la société pour la représentation et la promotion de la marque – dont le nom est celui de B.__ de même que de la société recourante avec les initiales -, en particulier lors d’événements internationaux. La juridiction cantonale a admis que cette activité entrait dans le cadre de la fonction de B.__ d’administrateur de A.__ SA et qu’il importait peu que cette activité de représentation eût le cas échéant été limitée à la promotion de la marque, au marketing et au prestige, domaines qui ne sont du reste pas exclus de la fonction d’administrateur d’une société anonyme (cf. art. 716 à 721 CO a contrario). Dans ce contexte, c’est en vain que la société recourante se prévaut de l’art. 2.4 de la convention de consultant, selon lequel l’activité de représentation de B.__ n’inclut pas le pouvoir de conclure des contrats ou de prendre d’une autre façon un engagement à son nom et pour son compte. En effet, conformément à l’art. 718a al. 2 CO, une limitation des pouvoirs de représentation d’un membre du conseil d’administration d’une société anonyme n’a aucun effet envers les tiers de bonne foi, à l’exception des clauses inscrites au registre du commerce qui concernent la représentation exclusive de l’établissement principal ou d’une succursale ou la représentation commune de la société. Or en l’occurrence, la restriction des pouvoirs de représentation de B.__ découlant de l’art. 2.4 de la convention du 05.11.2012 n’a pas été inscrite au registre du commerce, ce que la société recourante ne conteste pas. Par ailleurs, en ce qu’elle affirme que les honoraires qu’elle a versés à B.__ conformément à la convention de consultant du 05.11.2012 l’ont été pour « une activité sans lien avec une hypothétique et contestée activité d’organe », la société recourante n’établit nullement que le prénommé aurait exercé les activités en cause indépendamment de sa fonction d’organe. Elle ne parvient dès lors pas à renverser la présomption découlant des art. 5 al. 2 LAVS et 7 RAVS selon laquelle les honoraires versés à un organe d’une personne morale constituent un salaire déterminant (consid. 3.2 supra).

Consid. 5.3.2
C’est également en vain que la société se prévaut encore de certaines autres clauses de la convention de consultant la liant à B.__ pour affirmer que celui-ci aurait exercé une activité indépendante. Elle allègue en particulier à ce propos que l’intéressé disposait d’une très grande liberté quant aux événements auxquels il pouvait prendre part. L’argumentation de la société est mal fondée, dès lors déjà qu’en ce qui concerne le critère de la dépendance à un employeur quant à l’organisation du travail et du point de vue de l’économie de l’entreprise, le fait invoqué par la société n’apparaît pas à lui seul déterminant (concernant les critères permettant de savoir si l’on a affaire, dans un cas donné, à une activité indépendante ou salariée, cf. ATF 149 V 57 consid. 6; 123 V 161 consid. 1 et les références).

Quant à la clause de la convention selon laquelle B.__ exécutait « ses services en tant que mandataire indépendant », en assumant « tous risques de maladie, accident, etc. » et en supportant seul « toute perte, frais ou dommage en résultant », la société recourante ne saurait rien en tirer non plus en sa faveur. Elle n’explique en effet pas en quoi la considération de la juridiction cantonale, selon laquelle cette clause ne constitue qu’une déclaration générale des parties à la convention, à vérifier avec les autres clauses, serait arbitraire ou d’une autre manière contraire au droit. Au demeurant, sous l’angle du risque économique, la société ne conteste pas la considération des juges cantonaux selon laquelle de par l’exécution de ses missions de consultant, B.__ n’avait pas été obligé de consentir à des investissements importants ou de supporter un risque de pertes financières, ce d’autant moins que ses frais principaux de voyages (frais d’hôtel et billets d’avions) étaient payés à l’avance par A.__ SA. Partant, la considération de la juridiction cantonale, selon laquelle les éléments en faveur d’une activité dépendante prédominaient dans le cas présent, doit être confirmée. Le recours est mal fondé sur ce point également.

 

Consid. 6
Eu égard à ce qui précède, il n’y a pas lieu de s’écarter des considérations de la juridiction de première instance, selon lesquelles les rémunérations perçues par B.__ durant la période litigieuse (de 2012 à 2015) constituaient un salaire déterminant provenant d’une activité dépendante et étaient soumises à cotisations sociales. Pour le surplus, la société recourante n’a pas contesté que les salaires tels que rapportés par la caisse de compensation étaient établis par pièces, si bien que les juges cantonaux étaient fondés à confirmer la quotité du montant réclamé à titre de cotisations sociales.

 

Le TF rejette le recours de A.__ SA.

 

 

Arrêt 9C_633/2023 consultable ici

 

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