Télétravail des frontaliers : accord multilatéral en vigueur

Télétravail des frontaliers : accord multilatéral en vigueur

 

Article de Lionel Tauxe du 31.08.2023 paru in Sécurité Sociale CHSS, disponible ici

 

Les frontaliers dont le taux de télétravail est inférieur à 50% resteront désormais affiliés aux assurances sociales suisses. L’accord correspondant, signé par la Suisse et ses voisins membres de l’UE (à l’exception de l’Italie) ainsi que par d’autres États européens, est entré en vigueur le 1er juillet 2023.

 

En un coup d’œil

  • Pendant la pandémie, l’impact du télétravail transfrontalier sur la sécurité sociale avait été neutralisé grâce à une flexibilité provisoire jusqu’au 30 juin 2023.
  • Un brusque retour aux règles habituelles n’aurait pas été dans l’intérêt des travailleurs et de leurs employeurs.
  • Depuis le 1er juillet 2023, un nouvel accord permet d’exercer jusqu’à 50% de télétravail transfrontalier dans certains États sans incidence sur les assurances sociales.

 

Depuis 2002, la Suisse applique les règles européennes de coordination en matière de sécurité sociale auxquelles font référence l’accord sur la libre circulation des personnes (ALCP) conclu avec l’Union européenne (UE) et la Convention instituant l’Association Européenne de Libre-Échange (AELE). Elles prévoient que les personnes qui travaillent en Suisse et dans un État de l’UE ou de l’AELE, y compris en télétravail, sont assujetties aux assurances sociales de leur État de résidence lorsqu’elles y exercent au moins 25% de leurs activités. Dans la pratique, étant donné qu’à l’étranger les cotisations sociales sont souvent plus élevées et les procédures moins familières, beaucoup d’employeurs suisses étaient réticents à ce que leurs employés frontaliers travaillent à domicile plus d’un jour par semaine.

Pendant la pandémie, cas de force majeure, l’application de cette règle a été suspendue par tous les États appliquant les dispositions européennes de coordination. Les travailleurs frontaliers sont donc restés assurés en Suisse, peu importe la part d’activité exercée dans leur État de résidence. Plusieurs fois prolongée, cette flexibilité a duré jusqu’à la fin du mois de juin 2023. Un retour abrupt au cadre légal en vigueur n’aurait cependant pas été dans l’intérêt des travailleurs et de leurs employeurs. Dès lors, pendant une dernière phase transitoire débutée à l’été 2022, les États ont réfléchi à la manière dont ce retour pourrait être aménagé. Comme une modification des règles européennes n’était pas réalisable à si court terme, d’autres pistes, innovantes, ont dû être explorées. Mais le temps était compté.

 

Une stratégie suisse à deux niveaux

Dans le cadre de la commission administrative de l’UE pour la coordination des systèmes de sécurité sociale, un groupe d’experts, mis à disposition par vingt États, a été créé à l’automne 2022 pour chercher une solution multilatérale. L’Office fédéral des assurances sociales (OFAS) a activement pris part aux travaux du groupe, qui s’est réuni une trentaine de fois. Ces efforts ont payé puisqu’une proposition a pu être faite aux États en mars 2023.

En outre, dans l’éventualité où une issue adéquate n’aurait pas pu être trouvée à temps au niveau européen, la Suisse avait, comme d’autres États, pris contact avec ses États voisins pour chercher en parallèle des solutions bilatérales subsidiaires.

 

Un accord multilatéral très attendu

L’accord multilatéral prévoit que les personnes travaillant dans un État pour un employeur qui y a son siège peuvent effectuer jusqu’à 50% de télétravail transfrontalier depuis leur État de résidence tout en maintenant la compétence de l’État du siège de l’employeur pour les assurances sociales. Concrètement, les frontaliers qui télétravaillent au maximum à 49,9% de leur temps de travail depuis certains États peuvent rester assurés en Suisse.

La Suisse a signé cet accord multilatéral le 31 mai 2023. Au moment de son entrée en vigueur, le 1er juillet 2023, 18 États de l’UE et de l’AELE l’avaient paraphé, dont tous les États limitrophes à l’exception de l’Italie. Les États non signataires conservent toutefois la possibilité d’y adhérer ultérieurement. Conclu pour cinq ans, l’accord est automatiquement renouvelable pour la même période.

Afin que les employeurs puissent demander l’application de cette flexibilité à un de leurs salariés et la délivrance d’une attestation («document portable A1») par l’État compétent, tant ce dernier que l’État de résidence doivent avoir adhéré au dispositif multilatéral. Les règles ordinaires d’assujettissement continuent à s’appliquer aux travailleurs qui ne sont pas concernés par l’accord, par exemple les indépendants, ou lorsqu’un État non partie comme l’Italie est impliqué. Ainsi les frontaliers en provenance de l’Italie peuvent seulement effectuer jusqu’à 25% de télétravail sans incidence sur les assurances sociales. Aucune dérogation individuelle n’est acceptée par la Suisse dans les situations qui ne sont pas couvertes par l’accord.

Indépendamment de la sécurité sociale, d’autres aspects peuvent cependant limiter le télétravail transfrontalier, tels que la fiscalité ou le droit du travail.

 

Renseignements supplémentaires sur l’accord multilatéral

État dépositaire de l’accord, la Belgique tient à jour la liste des États signataires (avec le texte de l’accord et un mémorandum explicatif en anglais).

Le site internet de l’OFAS fournit des informations détaillées (ainsi que les traductions de l’accord et du mémorandum explicatif dans les langues officielles).

 

 

L’autre défi : la mise en œuvre

L’accord prescrit que l’échange d’information entre organismes des États parties concernant les demandes individuelles doit se faire par voie électronique, au moyen du système EESSI (Electronic Exchange of Social Security Information).

Compte tenu de la volumétrie considérable, il est apparu, dès cet accord finalisé fin mars 2023, que son implémentation en Suisse n’était possible que dans le cadre de la plateforme informatique ALPS (Applicable Legislation Portal Switzerland), reliée à EESSI, que l’OFAS met à disposition des caisses de compensation AVS et des employeurs (voir Numérisation des assurances sociales : l’échange de données au sein de l’Europe passe la vitesse supérieure).

Les équipes en charge du développement de la plateforme ALPS ont dû la mettre à jour, en un court délai, pour qu’elle soit prête au 1er juillet 2023 et permette une large automatisation des processus.

 

Les chiffres du travail transfrontalier en Europe et en Suisse

En 2021, environ 1,7 million de ressortissants de l’UE ou de l’AELE étaient des « travailleurs transfrontaliers » (frontaliers, saisonniers et certains détachés) vivant dans un État de l’UE ou de l’AELE et travaillant dans un autre (y compris en Suisse).

La Suisse était leur deuxième pays de destination (345 000 travailleurs accueillis), derrière l’Allemagne (378 000) et devant le Luxembourg (212 000) ; ces trois pays ayant attiré à eux seuls près de 60% de l’ensemble des travailleurs transfrontaliers (source : European Commission, Annual report on intra-EU labour mobility 2022).

Début 2023, la Suisse accueillait 386 000 travailleurs frontaliers étrangers, dont 218 000 résidaient en France, 91 500 en Italie, 65 000 en Allemagne et 9000 en Autriche (source : OFS).

Fin 2021, près de 14 000 personnes domiciliées en Suisse travaillaient au Liechtenstein (source : Liechtensteinisches Amt für Statistik, Statistisches Jahrbuch Liechtensteins 2023).

 

 

Quelles perspectives ?

L’accord multilatéral constitue une solution pragmatique et transitoire, élaborée sous une intense pression temporelle. Le groupe d’experts s’est focalisé, à dessein, sur le règlement de la constellation la plus fréquente et la moins complexe. Ses travaux ne sont toutefois pas terminés, puisqu’il est prévu qu’il évalue l’impact de l’accord et prépare le terrain pour une modification des règles européennes de coordination.

Les États sont en effet unanimement convaincus qu’il convient que le législateur européen modifie, à plus long terme, les bases légales afin que l’uniformité dans l’application du droit et la légitimité politique soient garanties. Une éventuelle reprise par la Suisse ne serait pas automatique et nécessiterait une modification de l’ALCP respectivement de la Convention AELE.

 

 

Article de Lionel Tauxe du 31.08.2023 paru in Sécurité Sociale CHSS, disponible ici

Articolo non disponibile in italiano

Multilaterale Vereinbarung regelt Homeoffice von Grenzgängern, Artikel von Lionel Tauxe vom 31.08.2023, veröffentlicht in « Soziale Sicherheit CHSS » (hier verfügbar)

 

La COQEM décide d’une enquête systématique sur le vécu de la situation d’expertise

La COQEM décide d’une enquête systématique sur le vécu de la situation d’expertise

 

Communiqué de presse de la Commission fédérale pour l’assurance qualité dans le domaine de l’expertise médicale (COQEM) du 31.08.2023 consultable ici

 

La Commission fédérale pour l’assurance qualité dans le domaine de l’expertise médicale (COQEM) veut enquêter systématiquement sur la manière dont les personnes engagées dans une procédure d’instruction de l’AI vivent la situation d’expertise. La situation d’expertise n’est pas comparable à une situation thérapeutique, elle sert à établir les faits médicaux dans le cadre d’une procédure juridique. Pour les personnes concernées, elle représente une situation exceptionnelle tout à fait éprouvante. Il faut s’assurer que l’expert·e informe de manière compréhensible sur le but, l’objectif et le déroulement de l’expertise et que l’expert·e garantisse une conduite d’entretien aimable et empathique ainsi qu’une situation d’examen adéquate. De même, en fonction des faits concrets, l’expert·e doit prendre suffisamment de temps pour procéder aux investigations nécessaires et recueillir la description subjective des plaintes.

Il convient de constater que la conduite d’un entretien d’expertise et le déroulement de l’examen ont été de plus en plus abordés ces dernières années dans le cadre de la formation des experts et font désormais partie intégrante de celle-ci. Afin d’améliorer la transparence dans le domaine des examens d’expertise, les entretiens entre la personne expertisée et l’expert sont documentés sous forme d’enregistrements sonores et versés au dossier depuis 2022 déjà (art. 44 al. 6 LPGA, art. 7k OPGA). Ces enregistrements permettent de vérifier l’établissement des faits dans des cas individuels litigieux. Pour l’analyse systématique de l’interaction entre les experts et les personnes expertisées, l’écoute et l’analyse des enregistrements sonores ne sont pas réalisables en raison de l’énorme quantité de données et ne sont possibles que dans quelques cas. Les données actuelles dans ce domaine reposent donc sur quelques cas litigieux ainsi que sur les enquêtes menées jusqu’à présent par les organisations de patients et de personnes handicapées et ne permettent pas encore de tirer des conclusions représentatives. C’est pourquoi la COQEM veut prendre en compte la perspective des assurés dans le sens d’un contrôle global de la qualité et d’établir une vue d’ensemble de la situation actuelle en matière d’expertises en Suisse pour déterminer les éventuelles mesures à prendre, notamment en ce qui concerne la formation en matière d’expertises et les lignes directrices professionnelles.

Afin de clarifier la question de l’utilité des enquêtes de satisfaction auprès des personnes concernées, la COQEM a préalablement commandé une étude externe basée sur la littérature, qui présente l’état scientifique d’une telle méthode et spécifie dans quelles conditions un tel instrument pourrait être utilisé efficacement pour l’amélioration de la qualité dans l’expertise médicale. (Rapport de la Prof. Muschalla et al.).

L’enquête doit permettre aux personnes évaluées de faire part à une instance indépendante de leur retour sur l’examen d’expertise sans craindre de conséquences négatives sur les résultats de l’expertise ou sur une future décision de prestation. L’enquête sera réalisée immédiatement après l’examen, avant que le résultat de l’expertise ne soit connu, afin d’exclure toute influence du résultat de l’expertise sur les personnes évaluées (voir à ce sujet Muschalla et al.).

L’enquête à l’intention de la COQEM sera réalisée par voie électronique sur une plateforme en ligne et ne donnera lieu qu’exceptionnellement à un questionnaire imprimé sur papier.

Les résultats de l’enquête permettront d’identifier les éventuelles mesures et de formuler des recommandations y concernant et d’entamer un dialogue sur la qualité avec certain·s expert·s ou centre d’expertise.

 

 

Communiqué de presse de la Commission fédérale pour l’assurance qualité dans le domaine de l’expertise médicale (COQEM) du 31.08.2023 consultable ici

Étude thématique « Utilité des enquêtes auprès des personnes concernées pour l’assurance qualité des expertises médico-assurantielles, particulièrement, en termes d’équité et de satisfaction à l’égard du déroulement des expertises », Muschalla B. et al. (2023), rapport disponible ici

 

8C_745/2022 (f) du 29.06.2023 – IPAI – Aggravations prévisibles – 24 LAA – 36 al. 4 OLAA / Gonarthrose – Survenance de l’aggravation vraisemblable et l’importance quantifiable

Arrêt du Tribunal fédéral 8C_745/2022 (f) du 29.06.2023

 

Consultable ici

NB : cf. mes remarques en fin d’article

 

IPAI – Aggravations prévisibles / 24 LAA – 36 al. 4 OLAA

Gonarthrose – Survenance de l’aggravation vraisemblable et l’importance quantifiable

 

Assuré, gendarme, a été percuté le 29.11.2018 par un automobiliste à qui il avait donné l’injonction de s’arrêter. Après avoir subi une intervention chirurgicale au genou gauche le 19.03.2019, il a repris l’exercice de son activité lucrative à plein temps le 01.10.2019.

 

Par décision, confirmée sur opposition, l’assurance-accidents a octroyé une IPAI de 20%, en se fondant sur une expertise qu’elle avait confiée à un spécialiste en chirurgie orthopédique et traumatologie de l’appareil locomoteur.

 

Procédure cantonale (arrêt 605 2022 70 – consultable ici)

Les juges cantonaux ont retenu que dans son rapport d’expertise du 25.08.2021, le médecin-expert avait indiqué que le genou gauche de l’assuré, qui présentait une arthrose moyenne débutante, allait de toute manière évoluer vers une arthrose fémoro-patellaire puis vraisemblablement globale. Ce spécialiste avait estimé l’IPAI à 15%, précisant qu’il était certain que les troubles dégénératifs allaient s’aggraver à l’avenir, ce à quoi s’ajoutait une insuffisance du ligament croisé antérieur. L’expert en avait conclu que l’IPAI devrait être augmentée à un taux entre 20% et 40% selon l’importance de l’arthrose et/ou le résultat après la mise en place d’une prothèse totale du genou. Au vu des conclusions du médecin-expert, l’aggravation future de l’état du genou gauche de l’assuré n’était en tout état de cause pas contestable. Cette aggravation n’était toutefois pas quantifiable. L’expert avait en effet très clairement indiqué que l’augmentation de l’IPAI se situerait dans une fourchette allant de 5% à 25%, soit une IPAI totale pouvant aller de 20% à 40%. Il avait justifié cet écart important en relevant que l’aggravation réelle dépendrait d’une part de l’importance de l’évolution de l’arthrose et d’autre part du résultat après la mise en place d’une prothèse totale du genou. En fixant l’IPAI à 20%, l’assurance-accidents avait déjà tenu compte de l’aggravation minimale prévue par le médecin-expert. Ce n’était que dans le cadre d’une révision future, qui tiendrait plus précisément compte d’une évaluation objective de la situation, que l’IPAI pourrait être augmentée.

Par jugement du 24.10.2022, rejet du recours par le tribunal cantonal.

 

TF

 

Consid. 3.1
Selon l’art. 24 al. 1 LAA, l’assuré qui souffre d’une atteinte importante et durable à son intégrité physique, mentale ou psychique par suite d’un accident a droit à une indemnité équitable pour atteinte à l’intégrité. Aux termes de l’art. 36 al. 1 OLAA, une atteinte à l’intégrité est réputée durable lorsqu’il est prévisible qu’elle subsistera avec au moins la même gravité pendant toute la vie; elle est réputée importante lorsque l’intégrité physique, mentale ou psychique subit, indépendamment de la diminution de la capacité de gain, une altération évidente ou grave.

Consid. 3.2
L’indemnité pour atteinte à l’intégrité est calculée selon les directives figurant à l’annexe 3 à l’OLAA. Cette annexe comporte un barème – reconnu conforme à la loi et non exhaustif (ATF 124 V 29 consid. 1b, 209 consid. 4a/bb; arrêt 8C_580/2022 du 31 mars 2023 consid. 4.1.1 et l’arrêt cité) – des lésions fréquentes et caractéristiques, évaluées en pour cent. Pour les atteintes à l’intégrité spéciales ou qui ne figurent pas dans la liste, le barème est appliqué par analogie, compte tenu de la gravité de l’atteinte (ch. 1 al. 2 annexe 3 OLAA). La Division médicale de la Caisse nationale suisse d’assurance en cas d’accidents (CNA) a établi des tables d’indemnisation en vue d’une évaluation plus affinée de certaines atteintes (Indemnisation des atteintes à l’intégrité selon la LAA). Ces tables n’ont pas valeur de règles de droit et ne sauraient lier le juge. Toutefois, dans la mesure où il s’agit de valeurs indicatives, destinées à assurer autant que faire se peut l’égalité de traitement entre les assurés, elles sont compatibles avec l’annexe 3 à l’OLAA (ATF 124 V 209 consid. 4a/cc; 116 V 156 consid. 3a; arrêt 8C_656/2022 du 5 juin 2023 consid. 3.3 et l’arrêt cité).

Consid. 3.3
Aux termes de l’art. 36 al. 4 OLAA, il est équitablement tenu compte des aggravations prévisibles de l’atteinte à l’intégrité; une révision n’est possible qu’en cas exceptionnel, si l’aggravation est importante et n’était pas prévisible. S’il y a lieu de tenir équitablement compte d’une aggravation prévisible de l’atteinte lors de la fixation du taux de l’indemnité, cette règle ne vise toutefois que les aggravations dont la survenance est vraisemblable etcumulativementl’importance quantifiable (arrêts 8C_420/2021 du 6 octobre 2021 consid. 3; 8C_238/2020 du 7 octobre 2020 consid. 3; 8C_494/2014 du 11 décembre 2014 consid. 6.2 et les références citées). Le taux d’une atteinte à l’intégrité dont l’aggravation est prévisible au sens de l’art. 36 al. 4 OLAA doit être fixé sur la base de constatations médicales (arrêt 8C_238/2020 précité consid. 3 in fine et l’arrêt cité).

 

Consid. 4.3
Le caractère prévisible de l’aggravation de l’atteinte à l’intégrité de l’assuré n’étant pas contesté, seul est litigieux le point de savoir si l’importance de l’aggravation est quantifiable ou non. Dans son rapport, le médecin-expert a exposé que le genou gauche de l’assuré présentait une arthrose moyenne débutante, donnant droit à une IPAI de 10% selon la table 5, à laquelle s’ajoutait une IPAI de 5% pour la « laxité perdurante actuellement modérée » selon la table 6. L’IPAI totale actuelle était ainsi de 15%. Il était toutefois certain que les troubles dégénératifs allaient s’aggraver à l’avenir et que les lésions du ligament croisé postérieur allaient entraîner une « arthrose au moins fémoro-patellaire voire totale ». Dès lors qu’il y avait en sus une insuffisance du ligament croisé antérieur, il était également certain que l’assuré allait développer une pangonarthrose qui nécessiterait la pose d’une prothèse totale du genou dans un avenir plus ou moins proche. Selon l’importance de l’arthrose et/ou le résultat après la mise en place d’une prothèse, l’IPAI devrait être fixée entre 20% et 40%.

Contrairement à ce que laisse entendre l’assuré, le médecin-expert n’a pas fait état d’une arthrose grave, de sorte que les taux de la table 5 correspondant à une arthrose grave ne sauraient s’appliquer. La pose d’une prothèse « dans un avenir plus ou moins proche » étant acquise, c’est bien les taux prévus par la table 5 en cas d’endoprothèse qui doivent être pris en compte [ndr : cf. mes commentaires en bas d’article]. Comme retenu à juste titre par les juges cantonaux, ce taux varie entre 20% (« endoprothèse avec résultat bon ») et 40% (« endoprothèse avec résultat mauvais ») en fonction des suites de l’opération. Par conséquent, l’importance de l’aggravation de l’atteinte à l’intégrité n’est en l’état pas précisément quantifiable; elle dépendra de l’évolution de l’arthrose et des suites de l’intervention chirurgicale. En l’état, seule une aggravation donnant droit à une IPAI de 20% est quantifiable de manière prévisible. Admettre à ce stade une IPAI de 40% – soit le double – reviendrait à tenir pour acquise une évolution post-opératoire négative, laquelle n’apparaît à ce jour pas plus vraisemblable qu’une évolution positive. L’assuré, qui ne conteste pas la valeur probante de l’expertise, ne cite par ailleurs aucun avis médical susceptible de mettre en cause l’impossibilité, à ce stade, de quantifier plus précisément l’importance de l’aggravation à venir. L’expert s’étant prononcé de manière aussi précise que possible sur le développement futur de l’atteinte à l’intégrité, la cour cantonale n’avait pas à instruire davantage la question en lui demandant une nouvelle évaluation. En outre, en cas d’aggravation importante de l’atteinte à l’intégrité, une révision au sens de l’art. 36 al. 4, seconde phrase, OLAA demeurera envisageable, quand bien même une possible aggravation justifiant une IPAI allant jusqu’à 40% a déjà été évoquée à ce jour (cf. arrêt 8C_238/2020 du 7 octobre 2020 consid. 4.3).

 

Le TF rejette le recours de l’assuré.

 

 

Remarques et commentaires

Selon moi, l’arrêt du TF contient une erreur. En effet, la table 5 « Atteinte à l’intégrité résultant d’arthroses » précise que l’implant d’une endoprothèse s’oriente sur l’état non corrigé, c’est-à-dire sur le degré de gravité de l’arthrose avant l’implant (colonnes 2 [arthrose moyenne] et 3 [arthrose grave]). Pour les prothèses implantées directement après l’accident (endoprothèses primaires), les colonnes 5 [endoprothèse avec bon résultat] et 6 [endoprothèse avec mauvais résultat] entrent en application.

Dans la situation de ce gendarme, l’atteinte à l’intégrité doit donc bien s’examiner sur la base de l’état non corrigé – soit avant la pose de la prothèse – et non sur la base d’un état après pose d’une prothèse, cette dernière n’ayant pas été implantée directement après l’accident.

Cela étant dit, il est peu probable que la situation aurait été jugée différemment. En effet, une pangonarthrose (arthrose du genou) moyenne du genou correspond à un taux de 10% à 30% et une pangonarthrose sévère à 30% à 40%. S’il est certain que l’assuré, dans le cas d’espèce, présentera à terme une pangonarthrose, la sévérité de l’atteinte demeure inconnue. Et même avec une pangonarthrose sévère, le taux ne peut être d’ores et déjà défini avec précision. Ainsi, la survenance de l’aggravation vraisemblable mais son importance n’est pas quantifiable.

 

 

Arrêt 8C_745/2022 consultable ici

 

Proposition de citation : 8C_745/2022 (f) du 29.06.2023, in assurances-sociales.info – ionta (https://assurances-sociales.info/2023/08/8c_745-2022)

 

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2023

Estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux – 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2023

 

L’Office fédéral de la statistique (OFS) a publié le 31.08.2023 la 2e estimation basée sur les données du premier semestre 2023. Le tableau se trouve ici :

  • en français (estimation trimestrielle de l’évolution des salaires nominaux)
  • en italien (stima trimestrale dell’evoluzione dei salari nominali)
  • en allemand (Quartalschätzungen der Nominallohnentwicklung)

On rappellera que l’estimation de l’évolution des salaires est nécessaire afin d’indexer un revenu (sans invalidité / d’invalide) à 2023 (arrêt du Tribunal fédéral 8C_659/2022+8C_707/2022 du 2 mai 2023 consid. 7.2).