1C_135/2022 (f) du 24.08.2022 – Retrait du permis de conduire – Perte de maîtrise du véhicule sur l’autoroute sur chaussée mouillée en roulant à 90-100 km/h – Rappel de la jurisprudence relative à l’aquaplaning

Arrêt du Tribunal fédéral 1C_135/2022 (f) du 24.08.2022

 

Consultable ici

 

Violation grave des règles de la circulation – Retrait du permis de conduire / 16c al. 2 let. a LCR

Perte de maîtrise du véhicule sur l’autoroute sur chaussée mouillée en roulant à 90-100 km/h / 31 al. 1 LCR – 32 al. 1 LCR

Rappel de la jurisprudence relative à l’aquaplaning

 

Selon le rapport de la gendarmerie cantonale, A.__ circulait, le 24.06.2021 vers 17h40, sur l’autoroute A12 de Lausanne en direction de Fribourg sur une chaussée mouillée et par temps pluvieux. Alors qu’elle effectuait un dépassement, à une vitesse, selon ses dires, d’environ 100 km/h, elle a perdu la maîtrise de son véhicule et a heurté la voiture qui circulait sur la voie de droite; celle-ci s’est alors déportée latéralement avant d’entrer en collision frontale avec la berme centrale. A.__ s’est immédiatement arrêtée sur la bande d’arrêt d’urgence.

Par décision du 19.08.2021, La Commission des mesures administratives en matière de circulation routière (ci-après: CMA) a prononcé le retrait du permis de conduire de A.__ pour une durée de trois mois, qualifiant l’infraction commise par l’intéressée de grave.

Ordonnance pénale du 03.12.2021 : A.__ a été reconnu coupable de violation simple des règles de la circulation routière (art. 90 al. 1 LCR), l’intéressée ayant perdu le contrôle de son véhicule en raison d’une vitesse inadaptée aux circonstances de la route, soit aux conditions météorologiques ainsi qu’à l’état de la chaussée. Cette ordonnance n’a pas été contestée.

 

Procédure cantonale

Par jugement du 19.01.2022, le Tribunal cantonal a retenu que A.__ circulait sur la voie de dépassement de l’autoroute à une vitesse inadaptée aux conditions météorologiques (à savoir environ 100 km/h alors qu’il pleuvait et que la chaussée était détrempée); elle avait perdu la maîtrise de son véhicule, ce qui avait provoqué un accident avec la voiture qui circulait sur la voie de droite. L’autorité cantonale a considéré que l’intéressée avait violé une règle élémentaire de prudence, dont la violation, nécessairement délibérée, devait être considérée comme grave. De plus, la faute commise avait été à l’origine d’une mise en danger concrète de la circulation, le véhicule de A.__ ayant percuté la voiture qu’elle dépassait, provoquant un accident; le fait qu’il n’y ait pas eu de blessés relevait du cas fortuit et ne saurait lui profiter. Dès lors, tant la faute que la mise en danger devaient être qualifiées de graves au sens de l’art. 16c al. 2 let. a LCR.

 

TF

Consid. 2.1
A ses art. 16a à 16c, la LCR distingue les infractions légères, moyennement graves et graves. Selon l’art. 16a al. 1 LCR, commet une infraction légère la personne qui, en violant les règles de la circulation routière, met légèrement en danger la sécurité d’autrui et à laquelle seule une faute bénigne peut être imputée. Commet en revanche une infraction grave selon l’art. 16c al. 1 let. a LCR la personne qui, en violant gravement les règles de la circulation routière, met sérieusement en danger la sécurité d’autrui ou en prend le risque. Conformément à l’art. 16c al. 2 let. a LCR, le permis de conduire est retiré pour trois mois au minimum après une infraction grave. Entre ces deux extrêmes, se trouve l’infraction moyennement grave, soit celle que commet la personne qui, en violant les règles de la circulation routière, crée un danger pour la sécurité d’autrui ou en prend le risque (art. 16b al. 1 let. a LCR). Dans cette hypothèse, le permis est retiré pour un mois au minimum (art. 16b al. 2 let. a LCR).

Le législateur conçoit l’art. 16b al. 1 let. a LCR comme l’élément dit de regroupement. Cette disposition n’est ainsi pas applicable aux infractions qui tombent sous le coup des art. 16a al. 1 let. a et 16c al. 1 let. a LCR. Dès lors, l’infraction est toujours considérée comme moyennement grave lorsque tous les éléments constitutifs qui permettent de la privilégier comme légère ou au contraire de la qualifier de grave ne sont pas réunis. Tel est par exemple le cas lorsque la faute est grave et la mise en danger bénigne ou, inversement, si la faute est légère et la mise en danger grave (ATF 136 II 447 consid. 3.2). Ainsi, par rapport à une infraction légère, où tant la mise en danger que la faute doivent être légères, on parle d’infraction moyennement grave dès que la mise en danger ou la faute n’est pas légère, alors qu’une infraction grave suppose le cumul d’une faute grave et d’une mise en danger grave (cf. ATF 135 II 138 consid. 2.2.3; arrêts 1C_144/2018 du 10 décembre 2018 consid. 2.2; 1C_525/2012 du 24 octobre 2013 consid. 2.1).

D’un point de vue objectif, il y a création d’un danger sérieux pour la sécurité d’autrui au sens de l’art. 16c al. 1 let. a LCR non seulement en cas de mise en danger concrète, mais déjà en cas de mise en danger abstraite accrue; la réalisation d’un tel danger s’examine en fonction des circonstances spécifiques du cas d’espèce (ATF 143 IV 508 consid. 1.3; 142 IV 93 consid. 3.1; arrêts 1C_51/2021 du 4 avril 2022 consid. 2.1.1; 1C_592/2018 du 27 juin 2019 consid. 3.1). Sur le plan subjectif, l’art. 16c al. 1 let. a LCR, dont la portée est identique à celle de l’art. 90 ch. 2 LCR, exige un comportement sans scrupules ou gravement contraire aux règles de la circulation, c’est-à-dire une faute grave, donnée en cas de dol direct ou de dol éventuel et, en cas d’acte commis par négligence, découlant au minimum d’une négligence grossière (ATF 142 IV 93 consid. 3.1; 131 IV 133 consid. 3.2; arrêts 1C_436/2019 du 30 septembre 2019 consid. 2.1; 1C_442/2017 du 26 avril 2018 consid. 2.1; BUSSY/RUSCONI/JEANNERET/KUHN/MIZEL/ MÜLLER, Code suisse de la circulation routière commenté, 4e éd. 2015, nos 1.2 ss ad art. 16c LCR). Cette condition est réalisée si l’auteur est conscient du danger que représente sa manière de conduire ou si, contrairement à ses devoirs, il ne tient pas compte du fait qu’il met en danger les autres usagers, c’est-à-dire s’il agit avec une négligence inconsciente; tel sera le cas lorsque le conducteur est inattentif, qu’il apprécie mal une situation, ou qu’il évalue mal les conséquences de son comportement. Dans un tel cas, il faut toutefois faire preuve de retenue. Une négligence grossière ne peut être admise que si l’absence de prise de conscience du danger créé pour autrui est particulièrement blâmable – notamment en méconnaissant un risque clair – ou repose elle-même sur une absence de scrupules (ATF 131 IV 133 consid. 3.2 et les réf. cit.; arrêt 1C_436/2019 du 30 septembre 2019 consid. 2.1; BUSSY/RUSCONI/JEANNERET/KUHN/MIZEL/MÜLLER, op. cit., n° 1.2.2 ad art. 16c LCR). Plus la violation de la règle de la circulation est objectivement grave, plus on admettra l’existence d’une absence de scrupules, sauf indice particulier permettant de retenir le contraire (ATF 142 IV 93 consid. 3.1).

En revanche, une faute moyennement grave au sens de l’art. 16b al. 1 let. a LCR correspond, lorsqu’aucune circonstance particulière n’exige une prudence très élevée (cf. arrêt 1C_525/2012 du 24 octobre 2013 consid. 2.4), à une absence de prise en considération des risques d’accident, alors que ceux-ci étaient reconnaissables pour un conducteur moyen normalement prudent (cf. ATF 126 II 192 consid. 2b) et vouant toute attention à la chaussée au sens de l’art. 3 al. 1 de l’ordonnance sur les règles de la circulation routière (OCR; RS 741.11; BUSSY/RUSCONI/JEANNERET/KUHN/MIZEL/MÜLLER, op. cit., n° 1.4 ad art. 16b LCR).

 

Consid. 2.2
A teneur de l’art. 31 al. 1 LCR, le conducteur devra rester constamment maître de son véhicule de façon à pouvoir se conformer aux devoirs de la prudence. Cela signifie qu’il doit être à tout moment en mesure de réagir utilement aux circonstances (arrêt 1C_577/2018 du 9 avril 2019 consid. 2.2). Le conducteur doit vouer à la route et au trafic toute l’attention possible (cf. art. 3 al. 1 OCR), le degré de cette attention devant être apprécié au regard de toutes les circonstances, telles que la densité du trafic, la configuration des lieux, l’heure, la visibilité et les sources de danger prévisibles (ATF 137 IV 290 consid. 3.6; 129 IV 282 consid. 2.2.1 et la réf. cit.; arrêt 1C_249/2021 du 17 décembre 2021 consid. 3.2).

Selon la jurisprudence, la perte de maîtrise du véhicule ne constitue pas toujours une infraction grave au sens de l’art. 16c al. 1 let. a LCR. Selon ces circonstances – en particulier selon le degré de mise en danger de la sécurité d’autrui et selon la faute de l’intéressé – l’infraction peut être qualifiée de moyennement grave au sens de l’art. 16b al. 1 let. a LCR, voire même de légère au sens de l’art. 16a al. 1 let. a LCR (arrêt 1C_525/2012 du 24 octobre 2013 consid. 2.2 et la réf. cit.).

Selon l’art. 32 al. 1 LCR, la vitesse doit toujours être adaptée aux circonstances, notamment aux particularités du véhicule et du chargement, ainsi qu’aux conditions de la route, de la circulation et de la visibilité. Cette règle implique notamment qu’on ne peut circuler à la vitesse maximale autorisée que si les conditions de la route, du trafic et de visibilité sont favorables (ATF 121 IV 286 consid. 4b; 121 II 127 consid. 4a; cf. art. 4a OCR). En effet, s’il veut pouvoir se conformer aux règles de prudence au sens de l’art. 31 al. 1 LCR, le conducteur devra, avant tout, adapter sa vitesse, pour qu’elle ne constitue ni une cause d’accident ni une gêne excessive pour la circulation (BUSSY/ RUSCONI/JEANNERET/KUHN/MIZEL/MÜLLER, op. cit., n° 1.1 ad art. 32 LCR).

Ont été qualifiées de fautes graves certaines pertes de maîtrise avérées alors que les conditions de circulation requéraient une attention particulière, par exemple sur une autoroute détrempée avec risque d’aquaplaning (ATF 120 1b 312 consid. 4c; arrêt 1C_249/2012 du 27 mars 2013 consid. 2.2.5). Le phénomène dit « d’aquaplaning » (dû au glissement des pneus sur un plan d’eau, sans adhérence avec le sol) et qui se manifeste surtout sur les autoroutes, est en effet assez connu pour devoir être pris en considération par tous les conducteurs et il peut déjà se produire à des vitesses inférieures à 80 km/h (ATF 120 Ib 312 consid. 4c; BUSSY/RUSCONI/JEANNERET/KUHN/MIZEL/MÜLLER, op. cit., n° 1.6 ad art. 32 LCR).

L’examen de l’adaptation de la vitesse aux circonstances, dans leur ensemble, est en principe une question de droit que le Tribunal fédéral peut examiner librement. Mais, comme la réponse dépend pour beaucoup de l’appréciation des circonstances locales par l’autorité cantonale, à laquelle il faut laisser une certaine latitude, le Tribunal fédéral ne s’écarte de cette appréciation que lorsque des raisons impérieuses l’exigent (ATF 99 IV 227 consid. 2; arrêts 1C_51/2021 du 4 avril 2022 consid. 2.1.2; 6B_23/2016 du 9 décembre 2016 consid. 3.1; 6B_1247/2013 du 13 mars 2014 consid. 3.1).

 

Consid. 2.4
En l’espèce,
il n’est pas contesté que A.__, en effectuant un dépassement sur l’autoroute à une vitesse d’environ 90-100 km/h, a perdu la maîtrise de son véhicule et a ainsi causé un accident avec la voiture qui circulait sur la voie de droite. Il n’est pas non plus contesté que la perte de maîtrise du véhicule a été causée par de l’aquaplaning.

A.__ admet qu’elle « avait parfaitement conscience du danger que représentait l’aquaplaning »; ainsi, si, selon ses dires, elle avait réduit sa vitesse à environ 90-100 km/h, elle avait tout de même « sans doute mal évalué ou sous-estimé l’état de la route ». Ce faisant, A.__ a mis en danger les autres usagers, si ce n’est pas déjà par dol éventuel, pour le moins en faisant preuve d’une négligence inconsciente: en effet, en plus d’avoir mal apprécié la situation, elle a aussi mal évalué les conséquences de son acte lorsqu’elle a engagé une manœuvre de dépassement à environ 90-100 km/h sur une autoroute détrempée avec risque d’aquaplaning, alors que les conditions météorologiques requéraient, dans un tel cas de figure, une attention particulière et une prudence accrue. Comme rappelé à juste titre par le Tribunal cantonal, le risque d’aquaplaning, bien connu, commande à tout conducteur prudent et respectueux des règles de la circulation routière d’adapter et même de réduire conséquemment sa vitesse en cas de fortes pluies, étant en particulier conseillé aux automobilistes de ne pas dépasser les 80 km/h (cf. supra consid. 2.2); en roulant à 90-100 km/h, A.__ a ainsi méconnu un risque clair.

Au demeurant, l’état de fait cantonal ne contient aucun élément faisant apparaître le comportement de A.__ comme moins grave. En effet, le Tribunal cantonal a relevé que la vitesse excessive ayant causé l’aquaplaning s’accompagnait, comme on l’a vu, d’une tentative de dépassement; dès lors, l’absence de prudence accrue de A.__ qui a engagé une manœuvre de dépassement en méconnaissant le risque clair d’aquaplaning à une vitesse d’environ 90-100 km/h, laquelle a engendré la perte de maîtrise du véhicule, puis l’accident, apparaissent particulièrement blâmables. Dans ce contexte et contrairement à l’avis de A.__, la situation du cas d’espèce peut se rapprocher de celles de l’ATF 120 Ib 312 et de l’arrêt 1C_249/2012 du 27 mars 2013: s’il est vrai que dans les deux affaires les recourants semblaient conduire à une vitesse de 120 km/h, cette différence ne suffit pas, à elle seule, à retenir que, dans le cas d’espèce, A.__ n’aurait pas commis de faute grave. A.__ a en effet adopté un comportement dont le caractère manifestement dangereux ne pouvait pas lui échapper. Il y a donc là, à tout le moins, une négligence grossière de sa part. Le fait que le rapport de police ne fasse pas état de pneus lisses concernant le véhicule de A.__ ne change rien à cette appréciation.

Comme rappelé par le Tribunal cantonal, dans les arrêts mentionnés plus haut il a été jugé qu’une perte de maîtrise due à une conduite inadaptée sur l’autoroute, où la circulation est toujours très rapide, malgré l’attention particulière que requiert le risque d’aquaplaning, constitue une grave mise en danger de la sécurité routière – ce qui n’est pas contesté par A.__ – et suppose une faute grave. Il existe en particulier un risque de collision avec les véhicules qui précèdent impliquant des conséquences considérables pour les personnes concernées (ATF 120 Ib 312 consid. 4c; arrêt 1C_249/2012 du 27 mars 2013 consid. 2.2.4 et 2.2.5). Vu ces éléments et compte tenu du fait que, comme susmentionné, plus la violation d’une règle de la circulation routière est objectivement grave plus cela conduit en principe à retenir une négligence grossière sur le plan subjectif, la situation du cas d’espèce diffère de celles qui ont fait l’objet des arrêts 6A.9/2004 du 23 avril 2004 et 6A.65/2003 du 27 novembre 2003, auxquels A.__ se réfère: en particulier étant donné que, dans ces arrêts, la perte de maîtrise du véhicule, due à une vitesse excessive, n’a pas eu lieu sur l’autoroute et qu’aucun aquaplaning n’a été constaté. La présente cause se distingue également de celle de l’arrêt 1C_525/2012 du 24 octobre 2013, où le Tribunal fédéral a retenu une faute moyennement grave. Bien que, dans cette affaire, la personne circulait sur l’autoroute, une forte pluie ou de l’aquaplaning – qui auraient exigé une prudence accrue – n’ont pas été constatés (cf. arrêt 1C_525/2012 du 24 octobre 2013 consid. 2.4); de même, le recourant n’avait pas engagé une manœuvre de dépassement et n’avait pas causé d’accident avec une autre voiture.

Enfin, A.__ ne saurait tirer argument du fait que sur le plan pénal elle a été condamnée pour infraction simple selon l’art. 90 al. 1 LCR. En effet, si les faits retenus au pénal lient en principe l’autorité et le juge administratifs (ATF 139 II 95 consid. 3.2 et les arrêts cités), il en va différemment des questions de droit, en particulier de l’appréciation de la faute et de la mise en danger (arrêt 1C_202/2018 du 18 septembre 2018 consid. 2.2).

 

Consid. 2.5
Dans ces circonstances, le Tribunal cantonal n’a pas violé le droit fédéral en retenant que A.__ avait commis une infraction grave au sens de l’art. 16c al. 1 let. a LCR. Pour le surplus, A.__ ne conteste pas que, dans cette hypothèse, son permis de conduire devait lui être retiré pour une durée de trois mois en application de l’art. 16c al. 2 let. a LCR, s’agissant de la durée minimale pour une infraction grave.

 

Le TF rejette le recours de A.__.

 

Arrêt 1C_135/2022 consultable ici

 

Laisser un commentaire

Ce site utilise Akismet pour réduire les indésirables. En savoir plus sur la façon dont les données de vos commentaires sont traitées.